BRUCE - you should know i suffer the same.

you should know i suffer the same.

"Pendant que vous tabassiez le tout-venant, j'ai dû lutter tout aussi farouchement que vous pour refuser l'invitation pourtant amicalement agréable de Miss Kyle." Le milliardaire feignit de ne pas réagir davantage, achevant de sortir la balle de sa blessure à l'épaule pour la lâcher dans le récipient médical. Il entreprit ensuite de désinfecter sa plaie, ou du moins en eut l'intention, avant qu'Alfred ne prenne les devants pour le faire lui-même et bander la blessure avec toute sa grande expérience en la matière.

"La femme la plus prisée du moment s'en va ainsi danser avec un moins bon danseur que moi-même, c'est bien triste. Mais il a bien d'autres qualités indéniables. Déjà, il est italien, il a, à ce qu'il paraît, de fort belles manières avec les dames. Pas comme d'autres." Le regard noir de Bruce se releva en silence vers le majordome, qui bandait la plaie avec méthode sans se soucier de ce foudroiement parfaitement recherché. Comme toujours, pour veiller sur son protégé, l'ami taquin avait fait ses devoirs de renseignement sur le prétendant de Selina.

Le majordome acheva son oeuvre, prit le matériel médical, et quitta les lieux."Vous oubliez le costume Alfred... Alfred ?" Parti. Soupir agacé. Bruce contempla la tenue, posée sur la table du Batordinateur, pendant de longues minutes, puis la poussa sans la froisser pour pianoter sur ce dernier. Et faire à son tour quelques investigations... personnelles.


Bruce descendit les étages intérieurs tout en achevant de nouer son noeud papillon, pour rejoindre le coeur de la soirée, récoltant bien sûr regards et chuchotements sur son passage sans vraiment s'en soucier. Il avait préféré éviter les paparazzis de la rue mitraillant chaque membre du gratin de Gotham qui descendait élégamment de sa voiture pour rejoindre cette soirée, et était donc rentré par le toit, bien sûr. Un an et quelques qu'il était mort, quelques courtes semaines qu'il avait accepté de réapparaître au grand jour sans pour autant vraiment réapparaître publiquement comme avant. C'était, au final, sa première réapparition physique à la vue de tous, et non par unes de journaux, aussi cela avait-il son petit effet.

Ignorant cela, il alla vers l'un des buffets, son regard ayant déjà balayé trois fois les visages alentours à peu près autant que la disposition des lieux. Vieux réflexe paranoïaque pour réagir en cas de problème. Elle n'était pas encore là, néanmoins. De quoi le renfrogner plus encore car il allait devoir patienter au milieu de tous ces invités, et il n'avait nulle envie de faire la conversation avec ces vautours. D'autant plus que certains parmi eux intentaient des procès contre lui, depuis qu'ils le savaient être aussi Batman.

"M. Wayne, le justicier masqué en personne, quel honneur et surtout quelle surpr..." "Economisez vos forces, M. Redford, je n'ai pas envie de parler ce soir, ni avec vous, ni avec 99% des personnes ici présentes," le coupa le milliardaire en prenant la coupe de champagne que le serveur lui tendait enfin, pour désigner nonchalamment le début d'attroupement subtil qui se faisait autour de lui. Des convives curieux espéraient écouter cet échange, ce fameux retour en chair et en os. Ils n'auraient qu'un mur. "L'avantage de ne plus mener de double vie, c'est que je ne suis plus obligé de faire semblant d'être un fils à papa insouciant et fêtard et donc de sociabiliser hypocritement comme vous tous. Bonne soirée."

Sourire en coin cynique en lui tapotant l'épaule, Bruce lui passa à côté pour fuir cet échange aussitôt désamorcé. Son air éternellement sombre et grave, pour ne pas dire blasé, reprit l'ascendant sans tarder. Il aurait préféré mille fois combattre le crime que d'être ici, mais il n'avait pas eu vraiment le choix. Du moins son ego et sa jalousie, derrière lesquels se cachaient un certain sentiment amoureux, ne le lui avaient pas laissé.

Véritable radar humain, son regard la repéra dès l'instant où sa silhouette entra dans sa vision. Il ne fut d'ailleurs pas le seul à se figer en l'apercevant, car bien sûr, elle aussi s'était fait discrète et désirer depuis plus d'un an. Ca, et le fait qu'elle était tout simplement sublime, comme toujours, à en surpasser de loin toute autre femme présente. Le regard du justicier s'était fixé sur elle, immobile au milieu des autres invités. Tant de temps qu'il ne l'avait pas vue ainsi, sans costume, sans masque, simplement elle. Magnifique.
Inaccessible.

Elle croisa finalement son regard, et se sentir vu, brusquement, le déstabilisa l'espace d'une seconde. Malgré toutes ses armures, physiques (il portait un fin kevlar sous son costume en cas d'attentat) et psychologiques, il s'était toujours senti vulnérable face à ses yeux émeraudes, comme si rien ne le protégeait d'elle.

Son attention retourna à son cavalier. Il la vit sourire, échanger avec le bellâtre italien dont Alfred avait parlé. Les iris perçants du Chevalier bifurquèrent sur ce dernier. L'ennemi à abattre. Métaphore bien sûr, mais Bruce était teigneux et surtout, il ne se sentait plus tenu d'aucune délicatesse depuis que son identité était révélée et qu'il avait passé un an à survivre comme un animal.

