there is thunder in our hearts (cassandra)

« Helena, il faut qu'elle sache. Cassandra a le droit de savoir qui est son père, c'est important pour elle. Et je suis la mieux placer pour vous affirmer que de tels secrets ont toujours de terribles conséquences. Plus vous attendez, plus les conséquences seront grandes. Cassandra n'est plus une enfant… » Le téléphone contre l'oreille, Diana secoue la tête en écoutant les protestations d'Helena Sandsmark. « Je sais ce que tout cela implique, soyez-en certaine ! Mais votre mensonge ne protège pas votre fille, il ne fait que la mettre en danger. Hippolyte croyait elle aussi me protéger, et voyez les résultats ! Il ne s'agit pas simplement de lui… Il s'agit de moi, et du reste de cette famille dont vous la privez. Ne croyez-vous pas que Cassandra mérite davantage ? Je vous en prie… » Le refus est catégorique. Helena, au grand désespoir de Diana, ne veut pas avouer à sa fille quelles sont ses véritables origines, sa filiation. Depuis que Diana sait que Cassandra est la fille de Zeus, elle n'a eu de cesse de supplier sa mère de lui avouer la vérité, de ne pas continuer à lui mentir. Et aujourd'hui plus que jamais, elle sait qu'un tel secret peut avoir de terribles répercussions sur la vie de Cassandra, de même qu'elle sait qu'elle finira par l'apprendre un jour ou l'autre, peut-être de la bouche d'un ennemi ou d'une personne mal intentionnée. Mais c'est de sa mère qu'elle doit découvrir la vérité, c'est elle qui doit la lui révéler avant que quelqu'un d'autre ne le fasse. Secret, mensonge, peu importe comment on veut appeler la chose… Tout finit par se savoir, et Diana s'inquiète des réactions de Cassandra si elle devait l'apprendre par accident, comme cela a pratiquement été son cas. « Tant qu'elle ne le saura pas, elle ne saura pas non plus de quoi elle est réellement capable. Imaginez qu'elle soit, comme moi, capable d'invoquer la foudre ? Qu'elle le fasse malencontreusement et se blesse, blesse ses amis, ou pire… ? » Aucun de ses arguments ne semble pouvoir faire changer Helena d'avis, la convaincre que la vérité est le mieux pour sa fille. Elle réplique que Diana ne peut pas la comprendre, n'étant pas mère elle-même. La remarque la fait sourire, Helena n'imagine pas une seconde avoir prononcé une horreur. La conversation prend fin, et l'Amazone soupire, consternée. Mais sa décision, malgré tout, est prise.

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Une main sur l'arrondi de son ventre, Diana soupire en posant son téléphone sur la table basse devant elle. « Grande Athéna, j'espère que je fais le bon choix… » Elle secoue doucement la tête en se pinçant l'arrête du nez. Il lui a fallu plusieurs jours pour se décider à envoyer ce message décisif à Cassandra, après avoir tourné et retourné ses pensées, demandé à Jason de la rassurer quant à cette décision, et prié les dieux encore et encore – Zeus en particulier – sans obtenir aucune réponse, ou presque. Voilà plusieurs jours qu'un orage violent noie Gotham, et Diana est incapable de savoir s'il s'agit d'une intervention paternelle ou d'un simple phénomène naturel. Quoi qu'il en soit, une semaine après avoir vainement tenté de convaincre Helena Sandsmark de révéler la vérité à sa fille, elle s'est finalement décidé à demander à cette dernière de venir la retrouver au Manoir Wayne, prenant ainsi sur elle la lourde responsabilité d'annoncer à Cassandra qu'elle est la fille de Zeus, le dieu des dieux, roi de l'Olympe et coureur de jupons invétéré. Elle sait que la jeune femme sera certainement choquée, blessée, et qu'en conséquence, c'est sans doute vers son aînée qu'elle dirigera ses attaques nées de l'incompréhension et du sentiment de trahison. Diana aurait sincèrement préféré éviter de devoir endosser le rôle du messager, mais Helena ne lui laisse pas le choix. Elle ne peut pas comprendre, parce qu'elle n'est pas mère… ? Évidemment, l'archéologue ignore que Diana est enceinte, alors elle n'a pas pu choisir ses mots en connaissance de cause, sinon elle ne les aurait pas prononcés. Son bébé, elle ne l'a pas encore vu, pas encore pris dans ses bras. Mais elle le sent grandir en elle depuis déjà plus de trois mois, les changements de son corps sont à présent bien perceptibles, son ventre est rond, sa poitrine plus généreuse. Ce bébé, elle l'a désiré ardemment pendant des siècles, pendant des millénaires. Elle n'a pas besoin de le serrer contre elle pour l'aimer de tout son cœur et pour savoir qu'elle ne fera jamais rien qui puisse risquer de le blesser. Lui mentir, lui dissimuler des informations essentielles sur lui-même ? Non, impossible. Alors la décision de révéler la vérité à Cassandra quant à sa filiation, elle la prend en tant que mentor, en tant que sœur, mais également en tant que mère.

Diana prend une profonde inspiration et soupire en basculant la tête en arrière pour la laisser reposer contre le dossier du divan. Les paupières closes, elle écoute le son presque assourdissant des gouttes de pluie qui s'écrasent contre les carreaux des immenses fenêtres du manoir, parfois accompagnées d'un grondement furieux du tonnerre. « Tu n'aides en rien, père… » Combien de temps lui a-t-il fallu pour songer à Zeus ainsi ? Des semaines. Des mois. Mais comment pourrait-elle devenir mère en n'acceptant pas sa propre filiation ? Elle ne l'a pas fait pour plaire à quiconque, certainement pas à Hippolyte ou Zeus, mais pour se préserver elle-même, et par conséquence son bébé, des questionnements qui auraient pu la troubler tout au long de sa grossesse. La chose n'a cependant pas été des plus simples, et elle ne l'est toujours pas. Impossible de savoir de quelle façon réagira Cassandra, elle ne peut rien anticiper. Diana finit par se relever, ne supportant pas d'attendre bêtement dans le grand salon du manoir. Alfred est prévenu de l'arrivée de la jeune femme, alors il la préviendra quand elle sera là. En attendant, elle rejoint la salle d'entraînement, où elle sait qu'elle trouvera Jason, peut-être en compagnie de Stephanie ou Cassandra. Elle ne les dérange pas, elle reste en retrait appuyée contre l'ouverture de la porte, les bras croisés et un sourire aux lèvres. Au moins, il s'entend plutôt bien avec elles. C'est encore loin d'être gagné avec Damian, Tim, ou même Dick, mais les filles sont parvenues à percer sa carapace protectrice. Ça n'a l'air de rien, mais Diana sait que c'est beaucoup. Entre deux échanges, elle capte son regard, lui adresse un sourire et lui envoie un baiser avant de s'éclipser pour ne pas déranger plus longtemps – elle sait que la concentration de Jason n'est pas forcément à son maximum quand elle est dans les parages, et l'inverse est tout aussi vrai. C'est ce qui arrive, quand on peine à se passer de sa moitié.

Diana sursaute quand Alfred apparaît soudain à côté d'elle dans le couloir. « Toutes mes excuses. Mademoiselle Sandsmark est arrivée, elle vous attend dans le petit salon. Voulez-vous que je vous prépare quelque chose ? Un thé, peut-être ? » Diana secoue la tête. « Merci Alfred, mais ce ne sera pas nécessaire. J'ai peur que nous n'ayons bientôt la gorge trop serrée pour avaler quoi que ce soit... » Le majordome a la délicatesse de ne pas poser de questions, et Diana se dirige jusqu'à la petite salle réservée à la famille, loin de toute agitation. L'Amazone referme la porte derrière elle, en se demandant une dernière fois si elle ne fait pas fausse route. « Bonjour, Cassie. » Elle s'approche d'elle pour la prendre dans ses bras, avec la même affection que d'ordinaire, malgré son air soucieux. D'un geste vague, elle lui désigne l'un des sièges. « Je t'en prie, assieds-toi. » Elle prend place en face d'elle, les sourcils légèrement froncés. « Merci d'être venue si vite. Je sais que ce n'est pas facile, avec... Eh bien, tout. » Le Syndicat du Crime, Metropolis détruite, la disparition du soleil, un hiver prématuré et déjà glacial... Toutes ces choses, qui seront bientôt le cadet de ses ennuis. Le tonnerre gronde et un éclair illumine brièvement l'extérieur et la pièce – on croirait presque que Zeus cherche à lui donner un peu de courage. « Helena... Ta mère ne t'as rien dit ? » Elle aurait pu vouloir la mettre en garde, lui dire de ne pas croire un seul de ses mots. Aurait-elle osé ? Diana secoue doucement la tête et s'enfonce dans son siège, une main posée sur son ventre. « Je ne t'ai pas demandé de venir ici pour parler du Syndicat, de la Ligue ou de telles choses... C'est à propos de toi. De nous. » Diana ne sait pas si elle peut réellement adoucir l'impact qu'aura une telle nouvelle, mais elle va faire de son mieux, sans savoir si la prévenance et la douceur qu'elle emploie avec Jason auront le même effet sur Cassandra. « Cassandra, j'aimerais te parler de ton père. » Notre père, se retient-elle de dire, pour ne rien précipiter. « Tu as le droit de savoir la vérité, et je... Je ne peux plus garder le secret, je ne le supporte plus. Je sais que tu t'es longtemps demandé d'où tu venais, et si j'ai pu t'apporter quelques réponses, par respect pour Helena, je n'ai rien dit... Mais le secret qu'elle me demande de garder encore aujourd'hui, ce mensonge... Je ne peux plus, Cassie. Alors si tu te sens prête... Je peux t'offrir la vérité, et les réponses à toutes les questions que tu as pu te poser. »

