ROMAN; let your demons run

La lumière me fait plisser les yeux. Elle est si forte qu'elle m'aveugle presque. J'ai du mal à distinguer le visage en face du mien, couvert de ce masque particulier connu de tous. Les traits sont fins et les cheveux sont attachés en une longue natte dorée. Je constate donc que c'est une femme qui va procéder à cet interrogatoire inutile qui nous fera perdre du temps à elle comme à moi. « M-monsieur Black Mask, je me présente, j-je suis... » Elle m'ennuie déjà. Je fixe mes yeux dans les siens et secoue la tête dans le but de lui faire comprendre. « Je me moque de votre nom. Je me moque de vous. Vous m'importez peu. Vous ne m'apporterez rien. » Je rapproche ma chaise du bureau et me penche vers elle, sans la quitter une seconde des yeux. « Vous pouvez m'être utile ? J'en doute fort. Regardez-vous, vous êtes pathétique. » L'intimidation est une chose qui ne m'échappe pas. J'ai toujours pris un plaisir troublant à regarder les gens se flétrir, comme des fleurs trop vieilles et abîmées lorsqu'on les rabaisse un tant soit peu. « N-non monsieur. J-je suis là pour v-votre dossier. » Je ne peux m'empêcher de rouler des yeux et de pousser un lourd soupire. « On m'a collé une bègue en plus de ça. » Je pose mes yeux sur elle une seconde, puis étire mes lèvres en un sourire malsain. « A moins que ce ne soit de la peur. Oui, c'est ça. » Elle ne répond pas, déstabilisée. « De la peur. J'ai toujours pensé que les agents d'Arkham était un peu plus solide que ça. » Je m'enfonce dans mon siège, lassé de cette brebis égarée. Elle voulait avoir peur ? Elle écouterait l'histoire la plus terrifiante qu'elle n'ait jamais écoutée. Les masques allaient tomber.


Ses mains tremblent. Avec précaution, elles attrapent le dossier où figure mon nom et l'ouvrent doucement. « Vous êtes né sous le nom de Roman Sionis. C'est bien cela ? » Le son de ce nom me fait tiquer et je sens mon visage qui se referme. Mes traits deviennent plus durs, plus froids. Un sourcil se hausse, et ma voix brise le court silence qui s'était installé entre elle et moi. « Bravo. Vous êtes perspicace. Vous allez me dire qu'on vous paie pour ça ? » La moue surprise qui se dessine sur son visage s'efface rapidement. Un éclair de colère se glisse dans ses yeux, et bientôt elle continue le récit de ma vie. « Vous êtes le fils des anciens propriétaires de Janus Cosmet... » « Mes parents n'étaient que simples concitoyens. Ils étaient reconnus pour leur statut élevé, parfaits rivaux des Wayne. » Un rictus brise l'air hautain qui s'était invité sur mes traits. « Ces gens-là. De la carne. Des bons à rien, qui se pensent supérieur. Pas étonnant qu'on les ait retrouvé une balle dans le crâne. Quel dommage qu'ils aient manqué ce foutu gosse. » L'animosité m'habite lentement. La lueur qui se glisse dans son regard perturbe la jeune femme en face de moi, c'est évident. Nerveusement, elle tourne les pages du dossier, avant de reprendre : « Vos parents aussi ont été assassinés. C'est correct ? » Un rire s'échappe de ma gorge et mon corps se penche sur le bureau. « Savez-vous seulement qui est le coupable du crime ? » Elle secoue la tête de droite à gauche, son regard me supplie de ne pas donner la réponse à cette question. « C'est moi qui aie mis le feu à cette maison. Voyez-vous, mademoiselle, j'étais très amoureux d'une femme. Circé. Une femme sublime, d'une douceur absolue. Elle devait avoir votre âge, à l'époque. Oui, une femme banale. Comme vous. » Je m'arrête une seconde, avant de croiser les bras sur mon torse. « Pardonnez-moi. Pas comme vous. Vous, vous êtes fade. Sans intérêt. Vous ne m'apporterez jamais rien. » Je soupire, avant de reprendre. « Circé était la femme de ma vie. Et mes parents l'ont rejeté parce qu'elle n'était pas de notre rang. S'opposant égoïstement à notre mariage. J'ai simplement arrangé les choses en mettant le feu à cette maison pathétique dans laquelle ils vivaient. » Les yeux de l'agent d'Arkham ne quittaient plus le dossier. J'en tirais un sourire satisfait. « Oh, ne paniquez pas tout de suite. J'ai fait des choses tellement, tellement plus extraordinaire, mademoiselle. » Qu'il était facile de la terroriser. Elle était la biche et j'étais le chasseur. Je ne peux mentir : cette situation était des plus plaisantes. « Après cela, j'ai hérité de l'entreprise de mes parents. J'avoue avoir été gourmand. L'argent n'était pas un problème pendant un temps. Et puis un jour, il n'y avait plus rien. Il me fallait un projet. Vous comprenez ça, avoir un projet ? Non, sûrement pas. Pour être ici, vous ne devez avoir aucune ambition, aucun pouvoir, aucune envie. » Je m'arrête une seconde, avant de lever un sourcil. « Oui, c'est ça. Vous êtes d'une fadeur et d'un ennui à mourir. » Mon impertinence ne semble pas la choquer. Elle ne relève pas le menton et fait mine de chercher encore dans les nombreuses lignes de l'épais dossier devant elle.

