worlds change when eyes meet (layla)

« Y en a pas beaucoup des comme toi par ici. Encore moins qui sont de chez nous. » L'homme qui marche à tes côtés au milieu d'un quartier de Westminster appartient à la Résistance, et c'est d'un long silence que tu réponds à sa réflexion, ou compliment, qu'importe de quoi il s'agisse. Tu n'as pas intégré leur groupe pour te faire des amis, ni pour soutenir leur cause. Ce monde n'est pas le tien, par conséquent, assumant parfaitement ton égoïsme, tu ne vois aucun intérêt à lutter auprès de gens qu'il vous faudra un jour ou l'autre abattre pour avoir une chance de rentrer sur votre Terre. Cette alliance que tout le monde semble accueillir à bras ouverts ne va pas durer, et parfois, t'as l'impression qu'ils préfèrent se prélasser dans un acquis incertain que de se fier à une certitude évidente. T'as jamais été un grand rêveur. Trop tôt t'as été confronté à la misère, la tienne et celle des autres, alors cette utopie de l'union infaillible, tu n'y crois pas une seule seconde. Et aucun d'entre eux ne te fera y croire, car tu mettrais ta main à couper que dans le tas, très peu y croient eux-mêmes. « T'es pas un grand bavard toi, hein. » Non, en effet, mais cette fois au moins tu daignes lui adresser un regard, fusil sniper entre les mains, et qui t'a été confié non pas par confiance, mais par capacité. Ces rebelles autour de toi, la dizaine qui t'accompagne dans les décombres de la ville, pas un seul ne t'arrive à la cheville. Pas un seul ne tiendrait plus de cinq secondes dans un duel face à toi. Alors qu'ils s'estiment heureux de ta présence, et se contentent de te remercier en fermant leur gueule. T'as pas envie de discuter, ni de partir en quête des pilleurs que vous suivez à la trace et qui vous ont devancés de peu dans la découverte d'un camion abandonné plein de vivres et de munitions. Une mission de la résistance a échoué, tous sont morts, et le précieux butin a été laissé à l'abandon le temps de renvoyer un groupe, plus efficace cette fois, tout récupérer. Mais les rats ont été plus malins que vous, et c'est après eux que vous devez courir désormais, nourrissant par la même occasion ton intérêt personnel, et ta seule raison d'être auprès d'eux ; parcourir la ville de fond en comble pour retrouver celle qui t'échappe encore.

Trois mois. Trois longs mois que tu suis et dessines un symbole porteur d'espoir. Une cible vue et crayonnée un peu partout dans New Themyscira. Preuve qu'elle est ici, en vie, et à ta recherche elle aussi. Une moitié qui t'a été à nouveau arrachée et que tu désespères de retrouver. Après avoir croisé le chemin de Susan et Zoe, et les avoir mises toutes les deux à l'abri, trouver Layla est devenu ta priorité absolue. Et seul, la traque devenait dangereuse – et comme le dirait Nate, surtout pour un casse-cou pour toi. Atlantes, Amazones, rebelles, pilleurs, nombreux étaient ceux qui auraient pu mettre en péril ta précieuse mission, alors tu t'es allié à la Résistance, conscient qu'un tireur comme toi pourrait leur être grandement utile, et ce malgré ton manque de conviction dans leur combat. Ils ont compris que leur dessein était différent du tien, mais ils l'ont accepté, et l'acceptent encore aujourd'hui, tant que tu respectes ta part du contrat. « Les traces s'arrêtent ici. » Sceptique, tu doutes que le gang des pilleurs se soit envolé vers les nuages, et c'est peut-être un peu trop tard que tu comprend ce qu'il en est réellement. « Embuscade ! » Une grenade est jetée sur vous, et tu l'attrapes rapidement pour la renvoyer à l'expéditeur avant son explosion. Geste mainte fois réalisé au cours de ta carrière de militaire, et qui aujourd'hui, te permet de te mettre à l'abri sans dégâts, contrairement aux quelques malheureux qui eux se retrouvent pris au piège sans ressource pour s'en échapper. Caché derrière un muret en ruines, tu poses ton fusil sur un appui solide pour chercher dans le viseur les positions de chaque pilleur. Et un à un, chaque fois d'un seul tir imparable, tu commences à les abattre. Bam. Bam. Bam. C'est drôle, mais à ce moment précis, la mort au bout du canon, c'est à la fête foraine que tu penses soudainement. Quand durant vos retrouvailles à Morro Bay, tu avais fait démonstration de tes talents au stand de tir, encore habité par ce que tu pensais avoir laissé en Afghanistan, mais qui ne te quittera probablement jamais. Souvenir qui te ramène à elle, comme souvent ces trois derniers mois, et qui serre chaque fois un peu plus un cœur déjà nécrosé par une absence horriblement pesante.

Prenant conscience qu'un tireur les a pris en chasse, les quatre pilleurs restants, courageux mais pas téméraires, prennent la fuite dans un bâtiment à quelques mètres de la zone de combat, seul repli à disposition dans cette étendue de débris. Tu le sais, votre seule chance de trouver leur planque et de récupérer ce que vous êtes venus chercher, c'est de les suivre. Tu laisses donc tes camarades encore en vie s'occuper de ceux qui sont blessés, pendant que tu te lances à la poursuite des fuyards, engagé dans une nouvelle mission suicide. Il y a du grabuge droit devant, tu entends des gens se battre à peine engouffré dans l'édifice, facilitant grandement ta traque, mais frustrant ton envie de jouer. Se pourrait-il qu'ils soient tombés sur d'autres rebelles ? Aux aguets, arme levée pour être prêt à tirer, tu avances prudemment dans ce qu'il reste de cet ancien immeuble administratif. A tes pieds se mélangent poussière, feuilles de papier, et traces de tes proies. Tu ne dis rien, tu avances en silence vers le centre de la pièce, où les quelques rayons d'un soleil timide parviennent à percer l'obscurité du bâtiment abandonné. Inconnue dans le viseur, tu attends d'être sûr avant de tirer. Un pas en avant. Puis un autre. Et...

La silhouette se dessine et se révèle. Le bleu de ses yeux te percute aussi violemment que si tu avais couvert de ton corps l'explosion de la grenade tout à l'heure.

Layla. Fleur sous les cendres. Unique beauté d’un paysage anarchique.

Tu baisses ton arme, soldat abandonnant sa guerre pour retrouver son amour perdu. Le sang dans tes veines recommence enfin à couler, ton cœur bat à nouveau dans ta poitrine. Tu te sens vivant, là où tu es sensé être, pour la première fois depuis ta téléportation. Une plage paisible de Californie échangée contre un tableau apocalyptique, sans même que l'on te demande ton avis. Le plus dur là dedans, bien évidemment, a été de livrer cette nouvelle bataille sans elle. T'arrives pas à parler, secoué par la surprise de retrouvailles inespérées et le soulagement de la voir saine et sauve. Assailli d'un violent besoin vital de la sentir contre toi pour t'assurer qu'elle est bien là. Que tout ceci n'est pas un mirage, ou simplement une vision du paradis après avoir perdu la vie dans l'embuscade. Ton âme-soeur à portée de bras, et aucune seconde de plus que tu ne laisseras vous séparer.

