Gotham, berceau du crime. Si Tatsu avait pendant longtemps abhorré cette ville, où les justiciers masqués sont aussi célèbres que les criminels qu'ils traquent, son engagement au sein de la Suicide Squad avait fini par la vacciner de la folie ambiante qui y régnait. Lorsque l'on fait équipe avec un personnage aussi imprévisible que Harley Quinn, difficile de se laisser intimider par quelques gangs de bas étage à la soif de pouvoir démesurée. De toute évidence, la japonaise n'était pas du genre à baisser les yeux face à l'adversité, aussi ne ressentait-elle aucune crainte à l'idée de déambuler seule dans les rues de la ville tristement célèbre de l'homme chauve-souris. Habillée en civile pour l'occasion, elle avançait d'une démarche hâtive qui prouvait qu'elle savait parfaitement où elle souhaitait aller. Les talons de ses bottes claquaient contre l'asphalte encore humide tandis que le bas de son manteau, suffisamment long pour dissimuler le katana qui pendait à sa ceinture, virevoltait à la moindre brise de vent. Elle aurait très bien se rendre chez l'homme qu'elle souhaitait rencontrer dans sa tenue de travail, mais elle préférait garder le profil bas afin de ne pas attirer les ennuis : il lui semblait parfois que son masque n'était ni plus ni moins qu'un aimant à problèmes, car à la minute où elle l'enfilait, quelqu'un criait à l'aide. Ce jour-là pourtant, c'était Tatsu qui était en mission, et Katana pouvait bénéficier d'un peu de repos, du moins jusqu'à ce que Waller estime que ses services sont requis de nouveau. Elle avait tellement l'habitude d'être dans la peau de son alter-ego qu'elle avait du mal à embrasser pleinement sa véritable identité, c'est-à-dire une jeune femme de trente ans, expatriée, enseignante en arts martiaux... et veuve. Finalement, la raison pour laquelle elle ne savait dissocier Tatsu de Katana était que l'une ne pouvait fonctionner sans l'autre, puisque chacune avait donné -ou redonné- naissance à l'autre.
L’hôtel qu’elle recherchait n’était plus très loin, si les informations qu’elle avait récoltées des archives de la Suicide Squad s’avéraient exactes. Son rendez-vous du jour, même si elle n’était pas vraiment attendue, était un homme qu’elle avait côtoyé à plusieurs reprises au sein de l’organisation de Waller, et qui était un spécialiste des arts mystiques. Malgré l’aura mystérieuse qui entourait ce personnage et qui la poussait à rester sur ses gardes, Tatsu avait besoin de son expertise pour en apprendre davantage sur son arme de prédilection : si elle s’était faite à l’idée de pouvoir communiquer avec son défunt mari au travers de sa lame, elle ignorait tout du potentiel d’une telle arme et souhaitait dorénavant l’exploiter au maximum. Bien évidemment, elle n’était pas naïve et ne comptait pas accorder aveuglément sa confiance à un homme tel que Jason Blood, mais elle se doutait également que dans le monde particulier dans lequel ils vivaient, il y avait peu de chance pour qu’il l’aide par simple bonté de cœur. Restait à savoir ce qui lui en coûterait.
