Above all shadows rides the Sun ⚔ Cassandra

Si Koriand'r avait été humaine, ou qu'elle avait vécu sur Terre depuis sa toute jeune enfance, alors peut-être qu'on pourrait dire que son orgueil en avait pris un coup suite à sa calamiteuse confrontation avec Ultraman. Mais elle n'était pas née dotée d'un égo gros comme ça, ou du moins, pas au sens tout terrien de la chose. Bien évidemment qu'elle n'avait pas bien pris ce qui s'était passé, mais elle ne s'était pas soudainement mise à penser que tout ceci ne lui était destiné qu'à elle, qu'elle était celle qui en avait le plus souffert et que personne ne pouvait comprendre, que personne ne pouvait et ne devait juger sa réaction. Elle ne s'était pas barricadée dans sa chambre en fermant la porte à triple tour et en refusant de voir tout le monde, emmitouflée sous toutes les couettes et couvertures qu'elle aurait pu rafler dans les chambres de tous les autres occupants de la Tour des Teen Titans. Ce n'était tout simplement pas elle. Ce n'était pas dans son caractère, ni même dans les mentalités ou les mœurs des gens de Tamaran. Et puis, elle était sensée guider les autres Teen Titans, en tant que leur leader, et cela aurait été leur donner un très mauvais exemple que de se comporter en petite fille gâtée et capricieuse. Si cela en amusait d'autres qu'elle, alors elle leur laissait ce genre d'extrémisme, et ce bien volontiers ! Mais elle devait tout de même gérer les conséquences, et sans doute plus que bon nombre de ses coéquipiers. Certes, elle n'était pas en danger de mort et n'allait pas s'éteindre comme si on avait soufflé sur la flamme d'une bougie, soudainement, et que cette bougie, ça aurait été elle. Mais, quand même, elle était maintenant obligée de faire face à l'imprévu, à l'inédit. Et sans penser qu'à son âge, elle avait déjà tout vu, quand même, elle se disait que la vie continuait encore de la surprendre malgré tout ce qu'elle avait déjà dû traverser, et malgré tout ce à quoi elle avait survécu. C'était peut-être une bonne chose, finalement, non ? Ou alors, elle était bien trop peu terrienne au final, et donc, son optimisme devait ne pas trop cadrer avec les réactions habituelles, quelque chose comme ça.

En tout cas, elle ne se laissait pas abattre. Hors de question que quiconque la tue, merci bien ! Elle avait encore envie de vivre, parce qu'elle était encore jeune, après tout, et puis que ce n'était pas son genre de se laisser faire si on la mettait en danger de mort ou qu'on voulait qu'elle disparaisse de la surface de cette planète ou de toute autre. Mais bon, visiblement, il s'agissait surtout là d'une expression, et personne n'allait lui mettre un pistolet sur la tempe en menaçant de lui tirer une balle. C'était Garfield qui lui avait expliqué ça, en se grattant un peu le derrière de la tête parce que, visiblement, lui non plus ne se faisait toujours pas à l'idée que quelqu'un comme elle puisse vraiment ne pas accrocher avec le second degré. Enfin, bon ... Ce n'était certainement pas pour qu'on la plaigne ou qu'on continue de lui expliquer la différence entre ce que les gens disaient et ce qu'ils voulaient réellement exprimer qu'elle s'était pointée à Mont Justice. En réalité, elle voulait voir Tim', car elle avait besoin de quelques renseignements. Après tout, il avait occupé son poste avant elle, en tant que son prédécesseur, et puis, du coup, il avait été son Leader à elle, pendant un certain temps, quand même. Elle ne lui en voulait pas d'avoir choisi de rejoindre la Young Justice, elle était même très contente pour lui. Ils étaient toujours en contact, et continuaient de bien s'entendre. C'était sans doute là la raison pour laquelle, malgré tout, malgré les récents changements et tout ce qui allait avec, elle continuait encore un peu naturellement à se tourner vers lui dans certaines circonstances. Et ce bien qu'elle sache pertinemment qu'il n'y avait pas que sur Tim Drake qu'elle pouvait compter !

Enfin, il y avait quand même un léger problème. En fait, elle ne s'était pas annoncée, et n'avait pas non plus prévenu Tim qu'elle pensait le voir. Alors, évidemment, il n'était pas là. Et la jeune femme ne s'était pas aventurée plus loin que dans la cuisine pour aller le chercher. Parce qu'elle avait entendu son estomac faire ce bruit très étrange, et assez nouveau pour elle. Bart disait que cela ne signifiait rien d'autre que le fait qu'elle avait faim. Et il paraît que quand c'est comme ça, il faut manger. Bon, normalement, selon les émissions qu'elle avait pu voir à la télévision, c'était mieux de manger à heures fixes, et raisonnablement. Mais dans son cas à elle, déjà, raisonnablement, elle ne savait pas trop ce que ça signifiait pour de vrai, parce que c'était quand même assez abstrait comme concept et que ça dépendait de beaucoup de facteurs personnels, non ? Ensuite, elle était dans une position assez particulière, et la nourriture comme la boisson étaient censées l'aider à compenser son manque d'apport en UV. Alors, elle devait manger, peu importe l'heure et le moment de la journée. Personne ne lui en voudrait, n'est-ce pas ? Elle ouvrit donc le premier placard qu'elle trouva, et en extirpa un drôle de truc. C'était dans une boîte en carton, rectangulaire, et il était écrit "Baking Soda" dessus. Un nouveau genre de soda qu'elle ne connaissait pas, tiens ! Elle pensait bien en avoir déjà vu une, une boîte comme ça, dans les placards de la Tour, mais elle n'y avait pas encore goûté. Bon, comment est-ce que ça s'ouvre ? En tirant sur l'espèce de petit bec en aluminium, là, sur le côté ? Ah, mais il y avait de la poudre dans la boîte ? Il fallait donc rajouter du soda en bouteille, quelque chose comme ça ? Bah, elle n'avait qu'à demander, tout simplement, alors qu'elle entendait bien quelqu'un s'approcher d'elle, par derrière. En se retournant, elle tomba sur nulle autre que Cassandra, ce qui éclaira son visage d'un grand sourire tout ce qu'il y avait de plus sincère et heureux.

« Mon Amazone préférée ! Désolée, je crois que j'ai faim. Tu sais comment on fait avec ce truc là ? J'ai jamais goûté. Il faut mettre quoi avec pour que ça fasse du bon soda ? »

Ce n’était pas tous les jours aisé de vivre avec autant d’autres personnes – Artemis aurait probablement eu du mal à le croire, mais le silence et le calme attiraient tout autant Cassandra qu’elle. Cela l’aidait à se recentrer, à ne pas perdre de vue ses objectifs personnels et à faire le ménage dans ses pensées trop vagabondes. Même si gamine, elle avait des difficultés à tenir en place, cela ne la rendait pas bruyante : juste turbulente et propice aux bêtises. En un sens, s’amouracher de justicières lui avait donné un but. Cela avait canalisé son énergie débordante ainsi que ses désirs de faire ses preuves, elle qui manquait parfois d’attention parentale. Elle avait vu en ces femmes un idéal qu’elle voulait effleurer du bout des doigts ; et comme Icare avant elle, Cassie s’était donné les moyens de voler plus haut. A la différence de l’Athénien, elle y était même parvenue, grâce à l’intervention de Diana et à son soutien inconditionnel. L’adolescente qu’elle était à l’époque n’avait pas songé un seul instant à ce qu’elle deviendrait si elle atteignait ses buts, mais lorsque ce fut évident que ce chemin l’y mènerait, elle ne recula pas une seconde. Elle alla plus haut. Plus loin. Elle laissa les déesses et les Amazones la pousser dans ses retranchements pour qu’elle puisse devenir meilleure – pour qu’elle puisse faire la différence tout comme Wonder Woman ou Donna. Le reste était presque public : elle avait succédé à l’ancienne Wonder Girl et officiait désormais au sein de la Young Justice avec ses coéquipiers, sous la tutelle d’héros célèbres.

Mais Cassandra n’estimait pas que sa position actuelle – ou que la femme qu’elle soit devenue – revienne uniquement aux conseils de la Justice League, de Diana ou de sa propre mère Helena Sandsmark. En parallèle, elle avait fait ses propres expériences, ainsi que découvert des personnes qui laisseraient plus ou moins leur empreinte dans sa vie. Elle s’était construite grâce à eux également. Et une partie d’elle aimait à penser qu’elle avait laissé sa marque dans leur existence aussi. Koriand’r faisait partie de ses plus proches amies, dès l’instant où Diana les avait présentées l’une à l’autre, Cassie avait su qu’elles ne pourraient que sympathiser. La franchise de la princesse venue d’une autre planète était rafraîchissante, ses sourires communicatifs et sa manière d’interagir avec le monde était à la fois merveilleuse et effarante. Au départ, son apparence avait charmé et intimidé l’adolescente, puis avec les mois seul le charme était resté. Elle se sentait étrangement toujours gauche lorsque Starfire était dans la pièce, comme si ses gestes étaient entravés par une gravité traitresse et que ses pieds décidaient d’avoir leur volonté propre. Cependant, elle doutait que ce drôle de phénomène ne s’applique qu’à elle ; l’aura qui se dégageait de Kory Anders devait mettre mal à l’aise beaucoup d’autres filles – et pas seulement celles qui la trouvaient attirante.

