Metropolis on ice (Mera Curry)

Les villes de la surface sont bien différentes de celles que l'on trouve au fond des océans. Elles sont bruyantes, constamment agitées, les habitants se déplacent en masse comme des bancs de poissons. L'architecture est artificielle, elle se démarque douloureusement du paysage et se voit comme le nez au milieu de la figure. Atlantis possède au contraire un côté organique, elle est en parfaite harmonie avec son environnement. Loin des mauvaises habitudes des êtres humains, les Atlantes se sont fondus dans le paysage au lieu de le forcer à s'adapter à leurs besoins. Metropolis est particulièrement imposante et semble faire la fierté des surfaciens qui y vivent, en plus d'être le foyer du héros favori de l'humanité, Superman. La dernière fois que Mera avait suivi Arthur dans cette ville, ce n'était pas à des fins romantiques. Le Syndicat du Crime avait attaqué, elle n'était pas parvenue à empêcher le tsunami déclenché par Sea King et ce dernier avait bien failli tuer Arthur. Un an plus tard, Metropolis se remet encore de ses blessures et même si la reconstruction semble avoir été nettement accélérée par l'aide apportée par la Ligue de Justice, elle porte encore les marques de la vague qui l'a traversée de part en part. Ce n'est pas le lieu que Mera aurait choisi pour venir se détendre quelques jours en compagnie de son époux et roi, mais convaincre le conseil atlante de leur octroyer un peu de repos avait été une tâche trop ardue pour qu'elle ait envie de protester contre la destination choisie par Arthur. « Tu es un roi, Arthur. Tu as un trône et une couronne, tu n'as pas besoin d'un monument à ta gloire. Même si tu en as déjà une myriade chez nous... » Ainsi que des dizaines d'admirateurs à Amnesty Bay. Si Arthur n'était pas complètement dénué d'ego, peut-être verrait-il combien les gens l'aiment, lui aussi. Même les Atlantes les plus réservés à son sujet s'ouvrent davantage à lui, au lieu de continuer à le traiter comme le roi de sang-mêlé qui ne serait jamais complètement des leurs. Combien de temps a-t-il fallu à Superman pour se faire accepter des terriens ? La finalité est peut-être une ode à sa gloire, mais le chemin à parcourir pour en arriver là aura été long et tortueux.

« Nous irons où tu voudras, mon amour. Je suis ici en terre inconnue. Mais je t'en prie, ne me force pas à marcher sur de longues distances. » Mera soupire longuement, les deux mains sur son ventre à présent presque trop volumineux pour sa silhouette d'ordinaire si svelte. « J'ai l'impression d'être comme un phoque. Ou un pingouin. » Pleine de grâce sous l'eau, mais terriblement maladroite une fois sur la terre ferme. À Atlantis, sa grossesse ne s'était pas révélée plus gênante que cela, les courants l'aidant à se déplacer avec aisance, la gravité étant beaucoup plus clémente qu'en surface. Mera a l'impression de peser une tonne et d'être plus vulnérable qu'un cétacé échoué, un sentiment qui est loin de lui plaire. « Un centre commercial et une... arène ? » Mera fronce les sourcils et affiche ce petit air sceptique qu'Arthur connaît sans doute par cœur, après des années à la connaître. Qu'importe, aussi étranges que soient ces choix, tout ce qu'elle désire c'est passer un peu temps avec lui loin des responsabilités du trône et de tous les requins d'Atlantis – et ce n'est pas aux gros poissons que Mera songe. « Tu as faim, déjà ? » Mera secoue doucement la tête en levant les yeux au ciel, un sourire aux lèvres. « C'est moi qui suis censée manger pour deux, mais c'est toi l'éternel affamé ! » Quand Arthur dépose un baiser sur sa joue, les enfants autour d'eux se mettent à chantonner joyeusement, ce qui fait rire Mera. « Je suis ton amoureuse, vraiment ? » Elle l'embrasse à son tour et les petits autour d'eux lâchent de longs oooh et des aaah, comme si c'était la première fois qu'ils voyaient des adultes s'embrasser. Elle est à peu près certaine d'entendre le clic caractéristique d'un appareil photo, mais plutôt que de s'en agacer, elle fait mine de ne rien avoir entendu. Pour une fois, les surfaciens auront autre chose que de folles rumeurs ou des scènes de violence dans ce qu'ils appellent la presse.

