alone we can do so little; together we can do so much (HANK & NATE)

« Les profils de nos nouvelles recrues sont intégrés à la base de données. Le téléporteur est prêt à les transporter sur la base. » « Je te remercie, J'onn. Quel message leur as-tu envoyé, pour qu'ils se tiennent prêts à être téléportés ici ? » « Je les ai informés que la Ligue de Justice devait s'entretenir avec eux de toute urgence. » À côté de Diana, Kal-El soupire doucement en se pinçant l'arrête du nez. « Ce n'est pas faux, mais peut-être un peu... Alarmant, J'onn. Nous ne sommes pas censés les traumatiser avant l'heure, attendons leur première mission pour ça... » « Peu importe, Kal ! Leur surprise n'en sera que plus grande. Allez, viens avec moi, allons accueillir nos nouveaux compagnons d'armes ! J'onn, tu pourras les transporter sur la Tour de Garde quand nous serons dans le hall. » Le Limier Martien acquiesce silencieusement comme à son habitude, et Diana lui adresse un sourire avant de quitter la salle des commandes en compagnie de Superman. En annonçant aux héros du monde entier que la Ligue de Justice souhaitait recruter de nouveaux membres, ils s'étaient attendus à ce que les candidatures soient nombreuses, mais pas à ce point. Évidemment, il y avait eu tout et n'importe quoi, mais les profils de quelques héros s'étaient démarqués. Il avait alors fallu mener une enquête rigoureuse à leur sujet, aucune erreur n'étant permise. Après le fiasco du Syndicat du Crime, les membres de la Ligue avaient conclu qu'ils devraient redoubler de vigilance avant d'accepter quiconque dans leurs rangs. Les candidats avaient donc vu leurs vies être passées au peigne fin par Batman et Cyborg, et une fois à bord de la Tour de Garde ce serait J'onn J'onzz qui les étudierait une dernière fois en sondant leurs esprits pour s'assurer de leur honnêteté et de leur bonne volonté. Aussi intrusif que ce soit, l'échec Atomica ne devait surtout pas se reproduire. Car après tout, c'est de la protection de l'humanité dont il s'agit. Mais Diana est confiante et pour cause ; elle connaît particulièrement bien leurs deux nouvelles recrues. Deux seulement ont été choisis pour intégrer l'équipe, alors que des milliers ont tenté leur chance. Si elle n'aurait pas été contre apporter un peu de sang féminin supplémentaire à la Ligue, Diana n'est pas moins satisfaite par leurs choix, après maintes et maintes concertations entre membres originels de l'équipe. « Bruce n'était pas libre, je suppose ? » Diana hausse les épaules avec désinvolture en même temps qu'elle réajuste sa cape écarlate. « Tu sais bien qu'il y a toujours une affaire terriblement urgente à Gotham... Et puis entre nous, peut-être est-ce pour le mieux qu'il soit absent. Je ne voudrais pas qu'il terrifie nos nouvelles recrues avec ses grognements et ses regards assassins... Ton sourire est beaucoup plus attrayant, Kal ! » Le Kryptonien éclate de rire et l'Amazone se joint à lui, jusqu'à ce qu'il s'éclaircisse la gorge et fasse mine d'adopter un air grave. « Un peu de sérieux, Diana. Nous sommes censés représenter la Ligue de Justice, pas des héros de bac à sable. » « Kal, ton imitation de Bruce est horrible, tu es bien mauvais comédien... » Superman fait mine de porter une main à sa poitrine comme si elle venait de lui porter un coup mortel au cœur, un sourire aux lèvres. « Aoutch, mon amour propre... ! » Diana lui donne un petit coup de coude, avant de s'efforcer d'avoir l'air un peu plus posée, à défaut de jamais pouvoir faire preuve d'un flegme à toute épreuve comme Bruce. Et puis, pourquoi essayer d'apparaître aussi sérieuse qu'une statue de marbre ? Quand bien même le moment est solennel, il est également digne d'être célébré dans la joie et la bonne humeur. Aux cotés de Superman, elle attend que J'onn téléporte leurs nouveaux coéquipiers dans le hall d'accueil de la Tour de Garde. Quand ils apparaissent devant eux, une voix artificielle les annonce : COMMANDER STEEL, MEMBER OF THE JUSTICE LEAGUE, IDENTIFICATION NUMBER : TWENTY. CITIZEN STEEL, MEMBER OF THE JUSTICE LEAGUE, IDENTIFICATION NUMBER : TWENTY-ONE. ACCESS AUTHORISED. WELCOME ABOARD THE WATCHTOWER. Diana échange un regard complice avec Kal-El avant de s'approcher d'eux, bras grands ouverts pour les accueillir à bord du quartier général de la Ligue de Justice. « Henry. Nathaniel. Bienvenue dans la Ligue de Justice. »

