fight fire with hellfire (ZATANNA & JOHN)

Rosie regarde une dernière fois l'adresse enregistrée sur son téléphone après le dernier message de Zatanna, et monte dans le taxi qu'elle a appelé. Gotham n'est pas une ville qu'elle apprécie, elle ne s'y rend que lorsque c'est absolument nécessaire. Si certains sont attachés à l'âme de cette ville, elle sait qu'elle ne supporterait pas d'y vivre. Elle la trouve lugubre, voire presque malsaine, viciée jusqu'à la moelle par les criminels qui y grouillent et s'y multiplient. Rien d'étonnant à ce que Rosie s'y sente mal à l'aise, Gotham est aux antipodes de ce qu'elle apprécie ou se contente de tolérer. Mais puisque c'est en enfer qu'elle compte se rendre, alors la ville du crime est sans le moindre doute la porte d'entrée idéale. Aussitôt de retour dans la réalité conforme à ses souvenirs, Rosie avait su qu'elle devrait faire tout ce qui était en son pouvoir pour secourir John. Parce que Lucian lui avait promis qu'ils ne l'abandonneraient pas à son sort lugubre, parce qu'aucun homme ne mérite la damnation éternelle, parce qu'il les a aidés à sauver le monde... Et surtout, parce qu'il est le seul semblant de famille qu'il lui reste. C'est toujours étrange de penser John Constantine comme un membre de sa famille mais c'est bien ce qu'il est, peu importent les dizaines de générations et de lignées les séparant. Quand il s'agit de magie, tout est plus complexe et les relations familiales n'échappent pas à la règle. Mais malgré toute sa bonne volonté, Rosie a conscience de ne pas être de taille à lutter seule contre l'enfer et les démons qui l'habitent. Kent demeurant introuvable, c'est à Zatanna et elle qu'il incombe d'aller secourir John – qui appréciera certainement beaucoup le rôle de damoiseau en détresse. Déterminée à mettre un terme à son calvaire aussi vite que possible, Rosie s'est donc rendue à l'adresse que Zatanna lui a donné afin qu'elles puissent organiser le très probablement houleux sauvetage de John Constantine. Arrivée à sa destination, elle hésite quelques secondes avant de se décider à aller frapper à la porte du manoir des Zatara. Le concept du manoir familial la dépasse un peu, elle qui ne se souvient même plus de la maison de son enfance, alors un bâtiment qui se transmet de génération en génération... Elle prend une profonde inspiration en attendant que Zatanna vienne lui ouvrir, les bras croisés sous sa poitrine en une vaine tentative de dissimuler sa nervosité. Après tout, pourquoi ne serait-elle pas nerveuse ? Elle s'apprête littéralement à se jeter dans les flammes de l'enfer avec la sorcière la plus puissante qu'elle connaisse pour aller sauver l'âme la plus damnée de la planète. Même en ayant un plan A, B et avec toutes les lettres de l'alphabet, elle n'est pas certaine que tout se déroule pour le mieux, le contraire serait même étonnant. C'est de John qu'il s'agit... Perdue dans ses pensées, Rosie manque de sursauter quand Zatanna ouvre la porte. Elle affiche un sourire qu'elle espère chaleureux, heureuse de constater que la jeune femme semble bien se porter. Ce n'est peut-être qu'une illusion mais au moins elle semble entière, ce qui n'est pas le privilège de tous. « Bonjour, Zatanna. » Ce ne sont pas les retrouvailles que Rosie espérait après leur séjour en Islande, mais c'est de cela dont elles vont devoir se contenter. L'histoire n'est pas encore tout à fait terminée, il leur reste encore un chapitre à écrire. Le plus important, celui qui raconte la fin. Ne souhaitant pas tourner autour du pot quant à la raison de sa présence à Gotham, Rosie se lance. « J'ai l'intention d'aller en enfer pour sauver John. Pour sauver son âme et le ressusciter ensuite, je suppose. Je ne suis pas encore certaine de ma tactique... Mais j'ai besoin d'aide, je ne suis pas de taille à affronter l'enfer seule. Je ne connais pas John depuis très longtemps, mais j'ai bien compris que les trois-quarts des créatures démoniaques voulaient un morceau de son âme. » Rosie grimace en songeant que peut-être, il s'agira d'en récupérer tous les fragments comme un puzzle à assembler. Cette perspective, aussi hypothétique qu'elle soit, ne l'enchante guère. « J'ai besoin de votre aide, Zatanna. Vous connaissez John et son univers mieux que moi, et si je ne veux pas vous forcer à faire quoi que ce soit, ma conscience ne me permet pas de le laisser là où il est... » Et elle est certaine que Zatanna non plus, sans avoir à lire dans son esprit pour cela. Certaines choses sont simplement évidentes.

Fight fire with hellfire

Le bip de son téléphone la réveilla en sursaut. Elle s’en empara avidement. Un sms de Chas. Comme s’il avait su depuis l’autre côté de la planète qu’elle faisait un cauchemar. « Tu vas bien ? » C’était tout, comme tous les jours. Il fallait qu’elle l’appelle, pour de vrai, pour lui parler. Depuis qu'elle lui avait annoncé la nouvelle – elle avait eu l'impression qu'il le savait déjà, quand elle lui avait tout raconté –, ils étaient en contact, et elle savait que lui aussi faisait tout ce qu'il pouvait pour sortir son meilleur ami de sa prison infernale. Zee roula sur les couvertures froissées du lit et aurait bien roulé ainsi jusqu’à sa douche. Malgré l'eau brûlante, un coup d’œil au miroir la renseigna sur son état. Elle commençait à comprendre pourquoi John avait toujours cette tête. À force de boire et de mener des rituels débiles… « eugitaF, siarapsid, egalliuqam, siarappa ! » Plus jamais, comme on disait après une gueule de bois – mais elle comptait s’y tenir, cette fois. Cette magie était trop dégoûtante.

Elle en avait essayé, des choses, avant d’en arriver là. Elle avait commencé par s’apitoyer sur son sort – classic Zee. Avait erré dans la Maison silencieuse en buvant les bouteilles de John, en l’insultant, en l’appelant, en se disant que c’était mieux ainsi, des fois. Il avait sauvé le monde. Youhou. Et le monde s’en foutait. N’en avait même pas idée. À part Rosalie. Elle avait rêvé de Rosalie. Plus souvent que de lui, au bout de quelques jours. Alors elle s’était secouée, avait fouillé la baraque, les livres, les artefacts, la pièce cachée où il gardait toutes les atrocités du monde – pourquoi, hein, pourquoi, pour les regarder le soir en buvant un scotch et en riant comme un méchant ? Elle avait appelé tous les sorciers de sa connaissance et même ceux de la connaissance du grand Constantine, dont beaucoup lui avait raccroché au nez. Jason l’avait gentiment renvoyée sur les roses – il avait raison, mille fois raison, et il pensait sûrement qu’elle s’en tiendrait là. Elle avait mené plusieurs rituels pour tenter d’entrer en contact avec des créatures mineures, les commères des enfers, ses bras en portaient les cicatrices partout où la lame avait mordu sa chair. Personne ne voulait aider. Personne ne savait rien. Toute seule, elle ne pouvait pas ouvrir les portes des enfers. Mais, comme on dit, si on ne peut pas entrer par la porte, il faut passer par la fenêtre. Cela faisait trois jours qu’elle avait invoqué Nebiros, cependant, et depuis, à part la réveiller en pleine nuit pour l’ennuyer avec des cauchemars hallucinatoires, il ne lui avait servi à rien, et encore, elle n'était même pas sûre que ce soit lui le coupable. Bien sûr qu’il ne tiendrait pas sa promesse. C’était ce qui s’appelait une grosse connerie. Mais c’était fait. L’étoile à sept branches gravée sur sa peau à la naissance de sa gorge était là pour le prouver. Un jour, une par une, les branches disparaîtraient. C’était juste un moyen de lui faire bouffer les pissenlits par la racine plus tôt. Il n’aurait pas le plaisir de la voir en enfer, elle s’en était assurée – en tout cas si elle y allait un jour, ce ne serait pas à cause de ça. Elle était désespéré, pas stupide. Elle effleura le tatouage et se demanda si ceux que John portait étaient également la trace de ses promesses à tenir. Elle connaissait par cœur ces lignes et ces déliés pour les avoir cent fois suivis suivies du doigt, avant, mais les années avaient passé et elle ne doutait pas qu’il en avait eu d’autres depuis.

Des coups frappés à la porte. Les mains de Zee tremblèrent. Rosalie. Elle n’avait pas eu le courage de la contacter. Elle avait trop honte, ne se pensait pas capable de pouvoir la regarder en face. Mais les signes étaient là – sa propre magie, qu’elle avait refusé d’écouter pour mieux enchaîner les décisions stupides, lui hurlait depuis le début que Rosie était la clé. Une minute plus tard, elle ouvrait la porte, et elle était là. Rosie, debout devant elle, dans un contexte qui aurait pu être normal – une ville, une rue, une maison. Pas de cris, pas de caverne, pas de drames. Juste Rosie, qui prononçait enfin les mots qu’elle voulait entendre, qu’elle avait tenté d’arracher à tant de personnes en vain. Comme elle avait été bête de ne pas aller la voir. À peine Rosie avait-elle prononcé son dernier mot que Zee s’avança pour la serrer dans ses bras. « Viens avec moi. » Autant passer au tutoiement. Zee ne prenait même pas la peine d’y réfléchir. Elles allaient le faire. Et elles sortiraient de cette histoire transformées, alors autant laisser tomber la politesse. Elle fit entrer Rosie dans le hall du manoir, ce manoir vide, sombre et glacial, vidé depuis si longtemps de la présence de son père. « Je suis désolée Rosalie. J’aurais dû venir te trouver. » Sans lâcher la poignée de la porte, elle prononça une formule, puis rouvrit le battant et fit signe à la sorcière scandinave de passer devant. Mais au lieu de sortir dans la rue, elles se retrouvèrent dans le salon de la Maison des mystères, avec son vieux parquet, ses bibliothèques poussiéreuses, sa cheminée où ronflait un feu permanent, et ses tas de livres anciens, de rouleaux et de manuscrits éparpillés par terre, tous parlant des enfers, de goétie et de démons. Elle referma la porte derrière elle, les enfermant dans la Maison, et dans la dimension qui l’abritait. « Bien sûr que je viens avec toi. Toutes les deux, on a déjà réussi à sortir d’un enfer une fois. On va bien arriver à y entrer, de force. » Même si les choses n’étaient pas tout à fait les mêmes… Et pour commencer, son lien avec John était coupé – ce vide dans son âme, une seconde fois, plus glacial encore. « Il n'y a que des mauvais moyens d'y aller...» Des rituels longs et coûteux. Demander à un démon de les y emmener – mais le seul qui aurait fait ça gratuitement pour elles avait déjà refusé. Ou simplement passer par la porte et passer la sécurité. Et refaire la même promesse à Charon que celle que John avait faite en Islande ? Aucun intérêt. « Mais avec toi, à nous deux, on peut faire mieux que cela. Avec nos puissances réunies, je peux nous y emmener moi-même. » Elle l’avait déjà fait une fois, accompagnée. Seule, elle n’aurait pas pu maîtriser assez la logomancie pour commettre une folie pareille sans s’envoyer dans les Limbes ou ailleurs, mais elle connaissait désormais le potentiel de puissance de la jeune sorcière. Mais l’enfer, eh bien… y aller, c’était suicidaire. « Est-ce que Lucian… » De quel droit ? De quel droit pouvait-elle poser cette question ? Lucian savait-il ce que Rosie s’apprêtait à faire ? Elle songea aussi que John la détesterait pour accepter d’entraîner Rosalie en enfer. Mais tout cela ne suffisait pas à la faire changer d’avis. Sans Rosie, elle ne pouvait rien faire. Donc elle devait faire ça avec Rosie, et les conséquences… on verrait après. Elle se détesta une seconde, et se dit que finalement, ils avaient plus en commun que ce qu’elle croyait, elle et lui.

Codage par Libella sur Graphiorum

La détresse de Zatanna est flagrante. Elle saute aux yeux, et même sans cet handicapant don d'empathie, Rosie aurait été incapable de l'ignorer, elle même marquée par la mort de John. Son sacrifice hante ses nuits et peuple ses cauchemars, alors elle ose à peine imaginer ce que peut ressentir Zatanna. Elle ne prétend pas comprendre la relation de toute évidence complexe qui l'unit au magicien, mais son traumatisme est évident. Rosie est donc confortée dans son idée, venir jusqu'à Gotham pour lui demander de l'aider à aller secourir John était la bonne chose à faire – la seule chose à faire. Un sourire triste sur les lèvres, la jeune femme entre dans le manoir et un frisson la traverse quand Zatanna referme la porte derrière elles. « Non, je t'en prie, ne t'excuse pas. Tout est si... compliqué. » C'est un euphémisme. Les choses n'ont jamais été aussi difficiles, et si Lucian n'avait pas été là pour lui maintenir la tête hors de l'eau, Rosie se serait noyée. En d'autres circonstances, elle aurait été stupéfaite de passer du hall du manoir des Zatara au salon de la Maison des Mystères en franchissant la même porte, mais après l'Islande elle est comme anesthésiée, plus rien ne la choque ou ne l'étonne. Malgré la puissante énergie mystique qui habite l'endroit, Rosie est d'abord attirée par la multitude d'ouvrages éparpillés un peu partout. Quelques coups d'œil lui suffisent pour qu'elle comprenne que Zatanna n'est pas restée dans l'inaction, elle a elle aussi cherché le moyen de sauver John des enfers. Mais si elle l'avait trouvé, elle ne serait sans doute pas aussi dépitée. Rosie soupire doucement, songeant qu'ils ont hélas dû utiliser tous les miracles disponibles pour sauver le monde du Déluge. « Rien n'est jamais facile avec John, pourquoi son sauvetage serait-il différent du reste ? » Rosie ignore s'il s'agit là d'une piètre tentative d'humour ou d'une triste vérité. Zatanna a raison, se rendre en enfer ne sera pas une mince affaire. Et comme si y entrer n'était pas suffisamment compliqué, en ressortir le serait davantage encore. « Je ne sais pas quel genre de magie tu comptais utiliser pour te rendre en enfer, mais j'ai peut-être une alternative... » Une alternative qui lui coûterait beaucoup, mais elle ne pense pas être à un sacrifice de plus ou de moins. Et puis, quel genre de personne serait-elle si elle laissait John croupir dans l'au-delà après qu'il se soit sacrifié pour sauver le monde, mais surtout pour les sauver elles ? Le malaise de Zatanna est palpable, alors Rosie se rapproche d'elle et pose ses mains sur ses épaules pour la rassurer, sans oublier de s'envelopper d'un fin champ de force pour éviter que ce contact ne déclenche chez elle une vision néfaste. À moins qu'il ne soit plus sûr de voir l'avenir, cette fois-ci ? Afin qu'elles puissent savoir à quoi s'attendre, au moins un tout petit peu. « Lucian sait que je suis ici, Zatanna. Il m'a même encouragée à venir. Me savoir sur le point de me rendre en enfer pour sauver John Constantine ne l'enchante pas, je mentirais en affirmant le contraire. Mais il me connaît, il sait que je ne pouvais pas rester chez nous les bras croisés, ma conscience ne me le permettrait pas. S'il avait pu nous aider, il l'aurait fait. C'est un soldat, le genre qui n'accepte de laisser aucun homme derrière lui. » S'il ne la soutenait pas, Rosie ne serait là. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'il était complètement rassuré, le voyage promettant d'être dangereux et semé d’embûches, mais elles avaient toutes les deux son soutien et sa bénédiction. Rosie s'écarte de quelques pas et sort de son sac le grimoire des Völur qu'elle va poser sur un coin de table libre, en n'oubliant pas de dire à Zatanna qu'il ne faut surtout pas qu'elle le touche, l'ouvrage étant destiné à n'être manié que par les descendants de sa lignée. Elle feuillette l'ouvrage pendant quelques secondes jusqu'à tomber sur la double-page qui contient de précieuses informations. « Je ne maîtrise pas la magie depuis aussi longtemps que toi, mais je crois que tu as tort sur un point... Il n'existe pas que des mauvais moyens d'aller en enfer. » Rosie désigne un paragraphe sur la page droite, sans savoir si Zatanna sera capable de lire et comprendre le Futhark. « Il y a un passage secret, quelque part dans les forêts norvégiennes. Enfin non, ce n'est pas exactement un passage secret, c'est plus un portail entre les mondes... Un portail que les dieux utilisaient pour passer de Midgard à Helheim quand ils n'étaient pas encore tous entassés dans mon esprit. Il existe des portails comme celui là un peu partout sur la planète et sont dissimulés à la vue des mortels. Ils sont une sorte de privilège divin... Auquel j'ai accès. Crois-le ou non, mais les Ases ont apprécié le sacrifice héroïque de Constantine, ils ont accepté de nous aider. » Rosie sait bien que tous ne le feront pas de bonté de cœur, ils espèrent obtenir quelque chose de ce voyage dans les entrailles du monde et elle est leur seul moyen d'y parvenir, puisqu'elle est leur seul moyen de se déplacer. « Je suppose que ce n'est pas à Helheim que l'âme de John est retenue, mais Hela nous guidera jusqu'à lui. Elle est l'une des rares à qui je fasse confiance. » En Islande, la déesse avait prouvé être bien plus généreuse et altruiste que la plupart des dieux et sans elle, ils ne seraient pas parvenus à vaincre Wotan. « J'ignore à quoi m'attendre une fois que nous serons arrivées jusqu'à John, je suppose que les trois-quarts des démons seront occupés à se disputer son âme et très franchement, je ne sais plus à quoi m'attendre avec ma magie... Mais au moins, je peux nous mettre sur la bonne route. Ensuite, je ne sais pas... » Rosie n'est pas aussi familière que Zatanna avec les enfers, Helheim est le seul royaume qu'elle connaisse et c'est loin d'être un endroit aussi terrible que les autres. « Que risquons-nous de trouver, Zatanna ? »

Fight fire with hellfire

Comme c’était étrange de discuter de choses aussi intimes avec quelqu’un qu’elle connaissait à peine… si ce n’est qu’après l’Islande, Zee avait l’impression de connaître Rosalie depuis toujours. Ce qui n’enlevait rien au fait qu’elle savait peu de choses de la jeune sorcière. Puissante, unie à Lucian par quelque chose de bien plus fort que n’importe quel mot qu’on trouvait dans le dictionnaire, et proche de John, d’une façon que Zee n’avait pu identifier, même si à présent, la discussion qu’elle avait eue avec lui peu de temps avant que cette fichue timeline de parte en sucette prenait tout son sens. Elle lui ressemblait, oui, elle pouvait comprendre pourquoi il avait dit ça. Et Zatanna était plutôt contente de voir que pour une fois, John s’était trompé sur toute la ligne. Rosie n’était pas morte à cause de lui. En fait, c’était l’inverse qui s’était produit. Elle se permit de se foutre de lui comme elle l’aurait fait s’il avait été dans la pièce. Tel est pris qui croyait prendre, idiot. Bien sûr, ça pouvait encore arriver, d’une certaine façon, puisque toutes deux s’apprêtaient à aller en enfer pour lui, et aller en enfer ne signifiait pas toujours en revenir, qu’on soit mort ou vivant. Zee n’était pas sûre de pouvoir supporter de perdre Rosie en route, de devoir aller toquer à la porte de Lucian pour lui expliquer ce qui s’était passé… Mais elle se força à chasser ses doutes, puisque Rosie elle-même avait tiré les choses au clair à ce sujet. Un sourire effleura même les lèvres de la magicienne. Elle Ne pouvait pas imaginer, effectivement, que quoique ce soit ou qui que ce soit puisse empêcher la sorcière scandinave de faire ce qu’elle voulait.

Et puis, Rosalie connaissait un chemin sûr pour aller en enfer. Ce qui était, pour Zee, un paradoxe en soi, et la nouvelle, loin de la rassurer, lui arracha un frisson. Elle observa la jeune sorcière feuilleter un livre qu’en d’autres temps, elle aurait été ravie d’approcher et d’étudier, mais ce genre d’objet n’était pas à prendre à la légère et elle resta respectueusement en retrait. Les propos de la jeune femme déclenchaient une tempête d’émotions en elle. Bien sûr qu’Hela les aiderait. N’était-ce pas en partie sa faute ? Et les dieux, qui auraient dû se ficher du sort des hommes qu’ils manipulaient, semblait soudain fort intéressés par le sort de John Constantine. Comme toujours, cet homme s’attirait l’attention des pires créatures. Car oui, pour elle, les dieux étaient les pires, si sûrs de leur omnipotence, si prompts à se détourner de ceux qu’ils manipulaient pour leur propre intérêt. Grâce à Hela, Rosie et elle avaient une chance de sortir John de l’enfer… mais ensuite ? Quel nouveau deal s’apprêtait à être scellé ? Elle avait trop souvent entendu la chanson. Elle adressa un hochement de tête grave à Rosie. « J’ai vu de quoi tu es capable et je te fais confiance. Pas aux Ases, mais à toi, je confie ma vie. Mais je ne suis pas naïve. Tous les chemins menant en enfer sont mauvais, simplement parce qu’ils ont un coût, et je sais que tu auras à le payer d'une façon ou d'une autre, un jour ou un autre. » Et cependant, la magie de Rosie était mille fois préférable à celle que Zee aurait pu utiliser pour les emmener là-bas – logomancie, occultisme, invocations et références répugnantes à des êtres tel qu’Aleister Crowley. La bibliothèque de John débordait des livres de ce monstre. Et donc, elle ne pouvait pas se permettre d’abandonner déjà simplement parce qu’elle s’inquiétait pour Rosie… surtout que Rosie avait été claire : elle allait en enfer, que Lucian le veuille ou pas, et elle irait en enfer, avec ou sans Zee. Et Zee y serait allée aussi… donc autant y aller ensemble.

