There is magic in every beginning || Nick

There is magic in every beginning

New York, 2003

Seule sur la grande scène de l’auditorium du Carnegie Hall, Zee se tenait immobile, les yeux fermés. Elle avait entendu un léger grattement quelques secondes auparavant et tentait de repérer le dernier fuyard de la bande. Cela faisait bien une heure que le spectacle de son père s’était achevé, que les gens s’étaient levés et étaient partis, des étoiles plein les yeux, et quelques techniciens allaient et venaient encore dans la régie, loin au-dessus d’elle à l’autre bout de la salle. John « Giovanni » Zatara avait disparu dans sa loge pour discuter avec elle ne savait qui, et comme toujours, il lui avait laissé le soin de ranger leur matériel, en bonne petite assistante qu’elle était pour lui depuis toutes ces années. Elle adorait l’aider sur scène pendant le spectacle. Mais elle n’en pouvait plus de devoir faire le ménage derrière eux, alors qu’il aurait pu payer des gens pour ça. Ou alors, c’était une de ses dernières trouvailles pour reprocher quelque chose à son père, ce qui lui arrivait de plus en plus souvent désormais. Elle n’était plus une petite fille. Elle était une magicienne, comme lui, elle maîtrisait des dons puissants, comme lui, elle s'estimait même, avec l'arrogance du jeune âge, plus puissante que lui, et il aurait dû lui apprendre des choses plus importantes au lieu de lui demander de courir après des lapins. Parce que bien sûr il lui interdisait d’utiliser la magie pour les remettre dans leur clapier. De nouveau, un léger bruit de pattes attira son attention, et elle vit une oreille duveteuse  jaillir de derrière le rideau sur sa droite. Elle bondit, mais la bête fut plus rapide et disparut de nouveau. Ulcérée, tapa du pied sur scène et, après avoir vérifié que son père n’était pas dans les parage, marmonna : « eL nipal tneiver ertne sem sniam ! » Elle tendit les bras et le fuyard apparut, téléporté par magie. Elle le serra contre elle avec autant de satisfaction que de frustration de devoir recourir à ce genre de tour enfantin, et une pointe de culpabilité.

Elle se baissa pour le glisser dans la grande cage à lapins où il retrouva ses deux copains, qui s’étaient laissé attraper sans faire d’histoire, eux. Puis elle s’étira avec un soupir victorieux. Voilà, elle en avait fini des basses tâches, elle allait pouvoir sortir, sortir dans New York ! Ce n’était pas la première fois qu’elle y suivait son père pour un show évidemment, mais elle avait dix-sept ans à présent, bientôt dix-huit, largement l'âge de découvrir la ville de nuit par elle-même. D’un sort, elle se changea, remplaçant sa tenue de scène par une jupe en cuir, des collants en résille, des bottes à bout métallique et un débardeur déformé. Elle y ajouta une veste en cuir pour faire bonne mesure et songea de nouveau au regard sévère que Zatara lui aurait lancé s’il l’avait vu faire. Whatever, old man. Elle l’aimait plus que de raison mais c’était à cause de cet amour et de leur vie commune et fusionnelle que ces derniers temps, leur quotidien s’était tendu. Un peu à cause d’elle, elle en avait conscience. Mais aussi à cause de lui, et ça il ne voulait pas l’admettre ! Rien que d’y penser, cela le fit apparaître – elle se demandait des fois s’il ne le faisait pas exprès. Elle entendit sa voix et tourna le regard vers les portes de la salle, en haut des gradins. Elle n’entendait pas ce qu’il disait de là où elle était, mais il parlait avec quelqu’un qu’elle avait déjà vu de loin une fois ou deux, un type un peu plus âgé qu’elle et qui parvenait à dégager une aura particulière malgré le fait qu’il se tenait aux côtés du plus grand magicien de son temps. Des gens qui tournaient autour de Zatara, il y en avait toujours, son père avait une vie bien remplie et elle savait qu’il ne faisait pas que des spectacles pour  s’être déjà battue à ses côtés. Elle les observa un moment, de loin. Ils finirent par se serrer la main, puis Zatara disparut, vaquant à ses très importantes occupations, laissant l’inconnu sur place.

Curieuse, et jamais lassée d’attirer l’attention, Zee s’approcha du bord de la scène. Qui était ce type, que voulait-il à son père, et surtout, quel genre de sorcier était-il ? Parce que même de là où elle était, elle pouvait sentir son énergie vibrer. « erèimuL ! » Le halo d’un sport sorti de nulle part tomba sur elle, et elle agita la main en direction de l’inconnu. « Qu’est-ce que vous lui voulez, à mon père ? Vu votre insistance, ça ne doit tout de même pas être un autographe… » Le dernier jeune type qu’elle avait vu graviter autour de Zatara était Bruce Wayne, qui avait été l’élève du magicien quelques années – pas pour apprendre la magie évidemment, mais d’autres trucs et astuces bien utiles. Zee était enfant alors, et si elle avait été très impressionnée par le jeune Bruce et ses capacités, elle avait surtout passé du temps à coller Alfred, son premier amour – à dix ans. Il lui semblait reconnaître quelque chose de Bruce Wayne chez cet étranger, dans ce qu’il dégageait de farouche, mais lui était un vrai sorcier.

