KATE + The Bat in war

- Tu as les yeux de notre mère.

Une simple phrase. Un simple assemblage de mots. Le genre de propos qui peut vous faire naître une certaine fierté. Quoi de plus honorable que de posséder un trait caractéristique d'un parent tant aimé ? Cela sert à réaffirmer une origine, une appartenance. Un lien fort, sacré et unique envers la personne à qui vous devez la vie. Cela fait sourire. Cela touche. Cela peut provoquer un émoi positif... Ou plus chaotique dans le cadre d'une ambiance familiale en pleine dissension. J'aimerais sincèrement que cette phrase agisse avec un tel effet sur moi. Mais lorsque cette révélation fut prononcée avec tant de neutralité, tant de stoïcisme, et tant de froideur, ce n'est nullement une fierté qui se répandit dans chaque partie de mon être. Ce fut plus un électrochoc beaucoup trop violent pour que vous ne puissiez le supporter sans réaction aucune. Une bombe lâchée en plein sur un terrain miné, dont l'explosion ne voyait que ses dégâts décuplés au fil des secondes. Montagne d'histoire, de sentiments, de ressentis et de vérité qui, d'un simple revers de main, se voyait balayer sans la moindre prévention, sans la moindre attention, sans la moindre douceur. Un ensemble de piliers solides et profondément ancrés qui, en une seconde, se mettait à vaciller et à s'écrouler sur soi-même. Cette déclaration. Ce souffle. Ce murmure. Cet avoeu. Ce constat... Une phrase sans incidence qui bousculait tout le cheminement d'une vie et d'une existence. Tout ce que j'avais appris, tout ce que j'avais connu, tout ce que j'avais considéré comme vérité n'existait plus désormais. Ne demeurait que des mensonges et des secrets. Bernée jusqu'au bout par l'impensable. Que devais-je faire dés lors ?

Ma soeur était tout ce que je possédais étant enfant. Lien sacré de deux jumelles, séparée à la naissance que par une poignée de secondes. Une moitié plus représentative de celle d'un couple. Une moitié plus indispensable qu'un rein à son homologue. L'importance d'un être qui ne vivait pas seulement en même temps que vous, à côté de vous... Mais également en vous. Ce mythe de la gémellité donnant une certaine véracité aux liens émotionnels présumés. Ressentir la joie. Ressentir le mal. Ressentir le danger. La peur. Le bonheur. Sans contact visuel, connaître la moindre émotion de cette personne vous étant plus proche que jamais. Je ne me voyais pas vivre sans elle. Je ne considérais même pas le fait qu'il puisse être possible de toujours demeurer en vie si elle n'était pas née en même temps que moi. Naïveté d'une enfant qui se refuse à concevoir que des jumelles peuvent coexister sans être proches. Non. Complémentaires et opposées. Le Ying du Yang. Le blanc ne pouvant exister sans le noir. Le soleil n'ayant aucune raison d'être sans l'astre lunaire. Un coucher de soleil identique aux premières lueurs de l'aube pointant vers l'horizon. Être que deux tout en ne formant qu'un. Enlever l'un des deux éléments de l'équation et demeure alors le nul absolu. Pourtant, enfant, on n'oublie plus que souvent que la vie n'aurait pas de sens sans l'existence macabre de la mort pour compléter le cycle. Je l'ai appris à mes dépends. À nos dépends. Envers tout ce qui m'était le plus cher et le plus précieux. Un kidnapping. Un voile noir sur les yeux. Des minutes, des heures, des jours d'enfer où vous ne percevez pas la moindre lumière. Pas de visage familier. Pas d'apparition du visage de votre mère dont vous entendez la voix douloureusement en peine et en plainte tentant de nous rassurer. Impossible de percevoir le regard malicieux et aventureux de ma moitié, siégeant à quelques centimètres, ou même plusieurs mètres de moi. Je n'osais même plus parler. Je n'osais même plus prononcer la moindre syllabe. Alors qu'elle, elle avait toujours un petit mot pour essayer de me rassurer, de me faire sourire ou bien me faire partager ses envies de rage, de colère et de rébellion. Et puis, tout explose dans tous les sens. Des coups de feu. Des armes qui se déchainent comme le plus virulent et violent de tous les orages. Des cris. Des ordres. Des plaintes. Des voix vociférants je ne sais quels propos avant que la lumière m'aveugle. La voix de mon père. Mes yeux doivent s'habituer à revoir la lumière du jour. Il me sert contre lui et m'intime de ne pas regarder, de garder les yeux fermés. Mais j'en suis incapable, il est déjà trop tard. Mes iris se sont posés sur les corps ensanglantés de ma mère et de ma soeur, le visage couvert, gisants toutes deux, le corps sans vie. Sous mes yeux, entravées par la terreur et terrorisée par la peur, j'avais été témoin indirecte de leur mort. J'avais tout partagé et tout vécu en leurs derniers instants. Et la seule image que j'en garderai sera celle de leurs corps morts, et abandonné sous les lieux de cette attaque.

