Metal VS Metal ! [Ft. Nathaniel Heywood]

La Grande Gothique. Nate ne connaissait, à dire la vérité, pas grand-chose de Gotham avant d’y débarquer, un peu à l’improviste, quelques semaines auparavant. Et depuis, lorsqu’il n’était pas occupée à soutenir Barbara dans ses nouvelles responsabilités au sein de la famille de chauve-souris la plus célèbre du pays, il avait appris à meubler son temps libre comme il le faisait le mieux : en apprenant. Il n’avait pas de cours à dispenser à Star City, ses derniers projets de recherches étaient arrivés à leur termes, et le brave docteur Heywood, historien de son état, s’était vite retrouver à chercher un nouveau pan du passé sur lequel fixer son attention et sa curiosité. Evidemment, que Gotham l’avait attiré dans ses filets ; évidemment, qu’il avait fini par passer des heures et des heures à lire des centaines de pages sur l’histoire controversée, sombre, et inquiétante de la ville qui l’avait accueilli en son sein, lui l’étranger dans un royaume de ténèbres et de chaos. Un enfer à taille humaine, un purgatoire où diables et anges déchus jouaient au coude-à-coude dans une danse macabre qu’il ne comprenait toujours pas, ou pas toujours, coincé de l’autre côté du miroir car irrémédiablement étranger. On ne devient pas gothamite, on le naît. Une leçon dont Nate Heywood commençait tout juste à comprendre la portée.

C’était la première explosion qui l’avait alerté, lançant une série d’alarmes sur l’ordinateur de la Tour de l’Horloge. Barbara n’était pas là, déjà occupée ailleurs avec l’un des autres Robin, voire plusieurs. Alors, après lui avoir envoyé un rapide message, Nate avait enfilé son propre costume, sa veste frappée de l’étoile rouge, bleue et blanche de son grand-père, et avait filé en direction de la banque, à peine à quelques rues de là. Citizen Steel n’était pas exactement le plus discret des justiciers que le monde ait jamais connu ; trop lourd, trop solide, pour prétendre à l’agilité d’une chauve-souris ou à la discrétion d’un speedster. Heureusement, le gang qui avait décidé de prendre cette banque en otage lui facilitait la tâche. Eux non plus, ne cherchaient pas à faire dans la discrétion. Eux, c’était un véritable show, qu’ils avaient l’air d’avoir promis aux citoyens de Gotham. Planqué derrière une fenêtre ouverte à l’arrière de la banque, Nate risqua un œil à l’intérieur, cherchant à identifier les responsables. Ces couleurs. Ce modus operandi. Le Joker ? Mais nulle trace du Prince du Crime dans cette gigantesque farce cruelle. Et, honnêtement, Nate ne put guère se retenir de songer un : tant mieux.

Profitant du vacarme de fête foraine qui venait du hall gigantesque de la banque, Nate se hissa par la fenêtre d’un bureau, par laquelle un responsable s’était sans doute enfui lorsque l’attaque avait commencé, et, lentement, se faufila jusque dans le corridor avant de se dissimuler dans un renfoncement à l’instant où l’un des braqueurs s’y aventura à son tour. Ouf. Pas vu, pas pris. Après un court instant, Nate sortit de sa cachette, et se planqua derrière la porte donnant sur le hall. De là, il avait une vue d’ensemble de toute la scène ; et réalisa qu’à quelques pas de lui, des employés terrorisés se cachaient derrière les comptoirs. Okay. Il allait donc falloir les mettre à l’abri avant de s’attaquer au gang. A deux mètres de là à peine, l’un des braqueurs montait la garde, observant avec un régal visible la pièce qui se déroulait sous ses yeux. Ni une ni deux, Nate s’approcha dans son dos et, d’un coup à l’arrière du crâne, le mit hors d’état de nuire, priant pour que le bruit de la commotion n’ait alerté personne ; puis il fit signe aux employés, d’un geste, de se dépêcher de sortir par où il était venu. Corridor. Puis couloir. Et, pendant que ces pauvres gens tentaient de prendre la fuite, Nate montait la garde, anxieux, à l’affût du moindre signe qu’ils étaient repérés. Pas de bain de sang. C’était tout ce qu’il demandait : que ce soir, ils évitent un bain de sang. Hélas, Gotham, toujours, savait se montrer capricieuse.