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Qu’il connaisse son nom, cela la fit sourire avec fausse modestie. Les gens n’avaient d’yeux que pour son père, et c’était normal. Elle était la gamine qui pendant les tours couraient après les lapins et lui tendaient les accessoires dont il avait besoin, et combien de fois s’était-elle laissée coupée en deux ou téléportée – pour de vrai, sans que les gens ne s’en rendent compte, c’était ce qui était drôle ? Sans savoir qui était ce type, elle était sûre qu’il était là pour son père, mais il connaissait son nom. Cela lui fit plaisir, et cela la mit sur ses gardes également. Soudain, il disparut, et elle l’entendit dans son dos. Elle se retourna lentement, le sourire aux lèvres. Il était drôle. Il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans, et comme d’habitude, elle ne pouvait pas faire autrement que le comparer à Zatara, comme elle comparait tous les garçons et tous les hommes à son père. Pas un fan, donc, mais il était quand même venu trouver le grand Giovanni Zatara. Des mages et des sorciers en quête du Graal, elle en avait vus plein défiler aux pieds de son père. Des fois, il acceptait de les aider, des fois non, selon des critères qui avaient toujours échappés à Zatanna. Apparemment, il avait accepté que ce Nicolas devienne son larbin. Parce que c’était un peu ça, aussi, être l’élève de Zatara, elle était bien placée pour le savoir, elle qui l’était depuis dix-huit longues années. Elle laissa échapper un rire bref et se déplaça lentement sur la scène pour maintenir de la distance entre elle et lui qui s’avançait comme une force que personne n’aurait pu arrêter. « Si tu aimes négocier, tu vas être servi. Ce n’est pas drôle tous les jours d’être l’élève de Zatara. Mais je suis sûre que si tu tiens le coup, tu finiras par avoir son numéro. Encore qu’à mon avis tu n’es pas trop son genre. » Elle lui adressa un clin d’œil, mais elle ne souriait plus.

Il était insupportable, elle le décida dès qu’il ouvrit la bouche. Et s’il n’avait été que cela, sa décision aurait été de l’envoyer sur les roses et de le planter là. Mais il n’était pas que ça. Elle le comprit en quelques secondes, qu’il n’était probablement pas le meilleur des hommes, qu’il était probablement du genre à s’attirer ou à créer des ennuis, et qu’il ne resterait pas longtemps dans les parages : son père s’intéressait à lui, ce qui voulait dire qu’il était un sorcier avec qui il fallait compter, ce qui suffisait à piquer la curiosité de Zee. Mais elle était sûre que Nicolas et Zatara ne pourraient pas se supporter longtemps. Ce que son père voulait faire avec ce nouvel élève, elle l’ignorait, elle savait juste que Zatara ne faisait rien sans quelques arrière-pensées – positives, en général. Ce type allait probablement disparaître du paysage sous peu, alors quel mal y avait-il pour elle à essayer d’en tirer le plus de profit possible ? Elle lui jeta un regard amusé, observant sa démarche et son look, dans ce trenchcoat d’un autre âge. « J’allais sortir, c’est vrai. Et à entendre ton accent, je suppose que tu n'es pas de New York. Je te propose un deal : je t’emmène dans un bar sympa, et tu payes la note, puisque tu le proposes si gentiment. Et à la fin de la soirée, je ne te donne pas mon numéro. » Elle sauta finalement de la scène et se retourna pour voir s’il la suivait. « De toute façon, tu sauras où me trouver, à partir de maintenant. » L’air était électrique. Et ce n’était pas une bonne chose. La partie raisonnée en elle le savait, son entraînement, sa magie, tout ce que son père lui avait appris avaient fait d’elle quelqu’un de plus malin que la moyenne, mais elle avait dix-huit ans, était en présence d’un sorcier comme elle en avait rarement croisés et de toute façon, elle était tout à fait capable de prendre soin d’elle.

Un bon quart d’heure plus tard, ils étaient tous les deux assis au comptoir d’un bar lounge select de l’Upper East Side. Zee avait usé d’un petit tour de passe-passe pour y entrer malgré le fait qu’elle soit encore mineure pour boire de l’alcool. L’endroit avait beau être huppé, on y trouvait tout une faune éclectique, des habituels gosses de riches aux artistes à la mode en passant par quelques véritables piliers de bar, et encore d’autres créatures étranges. Pour ne pas attirer trop l’attention, elle avait commandé un verre d’eau minérale, qu’elle s’était empressée de cogner doucement contre celui qu’avait commandé Nicolas, et transformant ainsi son eau en alcool d’un sort inaudible. Consciente de sa jeunesse, tiraillée entre la certitude de faire une bêtise et celle qu’elle ne pouvait pas passer à côté d’une opportunité pareille, elle se tenait droite et arborait un air apaisé et mature. « Alors, monsieur l’Anglais, d’où est-ce que tu viens, et où est-ce que tu vas ? » Ça faisait loin, tout de même, New York, pour mettre la main sur Giovanni Zatara.

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Bien sûr, elle essayait d’endosser une stature qui n’était pas la sienne. Bien sûr, elle voulait se faire passer pour ce qu’elle n’était pas. Une part d’elle-même avait conscience du ridicule de la situation et que l’Anglais, en quelques mots, lui fasse remarquer à quel point elle était jeune, eut pour effet certes de la vexer, mais de la ramener à la raison, aussi. Elle était plus maligne que ça, non ? Plus maligne qu’une grande adolescente bouillant de pratiquer la magie comme elle l’entendait et non pas comme son père tentait encore de la lui inculquer. Ce que Nicolas voulait dire, c’était qu’elle aurait pu contraindre le barman à lui servir de l’alcool, et rien d’autre que cela. Mais cela, justement, allait à l’encontre de tout ce qu’elle avait appris et de tout ce qu’elle était, aussi. Elle rougit donc, un peu humiliée, mais haussa les épaules également, refusant d’entrer dans ce jeu-là. Son sang, ses gènes homo magi attendaient d’elle qu’elle soit une plus grande magicienne que son père, mais elle avait encore des limites qu’elle ne pouvait pas franchir – pas encore. Contraindre quelqu’un : elle en était capable, et elle ne l’avait jamais fait, et n’avait pas envie de le faire. Ce qui la retenait, c’était la raison, pas le pouvoir. Que Nicolas en parle aussi facilement prouvait que lui ne devait pas avoir les mêmes réserves. Il est dangereux. Mais elle ne leva pas non plus ses fesses de son tabouret, et but doucement son verre, sans lui donner ce qu’il semblait vouloir – ce pour quoi il lui donnait sa bénédiction. Exactement l’inverse de Zatara. Un frisson d’excitation la parcourut. Elle se fichait de changer l’eau en alcool. Et elle sentait que cet homme avait des choses à lui apprendre, autant qu’il en avait lui-même à apprendre auprès de son père.

