nicolas nolan •• darling, you're evil as always.

« Parce qu’au fond, je ne souhaitais pas en arriver là. Bien sûr, je pensais que c’était une possibilité, mais je me refusais d’y croire. C’est fou, l’être humain, non ? L’espoir… sacrée connerie, ce concept, quand on y pense. » soupirais-je avec un sourire pendu sur les lèvres, avant qu’elles ne se posent sur un verre de whisky dont je ne prenais qu’une gorgée. L’alcool glisse au fond de ma gorge, flatte ma langue, j’en ferme les yeux pour mieux savourer l’instant. Il me ramène plusieurs années en arrière, à ce premier verre offert par M. Zatara en personne. Lui et ces autres sorciers qui ont marqué l’Histoire d’une empreinte indélébile. Anonyme issu d’une famille modeste et sans histoire, rien n’aurait pu me prédestiner à un tel avenir… et c’est justement ce pourquoi j’ai tout fait pour l’accomplir. Comment se contenter d’être un insecte lorsque le monde vous offre le savoir d’un Dieu ? Il suffit de savoir où chercher. « J’ai quitté ma famille très tôt. Trop banale. Insipide. Hormis le toit et le couvert, je n’ai jamais rien attendu d’eux… et ce n’est pas de cette nourriture dont j’avais besoin. Tu vois cette pièce, qui tourne dans ma main ? Déformée, salie, usée… et pourtant, elle appartenait à un druide gaulois qui s’en servait pour détecter les ennemis du village dans lequel il officiait. Elle se met à tourner sur elle-même sans arrêt lorsqu’un indésirable est proche. C’est le premier artefact que j’ai trouvé près de chez moi. J’ai vite compris qu’il ne pouvait pas y en avoir qu’un, la pièce a vite réagi lorsque je l’ai touchée… toutes ces choses bizarres qui se produisaient autour de moi étant enfant prenaient un sens. Alors, j’ai commencé à parcourir le monde à la recherche de ceux qui pourraient m’apprendre. Tout m’apprendre. » Et j’ai trouvé. J’en ai trouvé même plus d’un. L’élève appliqué et mû par une soif inextinguible de connaissances. Dépassant souvent mes maîtres, j’ai donc suivi l’enseignement de bien des hommes et des femmes, jusqu’à ce fameux Zatara. « Un homme exceptionnel, je dois bien le reconnaître. Un homme dont on épuise vite le savoir, mais qui aura su se rendre utile… jusqu’à la rencontre avec sa fille, Zatanna. » Debout face à la baie vitrée qui donne sur Gotham City, je m’abandonne à un mince sourire en coin, presque rêveur. Sa chevelure aussi rutilante que les plumes d’un corbeau au soleil, sa silhouette gracieuse, ce regard empli d’admiration, sa démarche féline… son rire, même. « Une garce comme on n’en fait plus, tu sais. » ajoutais-je avec ce même sourire, voilé cette fois d’un soupçon d’amertume habilement dosé. « Je l’ai prise sous mon aile, car… elle avait du potentiel, la petite. Son père n’a pas aimé nous voir partir pour San Francisco, mais ça n’importait pas. Elle faisait une parfaite acolyte, nous partagions notre temps entre ces quelques représentations banales et notre quête d’artefacts qui apparaissaient dans les manuscrits que j’ai pu amasser au fil de mes voyages. D’ailleurs, tu vois celui sur la table basse ? Enluminure du XIIIe siècle, une encyclopédie païenne d’une magicienne écossaise. Un sacré bout de bonne femme, si tu savais lire le gaélique… elle en raconte, des choses, dans ce bouquin. » Je me saisis du grimoire et le feuillette d’un œil vaguement distrait.
