« Non, Barb. J'ai pas réussi à outrepasser leur firewall. Leurs défenses sont beaucoup trop ardues, même pour mes connaissances. Laisse moi faire le modeste deux minutes, et te supplier, oui, supplier, de me rendre ce service, et je t'amène café la prochaine fois, que rêver de mieux ? » T'émets un léger rire. T'aimes bien Barbara. Et pas uniquement parce que c'est une jolie rousse. Sa cervelle défie sans cesse la tienne. T'es heureux qu'elle revienne un peu dans la Bat-Family, parce que sans elle, c'était dur. Comme ça a été dur de croire Bruce mort. Vous avez affronté beaucoup trop de choses, et tu ressens encore cette fibre au fond de toi, épuisée. Mais le Syndicat continue de planer sur vos têtes. Tu secoues la tête, et clos finalement cette conversation rapidement, non sans envoyer des baisers à Barbara.
Tu pianotes sur les touches de ton clavier, finissant tes recherches. Tu es installé dans le salon, sur une table basse. Tu portes tes doigts à tes yeux, t'es un peu crevé, et tu mangerais bien un bout. Fermant avec un soin maniaque ton ordinateur surpuissant - t'as un peu triché, t'as modifié les éléments de base pour en faire un turbo-pc, comme t'aimes le dire - et tu vas traîner tes petons dans la cuisine. Tu poses les yeux sur des gâteaux au citron, et t'as une idée.
Une assiette remplie de friandises et un sourire malicieux plus tard, tu toques à la porte de chez Cassandra. La Wonder Girl adorait ces petites choses sucrées, te semblait-il. Et puis, tu avais un besoin viscéral de la taquiner. De la protéger. Même si elle était sans doute possible la plus forte de vous deux. Mais tu l'avais encouragée à rejoindre la Young Justice, et elle avait accepté. Tu te sentais redevable en cela. En ce qu'elle avait apporté à votre groupe. Tu adosses une épaule dans l'encadrement de la porte, et tends devant toi l'assiette.
« Hey, l'amazone, j'apporte les sucreries en guise de dédommagement du dérangement. Est-ce que ça veut dire que je peux mettre mes pieds sur la table et mes sales pattes partout ? » Tu n'en fais rien, cependant. Même si t'es taquin, t'es respectueux. « Je viens de me faire battre. A mon propre jeu, au final. Robin, grand perdant chez les hackers. » Tu hausses une épaule, fataliste, avant d'émettre un léger rire. Pourtant, tu la sens tendue, la Cassie. Son faciès crispé, ou alors une étincelle dans ses yeux. Tu poses la question que t'aimes pas murmurer, parce qu'elle a à la fois perdu de son sens premier, et parce que tu te l'es posé trop souvent, ces derniers temps, à propos de Batman, de Superman, de tout tes amis. « Ca va, la guerrière en jupette ? T'as l'air un peu patraque.» Une perche de deux mètres de long, lancée dans sa direction, comme une ligne de pêche. Une invitation, amicale et franche, à parler, si elle en a envie. Ou à te jeter une chaussure à la tête, comme elle veut, t'es pas difficile.
Il était bien trop tard pour prétendre que cette insomnie allait simplement la laisser tranquille. Cassandra poussa un soupir résigné, repoussant les couvertures pour s’extirper du lit inutile dans un mouvement rageur. Sur un coin de son bureau attendaient des livres d’histoire et des revues d’archéologies qu’elle devait étudier pour la semaine prochaine – et qu’elle n’avait même pas regardé, s’il fallait être honnête. Son esprit était à des lieux d’un quelconque effort estudiantin depuis l’arrivée du Syndicat du Crime. Quatre mois qu’ils oppressaient le peuple, que leur arrivé donnait des occasions aux autres criminels de faire leurs lois. Difficile de faire appliquer la justice quand il y avait le risque de se faire attaquer en patrouille par eux. Ce n’était pas pour autant que tous les super-héros restaient cloîtrés chez eux en attendant que la contre-attaque arrive. Cassie et la Young Justice avaient été mis au courant qu’une réunion extraordinaire se tiendrait sous peu, dans un lieu inatteignable pour leurs sosies maléfiques. Si elle avait su que dans quelques jours ils se retrouveraient entre les murs de la Maison des Mystères… Disons qu’elle aurait probablement tout fait pour gagner quelques heures de sommeil supplémentaire, de façon à faire preuve de plus de patience face aux criminels de l’Injustice League.