Le Stratford’s Arms se trouvait désormais dans son champ de vision. Sans ne rien laisser paraître, elle ne ralentit pas la démarche et s’empressa de se rendre vers l’entrée du bâtiment, afin d’en finir au plus vite avec cette escapade. Ce n’était pas tant la rencontre avec Blood qui la rendait nerveuse, mais le simple fait de devoir demander de l’aide à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas vraiment et en qui elle n’avait absolument pas confiance : dépendre de quelqu’un de son entourage lui coûtait déjà suffisamment pour qu’elle soit parfaitement sereine à l’idée de dépendre d’un étranger. Dans le hall d’entrée, elle s’adressa à un vieil homme en habits de majordome à la mine manifestement étrange pour un humain, mais relativement banale pour un fantôme. Sans vraiment savoir si son imagination lui jouait un tour, elle se contenta de hausser les épaules et le laissa lui indiquer la suite où se trouvait Jason Blood : dans un monde où extraterrestres et super-vilains se disputaient le contrôle de l’humanité, elle ne voyait pas pourquoi des fantômes devraient la surprendre. Une fois montés les étages qui menaient à la suite indiquée par le majordome, elle soupira longuement puis s’approcha de la porte d’entrée. Elle espérait que son interlocuteur se souviendrait d’elle, histoire qu’elle n’ait pas à s’étendre dans des présentations qui la mettraient particulièrement mal à l’aise, même si sans son masque il y avait des risques pour qu’il ait du mal à mettre un nom sur son visage. Sans attendre plus longtemps, elle frappa à la porte et patienta calmement que quelqu’un vienne lui ouvrir : lorsque le battant de la porte s’ouvrit sur Jason Blood, Tatsu laissa planer un silence de quelques secondes, le temps qu’elle puisse analyser son interlocuteur. Lorsqu’elle l’eut suffisamment détaillé, elle s’adressa à lui après l’avoir brièvement salué de la tête, sans pour autant faire preuve de la moindre once de sympathie.
« Nous avons collaboré ensemble pour Mme Waller dans le cadre de la Task Force X. Je pense que vous pouvez m’aider dans l’un de mes projets. »
Comme toujours, on pouvait compter sur la japonaise pour faire preuve d’efficacité dans ses propos, qui ne laissaient transparaître aucune forme de familiarité. Elle donnait l’impression d’être en mission tant son attitude semblait millimétrée et mécanique, mais en réalité, ses « projets » ne concernaient que sa propre personne.
Le Stratford’s Arms. Hôtel privé coincé dans une bulle temporelle depuis l’an de grâce 1946, figé dans le temps à la seconde exacte précédent sa destruction par une explosion de gaz – pris au piège et préservé dans cette dimension de poche par son actuel propriétaire, qui n’avait pu se résoudre à voir ce monument historique partir en fumée, et, coïncidence du sort, avait de toute façon eu besoin d’un nouveau logement, donc ça l’avait bien arrangé de jouer aux conservateurs de l’extrême et de s’assurer par la même occasion un toit au-dessus de la tête. Jason Blood en avait connu, des résidences hétéroclites, au fil des longs siècles de son existence, de château médiéval en temple perdu au milieu des montagnes himalayennes, sans oublier les manoirs de campagne de son Angleterre natale et les appartements luxueux de Kensington du Londres victorien. Mais de tous ces points de chute, le Stratford’s Arms était celui pour lequel l’éminent Jason Blood avait développé le plus d’affection. Tous les étages en étaient déserts, à part le dernier, le penthouse dans lequel il avait élu domicile, en compagnie de son incroyable collection d’antiquités, d’œuvres d’art, et d’artefacts magiques. Parfois, le propriétaire des lieux se prenait à rêver, en contemplant son appartement transformé en véritable musée privé, que ces lieux seraient son dernier lieu de résidence, qu’enfin l’éternité pourrait commencer à ressembler à quelque chose, en ces lieux où le temps ne s’écoulait pas de la même façon qu’ailleurs. Mais qui cherchait-il à berner, sinon lui-même ? Il y passerait quelques décennies de plus, quelques siècles, s’il avait de la chance, puis le vent, ou son infernal compagnon, le porteraient ailleurs, comme ils le faisaient à chaque fois. Penché au-dessus d’un grimoire, une tasse de thé brûlante à la main, Blood laissait ainsi son esprit vagabonder – jusqu’à ce que la sonnette psychique de l’hôtel ne retentisse dans son esprit, signalant que Richard avait laissé le passage à un visiteur.