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Quel nom donner à une pièce de théâtre dans laquelle l’un des protagonistes n’avait même pas conscience d’en être un ? Peut-être une farce, peut-être une tragédie, peut-être un peu des deux, à l’image de Phèdre ou de ses semblables qui ne prenaient conscience de leur statut de marionnette qu’à la toute fin du troisième acte, quand il était déjà trop tard. Dans cette pièce-là, le marionnettiste était parfaitement invisible, acteur et metteur-en-scène tout à la fois, et Nate, lui, n’y voyait que du feu, inconscient d’avoir brisé le quatrième mur et posé le pied là où il n’aurait pas dû. Aux yeux d’un public inconscient, comme ces pauvres otages qu’il tentait tant bien que mal d’évacuer en profitant du chaos ambiant, il aurait peut-être même eu des airs de héros. Mais pour le public averti, omniscient, celui qui distingue les tenants et les aboutissants de l’histoire, Citizen Steel n’était rien d’autre que le pion manipulé, plus proche du vieux roi Lear emprisonné dans ses illusions, que de son bouffon qui n’avait de bouffon que le nom. Au moins était-il animé des meilleures intentions du monde. Pas que ça ferait la moindre différence, une fois qu’ils parviendraient au dénouement de cette triste comédie.

Faire sortir le plus de gens possibles, elle était là, la priorité de Nate – arrêter les responsables, c’était secondaire. D’abord, s’assurer que plus aucun innocent ne serait blessé, ou pire, dans cette cruelle farce. Peut-être que c’était trop optimiste. Peut-être qu’il était encore trop naïf et trop innocent, qu’il n’avait pas encore appris les règles de la terrible Gotham, où la normalité correspondait toujours au pire scénario possible, et il en était bien conscient, mais tant pis, ça valait le coup d’au moins essayer. Alors, vite, pendant que la GCPD s’affairait à l’avant, lui, il tentait de faire sortir les otages par l’arrière. Des employés, quelques clients, et même – bordel, même un enfant. Enfin, enfant. Quel âge pouvait-il avoir, ce garçon ? Nate aurait été infoutu de lui donner un âge, ses traits juvéniles pouvait bien lui donner une quinzaine d’années tout au plus, alors que quelque chose dans ses yeux lui donnait étrangement quelques années de plus – mais il mit ça sur le compte du choc, ou du traumatisme. « Ca va aller. » répondit-il au gamin avec un sourire rassurant – il devait avoir à peu près l’âge de sa cousine, bon sang. Aucun gamin de cet âge-là ne devrait avoir à vivre ce genre de chose. Cette ville était malade ; et malheureusement, Citizen Steel ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que de soulager un symptôme. Un autre jour, un autre soir, un autre gosse n’aurait pas la chance de réchapper à ses bourreaux. Gotham la gothique, Gotham la cruelle.

« Suis les autres – vous filez jusqu’au bout de la ruelle, vous tournez à droite, et vous courez jusqu’aux voitures de police. C’est bientôt fini, d’accord ? » indiqua-t-il au jeune garçon en l’encourageant d’une légère pression sur l’épaule. Allez, petit, file te mettre à l’abri, et surtout, ne te retourne pas. Puis, Nate se retourna pour s’assurer que tout le monde avait bien été évacué, et il s’aventura à nouveau à l’intérieur, soucieux de s’assurer qu’il n’avait laissé personne derrière par mégarde, personne qui se serait caché dans une autre pièce en entendant l’alerte. Dans tout le bâtiment, c’était le chaos complet ; même la plomberie, l’infrastructure, tout le squelette métallique de la banque, sur lequel son cerveau plus complètement organique essayait de s’accorder contre sa volonté, résonnait dans une abominable cacophonie qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. Mais Nate ne trouva rien ni personne, dans les quelques pièces qu’il explora en silence, alors il revint sur ses pas, en direction de l’ouverture par laquelle les otages avaient pu s’enfuir – et ses pensées allèrent à nouveau vers ce garçon, alors qu’il espérait, de tout cœur, qu’il avait pu courir et retrouver la police. Sa famille. Quelqu’un, n’importe qui pour l’emmener loin d’ici. Sans se douter un seul instant que le gosse au visage juvénile n’avait d’innocent que la façade soignée, sous le vernis de laquelle les craquelures commençaient déjà à se montrer.