Cela n’avait rien de commun de recevoir ce genre de message de la part de Diana ; en plus d’être alarmant par son absence de détail, le ton donné n’était guère encourageant. Autant dire que même si Cassandra aurait voulu se diriger jusqu’à Gotham à reculons, elle n’osait pas de crainte que l’urgence de la situation ne présente un danger quelconque pour la Wonder Family. Si elle ne s’était pas tétanisée d’appréhension en lisant le second texto, elle aurait probablement essayé d’en savoir plus – néanmoins, elle se doutait que Diana n’aurait pas davantage éclairé sa lanterne. Elle connaissait l’Amazone depuis suffisamment longtemps pour savoir lorsqu’elle resterait campée sur ses positions. Et c’était très souvent le cas, quel que soit le sujet. Malgré tout l’amour que la jeune femme éprouvait à l’égard de la guerrière, elle ne pouvait pas nier que son obstination était autant une qualité qu’un défaut parfois. Cependant, ce trait faisait partie d’elle, au même titre que sa générosité ou que son sens de la justice. Sans cela, elle ne serait pas Wonder Woman, l’héroïne vers laquelle beaucoup levaient des yeux emplis de confiance. Sans cette tête de mule sur ses épaules, elle n’aurait probablement même pas accompli la moitié des prouesses qui jalonnaient à présent son chemin. Elles étaient bien différentes sur ce point, songeait régulièrement Cassie, envieuse de sa détermination sans faille.

Mais ce soir – ou plutôt cet après-midi, même si la différence n’était plus si flagrante – c’était quelque chose qu’elle redoutait de la part de son mentor. Si elle demeurait autant sur la réserve, c’était que le sujet dont Diana voulait parler n’allait pas lui plaire. Elle le sentait jusque dans ses tripes. Décidément, j’aurais mieux fait de laisser mon téléphone en silencieux aujourd’hui. Cela n’aurait pas empêché le message de passer, cependant elle aurait pu prétendre ne pas l’avoir vu… Même si se connaissait, elle y aurait répondu aussitôt. Cassandra était bien des choses, mais lâche n’en faisait pas partie. Témérité ou courage, cela dépendait des situations. A croire que l’entraînement des Amazones rendait toutes les guerrières incapables de se détourner, seulement aptes à courir vers les incendies les yeux fermés et le glaive au point.

Et à défaut de courir au devant de ce danger-ci, Cassie vola. Elle tutoya les nuages toujours plus bas, toujours plus sombres et plus nombreux. L’orage qui tournoyait autour de la ville noire depuis plusieurs jours s’était enfin décidé à déverser sa rage en éclats aveuglants et tonnerres assourdissants. La fine silhouette évita un éclair plus vicieux que les autres avant de se diriger en piqué vers l’une des trop nombreuses ruelles glauques de Gotham City, s’assurant d’un regard rapide que personne n’était dans les environs. Avec les récentes attaques et bouleversements climatiques, la populace évitait au maximum de sortir, que ce soit ici ou ailleurs. L’absence de Soleil n’affectait pas seulement leur planète. C’était un mal qui rongeait jusqu’à l’âme des Terriens, qui infectait et qui affaiblissait. Les défaites essuyées face au Syndicat n’aidaient en rien à maintenir le moral des troupes… Cassandra s’immobilisa d’ailleurs devant le lugubre manoir des Wayne pendant plusieurs minutes, insensible à la pluie qui ruisselait jusque dans son cou et plaquait ses cheveux blonds sur son crâne. Bruce n’avait pas donné de signe de vie depuis trop longtemps, et avec la revendication du Syndicat, il n’y avait logiquement plus rien à espérer. Même en sachant ça, Wonder Girl ne pouvait décemment pas s’autoriser à y croire un seul instant. Parce qu’elle ne savait pas comment est-ce qu’elle pourrait regarder Tim en face si Batman était réellement tombé. Ni Jason, par ailleurs. Ni aucun autre membre de la Bat-Family. Quels mots auraient pu apaiser cette perte ?

Sur le pas de la porte, Cassandra s’interrogea une dernière fois sur le motif de cette convocation soudaine et inquiétante. Le heurtoir sur l’imposante porte frappa trois fois, l’écho rapidement étouffé par le torrent pluvial derrière elle – et si Diana avait eu des informations sur l’état de Bruce ? Et si Clark finissait par sombrer à son tour ? Un froid intense, qui n’avait subitement plus rien à voir avec les conditions atmosphériques, se répandit dans les veines de la justicière. Ce fut le visage familier d’Alfred qui l’ébroua dans sa détresse, la forçant à faire un pas en avant alors qu’elle était de plus en plus persuadée que ces retrouvailles n’auraient rien d’agréables. Pour la première fois depuis des années, Cassandra n’était pas impatiente de revoir les yeux sombres de la princesse des Amazones. « Diana… » Même sa voix était teintée de cette détresse qu’elle avait décelé dans son texto. Les bras de la brune se refermèrent autour de ses épaules, comme ils l’avaient fait tant de fois par le passé et elle s’efforça d’y trouver le réconfort nécessaire pour afficher un léger sourire lorsqu’elle se recula. « Tu sais que je viendrais toujours, quoi qu’il se passe. » Malgré son instinct qui lui avait hurlé de ne pas le faire cette fois. Cassie retira sa veste trempée pour la poser sur ses genoux, repoussant les mèches folles de sa crinière dégoulinante derrière ses oreilles. Être mouillée ne la dérangeait pas autant que le sérieux avec lequel Diana l’observait – la prudence, aussi, nota-t-elle avec appréhension. Comme on surveille un animal qui s’apprête à attaquer ou à prendre la fuite au moindre mouvement trop brusque. A la mention de sa mère, la jeune femme se crispa légèrement sur son fauteuil. Cela faisait quelques semaines qu’elles n’avaient pas discuté, quand bien même elles demeuraient toujours en excellents termes. Mais à la façon dont son mentor posait la question, Helena aurait probablement dû la prévenir de quelque chose. Quelque chose de grave, à en croire la mine dramatique et la respiration rapide de la guerrière.

« Diana, qu’est-ce qui se passe ? » L’Amazone modifia sa position, les prunelles chatoyantes de sa protégée suivant le moindre de ses mouvements. L’arrondi de son ventre ne laissait désormais plus de doute quant à sa condition de femme enceinte, et bientôt elle ne pourrait plus le cacher au reste du monde. Ce qui n’aurait dû être qu’une annonce heureuse pouvait rapidement se transformer en menace pour la Justice League déjà affaiblie. Sans la présence de Bruce et Clark à ses côtés, Diana devait supporter seule le fardeau d’être le rempart de l’Humanité contre leurs multiples ennemis. Et Cassandra souffrait de la voir ainsi, entre les murs d’un manoir froid, probablement plus dévorée par le doute qu’elle ne le laissait bien voir. En quelques mots, la justicière balaya les potentiels sujets qu’elle pensait aborder pour lui dévoiler celui à venir. Elle. Elles. Une seconde s’écoula, puis deux, trois, avant que Diana ne reprenne la parole. Son père. Involontairement, Cassie se laissa couler contre le dossier du fauteuil, expirant lentement en digérant l’information. « Je ne comprends pas… » C’était la pure vérité. Cassandra ne voyait pas où cette discussion allait les mener pour le moment.