« Pourquoi ils veulent nous voir, à ton avis ? » La question de Nate était formulée alors même que les deux représentants de la famille Heywood approchaient le téléporteur du Hall de Justice. Le bâtiment ne cessait jamais de l’impressionner à chaque fois qu’il s’y rendait (et il y avait fait quelques visites à l’époque de Dark Seid et du Syndicat du Crime – le bon vieux temps) ou qu’il l’apercevait dans les nouvelles télévisées. Marchant derrière son illustre grand-père, le pas rendu lent et lourd par le costume contraignant mais nécessaire qui lui enveloppait le corps, Nate Heywood profitait allègrement du spectacle extraordinaire offert par les statues qui s’élevaient autour d’eux, comme un hommage à une histoire qui s’écrivait à l’encre des exploits des héros qui veillaient sur leur monde, au jour le jour, menace après menace. Chez les Heywood aussi, on avait eu des statues, plus modestes, plus accessibles, peut-être. Nate se souvenait encore des réunions de famille annuelles, passées assis dans l’herbe à écouter les histoires extraordinaires de son héros d’aïeul pendant que sa statue et celle de son cousin veillaient sur eux comme un panthéon bienveillant.

Ca aussi, c’était le bon vieux temps.

Chassant la nostalgie de son esprit, Nate se posta aux côtés de Hank face au scanner géant devant lequel ils avaient été convoqués. Ca par contre, c’était nouveau. Jamais auparavant, Nate n’avait été convoqué au quartier général ‘ultime’, tellement sécurisé qu’on disait qu’il n’était même pas sur Terre. S’il était honnête, il admettrait être impressionné – et un chouïa intimidé à l’idée d’accéder à la cour des grands, même s’il ignorait encore pourquoi. Quelle que fut la raison, ça devait être d’une importance cruciale, ou tout bonnement catastrophique pour qu’on les convoque tous les deux, le grand-père et le petit-fils, sur l’Olympe des superhéros. « J’espère que la fin du monde n’est pas encore pour aujourd’hui. Je viens tout juste de finir mes cartons pour Star City ! » plaisanta-t-il à l’adresse de Hank. Une manière comme une autre de détendre l’atmosphère avant de découvrir à quelle sauce ils allaient être mangés. Hank n’avait pas l’air inquiet – mais Nate savait que son grand-père avait des nerfs d’acier sur lesquels lui-même travaillait encore, mention ‘peut mieux faire’.

Allons, Nate. Ca ne peut pas être si catastrophique que ça. Et si ça l’était, ils trouveraient bien une solution. Ils trouvaient toujours une solution : c’était à ça que servaient les héros, non ?

La téléportation était une sensation des plus bizarres. Même s’il ne sentait rien, Nate avait perçu son esprit être déplacé comme s’il avait été aspiré dans une autre dimension – ou plutôt, dans une base spatiale.

Alors qu’ils faisaient leurs premiers pas dans les quartiers-généraux de la Ligue, la voix dématérialisée de l’intelligence artificielle proclama leurs noms. Commander Steel, member of the Justice League. Citizen Steel, member of the Justice League.

Citizen Steel. Member of the Justice League.

Abasourdi, Nate tourna les yeux vers son grand-père. « Hank ? Est-ce que j’ai entendu ce que j’ai entendu ? » Et très vite, Diana Prince fit son entrée – et son sourire radieux, ainsi que ses bras ouverts, confirmèrent mieux que n’importe quel assentiment la nouvelle inespérée. Estomaqué, Nate souffla un ‘what’ incrédule, un large sourire naissant sur son visage, ses yeux bleus brillants d’une excitation presque enfantine.

