I won't let you get me down I'll keep gettin' up when I hit the ground (artemis)

Toi et moi contre le reste du monde. Février 2002, 7 ans.

'Incapable, moins que rien, honte de la famille …' Artemis grimpa sur son lit et se glissa entre les draps en serrant les dents quand le tissu vint frotter contre son dos meurtri. Ne pas pleurer, oublier les cris, les reproches et les coups. Elle s’enfonça tout au fond des draps rêches, et ses doigts tâtonnèrent pour trouver entre deux replis l’ourson en peluche informe qu’elle avait caché là. Elle poussa un soupir rassuré quand elle le toucha : personne ne l’avait trouvé. Elle fourra son visage contre le petit corps élimé et inspira profondément son parfum familier. Ca allait déjà un peu mieux. Elle n’avait plus tellement envie de pleurer. Elle avait toujours mal aux bras après les heures à escalader le mur de l’immeuble, elle avait toujours mal au dos là où papa avait frappé parce qu’elle n’avait finalement pas réussi à monter jusqu’en haut. Mais elle réussirait, demain. Quoi qu’il demande, elle réussirait. Si ce n’était pas demain, ce serait le jour d’après, mais elle réussirait. « Artemis. » Elle sursauta violemment, le cœur battant, et sortit la tête de ses draps pour jeter un regard méfiant au-dehors. Jade se tenait au pied de son lit, dans la pénombre. Elle ne l’avait pas entendue entrer dans leur chambre. 'Négligente, en plus de ça.' « Débarrasse toi de ça, si papa le trouve il sera furieux. » Fit remarquer Jade en pointant du doigt vers l’ourson. Artemis baissa les yeux sur la petite peluche qu’elle serra contre sa poitrine d’un geste possessif, avant de se résigner. Elle la fit glisser sous les draps et la repoussa au fond du lit avec le pied. C’était le mieux qu’elle puisse faire ce soir. Demain, elle s’en débarrasserait. Peut-être. Jade soupira et se retourna pour enfiler sa chemise de nuit, et Artemis se roula en boule sur son oreiller, tournée vers le mur. Le silence s’installa à nouveau et la petite fille se mordit fortement la lèvre. Quand sa sœur dormirait, elle irait rechercher la peluche au fond du lit. Elle en avait besoin, sinon elle allait se mettre à pleurer, et ce serait terrible. Il ne fallait pas pleurer. Papa détestait quand elle se mettait à pleurnicher, et il devenait pire encore. « Allez, viens. » Artemis se retourna lentement vers Jade. Celle-ci s’était assise sur son propre lit en face du sien et la regardait avec sa moue habituelle, mais sa main était tendue vers elle, ouverte, bienveillante. La petite fille ne se le fit pas dire deux fois. Ses pieds nus effleurèrent à peine la vieille moquette - dans quelques années, elle sauterait d’un lit à l’autre sans avoir même besoin de toucher le sol – et elle se fourra contre sa sœur. « Colle pas tes pieds froids contre moi ! » Jade lui enfonça son coude entre les côtes et Artemis se décala avec un petit gémissement de douleur. Immédiatement, elle se mordit la lèvre et se figea, les yeux écarquillés. 'Faible, pitoyable.' Pendant plusieurs secondes, Jade ne dit pas un mot, puis elle soupira, et Artemis se recroquevilla un peu plus vers le bord du lit. Elle savait ce qui allait suivre : les réprimandes, l’agacement. Mais sa sœur se contenta de passer un bras autour d’elle et de la serrer contre son flanc. Artemis retint sa respiration une seconde puis souffla et se détendit à ses côtés. Elle se blottit contre elle et ferma les yeux. Pendant de longs instants chauds et rassurants, il n’y eut que la respiration de Jade qui la berça. Puis … « Demain, même si t’es fatiguée, tu la fermes et t’obéis, d’accord ? C’est la seule façon pour qu’il te frappe pas. A ton âge, j’y arrivais moi, alors toi aussi tu vas y arriver. » Artemis rouvrit les yeux et hocha la tête. « J’ai rien entendu. » Silence. « J’ai rien entendu ! » « D’accord. » « Bien. Dors, maintenant. »

Chacun pour soi. Septembre 2007, 12 ans.