Bruce but sa coupe cul sec, la reposa, et marcha vers eux, déterminé. Certains s'écartaient sur son passage sans même lui donner l'occasion de les contourner, intimidés par son aura sombre, et la réputation qui l'enveloppait désormais. Après tout, il tabassait des gens la nuit, avait combattu le Joker et Darkseid à ses heures perdues, et il revenait du néant, potentiellement encore plus névrosé. "Homme dangereux" était désormais écrit en lettres capitales au-dessus de lui, rien pour rassurer les riches coincés de Gotham ici présents. Mais Bruce s'en fichait. Il était là pour une seule chose, et il avait un plan, si tant est que cela puisse en porter le nom. Il n'aimait pas ce qu'il allait devoir faire, mais il avait ses raisons, et un choix restreint.

"M. Bellingi, si j'étais vous je prendrais garde à vérifier mes poches, et mes sentiments, ou vous pourriez vous faire voler l'un comme l'autre sans rien voir venir en si charmante compagnie," déclara Bruce une fois auprès d'eux, en parfait incruste. Il avait repris une coupe en chemin et prenait grand soin de gâcher leur petit bulle intime de couple mondain. "Spoiler alert, elle attendra que vous soyez mort pour divorcer, preuve qu'elle joue avant tout pour le sport et non la valeur de votre fortune."



Il s'était penché légèrement vers l'homme pour jouer la fausse confidence à voix haute. Détestable à moitié volontairement. Il lui souriait mais il avait envie de cogner son visage  d'homme séduisant irréprochable. Quelqu'un de bien pour Selina, quelqu'un qu'il ne serait jamais. Sourire poli, donc, mais sarcastique, il tourna son regard vers elle. "Selina... tu n'as pas perdu de temps, il faut croire. Comme toujours, tu es magnifique," fit-il en guise de bonsoir, perturbateur né. Son regard resta plus que nécessaire sur elle, peinant à s'en détacher. Il se détestait, et craignait chaque regard croisé avec elle, mais il n'en montrait rien. Il devait jouer l'ex-mari amer, blessé, hargneux d'avoir perdu une telle femme. Ce qu'il était au fond, aussi la comédie n'était pas très dure à jouer. Il devait cependant le faire, et l'accentuer.

Avec un peu de chance, il parviendrait à lui expliquer pourquoi, un jour, si elle ne le tuait pas entre temps par perte totale de patience face à ses agressions. Agressions qu'elle ne méritait pas, raison pour laquelle il ne pouvait que silencieusement se haïr lui-même encore plus de la blesser ainsi. Paradoxalement pour son propre bien.
Peut-être comprendrait-elle ce qu'il essayait de faire, et rentrerait dans son jeu. Ou peut-être pas, et dans ce cas-là, cette soirée serait douloureuse pour tous les deux.

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Hors-jeu:

"Elle ne te dérangeait pourtant pas fut un temps, cette arrogance." Amertume. Surjouée mais avec un fond de vérité de la part de sa fierté blessée, et de son coeur malmené. La blesser elle, c'était se blesser lui-même. "Si je peux me permettre (...) Il n'est pas très gentleman de parler d'une femme de la sorte. Mademoiselle Kyle n'est ni une voleuse, ni une femme volage. En témoigne sa discrétion lors de votre disparition. Maintenant, si vous voulez bien nous excuser..."

Pendant une fraction de seconde, Bruce vit toute la scène. Son poing fracturant le nez parfait de l'italien, son autre main saisissant son col pour l'envoyer voler droit dans le buffet. Intérieurement, un océan de jalousie, de colère sourde, sinueuse. Toujours cette rage silencieuse mais éternelle qu'il cherchait à déverser pour la bonne cause, et s'empêcher ainsi de devenir exactement comme les fous furieux qu'il traquait. Extérieurement, un calme olympien, mais un regard perçant reporté sur l'homme audacieux qui osait jouer les protecteurs chevaleresques face à lui, sans connaître la moitié de la réalité de leur relation.

Une tension dans toute sa carrure, très subtile. Il se détestait précisément d'être aussi hargneux, surtout contre un homme qui n'avait rien fait de mal en soi, mais c'était plus fort que lui, surtout lorsque Selina était concernée. Néanmoins, après un instant de latence, il se contenta d'un léger sourire en coin comme toute réponse. "Bien sûr." Mystérieux, cyniquement poli. Il savait que depuis que son identité était révélée, il y aurait encore moins de monde disposé à chercher querelle physique avec lui. En revanche, querelle financière, ou réputationnelle, ou verbale, clairement il y en avait et l'italien était prêt à rentrer dans l'arène pour les beaux yeux de la féline.

Le justicier, plus stratège qu'impulsif, les laissa s'éloigner, s'obligeant à rester de marbre malgré la main de Bellingi prenant celle de Selina sous ses yeux sombres. Il eut cependant une satisfaction égoïste lorsqu'elle préféra les laisser tous deux en plan pour aller se rafraîchir. Soit disant.

"Alfred n'y est pour rien. Il ne pouvait pas savoir que j'agirais de la sorte. Il espérait même probablement tout le contraire." Arrivé sur le balcon où s'était réfugiée l'ex-voleuse, Bruce tenait dressé dans sa main un brouilleur de poche afin qu'elle puisse le voir aisément. La conversation téléphonique fut coupée nette tout comme bien des appareils alentours, et il rangea l'appareil fonctionnel dans sa poche. Y laissant sa main, le justicier avança de quelques pas pour venir près d'elle. Il se pencha par-dessus la barrière tout comme il l'avait vue faire juste avant et contempla un instant le vide. "Peu aisé de fuir par là en robe de soirée et talons hauts... mais rien d'impossible pour toi bien sûr," commenta-t-il en relevant son visage vers elle.