Un restaurant italien. Mera aurait pu rire devant l'ironie de ce choix, malgré l'évidente ambiance romantique de l'endroit. Ce n'est pas qu'Arthur ait mal choisi l'établissement – bien au contraire – mais quand Mera songe à leur dernier passage en Italie, en Sicile précisément, elle est toujours partagée entre le rire et les larmes. Cette fois, elle opte pour la première option alors qu'elle remarque le bouquet de roses rouges faisant office de centre de table. « Je n'arrive toujours pas à croire que tu aies accepté d'avaler la moitié d'un bouquet plutôt que de m'avouer la vérité pour que je ne me sente pas stupide. Ces fleurs sont jolies à regarder, mais leur goût est abominable. » Mais il ne lui avait rien dit, il avait avalé rose après rose sans broncher pour qu'elle n'ait pas l'impression d'être idiote et complètement inapte au monde de la surface. « C'était presque romantique de ta part. » Elle lui adresse un sourire avant de se plonger dans le menu du restaurant. Et naturellement, elle n'y comprend pas grand chose. Même après des séjours répétés au phare d'Amnesty Bay, beaucoup de choses lui échappent encore. La culture américaine est déjà compliquée à assimiler, alors celles d'autres nations... Mera soupire et referme le menu. « Je prendrai la même chose que toi. Surprends-moi. » À ce stade de sa grossesse, Mera se sent capable d'engloutir un cachalot tout en craignant qu'une bouchée de trop ne la fasse accoucher sur place. Les médecins à Atlantis s'étaient d'ailleurs fermement opposés à leur séjour à Metropolis, horrifiés à l'idée que l'héritier du trône puisse naître sur la terre ferme, comme si cela risquait de souiller son sang. À choisir, Mera préférerait le confort de l'eau pour donner naissance à leur fils, mais si accoucher lui permet d'éviter d'avoir la moitié de la cour d'Atlantis sur le dos, eh bien...

Elle sursaute doucement quand elle sent une petite main tirer timidement sur la manche de son chemisier. Prête à fustiger quiconque aurait l'audace de les importuner en plein repas, Mera se détend aussitôt qu'elle remarque qu'il s'agit d'une petite fille, âgée de quatre ou cinq ans, six tout au plus. Peu habituée à côtoyer des enfants, elle fait tout de même en sorte d'adopter une expression plus douce et rassurante. « Oui ? » La petite est aussi rouge que du corail, mais sur ses joues rougies Mera distingues de jolies tâches de rousseur. Ses cheveux ne sont pas aussi vifs que les siens, mais elle a elle aussi été bénie d'une chevelure de feu. « C'est vrai que... Que vous êtes une sirène ? Ma petite sœur dit que vous êtes une sirène, parce que, euh... Parce que vous êtes mariée à Aquaman. » Mera fronce légèrement les sourcils, amusée par cette question qui l'aurait d'ordinaire agacée. Les yeux de la petite pétillent tellement qu'elle n'a pas le cœur de lui dire la vérité. Que les véritables sirènes sont bien loin d'être les somptueuses créatures de conte de fées qu'elle connaît. Elle lance un regard amusée à Arthur avant d'acquiescer. « Oui, ta petite sœur a raison. Je suis une sirène. » L'enfant regarde ses jambes avec un drôle d'air, comme si elle essayait de faire une addition compliquée. « Mais je n'ai de queue que sous l'eau. Comme ça, je peux aussi marcher sur la terre ferme. » « Une queue... Verte ? » « Exactement. » Il est plus qu'évident que la petite fille est persuadée que Mera est la princesse de son histoire favorite. « Mais je m'appelle Mera. Pas Ariel. » On lui a bien assez souvent posé la question, en plus de lui demander si ses meilleurs amis étaient un crabe et un poisson. Venant de la part d'enfants curieux, cela n'a heureusement rien d'insultant. « Personne ne me croira à l'école... ! » « Tiens, tu n'auras qu'à leur montrer ceci. » Mera retire l'une de ses bagues, faite d'or et de corail, et la tend à la petite. Elle hésite quelques secondes avant de la prendre, des étoiles dans les yeux. « Merci, Mera ! » Ravie, l'enfant s'éloigne en brandissant son trophée et en criant à travers tout le restaurant quelque chose comme "la sirène mariée à Aquaman m'a fait un cadeau". Pour le dîner discret, c'est manqué, mais comment en vouloir à un bambin d'être heureux ? Mera croise les bras sur son ventre proéminent, à l'intérieur duquel s'agite son fils. Ses joues s'empourprent quand elle constate qu'Arthur la regarde avec un large sourire. « Quoi ? Pourquoi est-ce que tu me regardes ça ? »