Quand on parle du loup… Une expression à ne pas forcément utiliser en présence de la rouquine qui lui faisait désormais face avec un large sourire. Et un paquet de bicarbonate de soude ouvert dans les mains. Rapidement, le sourire jumeau de Cassie se transforma en grimace alertée et elle secoua la tête. « Kory, c’est pas du soda ! » Mieux valait être claire très rapidement si elle ne voulait pas voir sa Teen Titan favorite déguster de grosses cuillerées de poudre blanche. En temps normal, elle aurait au contraire probablement rit de la situation et de sa demande, mais Koriand’r était dangereusement affaiblie par les manigances du Syndicat. Elle ne savait pas jusqu’à quel point, néanmoins Cassandra doutait que cela vaille le coup de le découvrir. S’avançant simplement vers elle, elle lui reprit la boîte des mains pour la déposer sur le comptoir, lui adressant par la suite un signe de la tête vers le frigo. « Je suis ravie de te voir tu sais, mais la prochaine fois que tu crois avoir faim, ouvre juste ça. Ici, t’es pratiquement certaine de trouver quelque chose à manger ou à boire… Avec Wally qui a perpétuellement besoin d’énergie, on est bien obligés. » Joignant le geste à la parole, elle piocha une canette de soda dans la porte du réfrigérateur et la lui lança. « Tiens, pour commencer. »

Il n’y avait pas beaucoup de raisons qui pouvaient attirer Koriand’r au Mont Justice – pas qu’elle ait de mauvaises relations avec eux, mais elle dirigeait les Teens Titans maintenant et ces responsabilités n’étaient pas souvent compatibles avec des visites de courtoisie. Par déduction, Cassie supposait donc qu’elle était là pour voir Timothy. Ou alors c’était totalement autre chose : dans le fond, avec elle, rien n’était jamais certain. « Alors dis-moi, que fait ma rousse préférée dans ma cuisine ? Te méprends pas, je suis toujours heureuse de tes visites, mais j’ai comme l’impression que tu n’es pas simplement là pour vider nos réserves. » En parlant de ça, il devait probablement y avoir… Oui. Un paquet de cookies avait survécu aux fringales nocturnes de la veille. De nouvelles courses s’imposaient. Des courses plus sérieuses – et bon sang, il fallait autre chose que de la vanille et des cookies ici ! Cassie le fit glisser sur le comptoir vers Koriand’r, curieuse de découvrir sa réaction face aux biscuits chocolatés. En avait-elle déjà goûté par le passé ? L’absence de Soleil la rendait plus pâle, moins énergique également. Mais cela lui permettait de faire de nouvelles expériences. Et franchement, qu’y avait-il de mieux que les premières bouchées d’un met inédit ? Oh. Encore une question rhétorique à ne pas lui poser. Prends des notes et tiens ta langue. Parce qu’elle savait d’expérience que Kory avait toujours des réponses inédites… et déstabilisantes.

Koriand’r espérait bien qu'on soit plutôt franc avec elle. Et jusqu'à maintenant, en général, les gens ne lui disaient pas trop qu'elle pouvait les agacer. Sans doute parce que toutes ces petites choses un peu perturbantes et déconcertantes qu'elle pouvait faire, on les savait découler du fait qu'elle ne venait pas d'ici, que rien n'était naturel et habituel ici pour elle. Elle pouvait donc bien poser des questions très étranges, parfois déplacées, assez régulièrement embarrassantes, et pourtant, nul ne semblait trop lui en vouloir. Elle pouvait faire des choses assez insensées qu'on ne s'écrierait pas qu'elle n'avait décidément pas toute sa tête. Merci de vous en soucier, mais sa tête était bel et bien encore accrochée au reste de son corps, tout allait donc parfaitement bien de ce côté-là ! Il suffisait, en plus, de simplement lui expliquer les choses pour qu'elle les comprenne, ou moins pour qu'elle commence à les comprendre. Elle ne s'en vexait pas, ne s'en offusquait pas, il n'y avait donc pas à craindre de réelle saute d'humeur incompréhensible et exagérée de sa part. Même si elle avait quand même son petit caractère, pas si petit que ça d'ailleurs ! Mais bon, un peu comme tout dans la vie ici sur Terre, tout était sans doute une question de nuances … Elle voulait réellement bien faire, de toute façon. Pas pour entièrement se fondre dans le moule, car cela lui briserait le cœur que de totalement rogner sur sa personnalité, sur celle qu'elle était, sur là d'où elle venait. Mais elle voulait au moins pouvoir vivre en harmonie avec les Terriens, et ne pas passer ses journées à être remise sur la bonne voie, rappelée à l'ordre, pas plus qu'elle ne voulait être responsable de trop de migraines ou de fous rires. Même si les fous rires, c'était bien. Ça faisait les abdos, paraît-il, mais moins qu'en soulevant de lourdes charges ou en se livrant à bien des pirouettes sous ou sans les draps. Et même si elle appréciait beaucoup le fait de pouvoir partager des moments privilégiés et particuliers avec ses proches. Et tant pis si, souvent, cela pouvait être déclenché par quelque méprise de sa part. Et visiblement, présentement, auprès de Cassandra, c’était reparti pour un tour !

« Pas … Pas du soda ? Mais c’est marqué dessus, pourtant ! » Ce n’était donc pas comme les notices d’utilisation, ou comme les précautions d’usage ? Cependant, jamais encore Kory n’avait entendu Cassandra la dissuader de faire quoi que ce soit sans avoir une bonne raison. Alors elle se stoppa, tout autant dans ses gestes que dans sa réflexion. Et sagement, elle attendit que l’Amazone prenne les choses en mains, qu’elle la guide, comme elle le faisait si bien. « C’est toujours un grand plaisir pour moi aussi de te voir ! » Sans même ciller, hésiter ou faiblir, et sans même se concentrer ou regarder ce qu’elle faisait, la Tamaraneanne attrapa en plein vol la canette que Cassandra envoya en sa direction. « Comme ça, il va être bien secoué ! … Je croyais que le frigo était un autel sacré pour vous, les humains, parce que Garfield dit toujours « Ô mon Saint Frigo ! ». Et on ne profane pas un autel, jamais ! En tout cas, merci beaucoup. »

Sa relation à la nourriture était assez particulière. Sans doute que, de par sa morphologie, il ne lui était pas nécessaire d’ingérer autant de calories que les humains, et c’était rien de le dire ! Un simple repas par jour lui suffisait, d’ordinaire. Mais on n’était pas d’ordinaire. En ce moment, rien ne semblait fonctionner comme il le fallait, et tout semblait sortir de la normalité. Du moins, c’était vrai pour beaucoup de choses, mais, fort heureusement, certaines restaient immuables, comme éternelles. Et Kory appréciait de savoir que c’était le cas pour son amitié avec Cassandra. On pouvait refuser de le croire, mais elle était quand même très observatrice, Kory. Ce qui faisait d’ailleurs qu’un certain nombre de fois, elle avait pu pointer du doigt les contradictions humaines l’empêchant de bien tout comprendre à l’attitude et aux habitudes terriennes. Et là, lorsqu’elle plongeait son regard dans celui de Cassandra, elle ne voyait aucune lueur de pitié ou de moquerie, ou quoi que ce soit dans ce genre-là. La lueur dans les yeux de l’Amazone était toujours aussi chaude et réconfortante, poussant Kory à en sourire, comme ça, là, tout simplement. Au lieu de se sentir obligée de se lancer dans des explications pour justifier son besoin de consommer de la nourriture, et sa sensation de faim. Cassandra avait sûrement plus ou moins compris de quoi il en retournait. Et, en tout cas, elle ne l’interrogea pas à ce sujet. Non, en réalité, la question que lui posait la jolie blonde était orientée vers un autre sujet.