Seul face à celle qu'il aimait, Bruce dut faire appel à toutes ses ressources pour rester impassible alors même que ses yeux trahissaient ses remords, et l'amour qu'il éprouvait toujours pour elle comme au premier jour. Et éprouverait toujours. Mais il ne pouvait pas céder, pas ici, cernés par mille invités et plus encore par leurs propres entraves et leurs propres démons. "Est-ce qu'il te plaît...?" Bellingi. C'était plus fort que lui, il devait savoir. Même si Alfred avait visiblement été son premier choix de cavalier, le milliardaire avait peur de la voir réaliser définitivement qu'il y avait bien mieux que lui ailleurs, a fortiori un homme généreux et agréable à vivre, tout son opposé en somme sur le dernier point au moins.

"Selina, écoute... je... tout ceci est..." Il allait céder. Partiellement, certes, mais en tête-à-tête sur ce balcon, Bruce avait vu sa rancoeur chuter drastiquement, grandement aidée par les remords quant à sa conduite odieuse sur les toits comme à cette soirée, et ce charme terrible qu'avait toujours eu sur lui la belle voleuse. La première rencontre, spontanément blessante, alors que la seconde ce soir était cruellement calculée. Mais une silhouette apparut à son tour sur le balcon. Bellingi bien sûr, qui avait senti la poursuite du mari hargneux envers son ex-épouse et se devait de faire barrage pour soulager la demoiselle de cette ombre persistante.

Aussitôt le peu de relâchement que le langage corporel du milliardaire avait pu avoir, en commençant à se radoucir pour tenter de lui expliquer, fut perdu au profit de ce verrouillage hermétique qui était le sien. La tension reprit son espace, alors que Bruce gardait son regard fixé dans celui de la convoitée qu'il se voyait perdre au profit d'un autre. Il hésita et finit par reprendre le fil de son plan. "Tu m'as enterré en quelques mois tout ça pour venir à cette soirée avec une pâle copie de moi-même, quelle ironie," railla-t-il, sarcastique à souhait.

Il savait que cette énième agression forcerait possiblement Selina à réagir avec autant d'aplomb, à peu près autant que l'italien partirait de nouveau au quart de tour. Il espérait presque qu'elle le gifle, tant il savait que certains invités observaient la scène depuis l'intérieur et écoutaient l'air de pas y paraître. La scène était digne des meilleurs scoops après tout, et c'était sur cette curiosité malsaine que Bruce comptait. "Ne l'approchez pas ! Si vous continuez, Wayne, ce sera du harcèlement et croyez-moi que mes avocats sauront terrasser toute défense de votre part à ce sujet. Vous n'êtes plus à un procès prêt paraît-il, Batman," menaça-t-il en effet tout en venant auprès de la féline. Bruce se redressa au ton de l'italien, mimant d'être piqué à vif par sa menace. Il avait surtout eu ce qu'il voulait : davantage de témoins et une insistance sur la relation brisée avec son ex-épouse.

Sombrement, il tourna son regard meurtrier sur Bellingi. Le ton employé pour parler de sa double identité, rarement prononcée par quiconque ouvertement devant lui malgré la révélation publique, ne lui avait pas plu. Il délaissa Selina pour venir faire face à l'imprudent. Ce dernier lui tint cependant tête. "Je n'ai pas peur de vous, Wayne. Je ne suis pas un criminel que vous pouvez tabasser comme bon vous semble. Osez me frapper et toute la ville saura enfin qui est vraiment Batman : un criminel lui-même ivre de pouvoir qui se pense au-dessus des lois et des autres sous couvert de justice," déclara-t-il. Bruce le détailla en silence, sondant chaque parcelle de ses yeux et de son langage corporel. Il y décelait autant de signes de peur, que de courage pour la surmonter.

Décidément, cet homme prouvait qu'il avait du cran, en plus d'être quelqu'un de visiblement bon. Malgré toute la haine jalouse que le Chevalier Noir pouvait avoir contre lui, il reconnaissait qu'il ne pouvait rien lui faire, et qu'en plus, il ne le méritait pas. Le milliardaire avait une discipline de fer, et oeuvrait toujours ou presque avec stratégie même quand ses poings le démangeaient pour défaire la dentition de son interlocuteur comme en cet instant. Au lieu de ça, un nouveau sourire en coin des plus amers et moqueurs. "Vous en êtes encore à penser que votre cavalière a besoin d'être protégée, comme c'est charmant... et terriblement naïf. Ne vous y trompez pas mon vieux, ici c'est vous qui allez avoir besoin de protection. Ne venez pas pleurer quand elle vous aura poignardé dans le dos."

Chaque parole odieuse sur Selina, le blessait lui-même. Pourtant il n'avait pas le choix. Comme toujours, Bruce encaisserait ce sacrifice, cet énième dégoût de lui-même, incapable d'apporter à terme autre chose que du malheur à ses proches, quoi qu'il fasse. Au fond, il avait ses raisons, qu'il espérait plus tard pouvoir lui expliquer.

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Je n'ai jamais été indifférent et ne pourrai jamais l'être. Bruce aurait aimé le lui dire à haute voix, mais il ne pouvait pas. Son regard dans le sien fut le seul moyen de trahir cette pensée durant cette suspension du temps peu avant l'arrivée de Bellingi. Bien sûr, le retour du prétendant avait forcé Bruce à remettre son armure et relancer les dés de la cruauté envers celle qu'il ne souhaitait pourtant qu'aimer, et non blesser. C'était raté, au contraire de la gifle qui suivit peu après, et qu'il encaissa en silence. Sa nuque tournée par l'impact lui permit de voir que les invités présents dans la salle, avaient observé la scène à travers la baie vitrée bien sûr. Voyeurisme malsain de l'humanité. C'était parfait. Ca faisait mal, très mal, moralement, de lui avoir fait mal à ce point, mais au moins ce n'était pas pour rien, et il la méritait qui plus est.