Au lieu de quoi Timothy la trouva assise en tailleur entre les draps, à griffonner sur son carnet de croquis des esquisses d’un cauchemar qui ne cessait de la hanter. La première fois que sa mère lui avait refilé des feuilles vierges et des crayons, elle lui avait expliqué que parfois il était utile de mettre sur papier rêves et craintes afin que les premiers aient plus de chances de se réaliser, et les seconds de disparaître. Des mots destinés à inspirer une enfant, à la rassurer. Des mots un peu bêtes, mais qui étaient restés dans sa mémoire. Elle se disait qu’en ancrant les contours de ce qui la suivre, elle exorciserait sans doute ce démon-ci. Cassie releva un peu vivement la tête quand il signala sa présence, sa surprise lui faisant rater un trait. « Hey ! » Un sourire naquît sur ses lèvres devant le spectacle des gâteaux en offrande, un sourire un peu léger mais sincère ; elle referma soigneusement le carnet et lui fit signe d’entrer. Mieux valait qu’il ne tombe pas sur le dessin qu’elle était en train de terminer. La vision que Dr. Fate lui avait montré, ou plutôt la plus traumatisante des trois, était encore douloureusement vivace dans ses souvenirs. La semaine qui avait suivi, Wonder Girl avait été incapable de fermer l’œil sans revoir, sans ressentir à nouveau tout ce qu’elle avait vécu dans cette prémonition. C’était comme d’avoir un souvenir qui ne lui appartenait pas. Une réminiscence qu’elle savait fausse, mais qui persistait à lui serrer douloureusement le cœur. Tomber devant le cadavre de Timothy avait fêlé son assurance naturelle, au moins pendant un temps. Elle avait été rassurée de le retrouver par la suite au Mont Justice – et lui n’avait jamais su pourquoi elle le regardait avec autant d’attention ce jour-là.
« Ce n’est que partie remise, tu vas trouver une solution. Robin trouve toujours une solution. » Ce n’était pas pour rien qu’il avait été le leader de successivement les Teens Titans et la Young Justice. L’enseignement de Bruce et d’autres mentors, couplé à son intelligence supérieure à la normale rendait probablement Tim capable de déjouer à peu près n’importe quoi. N’importe qui. Et parfaitement apte à remarquer qu’elle n’était pas dans son assiette. « J’ai pas de jupe, » répliqua immédiatement Cassandra en décroisant les jambes, posant cette fois le carnet sur sa table de chevet pour rejoindre Red Robin, piochant un gâteau en mordant rapidement dedans pour se donner le temps de la réflexion. Elle avait cherché le moyen de lui avouer la vérité depuis longtemps et ce soir, il lui tendait visiblement la perche. Elle chassa les miettes qui s’étaient attardées sur ses lèvres du bout des doigts, lui faisant signe de la tête de s’installer pendant qu’elle refermait la porte derrière lui. Ce n’était pas le genre de conversation qui devait tomber dans les oreilles des autres, même si à la fin ils auraient eu aussi le droit de savoir. « Mais on peut dire que ça va. Je suis désolée si j’étais un peu difficile à cerner ces dernières semaines. » Il y avait tellement à dire. Tellement qu’elle n’était pas certaine de savoir par quel morceau commencer. Ses prunelles s’accrochèrent aux siennes. « Je pense que tu devrais t’asseoir. » Il cilla et elle insista. « Je t’assure. » Cassie prit l’assiette de ses mains – absolument pas pour en profiter et dévorer un deuxième gâteau – prenant place aux côtés de Tim sur son lit défait.