« Tu fréquentes donc d’autres rousses que moi pour pouvoir faire un classement et me positionner en tête de la liste ? » La question pouvait paraître naïve, ou bien encore ingénue, mais en réalité, Kory venait de faire une plaisanterie. Ce qui s’illustra dans une petite malice qui luisit dans le coin de son regard, alors qu’elle ne pouvait s’empêcher d’arquer un sourire un coin, bien malgré elle. Non, non, elle ne souriait absolument pas à se propre plaisanterie, voyons … Mais alors qu’elle s’apprêtait à répondre à son interlocutrice, son regard vrilla vers ce paquet de cookies que Cassandra venait de faire glisser dans sa direction. Le chocolat … Elle en connaissait déjà le goût, mais juste rapidement. En fait, l’un des garçons avec lesquels elle avait pu fricoter, comme on dit, chez les humains, lui avait un jour proposé de pimenter les choses avec un peu de chocolat, sauf que Kory, le piment, elle l’avait cherché, mais ne l’avait pas trouvé. Et elle n’avait eu que le temps de lécher le plat de la cuillère enfoncée dans un bol de chocolat pâtissier fondu, avant que son amant d’un soir décide de faire une croix sur le chocolat et de directement passer aux choses sérieuses ! Alors, elle tenta l’aventure. Elle prit l’un des petits gâteaux, le glissa entre ses lèvres, et … « Hmmm, par X’Hal, ce que c’est bon ! » Elle s’en lécha les lèvres, pour chasser la moindre parcelle de goût chocolaté qui s’y serait accroché. Avant de marquer une pause, fermant les yeux, les plissant, et ronronnant presque d’aise. Avant de se reprendre. « Désolée, mais c’est vraiment trop bon ! … Tu as raison, je ne suis pas venue jusqu’ici pour manger. C’est juste que j’ai eu faim, et que … Je voulais voir Tim’. Mais j’ai peut-être un peu oublié de le prévenir … Et puis, te voilà devant moi ! »

Cassandra connaissait Koriand’r depuis des années, et pourtant elle était toujours autant prise au dépourvu par certaines de ses réflexions. L’esprit de la Tamaraneanne était somme toute bien différent du sien, sauf qu’elle songeait rarement à imputer cela au fait qu’elle provienne d’une autre planète. Plus que son endroit de naissance ou sa biologie, c’était l’éducation qu’avait reçu Kory qui la rendait particulière. Intéressante. Elle abordait les problèmes communs avec une pensée que l’on pourrait qualifier de naïve ou d’innocente, mais elle demeurait probablement plus terre-à-terre et pragmatique qu’on ne pourrait le songer au premier abord. Tamaran avait des mœurs, ainsi que des croyances, parfois diamétralement opposées à la Terre. Un exemple concret était leur manière d’envisager les relations intimes, qui n’étaient pas obligatoirement liées à un concept fermé de fidélité et de monogamie. A dire vrai, Cassie n’avait même jamais entendu Starfire parler de mariage ou de toute autre forme de mise en couple. Cela existait-il sur Tamaran ? Ses propres parents l’avaient-ils été ? Elle savait qu’il lui suffisait de poser la question pour que Kory lui réponde presque immédiatement, comme c’était souvent le cas, néanmoins l’interroger sur son passé semblait indélicat. Ce n’était certes pas directement relié aux expériences qu’elle avait subies, mais elle ne voulait pas mettre mal à l’… Est-ce que c’était seulement possible ? De mettre Koriand’r mal à l’aise ? Sûrement pas.

« Garfield doit considérer toutes les réserves de nourriture comme des lieux saints, ce n’est pas vraiment une référence. Fais-moi confiance : le frigo est la réponse à toutes les fringales. » Elle fronça des sourcils. « Mais il faut que quelqu’un le remplisse, évidemment.  Un « Saint Frigo » n’est pas magique, ça ne génère pas des quantités infinies. C'est pas une Corne d'Abondance. » Si c’était le cas, ils n’auraient pas à tirer à la courte paille toutes les semaines pour déterminer qui serait de corvée de centre commercial. Pour sa part, Cassie détestait ces moments et faisait de son mieux pour les écourter en prévoyant son trajet dans les allées avant de s’y rendre. Une liste impeccable, un chemin tout tracé et elle était rapidement débarrassée. En parlant de ça, si elle se référait à l’état des provisions, les jeunes justiciers allaient bientôt devoir désigner une victime. En espérant que cette fois personne ne triche. La question de Koriand’r sortit de ses pensées la jeune femme qui papillonna des yeux, cherchant à se justifier. « Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, enfin j’ai dé… » Balbutiant et butant sur chaque mot, elle remarqua le regard pétillant que la Tamaraneanne posait sur elle. Ses prunelles vertes brillaient d’une malice peu commune. « Attends. C’était une blague ? » Elle n’était pas vexée d’être la cible, simplement sincèrement surprise et amusée. « Incroyable. Koriand’r de Tamaran qui s’essaie aux plaisanteries humaines et au second degré. Le monde change. » Cette fois-ci, c’était à Cassandra de sourire, avant de lâcher un rire espiègle. Elle exagérait volontairement, ce n’était pas la première fois que Kory blaguait, néanmoins cela restait incongru venant d’elle. La blonde était plus accoutumée à devoir déchiffrer ses phrases sans queue ni tête plutôt qu’à la voir retourner contre elle cette vilaine habitude. Elle s’appuya contre le comptoir, tendant la main pour attraper un cookie qu’elle glissa entre ses lèvres. « Mais tu sais, tu restes toujours ma rousse préférée, » ajouta Cassie avec un clin d’œil.

La réaction de la Titan au chocolat ne tarda pas à se faire voir – et entendre ! Divertie par le spectacle, Cassandra haussa les sourcils avec un sourire malicieux, secouant la tête pour rassurer son amie. « Ce n’est rien Kory, le chocolat excuse tout. C’est la première fois que tu en goûtes ? » Une question innocente, vraiment. Une question qui pourrait amener des réponses dont elle ne voulait probablement rien savoir. Mais inconsciente du risque, elle la posa avant d’embrayer sur la raison de sa présence : « Je crois que Tim est sorti patrouiller, je peux essayer de l’appeler si tu veux ? C’était important ? » Elle remua les épaules, doucement, grignotant les dernières miettes de son cookie. « Ou alors, vu que je suis là, tu peux me demander. Enfin, j’imagine que ça dépend de la question. » Cassie tira un tabouret sous ses fesses et posa ses coudes sur le comptoir en prenant l’air sérieux : « Je suis une bonne oreille, tu peux tout me dire. T’es tombée amoureuse des cookies, c’est ça ? » A son tour de faire des blagues.

Bien évidemment que Koriand'r savait à quoi ressemblait une cuisine ! Aux dernières nouvelles, elle n'était pas aveugle, et le fait de se retrouver aujourd'hui plongée dans la nuit perpétuelle, privée de soleil, comme tout le monde, ne lui avait pas fait perdre la vue. A côté de cela, la Tour des Teen Titans avait certes été détruite, mais on l'avait faite reconstruire, depuis. Ce qui était tout de même mieux que de tous les obliger, eux, Titans, de vivre dans la rue, comme tous ces pauvres gens dont on se détourne si facilement. D'ailleurs, en parlant de ces gens là, Kory leur dirait bien de venir dormir à la Tour, mais il y avait bien trop de secrets à préserver, et en plus de cela, il n'était pas permis à n'importe qui d'y mettre les pieds. Il ne s'agissait évidemment pas de la boîte de nuit la plus branchée, mais le cordon de sécurité et les pass VIP y étaient cependant primordiaux. Enfin, c'était plus ou moins ainsi qu'on lui avait présenté les choses, quand elle avait posé la question. Elle avait aussi eu le droit à se faire expliquer que les SDF n'étaient pas exactement comme des petits chiots ou des petits chatons trouvés dans des cartons : il s'agissait d'humains, et on n'adopte pas vraiment les humains comme ça ... Elle avait donc abandonné l'idée, non sans, cependant, toujours avoir des pièces ou des billets sur elle, pour les leur donner, dans leur petite boîte, quand ils faisaient la manche. Même si elle ne donnait pas à ceux qui filaient s'acheter de l'alcool avec son argent, sitôt qu'elle était partie. Cela lui faisait toujours froncer les sourcils, et ça ne lui plaisait pas du tout. Dans le fond, elle ne travaillait pas vraiment dur pour gagner cet argent, elle. Il lui suffisait de sourire, et, plus largement, d'être elle-même, et les photographes des campagnes publicitaires étaient alors très vite aux anges. Mais, quand même ... Bien qu'elle n'était pas concernée, elle savait que l'alcool faisait des ravages, et que les êtres humains devenaient vite stupides et inconvenants quand ils buvaient trop. Oui, oui, certes, au sens humain du terme, elle n'était pas des plus prudes. Mais elle ne tentait jamais de glisser la main sous la jupe des filles, elle, et elle ne cherchait jamais à imposer ses envies sexuelles à quelqu'un ! Certes, elle ne demandait pas l'autorisation, mais elle n'usait pas de sa force pour imposer sa volonté : si le jeune homme voulait partir, elle ne le retenait pas, et il était libre de le faire. Les hommes qui boivent trop, eux, ils n'hésitent pas à plaquer les femmes contre le mur crasseux de la ruelle miteuse la plus proche, avant de leur déchirer leurs vêtements. Elle avait déjà administré des corrections à des types comme ça, Kory, parce qu'elle n'aimait pas la violence faîte aux femmes. Et que ça la défoulait, un peu, aussi.

