Depuis le retour de mes vacances en Caroline du Nord, je n'ai pas vraiment eu le temps de m'ennuyer. Chaque mission sur le terrain est séparée de la suivante par quelques jours à la fourmilière pour faire un break, vérifier les données pour la mission suivante et se préparer. D'une ville à l'autre, d'un pays à l'autre, j'ai été envoyée à plusieurs endroits pour de la surveillance, de l'aide aux victimes, ou des interventions plus importantes concernant les méta-humains. Beaucoup d'observations et de prélèvements pour analyses scientifiques. Récupération de certains méta-humains posant problème, ou collaboration discrètement avec les forces de l'Ordre présente, j'ai pu faire une multitude de choses. Vu le nombre de besoins, nous n'avons pas vraiment eu le temps de nous ennuyer. Le but était de tenter de pacifier les points sensibles un maximum pour essayer de rétablir l'équilibre de la Terre pour préparer l'arrivée de Brainiac. À l'évidence, l'extraterrestre n'a pas voulu en rester à sa première intervention, peut-être un peu frustré. Une promenade de santé donc. Ponctuée de multiple retours à Washington pour profiter du calme d'un foyer paisible et sécurisant, pour une fois. C'est étrange d'en être là après tout ce temps. Et effrayant aussi. Chaque nouvelle invasion, chaque nouvelle catastrophe allume cette petite alarme au fond de moi : l'idée de perdre les personnes auxquelles je tiens. Steve bien sûr, comme depuis toujours. Certains de mes proches amis, aussi. Et Luka. Car malgré un certain talent pour saboter mes relations, finalement, celle-ci a tenu bon. Et ce n'est pas pour me déplaire, loin de là.

Je suis donc arrivée à Central City, accompagnée par des collègues pour nous occuper d'un petit gang local appuyé de deux méta-humains. Nous n'avons vraiment rien laissé au hasard pour avoir toutes les informations possibles sur leurs compétences et sur la façon dont régler le conflit, en commençant par aider la police à dissoudre ce gang. Sans violence, et sans accroc. Histoire de ne pas créer une catastrophe inutile en ces temps déjà troublés. Nous n'avons pas vraiment eu le temps de souffler, mais à travers nos différentes allées et venues, nous avons pas mal visiter la ville. Mais rien ne vaut ma ville d'origine, ou au contraire, celle dans laquelle je vis. Quoique, Raleigh est plutôt agréable, une ville dans laquelle je pourrais me plaire, assurément. Après quelques jours passés dans cette ville à traquer des méta-humains avec plusieurs autres membres de S.H.A.D.E, j'aurais dû rentrer à la fourmilière avec les autres, mais j'ai pris la liberté de rester un peu plus. Une journée supplémentaire passée à surveiller les rues via le réseau de surveillance pour m'assurer qu'il n'y a plus de problème.

Mais pas seulement. Après plusieurs échanges de SMS avec un vieil ami que je n'ai pas vu depuis un moment, j'ai compris qu'il est en ville en même temps que moi, par le plus grand des hasards. Et après une douzaine d'heures passées devant des écrans, je délaisse l'ordinateur pour aller un peu en ville. Après tout, il ne semble rien y avoir sur les images, mais me mêler à la population pourrait aussi me permettre de voir des choses. Enfin, ne nous le cachons pas, le bar dans lequel je viens d'entrer va vite me passer l'envie de travailler. Je balaie les lieux du regard pour apercevoir Hal appuyé au comptoir. Je m'approche de lui en disant : « Hal... Quel plaisir ! » avec un sourire mesuré. Je pose ma main sur son bras, avant de l'étreindre avec chaleur. Je le relâche pour reculer d'un pas, histoire de l'inspecter, vieille tradition familiale qui me pousse à faire ça avec les gens auxquels je tiens, ce qui me permet de remarquer immédiatement un changement de couleur de cheveux et des traits tirés. Pas vraiment étonnant vu ce qui est arrivé. Je lui demande : « Comment vas-tu ? ». L'examen visuel ne se suffit pas à lui-même, les blessures peuvent ne pas se voir à l'œil nu. Et il a surement beaucoup sur le cœur, même s'il ne voudra peut-être pas en parler. Mais ça ne coûte rien de demander. D'ailleurs, je demande aussi : « Qu'est-ce qui t'amène à Central city ? Un problème ? Tu as besoin de quelque chose ? ». Un truc perso ? Un truc pro pour Ferris Aircraft ? Ou un truc plus secret pour la Justice League ? Selon le contexte, il ne pourra pas forcément me répondre, mais au moins j'aurais tenté ma chance. Il souhaite aussi peut-être s'éloigner un peu de Coast city, enfin de ce qu'il en reste. Et je ne pourrais que le comprendre.