Une partie d’elle se doutait depuis quelques temps que son père n’avait rien d’humain – c’était la seule explication valable quant aux capacités qu’elle développait depuis son premier séjour à Themyscira. Elle avait bien essayé d’amener le sujet avec sa mère, mais les manœuvres d’esquive du Docteur Sandsmark étaient dignes de celles qu’Artémis lui avait apprises. Et peut-être parce qu’elle craignait la vérité qu’elle lui refusait, sa fille avait cessé d’insister pour se concentrer sur ce qui importait vraiment. Sa vocation de justicière, se dresser dans les ténèbres pour être un phare d’espoir et de justice. Être Wonder Girl, quand bien même ce titre lui paraissait parfois trop lourd pour la jeune femme qu’elle était encore. Que pourrait changer l’identité d’un géniteur absent toute sa vie ? Qu’il soit humain, martien, extraterrestre, inhumain, divin, quelle serait la différence ? Elle avait même songé à Arès, après l’étrange cadeau qu’il lui avait fait sans raison apparente. Le lasso dissimulé autour de sa taille aurait été un présent parfait d’un père à sa fille… Rapidement, Diana reprit néanmoins la parole pour essayer de lancer maladroitement la discussion, qui mettait de plus en plus Cassie mal à l’aise. Combien de fois l’avait-elle désirée, cette vérité ? Un peu de lumière sur cette zone ténébreuse de sa vie. Savoir d’où l’on vient, c’est aussi savoir qui l’on est. Ce que l’on peut devenir. Et maintenant que Diana lui présentait cette opportunité, avec une douceur presque tendre, Cassandra se rendait compte que la réponse l’effrayait bien plus qu’elle ne l’intéressait.

La façon dont ce sujet était amené était, à lui seul, un indice qu’elle n’aimerait pas la suite de cette conversation. Ses mains se refermèrent à de multiples reprises sur sa veste en cuir, tordant la matière au point de s’en blanchir les jointures, le regard fuyant celui de Wonder Woman. Elle sentait son pouls s’accélérer, incapable de rationnaliser cette inquiétude qui lui déchirait le cœur et l’âme. « Je… » Ne comprends pas. Elle se mordit la lèvre inférieure en proie à une nervosité qu’elle ne se connaissait pas capable d’éprouver. Diana ne mentait jamais. Surtout pas à ses proches. Sa franchise avait toujours été l’une des choses que Cassie appréciait le plus chez elle ; et maintenant, elle voulait laver sa conscience auprès d’elle ? Ce qu’elle disait n’était pas compatible avec tous les souvenirs que la jeune femme chérissait d’elle. Impossible. Diana ne pouvait pas avoir trahi sa confiance, c’était impossible. Pas elle. Cassandra s’humecta les lèvres, cherchant dans les méandres de ses pensées éparpillées les mots à utiliser. Ce fut finalement d’une voix blanche qu’elle lui demanda de continuer dans ses révélations. « Keep going. » Pour le meilleur comme pour le pire, les prochains mots de l’Amazone changeraient à jamais leur relation.

Quand Diana songe à son enfant à naître, elle songe également à tout ce qu'elle veut pour lui. Principalement, elle veut qu'il soit heureux, épanoui, fier de ses origines. Et elle est persuadée que tout cela passe par la sincérité absolue de ses parents. Pas de secrets, pas de mensonges. Il saura d'où il vient, qui sont ses parents, ses grands-parents, ses ancêtres. Le bon comme le mauvais. Le juste comme l'injuste. Qu'il puisse se construire sans pièces manquantes au puzzle. Comme elle aurait aimé que ce soit le cas pour elle, sans crainte de voir ses convictions être un jour complètement bouleversées. Sans crainte de perdre une partie de son identité. Diana ne veut rien de tout cela pour l'enfant qu'elle porte. Et elle aurait aimé qu'Helena comprenne sa démarche et sa demande. Tout se sait, la vérité n'est pas une force que l'on peut écraser, même Zeus lui-même ne peut rien contre elle. À quoi bon repousser l'inévitable ? Si Cassandra devait apprendre la vérité d'une bouche ennemie, comment réagirait-elle ? Il est déjà miraculeux que le secret n'ait pas franchi les lèvres d'Arès, chaque jour qui passe est une tentation supplémentaire pour leur aîné. Diana n'a pas envie d'assumer cette responsabilité, mais elle n'a pas le choix. Puisque la mère ne le veut pas, alors c'est la sœur qui avouera la vérité. Et sera donc la première à en essuyer les conséquences, mais qu'y peut-elle ? Elle n'est fautive de rien, et Cassandra est assez intelligente pour le comprendre, une fois le choc passé du moins. C'est en tout cas ce qu'elle espère. Faute de quoi, elle sera associée toute sa vie à cette annonce, le messager, l'oiseau de mauvais augure. Elle voit bien à quel point l'annonce de ses intentions est dure à avaler pour la jeune femme. Effrayante. Terrifiante.

Diana prend une profonde inspiration, comme si elle s'apprêtait à faire un grand plongeon. « Tu sais... Depuis que je suis enceinte, je me pose beaucoup de questions. Je me demande si je vais avoir un garçon ou une fille, quel prénom lui donner, comment le protéger... Mais je ne me demande pas s'il y a des parties de moi, de ma vie, qu'il ne devra pas connaître. Il en va de même pour Jason, parce que la vérité est tellement, tellement importante... Toute ma vie, je me suis demandée pourquoi j'étais telle que j'étais, pourquoi moi et pas une autre, pourquoi tant de mystères autour de ma soit-disant création... Et je sais que toi aussi, tu t'es souvent et longuement interrogée à propos de ton père, avant même de savoir qu'il s'agissait d'un être divin. » Elle soupire doucement. Avec Jason, elle s'y prendrait ainsi. Elle resterait douce, amènerait le sujet le plus délicatement possible. Mais Jason est Jason, sa psychée est particulière, lui et Cassandra sont différents. Mais Diana tâtonne, l'exercice ne lui est pas familier. « Tu sais de quelle façon j'ai découvert la fille de Zeus. » Ce n'est pas une question, c'est une affirmation. Parce que quand Diana l'a découvert, elle a manqué d'emporter la moitié de San Francisco avec elle, en invoquant la foudre de manière tout à fait accidentelle et pour la première fois. « Le secret d'Hippolyte a eu de telles conséquences, que même des mois plus tard je ne suis encore certaine de les mesurer pleinement... J'ai failli faire du mal à Kal-El et à Bruce. J'ai fait du mal à Jason. Themyscira a été ravagée par une bataille effroyable, celle là même à laquelle je t'ai interdit de participer... Et bien d'autres choses encore, des choses terribles. » Diana baisse les yeux. La mort de Venelia, les larmes de Sibylle, les fils des Amazones massacrés... Son frère, encore un parfait inconnu. Le bébé auquel elle a failli renoncer. « Si j'avais eu le choix, j'aurais voulu le savoir le plus vite possible. Qu'importe Héra, qu'importe sa colère de femme jalouse... J'aurais voulu le savoir, pour personne d'autre que moi-même. » Passer de princesse sculptée dans l'argile à demie-déesse, cela demande un certain temps d'adaptation. Et une force de caractère et d'esprit que sur le moment, Diana n'était pas sûre de posséder. « J'ai supplié ta mère de te dire la vérité, à de nombreuses reprises. Je n'ai jamais voulu être complice du secret de ta naissance, jamais. Mais je ne suis pas ta mère... Je pensais qu'il n'était pas de ma responsabilité de lever le secret... Mais c'est mon devoir. » De mentor, de sœur. « Tu as le droit de savoir, c'est de ta vie dont il s'agit. Tant que tu ne sauras pas d'où tu viens, tu ne pourras pas embrasser pleinement qui tu es. Crois-moi, je viens d'en faire la douloureuse expérience. »

Nouveau grondement furieux du tonnerre. Diana lance un regard par la fenêtre lorsque l'éclair illumine l'extérieur ; elle commence vraiment à croire que Zeus l'encourage à sa façon. Quand bien même elle se ferait des idées, au moins cela rend la tâche un peu plus supportable. « Tu sais déjà que ton père fait partie des Olympiens, mais tu ignores duquel il s'agit... Sois déjà rassurée, il ne s'agit pas d'Arès. Mais ce n'est pas non plus sans raison qu'il a tenté de te rallier à sa cause. Ce n'était pas uniquement pour me causer du tort, ses intentions étaient beaucoup plus intéressées que cela... » Diana secoue la tête. Elle a l'impression de tourner autour du pot, chose qui n'est d'ordinaire pas dans ses habitudes. Il en faut beaucoup pour la mettre mal à l'aise, et Cassandra le sait parfaitement. « Il n'y a sans doute aucune bonne façon de te dire cela... » Elle esquisse un geste pour prendre ses mains entre les siennes, avant de se raviser. Quand elle l'a su, elle ne voulait surtout, surtout pas être touchée, pas même par Jason. « Cassie, tu as toujours été comme une sœur pour moi, je me moquais bien que nous ne partagions pas le même sang... » Elle fait une pause, une dernière, avant que le retour en arrière ne soit plus possible. « C'est pourtant le cas. Nous partageons le même sang, parce que ton père et le mien ne sont qu'une seule et même personne. » Et hélas, pas des moindres.  « Zeus... Zeus est ton père. » Et je suis tellement, tellement désolée.