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Barbara se serait-elle laissé avoir par le subterfuge du jeune garçon, ou aurait-elle percé son secret à jour aussi sûrement que l’on retire un masque pour révéler une vérité laide et dérangeante, mais ô combien nécessaire ? Nate n’en savait, très honnêtement, absolument rien. Il n’avait pas eu le temps d’examiner dans le détail les archives qu’elle aurait pu avoir sur le Royal Flush Gang, et elle n’était pas au bout de son comlink, depuis la Tour de l’Horloge, pour lui souffler tout ce qu’il aurait pu besoin de savoir avant de se jeter dans le cœur de l’action. C’était lui, juste lui et le métal organique dans son corps, juste lui et son sens de l’improvisation dans une ville qui n’était pas la sienne et fonctionnait selon des règles qui échappaient complètement à quiconque n’en était pas natif. Un figurant dans une pièce à laquelle il n’appartenait pas, comme un acteur qui se serait trompé de plateau et devrait s’adapter aux règles du metteur en scène sans en avoir jamais reçu le mode d’emploi. Evidemment, qu’il avait été surpris de voir ce gosse revenir. Evidemment, qu’il avait été surpris aussi, en voyant cette lueur revêche et cruelle briller dans son regard juvénile. Et à ce moment-là, il avait compris. Il s’était fait avoir comme un débutant – et Gotham n’épargnait vraiment personne.

Les acolytes armés du garçon jaillirent du couloir, poussant Citizen Steel à aussitôt réactiver le métal contenu dans ses cellules – statue de métal mouvante, qui accueillit un premier assaillant d’un crochet sous le menton et un autre en l’envoyant voler dans un mur voisin. Ce à quoi il ne s’était pas attendu, en revanche, c’était les étranges projectiles qui se propulsèrent vers lui ; par réflexe, Nate leva le bras pour les repousser et les fixa un bref instant du regard. Qu’est-ce que c’était que ces trucs ? Du métal, ça il en était sûr et certain, mais… vivant ? « What the… » Pas le temps de réfléchir. Une rafale éclata dans l’air, et Nate sentit une salve de balles cribler son dos – sans parvenir à y laisser la moindre trace, à part dans son blouson déjà rapiécé mille fois. Sans plus attendre, sentant sa patience diminuer de seconde en seconde, l’homme d’acier attrapa un banc juste à côté de lui, l’arracha de ses socles comme s’ils n’avaient été que du scotch, et se retourna pour le jeter sur les deux hommes qui avaient tenté de le prendre à revers. Bam – en pleine face, et la force de l’impact les jeta tous les deux à terre, le banc à moitié explosé sur leurs carcasses maltraitées.

« Okay. Tu m’as eu, bien joué. Maintenant, c’est fini, okay ? La banque est encerclée, la GCPD est partout. Aucune échappatoire possible. » lança Nathaniel à l’adresse du jeune garçon, les poings serrés, sur la défensive. Batman avait ses Robin, le Joker avait des gosses sous ses ordres aussi – Gotham avait décidément une drôle de façon de gérer sa jeunesse. « Rends-toi. » Il faillit ajouter s’il te plaît, mais quelque chose dans le regard du gamin l’en empêcha. Ca, et le mouvement qu’il aperçut du coin de l’œil – mû par un pur réflexe, Nate se baissa pour éviter un nouvel assaut de ces étranges projectiles métalliques. Qu’est-ce que c’était, bon sang ? Des mini-robots ? Une nouvelle technologie développée par un fêlé quelconque de la ville ? Est-ce qu’ils obéissaient au gamin ou est-ce que quelqu’un d’autre les télécommandait ? Trop de questions, pas de temps pour les réponses ; et franchement, à ce stade, Nate n’avait aucune idée de comment il allait se tirer de ce pétrin. User de violence contre un gosse, l’idée le révoltait. Mais il était à Gotham. Et il n’avait ni gadgets, ni rien que sa peau indestructible et sa force démesurée. Ce n’était, il l’avait bien compris, plus lui qui dictait les règles.