Enfantine, humble, mais quand même un petit peu fière.

« Pincez-moi, je rêve. Enfin, façon de parler, ne me pincez pas – c’est mieux pour vos doigt. » D’accord, shut up, Nathaniel. Pourtant, son sourire ne disparut pas de son visage alors qu’il s’avançait, aux côtés d’Hank, son regard allant de ce dernier à Diana comme s’il peinait encore à croire ce qui lui arrivait. Nom de Zeus, même Superman était de la partie. « Wow. Superman, Diana, je ne sais même pas quoi dire. » déclara-t-il à l’adresse des deux fondateurs – le Man of Steel, le véritable, le légitime, et l’amazone, son mentor, son guide dans son adaptation à ce nouveau corps et à cette nouvelle vie. Et bien sûr, son grand-père. Son héros, sans lequel il n’aurait sans doute jamais endossé le costume rouge et bleu qui faisait écho au sien et grâce auquel les journaux l’avaient baptisé Citizen Steel.

Bienvenue dans la Ligue de Justice, Heywood.

« C’est un honneur. Vraiment. Merci, Wonder Woman, Superman. » ajouta Nate avec toute la sincérité du monde, se retenant de distribuer des accolades à la ronde – même si Diana et Superman avaient sans doute la constitution pour y survivre, il fallait bien se montrer un minimum professionnel malgré son émotion. Au lieu de quoi, ses yeux bleus exprimaient toute la gratitude nécessaire à la solennité de l’instant. « Commander. Vous aussi. Rejoindre la Ligue à vos côtés… je n’aurais jamais pu rêver mieux. »

C'était vrai. Quand il avait envoyé sa candidature, il ne s'était même pas attendu à une réponse - ses leçons avec Diana avaient payé, c'est vrai, mais de là à estimer qu'il avait la carrure pour rejoindre la Ligue ? Nate avait été à des lieues d'y penser. Il apprenait, c'est sûr, et il apprenait bien, chaque jour un peu plus pour devenir un héros espérant arriver ne serait-ce qu'à la cheville de son grand-père et des deux légendes qui se tenaient devant lui, comme s'il était l'un des leurs. Nate Heywood, à la vérité, ne croyait pas tellement en lui-même. Mais, semblait-il, d'autres avaient décidé d'inverser la tendance pour lui.

Et maintenant qu'il était là, il n'avait pas l'intention de les décevoir.