Et sinon, l’enfer, c’était comment ? Zee y était allée une ou deux fois, toujours accompagnée, et dans un but précis. Elle n’aimait pas s’en rappeler, n’aimait pas non plus l’idée qu’après tout ça, Rosie en ferait probablement des cauchemars toute sa vie, comme tous les autres. « L’enfer, c’est comme un reflet difforme et répugnant du monde des vivants. Quoiqu’il arrive, il ne faudra pas se séparer. Tu sauras. Là-bas, tu te sentiras… différente. Et ta magie sera corrompue. La mienne aussi. On ne se lâche pas, et tout ira bien. » Le plus gros mensonge de toute l’histoire du mensonge. Mais personne dans cette pièce n’était dupe. Elle joignit les mains dans son dos comme pour les empêcher de trembler. « Il faudra te souvenir de qui tu es et de ce que tu es, Rosalie. Et de Lucian. Ce sera très important. L’enfer te fera ressentir les pires émotions possibles, te renverra sans cesse à la figure tes doutes, tes faiblesses et tes traumatismes, sous forme d’hallucinations et d’autres choses. Il faudra lutter contre ça en permanence et te rappeler qui tu es. » Une sorcière qui avait sauvé le monde. Une sorcière qui s’apprêtait à les emmener en enfer. Zee inspira doucement. Quant à savoir ce qu’elles allaient trouver en trouvant John lui-même… Plus tard. Il serait temps, plus tard. « Orchid… Quand nous serons parties, empêche quiconque d’essayer d’accéder à la maison, même les amis. » Sortant de l’ombre, l’esprit hocha la tête doucement, le regard neutre. Zee savait qu’elle n’en pensait pas moins. Mais pas question que Boston ou même Fate ou un de ces vieux magiciens coincés débarquent dans le salon et trouvent la moindre trace que ce qu’elle avait fait ou de ce que Rosie et elle s’apprêtaient à faire. Une grosse connerie. Mais elles allaient le faire quand même, et que les autres, qui n’avaient pas voulu aider, qui s’en fichaient, qui se réjouissaient de savoir John en enfer aillent tous se faire foutre.

Codage par Libella sur Graphiorum

Rien de tel qu'un voyage en enfer pour créer et resserrer des liens. Nul besoin d'être un génie pour comprendre que c'est une très mauvaise idée, mais elles le sont rarement quand John Constantine est concerné. Et quand il s'agit en plus de demander l'aide d'anciens dieux pour aller le secourir... Difficile d'imaginer que tout puisse se passer comme prévu et sans heurts majeurs. Mais elles n'ont pas le choix. Puisque ni l'une ni l'autre ne sont décidées à laisser John entre les mains de démons qui doivent prendre un malin plaisir à le torturer, de tous les maux elles doivent choisir le moindre. Rosie ne doute pas que Zatanna ait raison, tous les chemins qui mènent en enfer sont forcément mauvais. Mais en utilisant ses dons elle sait au moins à quoi s'attendre, même si elle s'attend à ce que ce soit désagréable. « Ne t'en fais pas pour moi. Ces dieux ont besoin de moi autant que j'ai besoin d'eux. Je n'irais pas jusqu'à dire que je leur fais confiance, mais... Je suis leur seul portail sur ce monde. Leur dernier vaisseau. Sans moi, ils sont condamnés à disparaître dans les abîmes de l'univers. Tant que je serai leur seule et unique hôte, ils n'auront d'autre choix que celui de m'aider et me protéger. » Et puis, elle peut toujours compter sur ses ancêtres, bien moins intéressées et manipulatrices que la plupart des esprits divins qui l'habitent. « Je ne suis pas naïve, mais tu sais... Tous les dieux ne sont pas des monstres d'égoïsme. Après tout, Wonder Woman est une déesse aussi, non ? » Rosie sourit, mais le cœur n'y est pas vraiment. Elle est nerveuse, elle doute, et elle ne peut s'empêcher de penser à Lucian. Si il devait lui arriver quoi que ce soit en enfer, il en ressentirait les effets en même temps qu'elle. Et si elle meurt là bas... Elle secoue la tête, jugeant préférable de repousser ces pensées funestes dans un recoin de son esprit. Les sourcils légèrement froncés, Rosie écoute Zatanna lui décrire l'enfer et si elle n'est guère surprise par ce qu'elle lui révèle, cela n'annonce rien de bon pour leur quête. Est-ce qu'elle a peur ? Évidemment, le contraire serait inquiétant. Au point de préférer renoncer ? Certainement pas. « J'ai vécu en enfer pendant quinze ans. Il n'y a rien qu'on puisse me faire là bas que je n'aie pas déjà enduré un millier de fois, Zatanna. Rien. » La sorcière n'en sera peut-être pas convaincue, mais si Rosie devait choisir entre retourner à l'hôpital psychiatrique et aller en enfer, elle prendrait même de l'élan pour arriver plus vite dans les entrailles de la Terre. « Je suis liée à Lucian par la magie, il sera mon point d'ancrage dans ce monde. » Tant pis si c'est affligeant de naïveté, Rosie est sincèrement persuadée que l'amour est l'une des forces les plus puissantes de l'univers. Elle a besoin d'y croire, faute de quoi elle craint d'avoir bien trop peur pour parvenir à faire quoi que ce soit. Quand l'étrange manifestation de la maison apparaît, Rosie manque de sursauter, surprise de la voir sortir de nulle part et de ne pas avoir senti sa présence plus tôt. Elle referme le grimoire des Völur et après avoir hésité un instant, décide de le laisser dans la Maison des Mystères. Mieux vaut ne pas se risquer à l'emmener en enfer où il pourrait tomber en de très, très mauvaises mains. Au moins ici, personne ne s'en emparera. Et quand bien même quelqu'un y parviendrait, c'est la folie assurée puisque Rosie est la seule à pouvoir le lire sans être affectée par ses défenses. En théorie. « Bien... Je suppose qu'il est temps pour nous d'aller tirer John Constantine des griffes de tous les démons de l'enfer ? Je ne vois pas ce qui pourrait mal tourner. Rien de plus facile. » Oh, si seulement... Rosie laisse Zatanna la guider jusqu'à l'extérieur de la maison magique, qui disparaît aussitôt qu'elles en sont sorties. Pendant une seconde, elle envisage de lui demander si la Maison des Mystères est similaire à la tour de Dr Fate, existant hors du temps et dans toutes les dimensions à la fois. Mais elle se ravise, préférant garder sa curiosité pour plus tard. Prenant une profonde inspiration, elle trace dans l'air plusieurs runes tout en énonçant une formule en vieux norrois. Quelques secondes s'écoulent, puis un portail s'ouvre devant elle. Le paysage qu'elles peuvent entrevoir est bien différent de celui qu'elles s'apprêtent à quitter, la forêt norvégienne est recouverte d'un épais manteau neigeux, il y souffle un vent glacial et surtout, il fait nuit. Le cœur cognant déjà un peu plus fort dans sa poitrine, Rosie tend la main à Zatanna. « Tu es prête ? »

Fight fire with hellfire

Les dieux et déesses, vaste sujet pour les gens comme elles qui maniaient la magie. Aux yeux des masses croyantes monothéistes, d’ailleurs, n’étaient-elles pas déjà elles-mêmes la personnification de ce qu’un dieu est censé pouvoir faire ? Zee faisait souvent appel à la Déesse, prononçait son nom et lui empruntait ses pouvoirs, mais en vérité elle faisait appel à tous les dieux selon ce qui l’arrangeait et tripotait à peu près toutes les religions possibles et imaginables, jusqu’aux folklores les plus méconnus, en passant par les cultes morts et disparus, sans parler de tous ceux qui appartenaient au monde de la littérature ou du cinéma parce que tout cela, pour elle, n’était qu’une façon de concentrer sa magie et de l’aider à la maîtriser. Si on mangeait à tous les râteliers religieux, forcément, on ne croyait à aucun en particulier. Ou plutôt, Zee croyait tout à fait à l’existence es dieux et des déesses mais elle ne les considérait pas comme ils étaient décrits dans le dictionnaire. Ils étaient des êtres puissants, créateurs et destructeurs, mais pas omnipotents et surtout, qui n’avaient pas droit de vie ou de mort ou de choix sur la vie des hommes, du moins en théorie. Le pouvoir qu’ils exerçaient sur l’humanité ne l’était que par la force, à ses yeux, et ce n’était pas une raison suffisante pour se mettre à avoir la foi. Surtout, elle ne leur faisait pas confiance, pas plus qu’aux démons ou à quiconque, de toute façon. De sorte que sur ce point, Rosie avait raison : ils étaient, par définition, tous différents les uns des autres. Et Zee aurait été mille fois plus rassurée si la jeune femme lui avait dit devoir faire appel aux pouvoir de Wonder Woman !

Elle retint un soupir, sentant de nouveau les doutes l’assaillir. « Il saura. Il saura exactement ce que tu as vécu et saura aussi se muer en cela. Mais nous n’avons pas le choix. » En fait si, c’était juste qu’elles l’avaient déjà fait, le choix. Zee avait commencé à faire le compte des gens qu’elle était susceptible de croiser là-dessous et qu’elle aurait bien voulu éviter, mais cette seule pensée était déprimante en soi. Sur sa gorge, la petite étoile tordue tatouée sur sa peau palpitait doucement, comme en guise de bienvenue. Quelle idiote elle avait été. Et quelle idiote elle était de faire ce qu’elle s’apprêtait à faire. Mais Zee n’avait jamais été si confiante en sa propre bêtise, pour une fois. Aussi stupide que ça en ait l’air, les mots de Rosalie à propos de Lucian apaisèrent quelque peu ses angoisses. À ne fréquenter que la cour des miracles de la sorcellerie, hantée par des bêtes blessées, traumatisées, solitaires et incapables de la moindre once d’optimisme, elle finissait parfois par en oublier ce en quoi elle-même était capable de croire. Oui, elle avait vu comment Rosie et Lucian agissaient quand ils étaient ensemble, elle avait pu assister aux premières loges à la façon dont leur dynamique les soutenaient et les portaient en avant en permanence. Que la jeune sorcière se servent de lui comme point d’ancrage soulageait Zee, et aussi, quelque part, lui donnait envie de croire qu’elles pouvaient faire cela. Qu’elles allaient y arriver. « Tous les deux, vous êtes... incroyables. » Elle pouvait entendre d’ici la majorité bruyante des blasés et des échaudés, coincés dans un genre d’adolescence éternelle où il était de bon ton de s’en moquer, ricaner tout haut. Le pouvoir de l’amour. Comme si c’était devenu un cliché, merci Hollywood. Comme si c’était une honte d’aimer quelqu’un en dépit de tout. Et quelque chose d’inavouable de s’appuyer sur ses sentiments pour réaliser des miracles. Pour ce qu’elles s’apprêtaient à faire, peu importait en vérité leur motivation, tant que ce serait une force suffisante pour s’opposer à ce que l’enfer, véritable monde démoniaque vivant, doté d’une respiration puant le soufre et de crocs acérés, allait leur faire subir.

Elles sortirent de la Maison, et Zee fut soulagée de voir qu’Orchid suivait ses ordres alors que la bâtisse disparaissait sans un bruit. Ça n'était jamais gagné, avec elle, vu que Zee n'avait pas été la locataire modèle. Si elles ne revenaient pas, la maison magique errerait peut-être entre les dimensions pour l’éternité. Mais elle ne doutait pas qu'un jour, quelqu'un comme Kent ou Jason sauraient y pénétrer et se l'approprier. Elle en connaissait un que cette seule idée aurait horrifié. Elle regarda Rosie ouvrir un portail et en voyant ce qui les attendait de l’autre côté, fit apparaître une cape avec une large capuche sur ses épaules. Elle lui servirait en enfer aussi, de toute façon. Contrairement à ce que voulait la croyance, l’enfer n’était pas forcément chaud, et surtout, mieux valait ne pas trop montrer leur visage. Elle se saisit de la main de Rosie et aussitôt, un courant de magie la traversa, comme si leurs deux pouvoirs, leurs énergies elles-mêmes s'entrechoquaient et se mêlaient avec une joie sauvage. Elle se sentit revigorée et adressa un sourire à Rosie. « Prête. »

Codage par Libella sur Graphiorum

Rosie n'est pas naïve au point de croire qu'elle va ressortir parfaitement indemne de leur voyage en enfer. Mais ce qu'il lui restait de naïveté est mort dans l'autre monde et a emporté les miettes survivantes de son innocence avec. Elle ne prétendra pas non plus ne pas avoir peur, son expression la trahirait bien trop vite. Mais ce n'est pas grave, ce n'est pas le plus important. Grâce aux enseignements de Lucian, elle a compris que même si elle n'est pas capable d'être toujours forte, elle peut toujours essayer d'être courageuse. L'enfer ou un champ de bataille au Qurac ou en Afghanistan, peut-être est-ce la même chose. Un bon soldat n'est pas un soldat capable de ne pas ressentir la peur, c'est un soldat capable d'agir malgré elle.  La métaphore n'est peut-être pas la plus poétique, mais elle lui semble rudement bien adaptée. Ensemble, Zatanna et elle franchissent le portail ouvert sur la forêt norvégienne. Rosie se doutait qu'il ferait froid, mais elle n'imaginait pas être complètement frigorifiée. Si elle ne bougent pas très vite, elles risquent de geler sur place. Rosie tend la main devant elle et sa paume s'illumine pour éclairer leur chemin – un chemin recouvert d'une épaisse couche de neige. Le vent semble lui mordre la peau, alors elle avance vite, guidée par les murmures d'Hela dans son esprit. « L'entrée d'Helheim n'est pas très loin d'ici ! » Le vent siffle si violemment qu'elle est presque obligée de hurler pour que Zatanna puisse l'entendre. Pendant un instant, Rosie envisage de survoler la zone pour arriver jusqu'à leur destination plus rapidement, mais le blizzard est trop puissant pour qu'elle décide de s'y risquer. Elles n'ont qu'une centaine de mètres à parcourir, mais le trajet paraît durer une éternité et Rosie est glacée jusqu'à la moelle. Ironique, étant donné qu'elles seront bientôt confrontées aux flammes de l'enfer. Face à elle, une stèle qui pourrait aisément passer pour un monolithe naturel pour des yeux non avertis. Mais quand elle effleure la pierre du bout des doigts, un cercle de runes incandescentes apparaît. Rosie a l'étrange impression qu'elle était attendue, que la stèle se languissait de sa magie. Elle retire sa main en grimaçant et prend son courage à deux mains avant de lire l'inscription à haute voix. L'édifice se met à trembler presque aussitôt et Rosie s'écarte de plusieurs pas, sur la défensive. Même si elle fait – plus ou moins – confiance à Hela, elle sait que la magie des Ases est pleine de surprises, des bonnes mais aussi beaucoup de mauvaises. La pierre disparaît sous terre, révélant un escalier qui descend profondément dans les entrailles de la Terre. Et accessoirement, qui les mènera droit en enfer – ou du moins un enfer. « Je suppose que nous y sommes. C'est le point de non retour. » C'est le dernier commentaire que Rosie fera sur le sujet. Elles ont déjà eu cette discussion, ni l'une ni l'autre ne sont capables de laisser John là où il est. Il n'y a plus de place pour les doutes ou les hésitations, alors Rosie descend les premières marches avec précaution. Même en l'absence de neige et de vent déchaîné, il fait aussi froid sous terre que sur terre et l'atmosphère est de plus en plus lugubre au fur et à mesure que Zatanna et elle s'enfoncent dans le royaume d'Hela. L'escalier descend encore et encore et encore, pendant ce qui semble paraître une éternité. Puis enfin, elles débouchent directement au cœur d'Helheim. L'endroit est brumeux, légèrement éclairé par des torches qui brûlent d'un feu vert indéniablement surnaturel. Et surtout, des milliers et des milliers d'âmes peuplent le royaume. Rosie sait qu'elle devrait sans doute être morte de peur, mais elle trouve au contraire l'endroit presque... rassurant ? Tout est paisible, presque parfaitement silencieux si ce n'est pour les quelques conversations entretenues par les morts. « Nous ne risquons rien ici. Les spectres qui peuplent Helheim ne sont pas agressifs. Je ne suis même pas certaine qu'ils puissent nous voir, et si c'est le cas de toute évidence notre présence les indiffère. » Tant mieux. Rosie n'a pas la moindre envie d'affronter une nouvelle horde de morts-vivants comme en Islande. Des fantômes snobinards lui conviennent très bien. « C'est l'enfer de mes ancêtres et des Ases, mais ce n'est pas l'enfer comme nous l'entendons... Le terme d'au-delà lui conviendrait mieux, je suppose. Pour atteindre John, il faut que nous descendions encore plus bas. Il n'y a pas mille solutions. Nous pouvons traverser Niflheim après Helheim, mais le comité d'accueil risque d'être bien moins sympathique. Ou emprunter l'un des passages secrets d'Hela, mais même elle ne saurait me dire ce qui risque de nous attendre de l'autre côté. Dans les deux cas, nous allons devoir nous battre, avec des morts ou des entités démoniaques. La peste ou le choléra, en gros. À moins que tu n'aies une autre idée ? »

Fight fire with hellfire

Dans la violence du blizzard, elle suivait Rosie aveuglément – enfin presque, puisque avec un peu de magie, la sorcière scandinave leur éclairait le chemin. Même si de chemin, il n’y en avait pas vraiment. Mais cela n’empêchait pas Rosie de savoir où elle allait, manifestement. Face à un grand monolithe austère au cœur de ce paysage crépusculaire, Zee sentit un frisson antique et primaire remonter le long de sa colonne vertébrale. Même si elle avait une idée de ce qui l’attendait derrière cette porte, elle ne pouvait que s’incliner, mentalement parlant, face à tant de puissance, face à la maturité de la magie qui planait dans l’air – des dieux, des déesses, quelques-uns des plus anciens de ce monde. Elle hocha la tête en réponse à Rosie – c’était un soulagement, en fait. Le point de non-retour, à partir duquel elle pourrait enfin cesser de se dire que ce n’était pas une bonne idée, que le danger était trop grand, qu’il était encore temps de reculer. Eh bien voilà, c’était trop tard, c’était fait. Elle pouvait tout entière se concentrer sur ce qui les attendait désormais. En l’occurrence, un escalier de pierre glacial qui lui rappela aussitôt une certaine grotte, à l’origine de leurs maux d’aujourd’hui. La descente se fit en silence, mais d’un pas assuré. En bas se trouvait Helheim, la renseigne Rosie, et Zee observait les esprits qui erraient dans la sombre lumière verte. L’air d’avoir des choses à faire quand bien même ils tournaient en rond sans aller nulle part. Ce n’était pas l’enfer, mais pour Zee, ça l’était d’une certaine façon, d’une façon figurée. Il aurait mieux valu que la mort soit une vraie fin, une disparition définitive. Mais si ça avait été le cas, alors John serait mort pour de bon.

Elle arracha difficilement le regard du spectacle des esprits et écouta Rosie. « Continuons encore un peu, si tu le veux bien. Je suis prête à me battre. Plus nous nous approcherons de notre destination et plus il sera facile de tricher et de passer à travers les mondes pour atteindre l’enfer. » Ce n’était pas qu’elle ne faisait pas confiance à Hela. Quoique si, elle ne lui faisait pas confiance, mais Rosie, si, et Zee faisait confiance à Rosie. Cependant, elle préférait mille fois se passer d’une aide divine quand, pour le moment, elles pouvaient fort bien se débrouiller sans elle. « Évitons de demander plus de faveurs divines tant qu’on peut l’éviter. Je sens que l’on est proches. » Son tatouage pulsait sur sa peau, comme un appel, deux bras grands ouverts en signe de bienvenue – venez… venez…. Charmant. S’assurant que Rosie était d’accord avec cette solution, Zee reprit la descente à ses côtés. Encore des marches, et un froid toujours plus polaire, et de la pierre de plus en plus vieille, de plus en plus primitive. Un certain malaise s’installait, parce qu’il était clair que des vivantes n’avaient rien à faire ici. Peu à peu, le décor changeait. Du coin de l’œil, elle croyait capter des ombres, mais quand elle tentait de les regarder, celles-ci s’échappaient à toute vitesse. Un sentiment oppressant de danger, de menace pesait sur sa poitrine. Elles étaient observées. Suivies. Jugées, pesées, condamnées déjà. « Vous avez des ancêtres communs n’est-ce pas ? Toi et John. Y a-t-il un risque que l’on en croise ici ? » Et qu’elles doivent les tuer pour de bon, les arracher à ce monde gris et sombre quand bien même c’étaient elles, les intruses ?

