Presque quatre heures que je roule. Si je n’étais pas sûre de ne pas pouvoir attraper un train, je viendrais en train, cela serait plus facile pour travailler. Comme d’habitude, je profite de ces quatre heures pour travailler mes plaidoyers en utilisant mon dictaphone. Cela me demandera forcément un peu de réécriture, mais le logiciel de synthèse vocale que j’utilise n’est pas trop mauvais et me permet d’économiser un peu de temps. Ou de travailler sur d’autres choses en même temps. Perdre du temps dans la voiture parfois même plusieurs fois par semaine c’est toujours un peu délicat. Mais je ne m’en sors pas si mal au final. Et puis, travailler en conduisant, ça m’évite de penser, ce n’est pas si mal. Même si avec le retour du soleil et la disparition des usurpateurs il y a plusieurs semaines, nos vies ont plutôt bien repris leurs cours. Enfin… Jusqu’à la prochaine fois. Et en attendant, les gens ont tendance à faire un peu trop la fête, ce qui n’est pas forcément facile pour dormir. Et il y a toutes ces questions sur l’évolution de ma relation avec Michael et… Je secoue un peu la tête, replaçant mes mains sur mon volant pour recommencer à réfléchir à haute voix sur mon plaidoyer. Jusqu’à ce que finalement, j’entre dans cette fameuse ville. Et oui, me voilà encore à Gotham. Il faut croire que j’ai cette ville dans la peau. Quelles chances il y avait que sur tous les avocats du cabinet dans lequel je travaille, ce soit moi qui prenne cette affaire ? Et quelles chances y avait-il pour que mon client ait évidemment un alibi justement dans cette ville ? Difficile à dire. Mais me voilà encore une fois ici, à me garer sur un parking sur lequel j’ai toujours un peu peur de me faire voler mes pneus ou ma voiture entière. Jusqu’à présent, j’ai joué de chance. Je profite d’être immobilisée sur le parking pour envoyer un message à Michael pour lui proposer qu’on se voie ce soir puisque je suis là. Après tout, autant en profiter, non ?

Notre dernière rencontre s’étant déroulée à Washington, cela semble plutôt normal que cette fois, ça soit moi qui me déplace et comme d’habitude je fais d’une pierre deux coups. Cela peut sembler un peu abusé de penser comme ça, mais je me méfie toujours des relations amoureuses. Autant ne pas trop m’investir, histoire de ne pas être trop déçue si ça tourne mal, parce que soyons honnête, vu mon patrimoine familial en terme de relation sentimentale, il y a de grandes chances que ça arrive. Finalement, je me dirige vers le commissariat devant lequel je suis garée. Il va falloir que j’aille à la pêche aux informations moi-même puis que l’avocat de la partie adverse traîne à m’envoyer les différents rapports. Comme d’habitude. Et comme la personne que j’ai eue au téléphone n’a pas voulu m’envoyer le rapport sans avoir la certitude de mon identité. Alors, j’ai dû me déplacer, avec mon portefeuille, ma carte professionnelle et ma bonne humeur. Je pousse la porte et je m’approche du comptoir d’accueil, derrière lequel il n’a personne. Je m’accoude à celui-ci, en attendant le retour de l’agent d’accueil. Comme je ne le vois pas arriver, je regarde autour de moi et finalement je m’avance un peu, jusqu’à arriver à un open space de bureau. Il y a quelqu’un non loin de moi, un homme, aux cheveux clairs et qui semble avoir un âge proche du mien. Je m’avance et je dis : « Excusez-moi… Je suis désolée de vous déranger mais il n’y avait personne à l’accueil ». Je me doute que je ne suis pas vraiment à ma place mais tant pis. Maintenant que je suis-là, j’en profite pour le demander : « Vous ne sauriez pas, par hasard à qui je dois m’adresser concernant les éléments que vous avez transmis au bureau du procureur de Washington concernant Taylor Sanchez ? ».  Peut-être qu’il saura lequel de ses collègues à vérifier les dires de mon client.