Cassie avait toujours eu le plus grand mal à se tenir immobile. Enfant déjà, elle trépignait sur son séant, tapait des pieds, jouait avec tout ce qui passait à portée de ses mains, babillait parfois pour le simple plaisir de meubler le silence du son familier de sa propre voix. Et pendant les quelques secondes qui précédèrent le long monologue de Diana, elle dû se faire violence pour ne pas s’extirper du fauteuil pour faire les cent pas autour d’elle. A défaut de quoi la jeune femme s’était mise distraitement à torturer sa veste mouillée par la tempête qui faisait toujours rage, trempant un peu plus son jean ; en parallèle aux mouvements intempestifs de ses dextres agitées, les prunelles de la demi-déesse allaient et venaient d’un point à l’autre, remarquant parfois des détails insoupçonnés. La façon dont Diana posait sa main sur l’arrondi de son ventre, les éclairs toujours plus proches et plus aveuglants, l’absence totale de poussière sur le moindre meuble, les traits quelque peu fatigués – ou las ? – de l’Amazone qui prenait une profonde inspiration… avant de se lancer dans ses aveux. Elle n’entra pas dans le vif du sujet comme l’espérait pourtant Cassandra, optant pour une approche moins frontale du problème auquel elles allaient devoir faire face. Ce n’était pas un comportement qu’elle lui connaissait, bien qu’elle ait déjà eu l’occasion de l’observer être aussi prévenante avec d’autres. Rarement. A croire que cette tendresse ne s’appliquait ces derniers temps qu’à Jason, chose qu’elle comprenait parfaitement. Leur lien était unique.

« Diana… tu n’as pas besoin… » elle s’interrompit de son propre chef, laissant la parole à son aînée. Tu n’as pas besoin de chercher à me rassurer. Ou peut-être que si, dans le fond. Cassie s’efforçait de ne pas le montrer, mais la tension de cette conversation imprévue la rendait de plus en plus nerveuse. Mal à l’aise. Presque nauséeuse. Elle avait la sensation d’être à deux doigts de perdre l’équilibre, comme celle que l’on peut avoir en regardant le vide s’étirer sous nos pieds. Un océan de ténèbres et d’incertitudes. Le néant. Si Diana finissait par lui avouer la vérité, cela changerait toutes les bases sur lesquelles elle s’appuyait depuis des années. Changerait jusqu’à l’essence même de ce qu’elle pensait être. De ce qu’elle était. Elle avait beau se répéter depuis plus de dix ans qu’elle n’avait cure de connaître l’identité de son père, que dans le fond elle s’était construite sans lui et que, par conséquent, cela n’aurait aucun impact sur sa vie… c’était faux. La vérité importait toujours, qu’on le veuille ou non. Diana émit un geste dans sa direction, trébuchant sur les mots comme sur des obstacles invisibles ; Cassie se crispa involontairement.

« Je… » Subitement consciente de la réaction de son corps, elle chercha à rassurer Wonder Woman avant de se raviser en croisant son regard. La gorge de Cassandra se serra douloureusement. Elle avait toujours considéré Diana comme un membre de sa famille, avant même de connaître le reste de la Justice League ou de la Young Justice. Il y avait eu Donna, les Amazones, et la femme qui se tenait devant elle. Cette femme si forte et si douce à la fois. Et si Cassie avait pu, cela lui aurait amplement suffit. Elle s’était sentie acceptée et aimée, comprise et encouragée. Protégée tout en ayant l’opportunité de faire ses preuves. Personne ne l’aimerait de cette façon en-dehors de Diana. Cependant, quand les derniers mots franchirent les lèvres de la princesse, toute la confiance qu’elle avait pu avoir en elle s’effondra. Un puissant grondement secoua le manoir des Wayne, faisant écho aux battements de cœur douloureux qui ébranlaient sa cage thoracique. Sa respiration se bloqua dans sa trachée, la forçant à s’éclaircir la gorge au bout de quelques secondes en secouant vigoureusement la tête. Etait-elle restée figée longtemps ? Il lui avait semblé que son absence n’avait duré qu’une poignée de minutes, mais elle n’en était plus si certaine devant les prunelles inquiètes de Diana.

« Je… » Une seconde fois, elle remua le menton de droite à gauche, inspirant rapidement avec une nervosité peu coutumière. Un rire étriqué s’échappa d’entre ses lèvres. « Diana, je ne lance pas d’éclairs. Je n’ai rien… D’extraordinairement divin. » Elle appuya ses derniers mots d’un geste vers elle, cédant finalement au besoin de quitter son fauteuil. Il était mouillé à présent et ce simple contact l’agaçait. Cassandra rejeta sa veste sur l’accoudoir, s’approchant tantôt de la fenêtre martelée par la pluie, tantôt de l’un des meubles qui les entourait sans s’y attarder. « Je ne sais pas d’où tu penses savoir ça, mais tu dois te tromper. » Elle savait, pourtant. Elle savait au fond d’elle que jamais Diana ne lui aurait dévoilé tout ça si elle n’en était pas certaine. Néanmoins, son besoin de déni était plus fort que sa raison. Parce que si c’était la vérité… Si c’était la vérité, alors beaucoup de choses devraient changer. En bien comme en mal. Cela faisait longtemps que Cassandra soupçonnait l’un des Olympiens d’être son géniteur – ou en tout cas, quelqu’un issu de leur lignée – mais Zeus ? Zeus ? Non. Ce n’était pas possible. Elle se souvenait encore du chamboulement qui avait suivi la révélation des origines de la princesse des Amazones, de la guerre, des affrontements, de l’état dans lequel se trouvait Diana. Des vies perdues pour une jalousie inutile. Héra ne tolérait jamais les infidélités de son époux, quand bien même leur mariage n’était finalement que la pire des mascarades. « Non… » Le tonnerre gronda et, quelque part, Cassie eut le sentiment qu’Il lui répondait. « Non ! » Il claqua comme la foudre dans le lointain, sec et cassant. C'était un refus jeté à la face du père absent. Elle ne voulait pas que cela se reproduise. Elle ne voulait pas que Diana soit obligée de la protéger cette fois, alors qu’elle se relevait à peine. Elle ne voulait pas que Themyscira souffre à cause d’un écart de conduite de sa mère. Elle ne voulait pas être responsable d’une nouvelle guerre. « Non… S’il te plaît… »

La jeune femme pinça les lèvres, si fort qu’elles se vidèrent de leur sang en devenant une fine ligne blanchâtre. Elle serra les poings aussi, mais il n’y avait pas d’ennemi contre lequel se battre aujourd’hui. Seulement la vérité. La vérité et Diana, qui craignait que son acte de charité ne se retourne vers elle. Si elle avait été capable de prendre du recul, Cassandra aurait compris que la place de son mentor n’était ni agréable, ni aisée. Elle avait été obligée de retenir ce secret par égard pour sa mère, avant de résigner à outrepasser sa position par respect pour sa protégée. Par affection aussi, sans doute. Cependant, tout ce que Cassie était en mesure de comprendre, c’était que Diana venait de lui donner une information dont elle ne voulait pas. Dont elle ne voulait plus. « S’il te plaît… » Elle inspira en se retournant à nouveau, faisant face à l’Amazone cette fois. Reprends-la. Reprends-la, je n’en veux pas. « Je ne peux pas… » Je ne peux pas être responsable d’une nouvelle guerre au sein de Themyscira ou d’ailleurs. Je ne veux pas de la colère d’Héra, de sa menace permanente. « Ce n’est pas possible, Diana. » Elle lui renvoya son regard, avec toutes ces émotions qui se bousculaient en elle, qui cherchaient tour à tour à prendre le dessus. La colère prédominait, ce besoin impulsif de repousser tout ce qu’elle venait de lui dire au loin. La rage d’avoir été tenue dans l’ignorance si longtemps, aussi bien envers sa mère qu’envers Zeus ou même sa sœur. La tristesse d’avoir été trahie, aussi. Cette blessure était là, béante et angoissante par sa profondeur. Elle n’aurait jamais pensé un seul instant que Diana serait celle qui en serait à l’origine. Elle lui aurait confié sa vie – et par tous les Dieux du Panthéon, elle l’avait fait plus de fois qu’il n’y avait de divinités sur l’Olympe… Et au final, elle lui avait dissimulé l’information la plus importante sur elle. Cassandra contracta ses mâchoires, combattant les mots qui finirent toutefois par s’extirper de leur prison. Des mots amers et sanglants.

« Tu m’as menti… »

Une accusation infondée, injuste.
Que ni l’une ni l’autre ne pourrait réfuter.