« … » Fallait-il qu’elle lui dise tout de go la vérité ? « Euh. Mmh. » Elle n’avait plus le choix de toute façon. « Panique pas. » La phrase à ne pas dire. « Enfin, je veux dire que ça ne va rien changer, je… » Cassandra posa l’assiette sur la couverture, reprenant rapidement : « Oh par les Dieux. Timothy. Il n’y a pas trente-six façons de te le dire. » Elle glissa ses mèches blondes derrière ses oreilles, posant très brièvement les yeux sur le carnet derrière lui, revenant ensuite sur son visage. Cette fois, quand leurs iris se croisèrent, elle ne détourna pas les yeux. « J’ai appris par Diana que j’étais… Je suis la fille d’un Dieu grec. » Bien. C’était déjà bien. Elle s’arrêta aussi brusquement qu’elle avait lâché l’information, guettant la réaction sur les traits de Tim. Osant finalement un sourire, elle continua sur un ton qui se voulait plaisantin : « Tu veux essayer de deviner lequel… ? »
Tes alliés avaient cette force, cette énergie en eux qui te permettait de continuer. Pas après pas. T'as toujours été comme ça. Tu comptes sur les autres, et la réciproque n'a jamais été plus vraie. Leurs efforts te semblent les tiens. Leurs douleurs se font intrinsèques à ton corps. Vous êtes des héros, et vous partagez un lien plus fort que beaucoup, non à cause de ces choses fascinantes que vous faites, mais par ce mélange de valeurs que vous apportez. Et, peut-être grâce à ce lien fort, t'as de suite senti une tension dans l'air. Un faux-semblant dans ce sourire pourtant sincère. Une lueur dans la fissure d'un masque. Merde, t'en manque un battement. T'espères rien de grave, et tu te mets en mode blague activé, histoire d'essayer de la faire rire. Cassie a toujours été un bon public. T'aimes bien entendre ses rires devant tes boutades un peu bêtes. Même si ces derniers temps, l'Amazone jetait des coups d'oeil étranges. A croire qu'elle avait un sujet d'inquiétude. Au final, t'étais là pour ça - pour parler, à coeur ouvert. Parce que, même si ton propre coeur saignait à s'y noyer, tu n'as pas à pleurer. Ce n'est pas c que Bruce aurait voulu. Tu ravales une bouffée de chagrin, et tu souris à Cassie. Sa simple présence fait naître, se diffuser le calme en toi. Sa confiance en toi te fait presque rougir. « Tu me surestimes peut-être un peu. » T'arrives pas à la cheville de Bruce. Le meilleur détective du monde. Il est ta jauge, à laquelle tu mesures ton grain, comme on dit.
T'éclates d'un rire bête, quand elle rétorque, et tu répliques rapidement un « Et c'est bien dommage » avant de prendre un air innocent. L'éclair du carnet qui se meut attire ton oeil. Qu'était-elle en train d'y écrire, d'y poser au gris de son crayon ? Curiosité que tu musèles afin de te concentrer sur elle. Sa petite forme forme une alerte en toi. Elle, habituellement si vive, te semble éteinte. Ou distante. Tu balayes ses excuses d'un geste qui signifie qu'elle n'a pas à demander pardon ; chacun vit comme il le veut. Mais tu ne peux nier que ces dernières semaines on été difficiles pour tout le monde. C'est justement pour cela que vous devez vous serrer les coudes, tous. Tu veux dire quelque chose, mais l'étincelle dans ses yeux, quand vos prunelles s'entrechoquent en silence, te fais taire. Elle a besoin de parler, c'est évident. Alors tu obéis, tu suis le mouvement, tu poses ton fessier. Merde, elle est malade ? Elle est enceinte ? Dans les films ou les romans, c'est toujours des trucs graves qu'on annonce uniquement assis. L'inquiétude fait écho à celle de Cassie, en toi, au point que tu fronces tes sourcils, la respiration un peu plus hachée.