« Et c’est à ce moment que j’aurais dû sentir que le vent allait tourner en ma défaveur. » grognais-je en claquant le vieux livre avant de le reposer sur la table basse. « Dire que je fais de la divination, c’est un comble, non ? » Un rire jaune s’échappe de ma bouche, alors que je bois une nouvelle gorgée de whisky. Je fais tourner l’alcool ambré restant dans son verre, observant le léger tourbillon avec détachement. Ce sorcier au potentiel brut, sans éducation aucune, ce vagabond à la chevelure désordonné et au charme sauvage… Si Zatanna a été la disciple et l’alliée dont j’aurais pu rêver, John Constantine était sans conteste son alter ego masculin. J’ai vu en lui la réincarnation de ce que j’ai pu devenir avec les années, ce reflet dans le miroir, l’égal qui manquait à l’équilibre parfait. « Il t’intrigue, ce tatouage, n’est-ce pas ? Nous sommes liés, tous les trois. Ma marque. Ma signature, à même la chair. Je suis imprégné en eux, autant qu’ils le sont en moi, depuis ce fameux rituel. Parfois, les gens ont peur des tatouages pour leur aspect définitif… Celui-ci, tu ne trouveras aucun tatoueur pour te le retirer. » notais-je avec un faux sourire amusé, en posant mon regard de jais sur l’encre noire qui marquait ma peau. « Je leur ai tout donné. Tout. Jusqu’à l’once d’humanité qu’il me restait. Nous n’étions pas liés que dans la magie, non… Je suis un homme passionné. Obsessionnel, même. La demi-mesure est l’apanage des faibles qui sont incapables d’assumer pleinement leurs décisions. Et la passion, autant dire qu’elle nous prenait à peu près n’importe où. » Je pouffais d’un rire sans chaleur, avant d’avaler ce qu’il restait de whisky. « Et du jour au lendemain, ils ont décidé de se retourner contre moi. Ce que je cherchais les effrayait, j’en suis certain. J’ai accordé ma confiance à des arrivistes qui m’ont tout pris et qui se sont débarrassés de moi à la première occasion. Un connard opportuniste et sa suiveuse bien-pensante, trop frileuse pour embrasser le destin que je nous avais tracé. » Ma main gauche tremble alors dangereusement et le verre éclate soudain entre mes doigts. Insensible, malgré le sang qui goutte au sol et qui ruisselle le long de ma main, je fixe la skyline de Gotham City avec une lueur démente dans mes yeux nimbés d’un rouge enflammé. « J’ai passé plus de dix ans en Enfer… J’aurais pu avoir une vie parfaite avec Zatanna, loin de toutes les manigances de Constantine, elle m’aurait suivi sans poser de questions. C’est comme si j’avais eu le goût d’une vie idéale, alors qu’en réalité, j’ai enduré les pires tourments qu’on puisse imaginer. A cause d’eux, j’ai dû marchander ma sortie des Enfers, tu t’en rends compte ?! MOI, NICK NECRO ! » rugis-je, d’une voix caverneuse et déformée par la rage. L’air se mit à vibrer, les ampoules éclatèrent et les fenêtres claquèrent avec violence, secouées par la magie noire qui ne demandait qu’à se déverser de mon corps en ébullition.
Ma respiration finit néanmoins par se calmer, mes épaules à se détendre, et mes yeux à quitter leur état exorbité. Comme le calme après la tempête, l'ambiance me semble tout à coup moins électrique. Moins pesante. Je retrouve même un petit sourire en observant les lumières glauques de Gotham. « Plus de dix ans, tu imagines ? Depuis 2008, je crois. Ils m’ont enfermé en Enfer pendant plus de dix ans… Je débarque au beau milieu d’un monde qui n’a plus rien à voir avec celui que j’ai quitté. Maintenant, j’apprends que des hommes en collants et en cape volent et courent à la vue et au su de tous, que les aliens ont débarqué, qu’il y a des… comment s’appellent-ils, déjà ? Ah oui, des métas-humains. Les hommes du commun ont toujours eu un don pour nommer de façon compliquée des choses pourtant très simples. » En fronçant les sourcils, je m’aperçois que je saigne encore de la main. Rien qu’une formule psalmodiée à la va-vite ne puisse régler. « C’est étrange, d’ailleurs, car il s’est récemment produit quelque chose que j’ai encore du mal à expliquer… Vois-tu, je sais aujourd’hui que j’ai été torturé inlassablement pendant cette dernière décennie au fin fond de l’Enfer. Et pourtant, j’ai eu la nette sensation d’avoir vécu comme une vie… parallèle. Une vie sans Constantine, d’ailleurs, il n’y avait que Zatanna et moi. Tout y était plus simple, presque idéal. Jusqu’au moment où j’ai brusquement été… rappelé à la réalité. C’est tout à fait ça, c’est le terme. » J’observe ma main fraîchement guérie, ce tatouage maculé de quelques petites coulées de sang, pensif. « Ils s’en sont servi, de ce tatouage. Je l’ai senti peu de temps après cette sensation de vie parallèle. Constantine était en Enfer, lui aussi. Ils ne m’ont pas oublié… et c’est tant mieux. Il est même essentiel que malgré tout ce qu’ils ont pu connaître pendant ma captivité, je puisse me rappeler à leur bon souvenir. » ajoutais-je avec un air captivé. Obsédé, même.