En tout cas, si la Tour des Teen Titans possédait bel et bien une cuisine, Kory ne s'y rendait jamais pour y manger quoi que ce soit. Et on lui en interdisait presque l'accès, même, de peur qu'elle cherche à se mettre à cuisiner. Elle avait un grand cœur, pensait aux autres, voulait faire plaisir. Pas pour se faire accepter, car cela faisait bien longtemps qu'elle n'était plus la petite nouvelle débarquée de sa si lointaine planète, aux mœurs et aux cas de conscience bien différents des conventions humaines. Mais vraiment par bonté d'âme, et volonté de faire plaisir. Or, la jeune femme était loin d'être douée en cuisine. Elle avait manqué de mettre le feu à la cuisine dans la précédente Tour, et on avait dû changer la crédence ainsi que plusieurs meubles, sans parler de la cocotte qui avait littéralement fondu sur le plan de cuisson. La faute à un petit coup de pouce un malavisé de Kory, pour le coup, au système de chaleur. Une impulsion solaire, ça dépasse de loin la résistance en température des matériaux de cuisine ! Il n'y a pas de telle énergie lors des crash test, il faut croire ... Mais maintenant ... Maintenant, Kory devait se nourrir, moins souvent qu'une humaine, certes, mais elle devait le faire, pour de vrai, alors qu'avant ... Son fuel à elle, comme on dit, c'est le soleil. Comme les panneaux photovoltaïques qui contribuaient en partie à alimenter en électricité la Tour. Et maintenant, sans Soleil, elle devait se replier sur autre chose, en plus de devoir se passer de bien des capacités qui faisaient d'elle celle qu'elle était. C'était presque comme une nouvelle découverte d'elle-même, en fait ... Et aujourd'hui ... Aujourd'hui, elle venait à se maudire d'avoir pu, un jour, prier la Déesse d'être privée de Soleil ne serait que quelques secondes, pour être en paix, alors qu'elle était soumise à bien des tortures destinées à faire d'elle un être de Tamaran bien différent de la normale, plus puissante, plus redoutable. Mutée, en fait. Alors, en parlant de nourriture, jusqu'à maintenant, elle avait un peu pu passer à côté de l'importance qu'un meuble tel qu'un frigo pouvait revêtir pour ceux qui, tout autour d'elle, devaient se nourrir au moins trois fois par jour. C'était un peu comme ... En fait, elle ne savait trop comparer les choses, de ce point de vue là, étant donné que, quand elle, elle était "affamée", elle n'avait qu'à se dévêtir totalement et prendre un bain de soleil !

« Pour Wally, c'est un peu comme pour Impulse, non ? Ils courent tellement qu'ils se vident de leur énergie. » Du moins espérait-elle avoir compris. En revanche, ce que lui disait Cassandra semblait faire suffisamment sens pour qu'elle hoche positivement la tête. « Je vois ... En tout cas, ce n'est jamais moi qui me charge de ça ! Je suis plutôt la préposée au remplissage de l'armoire à pharmacie pour les bobos qui ne guériraient pas assez vite. Et aussi parce que, quand on me dit de tout donner à l'entraînement, je préviens les gens du risque, mais je m'exécute. Et tu sais bien combien je peux faire très mal ... Même si je me contrôle : Timothy ne m'a pas confiée les rênes des Titans pour que je casse en morceaux mes coéquipiers ... Ah, et quand je travaille avec une industrie pharmaceutique, je ramène aussi des préservatifs parfois : les garçons veulent toujours faire des bombes à eau, avec. C'est ce qu'ils me disent, mais je ne suis pas dupe, quand même. » Pour le reste ... Pour le reste, son petit trait d'humour fait, ou plutôt tenté, la jeune femme resta à guetter la réaction de son interlocutrice. Mais, visiblement, Cassandra n'était pas habituée, du moins, pas venant d'elle, et un instant, Kory se sentit comme en équilibre au-dessus de la frontière entre jubilation personnelle d'avoir réussi à la duper et remise en question quant au vrai potentiel de son trait d'humour. Mais, finalement, la jolie Amazone sembla capter le truc ! « Vous exercez tous votre très mauvaise influence sur moi, c'est pour ça ! Mais je suis bien contente de l'avoir bien placée, ma plaisanterie. Je tombe plus souvent à côté que dedans, quand j'essaie. » Ce qui l'ennuyait bien, parce que les gens semblaient alors la regarder comme on regarde un enfant de 2 ans essayant de bien prononcer un mot mais zozotant les "s", oubliant les "r" ou butant sur les "t" ... « Tu crois que je devrais porter une écharpe, comme les Miss à la télé ? On m'a proposée, tu sais, alors que je venais juste d'arriver. Mais bon, non. Parce que cela aurait été de la triche, et qu'en plus, j'aurais pu causer bien des incidents diplomatiques au moment des questions pièges, là. Enfin, je crois. »

En plus de ça, elle savait que, l'étape supérieure, après l'échelle nationale, c'était entre autres Miss Universe, avec ce fallacieux mortel qui essayait visiblement de faire de la concurrence aux Tamaraneans ou de reproduire leur hâle épidermique ... Alors, elle avait décliné. De toute façon, cela aurait été mentir aux gens que de se proclamer vraiment native d'un des états de ce pays. Elle n'était pas née sur Terre, elle. Elle avait vu le jour au sein du Palais de Tamarus, dans la bulle solaire. En haut du Palais, tout en haut, dans cette pièce à 360°, sans cesse baignée de lumière, car il n'y avait pas de murs, seulement de larges et grandes baies vitrées. Elle était de Tamaran, elle, pas des États-Unis. Et puis, cela ne l'aurait pas amusée, ou juste un court laps de temps. Sans parler du fait qu'elle aurait été scrutée à la loupe, et que, visiblement, entre Miss, on ne se fait pas de cadeaux, et que c'est la fête aux coups bas. Le genre d'attitude, d'ambiance et d'atmosphère dans lesquels Koriand'r ne se retrouvait pas. Mais tout ceci était du passé, maintenant, et là, tout de suite, présentement, elle préférait déguster du chocolat plutôt que de penser à tout ça !

« On peut dire ça. ... Une fois, il y a bien eu ce garçon qui voulait que je lui en étale sur le torse, avant de l'ôter, avec ma bouche. Sur le torse et ailleurs aussi. Enfin, il a voulu sauter cette étape, finalement, en me voyant approcher la cuillère de ma bouche, et je crois qu'à l'époque, ignorant tout du délice qu'est le chocolat, j'ai largement préféré oublier ça pour privilégier le sexe. » Elle hocha la tête, tout en haussant les épaules, et piocha un autre cookie, en souhaitant le déguster petit à petit, celui-là. Non sans répondre au questionnement de Cassandra, bien évidemment. « Important pour moi, oui, mais pour les autres, je ne sais pas. Je ne leur ai pas demandé. » Contrairement à ce qu'on pouvait penser et croire, Kory ne passait pas son temps à vous adresser la parole pour vous poser mille et unes questions, tout le temps, sans arrêt. En réalité, elle ne verbalisait que les questions les plus superficielles, ou ayant attrait à sa volonté de continuer de découvrir et de comprendre la Terre, ses habitants, et tout ce qui s'en rapprochait. Pour les choses vraiment sérieuses ... Elle était plus secrète, plus discrète, plus méticuleuse, aussi, et réfléchie, dans sa formulation autant que dans le choix de la personne à qui elle allait s'adresser. Mais Cassandra était dans le cercle de ces privilégiés en qui elle avait grande confiance et dont elle acceptait les conseils comme des leçons de vie, s'il le fallait. « Je pense que tu n'es pas obligée de l'appeler. Tu dois sans doute pouvoir m'aider. » Cependant, la jeune femme se stoppa dans sa réponse. « Amoureuse ? Des cookies ? Je préfère avoir une orgie gustative avec eux plutôt que de les aimer ! » Sexe et amour étaient deux choses différentes, après tout ... « En fait ... En fait, je venais voir Tim' parce qu'il a été mon Leader et celui des Titans, c'est vrai, mais aussi parce que c'est un humain tout ce qu'il y a de plus normal et banal, génétiquement. Sans vouloir l'insulter. Et ... Et je me demande comment faire, maintenant que je suis privée de la majorité de ces capacités à cause de cet hijo de puta d'Ultraman, pour être sûre de toujours être vue comme un bon Leader, alors que je suis devenue si humaine ... Comment Tim' a bien pu faire, alors qu'il est juste humain ? Enfin, voilà à peu près ce que je voulais lui demander. »

