Gotham Death Trip (Constantine, Todd, Grimshaw)

Un autre jour, une autre nuit qui s’annonçait sous les auspices de l’ivresse et de l’oubli pour John Constantine. Une habitude qui avait toujours été tenace chez lui, mais qui s’était transformée en quotidien durant les quelques mois qu’il avait passé avec le reste du monde dans une dimension malade. Son séjour imprévu et forcé en Enfer l’avait forcé à une sobriété qu’il n’avait pas apprécié (entre autres choses qu’il n’avait pas appréciés dans le monde d’en bas, mais il préférait ne pas s’éterniser sur le sujet) ; aussi avait-il mis un point d’honneur à reprendre ses mauvaises habitudes avec plus d’enthousiasme encore une fois que Zatanna et Rosalie l’avaient arraché aux griffes de la horde de démons qui s’acharnaient sur son âme – ou ce qu’il en restait. Il fallait bien ça pour noyer le souvenir au fer rouge de cette insanité – et s’habituer, à nouveau, à la vie normale. Enfin. Aussi normale que la vie pouvait être quand on s’appelait John Constantine.

Une fois recraché de l’Enfer, John s’était échiné à disparaître, s’effaçant totalement du radar de la communauté magique, bien déterminé à ne pas être dérangé pendant qu’il se noyait dans tout ce qu’il pouvait imaginer pour oublier les tortures insoutenables de l’Enfer encore trop fraîches dans sa mémoire – mais dans sa hâte, il avait oublié de se rendre injoignables pour la Ligue des pyjamas rayés. Lorsqu’il avait reçu un appel d’Arthur Curry, il avait craint le pire, et s’était préparé à l’envoyer sur les roses en l’insultant copieusement.

Dieu merci, Arthur avait des idées en tête bien plus plaisantes qu’un nouveau sauvetage du monde. Le monde pouvait bien aller se faire foutre, maintenant : une bonne cuite par contre, ça lui semblait davantage dans ses cordes.

John devait bien l’avouer, il n’aurait pas pensé Arthur Curry le genre d’homme à chercher à se faufiler dans une soirée exclusivement féminine – et surtout une soirée féminine particulièrement osée. Une fois la sécurité passée (il n’avait même pas pensé à mentionner le nom de son hôte – trop habitué à ce que ses talents de persuasion face le boulot à sa place), il avait été happé par les lumières vives et les néons de toutes les couleurs, la moiteur de l’endroit, la musique qui menaçait de faire exploser les hauts parleurs et les cris surexcités qui menaçaient de faire exploser quelques larynx. Avançant lentement entre les groupes qui se bousculaient, les participantes déjà bien imbibées, John arqua un sourcil en absorbant l’atmosphère de l’endroit – pour peu il se serait cru dans une version américaine de Full Monty. Intéressant.

Enfin, il finit par trouver ses deux compagnons de la soirée, Arthur repérable entre mille avec sa carrure de All-Black et la crinière pour aller avec. John les rejoignit avec un sourire amusé sur le visage – qui disparut bien vite lorsque, aouch, l’organisateur de la soirée décida de lui broyer les phalanges. « Arthur, mon vieux, tu ne cesseras jamais de me surprendre. » finit-il par articuler, pour la forme, avant de laisser son regard dériver vers le fameux Jason. Grand, pas aussi large que leur compagnon marin mais solidement bâti, le genre ténébreux. Visage inconnu, mais allez savoir sous quel masque il pouvait bien se cacher, celui-là. Sa curiosité piquée, John tendit la main à sa nouvelle connaissance. « Jason, hein ? J’en déduis que toi aussi tu fais partie du club yoga-spandex-surnoms rigolos ? » demanda-t-il. Alors qu’il lui serrait la main, une voix lointaine résonna du fond de sa mémoire – une prédiction, une prophétie quelconque. Fate. Fate et quelque chose à propos de picoler avec un homme qui parle aux poissons et un type au masque rouge.

Un type au masque rouge.

Naaaaan ?

Nan, décida-t-il de façon totalement arbitraire en sondant le regard clair de Jason Todd. Peut-être. Après tout, le type aux poissons était là, mais donner raison aux prédictions foireuses de Kent Nelson était bien au-dessus de ses forces, merci bien.

John relâcha sa prise et enfouit les mains dans les poches de son manteau, un rictus taquin fleurissant sur ses lèvres après les explications bougonnes d’Aquaman en personne. « Vous tirez de ces têtes. Quoi, c’est pas votre truc finalement les costumes moulants ? Marrant, j’aurais cru. » John s’autorisa un regard alentours relativement appréciateur. Des filles déchaînées, des hommes pratiquement dans le plus simple appareil pas trop mal fichus. Non, lui ne se plaignait pas du cadre. Pas son genre de soirée habituel, mais John mettait un point d’honneur à ne jamais dire non à une occasion de profiter de ce qui lui était offert. Se tournant de nouveau vers ses camarades, il avisa leurs regards mortifiés.

Pour peu, il aurait éclaté de rire. Au lieu de ça, il étouffa son accès d’hilarité et donna une tape compatissante sur l’épaule de l’Atlante. « Allez, t’en fais pas. Je suis sûr qu’à nous trois on trouvera toutes les bonnes adresses de Gotham jusqu’à ce qu’on ne soit plus fichus de mettre un pied devant l’autre. » Déterminé à ouvrir les festivités, John se faufila entre les deux géants qui lui tenaient compagnie et ouvrit la voie vers le bar, trouvant un point d’accès entre deux groupes (deux enterrements de vie de jeune fille différents) et fit un geste pour attirer l’attention du barman, à peu près aussi dénudé que le reste du staff. Si celui-ci fut surpris de compter trois hommes dans sa clientèle, il n’en montra rien. « Trois brunes, beau gosse. La plus forte – je crois que mes copains vont en avoir besoin. » Un clin d’œil à l’adresse du barman accompagna sa commande, et un autre lui fut offert en retour. Qu’il était bon de voir que son séjour en Enfer ne lui avait pas tout pris.

Rapidement, les trois pintes furent disposées sur le bar, et John en tendit une à Arthur, une à Jason, avant de lever la sienne. « Messieurs. Que la nuit soit prospère, et qu’elle marque le début d’une longue et terrible amitié. »

Après l'effort, le réconfort. Combien de soirées as-tu passé chez Joe, une pinte entre les doigts, toujours prompt à déclencher une rixe salvatrice. Toute cette colère qui bouillonnait en toi, cette violence qu'il te fallait laisser exprimer, et qui aujourd'hui semble s'être apaisée. Dans la normalité d'une vie rêvée, tu as gardé les pintes, mais laissé sur les bas côtés les bagarres au petit matin. Les mains dans les poches de ta – presque – célèbre veste en cuir, tu te rends au lieu de rendez-vous donné par Arthur. Après ce bordel sans nom que vous avez vécu ces derniers mois, tu as tout de suite accepté sa proposition d'aller fêter cette victoire. Même si tu n'es pas certain de comment les choses sont rentrées dans l'ordre, te réveillant comme par enchantement aux côtés de Diana à Themyscira, tu serais plus qu'heureux de passer du temps avec un homme que tu considères aujourd'hui comme un ami – et ils sont rares. L'alcool, peut-être en a t-il besoin plus que toi, après avoir vu son propre peuple décimer l'humanité sous un excès de rage. Si les Atlantes ont parfois été la risée du monde, plus assimilés à des homme-poissons qu'à de véritables guerriers, désormais, t'es prêt à parier que ce n'est plus le cas. Arthur et son peuple sont des précieux alliés, et t'aimerais qu'il en reste ainsi dans votre univers, pour avoir constaté de tes propres yeux de quoi ils étaient capables. De l'extérieur, le bar a l'air tout ce qu'il y a de plus banal. Un néon qui scintille, des fumeurs attroupés au devant – bon sang, parfois ça te manque une bonne cigarette – et les basses qui font déjà vibrer tes tympans. Le seul détail qui t'interpelle, c'est cette forte, très forte dominance de femmes. Et ces cris stridents que tu entends alors que tu pénètres à l'intérieur t'inspire méfiance et scepticisme.  

C'est quand ton entrée se fait sur 'Man I feel like a woman' de Shania Twain que tu comprends qu'il y a probablement eu une erreur. Tu jettes un œil au sms envoyé par Arthur avec l'adresse donnée, et pas de doute, tu es malheureusement au bon endroit. Alors qu'est-ce qui s'est passé ? A quel moment les événements sont devenus incontrôlables ? Pourquoi des femmes déguisées en lapin de Playbloy te jettent des regards appuyés, pourquoi des hommes dénudés se trémoussent sur une scène où pleuvent les billets ? Tu te frayes un chemin à travers la faune, et quand ton regard croise enfin celui d'Arthur, ton soulagement est perceptible. Vous êtes visiblement les deux seuls hommes encore habillés de la soirée. Après son étreinte musclée, tu lui adresses un sourire amicale bien qu'un peu confus, par cette ambiance particulière. Ton attention se porte ensuite sur le troisième partenaire, que tu ne te souviens pas avoir déjà rencontré. « Enchanté, John. » Son allure ne t'est pas inconnue, mais impossible de te souvenir à qui il te fait penser. Ce blond presque platine n'est pourtant pas monnaie courante. Si toi tu fais aussi partie du club spandex ? Tu lui souris, il ne pourrait pas plus se tromper. Bon, oui, tu participes à certaines missions en commun avec les héros du pays, mais disons que tes méthodes sont plus... radicales. Et elles ne conviennent pas au club qu'il vient te décrire. « Pas vraiment. J'ai mon propre club. » Tu restes vague, assez pour le satisfaire, mais pas trop pour attiser sa curiosité. Enfin, tu crois.