Mera ne comprend pas l'agitation des surfaciens dès qu'il s'agit de choisir le prénom d'un bébé. Pourquoi ont-ils à ce point besoin d'en faire tout un monde, comme si le prénom de l'enfant allait déterminer le choix de l'humanité. Les choses sont bien moins compliquées et bien moins agaçantes sous l'océan. Les Atlantes choisissent la plupart du temps un prénom pour rendre hommage à un ancêtre ou pour perpétrer une longue tradition familiale, à plus forte raison quand l'enfant naît dans une famille des hautes sphères. Et surtout, c'est une affaire privée qui ne concerne que les futurs parents. Mera s'imagine mal faire de cette histoire un problème d’État comme certains couples de la surface le font, comme si le sort du monde en dépendait. « Ne l'appelle pas Aquababy, c'est ridicule et tu sais que j'ai horreur de ces sobriquets idiots qu'on nous attribue. » Elle laisse échapper un soupir en saisissant les deux listes de prénoms qu'Arthur lui tend. Parfois, elle se demande s'il écoute réellement ce qu'elle lui dit ou s'il est simplement distrait. N'ont-ils pas déjà déterminé le prénom de leur fils des semaines plus tôt, quand Mera lui avait annoncé le sexe du bébé ? Elle ne prend donc pas la peine d'étudier la liste de prénoms féminins, puisqu'elle ne sera d'aucune utilité. Quant à l'autre... Eh bien, c'est la même chose, puisque le prénom est déjà choisi. Comment a-t-il pu l'oublier ? Leur choix est loin d'avoir fait l'unanimité au sein de la communauté atlante. « Ne me dis pas que tu as déjà oublié le scandale que Mère Cétéa a provoqué quand nous lui avons annoncé que nous comptions appeler notre fils Thomas ? » Un prénom humain loin de faire l'unanimité parmi le conseil, et Mera avait elle-même hésité avant de l'approuver. Mais avec un roi de sang-mêlé, les choses sont destinées à changer. Pour le mieux, elle l'espère de tout son cœur, Atlantis étant bien trop attachée à des traditions millénaires n'ayant plus lieu d'être.