La blonde a les mots coincés, dans sa gorge palpitant sous l'afflux de son sang. Mais tu ne dis rien. Le silence est la meilleure des invites aux confidences. Tu te contentes d'être là, d'être présent, et ton visage reflète tout ton amitié pour elle. Tu te retiens de lui prendre la main. Quoi qu'elle traverse, quoi qu'elle vive, tu seras là pour elle, c'est aussi simple. Comme respirer. Instinctif. Les onomatopées traversent le silence, et tu hausses un sourcil. Tu peux pas t'empêcher d'être un brin amusé par sa maladresse. L'assiette lointaine est oubliée, les friandises n'attirent plus ton estomac. Tu n'as d'yeux que pour elle, attentif. Vos yeux se heurtent à nouveau, et un frisson se forme sur ton échine, quand les mots glissent jusqu'à toi de sa voix aux accents si féminines et si forts.
Je suis la fille d’un Dieu grec.
Quelques secondes de silence, puis sa tentative de dédramatiser te fais réagir au quart de tour. Les mots franchissent tes lèvres avec ce ton taquin qui te colle si bien. « Héphaïstos. » Le dieu laid, bossu, qui travaillait le métal, si doué avec les armes et le feu. Tu prends une tête malicieuse. Puis tu lèves les mains en l'air, paumes vers Cassie, comme un voleur prit la main dans le sac signe sa rédition. « Je plaisante, je plaisante ! Dis-moi.» Ton esprit carbure, à douze cent à l'heure. Cassie. Une demi-déesse. Tu te redresse un peu, cligne des yeux. Tu fais face à un être dont la puissance équivaut à des dizaines d'humains. Pourtant, elle ne change pas. Pas de corne de licorne, de sabots, de fourrure ou d'éclairs. Juste Cassie. « Mais c'est cool, ça ! Une demi-déesse. Sérieux, je suis sensé te faire fabriquer un autel, ou dire nom de Cassie ? Oh, oh ! Laisse moi jurer par ton nom maintenant ! Nom de Cassie ! Ou tiens, je ferais des courbettes quand tu entreras dans les pièces. » T'as des rires bêtes aux lèvres. Tu bavardes comme une pie, puis ta bonne humeur se fait gravité.
« Bon, demi-déesse ou nom, tu restes avec nous, non ? Tu es toujours Cassandra. Cela ne change rien à ce que tu as traversé, ce que tu as pu faire de bien. » Mais tu comprends. Ce brusque sursaut dans son univers doit la chambouler. Alors, cette fois t'hésites pas. Tu prends sa main et tu serres doucement ses doigts. Elle est toujours ta Cassandra.
Il y eut comme un moment de flottement lorsqu’elle posa sa question, une seconde ou deux avant que l’information ne fasse son chemin dans le cerveau toujours surtension du justicier et qu’il ne comprenne où elle voulait en venir. Fille d’un Dieu. Grec ou non, cela restait le genre de nouvelle à couper des jambes. Elle ne se sentait pas réellement divine depuis que Diana lui avait dévoilé ça, à dire vrai elle se sentait tout juste assez perturbée pour que cela la hante un peu plus chaque jour. Cassandra en avait parlé avec Steve, le jour même, ce qui l’avait clairement aidée par la suite. Le reste n’avait été qu’assimilation personnelle, un délai nécessaire pour qu’elle envisage de partager cette vérité avec d’autres. Timothy, d’abord, parce que c’était la moindre des choses. Il se devait de savoir avec qui il travaillait, même s’il ne réalisait pas immédiatement le danger potentiel qu’elle représentait. Elle lui proposa de deviner, essayant de dédramatiser la situation et, presqu’aussitôt, sa réponse fusa. Héphaïstos. Elle aurait probablement préféré – mais pour le jeu, elle le foudroya du regard avec un sourire, poussant sa jambe du bout du pied. « Non, tu dois deviner, » répliqua-t-elle à la suite, secouant simplement la tête. « Et puis pourquoi pas Apollon, hm ? Je ne rayonne pas assez ? » L’humour lui venait facilement auprès de Tim, même s’il fallait avouer que trois semaines plus tôt elle en aurait bien été incapable malgré toute la meilleure volonté du monde.