La féline s'enfuit. Bruce était à la fois meurtri de lui avoir fait ça, et satisfait égoïstement de savoir qu'au moins son rival aussi était planté sur place. Il pouvait partir désormais. Il avait agi en public comme il le voulait, pour la protéger, malgré les apparences, il pouvait donc disparaître de nouveau loin de ce genre de sorties mondaines. Il envisageait de fuir par la petite porte - ou fenêtre - mais le signal sur son téléphone, tout droit venu de la batcave, le força à revoir son plan. Elle se vengeait.

Quelques instants plus tard, le célèbre justicier sortait par une autre porte, après avoir pris soin de le faire indirectement savoir par plusieurs personnes invitées. L'information fuita, et une partie de la horde de paparazzi vit ses bipers s'affoler et les rediriger quelques dizaines de mètres plus loin. Il fallait à tout prix capter l'autre protagoniste du couple brisé, bien sûr. Bruce sortait sur le trottoir, nonchalant, prêt à subir l'assaut général des flashs pour libérer au moins à moitié Selina de cette corvée - il en restait toujours auprès d'elle - et lui permettre de rejoindre son taxi. Il lui devait bien ça, même s'il haïssait être au centre de ces fous furieux des tabloids. Elle ne le savait que trop bien.

Le flot de questions, de bousculades autour de lui, il y resta aussi indifférent que possible, ne répondant à rien, marchant sans s'arrêter. Il attendit juste de voir passer le taxi de Selina sur la route pour être rassuré, puis il s'engouffra à son tour sur la banquette arrière d'un taxi, et claqua la portière. Le brouhaha fut atténué. Plusieurs billets verts tombèrent sur le siège passager. "Je suis sûr que vous pouvez brouiller les pistes et semer ces journalistes."

L'appartement de Selina était bien sûr protégé, subtilement, discrètement. La plus grande voleuse se devait d'assurer ses arrières. De quelques bonds et tractions agiles et silencieuses, Bruce avait grimpé sur le toit du bâtiment opposé, et se tenait là à observer les fenêtres de sa demeure, accroupi et adossé contre le rebord. Pas de lumière, rien. Pourtant elle avait dû arriver avant lui.

"C'est toi qui nous as poignardés". Il hésitait. Ces mots, sa voix brisée, son regard blessé, le hantaient. Entre ses doigts, l'objet qui y tournait était symbole de cette indécision, de cette cruauté honteuse. Il l'avait tant blessée, la première fois, et ce soir aussi. Pouvait-il se permettre d'insister encore, de la harceler davantage. Ne méritat-elle pas un peu de répit ? Peut-être était-elle allée ailleurs après tout, et qu'il pouvait entrer sans crainte. Bruce en doutait, mais il ne pouvait être sûr de rien. Peut-être était-elle allée de suite se coucher tout simplement aussi.

Le sombre héros analysa le vide entre les deux buildings rapprochés, et sauta pour s'agripper au rebord du toit opposé, et se laissa tomber sans un bruit sur la terrasse juste en-dessous, telle l'ombre qu'il demeurait, que ce soit en armure de Chevalier Noir ou en costard hors de prix partiellement défait (notamment le noeud papillon pour mieux respirer dans l'effort physique) par l'ascension et les acrobaties.

Il avisa les chats de gouttière un peu partout aux alentours, qui l'observèrent sans un bruit. Le jugèrent en silence, plutôt, d'ailleurs, comme tout chat digne de ce nom. Il sortit un de ses petits gadgets portables et ouvrit la porte-fenêtre pour se glisser à l'intérieur, refermant derrière lui. Tout était calme, plongé dans l'obscurité. Méthodique, refusant de dévier, il alla faire ce pour quoi il était venu.

Quelques secondes passèrent. Il reposa le stylo et le mot sur la table du salon, qu'il maintint en y déposant doucement la bague de sa mère par-dessus. La bague si précieuse, sentimentalement parlant pour lui, et symbole de son amour pour elle, qu'il n'aurait jamais dû lui reprendre, même en divorçant, même en se disputant. Ensemble ou séparés, cette bague était à elle. Il n'en aimerait jamais une autre, il l'avait toujours su.

Peut-être que la vie ne les voulait pas ensemble malgré leur amour, que leurs tempéraments inamovibles les garderaient à jamais éloignés, mais cette bague devait lui revenir. Bruce se résignait le coeur lourd à cette relation tumultueuse impossible et cruelle qui s'achevait probablement définitivement ce soir, alors qu'il revoyait ses sourires, ses yeux émeraudes plongés dans les siens, leurs rires ensemble à l'abri des toits et de la nuit toutes ces dernières années.

Ses yeux observèrent, brillants, le métal scintiller sur la table, sous l'éclat des rayons de lune, seule lumière du lieu. Il ne l'embêterait plus. Ils ne se verraient désormais que sur les toits, contre des ennemis communs. Qu'il en soit ainsi. Il retourna vers la baie vitrée, avec l'intention de repartir comme un il était venu : sans un bruit, sans rien déranger, pour la laisser définitivement tranquille cette fois.