Tu fais de ton mieux pour rester concentré sur tes camarades, mais vraiment, c'est difficile. Pourquoi cette femme twerk en costume de Wonder Woman ? « Un verre, pas plus. » Au-delà, tu n'es pas certain de le supporter. Pendant que John s'occupe des bières, tu accompagnes Arthur jusqu'au bar, tout en cherchant un angle qui ne t'imposerait pas les divertissements plein de testostérone de la soirée. Pinte enfin en main, tu lèves ton verre vers tes partenaires, le premier, mais certainement pas le dernier. « Si tout va crescendo, on devrait passer une nuit animée. A nous, et à cette bonne vieille normalité. » Tu trinques avec eux, avant de porter le délicieux breuvage à tes lèvres. Quelques gorgées, pas plus, avant qu'un attroupement de femmes en plein enterrement de vie de jeune fille ne s'approche de vous, probablement attiré par votre singularité dans cette soirée spéciale. « Hééééé les garçons, vous voulez jouer ? » Tu te tournes vers celle qui s'est adressée à vous, un petit cerceau entre les doigts, et... un chapeau en forme de pénis géant. « Si vous arrivez à passer le cerceau autour de mon chapeau, vous aurez le droit d'écrire votre nom sur la poitrine de Shirley. » Shirley, la future mariée, donc. Tu te racles la gorge, ne sachant quoi répondre, avant de lancer un regard à la fois dubitatif et amusé à Arthur et John. « Alors, qui veut tester son agilité avant qu'on ne puisse plus le faire ? » A la première bière, tout est encore possible. C'est à partir de la cinquième que les choses risquent de se compliquer.

AVENGEDINCHAINS

A peine avaient-ils eu le temps de boire leur première gorgée (deux ou trois pour John, qui blâmait son débit plus rapide que de nature sur un patrimoine génétique et national qui exigeait de lui qu’il sombre un jour ou l’autre dans l’alcoolisme comme une fatalité contre laquelle il ne pouvait rien et qui excusait tout) que leur petite troupe se fit aborder par une autre petite troupe, pas plus nombreuse, mais plus féminine, et nettement plus désinhibée qu’ils ne l’étaient même collectivement. Un des fameux enterrements de vie de jeune fille qui semblaient constituer la principale clientèle de la soirée au point que John commençait à se demander si l‘endroit n’avait pas été réservé spécialement à cet effet dans un effort commun de réunir ce genre de fête dans un seul créneau horaire. Quoi qu’il en soit, John n’eut guère le temps de s’attarder sur ces considérations commerciale et managériales : les trois jeunes femmes ayant visiblement décidé d’alpaguer les trois seuls hommes de la soirée pour les entraîner dans leurs jeux ô combien dangereux. Des trois garçons, John avait bien l’air d’être le seul à ricaner face à ce drôle de spectacle. Les chapeaux au goût particulièrement douteux n’étaient même pas le plus à pleurer dans l’affaire. Sortant une cigarette de la poche de son manteau pour la coincer derrière son oreille, John descendit quelques gorgées de bière de plus en admirant les têtes déconfites de ses petits camarades (chacun d’entre eux faisant au moins une tête de plus que lui) – avant de se voir refiler une paire de maracas pendant qu’Arthur se faisait kidnapper de façon bien cavalière.

Bien entendu, John ne chercha même pas à étouffer son rire. « Dis donc mon grand, ton téléphone a une caméra, à tout hasard ? » demanda-t-il en se penchant vers Jason et son cerceau avec une lueur facétieuse dans le regard. Il était sûr que la reine des Atlantes adorerait voir son mari profiter de ce que l’humanité avait de plus sophistiqué à offrir comme divertissement.

Et visiblement, le pauvre Arthur n’allait pas être le seul à profiter de ce traitement de faveur particulièrement festif : à peine leur pote eut-il finit de passer sous la barre miraculeusement sans se briser la colonne vertébrale ou une couture de jean, que ce fut au tour du brave Jason et de son cerceau de se voir sauvagement kidnappé et entraîné vers la barre impitoyable – John plutôt satisfait de son propre sort (les maracas ayant miraculeusement disparu dans les poches du manteau d’une autre cliente qui passait par là) comptait bien profiter du spectacle tout en savourant sa bière.

C’était sans compter Arthur dont les plans sauvetage n’incluaient visiblement pas tout le monde et incluaient au moins un sacrifice. Un événement un peu trop répétitif au goût de John, ces derniers temps. Brutalement arraché à son cher comptoir par une main deux fois plus forte que lui, John se vit pousser sans ménagement dans les griffes des harpies et offrit à Arthur un regard aussi outré que trahi alors que les mains des jeunes femmes se refermaient sur lui (si elles étaient déçues de voir leur cible initiale leur échapper, elles n’en montraient pas grand-chose). « Hey ! » s’exclama-t-il, fusillant Arthur du regard alors qu’il lui marmonnait ses consignes. Foutu homme-poisson. Hélas, avant qu’il n’ait le temps de dire au colosse aquatique ses quatre vérités, c’était à lui de se faire entraîner de force vers la barre beaucoup trop basse pour espérer passer dessous – John n’avait jamais été un modèle de souplesse, et il ne tenait vraiment pas à se luxer le dos ce soir.

Comme l’avait suggéré Arthur, il était temps de passer au plan B. La vengeance pouvait attendre. Improvise, Constantine.

« Ladies ! » s’exclama-t-il sans plus prêter attention aux deux lâches patentés qui lui servaient de compagnons de beuverie. Adroitement, il échappa à leur emprise et se retourna, un sourire charmeur suspendu aux lèvres alors qu’elles l’observaient avec avidité dans l’attente de leur divertissement. « Et si je vous proposais plutôt… un tour de magie ? »

Avant que quiconque n’ait le temps de protester ou de manifester son enthousiasme, John fit volte-face pour se retrouver face à la barre, main tendue devant lui alors qu’il récitait un sort de transmutation. Aussitôt, la barre tenue par deux jeunes femmes tout aussi ivres que les autres se transforma en un long ruban de gymnastique d’un rose aussi éclatant que la robe de la fameuse Shirley… qui poussa une exclamation stridente d’excitation mêlée d’un drôle de sanglot. « J’adore la gymnastique ! Je fais du ruban depuis mes six ans… comment tu savais… ? » demanda-t-elle, hagarde, en se tournant vers John. « Je te l’ai dit, chérie. Magie. » répliqua-t-il avec un air de conspirateur. Profitant de l’émerveillement général, il coula un regard en douce à ses deux comparses, leur intima d’un geste vif de la main de commencer à déguerpir avant qu’elles ne leur prêtent à nouveau attention. « Fais-nous un autre tour ! » s’écria Shirley alors que sa copine s’accrochait au bras de John comme un poids mort – ok, ça, ça n’était pas prévu. « Aha, mais tout pour faire plaisir à la mariée, ché - »

Avant qu’il n’ait pu finir sa phrase, une Shirley décidément très ivre et encore émue par son rappel de sa passion d’enfance décida de le remercier de sa sollicitude d’un baiser particulièrement agressif qui manqua à moitié sa bouche (une nuance que le futur marié apprécierait sans doute). Heureusement, John réussit à s’esquiver après une brève seconde d’ahurissement, dès le moment où il sentit des mains étrangères et indésirables entamer les boutons de sa chemise, et décida d’enclencher le plan urgence. « Attends attends, tu me remercieras après le show. J’espère que t’aimes les feux d’artifice, ma jolie. » Sans attendre sa réponse, il frotta ses mains l’une contre l’autre, générant des étincelles d’énergie magique, souffla dessus, et les ouvrit d’un seul coup en récitant mentalement une nouvelle formule.