« P-pourquoi… p-pourqu-oi vous… vous me dites… tout ç-ça… ? » Je me tourne enfin en entendant cette petite voix éplorée. Mon regard se pose alors sur cette jeune fille avachie sur le sol, accoudée à deux cadavres ensanglantés. Ses cheveux d’or étaient chiffonnés, du sang maculait également sa robe de soirée, le sien et celui de ses deux camarades d’infortune. Elle tremblait, regardait les sorties avec véhémence, mais semblait tétanisée. Incapable de bouger. « S’il v-ous p-plait… je ne peux plus b-bouger… laissez-moi partir… - Oh, si tu ne peux plus bouger, c’est normal, darling. Sortilège d’immobilisation. Simple comme bonjour. » répondis-je avec une amabilité des plus courtoises, si ce n’est amusée. J’avance doucement vers elle, guépard sombre intimidant pour sa proie. La jeune fille chercha à se recroqueviller sur elle-même, mais tout mouvement était futile. Enfin, je m’accroupis à sa hauteur et saisit son menton avec délicatesse, un doux sourire étirant mes lèvres. « Je te dis tout ça car j’en ai marre qu’on me voit comme le méchant de l’histoire. Mais puisque c’est ainsi qu’on me voit, je vais me faire un plaisir de m’en tenir à ma réputation. Elle, par contre, elle me restera toujours fidèle. » Mon pouce écrase une larme de la demoiselle qui tremble de tous ses membres. « En revanche, si tu ne peux pas bouger, c’est parce que j’ai besoin de ton énergie. Vois-tu, je suis revenu d’Enfer il y a à peine quelques heures, c’est épuisant, comme voyage… et si je veux retrouver mon potentiel d’antan, il faut que je puise dans l’énergie vitale des autres. Tu vois ces dessins sur le sol ? Tes camarades m’ont déjà donné leur tribut, maintenant je dois te prendre le tien. » Elle regarda le parquet, effrayée de voir les symboles runiques se mettre à rayonner de plus en plus fort. Je me redresse puis sors du cercle en poussant un soupir. « Je pourrais t’endormir pour t’épargner l’insupportable douleur de te drainer… mais puisqu’on ne m’a jamais proposé cette option pendant ma captivité, pourquoi devrais-je me montrer conciliant avec les autres ? » J’hausse des épaules et me tourne vers la jeune fille qui me supplie du regard. Une dernière fois. « Je suis sûr que tu comprends. Après tout, ça n’a rien de personnel… le reste le sera. » Une main tendue vers elle, je marmonne quelques mots en sumérien, le regard de nouveau illuminé d’une lueur enflammée. Un cri déchire la nuit. Une volute dorée s’échappe du corps de la demoiselle, dont les yeux se mettent à saigner en même temps que les oreilles et les narines… puis son corps retombe mollement sur celui de ses compagnons. Vidé.
De mon côté, je ne me suis jamais senti plus vivant. Plus puissant. Plus déterminé.

Careful, dears. The Devil himself is coming for you.
And he won’t be merciful.
At all.

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