Le seul retard qu'il s'octroya dans sa lancée fut ce chaton qui vint se frotter à sa jambe près de la baie vitrée qu'il s'apprêtait à rouvrir pour sortir. Dans le silence, Bruce s'accroupit quelques instants pour le caresser, déjà nostalgique de ce lieu qu'il avait si souvent arpenté auprès d'elle. Il allait enfin partir, après une dernière caresse amicale et un dernier ronronnement, peinant à quitter l'endroit imprégné de sa présence qu'il ne retrouverait plus par sa propre faute, et laissant derrière lui quelques mots simples sur un bout de papier.

Un cadeau est un cadeau.
Aucune autre ne pourra jamais la porter.

Symbole d'un coeur qu'il ne pourrait jamais offrir à une autre après elle, même si ce coeur ne pouvait pas non plus vivre avec elle.

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Message hors-jeu:

La lumière du salon s'était allumée brusquement. Bruce se figea, stoppa l'ouverture de la baie vitrée qu'il avait entreprise, avant de la refermer doucement aux premières paroles de la féline. Il se retourna et son regard accrocha sa démarche si élégante, si légère, et ses yeux émeraudes le dévisageant à mesure qu'elle venait vers lui. "Je n'ai jamais été un gentleman. J'ai toujours fait semblant de l'être, tu le sais mieux que quiconque."

Le gentleman milliardaire avait toujours été le véritable masque de Bruce, quand Batman était en vérité qui il était au plus profond de lui. Avant, ce faux gentleman avait eu son utilité, aujourd'hui, Bruce n'avait plus besoin de faire semblant, c'était peut-être le seul bon point à avoir son identité désormais révélée, que de pouvoir être qui il était vraiment : un bourru asocial solitaire et obsédé par sa vocation justicière. Mais Selina, elle, le savait depuis des années. Elle était la seule face à qui, dans l'intimité, Bruce avait appris à cesser de se cacher, de faire semblant. Elle le connaissait par coeur comme il la connaissait par coeur, dévoilés l'un à l'autre au fil d'années de traque amoureuse... et de partage sincère, à force, au creux des bras de l'autre.

Il prit le verre qu'elle lui tendit et s'imposa de ne plus porter un seul regard vers la bague et le mot qu'il avait posés sur la table non loin, ayant remarqué qu'elle ne les avait pas encore vus. Si elle captait un regard vers eux, elle les verrait, et il ne le voulait pas. Pas en étant ainsi exposé face à elle en temps réel, pas tant qu'il ne savait pas où irait cette nouvelle confrontation, cette fois privée.

"A tes exploits." Frisson de malaise, noeud à la gorge alimenté par une culpabilité douloureuse. Il écouta, encaissa, sachant qu'il méritait ces paroles et cette attitude désinvolte de féline blessée mais hargneuse. Silencieux, écoutant, il finit par marcher lentement pour s'arrêter à quelques pas en lui tournant partiellement le dos - à l'opposé de la table où était la bague, pour qu'elle persiste à en ignorer l'existence. Chaque phrase le blessait, parce qu'il sentait à quel point il l'avait précisément blessée. Il posa le verre sur le premier meuble à sa portée. La seule odeur lui avait fait savoir qu'il s'agissait de la bouteille qu'il lui avait offerte, il y a longtemps, détail cruel qui ajoutait à ses remords. Il n'avait pas envie de boire en cet instant.

Toujours de biais, Bruce ne s'autorisa qu'un instant à croiser son regard, ne pouvant soutenir la posture effondrée et brisée de la voleuse. Il chercha ses mots dans le silence pesant, tendu, qui était revenu entre eux. Comme deux inconnus après un mariage destructeur. Son regard accrocha un cadre sur le mur, qu'il regarda sans voir vraiment. Il savait qu'il lui devait la vérité.

"Un attentat a été commis contre Dick, qui a presque failli lui coûter la vie. Plusieurs autres contre presque chacun des justiciers de Gotham et d'ailleurs... même Alfred a été menacé alors qu'il marchait simplement dans la rue, tout ça depuis que nos identités ont été révélées... tout ça pendant que je n'étais pas là..." La batfamily sous le feu des projecteurs avait tout changé. Bruce s'en voulait de ne pas avoir vu venir cette fuite de données immense qui avait renversé le cours de leurs vies à jamais, eux les adeptes absolus de l'ombre et du secret. Il n'avait pas été là pour les aider à faire face à cette nouvelle situation, ni pour les protéger de ces attaques, et s'en voulait plus que de raison. L'idée qu'il ait pu revenir de l'espace pour trouver de nouvelles tombes dans le parc du Manoir, avec les noms de Dick ou de Tim ou de Barbara, n'avait eu de cesse de le tourmenter depuis son retour.

"Je ne parle pas de nos ennemis habituels. On a tous toujours été pris pour cibles. Mais aujourd'hui tout est différent. Aujourd'hui le citoyen lambda qui nourrit une rancoeur ou une haine quelconque contre Nightwing, contre Batgirl, contre Catwoman... peut sortir un revolver pour les cibler quand ils achètent à manger simplement au coin de la rue, quand autrefois seuls nos ennemis masqués attaquaient nos alter-ego masqués sans impacter le reste de nos vies." Tout le monde était devenu une menace potentielle désormais. Le père de famille ayant perdu ses enfants parce qu'un justicier n'avait pas réussi à sauver tout le monde contre le Pingouin, pouvait par désespoir s'armer et tenter d'attaquer Dick Grayson, Barbara Gordon...