Silencieuse comme une ombre, Artemis grimpa le long du mur, avalant les étages, attrapant chaque prise avec facilité. Arrivée sur le rebord de la fenêtre, elle la fit glisser sans bruit, jeta un regard à l’intérieur de la pièce et retint son souffle. Personne. Elle se stabilisa sur le rebord, déplia son arc et attrapa une flèche dans son carquois. Elle pouvait presque sentir son regard sur elle de l’immeuble d’en face … Penser à lui fit soudain augmenter son rythme cardiaque mais elle se força à respirer profondément. Tout allait très bien se passer. Première flèche, deux doigts, corde tendue. Dans un sifflement ténu, la flèche alla se planter dans l’œil de la caméra, et Artemis s’autorisa un sourire. Facile. Elle fit le signe convenu à son père sans se retourner et se laissa tomber à l’intérieur de l’appartement. Elle suivi le plan sans l’attendre, trouvant son chemin dans la pénombre de l’appartement. Les doigts serrés sur son arc, elle n’hésitait pas, elle avançait, décochant une flèche sur chaque caméra. Maintenant que la machine était en marche, elle avait été envahie par l’adrénaline et tous ses doutes avaient été effacés. Son but se trouvait à quelques pièces de là. Elle allait réussir.  Et sans l’aide de Jade, cette foutue lâcheuse. Mais elle n’avait pas besoin d’elle. Papa allait arrêter de tout ramener à sa fugitive d’aînée, pour reconnaître les mérites de sa cadette, celle qui était restée. Il n’avait plus qu’elle, comme il le répétait si souvent, mais elle allait le faire changer de ton. Il allait être fier d’elle, bon sang ! Elle posa sa main libre sur la dernière porte. Facile. La porte coulissa  en silence, Artemis entra. Au centre de la pièce, le lit, l’homme endormi. La cible. Ne restait plus qu’à le maîtriser au cas où il se … Mais à peine avait-elle fait un pas dans la chambre que l’homme ouvrit les yeux et bondit hors de ses draps, pointant sur elle le canon d’une arme. Avait-elle fait du bruit, avait-il été prévenu ? Peu importe. La jeune fille s’accroupit et entendit le sifflement de la première balle passer au-dessus de sa tête. Le reste s’enchaîna très vite, presque automatiquement. Aucune peur, aucune hésitation. Elle l’avait fait des centaines de fois, et c’est avec une détermination sans faille qu’elle se jeta sur lui. Il était bien plus grand et plus fort qu’elle, mais la frêle gamine savait profiter de ses apparents points faibles. Elle se battait contre son père tous les jours, et ce pitoyable bonhomme en pyjama ne lui arrivait pas à la cheville. En quelques coups vifs, elle le désarma, l’assomma. Facile. Et quand son père entra enfin dans la chambre, elle se tenait assise sur le torse de la cible, haletante mais triomphante. « Bien. » Pas même une esquisse de sourire. Le visage d’Artemis s’assombrit, déçue. A Jade, il aurait souri. Elle en était convaincue ! Papa était tellement fier d’elle, même après qu’elle ait quitté la maison, qu’il en devenait injuste avec Artemis. Pleine de rancœur, l’adolescente rejetait toute la faute sur l’absente, et elle serra les poings de rage. « Maintenant, tue-le. » Elle eut un mouvement de surprise. Il ne lui avait demandé une chose pareille. « Quoi ? » Son père lui lança un regard assassin qui la glaça. « Tue-le, Artemis ! » La combattante entraînée et sûre d’elle redevint une gamine effrayée qui jeta un regard plein d’incompréhension à son père. Elle se leva, s’écarta. « Papa, je ... » « Artemis. » Sa voix la coupa, froide et menaçante, et la jeune fille hésita. Elle jeta un regard à l’homme inconscient, mais n’osa pas ensuite croiser le regard de son père. Il fallait qu’elle agisse, maintenant. Qu’elle le tue et que papa soit enfin fier d’elle … « Non. » Sa voix avait tremblé mais pas sa détermination. Elle pouvait faire beaucoup de choses, elle pouvait se plier à tout ce qu’il demandait, mais pas à ça. Et quand le poing de son père vint se fracasser contre sa mâchoire, elle sut pour la première fois que c’était justifié. Elle ne tomba pas, elle ne pleura pas. Elle encaissa le second coup qui s’abattit sur elle et bloqua le troisième, puis elle s’élança, se jeta par la fenêtre ouverte et se rattrapa dans l’arbre qui lui faisait face. L’homme était sans doute déjà mort quand elle toucha le sol, mais elle n’en avait rien à faire. Elle n’avait pas tué. Son père allait être furieux, mais tant pis. Elle n’avait pas tué et elle ne tuerait pas. Elle s’enfuit dans le noir sans demander son reste, tout en sachant que sa fuite était une illusion. Elle n’était pas Jade, elle n’irait pas loin. Elle reviendrait à la maison, demain ou le jour d’après, elle n’avait nulle part d’autre où aller. Maman était en prison, Jade s’était envolée dans la nature. Elle reviendrait, elle accepterait les coups en punition comme elle l’avait toujours fait, et ça recommencerait. Escalader les murs, braver des systèmes de sécurité de plus en plus sophistiqués, voler des bijoux ou des trésors de technologie, se battre, attendre l’ordre de tuer, et refuser. Encore et encore. Les années allaient être longues avant qu’elle ne puisse quitter elle aussi la maison, mais elle allait tenir. Refuser. Encore. Accepter tout le reste, mais refuser de tuer. Jusqu’à ce qu’elle gagne enfin contre son père et qu’elle s’échappe, elle aussi …  