Quand le serveur revient avec leurs plats, Mera fronce les sourcils et se penche au dessus de son assiette avec scepticisme, toujours aussi peu habituée à la nourriture de la surface. Non pas qu'elle soit immonde – à quelques exceptions près – mais elle est bien loin d'égaler l'excellence de la cuisine atlante. Elle relève les yeux brusquement quand Arthur évoque un sujet inattendu, et qui lui coupe brusquement l'appétit. Par respect pour lui elle le laisse lui dire tout ce qu'il a sur le cœur, mais une fois qu'il a terminé elle secoue vivement la tête. « Devais-tu vraiment évoquer le sujet maintenant ? Je croyais que nous étions censés profiter d'un moment de calme ? » Elle s'enfonce dans son siège en soupirant longuement. Même si Arthur a raison, même si ces sujets qui fâchent doivent être évoqués, elle aurait préféré qu'il choisisse un moment plus approprié. Ils parlaient avec légèreté de la venue prochaine de leur enfant, pourquoi choisir d'évoquer son hypothétique mort maintenant ? Arthur manque parfois cruellement de tact. « Non. C'est hors de question. » Mera continue à secouer la tête, catégorique. « Tu as choisi d'être un héros, Arthur. Tu as choisi d'intégrer la Ligue de Justice. C'est courageux de ta part d'être à la fois le roi d'Atlantis et un héros pour la surface, mais ce sont tes choix, pas les miens. Je n'ai pas l'âme d'une héroïne et je n'ai pas envie d'en devenir une. Je n'ai pas ma place à côté de Wonder Woman ou Superman. Je me battrai toujours à leurs côtés s'il le faut, mais je n'intégrerai pas la Ligue de Justice. Ma place se trouve auprès des nôtres et nulle part ailleurs. » Mera peine déjà à être une bonne reine, alors elle ne s'imagine pas partager son temps entre Atlantis et la surface. Sans compter qu'elle ne possède pas le caractère tolérant et conciliant d'Arthur, et qu'en plus de cela elle n'est toujours pas parvenue à se faire complètement accepter par sa nation d'adoption, après y avoir passé plus de dix ans. « Et puis, qu'est-ce qui te fait croire que les Atlantes m'écouteraient ? Je suis peut-être leur reine, mais ils respectent leurs traditions plus qu'ils ne me respecteront jamais, et leur haine de la surface ne se tarira que lorsque nous aurons apporté des solutions efficaces et durables aux problèmes causés par cette dernière. Tu me surestimes, et tu sous-estimes l'importance que notre peuple accorde à la vengeance. » Leur mode de vie lui échappe encore parfois. Les Atlantes ont beaucoup de qualités, mais ils ne sont pas aussi miséricordieux que les Amazones peuvent l'être.

Ce n'est définitivement pas ainsi que Mera imaginait un déjeuner romantique avec son époux, mais puisqu'ils en sont à aborder les sujets qui fâchent autant ne pas y aller de main morte. Elle comptait attendre un moment plus approprié pour lui faire part de ce qui l'angoisse depuis leur retour dans ce qui semble être leur réalité, mais puisqu'ils en sont là... « Il y a une autre possibilité que nous devons envisager, Arthur... » Quelque chose de peut-être plus délicat encore que son éventuelle mort prématurée. « Dans cet autre monde, ton frère et moi étions mariés. Par conséquent, l'enfant que je portais était le sien, puisque je ne t'avais encore jamais rencontré. Je ne me souviens pas de ma vie avec lui, mais j'ai comme des... Des éclats de souvenirs qui me reviennent parfois, c'est ma vie sans l'être... Mais peu importe, ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus. » Ou plutôt, ce n'est pas ce sur quoi elle a décidé de se focaliser pour le moment. Elle préfère ne pas songer à Orm plus qu'elle ne doit le faire. Elle a encore honte de ce qu'elle a ressenti quand il est mort dans ses bras. Une infinie tristesse au lieu d'une profonde satisfaction. « Tout n'est pas complètement rentré dans l'ordre. Les règles des paradoxes temporels ne sont pas figées, et je ne suis pas certaine que quiconque puisse les comprendre... Mais ce que je sais, c'est que beaucoup de choses ont été bouleversées. Certains morts ont été ressuscités, des pans de l'Histoire ont été changé, des familles ont été brisées et rassemblées autrement... Ceux qui ne se souviennent de rien peuvent s'estimer heureux de n'avoir conscient de rien, je suppose. » Elle prend une profonde inspiration. Mera savait que sa maternité serait compliquée, elle n'imaginait simplement pas à quel point. « Ce que je veux te dire, c'est que... C'est que l'enfant que je porte n'est peut-être plus le tien depuis que la réalité a été modifiée. C'est peut-être le fils de ton frère. » Il y a une chance sur deux, et ils n'obtiendront de réponse que lorsque le bébé se décidera à pointer le bout de son nez. Plus troublant encore, la perspective de donner naissance à l'enfant d'Orm n'horrifie pas Mera comme cela le devrait. Mais ce détail, elle le garde pour elle.