Elle aurait bien aimé entendre son histoire, mais elle ne se faisait pas d’illusions. Ils se connaissaient depuis une demi-heure à peine. Pour le « joli petit lot », ça restait à voir, mais ce qu’il racontait n’avait en effet rien de passionnant. Cela dit, elle avait ainsi une réponse à l’une des questions qu’elle se posait à son sujet : parents banals, enfant extraordinaire ; sa magie n’était pas héréditaire, et lui, il était humain. Elle porta son verre à ses lèvres en riant doucement. « C’est vrai, j’aime bien ton accent. C’est exactement comme ça que j’imagine les Anglais : le sarcasme, le goût pour l’alcool et le trenchcoat… » Il aurait pu sortir directement de l’écran de son ordinateur quand elle regardait des séries télé britanniques. Mais bien sûr il n’était pas que cela. Il n’était pas un magicien banal et pas seulement un Anglais. Et au final il ne lui avait absolument rien dévoilé de lui qu’elle ne savait pas déjà rien qu’en l’entendant parler – qu’il était anglais, qu’il était venu voir son père et que finalement il buvait un verre avec elle. Il se foutait d’elle, évidemment. Elle avait appris, à force d’en croiser dans sa vie, que les hommes sûrs d’eux finissaient souvent par la sous-estimer. Et voilà qu’à présent c’était à elle de lui faire des confidences. D’une pichenette, elle remplit son verre elle-même. Si Zatara avait accepté de le prendre comme élève, il ne pouvait pas être un ennemi. Encore que son père lui cachait beaucoup de choses. Mais c’était bien ce qu’elle lui reprochait ces derniers temps. Et si cette histoire finissait mal, elle pourrait une nouvelle fois l’accuser de lui faire des cachoteries.

« Je viens de Gotham City. Tu as peut-être entendu parler de cette ville. Mais nous voyageons tout le temps alors je me fiche un peu d’avoir un point d’attache. Et oui, j’ai toujours apprécié de faire plus ample connaissance avec les élèves de mon père. En général, il choisit des gens intéressants… » En général, oui. Elle avait parlé d’un ton un peu traînant pour laisser planer le doute quant à Nicolas lui-même. Oh, intéressant, il l’était. Mais dangereux aussi. Elle pensa à Bruce Wayne, qui était venu apprendre l’art de l’escapologie. Elle n’avait qu’une dizaine d’années alors mais tous les deux étaient restés amis. Et elle avait appris, elle aussi. À chaque fois, elle avait appris aux côtés des différents élèves de son père, des choses plus ou moins passionnantes. « Il ne t’apprendra rien qu’il ne puisse pas défaire, tu sais ? Il se débrouille toujours pour rester le plus fort. Tout le monde vient le voir en espérant pouvoir être meilleur que lui, mais c’est impossible. » Et dans sa voix se mêlaient la frustration et l’admiration. Et un peu de moquerie, aussi, parce qu’elle doutait qu’un homme qui se donnait une telle posture ne cherche pas, comme les autres, à dépasser le maître. D’une façon ou d’une autre.

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Sa définition de Gotham arracha un rire bref à Zee, qui ne chercha cependant pas à lui en dire davantage. Elle était née à Gotham et avait grandi dans le manoir de son père, dont la clôture donnait sur un pont qui séparait la ville de l’île où se trouvait l’asile d’Arkham. Depuis sa chambre, l’enfant qu’elle était avait pu de nombreuses fois observer les murs sombres et les tours de vigies agressives de l’établissement où étaient enfermés les pires criminels de l’histoire de Gotham City. Elle en avait vus plus d’un se faire la malle, quelques-uns tentaient même parfois de se planquer dans leur jardin, par le passé, de moins en moins à présent que le mot, probablement, était passé au cœur de l’asile : éviter le premier manoir en sortant du pont, danger. Cela n’avait jamais dérangé ses parents qu’une enfant puisse grandir dans un tel environnement, et cela ne l’avait jamais dérangée elle non plus. Née avec une cuiller en argent dans la bouche, elle avait pourtant fait l’expérience du pire de ce que cette ville avait à offrir, avec les compliments du chef. Elle y avait fait ses armes en grande partie grâce ou à cause de Selina évidemment, à cause de qui ou à grâce à qui elle avait eu l’occasion pour la première fois de sa vie de polir les bancs d’une cellule de dégrisement au commissariat central de Gotham. Cette ville, pour elle, c’était l’horreur absolue et la solidarité sale et sordide qui pouvait naître sur les ruines d’une société. Une créature en soi, sombre, vorace, puante et violente, mais qui tenait toutes ses promesses. Il aurait peut-être l’occasion de le découvrir par lui-même un jour, cet Anglais qui semblait attaché à ses manies, qui adorait de toute évidence rester au contrôle. Il se ferait mâcher et recracher, comme tout le monde, comme elle. Elle doutait que ce soit une cité pour lui. Elle trouvait que New York lui allait un peu mieux, mais ce n’était pas encore ça. New York était trop stricte, trop droite, trop prévisible.

