Never release the prey for the shade [Feat. Ted]

« Assise dans le fauteuil en cuir de mon défunt père, j'observe cette femme qui vient de franchir la porte de mon cabinet. La cinquantaine je dirais. Elle est bien habillée mais les détails ont été négligés. Elle veut préserver les apparences mais quelque chose la perturbe. Poches sous les yeux à peine dissimulées, elle a beaucoup pleuré et sait qu'elle recommencera ici. Sa démarche est timide et hésitante, c'est la première fois qu'elle consulte un détective privé. Elle n'a pas beaucoup de moyens mais elle est prête à tout pour ceux qu'elle aime. Elle respire la gentillesse et la bonté. Je lui sourie, histoire de briser la glace et de lui faire comprendre qu'elle est ici au bon endroit. Je me présente, elle me sourie enfin. Je lui propose de s'asseoir, elle n'attend pas pour s’exécuter, elle semble exténuer. Je lui propose un café pour la réchauffer mais elle décline poliment, elle veut surtout parler de son affaire, elle veut de l'aide et le plus vite possible. Je n'insiste pas et sors mon calepin pour prendre des notes. Elle n'est là que depuis quelques minutes et pourtant je me sens déjà impliquée, elle me rappelle vaguement quelqu'un. J'espère pouvoir lui tendre la main qu'elle est venue chercher. Elle s'appelle Angela Myers, elle est bibliothécaire et elle n'a pas vu sa fille unique de vingt deux ans depuis plus de trois jours. Une ex-junkie arrêtée plusieurs fois pour prostitution, aucune preuve que sa vie ne soit en danger, la police a gentiment demandé à sa mère d'attendre qu'elle revienne. Ils ne se décarcassent pas pour une fugueuse instable de vingt deux ans. Mais une mère sait lorsque son enfant est en danger et Angela le ressentait au fond de ses tripes, il était arrivé quelque chose à sa Ashley. Ah ça, si ça avait été une tête couronnée de Star City, tous les effectifs nécessaires, et même plus encore, auraient été déployés. Ça me dégoute. Je lui prends alors les mains, j'essaie de savamment doser entre détermination et empathie, respect et réconfort. Je lui promets que je chercherai sa fille autant de temps qu'il le faudra. Elle fond en larmes mais esquisse tout de même un sourire, furtif, fébrile. Elle m'est reconnaissante de ne pas ignorer son cri de détresse. Diable, combien de portes lui a t-on claqué au nez? Je n'ai pas encore retrouvé sa fille et pourtant elle m'est déjà pleine de gratitude. Je suis émue par cette femme qui place en moi tous ses espoirs. Je suis gênée aussi car l'issue de ce genre d'affaire n'est jamais certaine et je redoute déjà de devoir lui annoncer le pire.

Mais pour l'heure, l'enquête commence à peine. Tous les espoirs sont encore permis et j'essaie de lui insuffler un peu de ma force. Durant plus d'une heure, je la questionne, je veux tout savoir d'Ashley. Son emploi du temps, ses hobbies, son entourage, ses forces, ses faiblesses. Je découvre alors une mère en détresse qui a toujours voulu le meilleur pour sa fille mais qui, à cause de mauvaises rencontres, se l'est vu enlever à de trop nombreuses reprises. Elles étaient fusionnelles mais un évènement tragique a brisé Ashley, elle n'a jamais su remonter le pente. Le lien a été brisé. De fil en aiguille, elle a commencé à emprunter le mauvais chemin, elle a essayé, plusieurs fois, de revenir mais en vain. La femme que j'ai devant moi s'en veut, elle n'a jamais abandonné, elle n'abandonne pas. Elle sait que sa fille peut encore être sauvée mais il faut pour cela lui donner une dernière chance. Mon coeur se sert, l'histoire de ces deux femmes raisonne en moi comme un echo du passé et je ne peux m'empêcher de faire le parallèle, de m'identifier. A une époque, j'aurais pu être Ashley... moi aussi j'aurais pu disparaitre du paysage, aspirée par les dangers qui rôdent autour de ceux que la vie a décidé de mettre à l'épreuve. Ma motivation pour résoudre cette affaire n'en est que décuplée. Je sais que je ne dois pas m'impliquer autant. Je sais que ce n'est jamais bon d'en faire une affaire personnelle mais je sais aussi que dans tous les cas, j'en suis incapable. Chaque affaire me prend aux tripes, chaque victime est importante à mes yeux. Hors de question donc que je refuse ce dossier ou que je le refile à un autre simplement parce que l'histoire me parle. Je retrouverai Ashley. »

Cinq jours plus tard...

« Blüdhaven. Je n'aime pas cette ville. Je n'aime pas cette ville et pourtant je dois m'y rendre. Je m'en serai bien passé mais ma meilleure piste pour retrouver Ashley a tranché. Ce sera Blüdhaven ou ça ne sera pas. Après avoir passé plusieurs jours à trainer dans les coins et recoins que fréquentaient Ashley, je découvre qu'elle a rejoint les mauvaises sphères, qu'elle s'est aventurée dans des contrées bien trop sombres pour ce petit oiseau blessé. Je découvre avec stupeur que ce n'est pas elle qui est venu à Blüdhaven mais Blüdhaven qui est venue à elle. La noirceur de cette cité pervertie s'est invitée dans ma ville, elle est venue débauchée les pauvres âmes égarées de Star City pour étancher sa soif. Personne ne s'en prend aux miens sans en affronter les conséquences. Ma colère monte encore d'un cran quand je découvre qu'Ashley n'est que la partie émergée de l'iceberg. De ville en ville, je fais des rencontres, j'écoute ceux à qui on ne donne jamais la parole, ceux que la plupart préfère ignorer, les gens de la rue. Ils me nourrissent d'informations, les langues se dénouent et le lien entre Ashley et d'autres disparitions se tisse rapidement. Je comprends très vite que les femmes correspondant à son profil sont la cible d'un groupuscule ignoble et lâche. Ils traquent et repèrent les plus démunies, les plus fragiles, des femmes uniquement, bien sûr, ils ont besoin de cela pour se sentir supérieurs. Et quand ils parviennent à les appâter, ils s'enroulent autour d'elles pour les étouffer et les engloutir, ne leur laissant pas la moindre de chance.

Ça tombe bien, c'est exactement ce que j'ai l'intention de faire, ne leur laisser aucune chance. Ils risquent fort de déchanter lorsque leur précieuse proie deviendra le redoutable prédateur. Je me languis déjà. Mais pour parvenir à démanteler une telle organisation, je ne peux agir seule. Un seul nom me vient, un seul homme envahit mes pensées. Je lui donne rendez-vous dans un motel de Bludhäven. Rendez-vous en catimini pour n'éveiller aucun soupçon mais aussi et surtout car l'urgence guette. Nous devons agir au plus vite, cette nuit si le poisson mord à l'hameçon. Je ne sais pas si Ashley est encore en vie, je ne sais pas combien de ces femmes égarées nous pouvons encore sauvé mais plus vite nous partirons en croisade, mieux ce sera. Je tourne en rond dans la chambre délabrée de ce motel de passe, l'odeur et la moiteur des lieux me donnent la nausée. Je suis comme un lion en cage mais je tiens bon car je sais qu'il sera bientôt là, Ted Grant. »