And she moved in a blood red fury (artemis)

"Tiens, prends ça", glisse machinalement Jade en lui tendant dédaigneusement un bout de tissu humide. Ça l'agace, elle le voit bien. Artemis aimerait bien que ce ne soit pas le cas, que l'éclat de lassitude soit remplacé par une certaine forme de fierté, même minime. "Et arrête de geindre comme ça. Tu vas mettre papa en colère". La cadette saisit le bout de tissu, le pose sous son nez rougi par le carmin. Le tapis d'entraînement est couvert d'une traînée de sang qu'elle a laissé derrière elle, peu avant de son père ne tourne le dos. Insatisfait. C'est un mot dont elle connaît les lettres sur le bout des doigts. Insatisfaction, insatisfaction, insatisfaction. "J'suis sûre que tu m'as cassé le nez", marmonne-t-elle lorsque la douleur l'étreint si fort qu'elle se transforme en colère. "Pourquoi t'as toujours besoin de frapper aussi fort ?" Elle ne le fait pas, quand bien même les ordres de papa transpercent chaque particule de son être lorsqu'il scande à pleins poumons : "plus fort ! Plus fort, j'ai dit PLUS FORT". Jade se contente d'hausser les épaules et elle pense qu'elle ne lui donnera aucune réponse, jusqu'à-ce qu'elle vrille finalement ses pupilles dans sa direction. "Parce que j'suis en colère, je crois."
Du coin de l’œil, Artemis lorgne sur son aînée, le cœur au bord des lèvres. Le sang ne la dérange plus depuis longtemps. C'est ce qu'elle lit dans ses grands yeux sombres, la tempête qui s'y déchaîne, qui la laisse pantoise. "Mais... Pourquoi ?" Et elle rit. Jade balance la tête en arrière et elle éclate de rire, froissant Artemis au passage. Qu'est-ce qu'elle a encore dit de ridicule ? Elle décortique sa phrase, les mots se mettent à danser dans son esprit, un véritable ballet russe. "Laisse tomber. Tu comprendras plus tard." Elle marque une pause, puis ajoute : "enfin, peut-être."

Elle ne commence à comprendre que lorsque la porte claque derrière Jade, des mois plus tard.


"Artemis ?" Premier rappel à l'ordre. Du bout de la chaussure, son père écrase les doigts qui rampent jusqu'à l'arme. A ce stade, le geste tient du réflexe : elle dégaine l'arc, deux doigts sur la corde, flèche déjà en place. "Qu'attends-tu ?" Elle lui lance un regard contrit, ne rencontre qu'un mur. Son père n'a jamais été empreint  au sentimentalisme, et pourtant, elle a toujours lu en lui sans la moindre difficulté. Elle a toujours su ce qu'il voulait.
Ce qu'il attendait.
Ce soir, c'est différent. Elle passe de la silhouette au sol à celle imposante de son père et inversement. Déjà, la colère pointe le bout de son nez, s'apprête à déformer ses traits. "Mais il est désarmé", fait-elle remarquer, comme si la situation ne sautait pas aux yeux. Son père donne un coup de pied dans l'arme à feu qui s'éloigne à un peu, puis le pose sur le dos de la cible, l'empêchant de se relever.

Suffit d'un moment d'inadvertance pour que l'ennemi prenne la fuite. Suffit d'Artemis qui refuse de décocher la flèche alors que l'occasion se présente. Suffit qu'elle refuse d'être une meurtrière.
Et la déception qui teint soudainement le visage rougit de son père en une moue qui l'effraye encore, malgré son âge, la hantera toujours.

"T'en as déjà trop fait. T'es corrompue jusqu'à l'os, Artemis". Elle dodeline la tête, les yeux rivés sur le sol.
L'est-elle ?


L'archer pose la main sur son épaule, la laisse glisser jusqu'à son coude qu'il redresse en une position correcte. "Ainsi, gamine", ordonne-t-il d'une voix forte qui n'a rien à envier à celle de son père. Il y a quelque chose de différent, pourtant. C'est dans l'intonation. Ça la fait vibrer, mais pas de terreur.
D'envie.
L'envie de réussir.
La cible est plus loin qu'elle ne l'a jamais été, alors elle hésite. "Comme ça ?" Demande-t-elle, la voix tremblante. Contrairement à son père, il ne la bouscule pas. Il n'y a aucune remontrance. Aucune violence. "Décoche et vois", se contente-t-il de répondre et c'est ce qu'elle fait.
En plein dans le mile.

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