Cependant, le ton était donné. Elle haussa un sourcil en réponse à ses remerciements. Ah bon, rien que ça ? « On dirait un discours de méchant. ‘Je dominerai le moooonde de la sorcellerie’… » Elle n’en voyait pas l’intérêt. Elle avait toujours eu l’impression que son père était ce qu’il était sans avoir fourni le moindre effort, et il n’avait jamais cherché à être meilleur que qui que ce soit – mais il l’était. Et elle pouvait imaginer que ça en frustre certains. « Je ne me situe nulle part. Ce que mon père et toi allez faire, je m’en fiche. J’ai déjà vu ça des dizaines de fois et ça finit toujours de la même façon. Tu partiras, satisfait ou pas, et Zatara t’aura oublié en quelques heures, et moi, tout ce que je peux tirer de cette situation, c’est de pouvoir apprendre quelques trucs qu’il t’apprendra à toi. » Non pas qu’elle soit sûre que son père savait très bien qu’elle se planquait pour tenter de capter des morceaux de leçons qu’il ne voulait pas lui dispenser. Peu importait. Elle écouta cependant la tirade de Nicolas avec un peu plus d’attention, d’intérêt et aussi de fascination. Elle lui adressa un sourire tordu cependant quand il effleura sa joue. Il se croyait irrésistible, non ? Eh bien, elle devait reconnaître qu’il avait quelques atouts. Mais il était encore loin du compte. Ses mots, cependant, plus que son attitude, l’intéressaient. « Je comprends ce que tu veux dire. Mais ne va pas croire qu’il se la joue. C’est bien le plus agaçant, en fait. Si j’avais ses capacités… » Eh bien, qu’est-ce qu’elle ferait ? Les spectacles de magie rendaient son père heureux, après sa mère, mais sa mère était morte. Et elle, que ferait-elle de plus à sa place ? Elle n’y réfléchissait jamais – pas avant de croiser Nicolas Nolan. « Des fois, j’ai même l’impression que la magie lui fait peur. Enfin, pas la sienne, mais celle de tous les autres. » Non pas qu’il les craignait, mais il ne cessait de répéter que la magie n’était pas à prendre à la légère, et il donnait l’impression de croire que tous les autres magiciens la pratiquaient justement pour de mauvaises raisons, ou par-dessus la jambe.

Elle haussa les épaules. Elle l’aimait et elle l’admirait, son père. Ces derniers temps, il l’agaçait plus que d’habitude, mais elle savait que certaines choses dans leur vie commune exacerbaient ces défauts. « Il s’en fiche, d’être le meilleur. Je crois que vous n’allez pas vous comprendre, là-dessus. » Elle se remit à rire, parce qu’elle ne pouvait imaginer, même si elle parlait avec Nicolas depuis peu, deux personnes plus différentes. « Il n’y a pas de podium. Il en sait plus que moi et je respecte son jugement. J’aimerais juste qu’il me fasse confiance. » Et alors peut-être pourrait-elle avoir confiance en elle-même ? Avoir le genre de posture que Nicolas abordait en cette seconde, le regard conquérant, sûr de lui ? La force, l’habileté et la confiance en soi. Cela lui semblait être pas mal. « Mais bon, les pères sont comme ça, non ? Et on leur ressemble tous un peu à un certain niveau, ce n’est pas ce qu’on dit ? » Est-ce qu’elle partait de nouveau à la pêche aux infos sur l’Anglais ? Bien sûr, et elle ne voyait pas pourquoi elle aurait dû s’en cacher.

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Finalement, il lui racontait son histoire, en quelque sorte. Il y avait bien une raison pour qu’il ait accepté son invitation à boire un verre, quand bien même il ne la connaissait pas et, à l’entendre, se fichait de tout sauf de lui-même. Il y avait une raison, donc un but sous-jacent, et pour le moment Zatanna se fichait bien de ce qu’il attendait d’elle. Elle savait seulement que cela lui donnait un levier, même infime, sur lui, pour ce genre de petites choses. Il fallait bien qu’il accepte de céder à ses caprices, si en retour il s’apprêtait à exiger quelque chose d’elle. Et elle ne demandait pas grand-chose, pour le moment. Simplement des détails sur sa vie, pour tenter de cerner un peu mieux le personnage. Elle savait que son père ne poserait aucune question à Nicolas, qu’il se fichait toujours d’où venaient les gens qui frappaient à sa porte. Il les jugeait à leur magie et à ce qu’ils en faisaient. Pour lui, la magie était tout, c’était le barème de toute existence et tout le reste lui était accessoire – les relations sociale, l’amour, la politique, les petites choses du quotidien. Peut-être était-elle trop dure avec Zatara, cependant. Il était capable de toutes ces choses-là. Mais la magie occupait toute sa vie. Et il semblait sans cesse attendre une prochaine catastrophe, comme celle qui avait tué sa femme, la mère de Zatanna. En la matière, elle et Nicolas étaient on ne peut plus différents. Elle l’écoutait parler de ses parents avec un détachement encore pire que de la rancœur ou de la haine, comme s’ils n’avaient jamais compté dans sa vie. Eh bien, Zatanna savait bien qu’il y en avait plein, des familles comme ça, que c’était même plus souvent la norme que sa propre relation fusionnelle avec ses parents, et surtout son père. De Sindella, morte quand Zee avait quatre ans, elle ne se souvenait pas de grand-chose si ce n’est la voix douce, la magie qui vibrait dans son corps d’Homo magi, qu’elle avait léguée à sa fille.