Diana ne peut s'empêcher d'afficher un large sourire, amusée par la mine hébétée de Nathaniel, qui semble avoir du mal à croire avoir intégré la Ligue de Justice. Quant à son grand-père, s'il est bien plus doué que son petit-fils pour contenir ses émotions, elle ne doute pas qu'il soit lui aussi surpris et touché. « Tu n'as pas tort, nous avons reçu un certain nombre de candidatures... Mais cela se saurait s'il suffisait d'avoir des pouvoirs pour devenir un héros, dans ce cas n'importe quel méta-humain pourrait le faire. Dans la Ligue de Justice, nous nous intéressons davantage aux personnalités. » Des anonymes se croyant capables de sauver la veuve et l'orphelin du mal, Diana en avait vu des tas. La plupart avaient vite raccrochés face à l'ampleur et la dangerosité de la tâche et les autres... Les autres étaient morts. « J'ai bien peur que le reste de la visite soit tout aussi riche en émotions, Hank... Après tout, nous sommes sur la lune ! » Rien que cela. Diana apprécie davantage cette nouvelle Tour de Garde à l'ancienne, elle est plus à l'aise sur la terre ferme – façon de parler – que dans une station spatiale en orbite. Même si, naturellement, sa destruction et la mort de tout son équipage lui avait brisé le cœur. « Je n'ai vu que le premier Indiana Jones. Il faudra que tu m'aides à compléter ma culture cinéma, Nate ! » Sans cesser de sourire, Diana les invite à avancer à travers le hall de leur nouveau quartier général, Kal fermant la marche derrière eux. « À partir d'aujourd'hui, vous êtes ici chez vous. Vous êtes libres d'aller et venir comme bon vous semble, nous allons vous donner un appareil qui vous permettra de vous téléporter ici sans avoir à faire appel au Limier Martien. Ne vous en faites pas, ils seront encodés pour ne fonctionner qu'avec vos ADN. » La Ligue de Justice n'a encore eu à souffrir d'aucune intrusion ou piratage, la Tour de Garde est un concentré de tellement de technologies différentes qu'elle est imprenable. « Comme tous les membres de l'équipe, vous avez une chambre ici, libre à vous d'en faire ce que vous voulez. Nate, la tienne est située entre la mienne et celle de Shazam, je pense que vous vous entendrez à merveille... Hank, j'ai pensé que tu préférerais être au calme, alors la tienne est à côté de celle du Limier. Je doute que ses séances de méditations te dérangent beaucoup... » J'onn est de loin le membre de l'équipe le plus taciturne, mais aussi le plus empathique. Quant à Billy... Elle est certaine qu'une fois Nate et lui dans la même pièce, la magie opérera d'elle-même. Le hall de téléportation derrière eux, c'est le hangar où sont posés la plupart des appareils de la Ligue qu'ils traversent et là encore, ils en auront plein les yeux. Entre vaisseaux extraterrestres et bijoux de technologie humaine, rien n'y manque. « Hum, vous voyez cet emplacement, là bas ? Ne laissez pas vos yeux vous tromper, il n'y est pas vide. Il y a mon jet, son dispositif d'invisibilité est presque toujours. Je préfère le préciser avant que l'un d'entre vous ne s'assomme. Il y a eu quelques... accidents. » Kal étouffe un rire et Diana se mord la lèvre en songeant à la fois où Ray n'avait pas entendu ses avertissements et s'était réveillé quelques minutes plus tard dans l'infirmerie avec une bosse monstrueuse. « Une fois par semaine, nous nous entraînons ensemble. Évidemment, il est rare que nous puissions tous être là en même temps, mais Superman et moi faisons de notre mieux pour l'être. J'insiste pour que vous y participiez autant que possible. Il ne s'agit pas de tester vos compétences, mais il faut que vous vous intégriez au reste de l'équipe, et nous devons apprendre à travailler avec vous. Notre capacité à fonctionner ensemble est le point fort de la Ligue, nous exploitons nos forces et couvrons les faiblesses de nos coéquipiers. C'est ce qui nous rend redoutablement efficaces, et je ne doute pas une seule seconde que vous apportiez beaucoup à la Ligue. » En chemin, ils croisent quelques héros qui les saluent chaleureusement et après avoir traversé un dédale de couloirs, Diana les conduit jusqu'à la salle de réunion de la Ligue de Justice. Au centre trône une table autour de laquelle sont installés des sièges. Et dire que quelques années plus tôt, il n'y en avait que sept... L'équipe n'a cessé de s'agrandir depuis l'attaque de Darkseid, jusqu'à devenir le premier rempart de l'humanité contre les menaces en tous genres et venues de bien des horizons. « Je vous en prie, asseyez-vous. Personne n'a de place désignée, nous ne sommes pas protocolaires à ce point. » Diana s'installe à côté de Kal, par habitude, et attend que les deux Heywood aient pris place avant de reprendre la parole. « Avant que nous n'abordions des sujets plus sérieux, est-ce que vous avez des questions ? Même des questions que vous pensez idiotes, n'hésitez pas. Je sais que tout cela doit vous paraître un peu... écrasant, dans l'immédiat. »

Un bref instant, Nate dut se faire violence pour ne pas décocher un coup de coude dans les côtes de son grand-père, coup de coude qu’il remplaça par un regard indigné – comment Hank pouvait-il le ridiculiser devant deux de leurs nouveaux chefs ?! Il n’avait rien d’un gosse surexcité, d’abord, et puis, était-ce un crime de s’émouvoir de rejoindre LA Ligue de Justice, aux côtés des superhéros qu’il y a cinq ans encore, il n’aurait jamais imaginé voir ailleurs qu’aux nouvelles télévisées, ces mêmes superhéros qui faisaient rêver ses cousins et ses cousines et laissaient entrevoir, dans les temps les plus noirs de l’humanité, une lueur d’espoir et d’optimisme ? Hank pouvait bien jouer les gros durs blasés qui ont tout vu tout vécu : Nate porterait son excitation et son enthousiasme en bandoulière, comme un badge d’honneur. Car c’était bien un honneur, d’être accepté au milieu de ces géants, quand il se sentait encore tellement petit dans cette constellation.