Le jeune homme que je viens de trouver portait un casque, mais je réussis à attirer son attention puisque je le vois le baisser. Il semble même m'avoir entendu parce qu'il me répond que ses collègues sont surement en pause. Je me contente d'acquiescer. En pause ou occupés ailleurs, peut-être même pas au commissariat, vu la ville dans laquelle ils travaillent, ils ont du mérite et sont surement très occupés, je ne vais pas les juger. Je souris donc simplement, avec politesse et une certaine bienveillance. Je ne peux que comprendre qu'ils aient besoin d'une pause. Même si moi-même, j'en prends rarement par manque de temps et par manque d'envie aussi. Trop de choses à faire et trop peu de temps pour les faire. Surtout quand je dois venir à Gotham plusieurs fois. Bref. L'homme qui j'ai trouvé semble plutôt sympa et prêt à m'aider. Il reprend la parole pour me dire que ce nom ne lui dit rien, mais qu'on va trouver ça. Je souris un peu plus et je m'approche un peu : « Ça serait vraiment super ». Et je le pense vraiment. « J'imagine que vous avez surement autre chose à faire, alors je ne veux pas déranger surtout, mais merci beaucoup ! ». Que je ne sois pas venue pour rien, que je puisse enfin avoir accès à mes informations pour élaborer ma défense et essayer de pouvoir sauver mon client. Il se penche sur son ordinateur surement pour aller ouvrir un ou deux dossiers dans leur base de données.

Il me repose une question tout en me proposant un siège. Je pourrais très bien lui mentir, lui dire que je suis policière, mais il semble plutôt gentil et lui mentir m'ennuie un peu. D'autant plus que ça pourrait clairement se retourner contre moi et contre mon client, donc je lui réponds : « Je suis l'avocate de Monsieur Sanchez, comme j'étais en ville aujourd'hui pour une autre affaire, je me suis dit que je pourrais passer voir si vous aviez déjà vérifié ses éléments d'alibi ». Bon, d'accord, je suis venue pour ça. Mais bon, il n'est pas obligé de le savoir. Je ne vais pas dénigrer ses collègues de washington, même si ce sont clairement tous des crétins. Parfois, j'ai du mal à croire mes clients et je sais que je vais avoir du mal à plaider parce qu'ils ont clairement des gros défauts dans leurs histoires. Mais lui, je le crois. Il y a quelque chose de sincère chez lui. Je pense vraiment qu'il s'est retrouvé impliqué dans cette histoire de traffic par accident. Alors quand il me dit qu'il était avec sa sœur et sa nièce dans les rues de Gotham, probablement filmé par tout un tas de caméra, je le crois et si ce policier pouvait lui aussi me confirmer cela, ce serait un soulagement. Je m'installe en tirant une chaise et je croise les jambes par habitude et quand il me propose du thé froid je lui souris et je réponds : « C'est gentil, mais non merci. Je consomme beaucoup trop de caféine pour le bien des autres ». Je ris un peu mais je peux vraiment être insupportable quand je consomme trop de café. Et cela ne fera qu'augmenter ma nervosité, il faut bien le dire. J'ai toujours un peu peur de voir des preuves disparaître, surtout dans ce genre d'affaire. Quand il y a des noms à cacher, et des coupables à inventer, on finit toujours par se retrouver coincer par les pots de vins glissés à droite ou à gauche. Et j'aimerais me dire que tous les policiers sont exemplaires et honnêtes, mais je sais très bien que ce n'est pas le cas. En attendant que l'ordinateur trouve, je sors un papier de mon sac pour me ventiler un peu tout en disant : « Je vous admire, réussir à travailler par cette chaleur... C'est inhumain... ». Je me rends compte que j'ai vraiment beaucoup de chance. Avoir un bureau climatisé, c'est vraiment le paradis.  

Si cette affaire pouvait prendre un tournant plus facile, j'en serais enchantée. Bien sûr, il n'est jamais possible de prévoir ce qu'il va advenir de ce genre d'affaire. Et des preuves peuvent disparaître si rapidement que s'en est désolant. Honnêtement, je dois dire que parfois, j'ai bien envie de faire quelques études supplémentaires dans l'art du piratage informatique, mais cela serait enfreindre des règles et des lois et cela finit toujours par se retourner contre les avocats qui usent de ses méthodes. Un jour où l'autre leur réputation les rattrapent et un jeune procureur idéaliste ou avide de pouvoir se met en tête de nettoyer la justice de notre pays pour la gloire, l'honneur ou la popularité dans les sondages. Autant dire que peu importe la raison, il vaut mieux rester dans la légalité. Et puis, je suis une Trevor, mes parents se sont battus pour notre pays, ils ont en ont toujours vanté les mérites et œuvré pour le rendre meilleur. C'est aussi la voie que j'ai choisir. Lorsque je lui dis que je ne voudrais pas le déranger - principalement par politesse, parce que si, je veux vraiment le déranger - il me répond que je n'ai pas à m'en faire. La paperasse... la pire chose de ce pays. Tout un tas de dossiers à trier, de rapports à écrire, de formulaire à garder à jour... Je souris et je dis : « Il y a des jours ou j'ai l'impression que ma pile de papiers administratifs grandit comme par enchantement... . Un peu comme une conspiration. Mais non, ce sont simplement mes collègues et mes patrons qui en rajoutent toujours plus. Heureusement, mon assistante est plutôt opérationnelle sur ce genre de choses et tout est plutôt trié, ce qui facilite les choses. Mais je ne vais pas m'en vanter, j'imagine qu'ils n'ont pas cette chance ici. Surtout ici, à Gotham. Cette ville me fait toujours un peu froid dans le dos, même si j'y passe énormément de temps depuis quelques semaines.