Mais son père, ah son père… S’il mourrait, Zatanna en mourait aussi, c’était ainsi qu’elle le ressentait à l’heure actuelle. Alors elle écoutait Nicolas parler, sans un mot, sans ressentir la moindre empathie pour lui, mais sans le juger non plus, et en songeant simplement qu’elle n’aurait jamais, jamais pu se remettre de la mort de son père. L’autre chose qu’elle avait du mal à imaginer, c’était de vivre sans magie, de ne pas être un être de magie pure, comme Nicolas l’était, lui qui avait développé ses pouvoirs à l’adolescence. Là encore, c’était la norme, et elle était l’exception. Cette idée, cependant, lui donnait la chair de poule. Et lui rappelait aussi, comme le lui disait sans cesse son père, à quel point elle était née privilégiée. Elle avait tendance à prendre ses pouvoirs pour acquis, mais ils l’étaient, après tout ! Innés, et acquis pour toujours. Elle regardait Nicolas comme une créature étrange sans avoir vraiment conscience que c’était elle, la plus étrange des deux, héritière d’un peuple fait de magie pure, et seule la petite pique du magicien la tira de sa réflexion, et elle fronça les sourcils, par réflexe. Prenant automatiquement la défense de Zatara, quand bien même c’était vrai, qu’il la délaissait un peu. Mais elle n’eut pas le temps de protester. « Quoi ? » Elle crut qu’il lui faisait une blague, d’abord. Mais, aussi grandiloquent qu’il puisse paraître, il était sérieux, elle commençait à s’en rendre compte. De ce qui se cachait derrière ses envolées, derrière les mots qu’elle identifiait parfaitement comme du poison. Une fois ses paroles dépouillées de leurs apparats, ne restait que la vérité vraie, malgré tout, ce qui l’énervait depuis le début de leur conversation.

Elle savait qu’elle pouvait le faire. Elle savait qu’elle ne voulait pas le faire, parce que c’était inutile et stupide, et un peu dangereux aussi. Bien sûr que son père le lui aurait interdit. Et bien sûr que Nicolas ne faisait pas que la mettre au défi pour s’amuser. Elle percevait une véritable curiosité, et ce fut cela qui la convainquit de faire une telle folie. Parce que si ça n’avait été qu’une simple provocation, elle en aurait ri et se serait fait un plaisir de ne pas rentrer dans son jeu. Mais il voulait vraiment savoir si elle en était capable. Et elle n’avait rien à lui prouver, elle n’avait juste qu’à lui montrer. Elle posa une main sur son torse et le repoussa légèrement en arrière. « Aux yeux de mon père, c’est un crime. J’aurais des ennuis s’il l’apprend, mais pas plus que toi. À partir de maintenant, nous sommes complices. » Elle pivota sur son tabouret, lui tournant le dos, pour observer la salle de ses yeux clairs. Commencer par faire tout ce qu’elle avait appris – la respiration, les défenses, le contrôle total. Mais très vite, elle se heurtait à des limites. Elle ne pouvait pas immobiliser les gens comme ça sans aucune conséquence pour eux, ne serait-ce que la terreur qu’ils allaient ressentir. Elle ne pouvait pas leur faire ça, en elle restaient encore ces hésitations, cette morale d’acier qui na la quitterait jamais, quoi qu’il arrive. Alors comme souvent, elle décida toute seule d’un compromis. De ses yeux, elle pouvait voir petit à petit les courants de la magie, du temps et de l’espace voguer paresseusement au milieu des clients. Elle laissa la magie rugir dans ses veines et s’empara mentalement de ces milliards de particules de magie en suspension. « eL spemt etêrra’s. »

Oh, ce tour-là, en vérité, elle ne le maîtrisait pas à la perfection encore, tant il était dangereux et énergivore. Zatara la faisait s’entraîner sur des dizaines de sabliers, et pas des dizaines de gens comme ici. Pourtant cela fonctionna, aussi facilement qu’avec les objets inanimés. Elle retint son souffle, observant la pièce figée dans le temps pendant quelques secondes, puis soudain le temps reprit son cours. Elle n’était pas capable de beaucoup plus que ça – ou peut-être que si, mais elle n’avait pas envie d’essayer, pas ici, pas avec Nicolas. Elle se retourna vers lui. « Est-ce que tu sais seulement que je n’ai en moi pas seulement la magie de mon père, mais aussi celle de ma mère ? Ce sont deux héritages différents. Zatara prétend que ma mère était bien plus puissante que lui, et qu’un jour moi aussi je le serai. » Elle sentit un léger vertige l’envahir, avec une légère colère irraisonnée contre Nicolas, comme s’il l’avait forcée à faire une chose pareille. Mais il ne l’avait forcée à rien. Elle avait pris seule cette décision, et tout allait bien. Elle n’avait pas brisé le monde en deux. Malgré tout, elle sentait déjà la culpabilité la gagner. « Qu’est-ce que tu ferais d’une puissance pareille ? Si ça ne te fait pas peur, au moins un peu, ça fait de toi un fou. » Elle, elle savait déjà ce qu’elle en ferait. Elle irait là dehors, et elle aiderait autant de gens qu’elle peut. Mais elle avait l’impression que ce n’était pas du tout ce genre d’avenir que Nicolas prévoyait pour lui-même.