Instantanément, des feux d’artifice s’échappèrent de ses mains, fusant dans l’air avec un sifflement aigu sous les cris étonnés ou surpris et les hourras de la foule (et les apostrophes de la sécurité qui n’avait pas du tout l’air d’apprécier la plaisanterie). Profitant de l’agitation générale, John s’esquiva, cravate défaite et trenchcoat désordonné, rejoignant Arthur et Jason en un temps record qui aurait pu le faire passer pour Barry Allen avant de les attraper sans ménagement par le bras pour les tirer vers la sortie. « C’est maintenant ou jamais. Let’s go. »

Derrière eux, un ‘pang !’ sonore le fit sursauter et se retourner. Oups. La sono avait pris feu sous les retombées d’étincelles. « … ça faisait pas partie du plan. Dépêchez-vous, bon sang ! »

Mayday, Mayday. Perte de contrôle sur la situation imminente. Combattre le Syndicat du crime, aucun problème. Survivre à la colère d'Hera, pas de problème. Mais subir les ardeurs d'une bande de femmes euphorisées par un enterrement de vie de jeune fille, tu n'es pas certain de t'en sortir indemne. Pourtant, tout a été enclenché à tes propres mots, ta naïve acceptation de participer à leur premier jeu. Si tu savais ce que ça allait engendrer, tu n'aurais rien fait. Tu te serais contenté de boire ta bière, tranquillement, en compagnie d'Arthur et de ton nouvel ami, avant de migrer vers un endroit plus adéquate. Mais il est trop tard, et après le fiasco du paradoxe, tu n'as aucune envie de revenir en arrière. Décolleté plongeant plein la vue, tu détournes rapidement le regard, gêné qu'une inconnue se dévoile ainsi à toi. Tu penses fort à Diana, qui aurait été à la fois amusée et agacée par tant d'impudeur. Tout ça, c'est encore nouveau pour toi. A l'inverse de Bruce, tu n'as jamais participé à de soirées mondaines, où l'alcool et la luxure étaient maitres mots. Non, avant de rencontrer celle qui est aujourd'hui ta femme, tu étais un solitaire peu sociable, préférant boire un verre seul que de devoir entamer la discussion avec une inconnue. Avoir des amis, sortir accompagné dans des bars, c'est presque une première. Te retrouver au milieu d'une horde d'hormones, réellement une. Le premier homme à tomber sur le champ de bataille fut Arthur, emporté par plus fort que lui. Et alors que tu étais sur le point de tirer ton camarade de leurs griffes manucurées, tu réalises que tu tiens encore le cerveau du diable entre tes doigts. Poitrine exhibée, elle semblait désespérément attendre ta réussite. Tu ne lui feras, bien évidemment, pas ce plaisir. Faussement concentré, tu vises le chapeau en forme de pénis de sa copine, et rate lamentablement la cible. Oups. Quel dommage. Haussement d'épaules, faux sourire navré, tu te régales de leur mine déconfite. « Désolé les filles, il semblerait que l'alcool altère mes réflexes. » Maintenant, il faut sauver le soldat Arthur.

Jouer les fourbes, ou les hommes d'honneur ? Tu l'admets, à l'idée de John de filmer la scène, tu as hésité quelques secondes. Le roi d'Atlantis en pleine séance de limbo, combien se damnerait pour voir ça ? Tu réfléchis, ton regard alterne entre John et Arthur. La raison ou l'attrait du gros dossier ? Et puis, soudainement, comme un diable qui sort de sa boite, l'image de Mera se dessine sous tes iris ambrées. Non. Ne surtout pas filmer. Sinon c'est non seulement Arthur qui subira son courroux, mais également ceux qui auront osé appuyer sur le bouton rec. « On voit que t'as jamais rencontré sa femme. Si je fais ça, on y passe tous. » Tu tapes amicalement sur l'épaule de John – même s'il ne mesure sans doute pas l'ampleur du service que tu viens de lui rendre – avant d'être happé à ton tour par la horde. Oh non, tu vas réellement devoir y passer aussi ? « Bordel de merde. » Voilà tout ce que ça t'inspire. Et sans l'aide héroïque d'Arthur – qui d'autre qu'un véritable héros pour s'opposer aux envies de femmes déchainées – sans doute aurais-tu eu réellement à subir le même sort. Soulagé, ta respiration reprend peu à peu un rythme normal, et c'est vrai, tu n'as que bien peu de compassion pour ce pauvre John, jeté dans la fosse aux lions. Il faut bien que l'un d'entre vous se sacrifie pour la bonne cause ! Normal que ce soit celui dont la femme ne lui bottera pas les fesses. « T'es un vrai pote. » Pour noyer ce traumatisme, tu vides ta bière d'une seule traite. Et en l'honneur de John pour cette magnifique diversion.

Le signal a été donné, il est temps de se barrer. Arthur et toi fuyez à travers la foule, cherchant un chemin libre d'accès parmi toute cette faune déchainée. Mais pris de remord, tu jettes quand même un œil en arrière, pour t'assurer que John n'est pas en – trop – grande difficulté. Et ce que tu vois est pour le moins... déroutant. « Putain, je crois que John est en train de se faire dévorer. » Oubliez les zombies, il y a encore pire qu'une horde de mort-vivants affamée, il y a les cagoles ! Par chance, la victime parvient à s'échapper et à vous rejoindre rapidement. Tous les trois, vous courrez alors vers votre destinée, laissant presque la salle prendre feu. Au moins, elles s'en souviendront de cet enterrement de vie de jeunes filles. Pris de frénésie, ou de peur d'être poursuivis, vous ne cessez votre course qu'au prochain bar qui croise votre route. Et sans réfléchir une seule seconde, vous vous engouffrez à l'intérieur. A trois à essayer de passer en même temps par la porte, tu manques de perdre l'équilibre avant de te rattraper sur le bord d'une table de billard. « Tout va bien. On va bien. Elles n'ont pas pu nous suivre. » C'est seulement quand tu relèves la tête que tu découvres votre nouveau qg. Un bar rempli de gros balourd à la barbe presque aussi touffue que celle d'Arthur. Tous vous regarde d'un air confus et menaçant. Bon, au moins, c'est mieux que la soirée fille. « On sert pas les gonzesses ici. » Un rire gras raisonne dans la salle, rapidement suivi par une dizaine d'autres. Piqué au vif, tu répliques aussitôt à l'impoli : « Pourtant t'es bien en train de boire une bière toi. » Des comme ça, t'en as beaucoup connu lors de tes virées en solitaire dans les bars de Gotham. Grande gueule avec ses potes, mais caniche de mamie tout seul. Ils cherchent la bagarre pour divertir leur misérable vie. Sans doute ne sont-ils pas tous comme ça, mais tu as depuis longtemps perdu patience avec ce genre d'énergumènes. «  J'ai raté la pancarte 'gros beaufs only' devant la porte ? » C'est ce qu'on appelle jeter de l'huile sur le feu. Heureusement, t'as un bon back-up. Enfin, normalement.

AVENGEDINCHAINS

Enfin un endroit qui ressemblait plus à son élément. Historiquement, bikers et punks avaient plus eu une fâcheuse tendance à se taper les uns sur les autres, selon leurs orientations politiques et idéologiques – une erreur bien regrettable selon Constantine, pour deux groupes dont l’amour du cuir, de l’alcool, et de l’anti-establishment auraient dû être des facteurs de réconciliation plutôt que de séparation. Enfin : ses jours punks étaient loin derrière lui, et faut de dégotter un véritable pub anglais digne de ce nom à Gotham, un bar saturé de fumée de cigarette, relents d’alcools, et grands types baraqués prêts à casser la tête du premier venu lui convenait à merveille.

A en juger par la répartie de Jason, il n’était pas le seul à se sentir à son aise dans cette atmosphère excessivement macho. Petite provocation qui lui arracha un sourire en coin – décidément, il lui plaisait ce type – juste avant que la fête ne commence. L’explosion de verre juste derrière lui lui fit faire volte-face juste à temps pour apercevoir un type armé d’un couteau s’écrouler lamentablement à terre, mis hors-jeu par un autre type – gigantesque, de long en large et en travers, d’une barbe broussailleuse, et tout l’air du gars sorti tout droit d’un film de Tarantino pour taper d’abord et poser les questions ensuite.

Evidemment, les autres clients du bar n’allaient certainement pas en rester là. Le sang appelle le sang, et dans ce genre d’endroit, il aurait presque été impoli de ne pas se joindre au bordel général, même sans savoir sur qui on cognait et pourquoi. Les rugissements retentirent, couvrant AC/DC qui jouait en fond sonore dans les haut-parleurs, et le vacarme des chaises tombant à la renverse sonna le gong de la bagarre générale dans laquelle cette soirée n’aurait sans doute pas été une vraie soirée entre mecs, pas vrai ?

Attrapant du coin de l’œil un grand baraqué chargeant sur lui, John obéit à son instinct et se baissa pour éviter le bolide qui lui fonçait dessus – faisant un pas de côté pour se mettre hors de son chemin et attendre qu’il l’ait loupé pour lui décocher un rude coup de pied dans les reins et l’envoyer valdinguer dans une table qui s’écroula sous son poids. Pas le temps de faire de trait d’esprit : un autre biker, un rouquin, était déjà sur lui et l’agrippait par le col de son imperméable – un crime qu’il paya d’un coup de genou particulièrement violent à l’entrejambe. L’homme se courba en deux, souffle coupé, en laissant échapper une bordée de jurons ; et John profita de la distraction pour l’achever d’un uppercut bien calculé à la mâchoire.

« Va te faire foutre, branleur. » cracha John à son adresse, avant de se retourner pour contempler le spectacle offert à ses yeux. Le chaos à l’état pur : et au moins deux superhéros et un géant mettant une raclée à de pauvres types qui avaient mal évalué à qui ils s’attaquaient. Pour être honnête, John avait parfaitement conscience de faire tâche dans leur petite équipe : un vrai gringalet coincé entre un demi-Atlante, un vigilante surentraîné, et une montagne humaine. C’en était presque risible.

Heureusement, si Constantine avait peut-être des lacunes en arts martiaux, il avait l’expérience d’années de fréquentation de pubs et une hargne légendaire pour compenser son absence de muscles bien définis. Ca, et un sacré crochet du droit.