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Se battre contre des enfants, voilà bien une limite que Nate n’aurait jamais pensé avoir à franchir. Mais Gotham, visiblement, avait cette façon bien à elle de tout corrompre, et de rendre réel les cauchemars qu’on n’osait même pas s’avouer à voix basse. Il avait beau encourager le gamin à partir, il ne bougeait pas d’un poil – mieux, il redoublait ses attaques et ses provocations. Il ne fallait pas être un universitaire ni Batman pour comprendre ce que ça voulait dire. Ce gamin n’irait nulle part tant qu’il n’aurait pas l’impression d’avoir gagné la bataille ; et d’autres innocents, peut-être, pâtiraient de sa persistance. Elle était terrible, Gotham, empoisonnée, prompte à corrompre tout ce qu’elle touchait à commencer par l’innocence de la jeunesse. Qu’est-ce qui avait pu arriver à ce gamin pour qu’il se retrouve sur cette voie, à suivre le Joker plutôt qu’à mener la vie ordinaire d’un jeune homme à peine adulte, peut-être même pas adulte encore ? Dans un monde meilleur, Nate aurait pu lui poser la question. Peut-être même résoudre la situation sans violence. Hélas, il semblait qu’il n’allait pas avoir le luxe du choix.

Son adversaire était vif, agile, rapide – Nate n’était pas un grand combattant, mais il avait assez observé Wonder Woman ou Troïa, écouté leurs préceptes, appris leurs techniques, pour reconnaître quelqu’un qui était au moins entraîné à se battre. C’était pas de la bagarre de rue, qu’il lui proposait. Et ses provocations réjouies ne faisaient que le conforter dans cette impression. A nouveau, une salve de petits projectiles métalliques s’écrasa sur lui, perforant ses vêtements, perforant presque l’acier indestructible de sa peau, et rien que ça, c’était particulièrement alarmant. Qui c’était ce môme ? Comment est-ce qu’il faisait ça ? Depuis quand le Joker employait-il des métahumains ? Nate grimaça, trop conscient qu’il ne pouvait pas se laisser prendre de court, même face à une situation qu’il refusait de but en bloc. Focus, Steel.

Il n’avait pas d’autre choix ; alors Nate franchit encore les quelques pas qui le séparaient du gamin et lança à nouveau son poing, qui le rata de peu pour se planter dans le béton du mur avec un bruit d’enfer, forçant le môme à se décaler sur le côté pour éviter le coup. Exactement ce qu’il avait espéré. Alors, profitant de cette ouverture, Nate tendit le bras aussi vite que possible, cherchant à se saisir de cette anguille, et bingo ! Sa main se referma avec succès sur le bras du jeune homme, qu’il tira à lui pour le forcer à cesser de gigoter et essayer de s’enfuir. « Arrête, tu ne vas réussir qu’à te blesser. » l’avertit-il en tentant, tant bien que mal, de minimiser sa force pour malgré tout éviter de lui casser un os – ou de le laisser échapper. Trouver le bon équilibre dans la force qu’il exerçait sur tout et n’importe quoi restait un exercice périlleux, même avec l’implant de Barbara. « La fête est finie. Rappelle tes troupes, dis-leur de se rendre à la GCPD, et laisse-moi te conduire au poste. T’es jeune, je ne sais pas ce que t’a promis le Joker en échanger de tes services, mais ça ne vaut pas le coup de foutre ta vie en l’air pour ça. » Dernier avertissement. Sans quoi, il serait obligé de passer aux choses sérieuses. Ou il serait sacrément dans le pétrin.