Ma question est sans doute douloureuse pour lui. Et je sais qu'il n'est pas forcément toujours en mesure de parler. Question de fierté, sans doute. Mais pas que. Il ne veut sans doute pas inquiéter les autres, trop enclins à en prendre soin, avant de pouvoir prendre soin de lui. Mais parfois, cela fait du bien que quelqu'un soit là, pour nous soutenir. Pour une fois, cela changerait. Je ne doute pas que Carol soit un soutien pour lui, mais dans quel état, est-elle ? C'est également sa ville qui a été détruite. Au moins, il a été honnête. En même temps, j'aurais probablement perçu le mensonge même s'il avait été le meilleur menteur du monde. Je n'y aurais pas cru une seule seconde. Même moi qui n'ait pourtant pas d'attache spécifique à cette ville, j'ai été choquée. J'étais là. C'était une véritable horreur. Alors... je ne peux pas l'imaginer aller bien après ça. « Tu sais si tu as besoin, tu es toujours le bienvenu à Washington. Pour parler ou pour ne pas parler... ». Je souris simplement. J'imagine qu'il a sûrement besoin de se changer les idées. Mais cela ne peut fonctionner qu'un temps. À un moment donné, il faudra mettre des mots sur ce qu'il ressent. Sur sa colère. Sur sa frustration. Sur sa douleur. Et peut-être d'autres émotions encore qui doivent être une sacré tempête à l'intérieur de lui. Et ça, ça ne peut pas forcément rester-là éternellement, trompé par de bons moments. Ce genre de blessure ne guérit jamais vraiment. Avec le temps, on pose des bandages, la douleur est moins importante. Mais au final, les failles ne se comblent jamais totalement, même avec un énorme travail sur soi. Alors si on tente de les masquer... Je reste cependant vague, n'insistant pas plus que ça. Lui témoigner de ma présence me semble suffisant. Ceci dit, comme je ne suis pas sûre qu'il s'en saisira, peut-être que c'est à moi de me rendre plus visible, au moins pendant un temps.

Entre deux questions, je profite pour commander un verre. Je souris cependant, et réponds à sa question : « Je vais bien ». J'ai traversé une phase difficile après les péchés qui s'est plutôt très bien résolue, je ne peux pas dire le contraire. Et même si je garde des séquelles de ce qui s'est passé là-bas, je m'en sors bien. À vrai dire, je n'ai jamais été aussi bien. Il m'en aura fallu du temps. Il répond ensuite à ma question pour m'expliquer sa présence. Je l'écoute avec attention. Encore une fois, toujours les autres avant lui. Même s'il trouve peut-être un intérêt personnel à quitter la côte. Et il me retourne un peu la question, prenant des nouvelles de comment va ma vie. Ma vie... J'esquisse un sourire. « J'ai changé de boulot ». Je lui souris un peu et dit : « Je crois que Steve ne s'en remet pas tout à fait encore... ». Entre ce changement de boulot et ce compagnon... le pauvre Steve a vu rouge plusieurs fois ces derniers temps. Même s'il s'est calmé, progressivement. Assez pour réussir à un parler un peu. « Pour une fois, j'ai l'impression d'être vraiment utile et de correspondre un peu plus aux idéaux de ma famille ». Même si j'avais volontairement choisi le droit pour pouvoir servir mon pays sans me mettre en danger. Un peu poule mouillée, mais surtout marquée par ce que j'avais pu voir sur mes parents et mon frère, je ne voulais pas vivre ce genre de traumatismes moi aussi. Aujourd'hui, j'y suis bien plus prête qu'avant. Je lui dis : « Et je vois quelqu'un aussi... Non, en fait, je suis carrément en couple... ». Et pour moi qui ai passé mon temps à aller d'une relation à l'autre sans me poser, ça aussi, c'est un véritable exploit. Je souris un peu : « Entre ma vie personnelle et les actualités, je n'ai pas vraiment eu le temps de m'ennuyer... ». Et j'aurais sans doute d'autres choses à dire, mais déjà, je vais le laisser assimiler tout ça. Il aura peut-être des questions.

Il ne répond pas à mon invitation. Mais je sais qu'il l'a entendu. Et moi, je serais plus présente pour lui. Hors de question de le laisser tomber, j'aurais même déjà dû réagir bien avant ça. Je me sens un peu idiote d'une certaine façon, parce qu'il mérite largement qu'on prenne soin de lui. J'imagine que Steve a déjà dû lui envoyer des messages. Mais moi, je n'ai aucune excuse vraiment valable. Je lui réponds que je vais bien, de mon côté. Parce que c'est vrai. Je m'en sors bien, et surtout ma vie est bien plus stable qu'elle ne l'a jamais été. Il me répond que c'est le principal et je souris un peu. Une note de tristesse s'allume dans mes yeux, parce que ce n'est pas le principal. Le principal, c'est que lui ne va pas bien. Mais que pour le moment, je ne peux rien vraiment faire d'autres que lui parler pour lui changer les idées.