Personne ne veut voir son existence être bouleversée. Toutes ses certitudes pulvérisées par quelques mots. Personne ne le veut, et personne ne le mérite. Diana est désolée de voir le si joli visage de Cassandra se décomposer au fur et à mesure qu'elle lui révèle la vérité, horrifiée de la voir subir le même choc qu'elle quelques mois plus tôt. Elle sait à quel point la vérité est difficile à accepter, à quel point elle fait mal. Diana aussi, a prié pour que tout ne soit qu'un odieux mensonge, une machination divine, tout sauf la seule et unique vérité. Elle se souvient aussi être passée par de nombreuses émotions violentes, comme confrontée à un deuil. Le déni. D'abord, elle a chassé son jumeau de chez elle après qu'il ait tenté de lever le voile sur le secret, incapable de le croire, d'accepter seulement la possibilité qu'elle puisse être la fille d'un homme, la fille de Zeus, et pas une Amazone née de l'argile et de l'amour d'une femme désespérant d'avoir un jour un enfant. Refus violent d'accepter la vérité, qui s'est avéré déterminant pour la suite – ce fut comme prendre une dernière profonde inspiration avant qu'on ne lui enfonce la tête sous l'eau. La colère. Furieuse après les révélations d'Hippolyte, elle a fui Themyscira, avec l'impression d'avoir été trahie par la personne en laquelle elle avait le plus confiance, touchée en plein cœur par son mensonge. Pleine de rage et de regrets, Diana a maudit sa mère, celles qui partageaient son secret, les dieux, quiconque ayant su et ne lui ayant jamais rien dit. Le marchandage. Ce ne pouvait pas être vrai. Elle ne pouvait pas être la fille de Zeus, impossible que sa mère lui ait caché un tel secret pendant près de cinq millénaires. N'est-ce pas ? Elle n'aurait pas pu la priver d'une part d'elle-même, lui dissimuler l'existence de son frère, prendre le risque qu'elle découvre un jour la vérité par hasard... Tout bonnement impossible, inacceptable, inenvisageable. La dépression. Des jours, des semaines à se morfondre, à ne plus savoir qui elle était, ce qu'elle était. D'enfant née de la glaise, elle devient fille du dieu des dieux, princesse de l'Olympe en plus d'être celle de Themyscira. Ses repères bousculés, Diana a dû réapprendre à se regarder dans le miroir, pour parvenir à se réapproprier sa propre personne. L'acceptation. Diana, fille de Zeus. Diana, fille d'Hippolyte. Elle est parvenue à accepter la vérité, avec le temps. Parce que malgré tout, elle est née de leur amour. Peut-être n'a-t-il duré qu'une fraction d'éternité, mais peu importe. Elle sait qui elle est à présent, toutes les pièces du puzzle ont enfin été assemblées, et un poids qu'elle n'avait pas conscience de porter l'a quittée.

Mais c'est un processus qui prend du temps. De longues semaines, qui auraient pu se prolonger davantage sans la nouvelle de sa grossesse. Et Diana a cinq millénaires de vie derrière elle, tout ce temps passé à apprendre à maîtriser ses émotions, à rationaliser les choses. Cassandra n'a rien de tout cela. Elle n'a que vingt-trois ans, et un caractère tempétueux. Diana ne peut qu'anticiper l'ouragan, en sachant qu'elle ne pourra pas l'arrêter. Elle ferme les yeux, quelques secondes, quand un rire nerveux secoue celle qui est à la fois son apprentie et sa cadette. « Cassie... Tu n'as pas besoin de savoir lancer des éclairs pour être... Pour être sa fille... Mais tu n'as jamais eu besoin de lui pour être extraordinaire... » Ce n'est pas de cela dont il s'agit. Il ne s'agit pas de posséder des pouvoirs spectaculaires, ni même d'appartenir soudain à l'Olympe. Il s'agit uniquement pour Cassandra d'enfin obtenir toutes les réponses à ses questions, afin qu'elle puisse enfin, enfin, comprendre qui elle est réellement et d'où elle vient. « Je suis navrée, Cassie. Mais je ne me trompe pas. Ta mère elle-même me l'a confirmé... » Et Athéna en personne. Puis Zeus, sur Themyscira. Pourquoi mentir sur un sujet si sérieux ? Les enfants illégitimes de Zeus risquent tous de subir le courroux d'Héra, alors qui serait fou au point de prétendre que son enfant en est un ? « Je t'en prie, ne panique pas, n'aie pas peur, tu ne risques rien. Héra est devenue mortelle, elle ne te touchera pas... » Depuis la bataille de Themyscira, Héra est mortelle, punition infligée par Jason et ses dons mystiques, et approuvée par Zeus. Mais la reine de l'Olympe est certainement la dernière de ses préoccupations, ce n'est pas elle qui l'a trahie, pas elle qui lui a menti. « Cassie... Cassandra, je t'en prie, calme-toi. » Diana n'a pas encore quitté son siège, elle y est comme clouée. Elle voit la panique gagner la jeune femme, et comprend qu'elle sera certainement incapable de l'apaiser avant un long, long moment. Encore qu'elle ne soit même pas certaine d'y parvenir. Elle-même n'a pas laissé Jason tenter de l'apaiser après sa terrible confrontation avec Hippolyte, elle n'a repoussé. Violemment. Au point de le blesser, au point de provoquer chez lui une terrible crise de panique.

Diana finit par quitter son siège, mais elle se sent parfaitement impuissante face à la détresse grandissante de Cassandra. « Je suis désolée... Je suis tellement désolée. » L'impossible est possible, l'inenvisageable la seule vérité qui soit. À son tour, Diana secoue la tête. Elle serre les poings, tâchant désespérément de contenir la vague de colère qui monte en elle. Helena, Zeus... L'un comme l'autre, des parents irresponsables et lâches. Et elle, la sœur, se retrouve confrontée à la peine de leur fille, un mal qui ne va sans doute pas tarder à se transformer en pure rage. Diana ne peut pas s'excuser pour eux, ni même parler à leur place. Les mots qu'elle prononce ne sont pas les leurs, leur impact est différent. Ce n'est pas juste, rien de tout cela n'aurait dû devenir sa responsabilité. Quand finalement, les mots assassins de Cassandra claquent dans l'air, Diana comprend que c'est elle qui va être attaquée et tenue responsable pour les erreurs des parents de la jeune femme. « Je n'ai jamais voulu te mentir. Je n'ai pas été complice de ce secret de mon plein gré. Dès que j'ai su, je n'ai eu de cesse de demander, de supplier ta mère de te dire la vérité. Il y a quelques jours encore, je le lui ai demandé une énième fois, trop conscience des conséquences d'un tel mensonge... Mais elle n'a rien voulu entendre... Je ne suis pas ta mère, Cassandra. Cette responsabilité n'aurait pas dû me revenir, ce n'est pas de ma bouche que tu aurais dû apprendre l'identité de ton père... Mais comment aurais-je pu continuer à te cacher la vérité ? Ce n'est pas moi... Ce n'est pas moi, Cassie. » Diana soupire doucement. « J'ai fait de la vérité mon fer de lance... Ce n'est pas mon épée et mon bouclier qui sont mes principales armes. C'est mon lasso. Parce que j'estime que la vérité a le pouvoir de changer le monde. Pas la violence, la vérité. » Elle va s'asseoir sur l'accoudoir du fauteuil et pose une main sur l'arrondi de son ventre, le geste est symbolique. « Je vais devenir mère, Cassandra. Je vais avoir un bébé. Et je ne peux pas envisager de lui cacher un jour d'où il vient. Parce que ce ne serait pas juste, parce que je veux qu'il puisse grandir et se construire en ayant toutes les clés de ses origines en main. Je veux qu'il sache tout, le bon comme le mauvais... Et par dessus tout, je veux qu'il puisse me faire confiance. J'aurais pu ne rien dire, parce que je ne suis ni ta mère, ni Zeus... » Nouveau soupir. Elle est lasse, fatiguée de devoir passer d'un champ de bataille à un autre. « Mais je suis ta sœur. Pas juste ta mentor, ta sœur. C'est mon devoir de te protéger, de veiller sur toi... C'est pourquoi j'ai outrepassé l'interdiction de ta mère. Pour ton bien, même si... Même si je sais que ce n'est pas évident de le comprendre au premier abord... » Bien loin de là. « Je voulais aussi que tu saches, que tu comprennes... Nous ne sommes pas spéciales parce que nous sommes les filles de Zeus. Cela fait de nous des êtres différents, c'est vrai... Mais nous sommes spéciales pour ce que nous sommes. Généreuses, courageuses, altruistes et passionnées. Ce que nous sommes devenues... Nous ne le devons qu'à nous-même, et pas à Zeus. Certainement pas à Zeus. » Elle répète, presque mot pour mot, les paroles qu'Hippolyte a eu à son égard après la bataille de Themyscira. Des paroles qui ont su la toucher profondément, et l'apaiser. Mais Cassandra... ? Elle n'a hélas pas la moindre idée de l'impact que pourront avoir ces mots là.