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Bizarrement, elle dut s’avouer qu’elle s’était étonnée elle-même. Elle savait qu’elle en était capable. Ni bête ni naïve, c’était son éducation et le contrôle perpétuel qu’elle exerçait sur elle-même qui l’empêchait de faire de telles choses, et pas la puissance ou l’ignorance. Malgré tout, elle aurait cru avoir plus de mal à faire un tel tour. Jouer avec le temps était une des choses les plus difficiles qui soient et elle s’était attendu à de la résistance, et des à-coups désagréables dans le flux de la magie, mais sous ses yeux, les gens avaient repris leur existence avec la douceur et la simplicité d’une brise légère, d’un filet de rivière. Elle sentait la fatigue, mais sentait aussi que la magie bouillonnait dans ses veines, comme un puits sans fond, enthousiaste à l’idée d’être ainsi mise à l’épreuve. Cette image – comme si la magie était une créature en elle, capable de prendre son indépendance – doucha un peu son enthousiasme, et aux remarques moqueuses de Nicolas, elle répondit par un simple haussement de sourcils. Elle commençait à comprendre comment il fonctionnait dans son rapport à l’autre. Des rapports aux autres, il ne devait pas en avoir beaucoup, en dehors des échanges superficiels obligatoires, et probablement les nuits qu’il s’offrait avec des inconnues dont il oubliait le visage en quelques heures. Tout dans son discours le disait : les autres ne lui étaient pas nécessaires pour vivre, et encore, dans le meilleur des cas. Elle aurait pu se sentir flattée, qu’il lui accorde ainsi son attention, même factice, sachant que ce n’était pas là un effort qu’il était probablement prêt à faire pour n’importe qui. Mais elle était surtout dubitative – et peut-être un peu peinée pour lui. Une vie de solitude, voilà bien quelque chose qu’elle ne se serait pas souhaitée à elle-même. Elle accueillit la nourriture avec gratitude cependant, et se mit à gober les hors-d’œuvre sans tenter de se faire passer pour une lady.

Elle releva les yeux cependant quand il annonça de but en blanc qu’elle serait un jour plus puissante que son père. Zatara le lui disait souvent, mais elle n’y croyait pas. Et même, elle n’en avait pas envie. Mais entendre cela de la bouche d’un quasi-inconnu était différent – presque plaisant. Elle gloussa cependant, levant brièvement les yeux au ciel. « Jeunes, peut-être, débutants… On y croit. » Mais il n’y croyait pas lui-même, alors elle pouvait bien se permettre de le vanner. Il n’avait rien d’un débutant, si Zatara avait accepté de le prendre sous son aile, et elle n’était pas une oie blanche non plus. Elle était bien plus intéressée cependant par ses explications. La mise en situation, on ne peut plus menaçante, lui arracha un autre rire – qu’il essaye donc ! –, mais elle l’écouta jusqu’au bout, curieuse. Pendant un temps, elle crut qu’il n’y aurait pas de suite à son discours de super méchant, au point qu’elle eut le temps de se demander s’il était sérieux. Mais bien sûr, il prétendit que non. Et à ce moment-là, un moment dont elle se souviendrait un jour, dans de nombreuses années, elle décida qu’à un certain niveau, il était bel et bien sérieux. Mais le moment passa. Et la suite fut bien plus enthousiasmante à entendre. Il verbalisait, aussi facilement que ça, tout ce qu’elle gardait en elle depuis quelque temps, et qu’elle culpabilisait de seulement penser. « C’est ça ! C’est exactement ça que j’essaye de lui faire comprendre. Je ne cherche pas le danger ou la puissance, je crois juste que je dois tout savoir, pour tout comprendre et tout maîtriser. Ce n’est pas en détournant les yeux de tout un pan de mes pouvoirs que j’en protègerai le reste du monde. » C’était un vrai soulagement pour elle de l’entendre, au milieu de ses postures et de cet étrange rôle qu’il jouait parfois, énoncer une évidence aussi simple. Dommage qu’il parlait trop, tout de même. Elle le gratifia d’un regard amusé en grignotant une olive. «  Oh non, je t’ai déçu ? Je ne vais pas en dormir de la nuit. Ce soir, de toute façon, je ne cherche pas à te conquérir, juste à te faire payer la note. »

Elle s’inquiétait un peu tout de même de l’entendre déjà parler de Zatara ainsi. Non pas pour son père, mais pour leur bonne entente. Si Nick ne faisait pas preuve d’un peu d’honnêteté avec son père, leur collaboration s’achèverait en quelques heures et Zee n’apprendrait rien du tout. Elle laissa échapper un bref soupir, se tournant vers son verre sur le comptoir. Que c’était beau, que c’était glorieux, comme discours… « Tu ne me vexes pas. Tu ne comptes pas tant que ça, pour moi. Pas encore. Tu peux affirmer ce que tu veux du haut de son trône de solitude. Oui, tu es libre, oui tu ne réponds que de toi-même. Même si je pouvais être comme toi, je n’en aurai pas envie. En la matière, tu risques d’être toujours déçu. J’ai besoin de contrôle, ça fait partie de moi. Je sais que je peux trouver un moyen de pratiquer ma magie à ma façon, mais ce lâcher-prise dont tu parles, ce n’est pas moi. La vraie puissance, c’est celle qui se contrôle. Et je pense qu’il y a certaines choses dans notre monde qu’il n’est pas bon de faire, en termes de magie. Elle sera toujours plus forte que nous. « Elle avait consumé sa mère, de la tête aux pieds. Et tant d’autres après elle. Mais les paroles de Nicolas, cependant, résonnaient encore dans son esprit. Oui, en se confrontant au plus fort de ce qu’elle était, elle apprendrait. Sur le fil, elle hésita. « Tu es probablement le pire des compagnons d’entraînement. En une demi-heure, tu m’as convaincue d’arrêter le temps. Mais puisque tu es là, tu pourrais bien m’être utile. Si je perds le contrôle, eh bien… C’est toi qui en paieras les conséquences. » Elle avait voulu plaisanter, mais cette seule idée la rendit presque instantanément malade. Non, elle ne lui souhaitait aucun mal. Et elle ne serait pas capable de vivre normalement si elle faisait une chose pareille. C’était de la folie !