« J’en sais rien, Curry, mais franchement ? » Bam, un autre coup de poing bien placé, un craquement de nez sous ses phalanges. Pourquoi s’embêter à utiliser la magie quand la brutalité bête et méchante marchait aussi bien ? « Je commence à me dire que Jason avait raison. Rien qu’un bar à gonzesses, par des gonzesses, pour des gonzesses. Et prépubères, en plus. » Erreur de débutant. Le propriétaire du bar, apparemment furieux de voir son respectable établissement sous le feu de la critique, apparut derrière lui et l’attrapa par les épaules pour le forcer à lui faire face. Avant que John n’ait le temps de réagir, un coup de poing au visage l’envoya valser contre le bar, son dos entrant brutalement en contact avec le bois et le choc entraînant la chute de verres et de bouteilles qui virent s’écraser avec fracas sur le sol. « Aow… » gémit-il, sentant déjà la douleur lui brûler la mâchoire et l’arrière du crâne.

Comme ça, c’était plus facile de taper sur les gringalets, hein ?

Dommage pour lui, le gringalet avait accumulé quelques mois d’agressivité en Enfer qui ne demandaient qu’à s’exprimer. Et quand on en venait à la bagarre, John Constantine avait pour principe et habitude de la jouer sale. Gosse des rues de Liverpool, punk en galère, et cible générale de l’animosité d’autrui : chez lui, on se battait pour survivre et s’assurer que le reste du monde ait trop peur pour tenter sa chance. Vivement, il attrapa un culot de bouteille éclaté et se remit sur ses jambes juste à temps pour laisser une large balafre sanguinolente sur son assaillant, qu’il repoussa ensuite en direction d’Arthur : « Arrête de bavasser et finis-le moi ! » Ils avaient un Atlante avec eux, qu’il se rende utile au lieu de parler à une bouteille, nom de Dieu.

Entre les efforts de John, d’Arthur, ceux de Jason, et ceux du nouveau venu, le bar n’était quasiment plus qu’un vaste champ de bataille couvert de soldats tombés au combat. Pour faire bonne mesure, John décida de voler un dernier coup d’éclat sous le nez de Jason – attrapant une chaise par les jambes, il l’asséna brutalement sur la tête d’un Marilyn Manson mal ficelé qui arrivait dans le dos de son partenaire, avant de l’agripper par son blouson en faux cuir et lui coller une droite dans le nez. Le pauvre garçon s’écroula par terre sans demander son reste. John, le souffle court (décidément, il n’était vraiment pas fait pour l’exercice), contempla son œuvre et releva les yeux vers Jason avant de rouler des orbites d’un air exaspéré. « Je sais que t’avais pas besoin d’aide, mais ça défoule. Pas de jugement. » Surtout quand John sentait encore sa pommette virer lentement mais sûrement au bleu. La curiosité brillant au fond de ses yeux insolents, il détailla l’ami d’Arthur du regard. « Tu sais mon vieux, la dernière fois que j’ai vu ces mouvements, je crois que Batman était en train de filer une rouste à un paradémon. Et que j’étais le prochain sur la liste. » Avec un clin d’œil, il lui donna une tape amicale sur l’épaule, avant de se tourner vers leur nouveau compagnon. « Et lui ? Pote à toi, ou sauveur providentiel ? »

Dans quoi tu viens de tous vous embarquer ? Bribes du passé où tu pouvais rapidement devenir l’élément perturbateur d'une soirée paisible. Par simple provocation, ou par besoin de protéger l'honneur et la vertu de ton épouse. Qu'importe la raison, tout se terminait toujours avec un tas de corps au sol, baignants dans le sang, la sueur et l'alcool. Le tien n'en faisait bien évidemment pas parti. Mais ces soirées de bagarres, à laisser ta colère s'exprimer, elles sont révolues depuis que ta vie a changé. Ta répartie est arrogante, provocante, mais en vérité, tu espères ne pas être trop rouillé. Pourvu que ce soit comme le vélo, que cela ne s'oublie pas. C'est une chose de frapper pour tuer, s'en est une autre de frapper en essayant de ne pas le faire. Et tu n'es pas de ceux qui ont une totale maitrise d'eux-mêmes. A l'image de... de cet homme bien en chair qui vient d'exploser une bouteille sur le nez de ton adversaire, t'épargnant ainsi une sournoise attaque au couteau. Tu hausses les épaules à la proposition de votre nouvel ami, plutôt emballé par l'idée. De toute évidence, il est maintenant trop tard pour fuir, il vous faut assumer les conséquences de vos – enfin, de tes – actes. Et à choisir, tu préfères encore te battre contre un groupe de bikers que de subir les assauts libidineux de femmes trop alcoolisées. Si Diana te voyait, tu sais qu'elle n'approuverait pas ton comportement. Et quelque part, tu n'as pas particulièrement envie non plus de repartir dans ces travers. Mais c'est une soirée, une seule soirée de relâche, où tout est permis, après avoir souffert pendant des mois dans l'autre univers. Chacun sa façon de gérer la crise du retour, toi c'est en te défoulant sur une bande de beaufs aux gestes approximatifs. Cette parenthèse n'est-elle pas méritée ? Ce n'est pas plus que ce que tu as déjà fait par le passé. Et tu ne franchiras aucune limite ce soir, par crainte de dormir sur le canapé cette nuit. Enfin, pas de trop grosses limites.

Tu n'es pas certain que la Ligue appréciera la une de tous les journaux de demain : 'Aquaman sème la zizanie dans un bar de Gotham'. Mais, bon, ce qui est fait et fait, et à voir Arthur ainsi se déchainer, il semblerait que lui aussi ait besoin d'exorciser quelques maux. Il est même plutôt à l'aise au combat, n'éprouvant aucun regret à remettre à pleur place – sauvagement – la bande de bourrins. Toi, tu dirais presque que tu t'ennuies. Est-ce l'alcool qui coule dans leur sang et altère leurs réflexes ? Est-ce leurs techniques désuètes ? A moins que ce ne soit l'habitude des plus gros challenges ? Tu ne saurais dire pourquoi, mais tu ne prends presque aucun plaisir à écraser tes poings contre leur nez. « Non, Arthur, elle ne m'a pas raconté. » Mais nul doute que votre ami Constantine sera ravi d'apprendre pourquoi Diana Prince, alias Wonder Woman, aurait dû raconter cette histoire à un ptit gars de Gotham. S'il avait des doutes sur ton identité, et bien, désormais il vient d'obtenir un nouvel indice. Question qui trouble ton attention, et qui t'oblige à subir la contre-attaque bien placée de ton adversaire. Ta tête frappe le jeu de fléchettes, le faisant tomber au sol dans un bruit étouffé par le bordel ambiant. Parfait timing pour les récupérer et les planter dans la jambe du gros balourd en guise de riposte. Celui que tu balances par-dessus le bar n'aura lui pas eu la chance de te toucher. En revanche, le gringalet à la barbe grisonnante du fond, qui tremble en essayant de mettre des balles dans son revolver, il ne vaut mieux pas qu'il retrouve ses esprits. « C'est pas un combat à la loyal ça, mon pote. » Tu saisis une chaise, une rare rescapée du carnage, et l'envoie voler en direction de l'homme armée. Bim. Il s'écroule aussi lamentablement qu'une quille qui viendrait de se faire rentrer dedans par une boule de bowling. Plaisir personnel qui aurait pu te coûter cher, si John n'avait pas éclaté la tête du dernier homme debout. « Merci, mec. » Tu tapotes son épaule en guise de remerciement. Tout ça, c'est un travail d'équipe. Et quel travail d'équipe !

Quand le calme revient, de temps en temps brisé par quelques gémissements de douleur, ta tourne tourne un peu. Il y a du sang sur tes vêtements, et tu ne sais plus très bien à qui il appartient. A l'un d'entre eux, ou est-ce le tien ? La seule blessure visible que tu arbores – et sans nul doute que dès demain quelques bleus apparaitront sur ta chair – c'est ton arcade abîmée. L'oeil observateur de John étant ce qu'il est, tu ne peux que t'avouer vaincu face à cette curiosité. Après une profonde inspiration, un peu essoufflé par le combat, tu réponds : « Sauveur providentiel. » De ceux déjà présents dans le bar, l'homme qui vous a aidé est le seul qui reste debout. « Merci pour ton aide. Je m'appelle Jason. Voici John, et le grand gaillard c'est Arthur. » Présentations faites, tu ne perds pas de temps à la discussion, et écrasant quelques mains qui trainent au passage, tu te diriges vers le bar. « Je pars pas d'ici sans avoir bu une bière. Ou cette fameuse bouteille que tu nous as promise. » Tu essuies ton arcade avec une serviette qui trainait derrière le bar, et sers toi-même le verre de tes camarades. « Cette première tournée est pour moi. » Tu es peut-être un fouteur de merde, un sale petit con arrogant, mais tu n'es pas un voleur. Alors c'est en contraste avec tout ce qui vient de se passer que tu déposes un billet de vingt dollars sur le comptoir. Le barman est k.o, mais il verra qu'au moins vous avez été réglo. « Et John, mon ami, si tu as eu l'impression de voir Batman ce soir, c'est parce que j'ai été Robin. » Tu ignores si tu dois te sentir flatté d'être comparé à lui, ou vexé d'être réduit à ces simples mouvements. Depuis tout ce temps, tu en as fait du chemin. Mais là tout de suite, tu préfères le prendre comme un compliment. Et après cette révélation, tu bois la moitié de ton verre d'une traite.

