Tula Marius ✸ Cicatrice sous-marine

« Il était une fois… » le commencement aurait dû être semblable aux autres. Il aurait pu amener une belle histoire dans laquelle l’épanouissement et la bonne construction de soi auraient été remarquables à bien des égards. De quoi participer à cette banalité qui permet la construction des autres, d’appartenir à ce même groupe d’individu, d’y trouver une place, sa place. Malheureusement ce « il était une fois » précis ne suivra pas les mêmes élans dans cette histoire. Au contraire, elle semble avoir été oublié à moins qu’il ne s’agisse en réalité que d’une erreur à part entière. Elle n’en aura jamais la réponse et pourtant, elle vit au quotidien avec ce fardeau, avec ce rejet, avec cet oubli.

C’est dans les profondeurs les plus abyssales, dans un royaume où l’équilibre s’imbriquait parfaitement avec le contrôle que le petit-être pousse son premier cri. Cet élan de courage qui la raccroche, malgré elle, vers cette survie qu’elle tente d’attraper de ses petites mains potelées. Elle hurle, elle cherche simplement à apaiser cette douleur lancinante depuis ses poumons qui irradie partout. Mais déjà, elle est cachée. Elle n’est qu’une honte, qu’une chose qui n’aurait pas dû naître et pourtant, elle est bien là. Elle, cette toute petite fille à la peau de porcelaine, aux yeux verts d’eau, à la chevelure qui rappelle sans équivoque celle de la femme qui lui a donné la vie. Tout ce dont elle sait de cette époque, on le lui a rapporté et même encore aujourd’hui, elle s’interroge sur les décisions prises à son encontre. Pourquoi elle ? La grandeur de l’interrogation renvoie bien à des éloges philosophiques désireuses de trouver réponse depuis la nuit des temps. Mais elle ne peut pas s’en empêcher. Elle ne comprend pas et ne comprendra jamais. Une erreur de parcours ? Une faiblesse affirmée ? Déjà, à peine née voilà qu’elle renvoie l’échec dans sa toute-puissance, la faille dans ce contrôle qui aurait dû perdurer. L’inconnu vole au-dessus de son berceau, flotte parmi les visages dont elle ne se souvient plus les traits. Puis le voile s’appose doucement devant ses yeux. Il virevolte dans des regards tantôt accusateurs, tantôt emplis d’une pitié sans précédent. Elle n’a pas encore son nom, il ne viendra que plus tard. Elle est un sujet tabou, une décision qu’il ne faut pas prendre à la légère, elle n’est rien jusqu’à ce qu’elle devienne la deuxième enfant du roi Orvax. Son prénom l’imprègne sous la désignation de Tula et petit à petit sa vie s’articule autour de ces nombreux détails. Le nourrisson apprend à connaître le monde qui sera le sien, apprend à s’apaiser dans les bras d’une mère. Mais déjà les cris grondent, les violences sont abruptes. Heureusement, elle ne s’en souviendra pas. Tula grandit un peu, commence à parler, sait très bien nager grâce à son grand-frère. Lui, qui, passe souvent devant elle dans les moments les plus difficiles, lui qui l’entoure de ses bras quand elle pleure. Les souvenirs de ce temps sont très diffus dans sa mémoire et surement les enjolive-t-elle pour ne pas perdre espoir. Mais elle sait qu’il est là. Orm. Elle développe une confiance si forte qu’elle a l’impression qu’ils sont comme les doigts d’une main, inséparables, indivisibles. Et cette idée ne la quittera jamais. Surtout que leur mère, Atlanna, les accompagne toujours, cherche à les réunir et les éduque de manière que les liens du sang n’altèrent en rien ceux d’un frère et d’une sœur. Ils sont sa famille, et même Orvax l’est. Les rejets qu’il développe à son encontre ne sont rien, à cette époque, en comparaison à l’amour qu’elle reçoit de sa mère et de son frère.