Aujourd’hui encore, Cassandra se remémorait sans peine la première fois que Diana lui avait présenté la jeune princesse de Tamaran : bien qu’elle soit d’une année plus âgée, il avait fallu qu’elle l’épaule et l’instruise sur les façons de ce monde comme elle l’aurait fait avec une cadette. Bien évidemment, à terme, aider Koriand’r à appréhender les coutumes terrestres était devenu un travail d’équipe, où chacun déposait son grain de sel et sa vision de la chose. C’était pour ça, en majeure partie, que Cassie n’essayait pas d’imposer des règles ou d’être définitive dans ses propos. Qui pouvait prétendre avoir la science infuse à ce sujet ? Diana l’avait peut-être avec ses millénaires d’existence, mais pas elle. « C’est ça. Être un speedster, ça n’a pas que des bons côtés, » acquiesça la jeune femme en continuant sur la répartition des tâches domestiques, en passant par le remplissage du frigo. Kory répliqua rapidement que ce n’était pas son domaine et qu’elle était généralement plus encouragée à refaire le stock de la pharmacie. La demi-déesse était plutôt bien placée pour connaître les inconvénients d’avoir une super-force, elle en avait d’ailleurs brièvement discuté avec Artemis l’autre soir lorsqu’elles s’étaient croisées en pleine fringale nocturne dans cette même cuisine. Il n’était pas toujours aisé de doser exactement ses coups, même si les entraînements n’étaient pas là pour les mettre en condition réelle – sauf avec Bruce, lui ne plaisantait jamais, à croire qu’il était suicidaire. Elle éprouvait plus de soulagement quand il était question de rendre des coups à Conner plutôt qu’à Tim, ou à foncer sur Diana plutôt que sur Batman. Eux, elle savait qu’ils s’en remettraient. « Des bombes à eau… » marmonna-t-elle en roulant des yeux, amusée. « Je ne sais pas ce qui est le pire : qu’ils essaient de sortir ce genre d’excuse, ou qu’ils en soient justement très capables. »

Mâchonnant plus qu’elle ne mangeait son gâteau, Cassandra adressa à son amie un large sourire espiègle. « Tu t’améliores, c’est pas une question de mauvaise influence. Sauf si tu continues d’écouter Garfield évidemment. » Une vision de Koriand’r sous sa véritable forme, simplement vêtue d’un bikini et d’une écharpe de reine de beauté s’imposa dans son esprit. Un morceau de cookie lui resta coincé en travers de la gorge et elle détourna le regard en toussotant. « Ahem, oui, c’est sûr qu’il ne valait mieux pas à l’époque… Et puis ça serait injuste pour ces pauvres filles. » Elle pensait qu’en l’interrogeant au sujet du chocolat elle pourrait profiter d’un changement de sujet bienvenue, seulement la réponse de la Teen Titan lui fit rapidement secouer la tête. Non, non, non, elle ne voulait pas connaître les détails intimes des expériences de la princesse de Tamaran sur Terre. Ce n’était pas ce à quoi elle s’attendait. Alors Cassie revint vers la raison initiale qui avait poussé Kory à rallier le Mont Justice. Wonder Girl, désormais plus sérieuse, s’installa sur un tabouret en observant attentivement la Tamareanne. Elle ne souleva même pas l’exclamation de son interlocutrice au sujet de la différence subtile entre « avoir une orgie » et « tomber amoureuse », sachant ce débat stérile et étant curieuse de connaître le fin mot de l’histoire. Sauf qu’elle ne s’attendait clairement pas à ce que Starfire lui demande des conseils de leadership. Elle cilla, mangea les restes de son gâteau, cherchant une réponse parfaite à lui fournir. Sauf qu’il n’en existait pas. Il n’y en avait jamais.

« Tu sais que Batman est l’un des leaders de la Justice League. Pourtant, on fait difficilement plus humain que lui. Tim… Qu’est-ce qui rend Tim apte à diriger ? Est-ce que c’est son habilité au combat, ou son ingéniosité ? » La jeune femme tendit le bras, effleurant de son index et de son majeur le front de l’extraterrestre. « Ce qui est important, ça se trouve là… » Et, rapidement, le haut de sa poitrine, côté cœur. « Et ici. Ce n’est pas ta force qui fait de toi Koriand’r. Tu es exceptionnelle même sans elle. » Cassandra se réinstalla avec un soupir. Elle n’avait pas toujours les bons mots, pas comme Timothy. Il avait su la convaincre qu’elle avait sa place en dépit de son tempérament plus solitaire – il lui apprenait encore aujourd’hui à penser comme un tout, et plus seulement comme cette gamine qui voulait devenir une super-héroïne. « Je ne sais pas comment il fait, Kory, » admit-elle en remuant les épaules, un léger sourire aux lèvres. « Il s’inquiète pour nous, il tente de nous pousser à être plus forts sans pour autant délaisser ce qui nous rend meilleurs. Je pense qu’il y a deux genres de leaders. Ceux qui privilégient le cœur d’une équipe, et ceux qui veulent au contraire obtenir des résultats. Batman et Superman sont de bons exemples en la matière, même si ça serait se tromper que de penser que notre chauve-souris n’éprouve pas d’empathie pour ceux qui se battent sous ses ordres. Il est juste toujours prêt à faire ce qu’il estime juste. » Ou il l’était ? Elle ne savait pas si Bruce était encore en vie. Personne ne le savait. Il avait juste disparu du jour au lendemain, soi-disant pour une mission d’infiltration ou quelque chose comme ça, et au bout de quelques jours son silence était devenu inquiétant. Sans l’Homme de Fer et le justicier de Gotham, ils étaient tous affaiblis.

« Tim ne se demande pas s’il peut le faire, si parce qu’il n’a pas de pouvoirs il est moins apte que Conner, ou moi. Il le fait, c’est tout. Il ne t’aurait pas laissé les Titans s’il ne pensait pas que tu en étais capable. Et crois-moi : ce n’était pas parce que tu étais la plus forte d’entre eux. C’est parce que tu as ça en toi, avec ou sans Soleil. » C’était tout du moins ce que Cassandra pensait. Elle ne savait pas si cela rassurait Kory, si cela pourrait un peu apaiser les doutes qu’elle semblait avoir. Elle l’espérait, en tout cas. Avec un sourire, elle reprit, simplement pour détendre un peu l’atmosphère : « Tu devrais essayer les cabines UV, ça pourrait faire des miracles qui sait. »

Le plus souvent possible, Koriand'r essayait de fonctionner par assimilation. Elle avait l'impression que cela lui permettait de mieux comprendre les choses, et de les retenir plus facilement. Et dans la majorité des cas, ses proches l'encourageaient dans ce sens. Elle savait qu'ils étaient très tolérants et très patients avec elle, même si certains devaient sans doute se demander quand, enfin, elle finirait par ne plus autant jurer dans le paysage, ici, sur Terre, en tant que native et ressortissante d'une autre planète, et même d'une autre galaxie. Ces personnes là devaient sans doute se baser sur Kal-El ou bien encore sur Diana pour bâtir leur raisonnement. Mais dans le fond comme dans la forme, tous trois, ils ne pouvaient être le sujet d'une réelle comparaison. Kal-El venait effectivement d'une autre planète, mais il ne s'en souvenait pas, et il était ici, sur Terre, depuis tout petit. Sans parler du fait qu'il avait été élevé par des parents 100% Terriens et qu'il s'était sans doute lui-même cru Terrien pendant très longtemps. Quant à Diana ... Techniquement, Diana était Terrienne, elle aussi ! Et puis, elle était là depuis plus longtemps, sans parler du fait qu'elle pouvait retrouver certaines similarités entre son passé et celui de certains Terriens. Koriand'r menait des études dans le domaine des civilisations anciennes, alors, elle connaissait suffisamment de choses sur la Grèce Antique pour savoir que tout n'était pas totalement étranger à Diana dans le passé de ce peuple là, même s'il fallait remonter à plusieurs siècles pour cela. Koriand'r, elle ... Peu importait, il était inutile de chercher à comparer. Elle faisait les choses à sa manière, et à son rythme. Et les gens oubliaient alors à quel point rien de tout ceci n'était aisé, et à quel point elle s'en sortait tout de même plus que très bien ! Du moins, elle l'espérait ... Alors, oui, les associations et les assimilations, ça marchait plutôt bien pour elle, et elle en avait une nouvelle fois la preuve, avec l'exemple de Wally mis en parallèle de celui d'Impulse. Elle aussi, en tout cas, elle était capable d'être rapide. Bien sûr, pas autant que les deux jeunes hommes, mais quand même ! En vitesse de vol, elle était capable d'aller à vive allure, et ne devait guère rien avoir à envier à certains, de ce côté là !

