Le Triumvirat gothamite [PV Tim]

L'esprit du plus grand détective du monde suffisait amplement pour mener, généralement, à bien une investigation comme celle-ci. Il était plus qu'évident qu'une étrange association entre plusieurs malfrats avaient amené Harvey Dent, alias Two-Face, à s'acoquiner avec Oswald Cobblepot, le Pingouin. Trouver les deux n'était pas forcément difficile, pas plus que de réussir à les affronter. Batman, évidemment, savait tout cela. Il en était parfaitement conscient, mais alors même qu'il avait eu l'intention de leur rendre une petite visite, Timothy l'avait contacté. Son disciple le plus intelligent avait trouvé une piste, qui semblait vouloir mener l'enquête dans une toute autre direction.

Quelqu'un cherchait à masquer ses traces.

Quelqu'un qui semblait vouloir mettre soigneusement en avant les preuves accablant Dent et Cobblepot, plutôt que les siennes.

C'était suffisant pour que le Chevalier Noir demande à Red Robin de venir le rejoindre dans son enquête, et qu'ensemble, ils puissent neutraliser et mettre sous les verrous d'Arkham ou de Blackgate les trois criminels. Pour cela, il ne lui avait pas donné rendez-vous dans la Bat-cave, là où ils n'auraient pas manqué de perdre du temps en vaines spéculations. Quitte à faire des hypothèses, autant les faire à deux sur les toits de Gotham ou dans les lieux concernés par toute cette affaire.

En l'occurrence, les restes encore fumants d'un restaurant abandonné, qui avait été le lieu de rencontre entre les deux Vilains... et probablement le troisième également. A moins que ce dernier ne se soit invité à la fête malencontreusement.

 « Fouillons soigneusement. La fusillade a eu lieu il y a trois jours, maintenant, mais la police a ratissé cette zone et tout nettoyé après mon passage. Il est... possible... que des choses m'aient échappé. »

C'était un aveu rare et étrange de sa part ; une marque d'humilité qu'il n'avait pas l'habitude d'adopter. Pas parce qu'il était arrogant, mais parce qu'il savait commettre peu d'erreurs. Hélas, c'était là aussi un fardeau pour Batman : ses erreurs étaient souvent plus chères payées que celles des autres. Pour le moment, cela ne faisait que ralentir l'enquête, mais il pouvait y avoir encore d'autres conséquences, imprévues, et imprévisibles.

La salle commune du restaurant était dévastée, malgré le nettoyage du GCPD. De nombreuses tables manquaient ou étaient renversées, des marquages au sol indiquaient les emplacements des corps et on avait nettoyé à la hâte certaines zones maculées de sang et de saleté. Le comptoir était brisé en deux, signe qu'une importante déflagration avait retenti en ces lieux. Derrière, la cuisine semblait à peu près intacte, même s'il y avait aussi eu des combats là-bas. Des marques sur les murs indiquaient là où les balles avaient manqué leurs cibles, et on pouvait découvrir de temps à autre des impacts plus brutaux, comme ceux issus d'un choc avec un objet.

 « Il est vingt-heures trente-deux quand, samedi soir, les hommes du Pingouin arrivent sur place. Ils se mettent en position pour sécuriser les lieux. A vingt-heures quarante-six, les hommes de Harvey Dent arrivent eux aussi, et leur discussion commence. Mais le premier mort n'arrive que vers vingt-et-une heures. Hmm. »

Il se pencha sur un genou, examinant le sol avec son masque.

 « Le GCPD ne semble pas croire à un troisième groupe. Pourtant, tout porte à croire que la situation n'allait pas dégénérer avant que les premiers tirs retentissent. Et fait tout aussi mystérieux, tu m'as dit que les balles retrouvées dans les corps étaient, pour certaines, issues de munitions différentes de celles utilisées par les hommes de Two-Face et du Pingouin. Cherchons si certaines sont encore là. »

Cobblepot et Dent étaient de sacrés enflures. Tim le savait, et pourtant, il avait la certitude qu'ils n'étaient pas à l'origine de ce règlement de compte ayant eu lieu dans un restaurant abandonné. Ils y étaient pour préparer un mauvais coup, cela était évident, mais pas pour s'entretuer. Il fallait donc qu'une troisième « faction » entre en scène pour mettre le feu aux poudres. En soit, la position des corps, les balistiques et l'éclat des vitres faisaient penser que les deux gangs avaient tiré vers l'extérieur et que, de fait, ils semblaient associés dans cette défense. En soit, une théorie commençait à germer dans son esprit et il appela Bruce pour lui faire part de ses doutes et de son envie d'enquêter de façon plus approfondie. La GCPD n'était pas incompétente, pas plus qu'une autre police, et s'ils n'avaient rien trouvé sous les ordres du commissaire Gordon, alors c'est sûrement que leur troisième homme était très doué pour faire disparaître ses traces.