AVENGEDINCHAINS

Elle avait entendu la grenade bien avant de voir l’altercation en elle-même. Une détonation, quelque part dans la distance, mais bien trop près pour qu’elle puisse s’estimer hors de danger – son oreille exercée avait su exactement à quelle distance l’explosion avait eu lieu, comme si l’Afghanistan, elle ne l’avait quitté que la veille. Mais l’Afghanistan, depuis que ce Collectionneur les avait téléportés sur cette Terre d’abandon, était revenu au grand galop. Qu’elle le veuille ou non, ses tempêtes de sable et ses éclats de shrapnel avait sculpté ses réflexes, sa mémoire musculaire, et presque tout ce qui lui avait permis de survivre ici. Même sans son partenaire. Surtout sans son partenaire. Cramponnée à son fusil, planquée derrière un renfoncement, Layla ravala une insulte en entendant le bruit distinct de pas de course pénétrer dans le bâtiment dans lequel elle avait trouvé refuge pour éviter l’altercation. Elle entendait des hommes – pas des Amazones, donc. Et le bruit de leurs pas n’avait rien à voir avec la lourde armure des Atlantes – parfait. Contre des humains, elle avait sa chance. Rebelles, pilleurs, civils, tout ça n’était que secondaire. S’il s’agissait d’hostiles, sa résolution était prise depuis longtemps. Dans cette guerre abjecte, elle n’avait ni camp ni loyauté ; et si elle s’était trouvé une mission inattendue incarnée en cette étonnante pierre qu’elle avait arrachée aux griffes des Atlantes, son objectif principal, lui, ne connaissait aucune allégeance que les gens de ce monde ne reconnaissaient. Retrouver Floyd. Soudain, une silhouette passa devant elle sans la voir – sans perdre un instant, elle se jeta sur le dos de l’homme, son fusil pressé sur sa gorge à l’en étrangler alors qu’il se débattait furieusement, et son pied vint s’écraser dans le creux de son genou, le forçant à perdre l’équilibre alors que l’articulation de disloquait. Sitôt qu’il toucha terre avec une exclamation de douleur, elle le libéra de son emprise et lui asséna un coup de crosse brutal à l’arrière du crâne. Trop tard. Alerté par le bruit, un de ses acolytes rappliqua aussitôt, son pistolet pointé devant lui. Bang. Trop près – par un quelconque miracle, elle avait su le voir venir et se mettre à l’abri, un, avant de pointer le canon de son arme sur lui, deux, et presser la gâchette, trois. Elle avait remarqué ça, chez les rebelles et les pilleurs. Ils voulaient tous jouer au jeu de la guerre, mais finalement, aucun d’entre eux n’avait pris la peine d’apprendre la chorégraphie. Tant pis.

D’autres pas se firent entendre, et Layla décida de prendre le large avant de réellement tenter le diable, et elle s’engouffra dans un corridor au hasard. Westminster devenait décidément trop agité. Vagabonde de l’extrême dans cet enfer apocalyptique, elle avait pris le parti d’être constamment en mouvement, se contentant du minimum, progressant de planque en planque en ratissant la ville de long en large et en travers, ne laissant pour seule trace de son passage que des symboles de cibles griffonnés un peu partout. Floyd était là, lui aussi, elle le savait. Elle l’avait vu, leur signe de reconnaissance, dessiné par la main d’un autre ; la sienne. Trois mois, qu’elle le cherchait partout. Trois mois, qu’elle se couchait chaque nuit pour quelques heures avec son image en tête, et qu’elle se levait en renouvelant son vœu de le trouver. Trois mois, qu’à chaque jour qui passait, le désespoir et l’abattement cherchaient à se frayer un chemin dans sa poitrine – et trois mois qu’elle répliquait en raffermissant patiemment sa résolution jusqu’à ce qu’elle soit plus indestructible que de l’acier. Elle allait sortir de ce bâtiment. Elle allait reprendre sa traque, inlassablement, jusqu’à sa conclusion. Et… Layla s’immobilisa brusquement, un flot glacé se déversant dans ses veines alors que dans l’encadrement de la porte de la pièce qu’elle venait d’envahir, une silhouette approchait, le canon de son fusil braqué sur elle. Shit. Pendant quelques secondes, tout resta suspendu en l’air. Pendant quelques secondes, le temps s’arrêta – mais le tireur, lui s’approchait encore, jusqu’à baisser le canon de son arme, jusqu’à ce que la lumière de l’extérieur lui tombe sur le visage. Et le temps reprit son cours, avec la violence d’une cascade s’écrasant soudain tout autour d’eux. Floyd. Fatigué, les traits durcis, incrédule – mais Floyd du pareil au même. Qu’on lui rende son souffle, à Layla, parce qu’on venait de lui voler le sien, étranglé dans sa gorge par l’étau de ces trois derniers mois qui implosait dans sa poitrine. Enfin, l’attente était terminée. Enfin, on avait jugé qu’il était temps de mettre fin à son calvaire. Et le temps de réaliser, complètement, entièrement, qu’elle n’était pas en train de rêver, une impulsion irrésistible la poussa dans le dos, fusil abandonné par terre sans l’ombre d’un regret. Trois mois. Trois mois à répéter jour après jour qu’elle ne lâcherait rien tant qu’elle ne l’aurait pas retrouvé. Trois mois qu’elle s’échinait à retourner chaque pierre, à défoncer chaque porte, dans l’espoir ténu de le retrouver. Trois mois, qu’elle combla en quelques enjambées, trois mois, qu’elle fit voler en éclats, parce que le ras-le-bol, parce que l’impatience, parce que le soulagement dévastateur de le savoir vivant et sain et sauf. Trois mois, que Layla pulvérisa d’un coup, en reprenant l’histoire là où elle aurait dû s’arrêter : en glissant ses mains dans le cou de son partenaire, et en l’attirant à elle, sans dire un mot, parce que les mots étaient superflus, et enfin, enfin sceller ces cinq dernières années d’un baiser qui s’était déjà trop fait attendre.

