kyle selina
I. big girls don't cry
Des cris. Des coups, sourds.
Sourds, sourds. Ils tombaient comme la foudre, heurtant parfois le mur, parfois un meuble. Parfois sa mère. Lourds. Lourd comme son corps, gras et gonflé par l'alcool. Elle n'était rien à côté, sa mère. Une femme au corps chétif, à la peau décorée de diverses nuances de bleu. Elle avait l'air si fragile qu'on aurait juré pouvoir la casser en deux, si l'on tapait au bon endroit. Elle n'était qu'un morceau de bois fragilisé qui menaçait de se briser à chaque seconde. Pourri, fragile, inutilisable. Et d'elle, il ne restait plus rien. Rien. Ni même ses deux filles, qui vivaient en permanence dans un monde de violence, cloîtrées entre les quatre murs de leur chambre.
Tape, tape encore. La voix du père résonnait, avant d'être rejoint par celles des voisins qui se plaignaient du tapage constant de ce si petit appartement de banlieue.
Complices du sort de la famille.
Coupables de la mort lente d'une femme et ses deux filles, alors que tous savaient ce qu'il se tramait entre ses murs et sous ses draps. «
Sel', j'ai peur. » Sa voix d'enfant tremblait ; comme les murs. Son corps, si petit, si fragile, se serrait contre le sien. D'un main tendre, l'aînée venait caresser sa chevelure de feu. «
Sht. Ça va aller, Maggie. Ça va aller. » Selina avait huit ans, et savait déjà combien la vie était rude. Sa sœur pour seule attache, son monde était réduit à la violence de ses parents et le peu de candeur de la cadette de la famille. Un monde de peur où elle était destinée à grandir.
Grandir, grandir, comme la haine qui habitait son cœur. «
Je voudrais qu'ils arrêtent de crier. J'ai tout le temps peur. Maman va encore pleurer. Moi j'veux pas qu'elle pleure, tu sais, Sel. Moi j'l'aime maman, alors j'veux pas qu'elle pleure. » Le regard perdu dans l'obscurité, Selina n'avait pas répondu. Elle s'était simplement contenté de serrer le corps frêle de sa sœur un peu plus fort contre le sien ; parce qu'elle savait qu'au fond, tout cet amour n'était pas même réciproque. Deux gamines non voulues ; des
accidents.
Accident. Dans un bruit sourd. C'était peut-être quelques jours après la dernière dispute ; elle ne souvient plus. C'était comme si son esprit avait décidé d'effacer ce souvenir, comme si, pour une fois, quelqu'un avait décidé de la protéger. La brunette avait ouvert les yeux, le cœur battant étrangement la chamade. Dans sa gorge, l'air ne semblait plus passer. C'était comme si on cherchait à mettre fin à ses jours, deux mains autour de son petit cou. Sans attendre une seconde, elle s'était levée de son lit, veillant à peine à ne pas réveiller sa sœur. L'appartement semblait désert ; les bouteilles vides sur le sol justifiaient l'absence de son alcoolique de père. «
Maman? » Elle avait toujours su qu'un jour, il la tuerait. Qu'un jour, elle retrouvera le corps de sa mère, inerte sur le sol, le visage défigurée de coups. «
Maman ? Tu es là? » Mais son père n'était pas là. Elle avait pourtant juré avoir entendu une détonation, un coup de feu comme elle en avait déjà écouté dans les rues de Gotham. Et puis l'effroi. Du sang. Du sang, du sang partout. La main tremblante, le pas hésitant, Selina ouvrait la porte de la salle de bain.
Accident. Connerie.
Suicide «
MAMAN! » Un cri, déchirant le rare silence qui s'aventurait ici. «
Maman, maman ! Réveille-toi, maman réveille-toi! » Scène d'horreur d'une gamine, genoux dans le sang, secouant le corps sans vie de sa mère. «
T'as pas l'droit ! T'as pas l'droit d'nous abandonner ! RÉVEILLE-TOI! ». Maria Kyle ne se réveilla pas. Brian Kyle non plus, quelques mois après la mort de sa femme. Dévasté par l'alcool et le retrait de la garde de ses filles, le vieux salaud avait fini par partir, lui aussi.