Sur les lieux, Batman fit un aveu qui laissa un léger sourire sur le visage du rouge-gorge. Il était possible qu'un détail lui ait échappé ? C'était rare qu'il le dise, mais Timothy n'allait pas enfoncer le clou, ce n'était pas son travail ni sa façon de faire. « C'est bien pour ça que Robin existe non ? Deux cerveaux valent toujours mieux qu'un seul, et c'est valable pour deux paires d'yeux aussi. »

Ils descendirent alors sur les lieux de la fusillade qui étaient un véritable chantier. Des décombres et des traces de balle dans la salle principale. Tout cela ressemblait vraiment à un règlement de compte. Pourtant, les balles dans les murs étaient principalement des balles de pistolet mitrailleur bon marché à cette époque. Red Robin savait qu'elles étaient les armes fétiches des gangs de Gotham qui semblaient avoir un attrait particulier pour les armes des vieux films de gangsters. En un sens, ils voulaient garder cette image de Gotham comme étant une véritable ville aux teintes d'un film noir. C'était à se demander où ils trouvaient ces armes d'ailleurs. Pourtant, sur la scène du crime, des balles de 9mm avaient été retrouvées. Très peu, cela dit, comme si chaque tir avec cette arme avait atteint sa cible, ce qui était somme toute étonnant dans un tel chaos, mais les munitions de 9mm n'étant pas si rares, la GCPD n'y avait pas prêté attention. Or, pour Tim, ce simple élément venait lui permettre d'élaborer plus en profondeur sa théorie. Tim écoutait attentivement son mentor tout en faisant ses propres recherches. Son cerveau cherchait et éliminait toutes les théories une à une, toutes les informations superflues pour ne garder que ce qui était intéressant pour leur enquête, concentré sur un objectif assez simple : trouver l'identité du groupe inconnu. Et pourtant, toutes les pièces se mettaient en place comme un puzzle qui commençait à prendre forme.

« A vrai dire, je suis du même avis que la GCPD, pour le coup... Il n'y avait pas de troisième groupe. Le nombre de balles différentes était trop mince pour que ce soit une guerre de gang. Je pense plutôt que les sbires de Two-Face et Pingouin ont tout simplement paniqué et tiré sur une personne trop talentueuse pour eux. »

Une personne seule qui s'en prenait au gratin criminel de Gotham ? Si c'était un membre du groupe de la chauve-souris, il n'y aurait pas eu de mort à moins que Jason n'ait décidé de faire des siennes... Et Damian aurait été trop fier de son coup pour ne pas s'en vanter dans la minute. La liste des suspects se dessinait dans l'esprit du plus détective des Robins tandis que les noms se barraient dès qu'il trouvait une bonne raison pour invalider ces derniers. Deadshot utilisait des munitions plus particulières... Et autant l'avouer, avec lui il y aurait eu bien plus de morts, ou alors Cobblepot et Dent seraient déjà morts. Deathstroke ? Même analyse, mais avec moins de subtilité. En dehors d'une fusillade, le restaurant serait devenu une véritable boucherie digne de Kill Bill avec sa manie d'utiliser ses deux sabres une fois au corps à corps. Tim arriva alors dans la cuisine, qui semblait moins touchée que la salle principale. Son regard se posa vers un coin plus propre de la cuisine, comme si aucun coup de feu n'avait été tiré vers cette zone, ou très peu. C'était assez incongru mais compréhensible que personne n'aille y chercher quoique ce soit si rien n'y était voyant. Regardant de plus prêt, cherchant le moindre indice, il tomba enfin sur une pièce miraculeuse. Une balle de 9mm ! L'attrapant avec une pince disponible dans sa ceinture et la mettant dans un sachet plastique, il la tendit vers Bruce Wayne, un sourire victorieux sur son visage.