« Je me dirais bien qu'ils sont à 100% honnêtes et francs, parce qu'ils savent que je le suis et que rien ne me choque, mais dans le même temps, je ne sais pas ... Parfois, c'est comme s'ils oubliaient que, même s'ils ne m'en parlent pas, je sais très bien que eux aussi ont une vie sexuelle active. » A l'évocation de Garfield, la jeune femme ne put s'en empêcher, mais elle eut un grand sourire. « Il me rappelle un peu mon petit frère ... Voire même beaucoup, parfois ! Et puis, en tant que dignes représentants de créatures ne se conformant physiquement pas du tout aux standards de la beauté humaine, on s'entend très bien ! » Évidemment, ce genre de choses rapproche, quoi qu'ils n'avaient pas eu besoin de ça pour très bien s'entendre dès le début ! « C'est aussi ce qu'avait dit Dick à l'époque. Pourtant, j'aurais forcément gagner ! ... Dis, tu crois que si j'avais demandé à Bruce, il aurait été d'accord pour régler tous vos hors forfaits téléphoniques après que vous auriez envoyé des milliers de SMS pour voter pour moi ? »

Justement, en parlant de Bruce ... Il lui manquait. Et elle se sentait très peinée par sa disparition, ce qui se remarqua peut-être dans son regard. Elle le connaissait bien, le milliardaire, Koriand'r. Du moins, oui, elle le connaissait. Et elle connaissait aussi Batman. Ce n'était sans doute pas facile à comprendre, mais sur Tamaran, on était parfaitement capable de faire la distinction entre les choses, et même de scinder une même personne en deux. Un peu comme s'il s'agissait de deux entités différentes. Pour Kory, cela avait toujours été une pratique courante, depuis toute petite. Mais elle était sans doute mieux placée que beaucoup d'autres pour pratiquer quotidiennement ça avec ses parents. Elle se souvenait, encore aujourd'hui, qu'elle s'adressait en publique au roi, et non à son père. Mais ... Mais parfois ... Parfois, elle se demandait si, lui, il avait toujours été capable de rester campé dans cette dissociation, quand il avait fallu la sacrifier, elle, en tant que Princesse de Tamaran, pour échapper au génocide dont les menaçait la Citadelle, ou s'il y avait eu une part de lui qui avait compris qu'au delà de son rang, c'était parce qu'elle était sa fille que la Citadelle la lui avait réclamé. Tout ceci appartenait au passé, sans doute, maintenant. Mais d'une certaine façon, pour Koriand'r, cela ferait toujours un peu partie de son présent. Et c'était un élément douloureux de son histoire personnelle. Mais, en tout cas, oui, pour elle, Bruce Wayne et Batman étaient deux êtres différents. Bruce était en quelque sorte le père de substitution de Dick, et elle le respectait pour ça. Batman, lui, c'était différent. Pas qu'elle ne le respectait pas, mais elle se voyait bien plus comme son égal en tant que Batman, là où, en tant que Bruce, elle éprouvait une certaine déférence à son égard. Cassandra, elle, semblait actuellement ne faire aucune différence entre la Koriand'r d'avant éclipse et celle de maintenant. Bien qu'elle semblait dissocier capacités physiques et capacités morales, mentales et psychiques.

« C'est beau, ce que tu dis. Mais ... Mais je suppose que pour l'instant, cela reste un concept peu naturel pour moi, toute Tamaraneanne que je reste. C'est parce qu'elle n'était pas capable de voler que ma sœur aînée a été écartée de la position de Princesse héritière, la même position qui m'a été offerte sur un plateau d'or et d'argent, comme vous dîtes, parce que, moi, je suis née sans tare. » Elle marqua une pause, le temps de croquer dans un cookie et d'en savourer le goût tout chocolaté. « Mais c'est un concept qu'il me plairait de faire mien. J'ai été élevée pour devenir Reine d'un peuple tout entier, pour régner sur toute une planète. Les responsabilités ne me font pas peur, c'est juste que ... C'est juste que pour cela, il me semble qu'il faille à tout prix que je sois en pleine possession de mes moyens, et pleinement capable de faire montre de ma force de frappe, si cela a du sens. ... Je crois que je suis plus comme Kal-El que comme Batman, alors. Je suis le glaive et le bouclier, celle qui doit frapper et protéger. Et la forme m'importe plus que le résultat, je crois. Il n'y a pas de gloire que de triompher par duperie, ou par exploitation malvenue des faiblesses. Tout comme il n'y a pas de gloire de décapiter un adversaire déjà à terre. » Kory savait que Tim' avait été à très bonne école, comme disent les Terriens. C'était l'une des raisons pour lesquelles elle l'avait toujours respectée, sans jamais saper son autorité ni remettre en doute son jugement. Et quand il lui avait passé le flambeau, elle s'en était sentie honorée. Énormément honorée, même. Et c'était sans doute l'une des principales raisons pour lesquelles elle tenait tant à bien tenir son rang, à ne décevoir personne et à se montrer apte aux yeux de tous. Que personne ne puisse remettre en cause son Leadership, sous prétexte qu'elle était une femme, une extraterrestre, ou bien encore une créature aujourd'hui affaiblie par cette éclipse. Certains devaient penser que c'était la Lune, le problème, mais c'était faux. Pour preuve, sur Tamaran, il y avait deux lunes, et il n'était venu à l'idée de personne d'en faire exploser une. C'était juste qu'après la nuit vient le jour, et que la Lune cède toujours le pas au Soleil, le matin venu, sauf présentement ... « J'ai essayé, tu sais. Bon, déjà, quand elle est revenue, l'employée a un peu poussé un grand cri de surprise, parce que je n'étais pas censée rentrer nue dans la cabine. Et ensuite ... Ensuite, ça n'a pas marché. Il me faut des vrais UV. Pas de la contrefaçon. Je suppose que c'est un peu comme si on te dérobait ton lasso et qu'à la place, on te fournissait une corde à linge. Ou bien une corde à sauter. »

Bien qu’elle fasse de son mieux pour remonter le moral de son amie, Cassandra sentait que ce n’était pas suffisant. Ses paroles lui soutiraient parfois un sourire, mais une ombre demeurait dans les grands yeux verts de la Tamaraneanne. Un fardeau dont elle ne pouvait la libérer – sans doute, finalement, que la disparition du Soleil n’influençait pas seulement ses capacités. Et elle avait beau essayer de comprendre la position dans laquelle Koriand’r se trouvait, elle n’y parvenait pas totalement. Leurs éducations avaient été fondamentalement différents, de même que les épreuves qu’elles avaient dû traverser. La rousse avait nettement plus souffert qu’elle dans son ascension au pouvoir. Jusque-là, les questions de Wonder Girl étaient demeurées rares, évasives, par respect pour elle. Elle ne voulait pas la forcer à revisiter les traumas de son passé simplement pour nourrir une curiosité qui, bien que partant d’un bon sentiment, pouvait sembler morbide. Néanmoins, si Kory se tenait aujourd’hui devant elle, c’était à cause de tout cela. Grâce à sa force de caractère, grâce à sa puissance. Etant donné qu’elle avait su garder, au moins en partie, l’envie de continuer. De vivre. Est-ce qu’à sa place, Cassie aurait fait preuve de la même détermination ? Difficile d’en juger. Probablement pas, se disait la demi-déesse. Cependant, il était impossible de connaître la réponse à ce genre de question avant d’y être confronté.

« Bruce n’en aurait pas eu besoin, et nous non plus. Tu aurais probablement raflé tous les votes simplement parce que tu es… toi, » avait-elle rétorqué avec un rire avant que le sujet de leur discussion ne devienne plus sérieux. Aux yeux de la jeune femme, Koriand’r restait la même avec ou sans crinière enflammée, avec ou sans starbolts. Et en écoutant la voix voilée de la princesse extraterrestre, elle se rendait progressivement compte de son erreur – ou plutôt de la différence qu’elles avaient de considérer la chose. Silencieusement, Cassandra laissa son interlocutrice tenter de lui expliquer la raison de ce malaise, prenant à la fois pour exemple sa sœur, puis Superman. Le glaive et le bouclier. C’était une phrase qu’elle avait pour la première fois entendue sur Themyscira, quand ses différentes mentores avaient commencé la lourde tâche de faire d’elle une guerrière incomparable. Tu n’es pas seulement un glaive, tu dois apprendre à être le bouclier si tu veux un jour suivre les traces de Diana. Et encore aujourd’hui, Cassandra avait l’impression que ce but était trop lointain, à la limite de l’inaccessible. Wonder Woman avait eu des millénaires pour se perfectionner, pour devenir à la fois l’héroïne que le monde connaissait et la représentante d’un peuple tout entier. Elle avait cette responsabilité qu’elle semblait n’avoir aucune difficulté à porter, quand bien même ce n’était pas le cas. Diana gardait toujours la tête haute. Elle n’hésitait pas, elle ne doutait pas. Ou en tout cas, elle ne le laissait jamais voir.