Le brasier sous la cendre. La vie qui repousse au milieu des douilles de balles et des ruines d’une ville éventrée. Le réveil après un long et nébuleux cauchemar ; ils étaient tout ça à la fois, alors qu’ils s’embrassaient, les deux enfants terribles qui avaient arraché chaque brique de leur relation aux pires circonstances imaginables. Ils avaient survécu à une guerre, et maintenant à une autre ; leur amour était né sur un champ de bataille, et il y avait encore survécu. Et ce premier baiser, fougueux, électrique, qu’on leur avait confisqué encore et encore, c’était un coup de tonnerre qui la ranimait après trois long mois d’une absence agonisante. Floyd était là. Trois mois à ne goûter que la cendre ou la poussière ; qu’elle oubliait complètement et parfaitement, submergée par son odeur, le parfum de ses lèvres contre les siennes, la chaleur de son corps contre le sien. Layla se sentait vaciller, mais surtout qu’on ne la sauve pas, parce qu’elle l’avait attendu, ce vertige. Floyd était là, et son cœur explosait dans sa poitrine, en même temps qu’une brève sonnette d’alarme paniquée, parce qu’elle venait quand même un peu de lui sauter dessus sans lui demander son avis, mais tous ces bourgeons d’inquiétude furent balayés sitôt qu’il le lui rendit, ce baiser volé. Un premier contact, qu’elle brisa brièvement, à peine, pour s’y abandonner de plus belle, en passant ses bras autour de son cou, l'esquisse d'un sourire se dessinant sur sa bouche captive. Tous leurs barrages, tous les obstacles, désintégrés les uns après les autres. Floyd était là, et elle était prête à endurer tous les enfers du multivers pour que plus rien ne vienne s’immiscer entre eux. Ils n’avaient jamais fait les choses à moitié, Floyd et Layla. S’ils devaient mourir aujourd’hui, alors que cette passion cristallisée dans un baiser au milieu des ruines soit leur héritage, pour un monde qui ne le méritait pas. Au milieu d'un univers en perdition, elle, elle était exactement où elle voulait être : dans les bras de son autre moitié, victorieux envers et contre tout.

AVENGEDINCHAINS

Et soudain, le monde n'existe plus. Le bâtiment s'efface, la Résistance s'efface, la guerre s'efface. Comme si absolument tout autour de vous faisait délibérément le choix de vous laisser profiter de ces retrouvailles intenses et viscérales. Une moitié qui s'emboite dans une autre, une vie qui retrouve pleinement son sens. Si tu portais toujours ta montre au poignet, tu sais que les aiguilles reprendraient maintenant leur course folle, comme elles le faisaient si bien avant qu'elle ne vienne fracasser les murs de ton existence. T'as calé ton cœur sur elles, suspendu dans l'espace-temps pendant des années, une vie en pause tant qu'elle ne serait pas à tes côtés. Une résolution dont tu n'avais pas pleinement conscience, mais qui existait pourtant. Et aujourd'hui, enfin, au milieu d'un monde dévastée, une ville brisée sous vos pieds, ce qui s'était détruit en vous après une première absence commence enfin à se rassembler. Deux aimants qui ont vaincu la force qui les empêchait de se retrouver. Le puzzle est complet. Le lien plus fort que jamais. Délivré de tes secrets, délesté de tout ce poids accroché à tes chevilles et qui cherchait à t'attirer vers le fond, tu peux pleinement profiter de celle que tu as choisi d'avoir dans ton quotidien mouvementé mais pas sans espoir. Rien ne sera jamais parfait, parce que vous êtes loin de l'être vous-mêmes, mais ce sera largement suffisant pour faire de toi quelqu'un de vivant. Plus vivant que cette sensation factice de renaissance chaque fois que tu jouais à la roulette russe, ou que tu te jetais tête la première dans une mission suicide qui n'en avait pas que le nom. Face à elle, tu lâches ton arme, l'envoie valser plusieurs mètres plus loin, fermement décidé à laisser le soldat au placard pour n'être que l'homme dont elle avait besoin, et que tu espérais désespérément pouvoir devenir. Votre histoire mise en suspend sur la plage de Morro Bay, là où tout a recommencé et là où tout s'est brutalement arrêté, reprend maintenant ses droits. Et même si se joue dans votre dos un conflit qui vous concerne plus que vous ne l'admettez, rien ne pourrait avoir plus d'importance que ces précieuses secondes où le temps s'est arrêté.

Ceci n'est pas une rédemption, ceci est une acceptation, et elle se scelle entre l'espace réduit de vos lèvres qui enfin se trouvent de la plus naturelle des façons. Cette fois-ci, tu te fiches bien de n'être qu'un esclave. Esclave du désir qu'elle fait jaillir de mille flammes et qui embrase ton cœur. Souverain d'un royaume dont elle t'a confié les clés, où vous êtes tous deux appelés à régner. Trône de cendre, trône de sang, salle habitée de fantômes cachés dans les ombres des recoins, spectateurs silencieux d'un sacre contre lequel ils n'ont pas pu s'opposer. Mais qu'importe le rouge sur vos mains, les couronnes sur vos têtes ne sont pas à l'image de votre passé torturé et chaotique, mais de l'amour que vous vous portez, et qui trouve écho dans un monde où il n'était pas censé avoir sa place. Quand beaucoup font la guerre, vous, vous préférez vous aimer, après des années à avoir mené vos propres batailles que tu commençais presque à croire sans fin. Plein pouvoir sur son corps, tu laisses tes bras entourer sa taille, faisant d'elle la prisonnière de son propre domaine, et acceptant de relâcher ses lèvres que pour mieux les capturer à nouveau. Valse charnelle infinie tant que vous n'en aurait pas décidé autrement. C'est toutes les parcelles de ta peau qui frissonnent chaque fois que le goût de ses baisers s'imprègnent sur toi comme une drogue que tu devines déjà impossible à arrêter. Une dose ne suffira pas, une seule dose ne suffira plus jamais. La possession est mutuelle, et t'amène à agripper plus fermement le tissu auquel tu t'accroches. Elle est là, plus qu'elle ne l'a jamais été, et c'est avec force surhumaine que tu t'obliges à rompre un instant vos baisers déjà passionnés, en totale cohérence avec vos propres personnalités. « Hey. » Quelle plus belle façon de la retrouver que de répondre à ce qu'elle ne t'a pas volé, mais offert avec une dévotion qui n'a d'égale que la tienne. Elle est là. Et il te faut le répéter et la contempler pendant plusieurs secondes pour en être certain. Comme si tout ceci n'était qu'un rêve. Un beau rêve que tu voudrais sans fin.