« Et voilà ! Calibre neuf millimètre avec des stries bien voyantes. Bien sûr, avec ce genre de balle, ça pourrait prendre des semaines pour analyser toutes les armes du même calibre et retrouver celle qui a tiré ici mais... J'ai ma petite idée. » Laissa-t-il glisser avant de lancer un regard vers la cuisine. « Tu l'as remarqué aussi, non ? On a du mal à trouver des balles comme ça, et je dirai même que notre troisième homme a réussi à assez faire paniquer les sbires de Dent et Cobblepot pour qu'ils se tirent dessus dans le feu de l'action. Pourtant, il a tiré peu de balles, ce qui me laisse croire qu'il a plutôt utilisé des techniques comme les nôtres. Arts martiaux, armes de mêlées improvisées et principalement contondantes mais utilisées dans l'optique de tuer. De plus, ce restaurant était déserté à part pour les hommes présents qui n'étaient pas des enfants de chœurs. Si on met tout ça à la suite, un nom me vient en tête, et je pense qu'en analysant les stries de ses armes, on remontera probablement sa piste. » Avec le chemin de son raisonnement, il se doutait bien que la Chauve-souris avait sûrement compris où il voulait en venir. Très peu de personnes se la jouaient justiciers à Gotham et ailleurs, et encore moins pensaient qu'une élimination définitive était la meilleure chose possible. C'est pour cela qu'il termina, donnant la balle au chevalier noir par un simple. « Prêt à ce qu'on aille dire bonjour à Henri Ducard ? »

Batman examina la balle qu'il tenait entre ses doigts, à la fois avec ses yeux et avec son masque, comme si ce petit objet de métal pouvait lui donner toutes les réponses à force d'analyse. Il connaissait bien Henri Ducard, et savoir que celui-ci était à Gotham n'était pas une bonne nouvelle. Il avait du respect pour l'homme ; ce dernier l'avait entraîné, formé à plusieurs techniques, et il avait un bon fond. Mais il avait hélas dévié depuis trop longtemps sur des pentes sombres où Bruce avait toujours refusé d'aller. Pendant un long moment, même, il avait pensé que ne jamais recroiser la route de ce vieux mentor était pour le mieux.

Jusqu'à ce qu'ils se retrouvent, il y avait de cela quelques années.

 « Hmm. »

Ses pensées s'arrêtèrent au moment où il rangeait la balle dans un étui à sa ceinture.

 « Nous connaissons tous les deux Henri. Il nous a tous les deux montré des techniques, même s'il a été un mentor pour moi et un simple allié de passage pour toi. La dernière fois que je l'ai vu, il avait déjà suivi une pente dangereuse, sombre, et il s'y engouffrait de plus en plus. Je l'ai aidé à en sortir, mais il a visiblement replongé. Et si en plus, il est à Gotham... je vais être obligé de tenir ma promesse, malgré que cela me chagrine. Partons, nous n'avons plus rien à faire ici. »

Ils sortirent du restaurant, et Bruce invita Timothy à monter directement avec lui dans la Batmobile, tout en poursuivant leur covnersation. Ou plutôt, tout en continuant de parler.

 « Henri était sur la piste de Deadshot, alors que celui-ci voyageait en Europe. J'étais sur cette piste, moi aussi, et nous nous sommes... croisés. Henri a toujours été un brin extrémiste, et il avait toujours cette idée froide qu'il fallait tuer les criminels pour les arrêter définitivement. Qu'il fallait être un tueur pour neutraliser les autres tueurs. La conversation entre nous fut brève, teintée d'hostilité pour sa part et de déception pour la mienne. Nous n'avons pas attrapé Deadshot, ce jour-là. Mais j'ai réussi à empêcher Henri de tuer des innocents dans sa folie. Toutefois... »

Comme à son habitude, le Chevalier conduisait vite, bien, et en toute sécurité à travers Gotham. Il savait précisément où il allait. Il se dirigeait vers l'extérieur de la ville, car Henri Ducard n'allait certainement pas se cacher en plein centre. Non, il avait très probablement pris possession d'une certaine maison de campagne, à l'extérieur de Gotham.