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Elle aurait dû s’y attendre. À relever ainsi le défi qu’il lui avait lancé, elle avait ouvert une porte qu’elle ne pourrait pas refermer, sauf si elle se levait et s’en allait, ici et maintenant. Parce que Nicolas, bien sûr, n’était pas satisfait. Elle savait au moins ça, rien qu’en l’ayant côtoyé si peu de temps : il ne serait jamais satisfait. Il était un de ces partisans du toujours plus, toujours plus loin. Elle pouvait presque discerner son avenir, dans un de ces accès de prescience qui l’assaillaient parfois sans qu’elle ne s’en rende réellement compte. Il n’en aurait jamais assez, il ne se poserait jamais, ne serait jamais heureux, comme tous les ambitieux, les assoiffés. Du genre à devenir une menace pour le monde ou à finir consumé par sa propre magie. Mais cette angoissante perspective fut balayée par rien d’autre que sa jeunesse et son immaturité. Avec la facilité des adolescents, elle chassa ces pensées, décida que ça allait, et que ça irait. Que rien de tout cela n’était grave. Que Nicolas lançant un autre sort pour surenchérir sur le sien n’était que justice, et que ça pouvait même être drôle, et surtout, intéressant. Elle avait tout à gagner à l’observer. Et elle pouvait toujours, à tout moment, se lever et partir, non ? Rien de ce qui se faisait dans ce monde ne pouvait être défait. Alors, elle ne dit rien quand il se mit à psalmodier dans une langue étrange, dont elle reconnut les accentuations hindies, mais en plus archaïques, comme ces langues qui se parlaient plus qu’elles ne s’écrivaient, échappant ainsi au carcan de la syntaxe et autres règles contraignantes. Bonne élève toujours, elle notait tout, attentive, et goûta dans l’air la magie qu’il était en train d’invoquer. La compara, comme d’habitude, à celle de son père. Elle, n’avait pas besoin d’invoquer quoi que ce soit pour faire de la magie. Son rapport à elle était beaucoup plus instinctif.

Autour d’eux, l’ambiance changea. Dopés à la drogue magique que Nicolas venait de leur injecter dans l’âme sans leur demander leur avis, les clients du bar laissaient tomber une à une leurs inhibitions, oubliaient leurs complexes, et toutes les règles inculquées par leur éducation et la société en général. Elle grimaça, partagée entre deux sentiments contraires : la répulsion de le voir ainsi les priver de tout ce qui faisait de quelqu’un un être humain, les réduisant à l’état d’animaux heureux et béats, certes, mais au prix de leur volonté ; et l’admiration pour ce tour de force qu’il venait de commettre sous ses yeux. « Tu es puissant, je te l’accorde, beaucoup plus que ce que je m’étais imaginé. Pas étonnant que mon père t’ait accepté comme élève. » Elle suivit des yeux le jeune homme qu’il lui désigna et secoua la tête. « Mais ça aurait été encore plus impressionnant si tu avais pu faire un coup pareil sans piétiner leur libre-arbitre. Si tu te sers de ta magie pour dominer les autres, ça ne fait pas de toi quelqu’un de plus doué, juste de plus amoral. » Certes, elle répétait sa leçon. Mais elle adhérait à cette philosophie. Sa ligne de conduite était simple : ne pas faire aux autres ce qu’elle n’aurait pas supporté qu’on lui fasse. Et quelque part, elle doutait que Nicolas apprécie être la victime de ce genre de tour. Cette pensée n’eut qu’un effet sur elle : elle eut envie d’essayer. Mais ce n’était pas parce qu’il l’agaçait qu’elle pouvait se permettre de commettre un crime aussi odieux. Elle soutint son regard avec l’aplomb de sa jeunesse, sa seule arme face à lui pour l’heure, puisqu’elle se refusait encore à l’imiter, même si cette seule idée était satisfaisante.

Soudain, il la tira sur la piste de danse. Lâcher prise ? Depuis qu’il avait lancé son sort, elle n’avait pas quitté les fils de sa magie des yeux, la voyait qui dansait entre les gens, qui s’enroulait autour d’eux, qui embrumait leur esprit. Il n’y avait que cela qui comptait pour elle. Serait-elle capable de reproduire ce sort ? Il lui semblait que oui. Le voudrait-elle un jour ? Jamais ! Elle le gratifia d’un sourire de défi, parce que jouer son jeu, c’était le satisfaire un peu – les hommes… – et calmer ainsi un peu cette situation qui échappait à son contrôle. Et tout en dansant, ses lèvres remuaient, leur mouvement plaqués sur la chanson qui faisait trembler le sol et les murs, alors qu’elle ne répétait qu’une chose en silence et en boucle : « aL eigam eépissid. » Elle avait évité d’utiliser le mot « disparaît » parce qu’elle aurait été capable de la faire disparaître pour de bon, chez Nicolas ou chez elle, et ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle en mourrait ! Si lui ne la trucidait pas avant. Chaque corps dans lequel elle se cognait se trouvait enveloppé par son influence, et allait la répandre à chaque danseur dans lequel il se cognait à son tour. Petit à petit, l’atmosphère s’alourdit, devint plus terne, plus ennuyeuse. La vie sans le sort de Nicolas. Vu comme ça, odieuse, évidemment, et de nouveau la magie de Nicolas lui parut séduisante. Mais c’était la bonne chose à faire. Elle s’immobilisa au milieu des danseurs qui avaient légèrement perdu de leur superbe, et le regarda fixement. La magie, ou un couteau, ou un flingue… Tu es soumis aux mêmes lois, ta liberté est censée d’arrêter là où celle des autres commence. Elle avait usé de télépathie, faute de pouvoir se faire entendre ici, au milieu de la piste de danse. Et puis, une troisième voix éclata entre eux, que personne n’aurait pu entendre : Zatanna. Elle sursauta, cherchant son père des yeux, mais bien sûr, il n’était pas physiquement là. Elle haussa les sourcils à l’adresse de Nicolas. Zatara la cherchait, et dans pas longtemps, il la trouverait.