Et quelque part, dans toute cette incompréhension, dans cette colère étouffée, Cassandra était soulagée. La vérité n’était pas toujours bonne à entendre, Diana aurait été la première à lui donner raison, mais elle était nécessaire pour avancer. Vitale pour laisser les blessures de notre passé se refermer, guérir enfin : la vérité faisait évoluer. Elle était utile à défaut d’être agréable. Diana s’efforçait d’apaiser les craintes qu’elle ressentait chez sa protégée – chez sa petite sœur – parce qu’elle avait connu ce trauma, néanmoins en dépit du sang divin qu’elles partageaient, elles étaient deux femmes totalement différentes. En plus de leurs caractères, elles n’avaient pas vécu les mêmes épreuves, et Diana avait également une nettement plus longue expérience que sa cadette. Là où l’Amazone avait lentement appris à rationnaliser même en pleine souffrance, à mettre de côté ses émotions pour être plus efficace et plus juste, Cassie se débattait encore entre les enseignements de Themyscira et sa propre nature enflammée. Si Artémis lui avait parfois soufflé qu’elle ferait un bon leader un jour, elle savait que ce n’était pas pour tout de suite. Pas pour une décennie, au moins. Ou alors, peut-être que cette révélation pourrait la pousser en ce sens. Si son père n’avait pas été capable de les assumer, Diana, elle et les autres, cela ne voulait pas dire que c’était exactement ce qu’il leur avait transmis. Elles avaient le sens des responsabilités, à des degrés différents, mais bel et bien ancrés dans leur moelle. Jamais Cassandra ne se détournerait de ses devoirs envers son mentor, la Young Justice ou l’Humanité. Pas plus que Wonder Woman n’abandonnerait.

Les suppliques de Diana semblaient pourtant lointaines ; Cassie était perdue au cœur de l’orage qui grondait, déchirée entre deux mondes auxquels elle ne pourrait plus appartenir. Elle n’était pas vraiment humaine. Elle n’était absolument pas une déesse. Dans l’entre-deux, encore une fois, obligée de jouer les funambules. Cela ne l’avait pas dérangée jusqu’à présent, d’être cette fille au père absent, qui l’avait malgré lui doté de capacités incroyables qui commençaient à peine à s’éveiller. Sauf qu’au lieu d’un dieu quelconque, au visage effacé par les millénaires, elle se retrouvait propulsée enfant du Roi des Dieux. Fille de Zeus. Fille d’Helena Sandsmark. Fille de. Elle savait que du côté de Diana, elle n’aurait aucun reproche sur la façon dont elle avait régi sa vie jusqu’à présent. Que jamais la future mère lui dirait que si elle avait été capable de tout cela, c’était uniquement grâce à l’héritage olympien qui coulait dans ses veines. Parce que c’était faux, parce qu’elle ne lui devait rien. Mais tu n'as jamais eu besoin de lui pour être extraordinaire... Entre deux coups de tonnerre dans sa poitrine, Cassandra perçu la présence de la Princesse qui se rapprochait tout en restant à une distance de sécurité. Et cette prudence l’effraya autant qu’elle l’agaça : pensait-elle sincèrement qu’elle serait capable de la blesser malgré tout ? Pire encore, de blesser l’enfant qu’elle portait ? Les prunelles agitées de la justicière tombèrent sur ses mains, tremblantes, qui semblaient désormais appartenir à une étrangère. Jusqu’où iraient ces pouvoirs dont elle avait hérité ? Cette force n’était pas commune. Cette rapidité, cette endurance, tout ce qui faisait d’elle une super-héroïne n’était pas ordinaire. Elle le tenait de Zeus en personne, alors qui pouvait connaître les limites de ce dont elle était capable ?

Diana avait raison de se tenir à l’écart, réalisa soudain Cassie en essayant de reprendre pied. Elle se détourna du ciel souffreteux et parsemé d’éclairs, marchant sans réelle motivation de l’autre côté de la pièce. La voix de Diana était toujours là, dans sa tête et dans la pièce, soufflant ses conseils qu’elle avait si souvent estimé par le passé. Elle s’excusait. Elle se justifiait. Ce n’était pas son rôle, pourtant. Diana avait cette fâcheuse tendance à vouloir porter le monde à bout de bras parfois. Encore une chose qui alimentait ce besoin d’implosion, un détail sur lequel Cassandra ne se focalisait qu’à présent que son monde s’écroulait. Tout ce qu’elle pensait savoir était chamboulé, alors elle se raccrochait aux branches les plus basses. Ce que nous sommes devenues... Nous ne le devons qu'à nous-même, et pas à Zeus. Certainement pas à Zeus. Il y eu un silence après ses derniers mots, comme une tentative désespérée de donner plus de poids aux paroles de l’Amazone. Elle le savait, Cassie, qu’elle avait raison. Depuis l’aveu de Diana, elle n’osait plus la regarder en face – parce qu’elle avait principalement peur de ce qu’elle pourrait y lire. Sa compassion qu’elle aimait tant, son affection, sa détermination. Prenant refuge derrière le large dossier de son fauteuil, à l’opposé de celui de la guerrière millénaire, elle posa les mains sur le bois lustré en expirant lentement.

« Je sais. » Ses mâchoires étaient tellement serrées qu’elles lui faisaient mal. « Je sais que ce n’est pas à toi que je dois en vouloir. Je… » Elle serra plus fort, expulsa l’air de ses poumons en essayant de relâcher la pression de ses épaules. Tous ses mois d’entraînements auprès des Amazones lui revenaient en mémoire, écho d’un passé pas si lointain. « Je ne t’en veux pas, Diana. » Ou si. Parce qu’elle était la messagère. L’oiseau de mauvais augure. Mais pouvait-on réellement blâmer la personne pour la vérité qu’elle véhiculait ? « Mais… Je, je ne sais pas. Je… Et merde ! » Sous ses doigts blanchis par cette force qu’elle ne maîtrisait subitement plus, le bois craqua si fort que le dossier se fissura et elle fit un bond en arrière, surprise autant par l’acte que par ce qu’il signifiait. Elle n’était plus en contrôle. « Merde. Merde, merde, merde, merde. » Cassandra se recula encore, jusqu’à heurter inconsciemment le mur dont la stabilité la rassura quelque peu – elle passa ses mains dans ses cheveux trempés, réfrénant l’envie de frapper autre chose. Quelque chose qui ne valait pas des milliers de dollars. Quelque chose qui ne ferait pas mourir d’une crise cardiaque le pauvre Alfred. Quelque chose qui pourrait résister mieux qu’un sac de sable ou un mur de béton. « Je suis désolée… » Du coin de l’œil, Cassie avait aperçu la crispation de Diana, la main posée sur son ventre qui s’arrondissait. Elle avait eu raison de rester à l’écart. « Je ne peux pas rester ici. » Où que son regard se posait, elle voyait les dégâts qu’elle pourrait créer. La destruction qu’elle pourrait semer sur son passage.

Elle n’était manifestement pas aussi puissante que sa sœur aînée, cependant Cassandra n’avait pas encore atteint son plein potentiel de demi-déesse. Et quelque part, elle se demanda si justement, elle le voulait. Si l’héritage de Zeus n’était finalement synonyme de chaos. Diana avait manqué de blesser ses proches lorsqu’elle avait déchaîné la foudre. Quel cataclysme pourrait découler d’un nouvel enfant du Roi des Olympiens ? Rien dans cette maison ne pourrait lui résister, elle en prenait douloureusement conscience. La fragilité de ce fauteuil n’était rien comparée au reste. Si l’envie lui en prenait, si elle perdait totalement le contrôle, Cassie pourrait réduire ce magnifique – et lugubre – manoir à un tas de bric et de broc. A un immense rien. Ce n’était pas ce qu’elle désirait, mais bel et bien ce dont elle était capable. « Je ne peux pas rester ici, Diana, » répéta la jeune femme en relevant finalement le regard vers elle. « Ce n’est pas sûr. » Pour l’instant, tout du moins. « Et tu ne peux pas rester avec moi. » Parce que même si elle ne pourrait jamais lever la main sur elle, elle n’était pas certaine de ce qu’il pourrait advenir du reste de l’univers si elle ne gérait pas… ça. La vérité lui avait fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre et elle n’était pas certaine d’être réellement parvenue à redresser la barre. La fissure dans le dos du fauteuil, face à elle, en était une preuve évidente. Et elle ne voulait pas risquer de bousculer Diana, ou de blesser l’enfant qu’elle portait. Parce qu’elle ne pourrait jamais se pardonner de l’avoir blessée.

Cassandra secoua doucement la tête, appuyée contre le mur, refusant de faire le moindre mouvement qui pourrait dépasser sa pensée. « Je n'y arriverais pas. » Elle n'était pas aussi forte qu'elle. Elle ne l'avait jamais été.