Bientôt, il vous faudra reprendre la route. Ensemble. La résistance ne t'étant plus d'aucune utilité, tu ne prétendras pas une minute de plus vouloir prendre part à leur cause. Mais l'heure n'est pas encore aux décisions. Non, t'aimerais pouvoir arracher encore un bref moment au temps. Qu'il vous accorde au moins un dernier autre baiser, avant de vous pousser à retrouver un peu de raison. Mais éternel vaurien, c'est sans attendre plus longtemps, ou que l'on ne t'autorise quoi que ce soit, que tu te penches pour l'embrasser, avide d'une nouvelle sensation que tu viens à peine d'effleurer, et que tu crèves d'envie d'explorer des heures entières avec pour seule contrainte de ne pas oublier de respirer. Lentement, tu la pousses vers le mur qui vous fait barrage, sans jamais rompre ce que tu as à ton tour initié. Et après une ébauche déjà plus que réussie, tu t'adonnes maintenant, avec élan de convoitise, à une esquisse encore plus parfaite, dessinée au rythme de vos lèvres et aux sons de vos accords amoureux. Minutes arrachées à qui chercherait à vous en priver. Après une longue liste d'actes manqués, vous méritez largement d'étirer ce moment aussi longuement que vous le voudrez. Mais entre deux pauses, tu prends quand même le temps de t'exprimer, seul effort que t'es capable de fournir. « Y aura fallu qu'on se retrouve sur une autre Terre pour enfin en arriver là. Tu trouves ça triste ou épique ? » Tu cherches son regard comme une ancre pour t'obliger à ne pas replonger. Tu comptes sur elle pour mettre un peu plus de bonne volonté, parce que toi, tu crains de ne pas être encore foutu d'arrêter.

AVENGEDINCHAINS

« Hey. » sourit-elle en retour, prête à admettre bien volontiers qu’encore une fois, ils ne faisaient pas tout à fait les choses dans le bon ordre, et que cette fois, ce constat revêtait même quelque chose de comique. Faire les choses dans l’ordre, à ce stade, et surtout dans ces circonstances, c’était bien le dernier de leurs soucis. Et est-ce qu’il s’agissait vraiment de désordre, quand ils ne faisaient que rattraper ces multiples occasions manquées, ces opportunités qu’on leur avait arrachées sans merci, ou est-ce que finalement, ils ne faisaient que remettre les pendules à l’heure avec un peu de retard ? Questions rhétoriques auxquelles Layla n’avait ni l’envie, ni le temps de répondre. Hey, parce qu’il fallait bien dire quelque chose quand même, hey, parce qu’elle n’aurait rien su dire d’autre, peinant encore à réaliser ce qu’il était en train de se passer. Trois mois d’absence et d’un vide abyssal, c’était un poids lourd à dégager encore et encore, à coups d’affirmations et de rappels : ses lèvres contre les siennes, ses bras autour de sa taille, et maintenant, le son de sa voix, et ses yeux dans les siens. Il était là. Elle pouvait arrêter de courir, elle pouvait arrêter de chercher. Les hésitations d’hier volaient en éclats face aux certitudes d’aujourd’hui, et si quelqu’un avait eu dans l’idée de les plaindre de commencer leur histoire sous d’aussi sombres auspices, elle leur aurait refermé la porte au nez. Tout s’emboîtait à la perfection. Ce n’était pas juste un commencement, c’était une continuité. Ils n’étaient pas des gens normaux, ils étaient des soldats ; finalement, ils n’avaient pas eu le droit d’espérer mieux, mais ils n’auraient pas pu espérer plus approprié. Si c’était la violence qui devait servir de ponctuation à leur vie commune, elle s’était montrée bien incapable de venir à bout de leur ensemble.

Elle allait tenter de parler – promis juré, votre honneur, mais c’est Floyd qui lui coupa la parole, le vaurien, et tout ce qu’on aurait pu lui reprocher à elle, c’était la facilité avec laquelle elle rendit les armes, déjà ivre de son parfum et convaincue qu’elle ne pourrait jamais atteindre l’intoxication complète et fatale. Complice plus que volontaire dans cette désertion de tous leurs devoirs, elle se laissa volontiers entraîner jusqu’à ce mur qui les cachait un peu plus du reste du monde, leurs armes abandonnées au sol, obsolètes dans cette exploration d’un tout autre genre et autrement plus primordiale que la guerre qui faisait rage dehors. Et leurs baisers, peu à peu, perdirent de l’urgence désespérée de leurs retrouvailles inattendues, remplacée par une soif difficile à étancher, curieuse, avide, et même audacieuse. Oui, ils avaient attendu, mais Layla trouvait presque que ça avait valu le coup, quand elle constatait avec quelle harmonie, déjà, ils se livraient à cette nouvelle danse – quand chaque baiser de Floyd lui ôtait un peu plus la volonté d’arrêter, et la perdait un peu plus dans cette fièvre qui lui montait à la tête, à chaque nouvelle pression de ses lèvres sur les siennes, ou de ses mains sur ses hanches. Mais il fallait bien respirer – dommage – et elle faillit faire la moue lorsqu’il décida de prolonger un peu cette pause-là, sauf que sa question finalement, lui arracha aussitôt un rire bref ; un peu amusé, un peu fatigué, un peu soulagé. « Tristement épique ? » proposa-t-elle, le souffle court, en relâchant son étreinte autour de son cou, pour laisser ses mains venir s’accrocher aux pans de sa veste, ses yeux perdus dans les siens pour mieux ignorer la pièce délétère et en ruines dans laquelle ils se trouvaient encore. « Au moins on aura le mérite de l’originalité. T’en connais beaucoup, des gens qui ont vécu leur premier baiser en pleine apocalypse ? »

Quelque part dans le bâtiment, des éclats de voix – encore lointains, mais déjà trop proches à son goût – se firent entendre, et par pur esprit de défi ou de rébellion, Layla tira légèrement sur le col de son partenaire pour lui dérober un autre baiser, parce que s’il attendait d’elle qu’elle soit plus raisonnable que lui, il sous-estimait le pouvoir qu’il avait sur elle, mais elle accepta quand même d’être aussi celle qui y mit un terme, à regret ; mais jusqu’à où pouvaient-ils tester les limites de leur temps imparti sans s’y brûler les ailes ? « Ils sont avec toi ? » demanda-t-elle, en reprenant pied dans cette réalité dont ils ne voulaient pas, mais avec laquelle il fallait bien composer. Dos au mur, cachés dans l’ombre comme deux adolescents ou deux déserteurs, ce n’était qu’une question de temps avant qu’on ne les débusque. « Je cherchais ta trace quand j’ai entendu des bruits de bataille et que je me suis planquée ici. Westminster est devenu trop risqué ces derniers temps, j’ai dû rebrousser chemin plusieurs fois avant de trouver tes marques. » Mais l’entêtement avait fini par payer. Et c’était presque surréaliste, maintenant, d’enfin être capable de lui parler ; elle en effleura même son visage du bout de doigts, comme pour confirmer encore qu’il n’était pas une statue de sable prête à s’effriter entre ses mains. Mais non, c’était lui, sa peau sous ses doigts, son cœur qu’elle sentait presque battre à l’unison avec le sien. Respire, Layla. « J’ai une planque un peu plus au nord, près du couloir végétal. C’est pas grand-chose, mais les Atlantes et les Amazones ne s’en sont pas encore approchés. Les pilleurs non plus. Mais si t’as des gens avec qui tu dois repartir, je viens avec toi. » Plus rien n’avait d’importance, à part repartir avec lui. C’était non-négociable. Maintenant qu’ils s’étaient retrouvés, hors de question d’être séparés à nouveau, ne serait-ce qu’un seul instant, et ses yeux rivés dans ceux de Floyd brillèrent de cette résolution aussi soudaine qu’inébranlable. « A partir de maintenant, je te lâche plus, partenaire. » Et advienne que pourra, mais cette nouvelle guerre, il était plus que temps qu’ils l’affrontent ensemble, plutôt que chacun de son côté. En donnant un nouveau sens au mot ‘ensemble’, et à ce titre de partenaires qu’ils s’étaient assignés depuis toutes ces années.