Travail d’équipe. Mars 2017, 22 ans.

Artemis passa machinalement les doigts sur le tissu vert de son costume. Oliver le lui avait offert il y avait de ça des mois maintenant, mais elle ne se lassait pas de l’admirer. Chaque jour, elle avait besoin de le sentir sous ses doigts pour vérifier qu’elle ne rêvait pas. Tout était bien réel, de son arc flambant neuf aux flèches qu’elle avait assemblées la veille, en passant par ce costume aux couleurs de Green Arrow. Ses couleurs à elle aussi. Elle eut un sourire dans le noir avant de se redresser en voyant une lumière s’allumer, dans l’immeuble en face. Elle attrapa ses jumelles et scruta la pièce qui venait de s’éclairer, prenant note des visages qui étaient apparus, mais elle avait la tête ailleurs. Ce soir, c’était sa dernière mission en solo. Oliver n’avait rien à voir là-dedans, elle avait débusqué le trafic seule, et elle y mettrait un terme seule. Comme elle l’avait fait pendant des années à Gotham, après s’être enfin détachée de son père pour suivre sa propre voie. Plus de vols, plus de contraintes : elle avait choisi de sauver des vies au lieu d’en détruire, et elle s’était très bien débrouillée jusque là. Suivant le modèle des membres de la Ligue de Justice, repoussant au loin les enseignements toxiques de son père, elle s’était improvisée justicière la nuit. Seule. Ca lui allait parfaitement, elle ne voulait de personne à ses côtés … Elle voulait oublier Jade, son père, sa mère. Elle s’était fait seule, elle avancerait seule. De loin, elle admirait les justiciers qui s’étaient dévoilés pendant l’invasion de Darkseid, sans jamais les approcher. Même pendant l’invasion, elle était restée éloignée, aidant la population comme elle l’avait pu. Et puis Green Arrow était apparu. Son héros. Le meilleur archer du monde avait remarqué sa technique et ses petits agissements en solo, et il l’avait félicitée une nuit, sans plus de cérémonie. Il l’avait prise sous son aile, il l’avait aidée, et elle avait découvert ce qui lui avait manqué jusque là : une présence. Elle ne pouvait plus être seule, elle ne voulait plus l’être. Mais c’était fini … Artemis encocha une flèche, prit le temps de viser, et tira. Le trait fila dans la nuit, tirant derrière lui le filin qu’elle avait attaché derrière, puis s’encastra dans l’immeuble en face. La jeune femme se laissa glisser le long de cette tyrolienne improvisée et atterrit souplement sur le toit. Elle compta ses flèches par automatisme, vérifia la présence de son arbalète et de ses carreaux, puis crocheta la porte du toit et s’engagea dans l’escalier plongé dans le noir. Oui, c’était fini, les missions en solo. Demain, Oliver allait la présenter à la Young Justice. Il avait décrété qu’elle avait suffisamment fait ses preuves avec lui et qu’elle pouvait rejoindre les rangs des jeunes héros. Demain, elle ferait partie d’une équipe. Un sourire aux lèvres, l’adrénaline courant dans ses veines, Artemis dévala l’escalier, défonça la porte qui la séparait des trafiquants, et tira sa première flèche. Elle était dans son élément, mais demain … Demain serait encore meilleur.

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