Il posait sur elle un regard un peu différent, contemplatif sans doute, étonné. Cassie pouvait presque deviner les rouages s’enclencher dans son crâne avec le bruit d’une locomotive lancée à vive allure. Il avait finalement moins de mal qu’elle à assimiler l’information. Et alors qu’elle finissait d’une bouchée le deuxième gâteau, elle manqua de s’étouffer devant ses exclamations. « Non ! Pas d’autel, et surtout pas de courbettes ! » Elle avait répondu vivement, secouant la tête de gauche à droite avec la crainte qu’il ne le fasse réellement. On ne savait jamais avec Timothy… Il était bien moins impulsif que Kyle, mais cela ne le rendait pas moins espiègle pour autant. « Espèce d’idiot, va, » marmonna la jeune femme en fronçant des sourcils, bougonnant pratiquement devant la légèreté dont il fait preuve. Elle pinçait les lèvres, mais dans le fond sa réaction était exactement celle qui lui fallait pour respirer. Il ne prenait pas peur, il ne l’observait pas avec des yeux compatissants ou prudents. Il était le même. Et elle restait la même. Vraiment, la même ?
Comme s’il saisissait son doute au vol, il tendit sa main pour prendre la sienne, cherchant à lui apporter un réconfort qui lui arracha un soupir. « Evidemment que je reste, » souffla Cassandra en posant les yeux sur leurs dextres connectées. Ses doigts s’enroulèrent machinalement autour de son poignet et elle se concentra sur son pouls qui battait sous sa peau. Un peu plus rapide que la normale, régulier malgré tout. Il était sincèrement excité par la nouvelle, à des lieux du trouble qu’elle avait pu ressentir quand Diana lui avait avoué le secret qui l’entourait. « Mais… » Le voilà, le mot que tout le monde finissait par redouter. Celui qui signifiait que quelque chose changeait quand même. « Comment est-ce que tu peux être certain de ça ? » A nouveau, elle remua le menton en signe d’incompréhension. « Comment est-ce que tu peux… réagir aussi bien ? Est-ce que tu te rends compte de ce que ça signifie ? » Est-ce qu’elle-même se rendait compte ? Diana avait été incapable de prédire jusqu’à quel point les gènes de Zeus lui étaient transmis. Visiblement Cassie ne possédait pas son contrôle sur la foudre, cependant elle était déjà bien plus forte que n’importe qui. N’importe quel humain, en tout cas. Il lui faudrait probablement débuter un nouveau type d’entraînement auprès de Wonder Woman ou des Amazones pour jauger ses capacités. Elle ne pouvait décemment pas le faire seule, comme elle l’avait prouvé un mois plus tôt quand Garth avait été obligé de la repêcher en urgence.
La jeune femme se laissa doucement tomber en arrière, sur le dos, fixant le plafond avec la douloureuse impression que cet aveu n’était finalement que le début d’une longue conversation. « Je suis désolée, c’est juste que… » Elle leva légèrement la main, celle qui tenait encore prisonniers les doigts de Tim, à hauteur de ses yeux. « J’y ai pas mal réfléchi et je n’en suis pas si sûre. Diana dit la même chose que toi, que ce n’est pas réellement important, que je suis arrivée jusqu’ici sans lui, mais… » Une pause. « On est tous le reflet de nos parents, d’une façon ou d’une autre, non ? » Qu’ils soient des géniteurs ou des tuteurs, les parents laissaient une marque indélébile. Il était sans doute maladroit de sa part de le mentionner devant Timothy, qui bataillait présentement sur deux fronts, mais elle savait qu’elle pouvait se reposer sur lui. Et pour une fois, elle le faisait volontairement, abaissant ses défenses pour murmurer quelques confidences. « Alors, tu devines ? » reprit-elle après un bref silence, ses lèvres se soulevant dans un sourire tandis qu’elle relâchait sa dextre pour le pousser gentiment.