Partir. Partir, et laisser deux orphelines aux mains des services sociaux de Gotham.
Partir. Quitter un enfer, pour en rejoindre un autre.
II. wind of change
«
Mademoiselle Kyle, je vous prie de vous tenir tranquille ! » La voix stridente résonnait sur le parvis. Elle essayait, désespérément, de couvrir les hurlements de la gamine qui se débattait franchement, cherchant visiblement à rejoindre une voiture noire. «
VOUS AVEZ PAS L'DROIT ! LÂCHEZ-MOI, LÂCHEZ-MOI ! MAGGIE! » Les larmes coulaient sur son visage, inondaient ses yeux de jade. Ses cris venaient éclater la tranquillité et la sévérité des lieux. «
Sel', j'veux v'nir avec toi ! Les laisser pas m'em'ner, Sel' ! » Les jérémiades de sa sœur étaient un véritable crève cœur.
Crève, crève. Ils pouvaient tous crever, ces gens en noir qui tentaient de lui arracher sa sœur. «
Je vous ai dit de me LÂCHER! JE VAIS VOUS TUER, JE VAIS VOUS TUER! » Des mots d'une violence impensable, dans la si jolie bouche d'une enfant de huit ans. Des mots qui ne la choquaient plus, des mots du quotidien. Des mots qui avaient eu raison de ses parents. Des
maux. Et puis un autre mal ; une gifle, venant s'écraser sur sa joue sans la moindre douceur. «
Je vous ai dit de vous tenir tranquille ! Cela suffit, Mademoiselle Kyle. Votre sœur sera en sécurité dans le couvant, elle y recevra une bonne éducation. » Et avant même de pouvoir protester, la voiture était déjà partie. Accompagnée des hurlements et des pleurs de deux pauvres gosses qui n'avaient plus que l'une et l'autre. Maintenant, elle n'avait plus rien. Seuls le souvenir d'une mère indigne, d'un père violent et d'une petite sœur qui ne cherchait qu'à être aimée. Rien. Selina était vide.
Vide, mais l'esprit et le cœur lourd. Des semaines durant, elle n'avait pas quitté sa chambre. Son corps chétif devenait squelettique à vue d’œil, mais qu'importe : dans ce centre pour délinquantes juvéniles, seuls l'autorité et le redressement étaient importants. Elle aurait pu crever, l’aînée Kyle. Devenue transparente, elle n'était plus qu'un vulgaire fantôme dans une vulgaire prison ; ce soit disant orphelinat recueillait surtout des jeunes délinquantes, de tout âge. Certaines avaient l'âge de Maggie, d'autres avaient le double du sien. Elles étaient toutes là pour des crimes différents : vol, prostitution, agressions multiples. En fin de compte, peu d’entre elles étaient réellement là parce qu'elles n'avaient plus de famille. Et Selina refusait finalement que cette prison devienne son nouveau foyer. L'étincelle s'était manifestée plusieurs semaines après son arrivée. Des filles parlaient de s'évader, et rapidement. Elles disaient être battues par une intendante, parfois par la cuisinière. Un cauchemar que Selina refusait de revivre. Durant presque une année, la jeune orpheline avait étudié toutes les possibilités.
Fuir. Fuir, loin. Fuir, et retrouver Maggie.
Le monde était bien trop grand ; voilà plusieurs semaines que la jeune Selina cherchait à retrouver sa sœur, sans y parvenir. Elle errait tel un chat dans les rues, découvrant une réalité d'autant plus sombre que celle qu'elle connaissait déjà. Le monde à travers les rues de Gotham était semblable à tout ce qu'elle avait connu ; seulement, elle était seule.
Seule, seule contre tous. La faim, la soif et le sommeil la hantaient un peu plus chaque jour. Elle était devenue un animal, cherchant sans cesse un refuge. Et Gotham était hostile. Tellement hostile. Gotham n'offrait rien. Gotham ne profitait qu'à la jeunesse dorée, qu'à ceux qui écrasaient les plus petits. Oh, comme elle est haïssait, ces gens-là. Comme elle méprisait cette population qui ne faisait rien pour ceux qui mourraient ici, aux pieds des immeubles. Allait-elle mourir, elle aussi ? «
Reprends-toi, Sel'. Fais-le pour Maggie. Pense à Maggie. » Elle y pensait sans cesse, hantée par l'image de sa petite sœur. Ses grandes boucles rousses et son visage d'ange, ses adorables fossettes quand elle riait. Selina ne rêvait que d'une trêve. Un moment de paix, de plénitude.