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Ils. Des ‘ils’ pas vraiment définis, des ‘ils’ qui ne portaient aucun nom encore, mais dans sa colère, le gamin laissait tomber les informations au compte-goutte, prenant complètement à revers le prétendu superhéros qui voulait juste que tout le monde puisse rentrer chez soi en vie et en un seul morceau. C’était déjà difficile de se battre contre un jeune homme qui avait à peine l’air adulte, alors le moindre soupçon qu’en l’arrachant au gang du Joker, il le condamnait peut-être à pire ? Nate avait bien du mal à imaginer ce qu’il pouvait y avoir de pire que le Joker, mais visiblement, aux yeux du garçon, ça existait. Et ça rendait cette clé de bras encore plus difficile à maintenir, de même que sa résolution vacillante – alors qu’à Gotham, hésiter était sans doute synonyme de mort. Quelques semaines à peine qu’il était là, et il commençait déjà à comprendre comment Floyd, Barbara, et tous ces gens qui avaient poussé dans cette ville maudite avaient pu devenir les gens qu’ils étaient devenus. Forts, mais durs. Impitoyables à leur manière ; probablement parce que Gotham elle-même ne leur avait pas laissé le choix. Et ce gosse, qui se débattait dans son emprise, avait déjà suivi le même chemin.

Elle était palpable, la colère du gamin, mais sous sa fureur, plus pernicieuse encore, plus dangereuse, plus poignante aussi, bouillonnait une terreur telle que Nate faillit le relâcher par réflexe, révulsé à l’idée d’en être la source. Et soudain, les mots-clés tombèrent : une bombe dans la nuque. Pendant une fraction de seconde, Nate se crut soudainement projeté sur Terre-4 à nouveau, dans cette discussion avec Floyd qui lui contait en filigranes son quotidien dans la Suicide Squad ; qui d’autre avait la brillante idée de mettre des bombes dans les nuques des gens, à part Amanda Waller ? « De quoi tu parles ? » demanda-t-il, malgré tout, sans savoir s’il espérait que le môme lui confirme ses soupçons ou le contredise. Qu’est-ce qui était le pire ? Savoir que Waller, et donc probablement ARGUS dans leur ensemble, transformaient des enfants en armes humaines ? Ou savoir que quelqu’un d’autre avait eu la même idée ? Sans se soucier de ses menaces de morsures – songeant peut-être un peu naïvement que son épiderme en acier ne pourrait être endommagé par des dents humaines – il força le gamin à se retourner pour lui faire face, sans le libérer pour autant.

« Tu parles d’ARGUS, c’est ça ? » A quoi bon prétendre qu’il n’était pas au courant ? Il voulait savoir. Il devait savoir. Parce que c’était une chose d’arrêter des criminels, et c’en était une autre de nourrir l’armée personnelle d’Amanda Waller. Tout à coup, Nate avait le sentiment terrible d’être face à un choix cornélien, la peste ou le choléra. Il ne pouvait pas le laisser repartir, mais prendre le risque de le renvoyer dans les griffes d’ARGUS ? Que devait-il faire ? Appeler la Ligue de Justice ? Au fond, que savait-il, à part le début d’information qu’il venait de lui fournir ? Et lui, que pourrait-il faire ? L’esprit de Nate s’échauffait, sans parvenir à la moindre conclusion satisfaisante. « Je peux pas te laisser repartir dans la nature comme ça, tu le sais aussi bien que moi. Je comprends que tu aies peur, mais crois-moi, le Joker n’est pas plus la solution qu’un enrôlement forcé dans une organisation secrète ! » rétorqua-t-il – pouvait-il seulement raisonner avec ce garçon ? Ou le lavage de cerveau du Joker était-il déjà trop poussé ? « Laisse-moi t’aider. » ajouta-t-il, autoritaire, et pourtant, presque suppliant. « Laisse-moi essayer de trouver une solution. Tu ne pourras pas échapper à la justice, mais avec l’aide de Batman, de quelqu’un, on pourra peut-être… » T’éviter ARGUS. T’éviter une vie impossible de servitude – pour le Joker ou pour Waller. Mais dans son empressement, Nate ne réalisa pas qu’il avait relâché sa pression sur le bras de son adversaire. Erreur de calcul, telles que Gotham ne les permettait pas.