AVENGEDINCHAINS

John arqua un sourcil, et sourit de ce sourire en coin de conspirateur en observant attentivement Jason et sa dégaine de bad boy gothamite – voilà qui commençait à avoir du sens, maintenant. S’il n’ajouta pas un mot sur ce sujet, réalisant bien que ce n’était ni le moment ni l’endroit, il rangea soigneusement l’information dans un coin de son cerveau, des images lointaines d’une escapade en Islande lui revenant encore une fois en mémoire. Qui l’eut cru. Au milieu de toutes les prédictions loufoques et carrément insensées qu’il avait pu leur déblatérer, Fate avait touché juste au moins une fois. Peut-être que John devrait remercier les dieux qu’il ait eu raison sur l’identité de ses camarades de boisson, plutôt que sur sa mort (encore que, il avait eu à moitié raison sur celle-là) ou son supposé mariage avec Zatanna.

Le regard de John quitta Jason pour se reporter sur leur nouveau camarade – qui avait le bon goût de rire à ses plaisanteries. Inconnu au bataillon (et il songeait qu’une carrure pareille, ça ne s’oubliait pas), mais quelque chose émanait de lui qu’il n’arrivait pas à situer. Pour un peu, il se serait laissé aller à farfouiller un peu dans son esprit, juste histoire d’être sûr. On n’était jamais trop prudent. Mais ce Dutch Grimshaw ne respirait pas exactement les ondes maléfiques de ses démons habituels. C’était même plutôt le contraire, maintenant qu’il faisait un peu plus attention. Une autre information que John rangea dans un coin de son esprit, se promettant de regarder ça de plus près à l’occasion.

En attendant, ils avaient des verres à vider, et un nouveau bar à trouver. La grimace impayable d’Arthur après sa descente lui arracha un ricanement. « Je croyais qu’un demi-atlante de ta carrure, ça pouvait tout supporter. » lui lança-t-il, narquois, en ignorant royalement son avertissement silencieux. John Constantine avait infligé à son pauvre corps un nombre incalculable de substances qui, il en était sûr, étaient bien pires qu’un pauvre alcool fort. Fastoche. Sûr de lui, il attrapa son verre et le vida d’une traite.

Et songea que si l’enfer était pavé de bonnes intentions, il était aussi pavé de regrets, et qu’il venait d’ajouter un nouveau regret à sa déjà très longue liste. Holy shit, ça brûlait. Enfin, ça brûlait. John n’était pas totalement sûr. Soit sa gorge était en feu, soit elle était en train de se dissoudre. Ou les deux. Une quinte de toux manqua de peu de lui faire recracher ses poumons, et il s’éloigna, le front en sueur, en dédiant un bref regard à Jason. « Bon courage. » articula-t-il dans un râle, avant de suivre les deux géants déjà sortis en direction de leur nouvelle destination, laissant derrière eux le désastre d’un bar ravagé comme s’il ne s’était rien passé.

Le bar suivant s’était avéré plus convivial, et tellement américain que John n’aurait même pas été surpris de croiser le fantôme de John Wayne en allant passer commande. Et surtout, la clientèle y semblait bien plus amicale qu’au bar à bikers, à en juger par le simple constat qu’ils avaient pu y passer plus d’une demi-heure sans avoir à négocier avec les poings pour une pinte. Avachi sur sa chaise dans une pose pour laquelle sa vieille tante lui aurait sûrement mis une claque derrière la tête, un bras reposant sur le dossier, il jouait avec un paquet de cartes abandonné trouvé à leur table, écoutant d’une oreille semi-distraite la confession d’Arthur – et tout à fait distraite quand le patron eut le bon goût d’allumer la cigarette qui pendait au coin de ses lèvres.

« Amen, Arthur. » marmonna-t-il avec un rictus en suivant le patron du regard alors qu’il s’éloignait – père de famille, trois gosses, pas toujours très fidèle mais qui revenait invariablement vers sa femme, amateur d’ébénisterie et de pêche. Sans piper un mot à ses camarades, John laissa les souvenirs d’un autre se mélanger aux volutes de fumée qui s’échappaient de sa cigarette. L’indiscrétion était presque inséparable de la magie, après tout. « C’est le prix à payer pour avoir rejoint la Ligue des collants, mon vieux. Superhéros ou pas, dès que tu fais partie d’un groupe, fini la tranquillité. On te parle de travail d’équipe, de devoir, de mission, de camaraderie, de loyauté et toutes ces âneries bêtes à pleurer. » Il souffla de nouvelles volutes de fumée, dans lesquelles il pouvait presque voir se dessiner les silhouettes de ses camarades d’une certaine ligue des ténèbres dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis un moment. Bah, rien à cirer. Après tout, dans cette bande de joyeux lurons, une seule s’était bougée pour le sortir des enfers. Agacé par la direction que prenait son propre esprit, il fit claquer sa langue et se redressa sur sa chaise, sortit les cartes du paquet abandonné, et en extirpa la première, s’amusant distraitement à la faire apparaître et disparaître de la paume de sa main. Déformation professionnelle. « Dans toute profession, y a rien de mieux que le freelance. Je vois pas pourquoi les superhéros seraient différents du reste. » Sans se départir de son sourire en coin, il marqua une pause, tout en transformant un as de pique en reine de cœur au creux de sa main. « Enfin. Qu’est-ce que j’en sais, je fais pas partie du club. Quoi qu’il en soit, je soutiens le discours du grand gaillard. »

Se saisissant de sa pinte à moitié vide, John dédia un regard à Arthur, à Jason, et à Dutch. « Ca faisait un bail que je n’avais pas bu en si bonne compagnie. Ou en bonne compagnie tout court. A la vôtre – et si un de ces quatre vous avez des ennuis avec des fantômes ou des démons ou des esprits malveillants, hésitez pas. D’ailleurs, fais gaffe Dutch – j’ai entendu parler d’un poltergeist en liberté à Gotham, avec une fâcheuse tendance à s’en prendre à tout ce qui est mécanique. Juste un avertissement, si jamais tes motos se mettent inexplicablement à essayer d’avoir ta peau. » Puis il pointa un doigt professoral vers l’ex-Robin. « Toi aussi, Jason, t’es local, tu peux jamais être trop prudent. »

C'est sceptique que tu observes le verre rempli d'un breuvage suspect devant toi. Ce Dutch est bâti comme un ours, aucun doute qu'il tienne le choc, en plus d'avoir l'habitude de siroter ce genre de truc au petit-déjeuner. De l'Allemagne à la Russie, de l'Himalaya à l'Irlande, c'est pas faute d'avoir goûté tout un tas d'alcool au cours de tes longues escapades à travers le monde, mais là, là bizarrement tu devines le coup fourré. Tu portes le shot à ton nez pour pouvoir sentir exactement dans quoi tu es sur le point de t'engager, puis laisse l'honneur à Arthur de boire le premier. Sa réaction ne se fait pas attendre, renforçant tes doutes quant à cet alcool de contrebande aux effets secondaires dévastateurs. Si un Atlante tient difficilement le cap, comment le pourrais-tu ? Tu te racles la gorge, à la fois curieux mais conscient d'être sur le point de faire une grosse connerie. John se lance. Tu l'observes, ne ratant pas une miette de son agonie. Le pauvre homme a l'air mal en point, bientôt tu verras les gouttes de sueurs perler sur son front. Mais il l'a fait, et sa indignité est sauve. A ton tour. Pressé par le temps, tu prends une grosse inspiration et ingurgite la potion pas très magique. Et pendant plusieurs secondes, c'est comme si de l'acide coulait dans ta trachée. Comme si un xénomorphe venait de te cracher au visage. Tu tousses, très fort, presque au point de vomir tes poumons. Puis tentant de faire bonne figure, tu rejoins tes camarades en route vers le prochain bar, faisant taire ta souffrance. T'as l'impression que tous tes organes viennent d'entrer en irruption, que de la lave coule dans ta gorge. Mais rien qui ne pourrait être éteint avec une petite bière.

Ceci n'est pas un bar, c'est un saloon. Les colts à la ceinture en moins. L'ambiance y est bonne, ici au moins tout le monde semble être accueillant, allant même jusqu'à esquisser de larges sourires à votre nouvel ami, sans doute habitué des lieux. La musique raisonne, mais vous êtes bien loin des basses de tout à l'heure. La pop a laissé  place à la country, c'est donc au son des guitares et des harmonicas que vous vous frayez un chemin jusqu'au comptoir. Tu rends son sourire à Arthur quand il glisse l'article sous tes yeux, et note dans un coin de ta mémoire chaque info pour pouvoir ensuite tout raconter à Diana. « Le freelance serait suffisant si tout ce foutu univers ne s'évertuait pas à vouloir nous piquer notre planète. C'est vrai qu'on la bousille plus qu'autre chose, mais quand même, on y tient à notre belle bleue. Et sans la Ligue, qui sait où on en serait aujourd'hui. » Tu manques peut-être d'objectivité depuis que tu as épousé Wonder Woman en personne, mais tu restes persuadé que sans tous ces héros, vous seriez tous esclave de Darkseid à l'heure qu'il est. Opinion un peu paradoxale, sachant que toi-même tu rebutes à t'allier à qui que ce soit, sauf quand la situation l'exige vraiment – par exemple, quand des gros vilains d'un autre univers veulent piquer vos places. Tu es un homme solitaire, persuadé de faire un meilleur boulot quand il est seul. Personne sur qui veiller, les responsabilités t’incombent entièrement, et c'est bien mieux ainsi. Jamais tu ne pourras rejoindre une quelconque ligue. Tu n'as pas le caractère pour ça.