À quoi cela ressemblait, un mort de Niflheim ? Elle allait le savoir très vite. Petit à petit, le sentiment d’oppression se transforma en réalité : des silhouettes étranges les encerclaient, certaines sans formes, sans traits, des horreurs absolues. À son tour, Zee leva le bras au-dessus de sa tête, une lumière blanche et aveuglante jaillissant entre ses doigts, comme un phare dans une nuit trop sombre. Les silhouettes s’agitèrent, comme une masse grouillante, visiblement blessées par cet éclat, mais loin de battre en retraite. Il fallait bien qu’elles avancent, pourtant. Elle tendit sa main libre vers Rosie. « On fonce dans le tas ? John nous attend. » Et maintenant qu’elles se rapprochaient du but, elle n’avait plus la patience de se montrer prudente.

Codage par Libella sur Graphiorum

Helheim, Niflheim... Rosie aurait préféré découvrir Alfheim, le monde des elfes de lumière. Ou encore Vanaheim, royaume des divinités mineures d'Yggdrasil. Et pourquoi pas Muspellheim, le monde de feu sur lequel le géant Surt règne en maître incontesté. Elle aurait préféré découvrir n'importe quel royaume plutôt que celui des morts, ainsi que son faux jumeau. Si les âmes qui errent dans le royaume de Hela semblent n'avoir rien à faire de la présence des deux jeunes femmes dans leur monde, les choses promettent d'être différentes une fois qu'elles auront franchi la frontière qui sépare Helheim de Niflheim. « Laisse-moi m'inquiéter des dieux, Zatanna. Ne t'en fais pas... Je vis avec eux depuis vingt-neuf ans, je commence à les connaître. Et puis, entre nous... Je pense qu'il est plus difficile de cohabiter avec John qu'avec les Ases. » Rosie tente un sourire, mais le résultat s'apparente sans doute davantage à une grimace. Son regard se porte sur le tatouage de sa compagne d'infortune et elle ne peut s'empêche de songer que Zatanna est, comme elle, liée par la magie à l'homme qu'elle aime. Même si les choses semblent être bien moins simples avec John qu'elles ne le sont avec Lucian, il faut bien l'aimer pour être prête à s'aventurer à travers tous les enfers pour arracher son âme aux griffes des démons qui s'en sont emparés après sa mort. Le paysage change peu à peu, il devient encore plus froid, encore plus austère et les âmes qui peuplent Helheim se font de moins en moins nombreuses au fur et à mesure qu'elles approchent de la limite du royaume. Un frisson traverse Rosie comme un avertissement, et les murmures rassurants de la Déesse de la Mort se transforment en mises en garde. « Notre lignée est l'une des plus anciennes sur Terre, je crois. Mais elle a fini par se scinder en deux, j'ignore à quel moment de l'histoire c'est arrivé. Ce que je sais, c'est que son ancêtre Kon-Sten-Tyn est responsable du quasi anéantissement des cultes païens en Angleterre, et que son influence a aidé le christianisme à se répandre en Europe. Mais secrètement, il se servait de la magie païenne pour servir ses propres intérêts. Pour résumer, c'était un enfoiré et manipulateur de première. Ma lignée a continuer à perdurer en Scandinavie jusqu'à ce que l'influence du christianisme ait raison de la plupart des cultes, beaucoup se sont convertis pour vénérer le seul dieu que personne n'a jamais vu, quelle ironie... Mais je suis là aujourd'hui, alors les desseins de Kon-Sten-Tyn ont échoué. Il est mort, John est mort, je suis vivante et tous les dieux dont il a essayé de se défaire perdurent à travers moi. » Rosie a haussement d'épaules désinvolte, presque méprisant, influencée par les dizaines d'âmes qui habitent son esprit. « Pour répondre à ta question, on ne risque de croiser ici que mes ancêtres, pas les siens. Seuls ceux qui vénéraient les Ases ont été accueillis ici ou au Valhalla. Ce qui explique pourquoi il n'y a pas foule. » En réduisant le nombre d'adeptes à la religion Ásatrú, Kon-Sten-Tyn a réduit le nombres d'âmes rejoignant leurs différents au-delà. Ce qui, en l'occurrence, leur permettra peut-être de traverser Niflheim plus rapidement... En espérant que les spectres qui l'habitent n'aient pas raison d'elles avant qu'elles n'atteignent John. Zatanna attaque la première, sa lumière aveuglante repousse leurs assaillants, mais pas pour longtemps. « Foncer dans le tas... Eh bien, pourquoi pas. Après Wotan, que sont quelques âmes corrompues ? » Elle ne prend pas la main qu'elle lui tend, uniquement parce qu'elle va avoir besoin des siennes. Faire appel à Hela pour commander aux spectres de les laisser passer serait facile, mais à chaque fois que Rosie laisse un dieu s'emparer de son corps, il en draine l'énergie et elle sait qu'elle en aura besoin pour libérer John de sa prison une fois qu'elles l'auront retrouvé. Dans l'air, Rosie trace plusieurs runes et ses paumes se mettent à luire d'une lueur écarlate menaçante. « Brottvaðning ! » Frappés par des éclairs rouges, les créatures reculent, les plus lâches d'entre elles prennent la fuite. Rosie ignore si elles reconnaissent la magie des dieux, ou si elles craignent simplement d'être annihilées une bonne fois pour toutes. Qui pourrait bien vouloir mourir une seconde fois ? Peut-être ceux qui sont fatiguer d'errer dans un purgatoire sans début ni fin, sans but, sans personne. Elle répète la formule plusieurs fois, les plus téméraires des morts sont frappés de plein fouet par sa magie et s'évanouissent comme un nuage de fumée. « Je te jure, si John n'est pas content de nous voir, je le laisse où il est ! Je suis censée être en vacances, pas en train de me battre contre les âmes dépravées de plusieurs générations de vikings ! Ugh ! » Elles ne sont plus très loin, leurs efforts vont bientôt payer. Mais quitter un enfer pour en trouver un autre, est-ce vraiment une victoire ? Après la peste, le choléra.

Fight fire with hellfire

Tant de questions jaillissaient dans l’esprit affolé de Zee, si seulement il avait pu en être autrement – ne serait-ce que pour ne pas avoir à faire ça, à aller jusqu’en enfer pour en sortir les fesses de ce sale égoïste ! Bien sûr que son ancêtre était une enflure, pourquoi est-ce que ça ne l’étonnait pas ? Et bien sûr que le christianisme avait tout balayé sur son passage, ce qui rendait Rosie et sa magie encore plus précieuses, encore plus fragiles. De même que ce sang Homo magi qu’elles partageaient, que Zee sentait à chaque seconde bouillonner dans ses veines comme en réponse au chant de la magie de la sorcière scandinave. Les religions monothéistes avaient été l’une des pires inventions des humains, qui avaient ainsi assassiné de nombreux cultes, de nombreuses traditions, et étouffé beaucoup de magies désormais oubliées ou seulement accessibles à travers les livres anciens – sans parler des guerres et des massacres commis en leur nom, et du martyre permanent des femmes depuis la naissance de ces prophètes hiératiques. Zee était une fervente croyante au sens où à ses yeux tout était vrai, tout existait, toutes les religions disaient la vérité, tous les mythes se basaient sur des réalités, souvent les mêmes d’ailleurs, tous les héros de légendes avaient existé et tous les dieux se baladaient bel et bien ici et là, si ce n’était que la définition du mot dieu, omniscient et omnipotent, ne lui convenait pas. Elle voulait en savoir plus, sur Rosie, sur ses origines, elle voulait que la jeune femme lui montre l’étendue de ses pouvoirs, elle voulait redevenir une élève à ses côtés.

Mais elles étaient en enfer. Et il leur fallait avancer. Plus tard, les questions. Plus tard. Parce que non, elles ne trouveraient pas plus John ici que ses ancêtres, à en croire Rosie. Ils allaient probablement en enfer de père en fils – en tout cas pour le père, elle n’en doutait pas, et quant au fils, elles allaient tout faire pour retarder l’échéance. Le mot que lança Rosie faillit faire sourire Zee. Elle ne savait pas ce que cela voulait dire mais il s’agissait d’une langue étrange et peut-être bien qu’elle sonnait comme ça, elle aussi, quand elle parlait à l’envers. En tout cas, la magie scandinave était efficace ici, et la magicienne la rejoignit dans la lutte, et ainsi se frayèrent-elles un chemin dans les entrailles de Niflheim, de plus en plus sombre, de plus en plus oppressant, de plus en plus mal fréquenté… Mais Zee pouvait le sentir, ce souffle abrasif, elle la reconnaissait, cette respiration puant le soufre, la famine et la mort. Faisant confiance à Rosie pour tenir les morts à distance, elle se concentra sur le fil ténu qui traversait malgré tout les dimensions, comme ce jour en Islande. Elle avait peur que si elle tirait trop dessus, elle le briserait, mais la raison fut finalement la plus forte. Nick, John et elle avaient fait en sorte qu’absolument rien ni personne ne pourrait séparer leurs âmes. Ah ça, ça lui avait semblé tellement choupinet, à l’époque… Mais aujourd’hui encore, ça s’avérait utile. « etacéH, erèm sed strom te sed séilbuo, ertnom-suon al eiov. » Peu importait qui elle invoquait. La brûlure se fit presque insupportable et en baissant les yeux, elle vit son bras tatoué parcouru de filaments sombres d’une magie à laquelle son corps n’était pas habitué. Aux alentours, une dizaines de petites brèches sombres apparut, entre les morts qui tentaient de leur sauter dessus. Ce n’était pas elle qui avait créé ces failles, elles ne faisaient qu’exister depuis toujours et seraient toujours là probablement. Le carnet d’adresses de Zee était la preuve vivante que les enfers, quels qu’ils soient, étaient tout sauf imperméables.

« Rosie ! Si on atteint une de ces fissures, on pourra traverser le voile ! Et qu'il soit content ou pas, il rentre avec nous, on le fera sortir de là à coups de pied aux fesses s'il le faut ! » Pressant son bras contre son ventre, incapable de s’en servir pour autre chose que faire la boussole démoniaque, elle tendit la main droite, ajoutant sa lumière à la magie de la jeune femme, repoussant les assaillants, les désintégrant ici ou là. Un pas devant l’autre. « Ilasa micalazoda olapireta ialpereji beliore… » Les mots, transcrits par Anton Sandor LaVey dans les années soixante en une langue plus vernaculaire que l’originelle, étaient censés ouvrir n’importe quelle porte démoniaque, et dévalaient ses lèvres en lui laissant un goût métallique sur la langue. L’air se déchirait. Si près, si près… Cette perspective semblait décupler la magie. Le mot « vacances » n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Rosie et Lucian sur une plage ? C’était mieux que Rosie et Zee en enfer, il n’y avait pas photo. Enfer qui se dévoilait sous leurs yeux, à un pas, juste un pas.

Codage par Libella sur Graphiorum

Quand Shakespeare a écrit “Hell is empty and all the devils are here”, il s'est trompé. L'enfer est loin d'être vide, les morts et les démons le peuplent par milliers et vagabondent à la recherche de la  moindre distraction, d'êtres à torturer et de nouvelles âmes pour grossir leurs rangs. Niflheim est peut-être moins hanté que le reste du pandémonium, mais les morts qui l'habitent sont de plus en plus nombreux à surgir pour attaquer les deux jeunes sorcières. Rosie fait tout ce qu'elle peut pour les garder à distance respectable de Zatanna et elle, mais c'est de plus en plus difficile. Si sa magie s'avère particulièrement efficace contre les spectres, l'utiliser dans ce royaume lui demande plus de concentration et d'énergie que jamais, comme si Niflheim drainait ses forces à chaque sortilège lancé. Peut-être est-ce le cas, après tout les règles des enfers ne sont pas celles du monde des vivants et contrairement à John, elle n'est pas familière avec elles. Zatanna et elle ne devraient même pas s'y trouver, c'est contre nature, elles sont deux intruses contre lesquelles le royaume se défend comme si elles étaient un virus attaquant son organisme. Rosie ne peut s'empêcher de grimacer lorsque sa compagne d'infortune invoque la déesse olympienne des morts et de la magie, et ouvre de grands yeux horrifiés lorsque des filaments sombres et similaires à des tentacules apparaissent sur le bras tatoué de Zatanna. Un instant plus tôt, n'était-ce pas elle qui lui avait férocement déconseillé de demander trop de faveurs aux dieux ? Ses traits toujours déformés par la peur, Rosie porte son regard sur la multitude de fissures sombres qui sont apparues, révélées si gracieusement par Hécate.  En atteindre une pour quitter Niflheim, cela paraît simple, mais les morts sont de plus en plus nombreux et de plus en plus furieux. Si elles continuent à s'épuiser ainsi pour les repousser, il ne leur restera pas une once d'énergie pour sauver John et elles finiront elles aussi coincées en enfer. La perspective ne l'enchante guère, d'autant plus qu'échouer serait condamner Lucian à subir le même sort. C'est toute la motivation dont Rosie a besoin pour user d'un don qu'elle se rechignait jusque là à utiliser, trop effrayée par les éventuelles répercussions. Comme elle s'est résignée à le faire en Islande face à Wotan, elle laisse Hela prendre le contrôle de son corps et faire face à ceux qui auraient dû devenir à les fois ses sujets et ses protégés si le Ragnarök ne l'avait pas condamnée elle et tous les autres à se partager un hôte humain pour continuer d'exister. Les traits de Rosalie changent, la moitié de son corps semble se décomposer et le blond cendré de ses cheveux fonce jusqu'à être d'un noir profond. Sa voix n'est plus vraiment la sienne, il y a quelque chose de profondément puissant et sinistre dans son ton lorsqu'elle s'exprime. « Écartez-vous de notre chemin. » Les morts s'immobilisent et s'écartent tous d'un même mouvement, reconnaissant leur souveraine à travers la jeune sorcière. De sa main squelettique, Hela empoigne Zatanna et ensemble elles franchissent l'un des passages entre les différentes régions infernales. Son unique sourcil froncé, Hela tourne son regard vers Zatanna. L'un de ses yeux est d'un vert profond et l'autre, à moitié pourri, est vitreux et sans vie. « Ce n'est pas mon royaume. Je n'ai pas ma place ici. Et vous non plus, mortelles. » La déesse s'efface, elle disparaît aussi vite qu'elle était apparue et Rosie retrouve ses traits normaux. Mais elle tombe à genoux et porte une main à sa poitrine, son cœur tambourine furieusement dans sa cage thoracique. Un mince filet de sang coule de chacune de ses narines et elle tremble, elle grelotte et claque des dents. Elle a l'impression d'être malade, terriblement malade. « Hela a raison. Nous ne devrions pas être ici ! » Pendant une seconde, elle laisse la peur l'envahir. Rien qu'une seconde avant de prendre une profonde inspiration et de se relever en titubant. Avec sa manche, elle essuie du mieux qu'elle le peut le sang sur son visage et regarde tout autour d'elle. Après le froid mordant d'Helheim et Niflheim, la chaleur étouffante d'un royaume dont elle ignore le nom – et qu'elle n'est pas certaine d'avoir envie d'apprendre. « J'ose espérer que John sera au moins content de nous voir. S'il ne l'est pas, je le jette en pâture à Fenrir. » Le loup dévoreur de dieux, dont elle devrait d'ailleurs se soucier des allées et venues... Chaque chose en son temps et un problème à la fois. « Et maintenant... ? Où va-ton ? Quelles horreurs risquent de nous tomber dessus, à présent ? » Après les morts... Les démons ? Les chiens de l'enfer, comme ceux qu'elles ont déjà eu le malheur de croiser en Islande ? « Quand John a vaincu Wotan... Il l'a expédié en enfer, n'est-ce pas ? Est-ce que tu crois... Est-ce que tu crois qu'il est ici ? Est-ce que tu crois que lui aussi, attend avec impatience de recroiser notre route pour se venger ? » Rosie secoue la tête. Plus elle y songe, et plus elle se dit que ce voyage était tout sauf une idée lumineuse. Mais que ne fait-on pas par amour...

Fight fire with hellfire

C’était terrible d’être si après du but – enfin, du début du chemin, à peine – et d’avoir pourtant l’impression qu’elles allaient échouer ici. Et peut-être auraient-elles échoué sans une aide extérieure. Zee avait déjà vu ce tour-là, désormais, et la main avec laquelle Rosie – Hela – la saisit lui sembla glaciale, mortelle. Le genre de main qui pouvait vous tuer juste en se posant sur vous. Un pouvoir que personne n’aurait dû approcher d’aussi près. Mais ce n’était pas comme si elle pouvait se permettre de faire la fine bouche. Les morts s’inclinaient et l’enfer leur était désormais grand ouvert, et l’impulsion qu’il leur manquait pour franchir ce terrible voile, la déesse de Rosie la leur donna. Zee se laissa aller au pouvoir de sa compagne et se concentra sur cette sensation, cette inclination vers laquelle sa magie tendait – tirait, même, par le biais de son tatouage –, qu’au moins elles arrivent dans un même cercle que John, qu’au moins elles n’aient pas à passer dix ans de leur vie à traverser les souterrains infernaux et labyrinthiques. Et soudain la pression dans son bras disparut et ne resta plus qu’une légère brûlure satisfaite. Pour la première fois en bien des années, les trois âmes unies par cette marque se trouvaient dans la même dimension. Elle avait essayé de ne pas trop penser à cela, aussi. Fenrir… Que n’aurait pas donné Zee pour l’avoir à ses côtés, en cette seconde ? Mais Hela l’avait bien dit, personne et certainement pas elle et Fenrir n’avaient leur place ici, à moins de l’avoir méritée… Qu’elles le veuillent ou non, si John était là aujourd’hui c’était parce qu’il avait pavé son propre chemin jusqu’à l’enfer. La magicienne se rapprocha de Rosie,  qui subissait le contrecoup de l’aide qu’Hela leur avait apportée. Ce n’était que le début des souffrances, hélas. Zee frotta son bras comme pour se débarrasser du tatouage devenu aussi encombrant que vital : elle se sentait déjà malade rien que d’être ici.

Une ruelle sale et obscure, pavée de pierre, tortueuse, voilà où elles se trouvaient. Il ne faisait pas jour, mais pas nuit non plus – une lumière sombre et ocre, sale, oppressante. L’enfer, elle le savait, ressemblait à une version moins moderne de la Terre, mais où tout – les bâtiments, les lignes formées par les tours et les immeubles, les rues – était tordu, comme souillé par une main démoniaque, ce qui était exactement le cas. Aussitôt, des émotions violentes l’assaillirent. Tu n’es qu’une idiote. Stupide, inutile, faible – tu n’es pas de ce monde, tu n’as rien à faire ici, cache-toi dans un trou, restes-y. Tu n’es qu’une gêne, bonne à rien, incapable de prendre les décisions qui s’imposent. Faible, faible, faible. Comment oses-tu fouler cet endroit ? Personne ne veut de toi, ici. Faible, faible, faible. Tu es stupide d’avoir cru qu’ils avaient besoin de toi. Repars d’où tu viens tant que tu le peux encore. Elle tituba jusqu’au mur le plus proche, s’appuya dessus et laissa libre cours à sa nausée. C’était parfait, pour un début un enfer. Une fois qu’elle eut fini de vomir, elle se tourna vers Rosie avec un pauvre sourire. « Je crois qu’après ce road trip infernal, toi et moi, on n’aura plus rien à cacher. » Vomir devant sa future amie, fait. On pouvait passer à la suite. Cet endroit avait cet effet-là. Il vous faisait ressentir les pires émotions possibles, vous renvoyait sans cesse à la figure vos doutes, vos faiblesses et vos traumatismes. Il allait leur falloir lutter contre ça. Elle ferma les yeux et laissa le lien la guider, mais, à présent, elle ressentait pleinement celui qui l’unissait à Nick également, effet secondaire indésirable de ce voyage. Elle n’avait cependant pas de mal à ne pas se concentrer dessus. « Dans le coin, on croisera surtout des démons mineurs, dont tu n’aurais pas de mal à te débarrasser d’une claque dans leur sale museau. La hiérarchie est très importante ici, mais très mouvante aussi. Les plus puissants démons ne traînent pas dans les rues avec la plèbe, ils ont leurs quartiers et c’est dans l’un d’eux que John sera. Tant qu’on se contente de traîner discrètement dans les rues on ne devrait pas trop attirer l’attention… si ce n’est que nous sommes vivantes et que cela va se voir comme un phare dans la nuit. »

Jusqu’à ce qu’elles trouvent la résidence privée d’elle ne savait quel grand ponte du coin qui avait gagné à coups de griffes et de dents le droit de disposer de l’âme de John. Elle frémit à la mention de Wotan. « Il est quelque part, oui, mais je doute qu’ici il ait la moindre importance. Il n’est qu’une âme torturée de plus et on se fera un plaisir de le lui faire comprendre si on le croise. John, lui, bénéficie forcément d’un traitement de faveur. » Ironiquement parlant évidemment. Qui régnait actuellement sur ce quartier, quel prince des enfers en avait trucidé un autre pour prendre le contrôle de ses armées ? Elle pouvait imaginer quelles tractations avaient eu lieu quand tout l’enfer avait vibré en sentant l’âme de John y déchoir. Ils s’étaient battus comme des chiens autour d’un os et peut-être même son âme souillée était-elle en pièces… De nouveau l’abattement l’envahit, attisé par les lieux, et de nouveau elle repoussa les pensées négatives. Elle rabattit la capuche de son manteau sur son visage. « Nous ne serons pas les premières vivantes à nous balader ici. Cela nous fera gagner un peu de temps, mais à un moment une fouine démoniaque ou une autre finira par aller signaler notre présence. Heureusement, je suis sûre que personne ici ne s’attendait à ce que deux sorcières se pointent pour sauver l’âme de John. » Elle adressa un nouveau sourire dépité à Rosie. « Personne ne le sauve jamais. » Et pourtant il échappait toujours à son destin. Elle désigna le bout de la ruelle biscornue, qui donnait sur une rue plus large au-dessus de laquelle penchaient des bâtiments tordus. « Enfin, c’est ce qu’ils croient tous, les démons et John. » Ils ne pouvaient pas s’imaginer qu’une Rosie et une Zee se baladaient présentement dans le coin. Zee se mit en marche, rasant les murs, ignorant les doutes et la culpabilité qui l’assaillaient. Ignorant aussi l’autre tatouage, l’autre marque, qui palpitait de joie à l'idée de la savoir ici. « Si on se fait agresser, n’hésite pas à utiliser la violence, ça ne choquera personne. Et essayons de ne pas nous séparer. » Bon, ça coulait de source, mais elle en parlait parce qu’en le disant, elle songeait que peut-être il leur aurait fallu un plan d’urgence dans le cas terrible où ça arriverait. Oh, bon… Elles ne pouvaient plus reculer depuis longtemps.