Jason releva les yeux de son grimoire – curieux. Le brave majordome ectoplasmique, ainsi que l’hôtel, étaient pratiquement invisible aux yeux du monde, à peine plus qu’une ombre au coin de l’œil du passant pourtant attentif. Seuls ceux invités par Jason lui-même, ou les êtres dotés d’une formidable puissance magique, pouvaient trouver l’hôtel par eux-même. Il devait donc s’agir d’un visage familier, et dont les intentions ne devaient pas être hostiles ; sans quoi Richard lui aurait barré le passage. Mais, prudence étant mère de sûreté, c’est un Jason circonspect qui referma son grimoire et s’aventura en direction de la porte d’entrée – et déjà de l’autre côté du battant, avant même de poser la main sur la poignée, il sentit les effluves de magie émanant de son visiteur, attrapant au passage quelques stimuli visuels, et du sang, beaucoup de sang versé. Oh oui, il connaissait bien cette aura. Réprimant un soupir contrit, Jason ouvrit la porte, et affronta vaillamment le regard inquisiteur de la redoutable Katana, sans ciller – alors même qu’elle était de ces gens dont le regard pousserait les plus braves à se liquéfier sur place. Enfin, elle le salua brièvement, et il lui rendit sa courtoisie avec le même… professionnalisme distant, et arqua un sourcil sitôt qu’elle consentit enfin à s’exprimer. « Miss Waller ne vous a-t-elle pas informé que j’avais mis fin à notre collaboration ? » demanda-t-il, sans pour autant être vraiment surpris, cette ‘fin’ s’était résumée à ignorer superbement la redoutable matrone sitôt qu’il avait signé son contrat avec S.H.A.D.E. Néanmoins, il s’écarta, et d’un geste invita la jeune femme à entrer. Il avait beau ne plus rien vouloir avoir à faire avec Waller et ses sbires, la démarche de Katana avait de quoi l’intriguer.
« Vous ne m’en voudrez pas de faire preuve d’un peu de méfiance. Il me semble que votre chère et estimée patronne eut un jour pour plans de m’enrôler dans sa fameuse Task Force, avec ou sans mon accord – et la dernière fois que j’ai eu affaire personnellement à l’un de vos collègues, j’ai été forcé de laisser Etrigan sortir de sa cage, et n’ai pu regagner le contrôle pendant des mois. » lâcha-t-il, laconique, une référence à peine voilée de ses mésaventures avec un certain Digger Harkness, dont il se demandait s’il s’était vanté de leurs exploits auprès de ses petits camarades. Après ce jour, Blood s’était juré de ne plus jamais se mêler des affaires de la Suicide Squad et des lunatiques qui la composaient. Mais Katana, elle, l’avait toujours frappé comme une anomalie dans cette joyeuse de bande de cinglés – peut-être que, comme le colonel Flag, elle ne faisait qu’à moitié partie de la bande. Au moins, elle avait l’air d’avoir toute sa raison, et de savoir ce qu’elle faisait ; il ne pouvait en dire autant du reste du groupe. Alors, que cette sabreuse remarquablement talentueuse et solitaire vienne le trouver de son propre chef, pour lui parler d’un de ses ‘projets’ ? Il y avait là de quoi piquer son intérêt. Sa tasse fumante toujours à la main, Jason guida Katana jusqu’au salon, richement décoré de tableau et autres vitrines abritant nombre d’antiquités savamment exposées, résultat de quinze siècles de vie et de collection. « Je vous en prie, mettez-vous à l’aise. Puis-je au moins vous offrir du thé ? » demanda-t-il en posant sa propre tasse sur la table basse, pour aller chercher le nécessaire à thé laissé sur son bureau. Il s’en revint quelques instants plus tard, et servit son invitée – courtoisie anglaise oblige – avant de prendre place dans le fauteuil en face d’elle, jambes croisées et regard attentif. « Vous n’êtes donc pas là sur instruction de Miss Waller. J’avoue que vous m’intriguez. En quoi puis-je vous être utile ? » demanda-t-il. Pour tirer quelqu’un comme Katana de sa solitude tant chérie, il fallait une solide raison. Et à dire la vérité, Jason se refusait à laisser passer une telle occasion de tromper un tant soit peu l’ennui existentiel qui seyait si bien aux immortels dans son genre.