Finalement, Cassie s’essaya à une plaisanterie pour relancer la conversation, ce qui lui permit d’avoir un sourire sincèrement amusé quand elle s’imagina la scène dépeinte par la Tamaraneanne. « Comme Superman, » souffla-t-elle. « Et disons que la comparaison est plus difficile avec mon lasso. C’est un artefact qui est magique, qui fonctionnerait très bien dans n’importe quelles autres mains. » En théorie. Elle ne l’avait jamais confié à qui que ce soit d’autres, mais elle supposait qu’il était basé sur la même énergie que le lasso de vérité. Peut-être qu’étant un cadeau d’Arès, il serait plus ardu à canaliser puisqu’il s’imprégnait de la rage de son utilisateur. Elle-même s’était sentie, une ou deux fois, happée par ce cercle vicieux et poussée à des extrémités – elle ne considérait simplement pas que c’était uniquement du fait de l’objet. Cela venait d’elle, qu’elle l’assume ou non. « C’est différent, parce que je ne tire pas ma force ou mon endurance de quelque chose en particulier. Elle vient de moi, même si c’est encore un peu compliqué à comprendre. » Elle ne s’autorisait pas souvent à y songer. Ses aptitudes s’étaient déclenchées peu de temps après son retour de l’île, alors Cassandra avait soupçonné pendant quelques semaines que ce n’était qu’un effet de son entraînement. Quelque chose qui ne durerait pas maintenant qu’elle s’était éloignée de Themyscira. Seulement, cela n’a cessé de gagner en intensité, à tel point qu’à l’heure actuelle elle était très capable de défoncer un mur à mains nues si elle l’envie lui en prenait. Bien évidemment, elle s’était questionnée sur ses propres origines, sans oser cependant admettre qu’elle se demandait si son père, seule figure absente au tableau, n’était pas en réalité quelqu’un d’extraordinaire lui aussi. De surhumain. Elle obtiendrait d’ailleurs cette réponse quelques jours après sa discussion avec Kory… Mais pour le moment, la jeune femme ignorait sa propre ascendance, ce qui ne l’aidait pas à appréhender le reste.

« Je ne vais pas prétendre comprendre, parce que j’ai beau essayer Kory, la seule chose qui me vient à l’esprit c’est que tu es toujours la même à mes yeux. Et je sais que ce n’est pas suffisant pour toi, de te dire que ce n’est qu’une passade et que bientôt, tu pourras pulvériser comme au bon vieux temps tous les ennemis qui te feront face. » Elle la savait affaiblie, probablement une pâle réplique de la Starfire qu’elle avait l’habitude d’entrevoir sous ce collier. Elle le savait, et pourtant elle ne le voyait pas. Puisque cela ne la rendait pas moins apte à diriger, pas moins ravissante ou moins apte à se battre. Elle avait encore toutes ses connaissances à portée de main – la seule chose qui n’y était plus, c’était la force de soulever des montagnes. Superman était soumis à la même règle, à ceci près qu’il y avait également la Kryptonique qui pouvait le mettre hors d’état de nuire. Quand le Soleil se mettrait de nouveau à briller, l’état de Koriand’r s’améliorerait en un clin d’œil. « Mais je sais aussi que ça te tracasse. Probablement encore plus que ce que tu me laisses voir. » Elle tendit la main pour la poser sur la sienne. « Nous trouverons une solution pour que les choses reviennent à la normale. Tu sais que la Justice League ne s’avoue jamais vaincue. Tout peut sembler sombre pour l’instant, mais ça va s’arranger. » Elle le pensait sincèrement. Elle le croyait au plus profond de son âme. « En attendant… » Ses doigts se refermèrent sur les siens. « Et si je t’emmenais faire un tour ? » Ce n’était probablement pas très prudent, néanmoins Cassie n’allait pas laisser cette menace perpétuelle l’empêcher de vivre. Même si l’avenir que Kent lui avait prédit était un chemin possible, il n’était pas définitif. Ce n’était qu’un cauchemar de plus. « On pourrait aller voler, un peu, qu’est-ce que tu en dis ? Ou, je ne sais pas, aller dévaliser une chocolaterie. Tout ce que tu veux. » Tout ce dont tu as besoin.

Elle n’était pas Tim, mais elle essayait. Et si les mots ne suffisaient pas, peut-être que les actes réussiraient à chasser au moins temporairement cette ombre dans les prunelles d'émeraude de la Tamaraneanne.

Souvent, les gens devaient bien penser que Kory n'avait pas de pudeur, ou en tout cas, qu'elle n'en avait que peu. Ceux-là étaient le plus souvent ceux qui la fréquentaient sans réellement la connaître. La jeune femme elle-même partait du principe qu'ils ne la connaissaient pas du tout. Ils pensaient qu'elle s'appelait vraiment Kory Anders, de toute façon, pour commencer, alors, à partir de là, évidemment, ils n'y connaissaient rien sur rien la concernant. Mais c'était sans doute mieux comme ça. La jeune femme avait beau être très sociable et avoir le contact facile, il n'en demeurait pas moins qu'elle ne courrait pas après les amitiés. Enfin, si, mais c'était quand même bien mieux de se lier d'amitié avec des gens comme elle, ou qui, au moins, lui ressemblaient. Des gens appartenant à son monde, si l'on pouvait dire ça comme ça. C'était plus amusant, de toute façon, de pouvoir partager de bons moments avec des gens capables de vous suivre quand vous vouliez faire un petit tour dans les airs, ou de s'entraîner avec des personnes pouvant encaisser les coups et essayer de vous les rendre sans se casser au moindre impact ou qui pouvaient défaillir à tout instant. Et puis, ces gens là risquaient moins de mourir, et vous n'aviez plus tant que ça à vous inquiéter du fait qu'ils deviennent de potentiels leviers pour vous faire chanter ou vous contraindre à faire quelque chose que vous ne vouliez pas faire. Kory savait que si quelqu'un s'avisait d'essayer de faire ça à Cassie, la jeune Amazone n'hésiterait pas à casser des mâchoires, parce qu'elle pouvait le faire ! Elle ne craindrait pas de casser un ongle ou d'abimer son nouveau tailleur, des choses comme ça ...

En tout cas, Cassandra, elle, elle était de ces gens qui connaissaient Koriand'r. Ce qui faisait qu'aux yeux de la jeune Tamaraneanne, elle ne faisait pas partie de la masse floue, anonyme et informe des gens. Cassandra, elle était Cassandra, sa Cassandra, même. Mais cela ne signifiait pas qu'elle savait tout de Kory, et inversement. Parce que Koriand'r, quand même, elle avait de la pudeur, pour les autres plus que pour elle. Elle n'avait pas honte de ce qui lui était arrivé, même si ce n'était pas du tout glorieux, mais elle ne voulait pas causer de désagréments à ses proches qui s'en feraient pour elle, seraient désolés, ou se sentiraient tellement tristes de ne pas avoir été là pour elle quand tout ceci était arrivé, pour la simple et bonne raison qu'ils ne la connaissaient pas encore. Ce n'était pas non plus des sujets évidents à aborder, ici sur Terre. Alors, peut-être que c'était mieux pour tout le monde que Koriand'r garde certaines choses pour elle. Et même le fameux Trio ne savaient pas du tout. Du moins, elle le pensait. Et l'espérait, partiellement. Quoi qu'il en était, elle n'avait jamais vu la moindre once de pitié adressée à son égard dans leurs regards à eux. Donc soit ils étaient d'excellents menteurs et dissimulateurs, soit ils ne savaient absolument rien à propos de tout ça. Alors, oui, Koriand'r était elle, avec ses défauts, ses qualités, ses contradictions et ses particularités qui, visiblement, ne cessaient de déstabiliser les gens et de les laisser un peu sur les fesses, plus ou moins.