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Qu’est-ce qu’elle crut, à cette seconde où il se pencha sur elle, au milieu de la piste de danse, alors qu’ils étaient les deux seules personnes immobiles au centre de ce carrousel d’électrons libres ? Elle n’avait pas vingt ans, n’avait pas d’amis, n’avait jamais été scolarisée ailleurs que chez elle et vivait sous la tutelle stricte de son père depuis toujours, se nourrissait de séries télés, avait eu sa part de relations stupides avec des adolescents ou des hommes tout aussi stupides qui duraient aussi longtemps que le nombre de représentations que son père et elle donnaient dans la ville concernée, autant de nuits sans émotions et sans sentiments, avec seulement la curiosité comme appât et au petit matin, alors qu’elle se glissait en catimini hors d’un lit inconnu – qu’elle se téléportait même parfois, littéralement, pour s’enfuir –, toujours la déception… Alors que crut-elle face à Nicolas, dont bien sûr, elle s’était déjà entichée, avec la naïveté d’une petite fille mais aussi la soif dévorante d’une magicienne dont on avait toujours bridé les pouvoirs ? Bien sur, elle crut qu’il allait l’embrasser. Et elle n’aurait pas refusé, probablement. Ça aurait été comme tout le reste de cette soirée, sans conséquences, sans engagement. Non ? Heureusement, il ne le fit pas. Elle aurait détesté entendre la voix de son père résonner sous son crâne à ce moment-là. Plus efficace qu’une douche froide, la seule idée que Zatara la cherchait – ou plutôt, se contentait, en appelant simplement son nom, de lui ordonner de rentrer, où qu’elle soit – la fit reprendre ses esprits, la fit revoir sa situation, ce club, ces gens, la magie et même Nicolas, sous un œil tout à fait neuf, ou plutôt ancien. Le point de vue de son père.

Oui, elle devait rentrer. Avant que son père ne se pointe ici, ce qu’il ferait. Bien sûr, les paroles du sorcier lui donnaient envie de le baffer. Elle n’était pas prête à se laisser convaincre, certainement pas de cette façon. Mais elle se consolait en se disant que c’était aussi pour lui qu’elle se montrait aussi obéissante. Nicolas n’avait pas du tout envie que Zatara déboule ici et le trouve avec elle, pas s’il attendait réellement quelque chose de lui, quoi que ce soit. Il avait beau se la jouer jeune Anglais nonchalant, si Zatara revenait sur leur accord, alors l’Anglais nonchalant n’aurait plus qu’à aller voir ailleurs pour apprendre elle ne savait pas quoi. Oui, elle ne savait pas quoi, qu’elle aussi voulait apprendre. Elle finit par secouer la tête, même s’il ne pouvait pas la voir puisqu’il lui avait tourné le dos avec un certain sens de la mise en scène. « Oh, oui, comme la vie doit être belle pour Nicolas Nolan… » Elle se moquait un peu de lui, mais elle était jalouse, aussi. Et enfin, dans sa voix, il y avait comme un genre de drapeau blanc, une acceptation de ce qu’elle considérait chez lui comme un défaut, mais qu’elle pouvait outrepasser, comme une mère qui refuse de juger son enfant. « Tu as raison, il m’entrave. J’en ai conscience, tu peux garder tes commentaires pour toi. Ce dont j’ai conscience également, c’est que s’il t’éjecte de son programme d’apprentissage de la magie pour les nuls, il ne sera jamais ton maître, et toi tu ne seras jamais le mien. » Et par là, elle entendait bien maître en magie. La fierté lui faisait mettre les points sur les i quant à ce qu’il représentait pour elle – mais ses paroles n’en étaient pas moins claires et directes. Elle avait l’impression que Zatara n’avait plus rien à lui apprendre. Et que Nicolas, lui, avait tout à lui apprendre.

Alors, elle repoussa son ego, ravala sa frustration et décida que ne pas lui donner ce qu’il voulait, même si pour cela elle devait en être humiliée, était la meilleure chose à faire, à plus long terme. « Comme ça au moins, je suis certaine qu’on se reverra, toi et moi. Je ne suis pas sûre que ta nonne puisse en dire autant. » Et de nouveau, elle entendit la voix de son père, plus pressante, plus agacée, aussi. Quand sa mère était en vie, Zatanna n’avait jamais entendu son père lui parler de cette façon, comme s’il craignait qu’elle ne se cache sous un rocher et n’en sorte jamais, et ne l’abandonne. Elle esquissa un salut à l’adresse du sorcier, puis haussa les épaules, et d’un mot, rassembla la magie autour d'elle comme un voile pour se téléporter.

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