Même si elle ne laissait rien transparaître, Tatsu devait admettre que son interlocuteur du jour dégageait une aura des plus intimidantes. Peut-être cela était-il lié au fait que les rapports d'Argus avaient toujours été obscurs le concernant, ou alors parce qu'il défiait tout ce en quoi elle était convaincue, mais dans tous les cas, elle savait qu'elle avait affaire à un être aux pouvoirs qui la transcendaient. C'est justement pour cette raison que Jason Blood était l'homme parfait pour la situation, et ce, même s'ils n'étaient plus censés travailler ensemble. Lorsqu'il la jaugea du regard, la japonaise se fit violence pour ne pas baisser les yeux, afin de ne pas lui céder un ascendant trop évident : ce n'est pas parce qu'elle était mortelle qu'elle devait se soumettre à ceux qui vivaient éternellement. Lorsqu'il s'adressa finalement à elle, elle reconnut cette méfiance dont elle était si familière et qu'elle put parfaitement comprendre compte tenu de la situation, et de la manière dont s'est achevée sa collaboration avec la Suicide Squad. Si elle n'avait pas eu vent des détails de cette mission désastreuse, elle put sans trop de mal imaginer comment son équipe avait pu une fois de plus tout faire capoter. Si sa distance était donc légitime, elle se demandait pourquoi il cherchait tout de même à faire preuve de courtoisie à son égard. Quoiqu'il en soit, elle souhaitait au plus vite mettre les choses au clair et établir une distance entre elle et son équipe, car cela pouvait lui être préjudiciable : elle n'avait pas l'intention de laisser la mauvaise réputation de ses acolytes nuire à ses projets personnels.
« Si Miss Waller avait voulu s'entretenir avec vous, elle serait venue en personne et ne m'aurait pas envoyé. C'est moi qui suis venue, laissons la Task Force de côté. »
N'importe qui aurait ressenti une once de culpabilité à l'idée de se montrer si revêche, mais Tatsu n'était pas n'importe qui. Elle n'était pas du genre à s'attarder sur des discours flatteurs avant de passer à l'action, et elle savait pertinemment que des personnes comme Blood devait ressentir la même chose. Qui plus-est, elle ne voulait pas que les erreurs d'autrui contribuent à définir son rapport aux autres, aussi souhaitait-elle éradiquer au plus vite l'étiquette qui la liait à l'organisation de Waller. En tout cas, ses paroles n'avaient pas apparemment pas dérangé le maître des lieux puisqu'il la laissa entrer dans une pièce qu'elle se devait de qualifier de somptueuse. L'ensemble d'artefacts qui s'amoncelaient ça et là donnait à l'endroit une atmosphère chargée d'authenticité, et il lui semblait qu'elle venait de faire un bond de plusieurs siècles dans le passé. Elle se sentait à l'aise au milieu de tous ces vestiges de temps anciens et civilisations lointaines, et même si elle avait un aspect foncièrement magique -au sens littéral du terme, cette pièce semblait plus que jamais ancrée dans sa réalité. Lorsque Jason Blood lui proposa du thé, elle s'apprêta à répondre automatiquement par la négative mais il ne lui laissa pas le temps : elle se força alors à s'adapter à la courtoisie de son hôte et s'installa dans un fauteuil, après avoir posé son katana sur ses genoux. À chaque fois qu'elle le voyait si proche et qu'elle pouvait le toucher, elle se sentait davantage rassurée, protégée : elle avait depuis longtemps compris qu'il s'agissait d'une véritable extension de sa personne, comme une partie du corps qui lui était propre. Mais cette extension n'était pas que physique, puisque la voix de son mari qui y résidait avait le don de la rendre en communion spirituelle avec Tatsu. Lorsque Blood reprit la parole, la jeune femme détourna son regard de son épée puis haussa légèrement les sourcils lorsqu'il lui confia sa curiosité : comment un homme aussi vieux et ayant vécu tant d'aventures pouvait-il être intrigué à son égard ?