Sans compter que toute pique que son grand-père adoré ait pu lui envoyer, Diana venait de la désamorcer en une seule remarque, et Nate rayonna bientôt, étonné et ravi. « Quoi, une Amazone multi-millénaire n’a jamais vu Le Temple Maudit ? Diana, je déclare l’état d’urgence, c’est toute ton éducation qui est à refaire, là. » rétorqua-t-il en suivant Wonder Woman et Superman dans les couloirs du QG lunaire. Hank pouvait bien essayer de le faire passer pour le grand gamin de service : si ça voulait dire avoir l’honneur et plaisir de faire l’éducation cinématographique de Wonder Woman en personne, ça en valait largement la peine.

Ses réflexions s’évaporèrent alors que se poursuivaient la visite et les explications, Nate tentant de s’imaginer se téléportant sur la Lune à chaque fois que la Ligue aurait besoin de lui, à chaque fois qu’elle n’en aurait pas besoin, aussi. La surprise se peignit sur son visage à l’annonce de l’assignation de chambres (des chambres, ils avaient des chambres sur la Lune, nom de Zeus !), et il nota mentalement le nom de son futur voisin de chambrée – Shazam, de mémoire un grand baraqué en costume rouge bardé d’un éclair en travers de la poitrine. Il se réjouissait d’avance.

La visite se poursuivit, et Nate prit particulièrement note de la session d’entraînement hebdomadaire : plus conscient que d’autres, peut-être, de ses limitations avec ses propres pouvoirs et de la nécessité cruciale pour lui de rattraper son retard, quel qu’il soit. S’il avait pu le sentir, il aurait remarqué l’accélération de son cœur dans sa poitrine à cette perspective. Il l’avait su en postulant, que s’il était pris, il serait au coude à coude et main dans la main avec les plus grand héros de la planète, des gens blindés d’expérience qui connaissaient leurs propres compétences sur le bout des doigts, et qu’il allait devoir déployer des trésors d’effort et de détermination pour espérer les rattraper et ne pas être un boulet à leur pied. Un challenge des plus palpitants – mais aussi la source involontaire d’une angoisse sourde avec laquelle il savait qu’il allait devoir lutter jusqu’à la conquérir tout à fait. Ca faisait partie du deal.

Ils gagnèrent la salle de réunion, non sans croiser quelques autres héros, dont un certain Ray Palmer qui s’arrêta carrément pour se présenter, tout en sourire candide et les yeux pétillants de cette intelligence rare que Nate n’avait jamais observé que chez quelques élus, et il décida instantanément que ce type-là allait lui plaire. Nate prit place aux côtés de son grand-père, croisa les bras sur la table, élève attentif, avide d’apprendre et de comprendre les rouages de ce nouvel environnement pour mieux se l’approprier. Des questions, avaient-ils des questions ? Nate glissa un regard à son grand-père, puis estima que puisqu’on lui avait collé l’étiquette de petit nouveau, autant jouer le rôle jusqu’au bout.