« Pouvez-vous me parler de Black Mask ? » Mon visage se radoucit, mes muscles se détendent. Enfin une partie intéressante. « Vous cherchez un coupable ? J'aurais un nom pour vous. Un nom seulement, que bien des gens de notre catégorie voudraient voir derrière les barreaux ou sous terre, mademoiselle. » Ses yeux rencontrent les miens, un éclair de courage vient les éclairer. « Nous ne jouons pas dans la même cour, monsieur Sionis. » Je ris un instant. « N'avez-vous jamais haï Bruce Wayne ? Lui, ses palaces, ses bimbos et ses voitures de luxe ? Voyons. Le mensonge, c'est une mauvaise chose. Même moi, tortionnaire que je suis, je ne mens jamais. » J'attrape le verre d'eau devant moi et laisse le liquide transparent couler le long de mon œsophage. « Cet homme impertinent a eut le culot de vouloir racheter mon entreprise après le tolé de la crème que nous avions mise au point. Je n'avais plus rien, il me mettait le couteau sous la gorge. Et qu'est-ce qu'un homme en colère fait ? Il veut se venger, bien sûr. » Elle relève le visage, j'ai son attention. Les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Je plante mes iris dans les siennes, décidé à lui glacer le sang. « J'ai fabriqué un masque avec le bois du cercueil de mes parents. J'ai pris Gotham d’assaut, pillant et retournant la ville de fond en comble. Je me suis fait un nom, et j'ai très vite gagné en notoriété. Ma grande connaissance en arme a bien sûr faciliter les choses. J'ai pu tuer ceux qui se mettaient sur mon chemin. Et savez-vous ce qui me plaît le plus ? » Je la vois déglutir. Elle n'ose pas répondre. « Voyez, c'est facile de tuer quelqu'un. C'est rapide, pas réellement jouissif. Le mieux, c'est de faire du mal à ses proches. Sa famille. Ses amis. L'atteindre au plus profond de son être. Détruire chaque parcelle de son être. C'est comme un château de cartes qui s'écroule. Jouissif. » Son regard se détourne, elle referme le dossier. Je l'ai piqué. Son imaginaire fait le reste : elle imagine le pire, elle imagine sa propre famille. Mon sourire ne cesse de s'élargir. « Vous avez été déclaré mort. Vous aviez disparu. Pourquoi ce retour ? » Je fonds dans ma chaise avant lui montrer mes mains enchaînées. « On ne tue pas une légende, mademoiselle. Ce chat de malheur n'a pas réussi son coup. Je voulais simplement revenir, plus fort. Vous pensez réellement que je suis ici parce que j'ai voulu ? » Je ris un long moment. « Réfléchissez. Pourquoi un homme comme moi se laisserait attraper ? J'ai des plans. Beaucoup de plans. Et ce n'est pas Batman, le Joker ou le Red Hood qui va m'empêcher de les exécuter. » Je souris de toutes mes dents, alors qu'elle se lève avec précipitation. « Si ce sont des menaces, je n'ai pas peur. » Je prends l'air surpris. « Des menaces ? Voyons, non. C'est juste une...mise en garde. Bientôt, les masques vont tomber. Les masques vont tomber. » Les lumières s'éteignent. L'agent hurle pendant une seconde, frappant aussi fort que possible sur les murs de la salle d'interrogatoire. Pourtant, je l'avais prévu. Les masques vont tomber.

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