Mais il est vrai que des moments comme celui-ci se font de plus en plus rares. Enfin, qu'est-ce que tu en sais vraiment toi ? C'est peut-être la première fois que tu passes une soirée en compagnie de gens qui n'ont rien à voir avec la clique à Batman. Tu n'as jamais eu d'amis, personne avec qui boire une pinte, alors oui, tu savoures leur compagnie. Perdu dans tes pensées, tu t'attardes un moment sur le petit groupe sur scène qui s'élance au rythme du medley d'Alan Jackson. Ils sont heureux. Ils rient, il s'amusent. Ignorant sûrement qu'il y a encore quelques jours, le monde entier coulait sous les eaux. C'est la voix de John qui te ramène à l'instant présent, et tu lui souris en levant ta bière vers lui. « La faune de Gotham est variée. Je crois que plus rien ne pourrait m'étonner. » Même si les choses ont changé depuis que tu es devenu papa, tu arpentes encore quelques soirs les rues de la ville du crime. Puisque malheureusement, il y aura toujours à faire ici. Quoi que tu fasses, il y aura toujours un bras droit pour prendre la relève, un nouveau psychopathe tombé dans tu ne sais quelle cuve de produits chimiques, et même maintenant des esprits qui viennent posséder des motos.

Tu termines ton verre avant de reporter ton attention sur le blond en imper. « John. John Constantine. » Ce n'est pas une question, c'est une affirmation. Tu aurais dû t'en rendre compte bien avant. Qui d'autres que John Constantine avec cette allure et ce goût prononcé pour la magie et les fantômes ? Tu savais bien qu'il te faisait penser à quelqu'un. Arthur te l'a présenté comme un ami à lui, mais pas tel qu'il était réellement. Une légende vivante de l'occulte. Tu n'as jamais eu la chance de croiser son chemin, mais tu en as quelques fois entendu parler. Et les avis étaient disons...partagés. Tu tapes amicalement sur son épaule, te sentant ridicule de réaliser que maintenant qui se trouvait avec toi, avant de cette fois porter ton regard ambré sur votre nouveau camarade. « Dis-moi Dutch, pourquoi ils te regardent tous avec insistance dans ce bar ? Tu viens souvent ? » Lui aussi a une identité secrète ? Un secret qu'il vous garde ?

AVENGEDINCHAINS

John contemplait pensivement le fond de son verre vide lorsque Jason le tira de ses pensées – le forçant à relever les yeux pour croiser son regard, où il décela cette petite étincelle qui disait, mieux que tout, que ça y est, il le remettait. Un constat duquel il ne sut quoi penser, jusqu’à ce que l’ancien Robin ne lui donne une tape amicale sur l’épaule, lui arrachant un demi-sourire de contentement. Il était tellement rare pour lui d’être reconnu et de ne pas immédiatement faire face à une forme d’hostilité ou une autre, que ce moment-là, entre deux bières et quatre hommes, méritait d’entrer dans les annales. Quant à Jason, il venait automatiquement de grimper de dix points dans le barème d’estime de son nouveau compagnon de boisson – surtout qu’au vu de ses rapports tendus avec Batsy, et sa propension à lui coller son poings dans la figure à chacune de leurs rencontres, il se serait attendu à ce le reste de sa clique adopte une attitude similaire. Pour une fois, il était satisfait d’avoir eu tort.

Le cerveau imbibé de l’agréable buzz de l’ivresse encore jeune, John reporta son regard interrogatif sur Dutch qui venait visiblement d’avoir une révélation – et aussitôt, John jugea indispensable de le détromper : « Non non. La Ligue des Collants, c’est lui… » Il pointa Arthur du doigt, puis pointa Jason du doigt d’un air hésitant. « … pas lui. Je crois. J’ai un peu perdu le fil depuis l’Enfer. » Sa main retomba sur sa cuisse au moment où leur nouvel ami mécano posait son énorme main sur la table, et instantanément, le regard embrumé de John s’éclaira en reconnaissant la bague. Il laissa échapper un sifflement admiratif en se penchant en avant, inspectant la bague bleue avec curiosité quelques instants, avant de se laisser retomber sur le dossier de sa chaise. Damn. Il était donc vraiment entouré de héros patentés, hein. Quelles étaient les chances de croiser un Blue Lantern au cours d’une soirée improvisée avec deux types qu’il connaissait à peine, mais avec lesquels ses tendances alcooliques semblaient avoir été inscrites dans les étoiles pour ensuite être interprétées par Fate ? John se prit à se sourire à lui-même.

Les coïncidences n’existaient pas dans son monde, sorcier de pacotille dansant dans l’insouciance indifférente sur les routes de la synchronicité, mais pour une fois, il semblait bien que la coïncidence était heureuse, et non annonciatrice d’un nouveau désastre. S’il en avait eu le pouvoir, qu’est-ce qu’il aurait été tenté de ralentir ce moment, juste un peu, juste pour faire durer ce sentiment de bien-être que rien ne semblait vouloir déranger.

« Les Blue Lanterns, couleur de l’espoir… on n’aurait pas pu tomber sur mieux ce soir, je crois. » fit-il remarquer avec un clin d’œil à l’adresse de Dutch. Peut-être qu’il devrait lui envoyer Chas, tiens, lui qui se plaignait toujours de ne jamais trouver de garage digne de ce nom pour l’entretien de son vieux tacot. Et il chantait en plus, le sagouin ? L’intérêt de John définitivement piqué, il refusa poliment le cigare (pointant du doigt le paquet de cigarettes qu’il venait de sortir de la poche de son imper) et n’eut que le temps de se coller une clope au bec avant que la large main d’Arthur (qu’il n’avait même pas vu se lever) ne se pose sur son épaule.

Et avant qu’il n’ait le temps de réaliser ce qui lui arrivait, John Constantine se trouvait sur la scène du bar, un groupe désorienté dans son dos, un micro dans la main, et une musique qu’en bon enfant du punk il n’avait jamais entendu de sa vie. Un nouveau coup d’Arthur-la-bonne-idée - sauf que cette fois, il n’y avait pas de barman légèrement vêtu pour compenser la torture. « Bloody hell, Arthur ! » soupira-t-il. Trop entamé par les vapes de l’alcool pour penser à s’échapper, la seule présence d’esprit qu’il eut fut de laisser ses instincts télépathiques prendre le dessus et vampiriser les pensées des musiciens, déchiffrant avec eux la partition d’une chanson qu’il ne connaissait pas, s’en tirant avec les honneurs (ou la note minimum, ce qui revenait au même) avant que ne résonnent les dernières notes et que ne retentissent les applaudissements du public, lui aussi trop bourré pour reconnaître une prestation catastrophique quand il en voyait une – à l’exception de Dutch, dont le timbre de voix méritait effectivement reconnaissance. Et qu’une idée ne germe dans l’esprit de Constantine, toujours prêt à se tirer du pétrin avant même qu’il ne lui saute à la figure.

« Dutch, mon vieux, j’sais pas ce que tu fous dans un garage quand tu devrais signer avec un label. Et toi Arthur – t’es une catastrophe, mon pote, mais j’aime ton énergie. Tenez, je vous lance un défi à tous les deux. » Levant la main pour attirer l’attention du groupe, il ne leur adressa pas un mot, mais le courant qui passa entre eux ne semblait nullement en avoir besoin, et ils comprirent instantanément ce qu’il leur demandait. Que la magie était pratique, parfois. Il adressa à Dutch et Arthur un grand sourire plein de challenge. « Vous nous faites la meilleure cover de Bon Jovi que Gotham ait jamais vu, et j’offre la prochaine tournée. Mettez-nous en plein les yeux, les gars. » Il leur donna à chacun une tape amicale sur l’épaule en passant, et entraîna Jason par le bras. « Toi, tu m’accompagnes, je vais pas avoir assez de deux mains. »

Déchaîné dans sa lancée, le groupe se lança dans une interprétation plus rock que glam de Livin’ On A Prayer, comptant sur ses deux chanteurs improvisés pour assurer le show pendant que John et Jason se faufilaient vers le bar. Arrivés devant le barman, il passa commande pour quatre, puis ajouta deux shots – pour lui et l’ancien Robin, qu’ils puissent profiter du spectacle. John s’adossa au bar et contempla leurs deux lascars, hilare, avant de pencher la tête vers Jason. « T’es sûr que tu veux pas filmer ça pour l’ambassade d’Atlantis et leur département des relations publiques ? » Puis il attrapa les deux shots, et en tendit un à son camarade avec son éternel sourire en coin. « Tu veux que je te dise le plus drôle ? J’étais chanteur dans un groupe de punk, il y a mille ans. Les Mucous Membrane. Tu m’étonnes qu’on n’ait fait qu’un album. A la tienne, ex-Robin. Puisses-tu rester infiniment plus sympathique que ton ex-patron. »