Codage par Libella sur Graphiorum

La route qui mène en enfer est pavée de bonnes intentions. C'est vrai, au moins dans leur cas. Zatanna et elle sont folles de s'infliger un tel voyage, ce n'est ni plus ni moins que de la folie pure et dure. Rosie ressent le contrecoup de l'intervention d'Hela, elle a l'impression que son corps n'est plus réellement le sien, c'est une sensation aussi étrange que désagréable. « Cet endroit m'est étrangement familier. » Elle grimace. Naïve, elle s'attendait à ce que l'enfer ressemble à... L'enfer ? À ces descriptions et ces images infernales que l'on peut voir partout, à un brasier sans début ni fin. Mais cette version difforme de la Terre met immédiatement mal à l'aise, Rosie sent un frisson la parcourir des pieds à la tête, elle se sent oppressée et son instinct lui hurle de prendre la fuite pour échapper à cet endroit. Il va mourir. Il va mourir et il n'y a rien que tu puisses faire pour le sauver. Elle sursaute brusquement et fait volte-face, prête à pulvériser la créature maléfique qui se serait risquée à dire pareille horreur. Mais il n'y a que Zatanna et elle dans la ruelle, rien ni personne d'autre. La gorge serrée, elle prend une lente et profonde inspiration. La magicienne l'a prévenue, l'enfer va tout mettre en œuvre pour la déstabiliser... Et pour y parvenir, quoi de mieux que d'utiliser sa plus grande peur contre elle ? La nausée qui assaille Zatanna est une triste distraction, mais une bienvenue qui la tire de sa torpeur. Elle pose une main sur l'épaule de sa compagne d'infortune avec compassion, elle aussi en proie aux attaques du pandémonium. Il va mourir. « Plus vite nous trouverons John, plus vite nous sortirons d'ici. » C'est du moins ce qu'elle espère, hélas, elle doute que les choses se passent comme elles le souhaiteraient. Sans baisser la garde, elles se remettent en marche. L'atmosphère lugubre de l'endroit est de plus en plus étouffante, Rosie se sent observée, suivie. « Cela n'engage que moi, mais je préfère un millier de fois Helheim et Niflheim à cet endroit... Au moins là bas, les choses sont claires. » Une hiérarchie démoniaque... De mieux en mieux. Il va mourir. Tu es faible. Tu ne parviendras pas à le sauver. Il va mourir. Tu est faible. « Si je comprends bien, pour sortir John d'ici nous allons devoir affronter les plus grands démons de l'enfer. Merveilleux. Vraiment merveilleux. » Un long soupir lui échappe, la fatigue se fait rapidement ressentir alors que leur périple est pourtant loin d'être terminé. Le temps presse, l'âme de John doit être écartelée à cet instant même, mais Rosie ne peut s'empêcher d'avoir envie de faire demi-tour pour quitter cet endroit au plus vite. Il va mourir. Ses mains se mettent à luire d'une intense lumière blanches, alors elle serre les poings pour empêcher sa magie de lui échapper. Zatanna avait malheureusement raison, l'enfer sait trop bien exploiter ses faiblesses. La plus grande d'entre elles, plus exactement. « J'ose espérer qu'il serait prêt à faire le voyage, si les rôles étaient inversés. » Rosie serre les dents et fusille du regard un ennemi invisible devant elles, elles préférerait faire face à Lucifer en personne plutôt que de continuer à entendre cette voix accusatrice et humiliante dans son esprit. Elle réalise d'ailleurs avec stupeur que c'est la seule qu'elle entend, les dieux et les vieilles Völur se sont tus. Ce silence qu'elle a souhaité pendant des années lui est en réalité insupportable, elle se sent seule, abandonnée... Non, c'est faux. Rosie porte une main à sa poitrine et elle est presque certaine de sentir pulser sous ses doigts la rune qui l'unie à Lucian. Contrairement à ce que cet endroit essaie de lui faire penser, elle n'est pas seule, jamais. Il va mourir. Tu es... « La ferme ! » Rosie ne peut s'adresser à personne en particulier, mais ça ne l'empêche pas de cracher son agacement, certaine que le coupable l'entendra. « Est-ce que nous sommes encore loin de John ? Je ne sais pas si... Est-ce que tu as vu ça ? » Rosie s'interrompt et pointe du doigt la façade décrépie d'un immeuble. Elle semble onduler comme une vague, presque comme si elle était vivante... Parce que d'une certaine façon, elle l'est. Les yeux écarquillées, Rosie regarde plusieurs créatures ressemblant de très loin à de grosses chauve-souris se décrocher du béton et atterrir tout autour d'elles. Elles sont pâles, sans yeux et leurs gueules sont remplis à en déborder de rangées de dents acérées. Et visiblement, elles sont très, très agressives. « La violence, donc... » Rosie desserre les poings et les laisse s'embraser, prête à envoyer ces horribles choses en... Ailleurs, puisque de toute évidence, elles sont déjà en enfer. Elle se déplace de façon à être dos à dos avec Zatanna, pour éviter toute attaque surprise. « Violence sans retenue, je suppose ? C'est le lieu et l'endroit, j'imagine. » Et peut-être le seul où Rosie pourra laisser s'exprimer toute la rage qui bouillonne en elle depuis des années sans se soucier des dégâts ou des victimes collatérales.

Fight fire with hellfire

Même ici, littéralement en enfer, Zee parvenait à sourire. C’était la remarque de Rosie qui l’amusait, en toute spontanéité. Rosie, qui disait préférer Niflheim dont elles venaient de sortir, mais c’était bien normal, non ? S’il fallait vraiment faire un choix et que l’option transat sur la plage avec des mojitos n’était pas disponible alors elle, elle préférait cet enfer-là. Non pas qu’elle le trouvait plus agréable, mais au moins elle savait à quoi s’attendre. Ce qui la terrifiait aussi, évidemment. Mais à Niflheim, elle s’était sentie perdue, à un point que si Rosie n’avait pas été avec elle, elle était certaine qu’elle y serait encore, et qu’elle y serait restée pour l’éternité. Cette idée lui serra la gorge et il fallut qu’elle fasse un effort pour se convaincre qu’elle n’y était plus. Chaque peur, la moindre faille, même aberrante – elle savait parfaitement qu’elle n’était plus à Niflheim – serait exploitée, exacerbée. Joie de recevoir… Elles marchaient silencieusement dans les rues ni bondées ni désertes. En fait, elles ne croisaient pas grand-monde, et en même temps, la présence des démons n’avait rien de subtil. C’étaient des ombres au coin du champ de vision qui disparaissaient quand elle tentait de poser les yeux sur eux. C’étaient des silhouettes derrière les fenêtres sales, statiques, horrifiques, qui les suivaient du regard. C’était des murmures perpétuels, des cris parfois, des rires souvent, et l’écho de conversations à voix basse et gutturales, des conversations qui n’avaient qu’un seul sujet évidemment : elles. C’était, enfin, la présence beaucoup plus étouffante des grands démons dans leurs royaumes, déjà probablement tous au courant de l’arrivée dans le coin de deux sorcières. Elle s’ébroua, se botta mentalement les fesses. « Il n’y en aura qu’un, probablement, celui qui aura gagné le droit de disposer de l’âme de John, Neron, Nergal, je perds le compte de ses ennemis. » Bon okay, si c’étaient le Triumvirat des déchus, ça ferait trois démons d’un coup… « Mais on ne doit pas l’affronter, quel qu’il soit. Ce serait suicidaire. Ici, leur pouvoir est sans limites et le nôtre absolument pas fiable. Et leurs méthodes sont aberrantes, imagine un peu, même John a fini par se faire avoir. » Bon, il avait fait des choix, aussi.

Non, sans plan, sans vision sur l’avenir proche, son but était quand même de rentrer, ruser et ressortir avec l’idiot du village. Ruser un démon, évidemment, ça paraissait plus compliqué que juste lui claquer le museau, mais elles n’étaient pas venues là pour mourir. Cela ne ferait aucun bien à John, et surtout pas à elles. Et elle avait conscience que même sans réelle conscience de ses propres limites, elle n’arrivait pas à la cheville d’un seul Déchu ici, en enfer. Sur Terre, ça aurait été une autre histoire. Mais pas ici. Du coin de l’œil, elle vit une lueur déborder des mains de Rosie. Elle ne dit rien, parce qu’elle savait ce qui lui arrivait et elle savait que Rosie savait ce qu’elle avait à faire. Plus besoin de mots ou presque, à ce stade, entre elles – déjà ! Sa remarque la fit de nouveau sourire, même si elle s’empêcha de trop réfléchir à la question – John et l’enfer, c’était sensible. Il en connaissait au moins une qui pourtant n’avait pas suffi à le faire y aller pour aller la sauver. Mais est-ce qu’il n’était pas plus mature, maintenant ? « Va savoir. Lui seul le sait, et il mentira de toute façon, que la réponse soit oui ou non. Oh, Rosie, quitte à être ici, je crois que je suis ravie d’y être avec toi ! » En mode déclaration d’amour de la condamnée à mort, c’était sorti tout seul. Elle allait répondre à sa comparse ; non, elles n’étaient plus très loin, elle le sentait, un de ces immeubles au-delà de l’avenue était leur but, mais d’abord… Elle se figea aux mots de Rosie, sans elle, aurait-elle seulement remarqué cette bande de petits démons qui les guettaient depuis probablement un moment ? Dos à dos avec Rosie, elle laissa l’agacement la gagner, même si on cœur battait à tout rompre et qu’un sifflement aigu sous son crâne l’empêchait de penser droit. « Vas-y à fond, oui, mais rappelle-toi que ta magie risque de réagir bizarrement. Fais attention à toi, mais pour le reste, lâche-toi. » C’était là qu’était le cœur de la lutte. Oui, l’enfer pouvait retourner leur magie, la triturer, la souiller. Mais au final, c’était la leur. Issue de leurs ancêtres, et qui coulait littéralement dans leur sang.

Lèvres résolument scellées, elle leva les bras et lança sur les démons qui se massaient devant elle des lames de vents tranchantes. Idiote. « Ta gueule ! » Ce serait trendy cette année, comme sort. Les pattes, les têtes, les mâchoires acérées sautèrent dans des gerbes de sang noir et épais. Le vent – son vent ! – déchira sa cape, sembla vouloir partir à l’assaut de ses bras, ses jambes, mais elle reprit le contrôle, sauta de côté pour éviter une attaque groupées, sentit un démon lui sauter sur les épaules, un autre planter ses dents dans son mollet. La colère ! Sombre petites merdouilles ! Elle s’envola avec ses deux passagers clandestins, en laissa trois ou quatre autre rejoindre Zatara Airlines, puis d’un geste, s’enferma dans une gangue de glace, avant de la faire éclater, éclatant les démons en mille morceaux avec. Elle avait envie de voir comment Rosie s’en sortait et en même temps elle avait vu de quoi son amie était capable. De toute façon tu ne peux pas l’aider. Tu ne peux pas la sauver. De nouveau, plusieurs démons s’agrippèrent à ses cheveux, ses bras, ses jambes, mordant, griffant, et elle se reposa maladroitement, et à quoi bon lutter, tu vois ? Inutile, mais alors elle sentit sa gorge la brûler et en entendit un susurrer d’une petite voix geignarde dans son cou « pas elle, on ne peut pas, pas elle », et un autre renchérit « non, pas elle, le maître ne veut pas », et en quelques secondes, ils s’étaient tous éparpillés, la laissant sur place, les joues, les bras, les vêtements lacérés, et l’air un brin stupide. Oddio ! se serait exclamé son père. What de fuck, en anglais contemporain. Alors, elle reporta son attention sur Rosie, si seulement elle pouvait l’aider sans la trucider au passage. « Rosie ! » Et dans son cri, il y avait tout ce qu'elle n'avait pas le temps de dire, la supplique à son intention, pour que Rosie vienne avec elle, qu'elle ne l'abandonne pas là, qu'elle continue le chemin jusqu'au bout avec elle... « Le bâtiment là-bas ! C’est là qu’on va ! » Et s’il y avait bien un truc dont elle était sûre, c’était qu’en enfer, ça ne se faisait pas de rentrer dans le domaine d’un autre démon, quand on était une petite merde de démon. De là à dire qu’elles seraient « à l’abri », évidemment, il y avait un canyon.

Codage par Libella sur Graphiorum

Ravenscar. Ca en revenait toujours à Ravenscar, pas vrai ? Son petit enfer personnel, un nom qu’on brandissait comme celui du croque-mitaine, sans trop savoir à quoi s’attendre, sans trop savoir à quoi il pouvait ressembler, ce monstre tant et si bien associé à son nom qu’un mythe n’allait plus sans l’autre. Comme une sainte trinité morbide, Constantine – Newcastle – Ravenscar, trajet annoncé d’une épopée tragique et désastreuse, dont il était l’un des derniers survivants, ou avait été l’un des derniers survivants, du coup. De son vivant, John Constantine s’était souvent imaginé que c’était à ça, que ressemblerait son éternité, une fois qu’il passerait pour de bon l’arme à gauche. A l’imposant manoir qui s’élevait dans ses souvenirs avec la même prestance qu’une maison hantée peuplée de ses cauchemars les plus atroces, auxquels il serait livré en pâture jusqu’à la fin des temps comme juste rétribution pour ses innombrables péchés, les noires tentacules des ténèbres et des abysses nouées à ses chevilles pour le ramener à l’intérieur sitôt qu’il réussirait miraculeusement à ramper jusqu’au dehors à force de planter ses ongles dans le sol, les poumons au bord de l’implosion, ne laissant derrière lui que des sillons de sang et un cri de désespoir. On ne pouvait pas lui enlever ça, au moins. Depuis le temps, il avait fait ses recherches, Johnny. Pour se faire l’idée la plus précise possible de ce qu’on pouvait lui réserver une fois qu’il aurait rejoint le royaume d’en-bas, pour se préparer à l’inévitable, comme si ça allait amortir le choc, alors qu’en enfer on s’était tant et si bien préparé à son arrivée que rien ni personne n’aurait pu adoucir la chute. Enfin, John Constantine avait eu ce qu’il méritait. Enfin, John Constantine allait pouvoir payer pour tous ses crimes, terrestres, célestes, et infernaux. Et comble de l’ironie délicieuse aux yeux des démons des enfers et les trop nombreuses âmes qu’il avait déjà condamnées au même sort funeste, il était mort en accomplissant le sacrifice ultime. Une vie pour des milliards. Et même ça, ça n’avait pas été assez pour racheter son âme aux yeux du grand barbu qui aurait pu, s’il l’avait voulu, le tirer de ce merdier sans nom. Les flammes de l’Enfer avaient jailli du sol pour l’engloutir tout entier, et personne, ni ange, ni esprit bienveillant, ni entité toute-puissante, ni démon à l’esprit tordu, n’avait daigné lever le petit doigt. Il l’avait cherché. Il l’avait tellement cherché.

Mais même l’imagination particulièrement fertile de John Constantine n’avait pas pu rivaliser avec celle des démons qui, depuis près de vingt ans, préparaient savamment ses tourments éternels avec une remarquable créativité. Fébrile, le souffle court et le cœur ne battant plus et pourtant prêt à exploser dans sa poitrine, John effondré au sol recula de son mieux sur le sol crasseux de sa cellule, jusqu’à ce que son dos ne heurte la lourde porte en métal. Tout était si sombre, vénéneux, froid, glacial, poisseux, humide, collant, irrespirable, jusque dans ses os, et pourtant ça n’était rien face à ce que ses yeux fixaient avec horreur dans la pénombre. « Arrête. Va-t-en. » soufflait-il sans que la créature ne paraisse l’entendre – ou vouloir l’entendre ; et dans l’obscurité de sa cellule, le corps d’Emma, grotesque marionnette déformée par de trop nombreuses fractures (seigneur, Emma, pourquoi t’as sauté, Emma), se rapprochait par à-coups saccadés, la bouche tordue de douleur en appelant son nom d’une voix furieuse et étranglée. John s’étrangla, fit une tentative désespérée pour se redresser et marteler contre la porte, mais derrière lui surgit une main pâle au bout d’un bras décharné et lui couvrit la bouche pour étouffer ses cris de terreur, alors que d’autres bras, attachés à d’autres corps fantomatiques s’ingéniaient à l’immobiliser au sol, impuissant, incapable de faire quoi que ce soit d’autre que fermer les yeux face au spectacle terrible de la pauvre Emma prête à lui faire payer le tourment auquel il l’avait lui-même condamnée. Sous la main putride qui l’étouffait à moitié, John pressa si fort les paupières que des points blancs se mirent à danser devant ses yeux, et alors qu’il sentait le corps brisé d’Emma au-dessus de lui, il les rouvrit d’un seul coup, et elle disparut, et Ravenscar aussi, laissant place à un tout autre décor mais non moins synonyme d’enfer. Prestement il se redressa sur ses coudes, et son sang se glaça dans ses veines de mortifère alors qu’une ombre trop familière se dessinait dans l’embrasure d’un salon de Liverpool qu’il n’avait que trop bien connu, et trop cherché à oublier. « Dégage, papa… t’es même pas mort en plus, sale crevard ! » cracha-t-il, se raccrochant à cette certitude comme un naufragé à sa planche, mais la hargne, c’était tellement plus convaincant quand on n’était pas occupé à tenter encore de reculer comme le petit garçon terrifié qu’il n’avait de cesse de redevenir parce au patriarche honni. Thomas Constantine, dressé dans toute son intimidante menace, franchit le pas de la porte, et John remarqua seulement alors ses bras tendus à la manière d’un Christ morbide, crucifié à des cintres en fer. « Casse-toi, putain ! » aboya-t-il, et il aurait été tellement plus convaincant, si la vue que lui offrait l’illusion de son père ne lui inspirait par une telle horreur que sa voix s’en était brisée dès la deuxième note d’un numéro qu’il n’avait plus la force de maintenir à ses standards habituels, s'il n'en tremblait pas comme une feuille devant lui. Casse-toi, casse-toi, casse-toi ; et le premier coup tomba, suivi d’un autre, et John plié de douleur encaissa, comme il encaissait si bien à l’époque, comme il encaisserait encore jusqu’à la fin des temps. Stop, stop, stop, arrête, je t’en supplie, et un coup de pied lui fit cracher du sang qui ne circulait même plus dans ses veines, et il tenta de relever la tête, et ses yeux s’accrochèrent à une autre silhouette qui se détachait contre le mur triste et délavé de leur vieux salon, et son cœur s’effondra en miettes très bas dans sa poitrine. Non. Non non non non non. « Maman ? » s’étrangla-t-il. Non non non, sa mère ne pouvait pas être en enfer, pourquoi serait-elle en enfer, elle qui n’avait jamais été que la victime de sa brute épaisse de mari ? Est-ce que c’était de sa faute, ça aussi ? Est-ce qu’en tuant sa mère, John l’avait aussi condamnée aux flammes de l’Inferno et du purgatoire ? Les larmes qui coulaient sur ses joues étaient tellement brûlantes qu’il en oubliait presque les coups de son père. Pardon maman. Pardon pour tout ce qu’il ne comprenait pas encore, pour toute la souffrance qu’il avait apportée rien qu’en existant, apparemment. John tendit la main, et il se sentit pitoyable et pathétique, mais avait-il jamais cessé de l’être, depuis l’époque où il se terrait sous les draps en pleurs en appelant de tous ses vœux une mère dont il savait pertinemment qu’elle ne viendrait jamais ? Face à lui, l’ectoplasme de Mary Anne Constantine sembla hésiter un instant. Mais elle approcha, sans que John ne parvienne à distinguer ses traits, et elle tendit la main à son tour –

Et lorsque ses doigts se refermèrent sur les siens, il chuta à nouveau, le décor changea encore, et lorsque le sol cessa de tanguer sous son corps tuméfié et malmené, John rouvrit les yeux. Sa main en serrait toujours une autre. Plus petite, plus légère. Rattachée à un poignet, rattaché à un bras, rattaché à rien du tout ; avec un hoquet d’horreur John relâcha sa prise, alors qu’autour de lui, le sang déversé par gallons entiers maculait les murs du Casanova, et devant lui, au centre d’un cercle d’invocation, des flammes et l’écho d’un rire ignominieux témoignaient encore du passage de la monstruosité de Nergal. Newcastle. La boucle était bouclée. Autour de lui, lentement, se dessinaient les silhouettes qui hantaient ses pires cauchemars. Astra, dont le bras arraché était tout ce qu’il avait pu sauver de l’enfer. Judith, qui avait fini par overdoser dans son appartement londonien. Beano, qui avait suivi le même chemin dans la cave de sa mère. Zatara, dont le regard chargé de jugement sentencieux vrillait à travers son crâne. Mary Conway, qui s’accrochait encore à son oreiller et tenait la main restante d’Astra. Nick Nolan et son foutu rictus. Alec Holland, va savoir comment, était là aussi. Anne-Marie, dans son uniforme de bonne sœur, évidemment, même elle n’y avait pas échappé. Et sa mère, et son père, et d’autres encore, tous étaient là, en cercle bien ordonné autour de lui, parfaitement immobiles. Pantins impeccables dans ce grand divertissement infernal, mais pantins volontaires, tous.