Qui suis-je ? La question va hanter Cassandra comme une terrible et cruelle litanie. Elle va souffrir, remettre en question toute son existence, se demander si tout n'a été qu'un mensonge, craindre de ne plus jamais pouvoir faire confiance à sa mère, et se poser un millier d'autres questions qui vont tourner en boucle dans son esprit comme un disque rayé. Diana le sait, parce qu'elle est passée par tout cela, par toutes ces interrogations qui ont bien manqué de lui faire perdre la raison. Ça n'a pas été facile pour elle, ça ne le sera pas non plus pour Cassandra. Beaucoup de choses vont changer, à commencer par sa vision d'elle-même. Ce n'est pas juste, c'est cruel, c'est la vérité avec laquelle elle va devoir apprendre à vivre. Mais c'est la vérité, et en fin de compte, c'est bien là le plus important. Quoi qu'il puisse arriver maintenant, Cassandra saura qui elle est, d'où elle vient. Rien ni personne ne pourra lui enlever cela, une fois qu'elle sera parvenue à construire sa nouvelle identité, elle sera plus forte que jamais. Mais cela va prendre du temps. Ce sera difficile, compliqué, long. Diana a elle eu la chance de voir son processus de guérison, de reconstruction, être accéléré par sa grossesse. Sa nouvelle identité de mère a supplanté toutes les autres, ou l'a en tout cas aidée à les réconcilier. Ce n'est pas une chose que Cassandra pourra utiliser, mais elle saura trouver autre chose. Elle est forte, combative, une fois le choc de la nouvelle passée elle saura y faire face, Diana n'en doute pas. Et puis, à présent, elle n'a pas le choix. C'est violent, c'est injuste, mais c'est ainsi. Diana aussi aurait aimé pouvoir changer les choses, n'être en fin de compte qu'une enfant née de l'argile, mais à quoi bon tenter de se persuader de la véracité d'un mensonge ? Quel intérêt ? Elle y a cru, et puis sa vision des choses a changé en même temps que son existence. Une vérité qui fait mal vaut-elle mieux qu'un mensonge doucereux ? Toujours. Toujours, parce la première finit toujours par surgir, elle n'est jamais enterrée assez profondément pour ne jamais refaire surface.

« Cassie, s'il te plaît. Calme-toi, je t'en prie... » Elle se répète, à court de belles paroles. La colère ne résoudra rien, mais elle est inévitable. Hélas, elle est dangereuse pour une fille de Zeus qui se découvre. Diana se souvient avec beaucoup trop de précision de ses gestes malencontreux, du mal qu'elle a fait à Jason en le repoussant – ironie du sort, elle essayait seulement de le protéger. Être en colère, c'est naturel, tout autant que le réflexe de lui demander de se calmer. Diana ne se sent pas à sa place, et elle maudit Helena de lui imposer, de leur imposer une telle épreuve. Et elle sait que quelque part, sa relation avec sa cadette sera à jamais entachée par ces révélations, éternellement souillée par le souvenir de cette journée. Et si Cassandra affirme ne pas lui en vouloir, Diana ne peut s'empêcher d'en douter, une fois qu'elle aura eu le temps de tout ressasser un millier de fois, que pensera-t-elle d'elle ? Diana, elle, a maudit son frère d'être venu lui avouer la vérité, avant de retrouver la raison. Mais cette passade a fait des dégâts, elle l'a repoussé, rejeté comme un malpropre. Jason ne lui en a pas voulu, mais ses réactions continuent pourtant à peser sur sa conscience. Et son jumeau coincé sur Themyscira depuis l'arrivée du Syndicat, ils n'ont pas encore pu apprendre à se connaître. Seule consolation, lui et Hippolyte ont eu le temps de se retrouver. Diana sursaute quand le dossier du fauteuil éclate sous la pression des doigts de Cassandra. Par réflexe, elle recule d'un pas, avant de se faire violence pour cesser de bouger, sachant pertinemment qu'elle n'arrangera rien en traitant la jeune femme comme une menace. « Ce n'est rien, ne t'en fais pas, ce n'est qu'un fauteuil... Cassie... » Diana a l'impression d'être à bout d'arguments et de paroles réconfortantes. Elle se revoit bien trop clairement dans son appartement de Metropolis, avec Jason, à rester imperméable à ses tentatives de l'apaiser. Sans son ventre arrondi, sans doute aurait-elle tenté de se rapprocher de Cassandra, mais son instinct maternel l'en empêche encore, alors qu'elle sait pourtant très bien que sa petite sœur ne pourrait pas la blesser même si elle le voulait. Mais voilà, ce bébé, c'est absolument tout pour Diana, alors elle ne veut prendre aucun risque, même alors que sa raison lui souffle que c'est absurde de croire que Cassandra pourrait lui faire le moindre mal. Hélas, cette distance est elle aussi douloureuse.

Diana soupire doucement, et secoue la tête. « Tu ne peux aller nulle part dans cet état. Ce n'est pas sûr. Ni pour toi, ni pour ceux que tu pourrais croiser. Tu es fébrile, c'est normal, mais ne prends pas de décision irrationnelle... S'il te plaît, laisse-moi t'aider. » Elle finit par se rapprocher d'elle de quelques pas, avec précaution, comme si elle approchait un animal sauvage blessé. Mais c'est un peu ce que Cassandra est devenue, n'est-ce pas ? « Tu ne peux pas me faire de mal. » Une affirmation pour la rassurer, les rassurer. Elle continue à se rapprocher, toujours avec la même prudence, comme si elle craignait de la brusquer. Coincée entre Diana et le mur, Cassandra ne peut pas s'échapper. « Bien sûr que si, tu y arriveras. Parce que tu es plus forte que tu ne le crois. Mais aussi parce que tu n'as pas le choix. » Pas plus qu'elle ne l'a elle-même eu. « Tu n'as que deux possibilités, Cassie. Laisser cette vérité te détruire ou au contraire, embrasser celle que tu es réellement. Tu n'as pas le choix, Cassie. » Elle ne sombrera pas, parce que Diana ne le permettra pas. « Je sais que tu dois probablement te sentir très seule en ce moment, je sais exactement ce que tu ressens. Mais ce n'est pas le cas, je te promets que ce n'est pas le cas. » Et si tout le monde devait lui tourner le dos, Diana ne le ferait pas, jamais. Elle n'a pas attendu de découvrir que Cassandra était sa sœur de sang pour l'aimer et la protéger. Et pour elle, cette vérité ne change rien, absolument rien. « Nous sommes sœurs, Cassie. Pas parce que Zeus est notre père, parce que nous nous sommes choisies. Tout ceci... Je sais à quel point c'est difficile, et douloureux. Mais fais-moi confiance, comme tu l'as fait jusqu'à aujourd'hui. »

Encore quelques pas, et Diana franchit la distance qui les sépare pour prendre Cassandra dans ses bras et la serrer contre elle. « Tout ira bien. N'aie pas peur, tout ira bien. » Elle caresse doucement ses cheveux pour la rassurer, pour essayer de faire cesser les tremblements de son corps. « Tu devrais rester. Je peux demander à Alfred de préparer une chambre pour toi, rien que pour cette nuit, le temps que tu reprennes tes esprits. Ne fais pas la même erreur que moi, ne fuis pas. » A quoi bon ? En fuyant Hippolyta, puis Jason, Diana n'a rien gagné de plus qu'un cœur lourd et des regrets. Elle a eu vite fait de retourner auprès de Jason la queue entre les pattes, pour ne pouvoir que constater les dégâts causés. Cela, elle veut l'éviter à Cassandra, qui a déjà bien assez de choses à encaisser, sans y rajouter en plus la culpabilité.

Diana savait exactement ce qu’elle traversait. A la différence près qu’elle avait des millénaires derrière elle pour se rationnaliser, pour reprendre la main sur ce qui lui échappait. A la différence près qu’elle avait eu Jason et leur enfant à naître. Cassandra n’était pas au point d’envier ce nouvel aspect de la vie de la Princesse des Amazones, mais il fallait admettre que cela avait dû l’aider à accepter sa filiation. Peut-être que dans une autre vie, Cassie aurait simplement été heureuse de découvrir qu’elle était une demi-Déesse ; qu’elle avait le pouvoir de changer les choses, d’être réellement une Wonder Girl. Seulement, en cet instant, tout ce qui lui revenait à l’esprit était le désarroi dans lequel Diana s’était trouvé lorsqu’elle avait tourné le dos aux siens, la désolation qui avait suivi Héra dans sa quête vengeresse avant qu’elle ne soit temporairement réduite à l’état de simple mortelle par un Red Hood passablement énervé. Cassandra avait été, à l’époque, volontairement tenue à l’écart. Était-ce justement parce que Diana voulait éviter qu’une autre enfant illégitime ne se trouve en danger à cause d’une belle-mère vindicative ? Les questions viendraient plus tard, il le fallait, pour mieux assimiler cette vérité dont elle ne savait que faire. S’en réjouir ? Cela ne paraissait actuellement pas compatible avec l’ouragan émotionnel qu’elle traversait. Pour autant, au-delà du fait d’apprendre enfin l’identité de son père, la jeune femme réalisait également qu’elle avait une demi-sœur. Diana. Et malgré la douleur instillée par le secret soigneusement gardé depuis si longtemps, c’était un sentiment autrement plus agréable que de se savoir reliée par le sang à elle. Plus jamais seule.