"Je sais que tu as sûrement été ciblée toi aussi, même si tu n'as rien dit aux autres." Il s'en doutait plus qu'il ne le savait. Son isolement avait au moins eu ça de bon que de la prémunir d'un grand nombre d'attaques civiles, pensa Bruce. Triste situation. "Jusqu'à présent même dans cette situation, tu n'avais que tes ennemis à gérer. Parce que j'étais mort. Batman était mort. Maintenant que je suis revenu, et que cela se sait que tu étais mariée à Batman... tu hérites de mes ennemis, masqués comme civils, autant comme Catwoman que comme Selina Kyle... tout comme j'hérite des tiens." Il savait qu'elle voyait où il voulait en venir. Il savait aussi que ce n'était pas ça qu'elle avait besoin d'entendre, elle qui avait ouvert son coeur et ses blessures juste avant et lui qui ne répliquait que par une explication pragmatique, comme bien trop souvent.

Le chaton venait de grimper agilement sur une chaise pour rejoindre ensuite le meuble près de Bruce, venant chercher visiblement son attention pour quelques caresses après avoir quitté temporairement sa maîtresse. Un prétexte parfait pour poser son regard sur l'animal  en lui offrant ce qu'il était venu chercher, plutôt que d'oser croiser celui de la propriétaire de ces lieux. "Que j'ai vécu l'enfer ou non n'est jamais entré dans l'équation, Selina..." finit-il par reprendre. En effet, le Chevalier n'avait jamais été du genre à se plaindre de déguster chèrement. Il encaissait, il survivait, c'était son plus grand talent et il n'en faisait jamais une raison de se plaindre. Il se fichait bien de ce qui pouvait, ou avait pu, lui arriver. "Il ne s'est pas passé un seul jour là-bas où je n'ai pas pensé à toi, à te retrouver en passant cette fichue baie vitrée... tu es la raison pour laquelle j'ai tout fait pour survivre et revenir, et l'idée de ne jamais te revoir..."

Il ne termina pas sa phrase, le silence trahissant de lui-même à la fois la douleur de l'idée comme la difficulté d'exprimer facilement ses sentiments, même après tout ce temps. "Je sais ce que tu as enduré," préféra-t-il dire, répondant ainsi directement à ses mots sur la douleur qu'elle avait pu vivre pendant un an après sa disparition. Une douleur qu'il n'avait au fond jamais remis en cause la concernant, il en avait seulement donné l'image.



"Je suis désolé d'avoir agi comme j'ai agi ce soir. Je ne voyais pas d'autre solution pour faire comprendre au reste du monde, au citoyen lambda potentiellement haineux envers nous, que toi et Batman n'aviez plus rien en commun, pour faire comprendre que s'en prendre à l'un n'affectera pas l'autre parce que la haine a remplacé le mariage, et ôter ainsi cette idée de la tête du plus grand nombre. C'est ce que j'ai voulu te dire, sur le balcon, sans y parvenir." Je voulais juste te protéger, pas t'humilier. J'aurais voulu que tu joues la comédie en retour pour ne pas en souffrir autant. Malheureusement cela n'était pas arrivé. "La vérité, c'est que je suis terrifié à l'idée qu'il t'arrive quelque chose. A l'idée que j'aurais pu revenir et découvrir que tu avais été tuée, comme a failli l'être Dick..." confessa-t-il finalement non sans mal.

L'instigateur de la peur devant avouer qu'il était terrifié, demandait un effort conséquent pour un tel ego.  Mais oui, Bruce était revenu du néant spatial pour retrouver un monde changé où tout était un danger, où il n'avait plus un semblant de contrôle sur son existence et celle de ses proches à la merci du premier venu à chaque instant de leur vie. "La vérité, c'est que je suis revenu et que tout a changé, que nous sommes tous exposés, et que je n'aime pas cette situation, qu'il me faut du temps pour savoir comment la gérer. La seule chose qui n'a pas changé, c'est t'avoir retrouvée prête à voler de nouveau, l'autre soir sur les toits. C'est t'avoir retrouvée telle que tu es, et seras toujours, tout comme je serai toujours incapable de fermer les yeux. La seule chose qui n'a pas changé, Selina, c'est de réaliser que notre mariage était voué à l'échec, identités publiques ou pas. Et que malgré tout le mal que cela me fait, tu as finalement eu raison de divorcer, pour toi comme pour Alfred et les autres, et je ne t'en veux plus. Je sais que tu l'as fait pour une bonne raison, pour eux, et je t'en remercie, au fond," déclara-t-il en se retournant finalement pour oser croiser l'émeraude de ses yeux. Il lui avait fallu du temps pour digérer ça.

La revoir sur les toits, tous deux dans cette situation éternelle de la voleuse et du justicier, avait frappé violemment le Chevalier à peine revenu. Comme si un an de disparition n'avait en rien effacé les disputes de leur mariage mourant auparavant, le renvoyant à cete triste réalité de deux destins incompatibles autrement que par sursauts. Lui qui n'avait souhaité que la retrouver, il s'était heurté à l'éclatement de ses illusions nourries des mois durant à survivre. D'où son agressivité terrible lors de ces retrouvailles qu'il avait pourtant imaginées de manière totalement opposée.

Le chaton dans ses bras, il s'avança vers elle, pour venir le lui confier... et d'un geste furtif et habile masqué par la fourrure, récupérer la bague et le mot non loin qu'il enfouit dans sa poche. "Ne t'en fais pas, tu pourras ressortir désormais. Je ne suis venu à cette soirée que dans ce but et n'ai aucune intention de reparaître dans le monde civil, contrairement à toi. Ne gâche pas les efforts que tu as fait par ma faute, à cause de cette seule tentative. Tu ne me reverras dans aucune autre où t'invitera Bellingi, ou Alfred, ou qui sais-je..."