A ton tour, Johnny-boy.

Le sang sur les murs du Casanova se remit à couler en cascades infinies. Bientôt, ils furent tous à patauger dedans, et John ne chercha même pas à s’extraire du liquide poisseux et chaud et écœurant dans lequel il était encore agenouillé. Il était à bout. Il avait été à bout depuis le début – s’il y avait eu un début. Il ne savait plus depuis combien de temps il était là. Il ne savait plus pourquoi il était là. Dans sa mémoire, les visages de Zatanna, de Chas, et de Rosalie s’estompaient peu à peu. Tant mieux. Au moins l’enfer ne ternirait pas ces souvenirs-là, s’ils disparaissaient complètement. Quelque chose acheva de s’éteindre au fond de ses yeux pétris d’un vide abyssal. Cette fois, il n’y aurait pas de Zatanna pour venir l’arracher à ses fantômes, pas de fleur séchée pour lui rappeler d’un murmure que tout irait bien, un jour, éventuellement, peut-être. Le sel des sanglots se mêlait à celui du sang, et John se recroquevilla sur lui-même, alors que mus d’un même mouvement, ses fantômes se rapprochèrent, leur fureur palpable, leur rancœur suintant par tous leurs pores. A ton tour, Johnny-boy. Et il ferma à nouveau les yeux, au moment où les griffes de ses démons se refermèrent sur lui.

Encore, et encore, et encore, et pour toujours.

Spoiler:

 

AVENGEDINCHAINS

Ce que Rosie redoute le plus, c'est de perdre le contrôle de sa magie. Si Zatanna dit vrai – ce dont Rosie ne doute pas une seule seconde – alors elle risque d'avoir de plus en plus de mal à maîtriser ses dons. Elle l'a bien senti, depuis qu'elles ont quitté les royaumes d'Hela pour venir ici, sa magie se comporte étrangement. Les dieux sont eux aussi anormalement silencieux, ce qui n'étonne guère Rosie, après réflexion. Ce domaine n'est pas le leur. Et puis il y a cette voix, cette maudite voix qui n'a de cesse de lui souffler qu'elle est faible et ne parviendra jamais à sauver Lucian... Si elle pouvait faire face à son propriétaire, elle l'étranglerait sans hésiter pour le faire taire. Faute de mieux, comme Zatanna, elle se déchaîne contre la horde de petits démons qui les attaque. Rosie ne prononce pas ses formules, elle les hurle avec la rage d'une femme qui en a assez d'être sous-estimée et traînée dans boue. Ses décharges d'énergie magique frappent de plein fouets plusieurs créatures, qui sont carbonisées en plein vol. Elle pulvérise un autre petit démon, puis un autre, encore un autre et ainsi de suite en continuant à pousser des cris de rage en même temps qu'elle déchaîne sa magie. Comme attendu, Rosie sent sa magie lui échapper, comme si soudain elle ne lui appartenait plus tout à fait et alors que cela devrait la terrifier... C'est presque jouissif. Ne plus rien chercher à contrôler, laisser toute la colère accumulée en elle s'exprimer, extérioriser sa douleur en se déchaînant sur des démons qui le méritent... « Non, non, ce n'est pas moi... Ce n'est pas moi... » Rosie lutte contre les émotions négatives qui l'abrutissent pour reprendre ses esprits. Et quand elle y parvient, elle a un sursaut d'effroi. « ZATANNA ! » La jeune femme est couverte de coupures plus ou moins profondes, d'écorchures presque partout et ses vêtements ont été lacérées. Furieuse – et cette fois à juste titre – Rosie prononce un mot, un seul. « LAE ! » Destruction. Dans son esprit, annihilation. Les petits démons qui font l'erreur de s'attarder auprès d'elles éclatent comme de simples bulles de savon, les uns après les autres. Voilà... Voilà qui tu es vraiment, Völva... Une tueuse, une destructrice, une marionnette entre les mains des dieux... Rosie injurie copieusement le quelconque démon qui lui murmure ces ignominies et rejoint Zatanna en titubant. C'est seulement à ce moment qu'elle prend conscience de ses propres blessures et son cœur se serre quand elle songe à Lucian, qui ressentira exactement la même douleur qu'elle et se fera par conséquent un sang d'encre. Dès qu'elle a rejoint Zatanna, Rosie glisse un bras autour de sa taille pour la soutenir, et ensemble elles se dirigent vers le bâtiment que la sorcière a désigné. Rosie est certaine que ce qui les attend à l'intérieur ne vaut guère mieux que la horde de petits démons, mais elle n'a aucune envie d'être mise en pièces par ces laiderons démoniaques. D'un coup d'épaule, elle ouvre la première porte qu'elles atteignent et à sa grande surprise, elle s'ouvre. Cela ne la rassure pas pour autant, c'est trop facile... Les grands démons dont a parlé Zatanna sont à présent forcément au courant de leur arrivée. Forcément. Nauséeuse, Rosie se plie en deux et pose ses mains sur ses genoux avant de regarder autour d'elle. Elle crache une gorgée de sang et essuie les quelques gouttes écarlates qui s'échappent aussi de son nez. C'est le signe qu'elle fait beaucoup trop d'efforts dans cette dimension à laquelle sa  magie semble presque allergique, mais elle fait comme si de rien n'était. Elles sont si près du but, si près de John... Et déjà si fatiguées. Rosie prend une profonde inspiration et se redresse pour faire face à ce qui les attend. « D'accord, et maintenant qu'est-ce qu'on... » Elle ne termine pas sa phrase. Rosie se sent blêmir, elle a l'impression que tout le sang quitte son visage. Cet endroit... Cet endroit lui est atrocement familier, alors qu'elle n'y a pourtant jamais mis les pieds. Mais tous les asiles se ressemblent, pas vrai ? Les murs blancs d'une cellule, une silhouette recroquevillée dans un coin – Rosie ne parvient pas à reconnaître John, une table rouillée d'électrothérapie, des infirmiers aux visages changeant, des seringues, des boites de médicaments toutes plus douteuses les unes que les autres... Une baignoire remplie de glace. « Non, non, non, non... Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel. Ce n'est pas... » Rosie recule jusqu'à ce que son dos rencontre un mur. Elle tremble de tout ses membres et laisse échapper ce qui ressemble au glapissement d'un animal blessé. Ces hommes... Ces visages... Elle les connaît. Elle se souvient de ce qu'ils lui ont fait. Oh, tu croyais avoir tourné la page ? Pauvre, pauvre Rosalie... Admets-le, tu n'as rien oublié. Tu te souviens parfaitement de tout ce qu'ils t'ont fait, pendant toutes ces années... Tu n'étais qu'une poupée de chiffon incapable de bouger, ils faisaient avec toi ce que bon leur plaisaient... Tu n'as rien oublié. Et tu n'oublieras jamais ! Cette fois, c'est un cri perçant qui lui échappe et elle se laisse glisser au sol pour se replier sur elle-même. Elle ramène ses jambes contre sa poitrine et dissimule son visage sous ses bras en sanglotant. « Ce n'est pas réel, ce n'est pas réel... Ils ne sont pas là, ils ne sont pas là... » Rosie le sait bien. Et pourtant, la jeune fille qu'elle a été est incapable de se défaire des souvenirs effroyables qui défilent un par un dans son esprit. Que se passerait-il si elle perdait le contrôle là, maintenant ? Peut-être est-ce ce qu'ils veulent, ces maudits démons. Mais il y a encore Zatanna. Elle est plus forte qu'elle, elle l'a toujours été. Elle trouvera le moyen de les sortir de là, tous les trois. N'est-ce pas ?

Fight fire with hellfire

La voie est ouverte, ma chérie. De là où elle était, Zee voyait une silhouette sur le pas de la porte de l’immeuble où, elle le savait, John était retenu prisonnier. Mais elle n’arrivait pas à savoir si cette voix était aimante ou ignoble, et si cette silhouette était familière ou menaçante. Difficile même de savoir où elle était, ni qui elle était. L’enfer déchirait les âmes et délitait les corps et elle savait que bientôt, ni Rosie ni elle n’auraient plus conscience de leur propre existence même. C’était ainsi que l’on pouvait errer dans cet endroit pour l’éternité – en ayant oublié son propre nom, sa propre présence dans ce monde, seulement défini par ses traumatismes sans début ni fin. Mais elles étaient plus que cela également. Une vague de magie la traversa, brûlante et salvatrice, et soudain elle sentit les bras de Rosie autour d’elle, et serra les siens autour de sa taille fine. Voilà comment se raccrocher à la tangibilité de leur existence. Voilà comment rappeler à l’enfer qu’elles n’étaient pas prêtes encore à se faire dévorer. Je ne suis pas morte. J’existe. Je suis là. Je sens mes bras et mes jambes et je sens Rosie contre moi. Nous sommes là. Et de nouveau, une silhouette floue lui faisait signe, et ce n’était pas comme si elles avaient le choix, de toute façon. Ni si elles étaient venues pour une tout autre raison que cela. Franchir cette porte. Passer un pacte silencieux et invisible, mais bel et bien consensuel : en entrant dans cette demeure, elles se mettaient à la merci de son propriétaire. Alors, maintenant, quoi ? Cela dépendant de qui, grandement. Tu ne sais pas. Tu ne sais pas ce que tu dois faire, tu as été folle de venir ici et de faire croire à Rosie que tu savais ce que tu faisais. Elle sentit Rosie lui échapper et s’arracha aux voix poisseuses qui s’insinuaient sous son crâne.

Autour d’elles, le décor était complètement abscons, et Zee comprit aussitôt qu’elle se trouvait dans un endroit qui ne lui appartenait pas. Un décor horrifique d’hôpital, qui lui rappela Ravenscar par certains aspects, mais qui lui était totalement étranger par d’autres. Rosalie poussa alors un hurlement et tomba au sol et Zee s’accroupit à ses côtés, l’agrippant par les bras comme pour la retenir, l’empêcher de disparaître. Elle savait que Rosie voyait des choses différentes d’elle, coincée dans un cauchemar qui lui appartenait. La magicienne, elle, posait son regard bleu sur une scène mouvante, en perpétuel changement, à lui donner la nausée. C’étaient des murs blancs et sales, une table de laboratoire et des instruments terrifiants, une baignoire remplie de glace, puis une cellule sombre et étouffante et remplie de cadavres qu’elle reconnut sans les connaître, puis un salon banal dont chaque molécule d’air était emplie de la présence terrifiante d’un être démesuré, un monstre de cauchemar à l’apparence en tout point semblable au mal qu’il avait causé, et des hurlements de femme, ou d’enfant, rebondissaient sur les murs, qui déjà se couvraient de sang alors que le décor changeait encore, se faisant presque crypte pour témoigner d’un drame pire encore, puis tout changea encore et le blanc sale des murs d’un hôpital lui brûla les yeux de nouveau, et puis encore, les seringues qui perçaient la peau, les électrodes, la glace, et puis encore, la cellule, la morte, les pendus, le monstre, les cris, le petit bras, le sang, les murs blancs… Laisse-moi t’aider, ma chérie. « Je n’ai pas besoin de ton aide. » Elle haletait, cherchant son souffle, et la voix de nouveau, amie ou ennemie, elle ne pouvait pas faire la différence, résonna dans son âme même : Laisse-moi t’aider, ma chérie. Elle joignait les mains devant son visage, prête à éclater, et un anneau de lumière argenté naquit entre ses doigts, s’élargit brutalement, se multiplia, repoussant le poids qui pesait sur sa poitrine et lui prenait son souffle, chassant les ténèbres poisseuses, faisant trembler les murs de l’immeuble, qui n’était qu’un immeuble, sur ses fondations.

De nouveau, elle se trouvait dans la pièce aux murs blancs, avec cette horrible baignoire, et Rosie à ses pieds qui répétait encore et encore le même mot, ce mot terrifiant – non –, mais elle se trouvait aussi dans cette cellule, debout devant John – oh John, John – et dans ce salon, entre lui et le monstre – te voilà, te voilà enfin – et dans ce club, face à lui, dos à l’enfant martyrisée – tu rentres avec nous, John. Bizarrement fractionnée, témoin seulement du martyre des autres, elle sut qu’elle avait laissé sa magie psychique prendre le dessus, mais c’était trop tard, et c’était tant mieux. Elle s'agenouilla face à la jeune sorcière avec l'impression d'être un rocher dans le courant poisseux d'une rivière de magie noire, tentant de dévier ces courants. Et par-dessus les mains qu’elle posa sur celles de Rosie, elle crut en sentir des centaines d’autres, des mains douces, ridées, blessées, fermes, des mains de femmes uniquement, et elle sut que ce n’était pas elle qui faisait ça. C’était Rosie qui possédait ce miracle en elle. « Lève-toi, Rosie. Le voyage n’est pas fini, tu n’es pas destinée à t’arrêter ici. » Zee sentait que ces paroles n’étaient pas vraiment les siennes, qu’elles avaient plus de sens que celui qu’elle avait voulu leur donner, mais elle ne comprenait pas lequel et ne le comprendrait pas avant quelque temps.

Et en même temps, elle se tenait debout devant la silhouette recroquevillée de John, dans sa cellule, dans son salon, dans ce club infernal, comme brisée en plusieurs morceaux, à son image à lui. Trois fois, dans la même respiration, elle se laissa tomber à genoux face à lui, trois fois, elle posa les mains sur son visage, le força à la regarder dans les yeux, chassant, pour quelques fractions de seconde, le cauchemar, alors qu’un grondement rageur se faisait entendre quelque part dans la réalité des murs de la demeure démoniaque. Elle n’arrivait pas y croire, que c’était lui. Qu’il était bel et bien là. « John... » Un simple souffle, mais elle n’était même pas sûre de parler à voix haute, en vérité. « Viens avec nous. Je t’en prie, viens avec nous. » Elle posa son front contre le sien et ferma les yeux. Elle n’avait pas le temps de lui dire tout ce qu’elle avait voulu lui dire ces derniers mois, et de toute façon, il ne l’écoutait pas. « Tout ira bien, John. Tout ira bien. » Et pendant un battement de cœur, elle en fut persuadée, de ces mots, échos d’un autre temps. Dans la même seconde, elle serra les mains de Rosie et de John, et sous eux, le sol crasseux et sanglant devint un tapis d’herbes hautes et de fleurs sauvages, les murs disparurent au profit d’un horizon plat à perte de vue, les hurlements furent balayés par une brise douce, et Zee vit la silhouette solitaire de son père, riant aux éclats devant les roulades maladroites d’une petite fille aux yeux bleus et aux cheveux noir. Elle les regarda tous deux et crut que sa volonté allait flancher. « Je sais que tu n’es pas vraiment là. Je sais que ce n’est pas vraiment toi. Et je suis désolée de ne pas pouvoir te sauver toi aussi. » Le père et l’enfant ne faisaient pas attention à eux, les trois êtres brisés venus se mettre à l’abri pendant quelques fractions de secondes dans ce souvenir, ce souvenir à elle, pour lutter contre tous les autres. Mais déjà, la terre tremblait et l’air autour d’eux semblait se fissurer, puis s’écailler, alors que l’enfer luttait reprenait ses droits.

Zee baissa les yeux sur John et Rosie, alors que le décor redevenait progressivement celui de la demeure du démon. Elle ne savait pas dans quel état était John, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas aller plus loin sans Rosalie. « Rosie, il arrive. Et on ne doit surtout pas le croiser, ou bien on ne pourra pas partir d’ici sans y laisser une part de nous. » Deal stupide, pacte idiot – non, pas encore ! Le courage, cette fois, c’était la fuite. Mais tu ne peux pas les faire sortir d’ici. Non, elle ne pouvait pas. Cette fois, elle s’abandonna sans complexe à cette horrible vérité, alors que devant eux se dressait enfin la silhouette de celui qui osait clamer l’âme de John, et même s’il la terrifiait, cette seule idée suffit à la faire se dresser entre eux et le démon. Il était humanoïde, mais la comparaison s’arrêtait là car tout en lui générait l’horreur, le cauchemar, lui donnait envie de s’arracher les yeux. Les mots n’auraient pas suffi à décrire l’horreur absolue, mais elle connaissait son nom. « Il est à nous, Nergal, pas à toi. » Rien que prononcer ce mot amena un goût métallique dans sa bouche, mais son tatouage, à la base de sa gorge, se mit à pulser doucement, comme un signe d’encouragement. Tu ne peux pas lutter seule, ma chère, mais tu n’es pas seule si tu acceptes mon aide. Non, elle n’était pas seule. Rosie était là. Et John aussi, si seulement il en avait la force.