« En vrai, ce n'est quelque chose d'intéressant. Je n'aime pas qu'on me dise d'être belle et de me taire. » Koriand'r avait de la logique, contrairement à ce que l'on pensait. D'ailleurs, ce qui était assez paradoxal, c'était qu'elle était très terre à terre, tout en semblait si souvent à plusieurs années lumières de là. Disons que le second degré, elle ne le comprenait pas, pas plus que les expressions qui faisaient appel à des représentations figurées. Les alliances de mots censés signifier quelque chose mais indiquer tout autre chose si elles étaient prises au pied de la lettre, elle passait si souvent à côté d'elle en devant demander des explications. Mais au moins, elle essayait, s'en se décourager et s'en se vexer. Et comme elle avait une bonne mémoire, elle se souvenait des choses et la fois d'après, ça allait ... Sauf que les Terriens savaient déployer des trésors d'imagination et d'inventivité. D'ailleurs ... D'ailleurs, sans se frustrer, s'offusquer ou se vexer, la jeune femme marqua une pause en fronçant un peu les sourcils, songeuse. « Tu fais une différence entre Superman et Kal-El ? » En tout cas, concernant le lasso ... « Oh, je vois ... Enfin je crois. Disons, alors, que c'est un peu comme si on te privait de ton oxygène et qu'on te proposait de te rabattre sur une autre chose. » Un instant, Kory resta muette, et se mit à réfléchir. Il était assez compliqué à elle d'expliquer certaines choses, parce qu'elles lui étaient innées, instinctives, tout à fait naturelle. « Tu sais, je n'y avais jamais réfléchi jusqu'à ce que tout ceci n'arrive, mais ... Je crois que tout ceci tient de ma physiologie. C'est un peu comme ... En fait, je n'en sais rien. Je n'ai rien d'humains. Mes ancêtres et les vôtres n'ont rien en commun. Alors ... Vous avez besoin de lumière pour y voir quoi que ce soit, pourtant, vous n'êtes pas soudainement aveugle dans le noir. J'ai besoin de Soleil pour faire tout ce dont je suis capable, mais je ne me meurs pour l'instant pas malgré l'omniprésence de la Lune. »

Souvent, on ne voyait que ce qu'on voulait voir. On faisait exprès de ne pas observer ce que l'on voulait fuir. On orientait son regard partout sauf en direction de ces choses que l'on fuyait. On ne portait pas de vraies œillères, parce que les équidés en avaient semble-t-il le monopole, mais le résultat était tout de même semblable, ou en tout cas suffisamment. Face à elle, Koriand'r comprenait qu'il puisse être compliqué de bien savoir où regarder, parce qu'elle avait tout de même une silhouette qui attirait le regard, et elle avait toutes ces particularités physiques qui interrogeaient, et qui poussaient aussi à vouloir comprendre, et donc à s'attarder sur tout ceci, sans parvenir à rester focalisé sur une seule chose à la fois. On occultait alors facilement le reste. On ne voyait pas ce qui pouvait se dissimuler derrière son regard sans iris, si vert, si particulier. On observait les courbes de son corps sans réellement remarquer les cicatrices qui pouvaient courir de ci de là. Ces lignes plus diaphanes, sur ce corps si ambré. On ne saisissait pas grand chose des émotions qui pouvaient tambouriner en dedans, à l'intérieur de cette silhouette si élancée, si féminine, si ... Si. Tellement ... Tellement. Qui pouvait réellement prétendre avoir un jour vu la vraie Koriand'r, Princesse héritière de Tamaran ? Plus personne qui ne soit en vie, sans doute, à l'exception de Komand'r elle-même, principale responsable et principale instigatrice de tout ce qu'avait pu traverser Koriand'r. Oh, bien sûr, sa sœur aînée aussi avait morflé, comme on dit, mais bien moins, sans nul doute permis. Qu'étaient deux années, quand on n'en avait pas en plus, auparavant, passé 6 entre les mains d'horribles personnages ? Face aux propos de son amie, la Tamaraneanne serra les deux poings.

« S'ils étaient là, face à moi, tout de suite, maintenant, ici, et que je pouvais de nouveau bénéficier des rayons du Soleil, je ... Je les exterminerais tous, un par un, quitte à périr aussi. » Elle releva les yeux vers Cassandra, après avoir quelque peu laissé son regard se perdre vers un point flou, et elle se reprit. « Pardon, c'est sorti tout seul. Je ne voulais pas te faire peur. En plus ... En plus, quand je suis arrivée ici, sur Terre, Batman, Wonder Woman et Kal... Désolée, Superman, m'ont bien expliqué que je n'étais plus sur Tamaran, et qu'ici ... Qu'ici, la façon de régler les conflits est différente. » Ces doigts, qui se refermaient sur les siens ... Cassandra ne s'imaginait sans doute pas tout ce que cela pouvait signifier pour Koriand'r, ni même à quel point cela pouvait la bouleverser, d'une certaine façon. Elle non plus, elle ne s'avouait jamais vaincue, mais son amie n'avait absolument pas besoin qu'elle le lui dise, n'est-ce pas ? Alors ... Alors, sa proposition tombait bien. « Tu as raison, bougeons. Cela m'évitera d'avoir ma première ride bien avant l'heure. Et puis ... J'adore voler, et le chocolat semble être ma nouvelle passion ! »

Cassandra avait longtemps ignoré l’identité civile de Superman. Et s’il fallait l’admettre, « Kal-El » à ses yeux signifiait moins que « Clark Kent. » Elle avait probablement faux sur toute la ligne, mais son opinion personnelle était que le nom qu’on avait pu lui donner à l’origine, sur Krypton, ne le définissait pas. Il était devenu le fils de fermiers anonymes, simplement parce qu’il ignorait à l’époque d’où il venait. La Forteresse de Solitude avait visiblement comblé ses lacunes, tout en lui offrant l’opportunité de découvrir qui étaient ses parents – d’où il venait. Mais cela effaçait-il toutes les années passées en tant que Clark Kent ? Si la question de Koriand’r était : comptes-tu deux entités distinctes, chez Kal-El et Superman, alors Cassie ne savait quoi répondre. Parce qu’elle n’avait jamais appelé l’Homme d’Acier par son nom kryptonien. Quand elle avait découvert que le reporter un peu maladroit du Daily Planet était en réalité le super-héros rouge et bleu de Metropolis, elle n’avait pas songé un seul instant à lui donner du « Kal-El » pour être honnête. Les deux seules identités qui existaient, pour elle, étaient ce jeune garçon de Smallville et l’alien protecteur qui aidait toujours son prochain. Kal-El… Elle secoua la tête après quelques secondes passées à réfléchir. « Pas vraiment. Je fais une différence entre Clark et Superman, mais je ne parviens pas réellement à associer son côté kryptonien à tout ça. C’est sans doute une erreur, parce que ça fait partie de lui, mais je pense qu’il doit se considérer davantage terrien qu’alien, même si ça n’efface pas ses différences. En tout cas, à sa place, si je découvrais que j’étais en réalité issue d’une autre planète ou que mes parents étaient des extraterrestres… » Douce ironie. « Je pense qu’après le choc, j’essaierai de me focaliser sur le reste. Je resterai Cassandra Sandsmark. » Elle haussa les épaules, ignorant si ses paroles avaient un sens pour Kory alors qu’elles peinaient à en avoir pour elle. La réponse était finalement simple, malgré tout. Tout comme elle faisait la distinction entre Wonder Woman, le symbole, et Diana de Themyscira, Princesse des Amazones. Peut-être sans même s’en rendre compte.

L’analogie avec le lasso, puis le bref intermède sur la biologie Tamaraneanne eurent le mérite de pousser la jeune femme à davantage de réflexions internes. Elle ne s’était jamais autant penchée sur ces sujets qu’aujourd’hui. Il était parfois facile d’oublier que Koriand’r, derrière ses répliques de temps à autres naïves ou spontanées, possédait le don de mettre le doigt sur ce qui importait. Littéralement. Sans son lasso, que serait-elle réellement ? Ce cadeau d’Arès n’était pas une simple preuve de son approbation. A l’époque déjà, Cassie savait qu’il attendait quelque chose de sa part, un échange de bons procédés. Elle avait fermé les yeux sur ça, volontairement, en se satisfaisant de l’explication qu’il lui avait donnée. Quelque chose de nébuleux, d’à peine compréhensible. Et pourtant, elle avait accepté l’artefact, se rassurant en se disant que quoi qu’il puisse réclamer, elle pourrait toujours lui refuser. Elle s’était réconfortée en se répétant qu’elle n’avait pas besoin de lui – pas besoin du lasso – pour être Wonder Girl. Maintenant que Koriand’r le mentionnait, pourtant, elle n’en était plus aussi sûre. Mais avant qu’elle n’ait pu s’appesantir à ce propos, la discussion dériva vers le malaise que la Tamaraneanne ressentait à l’idée d’être un leadeur sans pouvoirs. Diminuée. Cassandra avait beau redoubler d’efforts pour apaiser ce trouble, elle avait l’impression de ne pas trouver les mots justes comme l’aurait fait Timothy. Alors elle finit par lui proposer de quitter le Mont Justice : changer d’air, de perspective, oublier même pendant quelques heures la menace perpétuelle qui pesait sur elles. Sur l’Humanité toute entière. Sur la Terre, qui souffrait à chaque seconde un peu plus du caprice d’Ultraman.

« Il en faut plus pour me faire peur… J’ai été entraînée parmi les Amazones tu sais. Et elles sont loin d’être toutes aussi posées que Diana. » Un sourire effleura ses lèvres. Koriand’r sembla être plus réceptive à la pression de ses doigts autour des siens qu’à ses tentatives de discours motivant. Pour elle aussi, les actes comptaient plus que toutes les paroles du monde. « Allez, viens, Koriand’r de Tamaran. Ce n’est pas cette nuit qui va nous empêcher de vivre, pas vrai ? » D’espérer. De se battre. De croire en l’avenir. Rien n’éteindrait cette flamme qui brûlait en elles. Une guerrière n’est jamais brisée.