La mort de ma mère fut une tragédie. Celle de ma soeur fut un cauchemar me hantant pour toujours. Comment ferais-je à présent ? Comment parviendrais-je à vivre sans que son coeur ne continue de battre à l'unisson avec le mien ? Je n'étais jamais restée plus d'une demi-heure sans être à ses côtés. Je ne m'en n'étais jamais séparée même lorsque nous nous disputions et nous chamaillions. Un filament invisible, au demeurant imbrisable, semblait s'amuser à nous demeurer dans une proximité perpétuellement constante. Et là, chaque fois que je tournerais la tête... Chaque fois que je poserais une question... Chaque fois que je voudrais voir ce qu'elle ferait... Chaque fois que je voudrais son avis ou lui partager un coup de gueule... Chaque fois que j'aurai une idée de bêtise... Elle ne me répondra pas. Elle ne sera plus là. Elle nous a été enlevé, et jamais ne me reviendra-t-elle. Bon anniversaire Elizabeth, bon anniversaire Katherine. Je maudirai à jamais cette journée qui devait être la nôtre...

Endeuillée dans une difficulté sans pareille, je me suis raccrochée à mon père, la seule famille qui me restait. Je me suis raccrochée à ses croyances, à ses convictions et certitudes, je me suis raccrochée à son univers. Pour ne plus être poursuivie par la terreur, je la combattrai autant que faire se peut en remplissant mon devoir de soldat. Oui, je marcherai sur ses traces. Je marcherai sur les traces de maman. Je me consacrerai, moi et chaque jour que je devrai vivre, à ce devoir militaire, au nom de la justice et de mon pays. Je serai au service de ces conflits nécessaires pour réduire à silence ces communautés de dictature et d'oppression qui brisent et anéantissent la liberté et, plus encore, les familles vivant en ce bas monde. Innocents ou coupables, je ne laisserai plus le terrorisme briser de quelconque lien d'enfants à parents, ou de fraternité. Aucune autre jumelle ne perdra sa jumelle de la même manière. Aucune autre petite fille ne devra douloureusement apprendre la vie, en l'absence de la personne qui lui est la plus chère. Je répondrai aux ordres et à mon devoir. Je le devais à maman. Je le devais à Elizabeth. Il était hors de question que je sente encore la mort frapper, sans être capable d'émettre la moindre réaction. Je n'aurai plus peur. Je ne serai plus jamais sans défense. Voilà comment la disparition des deux femmes de ma vie d'enfant m'avait inspiré. Et j'y ai été jusqu'au bout. J'ai été au bout de cette volonté et de conviction. En mourant, ma soeur avait fait de moi cette soldate en devenir... Dont les aîles furent coupées et brisées en plein envol. Renier ce que vous êtes au plus profond de vous. Mentir. Rumeurs. Faits avérés et conséquences. Dans l'équation de mes projets de vie, j'avais omis l'intolérance à la manifestation de toute relation homosexuelle dans les rangs de l'armée. Je n'ai pas voulu nier. Je n'ai pas voulu mentir et, ainsi, trahir le code d'honneur de mes frères d'arme. Le départ fut difficile. Le renvoi douloureux. Et si l'errance qui s'en suivit fut longue et pénible, elle était nécessaire pour qu'une autre transformation se prépare et murisse.

La première fois que j'ai voulu jouer aux héroïnes, c'est à cause de lui. L'homme de la nuit. La chauve-souris. Le chevalier noir de Gotham. De sa bienveillance, il me sauva d'une agression à la sortie d'un bar. Mais en quoi pensait-il que j'avais besoin de son intervention, de son aide, de sa présence ? Je n'ai été qu'une seule fois une demoiselle en détresse, une gamine plus précisément. Et il était hors de question que je me laisse considérer une seule fois de la sorte, même par le grand justicier incorruptible de Gotham. Qu'il ne se fasse pas d'illusion, qu'il n'attende pas de merci. Je n'ai jamais éprouvé de reconnaissance envers Batman pour son geste. Tant parce que je pouvais m'en sortir seule, tant parce que s'il s'agissait de mon heure, alors il aurait dû me laisser mourir. Car, à quoi bon continuer d'errer lorsque le seul et unique but de votre vie vous a été dérobé au nom d'une loi stupide, d'un règlement caduque et imbécile ?