Codage par Libella sur Graphiorum

Impossible. C’était le premier mot qui lui était venu à l’esprit, et pourtant, on avait facilement tendance à oublier l’existence de ce mot-là, dans ces contrées maudites. Les fantômes reprenaient chair, les vieux souvenirs reprenaient corps, les cicatrices qu’on croyait soignées se rouvraient pour déverser leur sang poisseux, et tout ce qu’il y avait de beau et de bon dans une mémoire d’homme se trouvait corrompu par une maladie pestilentielle qui ne connaissait ni traitement ni remède si ce n’est le joug de l’éternité. L’esprit sombrait peu à peu dans la folie jusqu’à ce que plus rien ne distingue le réel de l’illusion, parce qu’ici, le réel était illusion, et les illusions devenaient réelles. Et au final, tout ce qu’il restait de tangible, c’était les remords, les regrets, la honte, la culpabilité, et la souffrance d’une vie gâchée à enchaîner mauvais choix sur mauvais choix, ou à endurer le poids d’une seule faute qui avait tout coûté. Alors quand le voile de sa cellule s’était brièvement déchiré, entre deux cauchemars, pour laisser passer, comme un courant d’air frais, une vague d’énergie qui n’appartenait pas à cet endroit, et qui évoquait un lointain écho dans son esprit en lambeaux, John s’était dit impossible. Puis il y avait eu les voix. Noyées quelque part sous les aboiements de son père et les hurlements d’Astra, mais elles étaient là, dissonantes dans cet espace où tout n’était que sang poisseux ou aiguilles de seringues ou fragments de verre et des fois John se demandait si ce n’était pas des fragments de son esprit aussi surtout quand il se coupait dessus et qu’il n’avait pas d’autre choix que de se recroqueviller dans un coin fébrile en attendant le prochain châtiment et – et il tressaillit, pauvre réflexe viscéral, lorsque deux mains bien trop douces pour appartenir à cet endroit vinrent se poser sur son visage, et il ferma les yeux pour ne pas la voir, s’attendant à une cruelle farce avant que le prochain coup ne tombe. Mais sa voix. Comme une unique goutte de pluie qui s’écrase sur un malheureux perdu dans un désert brûlant après des semaines de calvaire. Un hoquet lui échappa, alors que ses paroles tombaient, non pas dans l’oreille d’un sourd, mais dans l’oreille d’un damné – venir avec nous, qui nous, elle et lui ? Elle et Zatara ? Elle et Nick ? Elle et un autre malheureux qu’il avait entraîné dans sa chute ? Et venir où – vers une destination finale, enfin ? Parce que si elle était là, ça voulait bien dire que…

Et soudain l’enfer disparu, et même si ça n’était que pour une fraction de seconde, il en eut le souffle coupé – pauvre sinistré privé d’oxygène qui réapprenait soudainement à respirer alors qu’autour d’eux, sérénité et félicité reprenaient leurs droits. Enfin il osa rouvrir les yeux, et enfin, il osa formuler l’impensable : « Zee ? » Un nom lâché dans un souffle, lui qui avait fait tant d’efforts pour ne jamais le prononcer en ces lieux, par crainte, par superstition que ça la conduirait à le rejoindre. Dans sa poitrine, son cœur qui ne battait plus, mais mille fois déchiré par les démons mineurs des enfers, éclata en morceaux. « Non, non non non non tu peux pas être là, comment… » balbutia-t-il en levant ses mains vers son visage, effleurant le contour de ses joues de ses doigts tremblants, alors que ses yeux, profondément cernés, criaient sa détresse. Il ne comprenait pas ce qu’elle faisait ici – et son regard dériva et s’accrocha à une autre silhouette, dont les traits éveillèrent à leur tour des souvenirs enfouis bien trop loin pour réellement avoir du sens. « … Rosie ? Comment… ? » Zatanna et Rosalie, Rosalie et Zatanna, qui n’avaient pas du tout leur place en Enfer, c’était impossible, elles ne devraient pas être là, oh non, est-ce qu’il les avait damnées aussi, est-ce qu’il les avait entraînées avec lui ; ou est-ce qu’elles étaient venues pour le punir, elles aussi ? « C’est pas vrai – vous n’êtes pas réelles, vous ne pouvez pas… » commença-t-il à se rebeller, prêt à se jeter en arrière pour s’éloigner de ses supposées illusions – mais l’Enfer avait reprit ses droits, sans qu’il ne le réalise, et soudain l’air se mit à brûler comme si quelqu’un y avait mis le feu, et que l’incendie se propageait dans leurs gorges et leurs poumons. Il arrive. Tous ses soupçons s’évanouirent comme neige en pleine fournaise, et John attrapa la main de Zatanna, ou d’illusion-Zatanna, il ne savait pas, et il s’en foutait, et il aurait attrapé celle de Rosalie aussi si elle n’avait pas été aussi loin, et il recula dans un réflexe de pure survie qui n’avait plus aucun sens, puisqu’il était déjà mort. Et Nergal, lui, n’avait rien d’un petit garçon terrifié face à sa pire erreur.

Humanoïde, il l’était indubitablement, mais sa monstruosité bestiale et primitive suintait par tous les pores de sa peau qui n’avait rien d’humaine, accompagnée de l’ignoble odeur de décomposition avancée mêlée de soufre si propre aux démons qui vaquaient en ces enfers-ci. Brutalité et bestialité il était, mais ses yeux reptiliens brillaient d’une rare intelligence et d’une fourberie sans pareil. Et d’une noirceur, surtout, comme un abîme sans fond, alors qu’il contemplait la trop courageuse Zatanna et ses compagnons en piètre état avec un ricanement guttural qui fit trembler les murs de la cellule. « Il apparaîtrait que John Constantine soit à beaucoup de monde… Zatanna Zatara… Rosalie Rosewood… Mais j’ai bien peur que vos noms n’apparaissent pas sur la liste des prétendants à son âme… » La voix de Nergal se traînait, lancinante, comme un serpent prêt à frapper sa proie, et John puisait dans toutes les réserves de force qu’il n’avait plus pour ne pas tourner de l’œil – ou alors il ne pouvait simplement plus tourner de l’œil, peut-être, parce que s’évanouir, ce serait trop facile comme échappatoire à la torture. La présence de Nergal suffisait à le brûler de l’intérieur et envoyer son esprit dans un brasier insupportable ; et pourtant, au milieu des flammes, figuratives ou littérales, il ne savait plus trop, un infime fragment de son esprit s’accrocha à quelque chose, pour la première fois depuis des mois. Nergal, lui, s’avança dans la pièce. « Tu sais qu’une âme qui échoue en Enfer ne peut s’en échapper, Zatanna… l’ignorance de ton amie, qui n’appartient pas à notre monde, peut être excusée, mais toi ? L’exemple de ton cher papa devrait faire cas d’école… » Entre ses mains griffues, Nergal convoqua une image, toute en flammes, d’un homme se débattant dans les feux des enfers – moustache et chapeau haut de forme reconnaissables entre mille. Pouf, l’illusion disparut. « Il est aussi facile d’entrer en Enfer qu’il est impossible d’en ressortir, ce sont les règles. » conclut-il, alors que l’air s’épaississait encore de sa présence autour d’eux, à en devenir irrespirable.

Une main toujours accrochée à celle de Zatanna, John luttait, désespérément, pour retrouver quelques-uns des fragments de son esprit éclaté qu’il avait égarés d’un tableau à l’autre dans cette ronde infernale – et il ne comprenait rien de ce qui se passait, et les fantômes avaient disparu face à Nergal, mais Zatanna et Rosalie – oh Rosalie, que t’ont-ils fait, à toi aussi ? – étaient toujours là. Et Nergal, surtout, Nergal n’attaquait pas, ne faisait rien ; pourquoi ? Il les avait tous les trois à sa merci. « Zee… » souffla-t-il en serrant ses doigts entre les siens, ses yeux hagards fixés sur Nergal. « Quelque chose ne tourne pas rond… » Elle saurait de quoi il parlait. Peut-être. Lui-même n’était plus trop sûr de quoi il parlait, mais il se raccrochait à une seule certitude, maintenant : il fallait gagner du temps. Il ne savait pas pourquoi, mais c’était impératif. « Il ne fait rien… Continue de le faire parler… » Ca ne servirait sans doute à rien. A leur acheter un peu de répit. Mais dans cet endroit, c’était un peu tout ce qui comptait.

Spoiler:

 

AVENGEDINCHAINS

« Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel... » Prostrée, Rosie répète les mêmes mots comme une litanie désespérée. Rien de ce qu'elle voit n'est réel, ce n'est qu'une cruelle et sinistre illusion, le maître de ces lieux utilise son passé pour la déstabiliser et l'affaiblir, exactement comme Zatanna lui a dit qu'il le ferait. Ce n'est pas réel... Mais ça l'a été. Ce ne sont pas ses plus grandes peurs que le démon utilise contre Rosie, ce sont ses propres souvenirs. Elle est paralysée par la peur, comme une proie face à son prédateur. Toutes ces choses qui sont arrivées, toutes ces horreurs qui lui ont été faites... Rosie hurle, elle hurle à s'en déchirer les cordes vocales. Elle ferme les yeux pour chasser ces visages qu'elle croit revoir alors qu'elle prie jour et nuit pour parvenir à les oublier, elle pleure à chaudes larmes et tremble de tous ses membres. Elle maudit sa naïveté, comment a-t-elle pu croire une seule seconde être assez forte pour résister aux tortures de l'enfer ? Il lui semble qu'elle ne possède plus une once de volonté, elle n'est plus qu'un triste simulacre de la sorcière si sûre d'elle en Islande. Rosie sursaute violemment quand Zatanna pose ses mains sur les siennes et il lui faut faire un effort incommensurable pour la regarder. Elle ressent quelque chose d'indescriptible à travers son contact, quelque chose de familier et rassurant... Parce que ce n'est pas vraiment Zatanna qui lui parle, pour une raison que Rosie ne s'explique pas ce sont ses ancêtres qui s'expriment à travers elle pour l'apaiser. L'apaiser sans oublier de prophétiser en même temps, ce qui ne lui échappe pas malgré son état second. Elle a l'impression de lutter contre son propre esprit pendant une éternité, et elle finit par se convaincre d'affronter la vision que l'enfer lui impose. « Ce n'est pas réel. » Elle serre les poings et se redresse à genoux. Ses jambes tremblent, mais Rosie persévère. Elle se relèvera, et se fait la promesse que ce sera la dernière fois que quiconque la forcera à s'agenouiller « Ce n'est pas réel. CE N'EST PAS RÉEL ! » La cruelle illusion vole en éclats et laisse place à un paysage qui n'a plus rien à voir avec le décor infernal qui les enveloppait jusque là. D'abord incrédule, Rosie réalise ensuite que c'est Zatanna qui est à l'origine de ce changement. Elle se rapproche doucement de John et elle, silencieuse, et serre les doigts de Zatanna entre les siens. C'est l'un de ses précieux souvenirs que la magicienne leur offre pour qu'il puissent y puiser un peu de répit. Consciente de ce don qu'elle leur fait, Rosie lui adresse un sourire à la fois chaleureux et plein de détermination. Elles sont arrivées jusque là, il n'est pas question qu'elles repartent de cet endroit maudit – littéralement – sans John. Le décor redevient lugubre, et Rosie prend une profonde inspiration pour se préparer à affronter ce qui les attend. Ses jambes tremblent toujours, mais elle se relève enfin et ses poings se mettent à luire de la même énergie mystique blanche qu'elle était parvenue à invoquer face à Wotan. « Il arrive ? De qui parle-t-on, exactement ? » Avant que Rosie n'ait obtenu de réponse, Il fait sa grande entrée. Et Rosie ne peut s'empêcher de faire une terrible grimace. Nergal, comme Zatanna le nomme, est tout simplement hideux. Son apparence est très vaguement humanoïde, parce qu'il possède un faciès qui rappelle celui d'un homme ainsi qu'un torse et deux bras, mais la ressemblance s'arrête là. Son corps se termine par une longue queue reptilienne, ses ailes sont comme celles d'une immense chauve-souris et comme tout démon qui se respecte, il a des cornes et des yeux rouges. Mais surtout, il dégage une odeur infecte, un mélange de soufre et de cadavres en putréfaction. Rosie incline légèrement la tête sur le côté. « Uh. Je l'imaginais plus grand. » Insolence inconsciente ? Peut-être bien. Ou peut-être que Rosie est à ce point furieuse qu'elle n'en a que faire. Elle n'y connaît pas grand chose en démonologie, mais elle sait que Nergal est l'un des plus grands démons de l'enfer. John lui a parlé de lui, suffisamment pour qu'elle se fasse une idée de sa monstruosité... Un frisson d'effroi la traverse quand il prononce son nom, comme si des milliers d'insectes grouillaient sur sa peau. Rosie est horrifiée, mais elle éprouve tellement de rancœur à son égard que celle-ci l'emporte sur ses deux émotions diamétralement opposées. « Désolée, mais mon âme appartient à un panthéon qui n'a aucune intention de la partager. » Les dieux qui habitent son esprit sont plus vieux que cet endroit. Et peut-être... Peut-être peuvent-ils leur offrir une porte de sortie, ou quelque chose s'en rapprochant. Nergal déblatère beaucoup pour un seigneur de l'enfer, ce qui ne semble pas être dans ses habitudes... Mais si lui parle pour ne pas dire grand chose, d'autres démons mineurs se sont lentement rapprochés d'eux en profitant des ombres et de la distraction offerte par Nergal. Comme des vautours qui espèrent sans doute pouvoir se repaître des restes. Doucement, Rosie pose une main sur l'épaule de John. Sans dire un mot, simplement pour lui faire comprendre qu'elle est là pour lui et qu'elle n'a pas la moindre intention de repartir sans lui. Les petits démons se rapprochent, mais quand Rosie se place entre eux et Zatanna et John, la plupart semblent hésiter. Comme s'ils percevaient son aura, différente de tout ce qu'ils ont un jour pu connaître. Puis l'un d'entre eux se trouve une once de courage et se jette sur elle. Rosie envoie sur lui une puissante décharge d'énergie qui le pulvérise instantanément. Les démons reculent d'un pas, et elle aussi. Elle ne s'attendait pas à le réduire en cendres, juste à le repousser. Pourtant elle le sent, l'énergie mystique qui pulse dans ses veines est différente, plus puissante, plus difficile à contrôler, plus sombre aussi. Mais pour le moment, ça n'a aucune importance, elle relâche tout contrôle et laisse cette magie l'envahir. Si elle doit laisser un morceau de son âme ici, ce ne sera pas sans s'être battu comme une lionne pour sauver John et aider Zatanna à les faire sortir de là. « … Au suivant ? »

Fight fire with hellfire

Finalement, le courage, la force, c’est auprès des autres qu’elle les puisait. Dans sa volonté de protéger les autres, cercle sans fin mais vital à la survie. Et puis, c’était égoïste, aussi, ce que Rosie et elle faisaient là. Aller jusqu’en enfer pour faire dévier la route toute tracée de John Constantine. C’était une vraie tricherie, elles n’étaient pas dans leur bon droit. Mais tant pis. Depuis le début, tant pis. Et face à leur panique à tous les deux, elle ne sut comment elle trouva la force de garder son calme et d’invoquer des choses qui n’avaient pas leur place ici. D’ailleurs, son illusion se fit bien vite dévorer par l’enfer lui-même, vorace et malfaisant, et l’image d’Épinal de brûler comme du papier peint jusqu’à laisser la place à ce qu’il y avait en dessous. Mais au moins, Rosie avait vaincu ses démons. Et John, à défaut d’échapper aux siens, avait eu un éclair de conscience, bien assez pour que Zee soit sûre qu’il les suivrait, quitte à ce qu’elles le tirent de là chacune par une main. Pour l’heure, elle ne savait pas qui s’agrippait à qui. Face à eux, Nergal avait fait son apparition, maître en sa demeure, légitime, contrairement à eux, dans toute son horrible splendeur. La pique de Rosie, incongrue, ramena cependant Zee à la réalité. Elle était folle. Elles étaient folles, toutes les deux. Et ça tombait bien. La voix de Nergal était comme un séisme qui semblait vouloir faire éclater tout son être, trop odieuse, trop puissante pour être entendue, et elle dut faire un effort pour ne pas se boucher les oreilles. Elle se plaça doucement devant John, comme si son seul corps pouvait le protéger des enfers tout entiers. Et, bien sûr, le démon avait raison. Elle savait. Elle avait l’impression d’avoir menti à Rosie en venant ici avec elle. L’image que convoqua Nergal sous ses yeux, son père en train de brûler pour l’éternité, elle la fixa sans pouvoir détourner le regard. Oui, il y avait de quoi s’arracher les yeux. Le savoir si proche, et ne pas pouvoir aller le chercher comme elle le faisait pour John, parce que c’était aussi une question de choix, et c’était ce qui rendait cette situation plus horrible encore… Mais elle tint bon, parce qu’elle savait que son père était mort. Elle savait qu’il était en enfer. Elle avait tenu sa main pendant qu'il brûlait vif, avait elle-même adressé toutes les prières possibles pour l’accompagner dans son martyre et avait invoqué cette image, Zatara dans les flammes de l’enfer, des millions de fois avant que Nergal ne la lui montre, alors il n’y avait rien qu’il puisse lui faire subir de plus.

Un bras passé dans son dos, tenant la main de John, elle chercha ses mots, mais Rosie les trouva à sa place, et Zee sourit. Douce Rosie. Merveilleuse Rosie. Elle osa enfin regarder Nergal dans les yeux et aussitôt, eut conscience de sa petitesse et de son caractère éphémère, mais malgré tout… L’âme de Rosie n’était pas pour lui. Et en vérité, la sienne non plus. « Ce sont tes règles. Et en enfer, elles n’ont ni plus ni moins de valeur que les miennes. C’est ça, la seule règle universelle ici. » Elle entendit John bredouiller dans son dos et serra plus fort sa main. Même dans son état, il avait conscience que quelque clochait. Un marché est un marché, et je tiens toujours ma parole. Elle se mordilla la lèvre et porta sa main à son cou. « L’âme de Rosalie ne t’appartient pas, et la mienne non plus. Quelqu’un d’autre l’a clamée, et c’est en son nom que je clame celle de John Constantine. » Un jour, elle regretterait ses paroles. Mais elle ne s’était jamais sentie aussi sûre d’elle qu’aujourd’hui. Elle laissa Nergal sonder son regard pour y lire la présence de l’adversaire. « Je ne crains pas la guerre, ni contre mon frère ni contre les dieux morts d’un panthéon oublié ! » Mais son impatience était une réponse en soi. De même que les petits démons qui avaient fait leur apparition, les encerclant peu à peu, à la solde de leur maître… Mais alors que l’un d’eux sautait sur Rosie, celle-ci s’interposa et le réduisit en poussière. Zee hocha tranquillement la tête, comme si c’était tout à fait normal et prévu, alors que son cœur battait à tout rompre. Le bluff de toute sa vie. « Regarde-les, tes dieux morts. Ils sont tous ici, avec nous. » Et elle désigna Rosie du menton. « Regarde-moi, et demande-toi ce qu’une guerre contre ton frère, et contre tous tes autres frères avec lui, t’apportera. » Et de nouveau, elle le laissa sonder son âme, avec l’impression dégoûtante qu’elle en resterait souillée à vie. Même si elle sentait poindre, au fin fond de son âme, une satisfaction amusée, qui ne lui appartenait pas. Nebiros se fichait de résultat, au final. Qu’il ait la guerre ou qu’il l’ait, elle, il sortirait vainqueur de cette situation.

Et puis, il restait un dernier clou à planter dans cet infâme cercueil, et elle recula en reprenant la parole, pour sentir la présence de John contre son dos. « Il te reviendra, de toute façon. Quelques années de plus ne sont rien pour toi. Il ira en enfer quand son heure sera réellement venue, et il ira directement à toi. » Parce que le démon l’avait eu bien assez longtemps entre les mains pour qu’elle en soit meurtrie à jamais, la petite âme de John Constantine. Parce qu’il y avait de grandes chances qu’une fois lâchée en enfer son heure venue, elle soit attirée par le tout premier, le pire de ses tortionnaires. Et Nergal le savait, que tel était le destin de John. Et elle le savait aussi. Et John le savait mieux que n'importe qui. Peut-être que Rosalie le savait. Voilà pourquoi elle le disait, aussi horrible que ce soit. Son tatouage, à la naissance de sa gorge, pulsait doucement, comme ravi, et le démon ne dit rien pendant un moment. Autour d’eux, les démons mineurs fixaient Rosie, l’air prêt à tous lui sauter dessus. « J’aurais apprécié avoir ton âme également. Mais ce ne serait pas l’enfer si vous n’étiez pas séparés pour l’éternité votre mort venue. » Et cet échange à venir, qui déclencha l’hilarité des deux démons concernés malgré les dimensions qui les séparaient, la fit vaciller. Mais plus tard, les regrets. Pour l’heure, elle attendait, à la merci de Nergal. Tout ce dont ils avaient besoin tous les trois, c’était de sortir du royaume du démon. Une fois dans la rue, même s’il mentait, même s’il revenait sur sa promesse, ils auraient une infime chance de pouvoir s’enfuir, vu la magie que dégageait Rosie en cette seconde.

Codage par Libella sur Graphiorum

L’enfer était une fournaise, et pourtant, John avait tellement froid qu’il en tremblait comme une feuille dans le dos de Zatanna – à moins que ce ne soit de choc, de terreur, ou son corps ectoplasmique qui se mettait à disjoncter maintenant que son esprit avait tout à fait foutu le camp, court-circuité par la présence de Nergal dont l’aura seule était un étau bouillonnant sur son âme damnée. Maintenant que Nergal était de la partie, ils n’avaient plus aucune chance de s’en sortir, aurait-il voulu leur dire, à toutes les deux, pour ménager leur peine et qu’elles repartent sans lui, avant qu’il ne soit trop tard. Mais rien à faire : Zatanna restait résolument plantée devant lui, à faire barrage entre lui et son bourreau, pendant que Rosalie choisissait de se défouler contre ses monstrueux sbires, ses relents de magie nordique horriblement déformés et dénaturés par le moule empoisonné de l’enfer dans lequel ils baignaient tous. Ils n’en repartiraient pas indemnes. Ils n’en repartiraient pas tout court. John ferma les yeux et serra les paupières, secoué par un vertige aussi abrupt que soudain, et pressa son front contre le dos de sa compagne de toujours qu’il choisissait à chaque fois et qui, hélas pour elle, le lui rendait bien. Ce contact le fit frissonner d’effroi. Pourquoi, pourquoi étaient-elles venues le chercher ? Il pouvait déjà entendre leurs hurlements quand les flammes de l’Inferno les consumeraient, toutes les deux, et qu’il en serait le spectateur impuissant et coupable, coupable coupable coupable… il pressa ses deux mains sur ses oreilles, cherchant à faire taire les voix insupportables qui martelaient à ses tympans. Assez. Il croulait tellement sous le poids de la culpabilité qu’il ne pensait même pas avoir la force de se relever même si Zee le lui demandait. Hell is empty, and all the devils are here.