« J’ai une question. » dit-il en levant vaguement la main, avant de croiser à nouveau les bras sur la table. « Je me doute que cette vague de recrutement répond à un besoin de renforcer les défenses de la Terre, après toutes les crises qu’on a traversées dernièrement. Et surtout avec ce qui s’est passé ces derniers mois… » Nate s’interrompit pour peser ses mots, son regard bleu allant de Diana à Superman, puis à son grand-père. Mettait-il les pieds dans le plat en mentionnant cette autre réalité dans laquelle le monde avait apparemment été plongé, d’après un ami à lui spécialiste en physique quantique ? Tout le monde n’en avait pas conscience, mais la Ligue de Justice faisait inévitablement partie de ceux qui savaient, non ? Parmi tous ces superhéros, avec des degrés de conscience aussi variés, et sans doute plus élevés que la moyenne dans certains cas, il lui semblait inimaginable qu’aucun ne se soit rendu compte de rien et n’en ait informé leurs camarades. Ils savaient forcément. Nate choisit soigneusement ses mots et poursuivit sur sa lancée. « Comment se porte le reste de l’équipe ? De ce que j’ai pu voir avec mes proches, tout le monde ne se souvient pas de cette… réalité parallèle, ou pas de la même façon, ou n’a pas vécu le retour à la normale de la même manière. Est-ce qu’on sait seulement ce qu’il s’est vraiment passé ? »

Il était historien – le temps, il en faisait une question personnelle. Il était trop tôt encore pour mesurer les conséquences de cette réalité alternative, mais il était plus attentif que jamais à l’actualité et à l’histoire récente, cherchant à se rassurer, à constater que rien n’avait dramatiquement changé… mais savait-on jamais vraiment avant que le désastre ne frappe à nouveau à sa porte ?

Être un héros, un membre de la Ligue de Justice, c'est... Un terrible privilège. C'est accepter de porter la responsabilité de la sécurité du monde sur ses épaules. C'est accepter de ne récolter que très peu de lauriers et beaucoup d'ingratitude. C'est prendre des décisions difficiles pour que d'autres n'aient pas à le faire. C'est se salir les mains pour que d'autres n'aient pas à le faire. C'est apprendre à vivre avec les échecs, et réaliser de la pire des façons que tout le monde ne peut pas être sauvé. Diana est certaine que Nathaniel et Hank seront de merveilleuses recrues pour l'équipe, mais elle ne peut s'empêcher de songer que leur enthousiasme sera bientôt balayé par la dure réalité de leur tâche. Un fin sourire étire ses lèvres et elle écoute le plus jeune des Heywood s'exprimer avec attention, avant de prendre une profonde inspiration pour lui répondre. « L'équipe se porte... Aussi bien que possible étant donnée la situation, je suppose. Chacun d'entre nous a sa propre façon de surmonter le choc causé par cette épreuve. Certains ont été plus chanceux que d'autres. » Elle échange un regard triste et lourd de sens avec Kal. Ce n'est pas à eux qu'il revient de parler des traumatismes des uns et des autres. Mais une chose est certaine, tous les membres de la Ligue ont souffert d'une façon ou d'une autre à cause du paradoxe temporel. Diana secoue doucement la tête, et replace inconsciemment une boucle noire derrière son oreille. « Nous savons ce qui est arrivé, oui. Dire que c'est compliqué serait un euphémisme. À présent que vous êtes officiellement membres de la Ligue de Justice, vous allez devoir vous habituer à toutes sortes de choses, toutes plus invraisemblables les unes que les autres. La magie, les dieux, les êtres venus d'autres planètes et d'autres dimensions, les sciences si avancées qu'elles paraissent impossibles, les réalités parallèles... Rien n'est impossible. Rien. » Les frontières du réel continuent de reculer, chaque jour la réalité est de plus en plus improbable et pourtant indéniablement vraie. « Le jour où la réalité a été modifiée, l'assassin connu sous le nom de Deathstroke a attaqué la tour des Teen Titans à Star City. Quelqu'un, nous ignorons encore qui, a mis un contrat de plusieurs millions de dollars sur leurs têtes. Deathstroke les a tous tués, à l'exception du protégé de Flash, le jeune Impulse. J'ignore si vous êtes familiers ou non avec les propriétés de la Force Véloce. Il a essayé de remonter le temps de quelques heures pour pouvoir nous prévenir et sauver ses amis. Mais il était trop inexpérimenté et en état de choc... » Diana secoue la tête, les sourcils légèrement froncés, l'air grave. Aucune trace de colère sur son visage, rien qu'une infinie tristesse. « Ce paradoxe temporel a été la terrible erreur d'un jeune héros traumatisé... Bien des choses ne seront plus jamais comme elles étaient, mais cela nous aura au moins permis de nous préparer à affronter d'autres menaces. Nous devons mettre la main sur Vandal Savage au plus vite. Et sur le nécromancien Wotan. Savage est parvenu à prendre la tête du pays d'une façon ou d'une autre, et Wotan a bien failli réussir à ancrer le monde dans cette réalité alternative, parce qu'il y était bien plus puissant. L'un comme l'autre sont des menaces trop importantes pour que nous puissions les ignorer. Et à eux s'ajoute une autre menace tout aussi importante... La fille de Darkseid et d'une Amazone renégate, Graal, cherche à ramener son père et son armée sur Terre pour l'aider à en prendre le contrôle. Pour de bon, cette fois. » Diana étouffe un rire – un rire fatigué et plein de sarcasme. Leur monde à peine retrouvé, ils n'auront même pas eu une minute de répit pour en profiter. Parce que leurs ennemis profitent de la moindre de leurs faiblesses, ils ne peuvent pas se permettre de baisser la garde une seule seconde. « Naturellement c'est sans compter sur la présidence de plus en plus xénophobe et anti-justiciers de Luthor, et sur nos adversaires respectifs. Je ne vous le cache pas, les temps sont rudes et nous manquons cruellement d'aide. Nous espérons que vous êtes seulement les premiers d'une nouvelle génération de héros à rejoindre l'équipe, nous avons cruellement besoin de nouvelles recrues dignes de confiance. Mais ne vous en faites pas, nous n'allons pas vous jeter dans la gueule du loup dès votre première mission. Pas vrai, Kal ? »