La silhouette de la guerrière se rapprochait lentement, mais sûrement. Acculée contre le mur, Cassandra ne pouvait plus que la regarder faire en crispant ses mains sur son jean trempé. La crainte d’avoir un mouvement trop brutal la maintenait parfaitement immobile. Elle avait conscience qu’elle ne pourrait réellement pas blesser Diana, néanmoins c’était un réflexe humain que de vouloir la protéger. Elle et le bébé qui grandissait. Serait-il aussi résistant que sa mère ? Après tout, Jason était humain, au même titre qu’Helena Sandsmark. Mais Diana n’était pas simplement une demi-Déesse. Elle était fille d’une Amazone, fille d’Hippolyte. Alors peut-être, seulement peut-être, que cet enfant pourrait devenir leur prochain héro. Seulement, en cet instant, le futur était le dernier des soucis pour Cassie. « Tu sais aussi bien que moi que les gestes ne sont pas les seules choses qui peuvent blesser, Diana… » murmura-t-elle doucement, les yeux baissés, mais toute son attention rivée vers elle. A chaque pas qu’elle faisait, à chaque parole qu’elle prononçait, le corps de Cassandra réagissait inconsciemment. Son rythme cardiaque en premier. Son souffle ensuite. Ses pensées. Ses tremblements intempestifs. Sa peur. Ses doutes. Et quand finalement, les doigts de Diana l’effleurèrent pour une étreinte, un long frisson termina de briser la jeune femme.

Il n’y avait rien à répondre aux mots réconfortants de l’Amazone – tout ce qu’elle pouvait faire, c’était y croire. Tout irait bien. A terme, chaque chose retrouverait sa place dans son univers. A terme, chaque chose retrouverait son sens et son but. Elle aussi. Instinctivement, les bras de Cassie se refermèrent dans le dos de son aînée et elle plaqua son oreille contre sa poitrine, se focalisant sur les battements réguliers de son cœur. Diana était toujours calme quand il le fallait. Et si elle souffrait de cette situation, d’avoir été le messager de cette vérité secrète, elle prenait toutefois sur elle pour apporter son soutien à sa cadette. « Je ne fuis pas. » Elle était grande, Diana, bien plus qu’elle. Presque dix centimètres les séparaient, même si les baskets de la blonde étaient compensées. Cela ne l’avait jamais réellement marqué jusqu’à présent, parce que Diana savait donner l’impression qu’elles évoluaient sur le même pied d’égalité. Que quelque part, elles étaient égales. Les mêmes. Aussi fortes l’une que l’autre. Aussi faillibles l’une que l’autre. Aussi humaines et divines. « Tu ne me laisseras pas faire de toute façon, je le sais. » Cassie s’accorda quelques secondes de calme supplémentaire, forçant sa respiration à se calquer sur la sienne avant de simplement reculer. Parce que ses propres vêtements étaient plus qu'humides, le tee-shirt de la brune portait désormais quelques marques de leur étreinte. Ses mains glissèrent sur les bras et les épaules de l’Amazone, terminant leur trajet sur ses joues. « Tu es plus obstinée que moi. » Un sourire, fragile, affleura sur ses lèvres avant qu’elle ne dépose un bref baiser sur son front. Tricheuse. Ses pieds quittèrent le sol pendant exactement trois secondes, puis la gravité reprit ses droits. « Je ne fuis pas, Di, je te le promets. »

Seulement, le manoir des Wayne n’était pas l’une de ses maisons. Il ne lui ressemblait pas, il lui donnait le sentiment de n’appartenir qu’à Bruce. Jason et les autres. Diana, par défaut. Il ne figurait pas juste parmi les lieux où elle pourrait trouver refuge. Alors malgré l’invitation de Diana, malgré son insistance, Cassie refusa. « J’ai juste besoin d’un peu de temps. Quelques jours. D’accord ? » Frapper dans quelque chose. Peut-être juste… Doucement, elle chassa les mèches brunes du visage de l’Amazone, glissant ces dernières derrière ses oreilles. L’orage était toujours là : il grondait, il frappait, il rugissait. Mais elle tenait la bride, au moins temporairement. Rien ne serait totalement résolu ce soir – rien ne pouvait l’être en une poignée de minutes et de mots. Cassandra eut un nouveau sourire, plus stable. « Je m’en voudrais de priver Jason de toi. » Un peu plus tard, peut-être qu’elle céderait simplement à son besoin de serrer Diana contre elle. D’oublier ce que cela pouvait signifier d’être une fille de Zeus. D’apprendre, au contraire, à reconnaître la différence entre sœur de cœur ou sœur de sang. Existait-il réellement une différence, par ailleurs ? Diana avait toujours été là pour elle, depuis le premier jour où elle lui avait tendu la main. Et elle le serait encore. Cela évoluerait, invariablement, lorsque le bébé serait là et qu’une routine familiale se serait installée, mais… Diana ne l’abandonnerait jamais. Plus jamais seule.

La souffrance d'autrui, Diana ne la supporte pas, elle lui est intolérable. Elle déteste voir quiconque souffrir, proche ou parfait inconnu, c'est quelque chose qui va à l'encontre de sa nature bienveillante. La douleur de Cassandra est comme la sienne, trop familière, trop écrasante, sa simple existence est contre-nature. Mais elle est là, elle ronge comme un acide, lentement mais sûrement. Avec le temps, elle s'apaise, avant de disparaître. Avec le temps. Combien de temps ? C'est la grande question, celle sans réponse. Diana n'est pas oracle, elle ignore de quoi l'avenir est fait, même s'il lui paraît bien sombre pour le moment. Mais elle lui a promis que tout irait bien, alors tout ira bien. Il le faut, l'alternative n'est pas permise. Cassandra ne lui a jamais parue aussi frêle qu'en cet instant où elle la serre contre elle, comme si la jeune héroïne était momentanément redevenue une enfant ayant désespérément besoin d'être rassurée. Et c'est exactement cela, n'est-ce pas ? Diana aurait donné n'importe quoi, à sa place, pour être consolée, pour que quelqu'un lui dise que tout irait bien afin de lui éviter de sombrer dans une spirale infernale de pensées. « Jamais. » Non, elle ne la laissera pas. Ni aujourd'hui, ni demain, ni jamais. Quand Cassandra s'écarte un peu, Diana lui sourit chaleureusement. « Moi, obstinée ? Il faut croire que c'est un trait de famille, car tu l'es tout autant que moi, si ce n'est davantage... Attribuons ma sagesse aux millénaires écoulés. » Un petit rire échappe à Diana lorsque Cassandra use de ses dons pour déposer un baiser sur son front. Elle est soulagée. Soulagée de constater que malgré tout ce qu'elle doit ressentir à cet instant, Cassandra ne lui en veut pas. Le rôle de messager n'est jamais facile à assumer, et il l'est plus difficile encore lorsque les conséquences du message se retournent contre celui qui n'a fait que l'apporter. Pour autant, cela ne change rien à la situation, cela n'excuse pas Helena. Les prochaines semaines, les prochains mois, seront compliqués. Pour tout le monde, et pour elles en particulier.

« Quelques jours, Cassie. Et je veux de tes nouvelles. » L'exigence d'une sœur inquiète, mais aussi celle de Wonder Woman, qui craint ce que pourrait faire une enfant de Zeus perturbée par sa nouvelle identité. Ce n'est pas qu'elle n'a pas foi en elle, mais elle est bien placée – trop bien placée – pour savoir ce que de telles révélations peuvent entraîner. « Priver Jason de moi... ? Oh, le connaissant, il est probablement derrière la porte. À attendre de pouvoir me récupérer. » Diana rit doucement, répondant à la volonté de Cassandra de détendre un peu l'atmosphère avant son départ. « Sois prudente. Promets-le moi ? » Diana a cette faculté de s'inquiéter à outrance pour les gens qu'elle aime. Une angoisse plus présente depuis que la bataille de Themyscira l'a privée de Venelia, et presque de sa mère, et renforcée par la disparition subite de Bruce. Elle n'est jamais sereine quand Jason passe la nuit dans les rues de Gotham, quand bien même elle le sait capable de littéralement mettre des dieux à genoux. C'est tout simplement plus fort qu'elle, et ce n'est pas une habitude qu'elle risque de perdre de si tôt. Diana soupire, elle a beau avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour apaiser Cassandra, à présent la suite des événements n'est pas de son ressort. Du moins, pas dans l'immédiat. « Prends soin de toi, Cassandra. C'est tout ce que je te demande. » Tout ce qui lui importe pour le moment. Helena et Zeus peuvent bien aller au diable, c'est le bien-être de leur fille qui importe à Diana. La seule à réellement s'en soucier... ? Elle soupire, peu désireuse de faire dans le jugement hâtif. Cela ne lui ressemble pas, mais même elle est parfois victime de ses émotions. Laisser partir Cassandra, c'est un crève-cœur, mais au moins, elle a la certitude d'avoir fait ce qu'il y a de mieux pour sa cadette.