Il y avait quelque chose de profondément admirable, dans la façon dont Rosalie et Zatanna défiaient Nergal de concert – lui, quand il le faisait, il avait plutôt l’impression de danser sur des charbons brûlants, même s’il était très fort pour prétendre que ça faisait totalement partie de son plan. Mais ses angoisses sont tellement prégnantes qu’elles en obscurcissent presque tout son jugement, menaçant de le refaire basculer d’un instant à l’autre dans cet infect délire que l’Enfer avait si bien instillé dans son pauvre cerveau. Confusément, il se demandait ce que Zatanna voulait dire par là, son âme à elle promise à quelqu’un d’autre, et il rouvrit les yeux pour les poser sur elle, perdu. Et pourtant… et pourtant. Il y a quelque chose qui le dérange dans toute cette histoire, comme un puzzle qu’on a presque complété, mais dont la dernière pièce ne rentre étrangement pas. La gorge serrée, John s’accrochait à cette sensation familière, ce petit bout de pensée à peu près claire qui perçait dans son psyché atomisé. Depuis quand Nergal écoutait-il ses prisonniers ? D’accord, il aimait autant s’entendre parler que torturer ses victimes, mais ça ? Nergal, John le connaissait aussi bien qu’il se connaissait lui-même, et vice-versa. Jamais Nergal n’aurait toléré telle impudence aussi longtemps, et surtout, jamais il n’aurait résisté à l’envie de les neutraliser toutes les deux pour mieux savourer sa victoire en les tourmentant pour l’éternité. C’était donc bien qu’il n’avait pas de prise sur elles – pas encore, mais si elles tardaient encore, ça changerait très vite. Et s’il ne pouvait pas les garder, pourquoi ne les renvoyait-il pas ? Et pourquoi, pourquoi était-il autant sur la défensive… oh.

Et pour la première fois depuis une éternité en ce royaume, une lueur, distante, mais bien réelle, s’alluma dans les yeux de Constantine. « C’est pas à propos de tes frères, hein Nergal ? » articula-t-il d’une voix faible et étranglée, en se détachant péniblement du dos de Zee. Entre ses doigts, il serra les siens encore plus fort. Il n’était pas en état de mener la danse. Pas cette fois. Mais il connaissait Nergal, et cet endroit – et elles, elles avaient tout le reste. Peut-être, peut-être que finalement, ce serait suffisant. Il déglutit, repensa à la chaleur de la main de Rosalie sur son épaule, à la réalité de cette main tant chérie dans la sienne, et il inspira avant de poursuivre. « Enfin, pas que. » Nergal baissa sur sa victime ses yeux reptiliens. « Vous voyez les filles, l’Enfer est… l’Enfer, c’est bien plus ordonné qu’on ne l’imagine, en haut. Y a une hiérarchie stricte à respecter… même dans la distribution des âmes… » Enfin, il rassembla le peu de courage qu’il lui restait, et qu’il ignorait avoir, et planta son regard mort dans celui de Nergal. « Tu m’as bien eu, pas vrai ? En réalité, depuis le début, elle t’a jamais appartenu, ma putain d’âme ? Tu jouais juste au baby-sitter en attendant que vous tombiez enfin d’accord… t’as été le premier à gagner droit de possession sur mon âme, mais après, y en a eu d’autres, plus forts, plus importants que toi, qui prennent le pas sur ton droit… » Presque incrédule, John en laissa échapper un rire sec. On passait son temps à lui dire qu’à force de vendre des bouts de son âme au plus offrant, il allait lui arriver des bricoles. Et maintenant, son âme était tellement morcelée, qu’elle en avait créé un loophole dans les contrats si bien agencés des enfers. Quelle blague. « Et si t’essayes de la garder pour toi, ils te tomberont tous dessus… tous ceux qui veulent un bout de John Constantine. A commencer par les grands chefs. Le First of the Fallen, Belzébuth, Azazel – leurs armées sont bien plus costaudes que les tiennes, non ? » Quelque part au fin fond des enfers, un triumvirat sourit. « Ou alors… » Nergal, lui, fixait John, et Zatanna, et Rosalie. « Ou alors t’attendais juste qu’ils s’attaquent entre eux. Qu’ils s’affaiblissent mutuellement, pour que toi, tu puisses finir le travail et t’emparer du trône… » Quelque part au fin fond des enfers, un triumvirat ne sourit plus. Pour John, qui gardait la main de Zee dans la sienne, le cœur battant, comme pour la supplier de lui confirmer qu’il ne délirait pas, que le plan de Nergal soit l’un ou l’autre n’avait aucune importance. Nergal était préparé à entrer en guerre – et dans les deux cas, son armée, et celle de l’enfer tout entier allait s’en trouver considérablement affaiblie. Laissant les Enfers dans leur ensemble exposés à la menace d’un ennemi extérieure, peut-être bien plus proche qu’ils ne le pensaient…

Spoiler:

 

AVENGEDINCHAINS

À travers sa magie déchaînée, Rosie laisse libre cours à toute la frustration qu'elle a accumulé au cours des années. La peur panique qui aurait pu la paralyser est bâillonnée par la rage qui bouillonne dans ses veines, elle ne s'est jamais sentie aussi libre et puissante qu'à cet instant. Les petits démons qui l'attaquent commettent leur dernière erreur, Rosie ignore où elle les envoie et cela lui importe peu. Dans sa frénésie meurtrière, elle oublie la présence de Nergal jusqu'à ce que ses petits laquais finissent par décider de garder leurs distances, ayant compris avoir à faire à plus fort qu'eux. Mais leur maître, pourquoi ne fait-il rien ? Il parle, il parle et il parle mais il reste là à ne rien faire alors que sa posture et son regard incandescent trahissent ses envies. Sur ses gardes, ses mains brillant toujours d'une lueur menaçante, elle se tourne pour elle aussi faire face à Nergal. Elle ne comprend pas tout aux rouages compliqués de l'enfer, mais les paroles de John et Zatanna l'éclairent suffisamment sur la situation pour qu'elle affiche un sourire moqueur un brin sinistre. L'âme de John a été tellement morcelée qu'elle est devenue l'objet de toutes les querelles entre les plus puissants des lieux. Rosie ne saurait dire si c'est tragique, hilarant ou tout simplement un audacieux mélange des deux. Quoi qu'il en soit, c'est bel et bien ce conflit autour de cette âme si demandée qui empêche Nergal de les pulvériser sur place. Ce doit être terriblement frustrant pour une créature aussi puissante et qui se pense certainement invincible et inatteignable... Il y a des règles même en enfer, qui l'aurait cru ? « Si l'âme de John appartient à tout le monde, alors elle n'appartient à personne. » Rosie défit Nergal du regard, plus vaillante que jamais. Qui aurait cru que la petite sorcière, dernière représentante d'une longue lignée, trouverait son courage face à un seigneur de l'enfer et ses petits démons carnassiers ? « Nous partons. Maintenant. » Elle saisit doucement la main libre de John et commence à reculer, l'entraînant lui et Zatanna à l'extérieur du bâtiment. Elle s'attend toujours à ce que les petits démons reprennent leurs esprits et se jettent sur eux, que ce soit sur l'ordre de leur maître ou de leur propre chef. Ils sont toujours en enfer, mais Rosie a l'impression de respirer de l'air frais lorsqu'ils quittent ce bâtiment maudit où Nergal retenait John prisonnier depuis son arrivée dans son royaume. Mais dehors, ils sont attendus. Par des démons attirés la magie des deux jeunes femmes, ou peut-être par le fait qu'elles ne soient pas mortes... Peut-être même est-ce Nergal qui veut chercher à les retenir par tous les moyens... Rosie est dépassée par la situation, cet univers n'est pas le sien, cette horde de démons lui rappelle les Draugar en Islande, et là bas aussi la situation paraissait désespérée. Laisse-moi t'aider. Rosie secoue la tête, elle est seule à entendre cette voix dans son esprit, cette voix qu'elle connaît si bien et qui la supplie presque de la laisser l'aider. Laisse-moi t'aider. Les battements de son cœur accélèrent et elle se surprend à compter les démons qui les entourent. Laisse-moi t'aider. Tu me fais confiance, n'est-ce pas ? Elle regarde John et Zatanna tour à tour, songe à Lucian et Sasha qui attendent qu'elle reviennent. Tout ne s'arrêtera pas ici, hors de question. Oui, Hela. Je te fais confiance. Rosie s'efface pour laisser place à Hela et pour la jeune femme et la déesse, cela commence à être une habitude. Si proche de ses royaumes, Hela est plus puissante qu'elle ne l'a plus été depuis des millénaires. Et c'est grisant, terriblement grisant... Rosie n'est plus, effacée derrière la stature de la déesse qui toise Nergal et son entourage. Un sourire macabre étire sa moitié de visage et un rire glaçant la secoue. Elle est presque belle, malgré sa moitié de corps en putréfaction. Belle comme le sont les plantes empoisonnées et les créatures au venin mortel. « Des enfants. Vous n'êtes que des enfants. » La voix de la déesse résonne, portée par un vent glacé qui s'est mis à souffler dans les entrailles brûlantes du monde. « Je régnais déjà depuis des millénaires quand vous avez fait votre triste apparition. Vous n'êtes que des enfants qui jouent à un jeu dont ils ignorent les règles... Tu me dis morte, petit démon, mais sais-tu seulement si j'ai un jour été vivante ? Pauvre fou... » Le sol se met à trembler sous leurs pieds. Les démons les plus craintifs s'écartent ou prennent la fuite. Derrière eux, le mur qui sépare un enfer d'un autre se craquelle et c'est le royaume d'Hela qui apparaît soudain. Et avec lui, des milliers de spectres qui n'attendent que son commandement pour déferler sur l'enfer et le ravager comme jamais auparavant. « Ils vont partir, tous les trois. Sinon, toi et les tiens en paierez les conséquences. Tous autant que vous êtes. » Qui oserait se dresser contre la première Déesse de la Mort ? Qui oserait imaginer que sa si puissante armée... Est incapable de franchir la frontière de Niflheim ?

Fight fire with hellfire

Le nombre faisait la force. Même si c’était du bluff, et même si ça n’en était pas d’ailleurs, plus ils parlaient, chacun complétant les pensées de l’autre, chacun apportant sa petite pièce à ce château de cartes qu’ils bâtissaient ensemble, plus ils reprenaient le contrôle. Ce front commun qu’ils opposaient à Nergal ne pouvait qu’agacer ce dernier. Comme tous les démons, il avait menti. Bien sûr qu’il avait menti. Et eux aussi mentaient – mais probablement moins que lui. Et sa tactique aurait pu marcher sur quelqu’un qui ne connaissait rien de l’enfer et de son mode de fonctionnement, ou sur quelqu’un de seul et de désespéré, sans perspective d’être sauvé, comme John l’avait été. Mais Nergal avait laissé passer le coche. L’important n’était pas tant de trouver des arguments à lui opposer que de s’opposer à lui, tout simplement. Et trouver ses faiblesses, car il en avait. Et John les connaissait mieux que personne. Le conflit permanent des démons pour se partager les âmes des morts en était une de taille, particulièrement quand il s’agissait de l’âme de John Constantine. Ce qui était un élément odieux de toute cette histoire était aussi un atout. Nul ne se serait battu pour une autre âme que la sienne, mais cette âme, oh, ils la voulaient tous ! Et ils n’étaient pas prêts de se mettre d’accord. Et si la guerre ne leur faisait pas peur, il restait l’infime perspective de la perdre, et de finir non seulement privé d’une âme précieuse, mais affaibli. Pour un démon supérieur, être affaibli en enfer, c’était une déchéance – la pire chose qui puisse lui arriver. Alors, Nergal avait-il peur, désormais ? Zee en doutait. Mais son orgueil, son intelligence et son désir de triompher de ses frères autant que d’obtenir l’âme de John pouvaient faire le reste. À bout de souffle, elle le regarda, qui bien sûr avançait déjà ses pions en pensée, élaborait déjà une future stratégie… Et enfin, ses traits se détendirent, et il sourit. Ce qui en soit était une horreur absolue. La conclusion à laquelle il était arrivé, elle ne voulait pas la connaître. Ce sourire promettait un martyre bien pire encore que celui d’où Rosie et elle tentaient d’arracher John. Mais tant pis. Seul comptait l'nstant présent, seul comptait le but à atteindre : sortir d’ici.

Elle imita Rosie sans attendre de réponse du démon. Cet horrible rictus leur suffisait. Elle tira John par la main, l’entraînant en même temps que Rosie vers la sortie, incrédule. Cela lui semblait trop simple. Mais ça ne l’était pas. Il y aurait tellement de prix à payer, plus tard… Rien que d’y penser, elle tremblait de tous ses membres. Ce qui arriverait, ce qu’ils ne pourraient éviter, le mal qu’ils venaient probablement de relâcher sans le savoir sur le monde… Des rires de plus en plus assourdissants éclataient dans son esprit, comme si l’enfer lui-même se moquait d’elle, et parmi eux, un autre démon rirait plus fort que les autres, satisfait. Elle pressa sa main libre sur sa tempe – ce n’était pas maintenant, si près de la liberté, qu’elle allait devenir folle. Mais le silence se fit alors qu’ils débouchaient devant un comité d’accueil démoniaque, et Zee faillit désespérer. Puis elle sentit un froid glacial la traverser, antithèse totale à la touffeur poisseuse et brûlante des lieux. Elle avait déjà senti cette explosion de magie et elle savait à quoi s’attendre, malgré tout, quand elle regarda Rosie, ou plutôt Hela, elle sentit son cœur se serrer. Le prix, le prix, tout a toujours un prix. Et d’autres images se superposèrent à la jeune sorcière, une grotte en Islande et Hela qui intervenait pour les sauver, et elle, à qui ont avait arraché les pouvoirs et qui ne pouvait que regarder, impuissante, John donner sa vie… Elle se secoua en sentant la magie de Rosie caresser sa peau. Elle commençait à la trouver familière, et elle devait lui faire confiance. Le sol trembla et Zee passa un bras autour de la taille de John en générant un bouclier sous leurs pieds, sous forme de pentacle lumineux. Sous leurs yeux, la réalité se faisait tordre et briser par Hela, qui ouvrit une porte sur Niflheim d’où des spectres se précipitèrent, se massant devant cette brèche inespérée, sans pour autant la franchir. Les démons des enfers hésitaient à leur tour. La perspective de les laisser s’enfuir allait à l’encontre de tous leurs instincts sauvages et infâmes.

Mais c’était Hela qui se tenait devant eux. Ils n’étaient que l’ultime coup de bluff des démons supérieurs des enfers, et il était clair qu’ils ne voulaient pas de cette guerre-là. Nergal, qui poussait ses armées à les retenir, ne se montra pas. Alors, Zatanna avança, toujours en soutenant John, son pentacle accroché à ses pas, fendant la masse grouillante des créatures hors d’elles de devoir les laisser passer. Et à chaque fois qu’un démon s’approchait d’un peu trop près et entrait en contact avec le symbole, il subissait une décharge de magie brûlante qui le faisait sauter en arrière en grondant. Elle arriva au niveau de Rosie. Elle savait que ce tour-là drainait toutes les forces de la jeune sorcière. « Nous partons. » Elle répétait les mots de Rosie, les mots d’Hela elle-même, aussi. Humblement, et même si c’était la déesse elle-même qui leur avait ouvert la porte, elle demandait le passage. « Accueille-nous dans ton royaume. » Une peur odieuse l’habitait, celle que Hela laisse Rosie derrière. Mais ce n’était pas comme cela que fonctionnait cette si antique magie. Ce n’était pas comme en enfer. Les promesses étaient tenues, en bien comme en mal. Sur un dernier regard, Zee traversa le portail. Au moment où John le franchit avec elle, elle sentit une onde violente éclater comme la surface d’un lac ridée par une pierre qu’on aurait jetée dedans. Ce qu’ils faisaient était si contre-nature que les enfers, quels qu’ils soient, en étaient ébranlés. Cette âme leur revenait, mais elle leur échappait. Zee n'osait pas regarder John - était-il seulement conscient de ce qui arrivait ? - sous peine de faiblir et de lâcher prise, concentrée sur le seul fait de fuir. Une fois de l’autre côté, entourée de milliers de spectres tenus en respect par la seule présence de Hela – Charybde en Scylla, ou presque –, Zee se tourna vers la déesse de la mort. Vers Rosie. « Nous sommes venues ensemble. Nous repartons ensemble. De nouveau, c'était une supplique, mais pas seulement. Elles avaient fait face à l'enfer. Voilà d'où elles revenaient. Et puis, sans Rosie pour retraverser Niflheim, autant dire que toute cette entreprise était vouée à l’échec.

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Alors elle était là, la réponse. S’il en avait eu la force, il en aurait éclaté de rire, mais s’il éclatait de rire maintenant, il était à peu près sûr que le peu d’équilibre mental qui lui restait volerait en éclat, et qu’il ne s’en relèverait plus jamais, et que même le Joker frissonnerait face à cet accès d’hilarité démente qui perdurerait pour le reste de l’éternité. Mais bon sang, la tronche que tirait Nergal à cet exact moment était impayable. C’était pourtant simple comme bonjour ! Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Lui qui d’habitude était le premier au courant de ces combines fumeuses et de ces passe-droits, quand il s’était agi de sa propre âme, il n’avait rien vu venir – peut-être que c’était aussi pour ça que Nergal avait mis autant d’enthousiasme à le torturer. La réalisation le frappa comme une gifle en pleine face. Il s’était fait rouler jusqu’au bout. Mais c’était fini, pas vrai ? Son désespoir fou commençait dangereusement à se faire la malle, laissant progressivement la place à une horrible, abominable lumière contre laquelle il luttait encore, parce que si on la lui prenait maintenant, c’était sûr qu’il ne s’en relèverait jamais. L’espoir. Juste une toute petite pointe. Mais c’était ça, que les filles lui imposaient, se faisant bourreaux sans le savoir. Elles allaient les tirer de là, pas vrai ? Elles allaient le tirer de là ? Et après ? Quelles séquelles, quels stigmates ramèneraient-elles de cette mission sauvetage insensée ? Et lui, quelle sorte d’épave serait-il, sitôt qu’ils toucheraient à nouveau la terre ferme, dans le monde des vivants ? Désespoir, espoir, angoisse, terreur, le panel de ses émotions s’amplifiait et se démultipliait dans cet endroit infecté, et les ombres de ses fantômes tout autour d’eux avaient l’air d’y répondre. Mais ils allaient sortir d’ici. C’était décidé. Les conséquences, ils verraient ça plus tard, c’est ça ?

Comme une poupée de chiffon, John se laissa guider hors de l’abominable maison, et eut un hoquet désorienté sitôt qu’il y posa le pied – en enfer, le temps ne suivait pas le même cours que dans leur monde, alors depuis combien de temps n’avait-il pas vu autre chose que les sévices de Nergal ? Une minute ? Un mois ? Un siècle ? Plus encore ? Mais ils étaient toujours en enfer, et la menace était toujours bien trop proche pour crier victoire, Nergal et ses minions sur leurs talons, et les yeux du triumvirat rivés sur eux – il pouvait sentir leur infernale présence dans son dos, dans son âme, où qu’il se tourne pour un peu de répit. Alors il s’accrocha à ce qu’il savait, ou espérait, plus fort que leur réalité à eux, au bras de Zatanna autour de sa taille qui refusait de le lâcher, à ses épaules sous son bras, sur lesquelles il avait peur de peser une tonne et de la faire s’écrouler comme lui s’écroulait. Mais Zatanna tenait bon, comme toujours – et dans ses yeux si clairs brillaient une telle lueur de rage de vaincre, qu’il sentit, tout au fond de lui, l’éclat brûlant d’une étincelle qu’il avait crue disparue, elle aussi. La rage de vaincre. L’envie de survivre. Ne serait-ce que pour leur dire qu’ils avaient eu tort, et qu’elles avaient eu raison. Qu’importait que les enfers se déchaînent autour d’eux : ils y survivraient, comme ils y survivaient toujours. Même si ça impliquait de laisser le reste des enfers brûler autour d’eux. Et soudain, la brèche dans ce monde abominable, et un vent glacé qui soufflait sur la ruelle : ça faisait longtemps que John ne respirait plus, et pourtant, l’aura d’Hela lui coupa le souffle. « Rosie… » lâcha-t-il dans un murmure, alors que la présence de la déesse pressait la gâchette d’une nouvelle salve qui fit défiler devant ses yeux la galerie intégrale de ses victimes – et John blêmit plus encore et faillit s’effondrer à nouveau face à ce tableau qui lui hurlait ses péchés à la figure. Mais il fallait tenir. Il fallait tenir, il fallait tenir, il fallait tenir. Le monde tournait autour de lui, tant et si bien qu’il était à peine conscient du monumental coup de bluff qu’Hela, ou Rosie, ou les deux, venait de sortir de son chapeau ; l’enfer s’accrochait à son psyché, plantait ses griffes dans son âme pour chercher à la retenir alors que Zatanna, elle, le tirait de l’autre côté du portail.