La vérité, oui, c'était que Bruce avait passé plus d'un an seul, guidé par ses seuls instincts primaires d'animal cherchant à survivre, et qu'à présent qu'il était revenu, il ne savait plus où était sa place dans ce nouveau monde. Il ne savait plus où était sa place parmi les siens. Alors comme toujours, il préférait l'ombre et la solitude, il préférait n'être plus que Batman et taper sur les criminels sans avoir rien d'autre à penser, à gérer, à ressentir, que la colère déversée par ses poings. Il préférait l'éloignement pour son propre bien comme pour celui des gens qu'il aimait et qu'il ne faisait que blesser continuellement. Il ne voulait juste plus lui faire de mal, à elle qu'il aimait tellement.

"C'est un type bien, Bellingi. Ses dossiers sont clean. Pas de casier judiciaire. Pas de malversations financières. Je le déteste, mais c'est quelqu'un d'honnête." Jalousie enfouie mais toujours présente, néanmoins Bruce préférait qu'elle retrouve un semblant de bonheur même si cela ne pouvait être avec lui. Sa façon à lui de lui faire comprendre qu'il s'excusait d'avoir gâché leur soirée et qu'elle ne devait pas repousser l'italien par sa faute. Il s'éloigna vers la baie vitrée, prêt à la laisser de nouveau même s'il n'en avait aucune envie, au fond. Etre avec elle seul à seule, tout le poussait à s'attarder, à ne plus jamais partir par peur de ne pas savoir quand il la reverrait. "Mais si jamais tu cherches un amant secret avec qui le tromper, tu sais où me trouver." Cynisme. Bruce et la cruauté pour évacuer la douleur, toute une histoire. Orphelin hargneux et possessif. Humour noir du désespoir, bonsoir. Le plus drôle étant qu'il avait parfaitement esquivé la question sur sa présence ici, alors même qu'il repartait sans rien emmener de visible lui ayant appartenu, comme elle l'avait pensé.

you should know i suffer the same.

"Ce n'est pas de ta faute." L'agression d'Alfred aurait fini par arriver tôt ou tard, qu'elle eut été là ou pas. L'accabler était la dernière chose qu'il voulait. Mais elle avait raison au moins partiellement. Leurs ennemis avaient toujours été partagés, bien malgré eux. Mais pour Bruce, l'ampleur du danger était totalement différente depuis que l'anonymat avait volé en éclat.

Ils ne pouvaient plus s'afficher ensemble, ni masqués sur les toits, ni en public sous leurs identités civiles. Si les gens voyaient Batman et Catwoman roucouler à la lueur de la lune, le lien entre Catwoman et Selina Kyle, ex-épouse de Bruce Batman Wayne, serait fait de manière évidente et immédiate. Si Bruce pouvait préserver au moins son identité à elle cela serait ça de gagné, au milieu des vestiges de celles exposées du reste des justiciers nocturnes de leur "famille".

"Rappelle-toi d’où je viens, Bruce."

Il se tut, impacté aisément par ces mots qui renvoyaient à tout ce qu'il savait de plus intime, de plus ancien et douloureux, sur cette femme qu'il aimait et qui avait tant souffert. Elle qui venait des bas fonds de cette ville, qui avait encaissé les coups, les humiliations, pour mieux s'en servir comme armure, puis comme armes. Le Chevalier sentit un étau presser son torse lorsqu'elle répète les voeux prononcés lors de leur mariage, étau forgé par les chaînes de souvenirs d'un bonheur indescriptible aujourd'hui devenu poison, tant cela lui paraissait loin et illusoire.

"Pourquoi tu m’as demandé en mariage, Bruce, si tu étais si intimement persuadé que nous étions destiné à foncer droit dans le mur ?" "Selina..." soupira-t-il, regrettant presque aussitôt ses paroles pour l'avoir poussée à penser ainsi, alors qu'au fond, il n'en était rien. Il devait, une fois n'est pas coutume, prendre la fuite. Plus il demeurait ici plus le risque grandissait pour lui, face à cette seule personne qui avait une influence avérée sur lui. La seule sur sept milliards d'âmes. Après un dernier sarcasme sur son rival italien, le milliardaire tenta donc de quitter les lieux, mais le choix ne lui fut pas laissé.

Un contact terriblement doux sur sa main et un corps agilement venu s'interposer entre lui et la baie vitrée lui imposèrent de s'arrêter, figé dans un frisson qui remonta son échine alors que deux perles émeraudes venaient de pénétrer ses pupilles. Le justicier dut se faire violence pour retenir ce réflexe instinctif qui aurait voulu l'enlacer aussitôt, comme il l'aurait fait un an auparavant. L'autre main de la féline trouva son torse, son cou, sa joue, pour autant de flashbacks de tendres étreintes, de baisers passionnés, ou rieurs, ou fusionnels. Bruce ne les comptait plus, tous ces souvenirs qu'ils avaient forgés ensemble, et qui l'avaient tenu en vie cette difficile année d'exil et de perdition.

Il se crispa, sa mâchoire se tendit alors qu'il s'imposait de résister, de rester hermétique. Même s'il se savait piégé, happé par ces yeux magnifiques qu'il avait tenté d'éviter autant que possible. Tout son coeur, tout son être était plongé dans un terrible chaos émotionnel. Elle le savait. Elle savait le pouvoir qu'elle avait sur lui. Cela avait toujours été leur jeu, mais ce soir ce n'en était pas un, tant la tension de ces retrouvailles était palpable.