Pendant que l'ordinateur cherche, il me demande si ce n'est pas trop dur comme affaire. Et j'avoue ne pas réellement savoir quoi répondre. D'un côté ça ne l'est pas, puisque mon client est innocent, mais en même temps, j'ai l'impression qu'il se joue des choses bien plus importantes et que je n'ai pas tous les éléments pour savoir ce qui va se passer. Alors je réponds : « Eh bien, j'imagine que ça va dépendre de ce que vous allez trouver... ». Ce qui est totalement vrai dans le fond. Cela va essentiellement dépendre de son alibi. Ensuite cela dépendra du fait que cette vidéo ne disparait pas. Et ça, ce n'est pas gagné. J'ai peut-être intérêt à essayer de me la procurer. S'il ne veut pas me la donner, j'irais moi-même chercher dans les boutiques alentours à la rue où je le verrais. Il y aurait bien un commerçant prêt à me donner une copie des données. Je sais être persuasive quand il le faut. Puis il me propose du thé glacé et je décline poliment. Définitivement non. Je consomme déjà beaucoup trop de boisson à base de caféine ou de théine, c'est mauvais pour tout le monde. Il me répond que lui aussi est devenu accroc. Ca me tire un sourire amusé et je réponds : « Il est des boulots comme ça, qui favorise la consommation de café... Mais en même temps c'est aussi pour ça qu'ils sont passionnants ». Parce qu'ils nous demandent une concentration de tous les instants, parce qu'ils nous poussent en dehors de nos retranchements et nous forcent à nous dépasser. Parce qu'ils nous rendent plus humains. Protéger et servir. Une devise passionnante que voilà, n'est-ce pas ?

Lorsqu'il répond à mon admiration marquée à le voir travailler dans cette chaleur, je me contente de lui sourire. S'il le gère bien tant mieux pour lui. Je pense que je serais déjà morte depuis bien longtemps si nos places étaient échangées. Et je suis contente que ça ne soit pas le cas. Il a un regard plutôt ouvert, franc, tout comme son sourire. Il se dégage quelque chose d'agréable de lui, de positif. Il donne une impression de fiabilité qui met en confiance. Et j'apprécie grandement cela. Lorsqu'il relève la difficulté de mon travail, je souris un peu en répondant : « Pas toujours non... D'autant plus lorsque l'on fait face à certaines incohérences des textes de lois ou aux injustices qui emplissent ce monde » je marque une pause avant de reprendre la parole : « Mais cela nous laisse une chance de faire changer les choses. Et puis, le vôtre non plus n'est pas simple. Etre policier n'est déjà pas aisé, mais ici, à Gotham... ». Je le regarde simplement. Je crois ne pas avoir besoin d'en dire plus. Cette ville est un véritable enfer criminel. Même avec l'arrivée du batman, il n'en reste pas moins des centaines de criminels qui semblent tous s'amuser à terroriser les habitants de cette ville. Qui dégage toujours quelque chose de sombre, de malsain. Et qui laisse cette impression qu'une fois entré, on ne ressortira jamais. Comme si même la ville s'attachait à dérober l'espoir des gens.

Finalement, il trouve quelque chose. Deux vidéos. Mon sourire s'élargit, je suis heureuse d'apprendre que finalement les choses ont au moins bougé de leur côté. Lorsqu'il me demande si c'est mon client en me laissant la place, je me redresse et contourne le bureau pour jeter un oeil aux vidéos. Entre la carte qui reste affichée et le décor que l'on perçoit, je n'ai pas trop de mal à reconnaître la rue et je sais où je pourrais trouver ces enregistrements dans le cas où je ne pourrais pas les récupérer. Je souris un peu en reconnaissant mon client, soulagée, mais assez peu surprise dans le fond, et je réponds : « C'est bien lui, oui. A l'évidence, il était bien loin de tout ce dont on l'accuse... ». C'est une petite victoire, et tant qu'un verdict ne sera pas rendu je sais qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire, mais au moins aujourd'hui, je suis heureuse de voir que les choses tournent dans mon sens. Je lui demande : « Je sais que la procédure veut que vous transfériez ces informations à vos collègues de Washington. Est-ce que cela a déjà été fait ? Et est-ce que vous savez s'ils l'ont déjà transmis au bureau du procureur ? ». Qui aurait déjà dû nous les faire parvenir si c'est le cas, mais n'ayant rien reçu, je ne préfère pas blâmer qui que ce soit pour le moment. C'est peut-être un simple souci de communication. « Ma demande pour récupérer les images est restée sans réponse pour le moment ». Je fais la moue, réellement ennuyée. Peu importe la raison, c'est gênant. Je me redresse et contourne à nouveau le bureau, tout en restant debout pour dire : « En tout cas, je suis sûre de son histoire à présent. Merci d'avoir pris le temps de faire cette recherche ». Il n'était pas obligé, et cela me dépanne bien. Je vais aller jusqu'aux commerçants de la rue en question pour tenter de récupérer les vidéos. Après tout, rien ne les empêche de me les fournir.