AVENGEDINCHAINS

Tristement épique ? Validé. Et puisque tu dois te retenir – au moins quelques secondes –  d'attraper une nouvelle fois ses lèvres, t'en profites pour la regarder plus longuement. Tu l'as toujours trouvée belle, Layla, mais maintenant que votre relation vient de prendre un tournant bien plus intime, ton impression est d'autant plus renforcée. On s'y perd facilement, dans le bleu de ses yeux, et c'est un endroit où tu ne rechignerais pas y rester toute ta vie. D'humeur romantique ? Peut-être. Faut dire qu'après avoir eu peur de la perdre un nombre incalculable de fois, t'es enfin soulagé d'être arrivé au bout de ce long tunnel de secrets et lourds passifs. Elle sait tout, absolument tout, et tu te sens prêt à rouler sur l'autoroute de l'amour à ses côtés, aussi niais cela puisse sonner à vos oreilles de gros durs. Bien sûr, tu n'oublies pas le dernier détail. Le dernier aveu. Mais celui-ci ne vient pas de toi, et quel qu'il soit, tu sais qu'il ne suffira pas à ébranler ce que vous venez de gagner aujourd'hui. T'y songes depuis des semaines, te posant mille et une questions sur sa nature et sa gravité, mais pour la première fois depuis votre téléportation sur New Themyscira, tu n'y accordes qu'une moindre importance. Non, tout ce que tu veux, c'est tout oublier, et simplement passer des heures à l'embrasser, pour apprendre à connaître ses lèvres et sa peau aussi bien que tu la connais elle. « C'est plus sympa que sous une tente, c'est vrai. » Et voilà une confession entièrement assumée sur des sentiments nés bien avant ton arrivée à Morro Bay. Vous le saviez, dans le fond, mais t'as plus aucun mal à clairement lui avouer. Comme si tout était devenu terriblement facile. Il y a eu certaines fois, plus fréquemment que tu ne l'aurais voulu, où ton regard se baissait vers ses lèvres, mais sans jamais franchir cette limite interdite, car les tiennes appartenaient déjà à une autre. L'apocalypse, c'est original et inattendu, mais largement préférable à un désert afghan qui aurait scellé une infidélité que tu ne te serais jamais pardonné. Vous avez attendu longtemps, beaucoup trop, mais si tu avais le choix, tu ne ferais pas les choses autrement.

Tu les entends à peine les murmures au loin, bien trop impliqué dans ce nouveau baiser pour te préoccuper du reste. Vous êtes mal barrés. Si aucun de vous deux ne fait l'effort, vous risquez de passer votre nuit ici, à vous embrasser contre un mur décrépi comme deux intenables adolescents. Et peut-être que ce ne serait pas si terrible que ça. T'es prêt à te contenter du peu, tant que t'es avec elle. « Hum ? » Sur ta planète, t'as pas bien compris ce qu'elle t'a demandé, et boudant ouvertement ton sens de la raison, tu préfères te pencher pour cette fois t'attaquer à la peau de son cou. Trop gourmand. Trop énamouré. Ce n'est ni le moment, ni l'endroit pour vous découvrir plus amplement, mais bon sang que c'est dur. Concentration, Floyd. L'obscurité va bientôt tomber, et il va falloir vous décider sur la suite, vous aurez tout le temps de roucouler plus tard. « C'est les rebelles. Je les ai rejoins y a pas longtemps, pour pouvoir ratisser un maximum de terrain et avoir une meilleure chance de te trouver. Mais je m'en fiche maintenant, on a pas besoin de repartir avec eux. » Tu n'en as même aucune envie. Etre entouré d'une centaine d'inconnus en plein prémices de votre toute nouvelle relation ? Hors de question. Ils se débrouilleront sans toi, ton objectif a été atteint, et leur utilité est devenue obsolète. « Je reste avec toi. Ta planque ce sera parfait. » A ton tour, tu viens doucement caresser sa joue, la tête qui tourne et le cœur qui tambourine. Même face à toi, même après l'avoir embrassé, t'as du mal à y croire. Et ce soir, il est possible que tu t'endormes la peur au ventre, par crainte que tout ceci ne soit qu'un rêve magnifique mais éphémère, et qu'à ton réveil, le bonheur se soit déjà envolé. « On y va. » Tu attrapes sa main pour l'entrainer avec toi et vous dérober à la présence de plus en plus rapprochée de la Résistance. Vous vous échappez de ce monde chaotique pour construire le vôtre, imparfait, mais tel que vous l'aurez imaginé.

Ou presque. Tu t'imaginais un endroit certes sommaire, mais tranquille. Une petite bulle de bonheur dans ce bordel sans fin. Un endroit que vous n'auriez pas à partager avec qui que ce soit, raison première de ton refus de retourner dans les métros de la Résistance. Alors forcément, quand tu rentres dans la maison abandonnée qui lui sert de refuge, tu ne t'attendais pas à trouver des inconnus dans le salon. « Ah. » Drôle d'écho à votre découverte de la chambre au Blue Lagoon. Mais cette fois, la déception est plus que palpable. Sur tout le trajet, tu t'étais montré impatient de découvrir sa planque, où vous auriez pu profiter l'un de l'autre sans vous soucier de l'extérieur, sans penser plus que nécessaire à la situation merdique dans laquelle vous vous trouvez. Juste une nuit rien qu'avec elle pour rattraper ces trois mois d'absence, pour parler, s'embrasser, et plus si affinités. Mais non. Tout ceci est maintenant compromis. Et alors que tu adresses un sourire un peu forcé aux regards qui se braquent sur toi, tu attires Layla pour venir murmurer discrètement à son oreille. Visiblement, il y a eu un léger malentendu. « Putain, je savais pas que t'avais des colocataires. T'as oublié de préciser ce détail. » Tant pis. Tu t'efforces de faire bonne figure, contre mauvaise fortune bon cœur comme on dit. Le genre de rengaine dont t'as horreur. « Tu me fais visiter ? » Sous-entendu, est-ce qu'il existe dans cette putain de baraque une pièce où vous pourriez avoir la paix ? Au moins pour parler, qu'elle te raconte ce qui s'est passé dans sa vie ces trois derniers mois, t'assurer qu'elle va bien, et que personne n'a osé toucher à un seul de ses cheveux. Un minimum d'intimité, même brève et temporaire, pour te rassurer sur ces jours entiers à ne penser qu'à elle, et à espérer qu'elle s'en sorte sans trop de casse.