Flottement. Tu ne te serais jamais douté. Ou peut-être que si, au fond ? Chaque source de pouvoir avait son origine. Peut-être y avais-tu déjà songé, involontairement. Et c'était une preuve de confiance sans limite qu'elle montrait là. Elle aurait pu garder ses origines divines pour elle, et cela n'aurait rien changé. Mais Cassandra était ainsi, et ton estime d'elle n'en flamboya que plus, dans une lueur fière dans tes prunelles. « Appolon, à mon sens, t'aurait légué sa nature artistique, et c'est un dieu de la guérison, de la lumière. Je ne dis pas que tu ne rayonnes pas. Mais tu me sembles trop guerrière, trop flamboyante pour avoir Apollon comme géniteur. » Tu hausses de nouveau les épaules. T'avais pas vraiment eu l'intention de changer ton comportement avec Cassandra. Si t'apprenais que Wally était le roi d'un royaume lointain, cela ne changerait pas ta façon de le voir. Tu appréciais Cassandra pour ce qu'elle était, qui elle était. Pas pour ses origines, pour sa force, pour ses pouvoirs.
« Pas d'autel, je note, je note.» T'as un sourire mâtin, de chat avec les moustaches dans le bol de lait. Mais peut-être te montrais-tu trop facétieux ; Cassandra semblait réellement inquiète, pensive à tous ces propos. Tu ne voulais pas qu'elle se fasse un sang d'encre. Peut-être est-ce pour cette raison que tu prononces ces mots, entre douceur et fermeté. Il faut qu'elle soit convaincue, car tu ne fais que dire la vérité. Tu la sens là, présente, chaude, et pensive. Par réflexe, tes doigts ont un sursaut, se serrent contre elle, pour dire je suis là. Le mot flotte entre vous, coupant comme du verre brisé. Tu manques te hérisser, mais tu t'immobilises plutôt, concentré et un instant apeuré qu'elle n'enchaîne sur une information négative. Ses questions te font retrouver ton souffle. Tu n'as pas lâché son visage de tes grands yeux sombres. Tu oublies même de cligner de tes paupières aux longs cils. Tu comprends que cela signifie qu'elle ne sait plus qui elle est. Qu'elle se remet en questions, que toute son existence est mise sur le tapis. Mais tu es là, pour former la stabilité de son univers. Tu vas essayer, en tout cas.
« Je ne sais pas ce que tu vis. Je ne suis pas fils d'un dieu grec. Mais je sais que tu es Cassandra. Et que nous sommes amis. Rien ne changera cela. C'est le socle stable de nos univers. Notre lien, notre connexion. » Tu la laisses se pencher sur ces réponses, comprendre, être traversée par ta franchise. Tu ne vois pas de changement en elle, hormis son inquiétude et le souci qui creuse son visage, y répandant une gravité inhabituelle. Puis, dans un froufroutement de tissu, elle se laisse aller en arrière et tu suis le mouvement, allongé sur le côté, le menton sur la paume de ton bras. Tu l'observes, calmement, la couvant du regard, protecteur. Tu regardes vos mains encore enlacées, les oreilles tendues vers les paroles qui montent entre vous. « Je ne pense pas. Je suis certain que tes moindres choix jusqu'ici ont été fait en ton âme et conscience. Que viens faire ton géniteur ici ? Tu n'es le reflet de personne. Tu n'es la copie de personne. Tu es Cassandra, Wonder Girl, au sang qui charrie du divin. Mais rien de tout cela ne change que tu es mon amie, un membre estimé de la Young Justice, et celle qui rit le plus facilement à mes blagues. » Petit sourire. Tu voudrais qu'elle puisse se voir à travers tes yeux. « Diana a raison. Tu n'es pas devenue une paria du jour au lendemain, ni une déesse, navré de te le dire. Cassie, tu es et tu restes Cassie. Tu es ce que tu veux être. Mais c'est à toi de le choisir. A nul autre que toi. »
Tu avales ta salive, ferme les yeux. Tu songes vaguement à Bruce, à ton père réel sorti du coma. Mais tu repousses tout cela, et te contentes de répondre à la question. « Zeus.» Et tu sais que tu as raison. C'est logique, naturel et normal, à la seconde où elle te l'a dit.