Le crises se multiplient, la colère s’engorge dans le foyer comme un fléau dont ils ne peuvent se guérir. C’est une maladie dont elle veut se débarrasser. Combien de fois s’est-t-elle cachée derrière Orm ? Combien de fois a-t-elle été reculé par Atlanna qui lui demande de partir ? Elle s’en veut terriblement de ces épisodes. Elle culpabilise tellement que ses propres accès de colère l’effraient parfois. Mais elle n’y peut rien. Le démon la hante même la nuit, lui impose des coups dans des cauchemars dont elle peine à se réveiller. Et c’est surement pour cette raison que son frère l’a ainsi guidé. S’entraîner, apprendre de leur culture, chercher à défendre ceux qui, comme elle, subissent des injustices, voilà vers quoi elle doit aspirer. Sérieuse dans les enseignements qu’elle a pu recevoir, Tula s’est isolée du reste afin de se perfectionner. Elle se doit d’être infaillible, d’être parfaite pour peut-être un jour obtenir un peu d’attention de son père ? Elle croit en cela. A tort. Puisque les disputes éclatent malgré tout, les accès de colère gangrènent autant les meubles que les personnalités de tous. La fureur est bien trop grande, l’échec ne parvient pas à être accepté. Mais elle, elle existe, Tula. Le dérapage ne tarde pas à arriver. Ils n’étaient que trois ce jour-là, cet instant où tout a basculé. La grimace sur son visage ne s’effacera jamais et pourtant la délivrance qui s’en suivit fut remarquée. Pour elle, pour sa mère, pour toute cette colère. La maladie donne lieu de d’avoir été guéri, de ne plus exister du moins que les secondes qui suivirent. Le secret reste gardé encore aujourd’hui et Tula ne la trahira jamais. Toutefois, elles ne s’attendaient pas à l’impact que cela engendrerait sur Orm. Sur cette véritable obsession qui grimpait jour après jour contre le monde d’en haut. Plus le temps passait et plus Tula avait l’impression de retrouver les mêmes mimiques colériques sur le visage de son grand-frère. Lui, qui, aspirait à autre chose, qui aurait du devenir bon. Le deuil l’avait frappé en plein cœur et il l’avait noirci, pollué à l’image de ce pétrole qui se déversait depuis les cargos échoués. Il s’embourbait, s’étouffait sans que ni elle, ni sa mère ne puissent faire grand-chose. Tula essayait de le ramener vers elles, de lui rappeler combien le passé n’était pas si éloigné qu’il voulait bien le croire. Mais seule, elle n’y arriverait jamais.

Le trône n’a jamais été aussi froid que pendant son règne. Elle n’en garde aucun bon souvenir puisqu’elle ne le reconnaît. Lui qu’elle a pendant de si nombreuses années idolâtré, lui qui l’a toujours défendu de la main de celui qu’ils avaient jugé de trop belliqueux. Ou était son frère Orm ? Dissimulé derrière ce masque qu’il gardait bien trop souvent à son gout, caché derrière cette rancœur trop envahissante à l’encontre du monde de la Surface, il l’a effrayé un nombre incalculable de fois et pourtant, elle est restée à ses côtés. Essayant d’apaiser sa colère, de le ramener à la réalité, quitte bien souvent à aller trop loin. Et puis Mera arriva. D’abord suspicieuse quant à ses origines, Tula comprit bien vite qu’elle pouvait lui faire confiance. Si Atlanna donnait sa confiance alors elle aussi était en mesure de croire en quelque chose. Et ce quelque chose se fraya un tout petit chemin dans le cœur de son frère. D’abord curieux, puis plus apaisé, la petite sœur vit combien la belle rousse ramenait son frère vers un chemin un peu plus droit que celui qu’il empruntait. Elle aurait pu y croire, et le fit-t-elle pour plusieurs semaines. Mais l’échappée s’envola aussi furtivement que ce qu’elle n’aurait jamais pu l’attraper. Le choc, la colère, la mélancolie, l’incompréhension. Les émotions se mêlaient à lui en faire perdre haleine alors que les funérailles sonnaient un glas qu’elle n’aurait jamais cru entendre. Sa mère perdue. Enlacée pour toujours dans le cœur des abysses, dans ce noir éternel. Elle lui en veut encore de ce geste, lui, qu’elle aime comme un frère. Il lui fut difficile de le regarder, de lui parler pendant des mois et des mois. Il leur avait ôté la bonté à l’état pur, l’espoir d’un peuple uni. Il leur avait sauvagement planté un couteau dans le dos et cela, elle n’avait pas pu le tolérer. Indignée, meurtrie, la sirène s’isole pour un temps indéfini. Suit les aventures de Mera et, avant qu’elle ne parte pour la Surface, lui témoigne de son soutien. La nouvelle de ce fils caché l’ébranle dans le même temps, mais qui est-t-elle pour juger un enfant comme elle ? Cet Arthur mérite d’avoir sa place, tout comme Atlanna lui avait donné la sienne. Et ce qu’importe les folies de son frère. L’avènement du nouveau roi ne tarde pas et, même si son cœur se déchire à l’idée d’isoler Orm, Tula ne peut qu’approuver cette nouvelle royauté. Atlantis ne saurait être mieux gardée que grâce à l’héritage de leur mère et cet Arthur le possède.