« Je pense que vous connaissez mon arme, il s'agit de celle que j'utilise toujours sur le terrain, précisa-t-elle en glissant son doigt le long du pommeau. Elle prit une légère inspiration, puis poursuivit. Je suis entrée dans sa possession dans des circonstances qui font que j'ignore énormément de choses sur elle. Et sur son potentiel. »
Son regard continuait de scruter son interlocuteur, et il s'était durci lorsqu'elle avait évoqué la manière dont elle avait obtenu son épée. Afin de cacher son malaise, elle sirota quelques gorgées de thé puis reprit là où elle s'était arrêtée.
« Elle a quelques propriétés particulières, qui semblent être dans vos cordes. Par exemple... je peux entendre les voix des personnes que cette lame a tuées, mais j'ignore ce qu'elle peut faire de plus. »
Elle se tut, n'étant pas habituée à parler autant de son arme. Il lui semblait qu'elle avait un devoir de confidentialité à son égard, vu tout ce qu'elles avaient traversé ensemble, mais si elle voulait réellement avancer, elle n'avait pas d'autre alternative.
Laisser la Task Force de côté. Fort bien – Blood était ravi de se plier à l’exercice, si cela signifiait effectivement qu’il n’aurait pas la désagréable surprise de trouver Harkness, ou Quinn, ou un autre de ces hurluberlus derrière sa porte sitôt qu’il reconduirait Katana dehors une fois leurs affaires conclues. Assis dans son fauteuil, jambes croisées et les doigts posés contre sa tempe, le sorcier millénaire contemplait son interlocutrice bien au-delà du spectacle qu’elle offrait, drapée dans son long manteau et dépourvue, pour une fois, du masque blanc qui dissimulait habituellement son visage. Tatsu Yamashiro – il se demandait si les kanjis qui composaient son nom reflétaient son allure et son aura si particulières, tout en soupçonnant qu’il serait indélicat de lui poser la question. Elle lui rappelait ces guerriers samurai qu’il avait si bien connus lors de ses pérégrinations au Japon en pleine ère Edo, mais quelque part, il se demandait aussi si elle n’était pas plus proche du ronin, ces guerriers errants lancés sur un chemin qui n’appartenait qu’à eux et dont la finalité dépassait l’entendement étroit et étriqué de ceux qui avaient les moyens de se payer les services de leurs lames. Et comme tout ronin qui se respectait, Katana opérait seule, et n’avait besoin de nulle autre compagnon que son fidèle sabre. Alors, pour qu’une guerrière comme elle décide de sortir de sa solitude contemplative pour le consulter, il fallait bien, songeait-il, que l’affaire soit importante. Du visage de son interlocutrice, ses yeux gris glissèrent sur l’arme précautionneusement posée sur ses genoux. Ce sabre dégageait une telle aura, d’une telle violence et d’une telle gravité, qu’il en avait presque le souffle coupé. Et c’était bien à son sujet, visiblement, que Katana avait décidé de venir chercher son conseil. A nouveau il releva le regard vers elle, son intérêt piqué, et il hocha lentement la tête.