A défaut d’être miraculeux, les mots de Timothy étaient apaisants. Elle y trouva sur l’instant un réconfort qu’elle savait salutaire, un appui dans ce monde qui n’avait cessé de tourner sur lui-même depuis l’arrivée du Syndicat. La force d’espérer que Diana avait raison, que rien ne changeait réellement. Zeus avait beau être son père, elle restait Cassie. C’était tout du moins l’idée première. Un fondamental qu’elle craignait de perdre entre ses propres questionnements et qu’il venait de lui souffler, avec une sincérité difficile à remettre en doute. Elle avait pourtant envie de lui demander ce qu’il en savait, dans le fond, pourquoi se montrait-il aussi certain dans ses propos ? Il avait beau être le plus intelligent des deux, cela elle le lui accordait sans mal, il ne pouvait pas savoir de quoi était fait l’avenir. Pas plus qu’elle. Mais sa sœur avait la même confiance en elle, comme si malgré leurs immenses différences, Cassandra était toute aussi apte à devenir une héroïne qu’à se retrouver héritière de pouvoirs potentiellement destructeurs. Héritière d’une famille dystopique, de gènes divins, ainsi que d’une fâcheuse tendance à la mégalomanie. « Bingo, » dit-elle doucement quand il donna la bonne réponse. Elle guetta dans ses yeux la moindre lueur surprise, inquiète, mais rien ne vint. Il restait lui.
« Et je ne ris pas à tes blagues, je souffle avec exagération. Parce qu’elles sont nulles. » Un sourire étira légèrement ses lèvres. Ce n’était pas vrai, néanmoins cela lui servait de distraction temporaire. Elle appréciait l’humour parfois maladroit dont il faisait preuve, sachant dans la finalité qu’il était toujours sérieux lorsqu’il le fallait. Et puis il avait bien le droit de faire des jeux de mots bancals ou des plaisanteries vaseuses, puisqu’il avait sur les épaules un poids dont elle n’aurait souhaité pour rien au monde. Ils avaient le même âge, cependant Timothy semblait plus assuré dans son rôle de leader qu’elle ne le serait jamais à sa place. Chez lui, c’était presque naturel. Cassie comprenait que Koriand’r ait recherché ses conseils l’autre jour, parce qu’elle avait appris à se reposer sur lui avec le temps. Elle ne faisait pas confiance les yeux fermés, encore moins lorsqu’il s’agissait de travailler sur le terrain avec quelqu’un, mais le courant était rapidement passé entre eux. La justicière des rues et le protégé de Batman. « Ceci dit, un jour, il faudra que tu m’expliques comment tu fais… » Elle tapota son front de l’index. « Comment ça fonctionne là-dedans pour que tu donnes l’impression que tout est simple. C’est à toi de choisir, » imita la jeune femme avec peu de talent, mais un sourire tendre. « Comme s’il suffisait d’appuyer sur un bouton. » Peut-être qu’il avait raison sur ce point aussi. Peut-être que quelque part, il existait ce bouton mystérieux qui pourrait la faire arrêter de douter sur ses choix et ses convictions.
Elle se redressa sur ses coudes, pivotant sur le côté pour lui faire face. « Mais au fait, tu venais simplement pour partager des gâteaux ou pour que je te donne une tape sur l’épaule en réconfort ? » Ce n’était pas la première fois qu’il échouait, seulement elle le savait capable de réussir à la fin. Cassandra avait parfaitement confiance en ses capacités. Ce n’était qu’un contre-temps, rien de plus. « Tu sais qu’à ce rythme, il ne te restera plus que des miettes… » Pour appuyer ses dires, elle attrapa une nouvelle tartelette au citron en la portant à ses lèvres. Derrière Tim patientait son livre à croquis, dans lesquels elle avait également couché sur papier ses visions de l’Olympe lors de son voyage avec Diana. Encore quelque chose qu’elle aurait aimé partager avec quelqu’un d’autre, quelque chose qui n’avait pas été que ravissement. Mais ils avaient le temps de parler. Et si ce n’était pas pour ce soir, elle savait qu’il se tiendrait toujours à l’écoute pour elle. Avec un rire espiègle, Cassie tira l’assiette vers elle.
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