Do you think Satan is behind all this ? / Constantine

« T’es en retard. » répliqua John d’un ton sec accompagné d’un regard peu amène. Affalé sur sa chaise au fond d’un des tripots les plus mal famés de Gotham, John se fondait dans la masse d’individus aussi peu recommandables les uns que les autres – tous les malfrats des rues, ces petites frappes à six sous auxquelles Batman mettait une raclée au petit dej’ pour se mettre en jambes avant d’aller déglinguer du gros poisson, se retrouvaient là, entre les quatre murs d’un speakeasy qui avait sans doute connu des jours meilleurs et où le mauvais alcool et le mauvais tabac étaient légion. Tirant sur sa cigarette pour en exhaler une bouffée, John laissa ses yeux (creusés, cernés, plus que d’habitude, peut-être), détailler le jeune homme qui avait eu les corones de le convoquer. Un petit jeune. Avec dans le regard cette étincelle confuse des jeunes naïfs qui se retrouvent soudainement confrontés à des démons bien plus gros que ce à quoi ils avaient jamais été préparés.

Un regard que John ne connaissait que trop bien et qui ne laissait jamais rien présager de bon.

Ce n’était pas une affaire – pas encore. Après son retour du royaume d’en-dessous, John avait décidé de disparaître de la surface de la Terre ; s’était enterré dans une chambre d’hôtel miteuse où personne n’irait le chercher pour pouvoir se barricader tranquillement avec ses bouteilles maintenant toutes vides et loin de toute histoire occulte qui pourrait le faire replonger. Il ne voulait plus entendre parler de rien, ni de personne. Il avait assez donné. Bon sang, il était mort pour sauver le monde, ça suffisait comme contribution, non ?

Et maintenant que Zatanna et Rosalie l’avaient arraché aux flammes des enfers, il entendait bien qu’on lui foute la paix et qu’on ne lui en demande pas plus.

Ras-le-bol de jouer les héros pour au final recevoir la récompense des pourritures. Si cette histoire lui avait bien prouvé une chose, c’est qu’il n’y aurait jamais de rédemption pour lui. Même en se sacrifiant pour l’humanité.

Si ça, ça ne suffisait pas, ce ne serait pas quelques exorcismes de plus qui feraient la différence.

Allons, à qui essayait-il de mentir ? Au fond, il ne valait pas mieux qu’un junkie. Qu’il le veuille ou non, il se retrouvait toujours sur la route des problèmes. Après plusieurs semaines à picoler comme un trou en compagnie plus ou moins recommandable, à refuser obstinément de répondre au moindre appel téléphonique, il avait fini par recevoir un message de ce Ian Sanders.

Lequel se tenait maintenant face à lui, à déballer sur la table poisseuse le dossier au sujet duquel il voulait le consulter.

John ne se souvenait même plus de pourquoi il avait dit oui. Sans doute parce qu’une rencontre n’engageait à rien ; peut-être parce qu’il avait eu envie de prendre l’air, et qu’Ian avait mentionné Zatanna comme la source de l’obtention de son numéro. A la seule pensée de la magicienne, une vague de culpabilité lui étreignit le cœur. Allons, Johnny. Quelques conseils pour ce gosse et sa sœur, c’était bien le moins que tu puisses faire pour celle qui était venu te chercher par la peau des fesses en Enfer et n’avait eu droit qu’à ton ingratitude en échange.

Avec un soupir contrit, John parcourut du regard les diverses images, toutes de plus mauvais goût les unes que les autres – son attention plus focalisée sur les pentagrammes et les types de bougies utilisées que sur la pauvre fille qui s’était visiblement embarquée dans quelque chose de bien trop gros pour elle. Pauvre gosse. Si elle était encore en vie, elle priait sans doute pour qu’on mette fin à son calvaire.

John se laissa aller contre le dossier de sa chaise et tira une nouvelle bouffée de Silk Cut avant d’enfin ouvrir le bec pour étaler le science que le marmot était venu demander. « Secte, culte satanique, appelle ça comme tu veux. Sans doute une bande de couillons qui a trop regardé American Horror Story et a décidé de faire pareil. Crois-le ou non, mais des pentagrammes de ce genre, on en trouve treize à la douzaine rien qu’en cherchant sur Google images. Certains véritables, d’autres non. Tes photos valent pas grand-chose. »

Ses yeux assombris par le défaitisme et la fatigue traînèrent un instant sur le visage plein d’espoir et d’appréhension du jeune homme – avant qu’il ne soupire encore.
« Il me faut plus d’infos que ça. Qui est cette fille ? Quand a-t-elle disparu ? Est-ce qu’elle avait une connexion quelconque avec une secte avant de se faire la malle ? » John hésita un instant avant de lui demander s’il avait en sa possession des effets personnels de la disparue. Il préférait attendre encore un peu avant de sortir ses trucs et astuces de son chapeau de magicien. Même recommandé par Zee, il valait mieux qu’il reste sur ses gardes.

« Je vais sûrement dire quelque chose de très con, mais ton affaire, là, c’est plus une affaire de police que de surnaturel, à l’heure actuelle. Mais si t’as décidé de passer par moi directement, et que Zatanna a décidé de te donner mon numéro, c’est qu’il doit y avoir quelque chose de plus gros… Pourquoi moi et pas les incompétents corrompus qui servent de police à Gotham ? Ou est-ce que j’ai répondu à ma question sans le vouloir ? »