Rêve, trêve. Connerie. Déjà, elle observait les autres gosses des rues ; leurs manèges, leurs sourires, et leurs techniques. Des pickpockets hors pair dont elle pensait avoir tout appris. Jusqu'à ce qu'elle se fasse prendre la main dans le sac. Un instant d'imprudence qui, pour une fois, une unique fois, aller lui sauver la vie. «
Et là petiote, tu fais quoi ?! Tu crois qu'j't'ai pas vu ?! » L'homme était imposant. Rond, rond comme les yeux de la gosse prise de panique. Et autour d'elle, les rires d'enfants. Les manèges qui tournaient, tournaient. Des rires.
Faîtes les tous taire, ces rires. Une seconde de torpeur, avant d'essayer de se dégager de l'emprise du forain. Une seconde de torpeur où, dans un souvenir trop sombre, elle revoyait son père qui broyait les os si fragiles de son poignet. «
Non ! Lâche-moi, tu m'fais mal ! Lâche-moi, gros lard ! » Tel un animal, les dents de la gamine s'étaient posées sur le bras du pauvre homme. Et puis un rire, comme exagéré. Un rire théâtre qui l'avait stoppée, tant sa surprise était grande. «
T'es une vraie panthère, gamine ! J'aurai presque pu avoir peur si t'avais plus de viande sur les os. » Il s'était penché sur elle, jaugeant la petite chose qu'il avait attrapée. «
Ca fait combien d'temps qu't'as pas mangé, hein ? Y sont où tes parents, hein ? » Ses yeux gris observaient autour du stand, à la recherche d'un couple éventuel. «
T'les as perdu, c'est ça ? » Son regard s'était reposé sur elle. L'orpheline avait secoué la tête, avant de laisser quelques larmes perler à ses yeux. «
'Sont morts, mes parents. Et ma sœur, elle est au couvent. J'suis toute seule, m'sieur. » Soupire. L'homme semblait rustre, mais son cœur était aussi gros que les peluches qu'il faisait gagner. «
Aller viens gamine, j'vais t'donner à manger. »
III. hear me roar
Il est mort. Il est mort, et je n'ai rien pu faire. Il est parti, et je n'ai même pas pu lui dire au revoir. Orpheline, à nouveau. Cette chienne de vie ne me lâchera donc jamais. Il était tout ; un père, un confident, un patron, un ami. Il était tout, et il est parti. La vie l'a arraché à moi, sans même me prévenir. C'est terminé. Ce manège, c'est terminé. Fini, fini. D'une écriture souple, ultra féminine, Selina avait posé ses
maux sur un vieux journal qu'elle tenait autrefois. Les larmes avaient tâché l'encre et le chiffonnement de haine rendaient la lecture quelque peu difficile. Mais d'elle, c'est tout ce qu'il restait. Elle était partie comme la voleuse accomplie qu'elle était devenue. Sans un mot, sans un signe. Elle était devenue un fantôme.
Vide, vide de tout. On sentait son souffle sur le passage, un sentiment étrange. Et puis
rien. Du vide. Elle avait filé, laissant derrière elle un amas de souvenirs ; sûrement les seuls heureux qu'elle ait jamais connus. Dans le chapiteau résonnerait à jamais ses rires d'enfant, ses pleurs et les encouragements de celui qui l'avait pris sous son aile.
Souvenirs, impérissables. Selina était à nouveau seule. Et du haut de ses dix-sept ans, l'adolescente devait à nouveau surmonter les rues sordides de Gotham. Repartir du début, tout effacer.