« Oui, je connais Soultaker. Une lame remarquable. » commenta-t-il simplement afin de confirmer son sentiment. Il la connaissait par bien des aspects : pour l’avoir vue à l’œuvre de ses propres yeux, puis grâce aux recherches qu’il avait entreprises personnellement, et aussi grâce à ses connaissances étendues amassées au fil des siècles. Soultaker n’était pas exactement unique en son genre, mais les armes capables d’un exploit tel que celui d’enfermer des âmes en leur sein se comptaient sur les doigts d’une main au fil des siècles. La célèbre faux de la Grande Faucheuse en faisait partie – Soultaker était une arme du même calibre. Pudique, Katana refusa pour le moment d’en dire plus sur les circonstances dans lesquelles elle avait obtenu cette arme formidable, et Jason choisit de respecter son silence, même si hélas, il soupçonnait qu’il aurait tôt ou tard à la presser de questions, si elle était bien venue pour les raisons qu’il suspectait. Et il ne lui fallut pas longtemps pour le confirmer – Katana avait cette façon d’aller droit au but qu’il n’était pas sans lui plaire. « Apprendre à mieux connaître son arme. Une démarche digne des plus grands samurai. » remarqua-t-il en décroisant les jambes pour s’extirper de son fauteuil, sa propre tasse de thé fumante en main, l’autre main enfouie dans la poche de son costume. « Même si la plupart des grands samurai n’ont pas le privilège de manier une telle lame. » Il comprenait mieux pourquoi c’était lui, qu’elle était venue trouver. L’aversion d’Amanda Waller pour la magie était de notoriété quasi-publique – les quelques sorciers qu’elle tolérait dans ses escouades étaient gardés sous haute surveillance, souvent malsaine et manipulatrice. Difficile d’oublier sous quelles circonstances avaient commencé les relations qui unissaient Rick Flag et June Moone, ou encore le capitaine Thorne et miss Rosewood. Songeur, Jason porta sa tasse à ses lèvres. Tatsu Yamashiro n’avait aucune ressource à exploiter à ARGUS, ou au gouvernement. Lui, en revanche… bien bien bien.
« Soultaker fait partie de ces armes entrées dans la légende – au moins pour le connaisseurs, à défaut du grand public. J’ai entendu parler d’elle pour la première fois quelques années après la mort de son créateur présumé, Muramasa, le légendaire forgeron de lames maudites. Mais déjà à cette époque, elle avait semblé s’être volatilisée dans la nature. » expliqua Jason Blood en reposant sa tasse sur la table basse, avant de tendre la main vers l’une de ses imposantes bibliothèques. Un courant magique souffla dans la pièce, et un épais volume s’en extirpa tout seul, avant de flotter tranquillement jusqu’à la main de son propriétaire, qui n’avait pas l’air le moins du monde désorienté. Sourcils froncés, l’éminent sorcier feuilleta l’antique registre jusqu’à trouver la page qu’il recherchait, avant de le déposer devant son invitée – exposant à ses yeux curieux la réplique d’un croquis de Soultaker accompagnée d’une multitude de notes inscrites à l’encre de Chine en kanjis anciens. « Une lame capable de piéger l’âme de ses victimes dans un entre-deux, ni paradis, ni enfer, ni purgatoire… et permettant à son propriétaire de communiquer avec les esprits piégés. Pour beaucoup, ce talent-là suffirait. Après tout, Katana, vous avez là une ressource formidable pour bénéficier de la sagesse et des conseils de milliers d’esprits. Je connais bien des nécromanciens qui tueraient pour un tel privilège. » Soultaker avait-elle besoin de faire plus que cela ? Le pouvait-elle seulement ? Les récits divergeaient à ce sujet – et Jason Blood devait bien l’admettre, la perspective de peut-être en apprendre plus et satisfaire sa curiosité personnelle avait quelque chose de particulièrement alléchant. « Avez-vous déjà rencontré ou entendu parler d’un certain Rory Regan ? Il se fait aussi appeler Ragman. Sa cape a la propriété particulière de piéger les âmes des criminels et des pécheurs, au sens biblique du terme – et comme vous, ce cher Rory peut communiquer avec ses prisonniers. Mais pas que. » Laissant le reste de son exposé en suspens, Jason tendit la main vers Katana, son indéchiffrable regard rivé sur elle. « Puis-je ? » demanda-t-il, en indiquant Soultaker d’un geste respectueux. Si elle voulait bénéficier de ses conseils, il allait falloir qu’elle lui fasse confiance – jusqu’à un certain stade. Et surtout, qu’elle fasse confiance à cette lame dont elle ignorait encore tant.
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