Le sauvetage du justicier m'a fait considéré les choses autrement. Mais c'est toujours avec le souvenir d'Elizabeth ancré en moi que je pris l'initiative de devenir quelqu'un d'autre... Quelque chose d'autre... Je ne serai pas une militaire reconnue par ses paires. Mais pourquoi ne pas se la jouer solo et user de mes compétences acquises à l'académie pour partir sur le terrain ? Après tout, pas besoin d'attendre l'avis d'un état-major vous envoyant aux quatre-coins du monde. Gotham était une zone de guerre à elle seule. Et il était temps que je prenne pars à ce conflit, qu'un nouveau pion rentre sur cet échiquier bordelique afin d'y mettre son petit grain de sel ! Je n'étais pas préparée. Je n'étais pas suffisamment formée. J'étais jeune et trop accroc à l'adrénaline au détriment de la prudence. Mon père me sauva. Mon père me rabroua. Mais, surtout, mon père me permis d'acquérir l'expérience suffisante et nécessaire pour exercer ce nouveau combat dans les règles de l'art. Il veillerait à ce que ma formation de soldat solitaire trouve une réussite complète et louable. Mûrir. M'endurcir. Devenir plus forte. Devenir plus coriace. Savoir me défendre et déjouer des menaces qui, autrefois, ne m'aurait même pas inspirer la confiance et le courage nécessaire pour m'y lancer. Découvrir une autre facette de douleurs, de blessures, de difficultés, d'existence et de survie en tant que telle. Apprendre à canaliser mes rages, mes rancoeurs et mes douleurs du passé afin d'en faire une force de conviction qui me guiderait en tout temps, sans que je me comporte comme une bombe instable, et prête à exploser à tout moment sans se rendre compte de l'importance des dégâts que cela pourrait causer. Découvrir et savoir ce que voulait réellement dire les mots 'défis', 'courage', 'témérité' et 'guerre'. Je ne serai plus jamais la même après ces deux années de formation. Toutefois, cela ne me faisait pas peur. Cela ne me faisait plus peur. Pour la première fois depuis bien des années, je ne redoutais plus les lendemains. Une nouvelle identité pour une nouvelle vie. Une nouvelle existence pour un nouveau quotidien. Je ne serai plus uniquement Katherine Rebecca Kane, désormais... Mais, à jamais, Kate et Batwoman... Au nom de la détermination. Au nom de maman. Au nom d'Elizabeth, surtout. Ainsi préserverais-je leur mémoire dans cette nouvelle croisade personnelle contre la terreur et le crime !

Et puis, vint ce jour. Vint cette nuit. Vint cette 'Haute Dame' du crime, prénommée Alice. Vint cette phrase et ce propos qui me figèrent sur place. Son regard. Ses yeux. Ses iris. Ses pupilles. Tout ce qui y semblait obscurcit et tout ce qu'on semblait pouvoir y lire en même temps. Même cette voix naturellement prise soudainement. Ca ne pouvait être qu'elle... Pas Alice. Pas la 'Haute Dame'. Elizabeth. Ma jumelle. Ma moitié. Ma soeur. La raison de mon costume. La raison de ma présence. La raison de tout ce que j'étais devenu. Je ne pouvais en croire mes yeux, ni même mes oreilles. Revenue d'entre les morts pour retourner dans la profondeur des abysses de l'Enfer après cette révélation impossible. Cette phrase. Elle chute. Elle disparaît dans l'obscurité de ce ciel nocturne. Corps introuvable. Corps à jamais disparu. Même en se jouant de la mort, son humanité ne l'aura pas sauvé d'une chute aussi mortelle. J'ai combattu cette femme. J'ai traqué cette dame. J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour la contrecarrer et la mettre derrière les barreaux. Et depuis le début, j'avais été incapable de reconnaître cette soeur dont le souvenir ne cesse de couler dans mes veines. Je l'avais retrouvé pour la reperdre une fois de plus. Secouée, marquée, blessée et égarée. Cela n'en fut que plus difficile à vivre et à assimiler encore lorsque mon père m'avoua être au courant depuis toutes ces années. Ses excuses, ses regrets. Ses recherches incessantes pour la retrouver, en vain. Ne rien me dire pour ne pas me faire espérer une chimère. Sauf que cette chimère, je l'avais affronté et l'avais presque guidé vers cette seconde mort. Rien ne serait plus comme avant. Rien n'irait bien. Non papa, ça ne va pas 'aller'. Perdue, égarée, j'ai choisi de reprendre des marques et retrouver des repères loin de ma famille, loin de ce que j'étais, loin de ma ville, loin de ma sombre Gotham... Avec cette seule et unique question me torturant jour et nuit : si son corps demeure introuvable, Alice aura-t-elle survécu... ? Elizabeth aurait-elle réussi à échapper à la mort une fois encore... ?