 « Je lui ai fait promettre d'arrêter, de se ressaisir. Et aussi que je n'hésiterai pas à le faire enfermer s'il devait continuer, s'il devait recommencer. On dirait que j'aurais du prendre cette précaution dès ce moment-là. Je ne vais pas pleurer pour ces criminels, mais notre vieil ami n'a pas le droit de faire tout cela. »

Il pianota deux-trois options sur le bat-ordinateur du véhicule, avant de donner des instructions à Timothy :

 « Cherche toutes les informations que tu peux sur les maisons de campagne autour de Gotham. Vois s'il y a eu des locations régulières, récentes, sur des périodes souvent courtes n'excédant pas une semaine. Vois les noms associés aux locations. Henri utilise plusieurs pseudonymes à consonance allemande, pour se déplacer. Cela fait plusieurs semaines que je soupçonne un tueur de se dissimuler par là-bas ; nous l'avons probablement trouvé. »

Tim écoutait le chevalier noir faire son analyse et se rappeler du Henri Ducard qu’il avait connu. Enfin… Qu’ils avaient connu. Comme l’avait si bien dit Bruce, l’homme avait été un mentor pour la chauve-souris et un allié du rouge gorge. Il fallait dire que Tim avait aussi eu son lot de mentors particuliers pour ne pas en plus y rajouter un détective souhaitant « purifier » le monde en tuant tous les criminels qu’il croise. Sa maître d’arts martiaux pendant son voyage, Lady Shiva, n’était pas non plus un véritable cadeau pour un justicier, et quiconque se frottait à elle pouvait en témoigner : elle était on ne pouvait plus dangereuse et léthale.  En ce sens, Tim comprenait ce que devait ressentir son mentor, l’obligation de faire quelque chose qu’il ne voulait pas, l’idée que tout pourrait se passer autrement si seulement Ducard avait laissé tomber cette part d’ombre nichée en son cœur. Combien de fois avaient-ils vu ça ? Dent, Quinzel, Ducard… Aucun d’entre eux n’avait été mauvais dès la naissance, Bruce comme Tim espéraient à chaque fois qu’ils pourraient les ramener du bon côté, les empêcher de nuire aux autres et à eux-même. Jusque là, Harley Quinn fut celle qui s’en sortit le mieux en se détachant du Joker, ce dernier étant d’un tout autre calibre et Tim n’était pas un assez bon samaritain pour vouloir tendre la main à ce dégénéré si ce n’était le poing fermé et dans les gencives.

Ducard n’était fondamentalement pas quelqu’un de mauvais, il avait des idéaux différents, plus extrêmes que ceux de Batman et ses collègues. A vrai dire, Tim pouvait très bien imaginer un jour devoir arrêter un de ses camarades pour les mêmes raisons, pour avoir franchi la ligne idéologique qu’ils s’étaient tous fixés en suivant Bruce. Peut-être même que c’est eux qui viendraient pour l’empêcher de nuire. Peut-être qu’à ce moment-là il leur en voudrait, mais en y réfléchissant alors qu’il était dans la batmobile, il se disait qu’il leur serait redevable de l’empêcher de devenir ce qu’il avait combattu jusque-là.

« Quoiqu’ils aient fait, personne ne peut être juge et bourreaux. La justice avant tout, c’est bien ça ? » Lâcha-t-il avec un léger sourire en coin, à la fois moqueur et confiant. Ces phrase qui n’étaient pour certains que des clichés étaient un code inviolable qu’ils se répétaient tous à chaque fois qu’ils étaient au bord du précipice de leur colère la plus froide. Chacun d’entre eux avait les connaissances et le potentiel pour tuer un être humain sans se faire remarquer, mais ce n’était pas leur but. Avoir le pouvoir de tuer ne signifiait pas qu’ils en avaient le droit, loin de là. De plus, les actes de Ducard risquaient de mettre le feu aux poudres dans Gotham. Des guerres de gangs et autres réglements de comptes risquaient de surgir partout en ville et les citoyens allaient encore être les victimes collatérales de tout ça.

Cependant, pour retrouver Ducard, ils avaient un avantage non négligeable. Bruce connaissait ses manies, son mode opératoire, et Tim jouait avec l’informatique et les informations mieux que quiconque, si ce n’était peut-être Barbara avec qui il se renvoyait la balle à ce niveau. A eux deux, ils étaient les meilleurs détectives et passer sous leur radar relevait de l’impossible.

« Si je quadrille selon ce que tu m’as dit, ça élimine un bon nombre de coins. Dans la périphérie, quatre logements ont déjà été loués par des personnes aux noms à consonance Allemande. La dernière en date a été loué il y a deux jours par un certain Hans Rosenstrauss à l’ouest de la ville. A moins que soudainement Gotham ne soit devenu un lieu touristique pour nos amis Berlinois, il est possible qu’on y trouve Henri, ou du moins des indices qui nous mèneront à lui. » Dit-il machinalement avant de lancer la localisation du logement sur le GPS intégré de la voiture.