Assis à la table de réunion de la Ligue de Justice, Nate faisait presque figure de statue d’acier, alors même que celui qu’on appelait Man of Steel était assis à quelques chaises de lui. Coincé dans sa camisole d’alliage, invisible sous ses vêtements, il avait appris à faire partie de ces gens qui ne se perdaient pas en mimiques ou gestuelles à moins qu’elles ne fussent absolument nécessaires : et alors qu’il écoutait attentivement les explications de Diana, il restait parfaitement immobile, vaguement conscient de peut-être ressembler à un robot mal configuré. Cette drôle d’attitude qu’il n’avait même pas choisie, il la ressentait désagréablement à chaque fois qu’il assistait à une réunion à la fac, quand il sentait le regard un peu perplexe de ses collègues qui ne pouvaient pas se douter que leur confrère était une boîte de conserve ambulante. Mais à la Watchtower ? Assis entre son cyborg de grand-père, une Amazone, et un Kryptonien ? Pour la première fois depuis des années, Nate avait presque l’impression de discerner un endroit où, avec un peu de travail, il pourrait avoir sa place. Où tout le monde était tellement extraordinaire que l’extraordinaire en devenait ordinaire. Où un homme constitué de plus d’acier que de chair pouvait continuer d’être autre chose qu’une bizarrerie scientifique que même les meilleurs médecins de la planète n’avaient pas réussi à expliquer. Ca évidemment, il ne l’avait pas mentionné, en expliquant ses motivations dans sa candidature. Bien sûr qu’il voulait se rendre utile. Bien sûr que les récits des exploits de son grand-père avaient nourri chez lui des aspirations et un concept de l’héroïsme peut-être un peu démodé et idéaliste. Mais avant tout, la Ligue, c’était aussi l’opportunité  de transformer une malédiction en bénédiction. De se convaincre que tout ça n’avait, quelque part, pas été pour rien.