Je lui raconte finalement un peu ma vie. Vraiment. Je n'entre pas forcément dans les détails, mais je lui parle des principaux changements survenus pour moi, en commençant par mon boulot. Il ne tarde pas à me poser des questions et à réagir plutôt vivement à mon annonce concernant mon couple. Je ris un peu et jr dis : « Je suis d'accord avec toi, pour le changement. Ca me plaît oui. C'est plutôt cool, et disons qu'on sera amenés à se croiser plus souvent sur le terrain ». Je ne peux pas lui dire. Et je ne veux plus mentir. Je ne veux plus parler de droit des entreprises à ceux que je connais. Je l'ai dit à Layla, mais elle a compris, de façon implicite, que je ne pouvais rien dire de plus. Mais je ne peux pas lui mentir à lui, de toute façon, il se pourrait bien que Steve s'en plaigne. Il n'aime pas me savoir en danger, et il se trouve que malheureusement, j'ai un certain talent pour foncer la tête la première dans les ennuis. Quant à mon petit ami, après un léger rire, je dis : « Il s'appelle Luka Corleone. Ca n'a pas été sans quelques complications, mais on est loin de vous avoir détronés... D'ailleurs, Carol le connaît, il vole pour Ferris Aircraft de temps en... ». Je suspends ma phrase en grimaçant. Je lui jette un regard désolé et je dis : « Steve ne l'aime pas trop, mais il est moins grognon qu'avant par rapport à tout ça ». Avec tout ça, je ne me souviens pas si l'entreprise de sa femme a été touchée. Je ne le pense pas, il me semble qu'elle est à l'écart du centre-ville, mais j'ai peur de me tromper. Et cela serait tellement dommage.

J'attrape mon verre et bois une gorgée. Lorsqu'il recommence à parler, je l'écoute, et je fronce les sourcils. Je reste silencieuse jusqu'à la fin. Jusqu'à ce qu'il change de sujet comme pour chasser l'ombre de ses pensées. Je demande : « J'imagine que tu ne me parlerais pas de ce dont tu veux parler précisément ? ». Je souris un peu et je lui dis : « J'ai passé ma vie à vouloir changer le monde. Mais on ne peut pas tout sauver. On ne peut pas tout gagner. Hal, j'en suis tellement désolée, mais l'échec, ça fait aussi partie de la vie... ». Nous en avons payé le prix fort, Steve et moi. Nos deux parents sont morts alors que nous étions jeunes, et je crois que l'un comme l'autre nous avons souvent rêvés de pouvoir revenir en arrière pour changer les choses. Mais malheureusement, la mort, la destruction, cela fait aussi partie de la vie. Je lui dis : « Et puis tu sais, je crois avoir vu assez de choses pour savoir que toutes les belles solutions, qui laissent penser que tout sera mieux et parfait cachent de très lourdes conséquences, malheureusement ». Je ne sais pas de quoi il parle. Hal a toujours tout un tas d'idées plus extravagantes les unes que les autres dans la tête, mais cela m'inquiète forcément un peu. Je le sonde du regard et je lui dis : « Ne fais rien de dangereux. Tu n'es plus seul Hal, tu dois aussi penser à elle ». Carol. Et elle a l'air d'en valoir la peine, malgré tout ce que j'ai pu entendre depuis qu'ils se connaissent, elle a l'air d'être quelqu'un de bien. Et elle l'a changé. Il a changé.

Je souris un peu et je lui dis : « Il faudra que tu passes alors, je vous présenterais ». Je n'arrive pas à savoir s'ils s'entendront. Je sais que Hal pourrait se ranger du côté de mon frère, et cela m'inquiète un peu, d'autant plus qu'Hal non plus n'a pas sa langue dans sa poche. Mais je crois qu'ils pourraient s'entendre, même si Luka sera sans doute un peu trop sérieux pour Hal le déjanté. « En tout cas, il ne s'est pas laissé décourager... ». Moi non plus. Sur ce coup-là, nous avons tenu le choc tous les deux. Et ça... c'est plutôt cool. Je m'en surprends encore tous les jours à dire vrai. Mais ça en vaut le coup. Je demande : « Et toi ? Comment ça se passe le mariage ? Est-ce que c'est aussi flippant que ça en à l'air ? Ca se passe bien ? ». Je me doute que s'il l'a fait, c'est qu'il était sûr de lui. Et en même temps, pour le supporter et l'accepter, il fallait que ça soit la bonne. Je souris un peu amusée en le regardant. Je bois une seconde gorgée, curieuse de l'entendre me parler du mariage.