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Dans quel monde il avait atterri, pour en arriver à entendre les mots ‘Joker’ et ‘héros’ dans une même phrase, sans qu’ils ne soient apposés en opposition l’un à l’autre ? Dans Gotham, voilà tout, dans cette ville dont la réputation n’était plus à faire et dont la réalité dépassait toutes les attentes qu’il aurait pu avoir. Une ville où les gens avaient tellement abandonné qu’ils en venaient, parfois, à se reposer sur ceux-là même qui cherchaient à réduire leurs vies à néant, parce qu’il n’y avait nulle part ailleurs où se tourner, et que peut-être ils seraient l’exception à la règle. Peut-être qu’eux, ils pourraient tirer leur épingle du jeu. Peut-être qu’eux ne finiraient pas passés sous un bulldozer par un psychopathe ou par un autre. Au fond, ce gosse n’avait probablement fait qu’échanger un bourreau pour un autre, et la différence, c’était que le deuxième, il l’avait choisi. Et que le Joker lui donnait au moins l’impression de sa liberté, là où ARGUS, il s’en doutait, ne l’aurait traité que comme de la chair à canon. Mais dans quel monde on vivait, pour en arriver là ? Dans quel monde on vivait, pour que ceux qui nous gouvernent soient les pires alternatives envisageables ?

« Argh ! » Mais bon sang, qu’est-ce que c’était que ces trucs ? Des robots miniatures ? Des insectes ? Distrait par la soudaine attaque qu’il n’avait pas vu venir, Nate n’eut d’autre choix que de relâcher, par pur instinct, sa prise sur le jeune homme pour se débattre – erreur de débutant, se maudirait-il un instant plus tard à peine. Il battit des bras dans l’air, cherchant à chasser ces petites créatures métalliques qui cherchaient à lui percer les yeux, l’aveugler, le distraire – et avant qu’il ne se rende compte de son erreur, il était déjà trop tard. « Non ! » s’exclama-t-il en voyant le garçon disparaître sans laisser de trace. Idiot que tu es, Heywood ! se sermonna-t-il en écrasant une petite poignée de bestioles contre le mur. Et, sans plus attendre, il s’élança à la poursuite de son assaillant. Enfin, autant que Citizen Steel pouvait s’élancer à la poursuite de qui que ce soit : si l’implant de Barbara lui avait permis d’à nouveau pouvoir courir après des années à se restreindre, en revanche, rien ne l’empêchait de faire un vacarme de tous les diables à chaque fois que son pas trop lourd et trop puissant imprimait l’empreinte de sa ranger dans le béton des ruelles de Gotham.

Il avait encore le gamin dans son champ de vision, mais essayer de réduire le volume de ses pas pendant qu’il courait, ça voulait dire ralentir – et ne pas ralentir, ça voulait dire être audible à dix kilomètres à la ronde. Il n’avait pas l’avantage. Pas du tout. « Hé ! Attends ! » l’appela-t-il de tous ses poumons en zigzaguant dans les ruelles truffées de poubelles et de rats. Mais le gamin connaissait mieux la ville, était plus rapide, plus discret, et soudain, son grand désespoir, il le perdit de vue. « Merde. » siffla-t-il entre ses dents, avant de s’engouffrer dans un embranchement où il avait cru le voir s’esquiver. Et Nate déboucha sur une petite cour, à l’arrière d’un immeuble, une impasse coincée entre plusieurs bâtiments, mais il avait beau balayer l’endroit des yeux, le gosse avait l’air de s’être complètement volatilisé. « Je sais que t’es pas loin. » lança-t-il, en n’était absolument pas sûr de lui, mais hé, c’était l’impression qui comptait. « Tu ne peux pas continuer comme ça. Quelqu’un te mettra la main dessus un jour. Peut-être pas moi. Peut-être Batman. Ou peut-être quelqu’un qui n’hésitera pas à tirer en se disant que tu n’es rien d’autre qu’un gangster. Travailler pour le Joker, c’est… c’est mettre un décompte sur ta vie. Très court, le décompte. » Attentif, il regardait autour de lui en parlant, à la recherche du moindre signe, du moindre mouvement. « Il se débarrassera de toi dès qu’il n’aura plus besoin de toi. Ne le laisse pas faire. Il n’est pas encore trop tard. »

Spoiler:

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Merde. Il allait lui échapper, c’est ça ? Impuissant, Nate resta bêtement planté là, à regarder le môme s’élever dans les airs sur sa soucoupe volante improvisée. Et en même temps, s’il lui échappait, est-ce que ce serait un moindre mal ? S’il lui mettait la main dessus, est-ce qu’il retournerait vraiment entre les griffes d’Amanda Waller et d’ARGUS ? Paralysé sur place, Citizen Steel n’avait aucune idée de quoi faire. Sur le papier, son job, son devoir, c’était d’arrêter les criminels – dans la pratique, ça voulait dire quoi, ça, s’il les condamnait à un sort pire que la prison ? Sa gorge se serra alors que les paysages désolés de New Themyscira lui revenaient en tête – ses retrouvailles avec un vieil ami, un ami d’enfance dont le chemin avait été bien différent du sien, qui avait fini sous le joug même de cette organisation que le garçon cherchait à fuir. Pouvait-il, en sachant ce qui était arrivé à Floyd, la position dans laquelle on le maintenait de force, délibérément choisir de risquer d’envoyer un gosse subir le même sort ? Mais l’alternative, n’était-ce pas le condamner au gang du Joker ? Entre ces deux options, Nate avait l’impression de devoir choisir entre la peste et le choléra. Et honnêtement, il n’avait pas envie de choisir. Du tout. Si c’était ça, être un héros, il n’était pas sûr d’avoir envie de garder le job.

Et pendant qu’il hésitait, le môme s’envolait toujours plus haut, alors Nate obéit à son instinct sans savoir du tout s’il était en train de prendre la bonne décision : il s’engouffra dans un de ces vieux escaliers qui servaient d’issue de secours hasardeuses et grimpa les marches quatre à quatre, en peinant à ne pas faire s’effondrer la structure sous son poids ou la force de ses jambes. S’il parvenait à le rattraper, à seulement lui parler, est-ce que ça suffirait ? Arrête Heywood, qu’est-ce que tu essayes de faire, là ? Et si Barbara était là, qu’est-ce qu’elle ferait ? La bat-family, qu’est-ce qu’ils feraient, tous ? « Attends – wooooah ! » Enfin, alors qu’il ne faisait plus vraiment attention à ses gestes, trop concentré sur le môme qui s’envolait vers l’infini et au-delà, il appuya un peu trop fort dans ses pas, et dans un grincement déchira, l’issue de secours commença à se détacher du mur. Maladroitement, Nate se rattrapa à la rambarde sur la plateforme tordue, pliée, penchée, mais rien à faire, la structure continuait de s’effondrer. Un plan, vite, un plan.

… bon, plus de l’improvisation qu’un plan, sans doute. Enfin, c’était sûrement l’impression qu’il donnait, maintenant qu’il se retrouvait accroché au mur, les doigts enfoncés dans les briques comme dans du beurre pour maintenir sa prise très hasardeuse. Okay, carrément un plan naze, en fait. Mais c’était ça ou tout de suite s’écraser en bas, et même s’il ne risquait rien, les vieux réflexes de survie pouvaient visiblement avoir la peau dure. « Et si on parlait ? » lança-t-il en désespoir de cause, en tentant tant bien que mal de se retourner pour apercevoir le garçon. Le vent nocturne battait froidement contre sa peau argentée, et Nate sentait bien qu’il était dans une position plus que précaire, à jouer aux grimpeurs urbains – les briques allaient lâcher sous la pression de ses pieds, ou de ses mains, et là, il aurait l’air bien malin. « Je ne veux pas te renvoyer à ARGUS. Okay ? Dans un monde idéal, personne n’irait jamais chez ARGUS. Pas comme ça. Qu’importe ce que tu as pu faire, je te crois, pas eux. » Parce qu’il savait. Parce qu’il avait vu. Toute la Ligue de Justice avait vu – et ils s’en étaient tenus là. « Mais pourquoi le Joker ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Il vous a vraiment sortis de là ? » Plus il y pensait, plus c’était absurde. Le Joker, bon samaritain ? A d’autres. Mais ce qui comptait, et ce qui lui brisait le cœur, c’était qu’aux yeux de ce gosse, le Joker avait fait un meilleur travail que le GCPD, et que les héros de ce monde, pour le sauver d’un destin bien funeste. « Raconte-moi. C’est tout ce que je te demande. » Pour cette fois, en tout cas. Et de préférence avant qu’il ne se fracasse quelques étages plus bas.