Les lèvres du Chevalier restèrent scellées, incapable de lui mentir aussi frontalement en cet instant suspendu, incapable de lui dire qu'il ne l'aimait plus alors que toute son attitude, depuis leur rencontre sur les toits à celle de ce soir, prouvait maintes fois le contraire. Il n'avait pas supporté d'apprendre qu'elle n'était plus sa femme, pas supporté de la voir avec un autre à cette soirée, et il ne supportait définitivement pas cette destinée impossible que la vie leur infligeait, de par leurs caractères incompatibles, et pourtant voués à toujours se désirer, toujours se manquer.

Dire qu'il était intérieurement révolté contre la Terre entière était un euphémisme. Il avait envie de frapper tous les murs à sa porter tant son retour d'exil le submergeait de contradictions qu'il peinait à gérer sans l'avouer ni aux autres ni à lui-même. Il hésita une dernière fois. Sa main finit par quitter la baie vitrée pour venir doucement saisir celle qu'elle tenait encore sur sa joue. Doucement il l'abaissa, la forçant à quitter son épiderme pourtant si heureux de ce contact chaleureux après plus d'un an d'absence de tout contact humain ou amical.

Cela aurait pu paraître être un mouvement de rejet, d'énième résistance, mais il n'en était rien. Il la garda dans la sienne de manière à ouvrir sa paume pour y poser la bague de sa mère, sortie de sa poche. La bague qu'il lui avait arraché par amertume et fierté blessée plus que par réelle volonté réfléchie. La bague qu'il avait voulu ramener sans oser l'affronter, luttant contre l'indécision permanente. Il capitulait, quitte à être venu, autant aller jusqu'au bout.

"Je n'étais pas venu reprendre des affaires... j'étais venu en rapporter..." murmura-t-il finalement, observant l'anneau avant de relever ses iris sombres dans les siens, presque honteux d'exposer ses remords et sa faiblesse. Car il regrettait plus que tout ces retrouvailles qu'il avait voulues cruelles, sur les toits. "Peu importe ce que nous sommes l'un pour l'autre, aujourd'hui ou demain... je ne pourrai jamais l'offrir à aucune autre... Elle a toujours été à toi... fais-en ce que tu en veux..." Ca a toujours été toi. Et ce sera toujours toi. Elle le lui avait avoué et ce geste de sa part ne faisait que lui renvoyer ce même sentiment qu'il ne pouvait enterrer, nier, renier même. Quoi qu'il fasse il en revenait toujours à elle. Selina Kyle. La voleuse de coeur. Un moyen aussi de répondre indirectement à sa question. Bien sûr qu'il l'aimait toujours.

A cette évidence avouée en lui-même ce fut comme un affaissement de sa volonté autant que de son corps. Alors qu'elle regardait la bague, il laissa son front rencontrer sa tempe, aimanté par ce besoin de contact dont il avait si longtemps été privé. Et qu'il ne pourrait plus avoir qu'en secret, pensée qui lui fit fermer les yeux et soupirer l'espace d'une seconde. "Je n'ai plus rien à t'offrir... Plus de vie... plus de liberté..." murmura-t-il dans une hargne douloureuse. Ils avaient toujours vécu dans l'ombre, il le savait.

Mais vivre les deux identités cachées n'avait jamais été ce dont il rêvait pour elle, pour eux, en l'épousant. Si leurs activités anonymes sur les toits n'étaient pas remises en cause le moins du monde, le Chevalier voulait malgré tout pouvoir aller dîner avec elle dans un restaurant quelconque, partir en vacances à l'autre bout du monde sans avoir à s'isoler loin des regards sur son yacht. Il voulait pouvoir emmener celle qu'il aimait ouvertement aux yeux de tous dans ces soirées barbantes qui avaient permis leur rencontre tumultueuse entre milliardaire et voleuse mondaine, bien des années auparavant, et cela sans craindre un coup de couteau ou une agression sortie de nulle part contre elle ou lui.

Il voulait y danser avec elle en se moquant des riches ridicules autour d'eux, complices. Il voulait pouvoir l'embrasser en public et se laisser bercer par autre chose que la paranoïa de regarder par-dessus leurs épaules à guetter des menaces et ne jamais profiter du moment présent. Il craignait que même esi elle lui pardonnait et le voulait encore dans sa vie comme elle semblait le faire comprendre, cette prison d'absence d'anonymat ne les étouffe et ne les brise de nouveau. Comme si quoi qu'il fasse, tout n'était qu'impasse.

Dans toute sa contradiction et comme une contre-attaque rageuse et orgueilleuse envers ces trop nombreux obstacles de la vie à leur union, Bruce céda pourtant et captura ses lèvres, le coeur bien trop malmené par cette proximité et ces mois de souffrance. Il l'embrassa tendrement et passionnément, encore et encore, emporté par ce qu'il avait muselé trop violemment, guidé par les remords, le désir, le chagrin, la colère, l'amour tout à la fois. Ses bras enserrèrent ce corps si désespérément absent de sa vie avec une émotion fiévreuse et palpable, désirant l'enlacer toute entière pour ne plus jamais la laisser partir.

Il avait l'impression que son coeur allait imploser tant cet instant lui parut irréel, à sentir son souffle sur sa peau, son parfum, son odeur, cette passion qui l'enivra en un éclair. A croiser ses yeux perçants entre deux baisers sans besoin de mots pour savoir. Savoir qu'ils s'aimaient et se désiraient, quoi qu'ils fassent, quoi qu'ils disent.

Sans effort, emporté par ce désir implacable semblable à une bouffe d'oxygène rendue à un noyé, il la souleva contre lui sans cesser de couvrir sa peau de baisers, de sa nuque à ses lèvres, et laissa la nuit les protéger du reste du monde. Pour de vraies retrouvailles cette fois. Celles qui auraient dû être les toutes premières.

Et que l'aube ne vienne jamais.