Je fais craquer ma nuque. Je le regarde un peu, toujours bien installée sur la chaise. La conversation poursuit et plus elle avance plus je me rends compte que l'homme qui me fait face semble plutôt sur la même longueur d'onde que moi. « Une sacré flamme.. Peut-être même un incendie... » dis-je songeuse avec un petit rire. Oui, nos deux métiers nécessitent une sacré passion. Mais ils en valent la peine. Il y a tellement de positif même s'il y a énormément de travail. Je ne changerais pour rien au monde. Et si j'ai la force de caractère de ma famille, c'est avec des mots que je préfère combattre. Lorsqu'il relève qu'il faut une parfaite maîtrise de la langue, je souris un peu et dis : « Il faut savoir manier la langue oui. Mais il faut surtout croire en ce qu'on fait, pour convaincre les jurés. Et puis, vous aussi avez intérêt à bien la maîtriser. Pour saisir les nuances dans les témoignages de vos suspects. La langue et le langage corporel... ». J'ai aussi besoin de savoir discerner les mensonges de la vérité. De bien connaître l'humain. Difficile de tout savoir quand on travaille avec des êtres humains qui ne sont jamais tous blancs ou tous noirs. Mais nous devons tout de même le faire. Apprendre à percevoir même les plus infimes signes. Même si nous ne pouvons pas être parfaits et que parfois, nous pouvons faire des erreurs.

Finalement, les images arrivent sur le pc. Je contourne le bureau à l'invitation du policier et avise les images. C'est bien mon client qui se trouve-là. Ce que je confirme à l'agent qui se contente de relever que j'avais raison. Je souris tranquillement. J'ai presque toujours raison. Je profite pour lui demander s'il sait si les images ont déjà été transférées à leurs collègues de Washington. Il se penche à nouveau sur son logiciel pour vérifier. Je me redresse et recule d'un pas. Ce qu'il y a dans ce dossier ne me regarde plus. J'ai vu ce que je voulais voir. S'il y a là la moindre preuve que la police peut faire disparaître des preuves ou entraver le cours de la justice, je préfère ne rien en savoir. Ma soif de justice ne saurait en détourner son attention. Et lorsqu'il me propose de me les donner je le regarde un long moment et je saisis l'occasion. Je retourne vers mon sac à main et en sors une petite clé USB orangé que je lui tends en me penchant un peu par-dessus le bureau. Lorsqu'il l'attrape, je me redresse. La clé est vide. Je m'en sers justement pour récupérer des données en rapport avec mon travail, que je vide de façon régulière pour éviter de compromettre mes dossiers d'une enquête à l'autre. Je glisse à nouveau la main dans mon sac fouillant un peu. En faisant cela, je souris un peu et je dis : « Vous n'êtes pas banal vous... » je le regarde un peu intriguée avant de dire : « Mais ces images vont vraiment m'être d'une grande aide. Alors si un jour vous avez besoin d'un coup de main à Washington... ». Je me penche à nouveau pour déposer ma carte, devant lui. Il peut donc y lire mon identité, le cabinet pour lequel je travaille ainsi que mes adresse mail et numéro de téléphone professionnels. Je souris un peu amusée et je dis : « Bon, j’imagine que si vous avez des ennuis pour m’avoir fourni ces images, je ne pourrais pas vous aider, mais pour une autre occasion, cela sera avec plaisir ! ». Je ris à nouveau, amusée. J’espère qu’il n’aura pas de problème. Étonnamment, cela ne m’inquiète pas tellement. Il a l’air suffisamment débrouillard pour s’en tirer sans perdre la moindre plume. Il a ce côté un peu malicieux et charmeur qu’on peut trouver chez ceux qui sont toujours capables de s’en tirer sans le moindre souci.