Ce fameux « Il était une fois » aurait pu débuter à partir de ce changement. Il aurait très bien pu apporter un renouveau et un certain havre de paix dans l’âme de l’Atlante. Mais elle n’était plus naïve, Tula. Et elle se doutait que quelque chose viendrait poindre depuis les profondeurs pour semer doute auprès de son peuple. Les absences répétées de son nouveau, les attentions portées vers la Surface, ce nouvel œil eut énormément de mal à bien se faire accueillir parmi les siens. Même si, elle-même voyait là une continuité de ce que Atlanna avait réussi à leur inculquer, tout était bien trop rapide. Et Arthur lui paraissait impatient. Chose qu’elle voulait bien admettre puisque les menaces jaillissaient de toutes parts. Stepenwolf, Brainiac, Les Sept Péchés Capitaux, tout remettait sans arrêt en question la survie des siens. Au point qu’ils durent à leurs tours suivre le mouvement pour combattre. Episode qui lui plut, et lui prouva combien elle était bonne combattante. Car, elle avait besoin de cela pour savoir qui elle était réellement. La sœur de deux mondes : un empli de tristesse et de chaos, l’autre désireux de survivre quoi qu’il en coûte. Elle s’adapte, Tula, rapidement, avec réflexion, elle sait combien chaque geste entraîne une responsabilité qu’elle soit lourde ou plus allégée. Alors, quand le moment fut arrivé, elle continua à donner du sien pour perpétuer l’héritage. Pour prendre des décisions dans la lignées de ce à quoi Arthur et Mera s’étaient attachés à mettre en place. Cela lui plut à nouveau, lui démontra qu’elle faisait bien partie de cette famille et la consola parmi ses démons les plus anciens. Qu’aurait dit Orvax s’il avait vécu cela ? Sa revanche est jouissive dans la mesure où elle lui prouve, à lui ce père qui l’a tant rejeté, qu’elle est bien plus capable que ce qu’il avait pu le penser. Des mois durant lesquels, elle y parvint. Des mois qui la firent gagner en maturité et qui lui rappelait combien elle préférait sa place de Capitaine plutôt que celle de régente d’un trône. Elle pensait que le retour de celle qu’elle considère comme sa sœur serait aisé, pareil, à ce qu’elle avait laissé. Et pourtant, l’Avarice l’avait changé. Et ce que la brune admirait lui rappelait sans conteste les défauts les plus ancrés de son frère, Orm. Pas encore, songeait-t-elle, pas cette fois. Et c’est dans cette optique qu’elle travailla plus que de raison pour ramener Mera vers le droit chemin. Elle ne pouvait se permettre d’échouer, pas une fois de plus, pas avec elle. Et tout ceci ouvrit la porte à ses démons refoulés. A tout ce temps duquel elle avait voulu avancer, mais dont ils la traînaient par les pieds pour l’empêcher de remonter. Les mimiques ne l’effraient plus, les mots ne l’atteignent plus, pas alors que leur peuple mérite mieux. Car cette fois-ci, la différence était notoire, la différence résidait dans ses responsabilités à protéger le monde Atlante dans toute son intégrité.

Les explosions fulminent, les épreuves sur Terre IV lui prouvent combien leur réalité n’est pas si terrible. Mais elle veut faire quelque chose Tula. Alors quand les attaques à l’encontre des océans menacent, elle n’hésite pas à remonter à la surface. C’est là, à San Francisco, qu’elle a fit la rencontre de celle qu’elle voit un peu comme elle : Layla. Celle qui défend une cause et lui prouve que tous les humains ne sont pas les mêmes. Toutes les deux s’allient, conjurent leurs forces afin de promouvoir un même message : celui d’une biodiversité sauvée. Elle n’est pas dupe et sait que le chemin sera long et houleux, elle appuie ses convictions en demandant à Mera que cette fille là puisse être le maillon entre eux et les hommes. Emissaire en quelque sorte. Cependant, l’émergence d’un mouvement nouveau revendiquant le nom du Peuple les freine quelque peu. Les menaces changent encore, les identités des héros sont révélées, chose qui engendre une certaine crainte pour Atlantis. Alors, elle compte bien mener à bien sa mission de les protéger du reste du monde. De leur permettre de vivre ce dont à quoi ils aspirent depuis le début : un havre de paix. Aujourd’hui, Tula s’interroge sur l’impact de l’échappée de son frère, Orm, sur les relations entre Mera et Arthur, car elle sait au fond d’elle que les épreuves sont loin d’être terminées.

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