AVENGEDINCHAINS

Ca n’était effectivement ni l’endroit, ni le moment, mais en y réfléchissant, toutes les fois où ça avait été l’endroit et le moment, quelqu’un ou quelque chose avait décidé de les en priver, donc finalement, ça n’était que justice qu’ils essayent de se rattraper où ils le pouvaient, quand ils le pouvaient. Rien n’avait été facile sur leur route, alors tant pis pour le décorum. Layla, elle, n’avait aucunement l’intention de faire la fine bouche après trois mois d’une absence insupportable, et la conscience aigüe que tout pouvait encore s’écrouler d’un instant à l’autre, à la merci des caprices des Atlantes et des Amazones et des multiples participants à cette guerre qu’ils n’avaient ni demandée, ni provoquée. Finalement, c’était comme faire un pied-de-nez à la face du monde, ces échanges amoureux qui n’avaient que trop tardé, au moment où le reste du monde était au bord de l’implosion. Un pied-de-nez nécessaire, ses lèvres dans son cou un baume réconfortant après des mois de galère en solitaire et de questions auxquelles il lui avait été impossible de répondre. Et cette confirmation qu’ils ne se quitteraient plus, qu’importe les modalités, et tant pis pour la Résistance, c’était tout ce qu’il manquait au tableau pour remettre leur pendule personnelle à l’heure. « On y va. » répéta-t-elle sur le même ton déterminé, et lorsque les rebelles trouveraient cette pièce, ils n’y trouveraient plus rien que le silence et des traces laissées dans la poussière par deux fantômes qui n’avaient enfin plus besoin de hanter les vivants, maintenant qu’ils s’étaient retrouvés. Qu’ils la mènent, leur guerre désespérée. Eux, ils avaient largement abattu leur part du travail dans une autre vie, et tant pis si ce n’était pas le moment de prendre leur retraite, le monde ne s’était jamais arrêté de tourner pour eux, alors ils avaient bien le droit de reprendre leur souffle sans que personne n’ait le droit de leur en vouloir.

Ce ‘ah’ dépité, il faillit lui arracher un rire, qui aurait sans doute été déplacé dans le délabrement avancé de cette maison et l’air résigné de ses ‘colocataires’. Layla se mordit l’intérieur de la joue pour se contenir, et se contenta de saluer les quelques visages familiers présents d’un hochement de tête avant de glisser, sur le même ton de conspirateur, à l’oreille de son partenaire : « Ils sont quand même moins nombreux que tes anciens colocs. Suis-moi. » Et, sans plus leur prêter attention, elle l’entraîna dans l’escalier vétuste qui menait à l’étage de cette grande maison dans laquelle quelques pièces avaient miraculeusement survécu. Tout avait été largement pillé, évidemment, toutes les possessions présentant un tant soit peu de valeur volatilisées depuis longtemps, mais les murs étaient encore debout, le sol aussi, et les quelques meubles qui restaient étaient à peu près utilisables, tant qu’on n’était pas trop pointilleux sur le ménage ou la maintenance. Floyd sur ses talons, Layla poussa la porte de ce qui avait un jour dû constituer une chambre, et où il ne restait désormais qu’une commode avec la moitié des tiroirs manquants, et deux matelas qui avaient vu des jours meilleurs, installés dans les coins opposés de la pièce. « Home sweet home. » soupira-t-elle en écartant les mains sans grande conviction, avant d’abandonner son fusil d’assaut, et le Colt et le couteau de Keyvan dans un coin juste à côté de sa couche – à portée de main, évidemment. D’un geste vague, elle désigna l’autre matelas. « Y a une fille qui dort là, mais des fois elle est de sortie toute la nuit. A la recherche de sa sœur. Difficile de dire quand elle rentre et quand elle ne rentre pas. » Fallait-il vraiment se fendre de plus d’explications ? Ils savaient tous les deux ce que c’était, de chercher quelqu’un désespérément dans cette poudrière.

Avec un soupir de soulagement, elle se laissa glisser sur son matelas, et adressa un sourire fatigué à Floyd une fois qu’il eut suivi son exemple. C’était encore surréel, de le voir là, à ses côtés, après l’avoir mille fois imaginé pour ne finalement trouver d’une image dépourvue de réalité. Peut-être allait-il leur falloir un peu de temps, avant que toutes les pièces du puzzle n’acceptent de se remettre en place, mais au moins, la rêverie était maintenant devenue un possible. Un luxe, après l’angoisse incessante de ces dernières semaines. « Ca fait trois mois que je quadrille toute la ville pour essayer de te retrouver. J’ai trouvé cet endroit y a quatre jours – la famille d’en bas était déjà là. » Normalement, elle ne s’éternisait pas plus de trois jours au même endroit, mais cette fois, elle avait fait une exception, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce qu’elle en avait eu assez de courir, peut-être parce qu’elle avait ressenti une forme de compassion, face à ces gens qui n’étaient pas des combattants, et dont seul le père savait visiblement utiliser d’une arme à feu, dans une zone infestée de pilleurs. Bref. Elle était restée, et elle avait bien fait. Maintenant, elle non plus n’était plus toute seule. Elle aussi, avait retrouvé celui qui comptait. « Tu vas bien, toi ? » Un peu ridicule comme question, au vu des circonstances, mais elle savait qu’il comprendrait ce qu’elle voulait dire. Elle ne l’avait pas vu boiter, il n’avait pas l’air de souffrir où que ce soit ni fiévreux. Inquisitrice et attentive, elle observa son visage, à la recherche du moindre indice, mais n’y lut que la fatigue abrutissante de trois mois en zone de guerre. « T’as pas l’air blessé. » remarqua-t-elle, soucieuse, dans une affirmation qui sonnait pourtant comme une question. Elle avait besoin de savoir – tout ce qu’elle avait loupé, tout ce qu’il avait traversé sans qu’elle ne puisse être à ses côtés. Elle avait mille fois imaginé le pire, tout en s’admonestant d’être raisonnable, de ne pas se laisser distraire par des scénarios catastrophe qui ne reposaient sur rien de tangible, mais dès qu’il s’agissait de Floyd, difficile de rester raisonnable. « Raconte-moi. » demanda Layla en frôlant ses doigts des siens. « Ces trois mois. Comment t’as survécu ? Qu’est-ce qui t’es arrivé ? » Peut-être qu’elle devrait lui laisser le temps de souffler, aussi, avant de le bombarder de questions, mais non – déformation professionnelle, s’il y avait un problème, n danger quelque part, elle tenait à le savoir avant tout. Et, égoïstement, plus elle entendait le son de sa voix, plus elle parviendrait à l’ancrer dans cette réalité et à chasser la crainte de le voir se volatiliser à nouveau.

