A la mémoire de Carolyn Wu-San | Lady Shiva

C’est l’histoire d’une vie qui commença de façon banale. Carolyn Wu-San était la fille d’un avocat prestigieux et d’une experte en communication Singapourienne dont les noms ne marquèrent jamais l’Histoire. D’ailleurs, à bien y réfléchir ils ne marquèrent pas non plus cette histoire. Comme d’autres, cette fille ne voyait pas aussi souvent ses parents qu’elle pouvait le désirer : souvent en escale, son père se plaisait à penser qu’il bâtissait pour sa famille un avenir qui vaudrait ce sacrifice et sa mère, elle… elle parvenait à se moquer dans un naturel effroyable la pensée idiote qu’une femme était née pour être mère. Elle n’en avait ni la fibre, ni l’envie, ni l’amour.

Carolyn n’en a jamais voulu à sa mère pour ces regards distants, ces gestes d’une tendresse fragile et indélicate, cette fausse douceur qui avait tout d’une paresseuse volonté de soigner les apparences pour qui pouvait voir cette mère et son enfant. Peut-être voyait-elle au-delà de cette fausse candeur, peut-être voyait-elle l’appartement que personne ne pouvait s’offrir et qu’elles habitaient, elles, pourtant ; peut-être voyait-elle le soin apportée à ce qu’elles se sentent bien, malgré tout : parce qu’en réalité, Carolyn n’avait jamais manqué de rien – ni même de compagnie.

L’enfant avait une sœur, de deux ans son aînée : Shiva, petite gamine athlétique, revêche et solitaire. Sans avoir cherché à faire quoi que ce soit, c’était elle qui avait donné à Carolyn le goût de se défaire de toute mauvaise entente à l’encontre de sa mère : la cadette admirait Shiva plus qu’aucune autre, de ses yeux d’enfant la mine sombre et grave de sa sœur avait un air des grandes personnes alors qu’elle n’en était pas moins une gamine.