Effacer et reconstruire. Mais les fondations fragiles avaient poussé la jeune femme à des activités bien plus sombres. Parce que les ressources n'étaient plus suffisantes, que les larcins ne suffisaient plus à payer le loyer du taudis miteux qu'elle habitait. «
Tu verras, c'est juste dur les premières fois. Et après, tu t'y habitues. Pense à une star de cinéma. Ça m'aidait, au début. » Sous les coups de pinceau agiles de Dina, le visage de Selina se transformait doucement. Elle paraissait plus âgée, même si ce visage fardé ne lui plaisait pas.
Maquillage de cirque. Elle se souvenait que les clowns ne jouaient simplement qu'un rôle, derrière la poudre blanche et le rouge à lèvre mal appliqué. «
Tu as peur ? » Les yeux de jade regardaient timidement le sol, n'osant pas croiser le regard de la professionnelle. «
Un peu, je suppose. » Soupire, puis un haussement d'épaule. «
C'est pas comme si tu avais le choix, hein. Allez, mets tes talons et viens. » Bientôt, la rue les avait avalées. Claquement de talons, regards aguicheurs et propositions déplacées. Dès cette première nuit, Selina se l'était jurée ; elle se sortirait au plus de cette situation pour ne plus jamais devoir vendre son corps. Le déclic était venu du ciel. Une ombre, puissante.
Grande, lourde. Une silhouette imposante qui avait terrassé deux hommes, en moins d'une seconde. Les yeux ronds comme des billes, Selina Kyle venait d'assister à une scène surréaliste. Entre peur et admiration. Se battre ou mourir.
Déclic. Ne plus courber l'échine. Ne plus se vendre au premier venu. Ne plus subir le poids de leurs corps, leurs baisers maladroits et leurs pratiques dérangeantes.
En finir. Abandonnant son sac de courses, la voleuse était rentrée chez elle en courant. Hors d'haleine, elle s'était précipitée à sa table et s'empressait de griffonner sur un bout de facture. «
C'est quoi, c'truc ? Et elles sont où les courses ? » Sourire. «
Notre clé vers la sortie Holly. Notre putain de clé. »
Il avait fallu de longues semaines de travail pour finalement y arriver. Plusieurs tentatives étaient nécessaires, avant d'obtenir un résultat satisfaisant. «
De quoi j'ai l'air? » Une silhouette de danseuse dans une combinaison latex ; entre érotisme et ridicule, Selina se pavanait dans l'étroit appartement, sous le regard admiratif de sa protégée. «
C'est sûr qu'ils ne vont pas en croire leurs yeux ! Après la Chauve-Souris, le Chat ! » Son rire était clair, et bientôt rejoint par celui de la voleuse. «
J'espère que les médias vont parler de moi. » Elle avait regroupé sa chevelure à l'arrière de sa tête avant d'enfiler une capuche intégrée à sa combinaison et des lunettes sombres qui lui permettaient de ne pas être reconnue. «
Je veux être aussi connue que le Batman. » Son souhait n'avait pas tardé à se réaliser. Après plusieurs cambriolages, on parlait déjà du « chat-voleur », et bientôt de la « femme-chat » de Gotham. Colliers de perles, tableaux et objets de valeur, coffres-forts... rien ne lui résistait. La vie semblait plus douce ; la nourriture ne manquait plus, et les rires avaient remplacé les pleurs. Seule ombre au tableau : Stan. Stan, c'était le type puant qui s'occupait d'Holly.
Figure paternelle, comme il aimait s'appeler. Une figure violente, assoiffée par l'argent. Tout avait dérapé, plutôt vite. Fatiguée de voir son amie abusée, Catwoman avait décidé d'agir. A couvert, parce que le masque n'était pas là pour la protéger elle, mais les gens qu'elle aimait. Cette nuit-là, elle s'était réellement battue, pour la première fois ; et comme une marque distinctive, Selina avait profondément griffé la joue de l'agresseur de sa protégée. La personnalité derrière le costume commençait déjà à se profiler, se découvrant un peu plus dangereux à chacune de ses frasques. Éternelle joueuse et en constante progression, le personnage de Catwoman faisait parler de lui, jusqu'à attiser l'attention d'autres figures emblématiques de Gotham ; le Pingouin, Black Mask, mais surtout le Batman. Un jeu du chat et de la souris qui, malgré les années qui défilent, ne semble pas la lasser une seule seconde.