Tim se lança alors dans une analyse du terrain dans lequel ils allaient probablement affronter l’ancien mentor de la chauve-souris. La maison était assez spacieuse et sur la gauche semblait se trouver une trappe pour aller dans les sous-sols. Bien sûr, deux jours était insuffisant pour faire de ce logement une maison entièrement piégée, mais Red Robin se doutait déjà que des mines et autres tirs les attendaient au tournant. Ils devraient faire attention, c’était sûr.

« Tu sais s’il a des alliés potentiels ? Je pense bien que des personnes doivent avoir la même idée que lui au sujet des criminels de Gotham… » Lança alors Red Robin sur un ton plus sombre et emprunt au doute. La ligue des assassins ou la ligue des ombres pouvait sans aucun doute s’intéresser à un profil comme Ducard, lui donner des armes ou des « soldats ». Il espérait ne pas tomber sur Lady Shiva, Talia Al Ghul ou pire, quelqu’un qu’il ne voulait pas voir de ce côté. Bruce devait avoir compris au vu du regard évasif du jeune homme ce qu'il redoutait. Se retrouver en face de Cassandra serait un véritable problème où l'objectivité de la justice aurait du mal à peser dans la balance.

 « Rosenstrauss... hmm. Je suis certain de l'avoir déjà vu utiliser ce pseudonyme. Mais peut-être que je confonds. Nous verrons bien ; nous y serons dans quelques minutes. »

Un mauvais pressentiment s'emparait de lui. Sa mémoire, bien qu'extraordinairement efficace, n'égalait pas celle de Barbara et il lui arrivait d'oublier parfois certaines choses. En plus de vingt ans, on ne pouvait tout simplement pas retenir le moindre détail de notre existence. Toutefois, ce n'était pas tant le fait qu'il pensait se rappeler de ce pseudo qui inquiétait Bruce, mais bien le fait qu'il n'avait pas souvenir que ce soit Henri lui-même qui utilisait ledit faux nom. Cette impression nuisait à sa concentration, mais il préféra essayer de la chasser en répondant à l'autre question de Timothy :

 « Henri est un solitaire ; il n'irait pas travailler avec quelqu'un d'autre pour espérer obtenir des résultats similaires. Sauf peut-être avec Jason, mais je le vois mal s'occuper de criminels aux côtés de Ducard en étant cloué sur son lit d'hôpital. Non, notre vieil ami est probablement seul ; mais il reste dangereux. Il ne sera peut-être pas agressif, mais il sera sans aucun doute hostile quand on l'approchera. Restons sur nos gardes. »

L'ancienne bâtisse qui servait de repère à ce Rosenstrauss correspondait tout à fait au style de Henri Ducard ; une maison vaste, dissimulée dans les bois, avec une apparence coloniale typique. C'était certain qu'il avait choisi cette résidence, mais d'autres soucis allaient d'abord s'imposer aux chauve-souris. Premièrement, l'allée sinueuse menant à la demeure était en gravier, et il y était donc facile d'y dissimuler des mines. Ensuite, les lampadaires projetaient une lueur spectrale qui faussait la visibilité et qui dissimulait sans aucun doute les caméras et les pièges plus petits placés ici.

Bâtie sur deux étages, la maison de campagne possédait cependant un accès facile par son balcon ; rien qui ne puisse donc résister au bat-grappin.

 « D'après ce que tu en as vu, il y a une avancée de la maison, de l'autre côté. Fais le tour et va voir ce qu'il en est. Je me charge de passer par la trappe à gauche, pour aller directement dans le sous-sol. Si Henri est là, on discute d'abord. On évite de lui forcer la main pour qu'il nous tire dessus. Il est encore possible de résoudre ce problème sans devoir l'affronter directement. Mais... »

Il lui en coûtait. Mais il le fallait.

 « Mais nous allons l'arrêter, quoi qu'il se passe. Nous n'avons pas le choix, après ce qu'il a fait. Allons-y. »

Alfred lui avait dit un jour, se souvint Bruce, que s'il devait finir par arrêter ses proches, cela signerait la fin de sa croisade. Qu'il lui faudrait alors comprendre comment il en était arrivé là, et comment y remédier, sous peine de sombrer dans une spirale infernale qui ne se terminerait que par la fin pure et simple de tout ce qu'il avait bâti.