AVENGEDINCHAINS

L'endroit est simple, mais encore largement fonctionnel. Un toit sur la tête, des couvertures pour se réchauffer, plusieurs canapés, et même une chambre avec des matelas au sol. C'est bien mieux que ton petit recoin dans les métros de la Résistance. Habitué au confort sommaire, tu n'as pas rechigné quand il t'a fallu chercher le sommeil dans des endroits froids et humides, mais te retrouver maintenant ici, dans ce qui s'apparente pour toi au grand luxe après tant de semaines de galère, est à la fois bon pour ton morale et pour ta fatigue trop longtemps accumulée. Comme une soupape sur le point d'imploser, dans laquelle se mélangeait épuisement, acharnement, et un petit peu d'espoir. Vous n'êtes pas seuls, mais vous serez bien. Elle est parvenue à se dégoter un logement correct, voir même plus que ça dans un tel contexte, et jamais tu ne cesseras de t'étonner de sa faculté d'adaptation. Layla est une survivante, dans les tous les sens possibles du terme, et malgré toute l’inquiétude qui s'est ancrée au creux de ton estomac depuis votre séparation, pas une seule seconde tu n'as douté de sa capacité à se tirer dignement de tout ce merdier. Si on t'avait demandé de miser sur la survie de quelqu'un en pareil lieu hostile, c'est sur elle que t'aurais parié, et sans aucune hésitation. Soldat, guerrière, force de la nature, elle t'a prouvé mainte et mainte fois qu'elle était capable de se gérer toute seule, et d'en plus, parfois, gérer aussi les autres. Une fois dans la chambre, votre intimité retrouvée, tu pousses toi aussi un long soupire de soulagement retenu depuis vos retrouvailles au milieu du bâtiment abandonné et entourés de toutes sortes de menaces potentielles, qu'elles viennent de pilleurs, de troupes ennemies ou même des rebelles eux-mêmes à ta recherche. Ici, enfin, vous pouvez prendre le temps de reprendre votre souffle, de vous regarder, et de vous conter vos grandes aventures respectives de ces derniers mois. C'est à peine croyable de pouvoir ressentir son odeur, mêlée aujourd'hui à la poussière, et de retrouver aussi aisément son regard, après tant de nuits à en rêver. Tu pourrais presque croire que tout finira par s'arranger.

Tu la rejoins sur le matelas, tourné vers elle et le coude pour appui, afin de pouvoir la contempler sans vergogne. « Et tu leur sers de garde du corps ? » Si tu dis ça sur le ton de la plaisanterie, tu la connais assez pour savoir ne pas être sûrement très loin de la vérité. Ici, de toute façon, rien ne se donne, tout s'échange. Et pouvoir loger dans leur planque tout en leur assurant une protection et des vivres en retour te paraît être un très bon deal, autant pour elle que pour eux. Tu espères, cependant, être autant bien accepté par la famille qu'elle l'a été, peu désireux d'imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. Ce qu'ils ont est bien trop précieux pour prendre le risque de laisser un inconnu les en priver. Que voit-elle, Layla, quand elle te regarde ainsi ? Est-ce que t'es réellement différent de celui qu'elle a laissé sur la plage de Morro Bay ? Est-ce la fatigue et la lassitude t'ont vieilli ? Est-ce que tu as des blessures que tu avais oublié ? Tout te paraît si loin, comme si vous étiez là depuis des années. Votre dispute provoquée par Ned, votre longue, profonde et difficile discussion qui a suivi ensuite, ce mystère qu'elle a voulu te dévoiler, tout ça, te semble être une toute autre vie. « Rien de bien méchant. Les aléas du champ de bataille, tu sais ce que c'est. » Vous avez déjà partagé une guerre, et celle-ci n'est pas bien différente de la précédente. Tout comme elle, tu sais t'adapter à n'importe quelle situation, et si les imprévus rythment forcément une telle existence mouvementée, t'as quand même réussi à te sortir de toutes les mailles du filet sans trop de dégâts. Marine un jour, Marine toujours. Qu'elle ne s'inquiète pas pour toi, vraiment pas.  Et après lui avoir saisi doucement le menton pour inspecter son visage, tu réalises qu'elle s'en est tirée tout aussi bien que toi. Quelques coupures par ci par là, que tu as déjà remarqué tout à l'heure, mais rien de dramatique en comparaison du sort réservé à d'autres. De quoi te rassurer sur les mois qu'elle a traversé. Si elle se porte aussi bien, sans doute est-elle parvenu à éviter les points rouges de la carte. Et surtout, elle ne s'est visiblement pas faite attraper par l'un ou l'autre des deux camps. Un soulagement non feint, et de quoi te donner l'envie de commencer ton récit sans l'assaillir avant d'un millier de questions.

Bien, par où commencer ? Tu sais que certaines parties de ton histoire pourraient ne pas lui plaire, alors tu te lances, tout simplement, avec le commencement. « Lors de mon arrivée ici, je suis tombé sur un ami d'enfance, Nate Heywood. Ça fait des années que je l'avais pas vu, et y a fallu qu'on débarque dans ce trou à rats pour enfin se retrouver. J'ai passé un peu de temps avec lui, tout en ne cessant jamais de te chercher et de dessiner des cibles un peu partout. En plus tu sais quoi, ce con fait parti de la Ligue de Justice maintenant. » Et tu souris, en repensant à cet ami au chemin on ne peut plus éloigné du tien. Où qu'il soit, t'espère qu'il va bien, et qu'il a pu lui aussi retrouver ceux qu'il aime. Sa quête était identique à la tienne, et tout ce que tu lui souhaites, c'est le même heureux dénouement. « Ensuite j'ai trouvé, par pur hasard, Zoe et Susan. » Et c'est peut-être là que les choses pourraient se compliquer. Tu ne veux pas qu'elle ne se fasse de fausses idées, encore moins concernant une ex-femme pour qui tu n’éprouves plus rien. Vous avez déjà discuté de tout ça, et à l'époque, tout semblait être très clair. Mais dans un contexte comme celui-ci, tu sais que son esprit pourrait la pousser à imaginer des choses abracadabrantes et complètement erronées. Toi, en tout cas, c'est sûrement comme ça que tu réagirais, alors tu prends les devants, préférant ne rien laisser au hasard quand il s'agit d'un sujet aussi épineux. « Je les ai aidé à trouver un endroit sûr où se cacher. Et même si j'aurais aimé pouvoir rester plus longtemps auprès de Zoe, j'ai pas pu. J'avais encore quelqu'un à trouver, c'était ça ma priorité. Alors après quelques semaines de cohabitation, à leur trouver assez de vivres pour pouvoir survivre sans moi pendant un temps, j'ai rejoins la Résistance. C'était le seul moyen d'explorer le plus de terrain possible et d'avoir une chance de tomber sur toi. Je crois que j'ai fait le bon choix. » Puisqu'elle est là, juste face à toi. Une présence qui dessine un large sourire victorieux sur tes lèvres, avant que tu ne te penches pour t'emparer des siennes. Une nouvelle facette de votre relation encore trop peu explorée, et dont tu risques de très peu te priver. Par chance, ta curiosité et ton envie d'en apprendre plus prennent le dessus sur ta lascivité. Pour l'instant. « Et toi ? » Tu passes certains détails inutiles, impatient de connaître son histoire à elle, mais tu y reviendras sans problème si elle en ressent le besoin. Tout en jouant avec ses doigts, tu attends qu'elle te livre un récit que tu devines tout aussi mouvementé que le tien. Et peut-être même plus.