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Avait-il réussi ? Avait-il réussi à attirer l’attention du garçon ? Pendant un instant, aussi bref soit-il, Nate en eut l’impression – qu’il y avait dans ses yeux furieux cette soudaine étincelle de doute, cette question muette qui épelait ‘et si ?’. Comme un cri qui trouve enfin une oreille pour l’entendre. Un écho enfin perçu. Une main tendue qu’on aperçoit enfin. Ca ne changerait peut-être rien ce soir, ça ne changerait peut-être rien demain, mais maintenant, Nate en était plus convaincu que jamais : il n’était pas perdu, ce gosse. Pas encore. Quel genre de chemin tortueux avait-il emprunté pour se retrouver entre les griffes d’ARGUS, puis du Joker, il n’en savait rien encore, mais à un âge aussi jeune, quelles autres options pouvait-il bien avoir eu que de suivre les monstres qui s’étaient dressés sur son chemin en lui faisant peut-être croire qu’il n’y avait aucune alternative ? Les mots tombaient, précieux, les uns après les autres. Être libre. Une famille. Est-ce qu’on n’en revenait pas toujours là, au final ? La frayeur des barreaux d’une cage. La sécurité d’une famille aimante et protectrice. Nate avait été prisonnier de son propre corps pendant des années, jusqu’à ce que Batgirl ne l’en libère – et il avait failli perdre toute sa famille. Et il n’était pas assez arrogant pour affirmer que si tel avait été le cas, il n’aurait pas été prêt à suivre un monstre pour la retrouver.

Et soudain, le gosse dégringola – épuisé, à bout de forces, prenant de court la pauvre excuse de héros qui lui avait couru après comme un dératé, alors Nate bondit, dans l’espoir de le rattraper au vol… avant d’apercevoir, en contrebas, une nouvelle silhouette faire son apparition. « Quoi ? » Merde. D’un coup de hanche, Nate fit dévier sa course pour ne pas écraser la gamine – car c’était bien une gosse, encore – dans sa chute, et roula à terre en enfonçant le béton sous son poids. Avec un grognement, Nate se redressa, inquiet d’avoir loupé le gamin… mais il semblait bien que pour lui, la cavalerie était arrivée. Sous la forme d’une petite fille sacrément énervée, dont le ton, et probablement un instinct de survie miraculeux, l’incita à prendre ses menaces très au sérieux. Muet de stupeur, Nate leva les deux mains dans un geste d’apaisement. Qui était-elle ? Une autre recrue du Joker, elle aussi ? Combien d’enfants ce serpent avait-il sous sa coupe ? Combien d’autres y en avait-il, des comme eux ?

Télékinésiste. Peut-être aussi télépathe, vu ses menaces – deux métahumains travaillant pour le Joker, ça ne pouvait pas être une coïncidence, mais là, tout de suite, Nate sentait bien qu’il n’était pas en position de demander plus d’informations. Il pourrait essayer de les arrêter, mais d’une part, ses pouvoirs ne pouvaient rien contre les siens, si elle était aussi bonne qu’elle semblait l’être, et d’autre part… ses pouvoirs à lui ne permettraient jamais une issue pacifique à un combat pareil. Il avait perdu. Il fallait qu’il baisse les bras, au moins pour cette fois. « Je n’essaye pas – c’est le Joker, qui vous manipule ! C’est ça, son talent ! Il vous utilise ! » Comme ARGUS. Comme Amanda Waller. Peut-être avait-il juste été plus malin dans sa façon de faire. Mais ses mots tombèrent dans l’oreille d’une sourde et d’un inconscient ; et avant qu’il n’ait le temps de les retenir, Nate les vit s’envoler, glisser entre ses doigts. Deux enfants qui retournaient auprès du pire criminel que Gotham ait jamais nourri en son sein. Le casse de la banque avait été interrompu et on ne dénombrerait aucune victime, mais les responsables s’étaient échappés… et plus que cet amer constat, la véritable défaite, c’était de savoir à qui il avait rendu deux enfants pris au piège dans un cycle immuable. Et s’il y avait ces deux-là, qui savait combien d’autres étaient dans la même situation ?

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