Quand la lourde main de Dutch s'abat sur la table pour vous dévoiler sa toute aussi imposante bague, tu écarquilles les yeux de surprise. Un Blue Lantern. Et bien, il semblerait que ce soit véritablement une soirée sous le signe des super-collants – sans offense pour ceux qui en portent vraiment. Tu n'as jamais réellement fréquenté de Lanterns, les apercevant seulement de loin lors d'événements assez catastrophiques pour tous les rassembler, mais tu as un énorme respect pour eux. Tu as déjà du mal à gérer Gotham, alors avoir sous surveillance une planète entière, c'est forcément impressionnant pour un ptit gars de la ville comme toi. Le regard fixé sur la bague, ton esprit divague quelques minutes, imaginant ce que tu ferais d'un tel pouvoir. Et si ton imagination  à toi est fertile face à une telle révélation inattendue, tu ressens le malaise chez votre nouveau camarade. Avouer une identité qui se doit de rester secrète n'est pas toujours sans conséquence, et tu comprends sa méfiance de vous avoir révélé sa double nature. Tu tapotes son épaule, cherchant à lui faire comprendre qu'il ne risque rien avec vous. Jamais tu ne mettrais en péril la vie de qui que ce soit, bien trop conscient des risques. Etant toi-même un mari et un père, tu caches l'existence du Red Hood du mieux que tu peux. Tu as beaucoup trop d'ennemis qui chercheraient à s'attaquer à ceux que tu aimes s'ils venaient à apprendre qui tu es derrière le masque. « Pour le coup, tu n'as pas besoin d'espérer, ce qui se dit dans cette soirée, reste dans cette soirée ! » Tu lui souris, avant de porter le verre à tes lèvres. T'as l'impression de tous les connaître depuis des années, et c'est une bien grisante sensation que de se sentir à sa place dans un groupe. Pour une fois, et contrairement à tes expériences passées, tu ne te sens pas comme le vilain petit canard du lot. Ici, qu'on soit membre de la Justice League, magicien, Lantern ou justicier borderline, tout le monde est logé à la même enseigne.

Un Blue Lantern doublé d'un chanteur. Tu l'observes, impressionné et curieux, avant de refuser gentiment le cigare qu'il te propose. Tu as arrêté de fumer depuis deux ans, et tu aimerais éviter de retomber dans ce vice. Par contre, si tu avais su où ta question vous mènerez, tu ne l'aurais pas posée. Avec la ferme intention de pousser Dutch à monter sur scène pour qu'il puisse vous faire une démonstration de ses talents, Arthur te coupe l'herbe sous le pied avec une toute autre idée. Une idée, qui là, ne t'enchante plus vraiment. « Oh non, pas ça. » C'est quoi ce projecteur ? Pourquoi tout le monde vous regarde ? T'as l'impression d'être dans un film de série B. Tu caches du mieux que tu peux ton malaise, n'ayant pas pour habitude de te donner ainsi en spectacle. Tu n'as pas la légèreté d'Arthur, mais tu feras l'effort, pour ne pas lâchement abandonner tes partenaires. Tu traines des pieds jusqu'à la scène, où ton regard se fixe sur des objets inanimés dans le fond de la salle. Avec quelques verres de plus, la situation aurait été un peu moins compliquée. Mais là, tu es bien trop sobre pour supporter sereinement cette séance karaoké. « Je connais même pas l'air de cette chanson ! » Désemparé, tu t'empares du micro et des paroles, faisant preuve de mauvaise fortune bon cœur. La musique commence. Avec elle, l'acclamation incompréhensible du public. Qu'est-ce qu'ils applaudissent au juste ? Pris au jeu, tu tentes de suivre le rythme de la chanson, tout en lançant quelques regards complice à John, tout aussi peu enclin que toi à cet exercice périlleux. Sans nul doute, la popularité d'Aquaman et la voix de Dutch ont fait tout le boulot à votre place, limitant la catastrophe. Quand enfin la dernière note raisonne, tu sens un sentiment de soulagement s'emparer de toi, et qui te secoue bien plus que la bienveillance de votre public. « J'aurais préféré assister à ça tranquillement sur ma chaise, mais félicitations les gars. » Tu t'adresses spécifiquement à Dutch, le seul vrai chanteur de votre groupe de bras cassés.

Silencieusement, tu remercies John de ne pas t'inclure dans ce nouveau défi. Toi, ce que tu veux, c'est retrouver ton verre. Bien plus à l'aise accoudé au bar que sur scène, tu jettes de temps en temps un regard à vos deux compères qui s'en donnent à cœur joie sur du Bon Jovi. « A ton avis, c'est bon ou mauvais pour l'image d'Atlantis ? » Tu penses déjà connaître la réponse à cette question. Les humains, en miroir à ceux dans la salle, apprécieraient de voir ainsi le héros Aquaman s'amuser parmi eux comme le plus commun des mortels. Mais les Atlantes, eux, tu doutes que leur enthousiasme soit réciproque. Il s'agit de leur roi, et ils ne sont pas aussi extravertis qu'Arthur peut l'être. Il y a encore du boulot pour que les deux peuples s'apprivoisent, et ce n'est clairement pas de ton ressort. « Les Mucous Membrane, hein ? Chouette nom. » Tu lui souris, un brin moqueur, mais justifié par votre complicité naissante, et entrechoque doucement ton shot avec le sien, avant d'en boire entièrement son contenu. « Ça passe bien mieux que l'alcool de Dutch. » Brr, rien que d'y repenser, t'as l'impression de sentir à nouveau ta gorge en train de fondre. « Et ce groupe, où est-ce qu'on peut l'entendre ? T'as pas le droit de m'en parler sans me faire écouter ensuite. » Ne serait-ce pas cruel ? Imaginer John Constantine en chanteur punk, mais ne pas avoir le droit de se faire une idée concrète. « Peut-être qu'on a les audios dans l'ordinateur de la batcave. Tu sais bien que Batman sait tout sur tout le monde. » Tu ris, t'amusant de la réputation de ton ancien mentor et de l'image qu'il laisse chez ceux qui croisent sa route. Mais le plus effrayant là dedans, c'est que la légende est entièrement vraie.

AVENGEDINCHAINS

Accoudé au bar en compagnie de Jason, John fit signe au barman de lui servir un nouveau verre – il avait une réputation de sorcier alcoolique à tenir, et ces temps-ci, sa réputation était peu ou prou tout ce qui lui restait dans le monde. Hors de question donc de se priver, et que tous les mécontents aillent donc voir en Enfer s’il y était. De leur étrange quatuor mal rafistolé, il était sans doute le plus entamé, mais le bonheur de la chance avait voulu qu’il soit aussi sans doute le plus habitué à fonctionner en état d’ébriété avancé. Ils verraient à peine la différence, ces lascars. L’hypothèse de Jason lui arracha un roulement d’yeux exaspéré, et il secoua la tête en soupirant. « J’ai entendu parler des méthodes de Batsy, oui. » répondit-il évasivement. Batman qui croyait tout savoir, sur tout, sur tout le monde, quand tout un pan de l’existence lui échappait encore. Une vérité que l’homme chauve-souris avait encore du mal à accepter, et source de bien des tensions lorsque les forces du monde forçaient la fameuse Justice League Dark à se reformer bon gré mal gré sous l’égide plus ou moins assurée de l’un ou l’autre des clowns de la véritable Justice League. « Je t’enverrai une cassette. Je parie que le matériel audio de la batcave ne saurait pas rendre justice à notre son grunge et dégueulasse. Le punk, ça s’apprécie pas avec des enceintes haute-définition. » décida-t-il d’un air absolument sérieux. John Constantine était un homme plein d’humour et d’autodérision, mais s’il y avait bien une chose sur laquelle on ne plaisantait, c’était le punk. Si lui et Red Hood devaient sceller ce soir un semblant de camaraderie, il était indispensable de partir sur des notions saines. John vida son deuxième shot, répondant au rire de son nouveau camarade avec un sourire à lui, puis lui donna une tape sur l’épaule en voyant leurs deux acolytes quitter la scène et avancer ces eux. « Nos deux héros s’en retournent. » Un grand sourire moqueur suspendu aux lèvres, John les accueillit à bras ouverts, et balayant d’un geste impatient les protestations d’Arthur. « Plaignez-vous, vous avez gagné une tournée et une heure de gloire. Enfin… Arthur, tu me rappelleras de ne plus jamais te laisser monter sur scène en ma présence. Mais toi, Dutch… » John se désintéressa complètement du demi-atlante, pour poser lourdement ses mains sur les épaules de Dutch, qui faisait une bonne tête de plus que lui. Comme si John Constantine s’était déjà laissé intimider par ce genre de considération. « Toi mon vieux, tu m’as bluffé. Tu peux pas savoir comme ça me fait plaisir. » Et John Constantine étant un homme qui aimait illustrer ses propos, il illustra celui-ci de la façon la plus appropriée que son cerveau complètement inhibé puisse inventer : en tirant sur le col de Dutch pour l’amener à lui pour plaquer ses lèvres contre les siennes, dans une brève embrassade enthousiaste. Avant que Dutch , Arthur ou Jason n’aient le temps de réagir, il relâcha sa malheureuse victime comme si de rien n’était et ajusta le col de son trenchcoat avant de sortir une nouvelle clope de sa poche et de se la coincer au coin des lèvres. « Tu disais, Arthur ? » demanda-t-il en toute innocence – innocence démentie par la lueur pleine de malice dans ses yeux sombres alors qu’il enfonçait les mains dans les poches de son inimitable imperméable.