Et ça marchait, la stratégie de Rosalie et d’Hela – l’armée des morts de Niflheim toisant l’armée de démons de Nergal, et Hela et Nergal se regardant en chiens de faïence, pendant que John et Zatanna attendaient anxieusement le verdict, prêts au pire, mais pas vraiment prêts. L’espace d’un instant, Nergal siffla, son immense carcasse reptilienne tendue comme le prédateur prêt à attaquer ; mais finalement, il n’en fit rien, se détendit, et laissa échapper un ricanement caverneux, tétanisant, comme sorti des entrailles mêmes des enfers. « Tu es toujours aussi chanceux, Constantine. Alors qu’il en soit ainsi. Mais où que tu ailles, tu sais que je te suivrai… je me réjouis d’avance de voir quelles autres catastrophes tu essuieras le long du reste de ta courte vie de mortel. Et quelles autres déceptions tu infligeras à ces pauvres âmes charitables… » susurra-t-il en désignant Rosalie-Hela et Zatanna. Un nœud se forma dans la gorge de John, et une sueur froide remonta le long de son échine. Il savait que Nergal ne mentait pas. Il l’observerait. Le suivrait à la trace. Se délecterait de ses malheurs. Et le moment venu, il serait là, encore, pour récupérer son dû. John s’apprêtait à rétorquer quelque chose quand une nouvelle déchirure se fit ressentir, et tout d’un coup, l’air déjà remarquablement étouffant se fit carrément irrespirable, même pour lui et Zatanna qui avaient déjà traversé la frontière de Niflheim. Le bras de John raffermit sa prise autour de l’épaule de Zatanna. « C’est eux… » souffla-t-il. Et derrière Nergal, s’avancèrent trois silhouettes sombres, dont les ombres interminables semblaient tout recouvrir sur leur passage.

Lucifer – le premier, le meneur, l’alpha du pack. Le plus régal, le plus redoutable, le plus destructeur, aussi, s’avança, un sourire sans joie pendu à ses lèvres décharnées. « Une seule âme ne vaut pas une guerre avec Niflheim. En cela, nous sommes d’accord, ô Hela des Asgardiens. Nos royaumes ont su coexister depuis des millions d’années – Constantine ne saurait rompre cette harmonie. » Belzébuth – le second, le plus imposant des trois, le plus carnassier, s’avança à son tour, la mine sombre. « Notre frère Nergal laissera donc repartir les trois mortels. Dans quelques décennies à peine, s’il a de la chance, son âme nous reviendra à nouveau. » Azazel, le troisième, le sournois du groupe, le calculateur, ferma la marche. « Mais ne fais pas l’erreur de sous-estimer l’Enfer, ô Hela… Nergal est bien jeune, mais nous ? Nous sommes là depuis le début des temps. Nous sommes partout. Ici, sur Terre, tant que subsistera un morceau de noirceur dans le cœur des Hommes… » Sous leurs pieds, le sol se remit à trembler, et l’espace d’un instant, John crut bien que l’Enfer allait de lui-même s’effondrer sur eux pour les écraser. Mais au lieu de ça, le First of the Fallen leva le bras et força le portail vers Niflheim à se refermer sur lui-même. « Rosie ! » s’écria John en manquant de s’arracher à l’emprise de Zatanna, voyant déjà le portail se refermer sur elle et la coincer en enfer – mais non, Hela, ou Rosie, passa le portail au dernier moment.

Et c’était fini. D’un royaume des morts à l’autre, d’un enfer au suivant ; et John se laissa enfin glisser à genoux en s’agrippant à la main de Zatanna, pour se convaincre que c’était réel, que ce n’était pas encore une illusion cruelle de Nergal, mais son tatouage sur son avant-bras lui confirmait à chaque instant sa présence, réelle, tangible. « … ça a marché ? » articula-t-il à l’adresse de la maîtresse des lieux, sans s’encombrer de formalités d’adresse. Où est Rosie, rends-la nous, crevait-il d’envie de dire en dévisageant la déesse de la mort, comme ils s’étaient toisés dans cette caverne dans ce qui semblait maintenant être une autre vie. C’était elle, le dernier visage qu’il avait vu avant de mourir. C’était elle, qui l’avait accompagné dans la mort alors que son âme ne lui appartenait pas. Quel genre de liens ça tissait, ça, entre une divinité et un mortel ? Détachant ses yeux hagards d’Hela, reine en son royaume, John les tourna vers Zatanna, la gorge nouée, et le damné leva ses mains tremblantes pour les poser sur les joues de sa sauveuse, précautionneusement ; de peur de se brûler, ou de la casser, ou les deux. « Est-ce que c’est réel ? » demanda-t-il, sans savoir s’il était au bord de l’effondrement ou de l’explosion de joie. Il était en morceaux, John Constantine – vidé de son essence, son âme en lambeaux sanguinolents, mais elle était là quand même, et elle ne disparaissait pas entre ses doigts, et peut-être que tout ça n’était pas une hallucination, après tout. « Est-ce que tu es réelle, Zee ? » Il n’avait jamais autant eu besoin d’une réponse à une question. Parce que si elle était là, si elle était vraiment là, les implications de son exploit étaient incommensurables. Sa Zee. Sa lumière. Celle que même les Enfers n’avaient pas réussi à éteindre.



 

AVENGEDINCHAINS

Autrefois, la simple évocation du nom de Hela suffisait à faire trembler mortels et immortels de la même façon. Personne ne voulait manquer d'atteindre le Valhalla pour élire domicile dans l'un de ses royaumes. Elle existait bien avant que tous ces démons et autres anges déchus ne se mettent à se disputer des âmes et des parcelles d'un domaine qu'elle juge indigne du moindre intérêt. Lucifer, Belzébuth, Azazel... Peut-être est-ce là un péché d'orgueil de sa part, mais Hela ne se sent pas le moins du monde menacée par leur soudaine apparition. Après tout, n'a-t-elle pas vu le monde mourir lors du Ragnarök ? N'a-t-elle pas conduit une armée de morts qui les aurait tous les trois fait pâlir d'envie ? Rosie, égarée dans un recoin de son propre esprit, aurait frissonné d'effroi si elle les avait vus autrement qu'à travers Hela. Hela, qui sans le vouloir la vide petit à petit de toute son énergie, Hela qui grignote un peu plus sa vie à chaque seconde qui s'écoule. Le Triumvirat de l'enfer veut s'amuser lui aussi, mais s'ils espèrent la retenir prisonnière dans leur monde sordide, ils se trompent lourdement. Hela franchit le portail qu'ils essayaient de refermer à la dernière seconde, mais sans exprimer la moindre inquiétude. Au contraire de son hôte, qui s'imaginait déjà passer l'éternité seule prisonnière des flammes de l'enfer. « Évidemment que mon plan a fonctionné. Ces  créatures ne sont pas aussi intelligentes qu'elles le pensent, elles agissent encore comme des enfants. » Hela secoue la tête, comme une adulte lassée des enfantillages des bambins de ses voisins. Elle laisse à John et à Zatanna quelques instants pour se retrouver avant de s'éclaircir la gorge et désigner les spectres autour d'eux. « Pardonnez-moi d'interrompre vos larmoyantes retrouvailles, mais ma présence ici est l'unique raison pour laquelle les fantômes des damnés ne se sont pas jetés sur vous. Hélas, je crains que le corps de Rosalie ne puisse contenir mon âme plus longtemps. Hâtons-nous de quitter Niflheim pour Helheim, vous y serez en sécurité et je pourrai vous rendre votre si tendre amie. Suivez-moi. » Hela ne se retourne pas pour voir si John et Zatanna la suivent, elle avance et l'armée de spectres se sépare devant elle, ils sont tenus en respect par leur souveraine. Elle les conduit jusqu'à un passage secret connu d'elle seule qui relie Niflheim à Helheim et le traverse. À peine la frontière est-elle franchie qu'elle libère Rosie, qui fait quelques pas en titubant avant de tomber à genoux. Elle saigne du nez, le goût du sang est omniprésent dans sa bouche et elle ne tarde pas à vomir le peu de nourriture qu'elle a ingurgité avant que Zatanna et elle entreprennent leur périple. À Helheim, les esprits des morts vont et viennent sans se soucier des vivants, certains lancent des regards curieux en leur direction mais leur présence leur importe peu. Épuisée, Rosie s'appuie contre une roche glacée, trop éreintée pour savourer leur victoire. Mais tout aussi éreintée qu'elle soit, elle sursaute lorsqu'une silhouette massive se détache de l'obscurité. Prise de panique, elle se relève et chancelle jusqu'à agripper fermement la main de John. Puis elle le reconnaît et ses épaules s'affaissent sous le poids du soulagement. Fenrir. Le loup noir est encore plus grand que dans ses souvenirs et un feu brûle toujours dans son regard. « Je vais vous raccompagner à la surface, mortels. J'ai une dette envers elle. » Il désigne Rosie du museau et se rapproche doucement, chacun de ses pas faisant trembler le sol sous ses pattes. C'est dans leurs esprits que résonne la voix du loup, à mi-chemin entre un grondement animal et le ton tonitruant d'un homme. « Montez. Vous n'avez que trop séjourné ici. » Rosie hésite pendant de longues, très longues secondes. Puis elle s'avance lentement vers le loup, qui s'abaisse pour lui permettre de s'agripper à la fourrure de son encolure pour monter sur son dos. Elle manque de force alors Fenrir l'aide d'un coup de museau, ce qui aurait sans doute été touchant si le loup n'était pas aussi terrifiant. C'est étrange, mais Rosie se sent presque à sa place et n'est pas le moins du monde effrayée par la bête, elle lui fait confiance instinctivement et se permet même de caresser sa fourrure sombre. Puis elle se tourne vers John et Zatanna et leur tend la main pour les inviter à l'imiter. « Fenrir a raison. Rentrons chez nous. Nous n'avons pas notre place ici. Rentrons chez nous. »

Fight fire with hellfire

Elle n’en pouvait plus d’être là, elle arrivait au bout de ce qu’elle pouvait endurer, elle le sentait. L’enfer, c’était son passé, son présent et son avenir, et cette dernière pensée, elle le savait, était destinée à s’ancrer dans son âme et à la souiller. Ici, quelque part, il y avait son père, qui ne pouvait pas ne pas avoir senti sa présence, et elle savait aussi ce qu’il devait penser du fin fond de son martyre éternel : foutu John Constantine, tout était sa faute. Ici, quelque part, il y avait Nick, qui lui aussi devait se contorsionner dans les flammes de l’enfer en rêvant de pouvoir les retenir ici tous les deux, lui qui appréciait tant la loi du Talion. Ici, il y avait quantité de démons qu’elle avait déjà croisés dans sa vie et, puisqu’elle était encore en vie pour en parler, battus. Mais l’apparition de ce fichu triumvirat la glaça jusqu’au sang et acheva de lui faire perdre espoir. Il semblait que le gotha infernal se soit donné rendez-vous ici pour saluer leur proie préférée et elle ne voyait pas comment ils pourraient échapper à ces trois-là, mais c’était sans compter sur Hela, évidemment. Minuscule fourmi accrochée à sa minuscule fourmi, elle n’avait plus qu’à lever le nez et à observer la partie de ping-pong verbal entre la déesse et les démons, et à attendre que ce mauvais moment trouve une conclusion. Mais il semblait que personne ne voulait faire la guerre, ce qui était un comble, et en fait, Zee ne put s’empêcher de laisser échapper un rire nerveux à un moment tant cette situation était absurde. Aussi absurde finalement que cette force sombre qui semblait la soutenir comme un vieil ami, hypocrite et fourbe, ravi de voir ses frères échouer, ravi aussi de la voir, elle, retourner sur Terre, là où il avait besoin d’elle. Aussi absurde enfin que John ici, avec Rosie et elle, en vie, hors des enfers, du moins de ceux qui voulaient le retenir. Il ne semblait pas y croire mais il ne semblait de toute façon pas vraiment là. Pour seule réponse, elle serra de nouveau sa main dans la sienne. Elle sentait que si elle avait parlé, il ne l’aurait pas crue. Il n’aurait pas voulu la croire. Tu es là. Tu es là. Jusqu’à la prochaine fois. Oh non, tu es là. Elle aurait voulu lui dire qu’elle était réelle mais elle n’osait pas.

Il restait une dernière épreuve à franchir, mais Zee, en emboîtant le pas à Hela-Rosie, avait déjà l’impression que l’horreur perdait de sa substance. Bientôt, elle se transformerait en quelque chose de pire, évidemment : des souvenirs, ces choses auxquelles on ne pouvait pas échapper, jamais. Ils pouvaient sortir de l’enfer, mais ils ne pourraient plus jamais lui échapper. Déjà, le cauchemar ressemblait de plus en plus à un rêve éveillé. Elle n’y croyait tout simplement pas. Oui, John était là, avec elles. Mais quel prix allait-il leur falloir payer ? Cette seule pensée la faisait se sentir mal, la poussait à s’éloigner désormais de celui qui avait hanté ses pensées tous les jours ces derniers mois. Elle n’osait plus le regarder. Maintenant, ils allaient tous pouvoir revenir à la réalité, et cela allait faire mal. Quand Hela les abandonna à Helheim, Zee se précipita sur Rosie, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas la soigner de ce mal-là. Elle ne pouvait que lui promettre, en l’aidant à se relever, qu’elle était toujours là, comme au tout début de leur expédition. Mais la magie scandinave n’avait pas fini de leur en mettre plein la vue. Soudain, Fenrir se tenait au-dessus d’eux, et de nouveau, Zee se revit transportée dans cette caverne, et Fenrir ruant violemment sur le sol, entravé par les sorts de Wotan. Il tombait bien, en vérité. Elle n’avait plus la force de rien. Elle grimpa sur la créature aux côtés de Rosalie, elles hissèrent John entre elle, et c’est en toute confiance, ou en tout abandon, qu’elle se laissa entraîner une bonne fois pour toutes hors des enfers. À un moment donné, elle trouva la main de Rosie et s’en saisit. Elle n’aurait pas pu trouver les mots pour exprimer sa reconnaissance à la jeune sorcière, pour avoir toqué à sa porte ce matin – ou était-ce mille ans auparavant ? « raP at ecnassiup suon semmos ségétorp, Ô esueicarg esseéd. » Les mots, quasi inaudibles, dévalèrent ses lèvres, pas de la magie, pas une prière, une simple formule de protection, de purification qu’elle avait entendu sa mère prononcer plus d’une fois au-dessus de son lit, le pouce posé sur son front. Elle sentait qu’ils allaient en avoir besoin, tous autant qu’ils étaient. Pendant une seconde, elle ferma les yeux et se laissa aller contre le dos de John. C’était fini. Ou ça ne faisait que commencer. Mais pour le moment, elle n’avait plus qu’à se laisser porter.

Codage par Libella sur Graphiorum

C’était la fin, ou c’était le début, ou l’un et l’autre se confondaient et lui s’était perdu dans ce cycle sans fin. Il n’en savait plus rien, Constantine, abruti de fatigue alors qu’il n’avait rien fait à part se laisser porter par ses deux sauveuses, assommé comme s’il venait de s’écrouler à genoux après avoir enduré une guerre de plusieurs années sans interruption. Depuis combien de temps croupissait-il en Enfer ? Au royaume de Lucifer, le temps ne s’écoulait pas de la même façon que sur Terre. Ce qui pouvait ressembler à dix jours pouvait en réalité s’avérer être une seconde, et il frissonna, et une migraine lui scinda le crâne en deux et il arrêta aussitôt d’y réfléchir. Et toujours, tenace, cette terreur insidieuse à l’idée que tout ceci ne soit qu’une machination de plus de Nergal. Qu’elles ne soient pas vraiment là. Qu’ils ne soient pas vraiment sortis. Que d’un instant à l’autre, il allait cligner des yeux, et il se retrouverait à nouveau dans sa cellule, à passer du salon de Liverpool à Ravenscar à Newcastle dans un cycle infini. Ses mains quittèrent le visage de Zatanna et retombèrent à ses côtés, et machinalement, il se releva et suivit sa princesse et Hela vers le couloir secret qui connectait Niflheim et Helheim. Il y avait encore un peu de l’Enfer, à Niflheim, mais à mesure qu’ils approchaient de Helheim, la chair de poule courait sur sa peau comme pour répondre à la fraîcheur de l’endroit et de la magie qui l’imprégnait. Comme un bain glacé, qui le lavait lentement des résidus crasseux et brûlants qu’il avait ramenés avec lui des territoires de Nergal, et qui lui colleraient sûrement encore à la peau pendant longtemps. Ou pas. Il n’en savait rien. Il ne voulait pas le savoir. Il ne voulait rien – à part ne jamais retourner là-bas.

Et ils passèrent la frontière, et aussitôt Hela disparut et Rosalie s’écroula. John imita Zee sans y penser, même s’il trébucha plus qu’autre chose, et se trouva parfaitement incapable de dire ou faire quoi que ce soit pour soulager Rosalie – ça va aller ? Merci ? Je suis désolé ? Respire ? Les mots lui manquaient, et la gorge serrée, il leva la main pour la poser sur son front ; mais se rétracta juste avant que leurs peaux n’entrent en contact, soudainement terrifié à l’idée peut-être incongrue de la contaminer avec ce qu’il pouvait rester de Nergal en lui. Mais Nergal l’avait forcément déjà contaminée, pas vrai ? Personne ne revenait indemne de l’Enfer. Pas même les grands habitués. On en revenait juste un peu plus esquinté après chaque passage. Et la culpabilité, confuse, diffuse, compagne familière, de lui étreindre le cœur alors que Zatanna aidait sa cousine si éloignée à se relever, parce qu’elle, elle avait les bons réflexes. John se releva à son tour, péniblement, et suivit les filles, et tressaillit au moment où Fenrir sortit des ténèbres. Il détestait les chiens. Et les chiens l’avaient évidemment trouvé, en Enfer. Pendant un instant, un très sérieux instant de parfaite révulsion, il envisagea de rester là, préférant le néant d’Helheim à la perspective de chevaucher un chien, au divin soit-il, pour retourner à la surface. Mais il n’avait pas vraiment le choix, finalement, il ne pouvait pas leur faire ça après tout ce qu’elles avaient traversé pour l’arracher à son triste sort, alors il se laissa faire, et se laissa hisser entre elles sur le dos de Fenrir, et il ferma les yeux à son tour alors qu’il sentait la présence réconfortante et bien réelle de Zatanna contre son dos. Bien réelle. Bien réelles, toutes les deux.

Quelques jours plus tard, John déambulait dans les rues de New York, une bouteille pratiquement vide à la main, un œil au beurre noir, et la lèvre ouverte saignant allègrement sur son imperméable. Il ne savait plus où il était, ni quelle heure il était, ni qui avait gagné entre lui et ce connard de facho américain avec qui il s’était battu au bar, et il s’en foutait. L’adresse de son hôtel, il ne s’en souvenait pas non plus. Il errait, sans but, dans les rues d’il ne savait plus quel quartier, pathétique épouvantail titubant jusqu’à ce qu’il ne se prenne les pieds dans un couvercle de poubelle et s’étale par terre le nez dans une flaque d’eau croupie. « Fuck ! » éructa-t-il. Ses muscles endoloris le suppliaient, son visage tuméfié le lançait, et le monde refusait d’arrêter de tourner devant ses yeux, si bien qu’il se demanda s’il n’allait pas bêtement gerber et perdre connaissance là dans cette ruelle comme le pauvre clodo qu’il était. Il était mort en septembre. Le calendrier indiquait janvier quand ils avaient repassé la frontière entre le monde des morts et celui des vivants. Et il avait disparu, laissant la Maison à Zatanna et laissa Rosalie retourner à une vie de famille plus glorieuse, plus chaleureuse, plus sûre que celle qu’il avait à lui offrir. Tant mieux. Elle valait mieux que ça. Et il n’était pas sûr d’avoir la force d’affronter le regard de l’une ou de l’autre ou de parler de ce qu’ils avaient vécu en bas, ou de réaliser les stigmates qu’elles en avaient ramené. Alors il avait disparu, politique de l’autruche qu’il maîtrisait si bien. Renouant avec un cycle sur lequel Chas aurait pu écrire une dissertation entière. Au fond du trou, le chien de gouttière, qui n’arrivait pas à regarder vers les étoiles. Jusqu’au jour où il relèverait un peu la tête, et reprendrait le cours de sa vie comme si de rien n’était, et comme s’il ne se traînait pas un nouveau boulet au pied. Péniblement, John se hissa sur ses bras, et rampa jusqu’à s’adosser contre un mur de briques froid, recroquevillé dans son manteau, et il ferma les yeux. Les visages de Zatanna et Rosalie flashèrent devant ses yeux alors qu’il sombrait dans un semi-sommeil agité. Ils avaient vaincu l’Enfer. Et maintenant, ne restait plus que le plus difficile : se souvenir comment ça fonctionnait, d’être vivant.



 

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