Tout en pénétrant dans le sous-sol, le Chevalier Noir ne cessait d'y penser. Il ne cessait de se dire qu'il commettait cette erreur dont avait parlé Alfred jadis. Qu'il ne pourrait plus voir ses alliés de la même manière après cela. Il essaya toutefois de se convaincre que c'était Henri qui avait fait cela tout seul. Qu'il avait lui-même choisi ce chemin quand son fils était mort, des années auparavant.

Mais quelque part, il se sentait responsable. Peut-être pour rien, mais tout de même.

Quelque chose clochait. C’était en tout cas ce que se disait Tim alors qu’il trouvait son mentor pensif. Quelque chose semblait lui échapper et ce n’était jamais une bonne nouvelle. De toute façon, aucune sortie des justiciers masqués de Gotham n’était une bonne nouvelle, finit-il par se dire alors que la batmobile continuait de rouler. A chaque fois ils avaient à faire à de dangereux psychopathes ou des assassins passés maîtres en la matière pour être de vraies plaies. Au moins, selon les dires du chevalier noir, leur « cible » du jour serait seule. Avec la suite des informations, Tim ne put que se sentir soulagé intérieurement. Devoir encore se battre contre Jason serait un vrai calvaire… Ils avaient réussi à mettre de l’eau dans leur vin, mais le jeune homme commençait vraiment à en avoir marre de passer son temps à se battre avec des Robins, anciens comme nouveaux, avec un sale caractère. Ça se finissait toujours avec de sales coups pour les uns et les autres et c’était tout sauf productif.

A mesure que son mentor parlait, le jeune homme était de moins en moins dupe. La mission serait compliquée, mais la morale du Batman allait être mise à l’épreuve. Il allait devoir appréhender un mentor, quelqu’un qu’il considérait comme un ami. Pour le duo, cela sonnait comme une ritournelle. Ils avaient eu ce même cas de conscience lors du retour de Jason qui s’était depuis ressaisit, non sans l’aide de Diana. Et alors qu’il expliquait son plan, le Red Robon écoutait. Ils allaient se séparer donc. Comme quoi il en avait fait du chemin… A une époque, Bruce ne l’aurait même pas laissé mettre un pied hors de la batcave par peur qu’il finisse comme son prédécesseur. Et voilà que maintenant il allait devoir contourner le bâtiment probablement piégé d’un homme dangereux qui avait entraîné le chevalier noir dans ses jeunes années.

« Bizarre, je pensais que tu m’aurais ordonné de ne pas jouer au héros et de t’appeler tout de suite en cas de mouvement sans tenter quoi que ce soit. » Dit-il avec un sourire légèrement moqueur aux lèvres. « Enfin… Si on peut régler ça sans trop de casse, ça me va complètement. On est là pour le remettre dans le droit chemin, pas pour passer à tabac un de tes proches. » Termina-t-il alors, prouvant qu’il ne connaissait que trop bien le chevalier noir. Il l’avait étudié depuis longtemps, il l’analysait, le suivait, essayait de le comprendre, et autant dire qu’avec ses capacités mentales, il n’en fallait pas plus pour qu’il puisse comprendre quelques bribes de ce qui passait par la tête de la chauve-souris quand celui-ci semblait à la fois si déterminé et si concerné par l’affaire sur laquelle ils travaillaient.

Enfin, ils firent ce qu’ils avaient prévu et, non sans faire attention, red Robin parvint à se faufiler à l’arrière de la maison sans un bruit. En suivant l’avancée, il se trouva face à une porte évidemment fermée. Cependant, une fermeture aussi basique n’était pas faite pour arrêter qui que ce soit de la batfamily et il entra, non sans précaution. N’importe quel câble pouvait activer un piège, surtout derrière une telle ouverture.

Dans la maison, toutes les lumières étaient éteintes et seule la lune éclairait partiellement les salles et les couloirs par la fenêtre. Le silence n’était pas rassurant mais allumer la lumière pouvait être dangereux car cela donnerait sa position exacte. Il était habitué à ce genre de situations après tout et tout en marchant en toute discrétion, il remarqua une silhouette faire un mouvement rapide au loin dans l’étage supérieur. Peut-être une ombre d’un arbre ou véritablement quelqu’un, il n’en avait aucune idée. Utilisant son communicateur pour entrer en contact avec l’homme chauve-souris, il se décida à dire.

« J’ai vu du mouvement à l’étage. Je n’ai pas pu identifier la source, je m’y dirige. »