« Franchement, Arthur ? T’aurais pu choisir un coin où on n’irait pas choper la crève. » John Constantine et l’extérieur, une grande histoire d’amour. Assis sur le sable aux côtés de ses petits camarades, l’endroit avait au moins le mérite de le laisser fumer, les vents marins soufflant dans sa crinière blonde et repoussant les volutes de fumée loin de leur petit groupe alors qu’en face brillaient les lumières nocturnes de l’asile d’Arkham. Pour un peu, il se serait presque senti chez lui. Assis en tailleur et les coudes posés sur les genoux, John jouait distraitement avec une pièce de monnaie en attendant qu’on leur apporte leurs consommations – son attitude de râleur une façade de la force de l’habitude plus qu’autre chose. Il ne faisait pas si froid ce soir-là, et l’alcool qu’il avait dans le système était bien assez pour le réchauffer en attendant la suite. C’était une question de principe. L’espace d’un instant, il avait presque envisagé les amener à l’Oblivion Bar – avant de se souvenir qu’il en serait probablement banni à vie et au-delà s’il avait l’outrecuidance d’y amener des intrus qui n’avaient rien à voir avec leur petite communauté magique. Dommage. Il aurait adoré présenter ses nouveaux potes à ce cher Chimp.

Arthur lui offrit une distraction bienvenue en mentionnant un autre détective, dont le fantôme était décidément partout. John ricana. « Folle hypothèse : il nous regarderait de haut, nous collerait son pied dans la figure, et nous dirait qu’on a mieux à faire de nos soirées. » En tirant une bouffée de sa cigarette, il gratifia Arthur d’un coup de coude. « Surtout toi. T’es pas censé être un superhéros à temps plein et un roi d’un royaume de poissons, ou quelque chose dans le genre ? J’aurais pensé que ça ne laissait pas le temps de sortir s’amuser, ce genre de planning surchargé. » Pas qu’il aille le lui reprocher, d’ailleurs. A sa place, ça faisait belle lurette qu’il aurait fichu le camp en courant. Les responsabilités, très peu pour lui, mais il s’étonnait qu’Arthur prenne la chose avec la même légèreté. John tendit le bras pour attraper son verre (le combientième ? Il avait perdu le compte après leur deuxième bar, tout ce qu’il savait, c’est que tout était flou), et laissa échapper un soupir de contentement. Bon d’accord. Il râlait, mais c’était pas si mal, ce spot.

« La dernière fois que j’ai pu faire une soirée comme ça, c’était avec un démon bleu, une fée psychotique, et un flic qui sert d’hôte à l’esprit de vengeance de Dieu. Faudrait que je vous les présente un jour. On a des cas plutôt poilants chez les magiciens et autres bizarreries du monde de l’ombre. » commenta-t-il avant d’oublier sa promesse presque instantanément. Le goût de sa bière se perdait dans les méandres de sa conscience, mélangée au parfum du tabac et des différentes auras, magiques ou non-magiques, qu’il percevait un peu partout. Finalement, il imita Arthur et s’allongea les pieds dans le sable, redressé sur un coude pour pouvoir continuer de fumer tranquillement. « Je sais pas vous, mais je me verrais presque passer le reste de la nuit ici. Et sans doute toute la matinée. » Après tout, ce n’était pas comme s’il avait encore une Maison à laquelle retourner. Elle avait changé de propriétaire, et ne s’en portait sans doute pas plus mal. Et Constantine, lui, n’avait plus que ses pieds pour le mener là où le vent le porterait.

Le show est terminé, et vos camarades vous rejoignent rapidement, avec il semblerait, une petite pointe d'amertume. Tout le monde ne peut pas s'improviser chanteur du dimanche, contrairement aux deux crooners qui ont chauffé la salle avec succès. Qu'ils le prennent comme ils le veulent, tu ne regrettes pas une seule seconde tes quelques instants passés en compagnie de John Constantine. L'homme a bien des choses à raconter, et tu aurais pu rester toute ta soirée à simplement l'écouter, une bière à la main, bien plus aisément que de te donner en spectacle sur une scène de karaoké. Mais tu le sais, avec Arthur, l’invraisemblable prend le dessus sur la banalité, et simplement s'accouder au comptoir en échangeant quelques futiles ou non anecdotes n'est pas au programme. Ce qui n'était pas prévu non plus, c'est ce baiser inattendu qui s'échange entre John et Dutch. Le regard fixé sur eux, tu en reste bouche-bée. On dit que la musique adoucie les mœurs, mais il semblerait qu'elle enflamme aussi la libido. Quand les lèvres de tes deux compères se séparent, tu éclates de rire, à la fois étonné et amusé par le tableau qui s'est dessiné sous tes yeux. « Tu lui fais de l'effet, Dutch. » C'est la voix suave, ça fait tomber tout le monde, à commencer par ce cher John, aussi spontané qu'audacieux.

Votre prochaine destination étant bondée, c'est sur la plage que vous profitez de votre premier moment de calme. Entre les bars, les bagarres et les karaokés, tu savoures ce doux moment de quiétude, et tente tant bien que mal de supporter cette tête qui tourne suite à un excès évident d'alcool. Rien de bien méchant, mais qui pourrait ne pas bien se terminer si tu abusais encore de la bière. C'est donc un verre de whisky que tu as commandé au serveur et qu'il te rapporte presque expressément. Oui, cherchez la logique. Mais chez toi, c'est ce que l'on appelle combattre le mal par le mal. « En vérité, pour moi, c'était y a pas si longtemps que ça. » Ouais, l'avantage d'être marié à une Amazone qui vit à moitié sur une île paradisiaque. Le mer, le sable, t'en as largement profité lors de votre séjour là-bas, qui s'est prolongé après la naissance d'Ophelia. Alors oui, effectivement, te retrouver ici, avec Arkham pour paysage après avoir passé des mois sur Themyscira, c'est douloureux. « Et ne parle pas de Batman, c'est dangereux. A force ça va faire comme Bloody Mary, à trop prononcer son nom on va le voir débarquer. Et personne ne veut ça. » Et surtout pas toi, dont la relation avec ton mentor est encore aujourd'hui bancale et effritée.

Après avoir bu la première gorgée de ton whisky, tu portes ton attention sur John, dont les soirées semblent encore plus mouvementées que celle que vous êtes en train de passer. « La prochaine fois que tu organises un barbecue avec ces gens, je veux être invité. » Parce que même toi, l'éternel asociale, tu te prends ce soir au jeu. En compagnie de ces trois hommes, dont finalement tu sais bien peu, tu combles un vide laissé par une vie trop tourmentée pour être savourée. Avoir des amis, passer des moments à leurs côtés, il n'y a que depuis que Diana est entrée dans ta vie que t'arrives à le faire. Elle t'a débarrassé de lourdes chaines, et sans elle, peut-être que tu serais encore sur ton toit, dans ta tente de fortune, à ruminer un passé trop lourd pour toi. Alors cet instant, cette pause dans votre quotidien ponctué de vilains à qui botter le cul, tu le chéris sincèrement. Qu'importe si ce n'est pas parfait. Qu'importe si la vue n'est pas des plus belles. Vous êtes ensemble, et c'est tout ce qui compte. « Ouais, qui aurait cru que Gotham-Plage était aussi cool. » Tu te mets à l'aise toi aussi, prenant appui sur tes coudes, les jambes allongées dans le sable, ton verre de whisky à portée de main.

Ton esprit divague quelques minutes, bercé par le calme du moment. Mais si vous continuez comme ça, vous allez finir par vous endormir, et la soirée n'est pas encore terminée. « Vous pensez que l'eau est froide ? » Le regard malicieux, tu t'attardes sur chacun de tes camarades avant de te lever précipitamment en retirant tes premiers vêtements. « Le dernier à l'eau paye la prochaine tournée. » Et aussi rapidement que possible, c'est uniquement habillé de ton boxer que tu plonges dans l'eau froide, très froide. Quelle idée t'est encore passée par la tête ! Au moins, ça aura le mérite de vous réveiller et de vous remettre d'aplomb pour le reste de la soirée. « John, sur mes épaules. » Que serait un bain de minuit improvisé entre amis sans un jeu de mains jeu de vilains. T'en es sûr, à vous deux, allez pouvoir prendre le dessus et les foutre tous les deux à l'eau. Enfin, pour Arthur, ça risque d'être plus compliqué. C'est pourquoi ça t'arrangerait bien que ce soit Dutch qui grimpe sur les épaules d'Arthur, pour souci d'équité, et une meilleure chance de gagner.  

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