Il n’en avait jamais parlé à Hank, ni à qui que ce soit d’autre, mais fut une époque pas si lointaine où il aurait fait n’importe quoi, y compris les pires folies, pour se débarrasser de cet acier dans son système, retrouver sa jambe, retrouver sa famille. Essayer de remonter le temps à grand renfort de Force Véloce, est-ce que c’était vraiment plus dingue que ce qu’il aurait pu imaginer, s’il en avait eu les moyens ? Une lueur de compréhension brilla dans ses yeux clairs, et il baissa le regard sur ses mains jointes devant lui, dotées d’un curieux reflet métallique malgré leur couleur chair. Pauvre gosse. Evidemment qu’il avait voulu tenter le tout pour le tout. « Je vois. » se contenta-t-il de commenter. Un gamin avec des pouvoirs extraordinaires, jeté dans l’une des pires situations imaginables. A quoi bon se mettre en colère. Nate aurait été bien incapable de dire comment il aurait réagi, à sa place. S’il avait eu la Force Véloce à sa disposition, quand le IVème Reich était venu lui prendre sa famille, sans doute aurait-il eu un réflexe similaire. C’était facile de reprocher aux autres ce dont on n’était pas capable soi-même. Alors Nate s’abstint, se contenta de ranger cette information dans un coin de son cerveau bien organisé, et releva les yeux sur Diana qui égrenait des noms, certains familiers, d’autres non, et tous annonciateurs de menaces et désastres à venir. Un sourire amusé vint étirer ses lèvres, alors que leurs deux nouveaux mentors promettaient de ne pas les malmener trop vite, quelques secondes à peine après avoir mentionné des ennemis du calibre de Darkseid et Vandal Savage. « Moi qui m’étais convaincu qu’affronter Darkseid en tête à tête pouvait être une forme de bizutage à la Ligue. » dit-il, feignant un soulagement qui n’avait pas lieu d’être. Ils affronteraient qui ils devraient affronter en temps et en heure. Peut-être Darkseid, peut-être sa fille, peut-être quelqu’un d’autre encore. Il avait cru comprendre que dans ce métier, on n’avait pas vraiment le choix de toute façon.

Ses yeux ne manquèrent pas de s’illuminer sitôt que Superman fit mention des archives de la Ligue – il ne faisait que très modérément confiance à son corps depuis l’apparition de ses pouvoirs, mais sa tête, elle, était toujours en bon état de marche. Ou du moins aimait-il à le penser pour se consoler. Sagement, il se retint de demander immédiatement où étaient ces fameuses archives, mais l’existence de ces registres lui fit tout de même penser à autre chose. « Pas vraiment d’autre question, plutôt une proposition. J’imagine que les archives renferment le détail de vos batailles passées, des informations sur nos ennemis et ce qu’ils sont devenus, non ? » Entre autres choses sans aucun doute, mais ça n’était pas la question. Son regard allant de Diana à Superman, il poursuivit : « On est d’accord que le temps dans cette dimension a continué de s’écouler pendant qu’on vivait notre vie dans l’autre, n’est-ce pas ? Ca veut dire que les versions de vous-mêmes présentes ici pendant ces six mois ont continué d’actualiser les archives. Est-ce que quelqu’un a eu le temps de les consulter pour voir ce qu’il est advenu de tous ces gens qui sont devenus des priorités ? » Nul doute que le Limier Martien, qui avait l’air de servir de mémoire vivante de la Ligue, s’était attelé à la tâche, mais avait-il pu aller jusqu’au bout ? Ils n’étaient revenus qu’il y a si peu de temps. Il n’avait aucune idée du fonctionnement de ces fameuses archives ni de l’étendue des capacités extraordinaires du Limier, mais tant qu’à faire, s’il pouvait prouver sa bonne volonté et se familiariser avec l’historique de la Ligue en donnant un coup de main… « Ce que j’essaye de dire, c’est que si le Limier a besoin d’aide pour faire le tri, mettre à jour certains fichiers, ou trouver des détails obscurs sur les uns ou les autres… j’ai l’habitude de me battre avec des bases de données labyrinthiques. S’il a besoin d’un assistant… » Peut-être qu’ils n’avaient pas besoin de ça. Peut-être que tout ce dont ils avaient besoin de sa part, c’était des muscles et une capacité à se transformer en acier indestructible. Mais ça valait le coup de tenter sa chance, en attendant de recevoir son baptême du feu. Son grand-père savait parfaitement se battre, alors que lui apprenait encore à gérer ce corps impossible. S'il devait se faire sa propre place dans la Ligue, il savait qu'il allait devoir compter sur ses talents propres, et pas seulement sur son pedigree ou ses 'pouvoirs'. Peut-être était-ce là le premier pas à prendre.

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