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« T’as des amis superhéros, toi ? » s’amusa-t-elle, aussi surprise qu’amusée par ce drôle de retournement de situation, et aussitôt elle se demanda lequel de la bande il pouvait bien être, ce fameux ami d’enfance, parce qu’elle n’aurait jamais imaginé Floyd copiner avec ces parangons de prétendue justice à deux ou trois vitesses bardés de costumes colorés. Mais surtout, elle était soulagée de savoir qu’il n’avait pas passé ses premiers jours ici tout seul, mais avec quelqu’un de confiance. Tout au long de ces trois derniers mois, elle avait passé chaque moment éveillé à se demander où il était, ce qu’il faisait, s’il était en sécurité, si quelqu’un était là pour assurer ses arrières, ou si ce monde-ci aussi avait décidé de s’acharner sur lui, et la plupart de ses cauchemars s’étaient échinés à soigneusement passer en revue chaque scénario catastrophe possible et imaginable. Et voilà qu’enfin, il était devant elle, avec elle, sain et sauf en dépit de leur séparation, et il allait falloir un peu de temps pour que la réalité ne remplace la noirceur de ses angoisses, parce que la réalité avait toujours quelque chose de moins tangibles que l’imagination lorsqu’elle était lancée à pleins tubes dans la panique. Un sourire amusé était venu ourler le coin de ses lèvres – et il disparut aussitôt que les noms de Susan et Zoe franchirent les siennes. Surprise, crainte, méfiance, appréhension, tout autant de ressentis qui flashèrent dans ses yeux trop clairs et se percutaient dans un joyeux carambolage au creux de sa poitrine. Et elle s’en voulut, aussitôt et férocement. Susan et Zoe étaient sa famille – évidemment qu’il fallait qu’il les retrouve et s’assure de leur sécurité. En vérité, ça n’était là même qu’une moitié de préoccupation. Seul l’un de ces deux noms avait de quoi lui planter une aiguille droit dans le cœur.

Incapable de prétendre que cette nouvelle ne lui nouait pas des nœuds douloureux dans l’estomac, Layla baissa les yeux, bornée dans son ressentiment autant qu’elle était à moitié honteuse de sa réaction qu’elle savait inappropriée et disproportionnée, mais c’était plus fort qu’elle. Qu’il ait retrouvé sa fille, cette nouvelle la rendait heureuse pour lui, sincèrement. Il aurait fallu être un monstre pour ne pas se réjouir pour lui, après tout ce qu’il lui avait confié, tout ce qu’elle avait appris sur sa famille, sur Zoe, sur Eddie – et un monstre, elle espérait quand même ne pas en être un, pas trop, malgré tout. Alors elle releva les yeux sur lui, buvant ses paroles, s’accrochant à la pensée de Zoe, précieuse petite fille à qui elle ne souhaitait que du bien, plutôt qu’à celle de Susan, ex-épouse qui avait désormais droit de vie ou de mort sur un ex-mari qu’elle blâmait pour la mort de leur fils. Ravalant bile et venin pour une femme qu’elle avait plainte avant de réaliser le danger qu’elle représentait, sa manière à elle de faire des efforts et ne surtout pas briser le fragile équilibre de ces retrouvailles, Layla se laissa volontiers entraîner dans un nouveau baiser salvateur, à l’image des vagues qui avaient un jour doucement effacé le sang des plages de Morro Bay. Allez, ça n’était pas le moment de raviver les vieilles jalousies et les rancoeurs que leur situation présente avait rendues caduques. Un petit effort, Layla. « On devrait chercher une planque plus près de la leur. Ta fille a besoin de son père. Et toi aussi, tu as besoin d’elle. » souffla-t-elle en effleurant ses lèvres des siennes. Elle n’avait jamais eu de famille, Layla – pas une famille à elle comme Floyd en avait eu. Et elle commençait à prendre conscience que ça, ça resterait sans doute le gouffre d’incompréhension qu’elle ne pourrait jamais combler. A défaut, elle pouvait bien s’effacer quand il le fallait, pour lui.

Et elle ? Ouhlàlà. Layla se mordit l’intérieur de la joue et soupira d’un air contrit, avant de se tourner sur le matelas pour mieux lui faire face. Par où on commençait, quand on ne savait même pas par quel bout prendre la folie de ces derniers mois ? « … j’ai retrouvé un ami d’enfance aussi. » lâcha-t-elle prudemment, en cherchant bien ses mots, mais finalement il n’y avait vraiment aucune bonne façon de raconter tout ça sans passer pour une dingue, donc elle se lança joyeusement à pieds joints. « Enfin, à l’époque, je pensais que c’était un ami imaginaire, et finalement non. C’est la première personne que j’ai croisée ici. Un leprechaun – je sais, fais pas cette tête - qu’Amy et moi on avait rencontré quand on était gamines. Je l’avais pas vu depuis sa mort, donc je m’étais convaincue qu’il n’avait jamais vraiment existé, jusqu’à ce qu’il ne surgisse dans le métro. » Un fantôme du passé, une réminiscence d’une période qu’elle pensait avoir enfin mis derrière elle en se rendant au Parlement des Vagues. Elle avait été naïve, visiblement. Même sur une autre Terre, certains fantômes ne cessaient jamais de vous hanter. Ses doigts entrelacés avec ceux de son partenaire, elle marqua une pause, avant de relever le regard sur lui. « Il m’a aidée à trouver de quoi m’équiper, on s’est expliqués au sujet de la mort d’Amy, mais on a été obligés de se séparer. » Et comment elle était censée lui annoncer ça ? Est-ce qu’il savait, seulement, qu’une ombre arborant son uniforme, mais des couleurs différentes, errait dans les rues de New Themyscira en laissant derrière lui une traînée de sang sans discriminer ses victimes ? Elle, elle se souvenait parfaitement du choc qu’elle avait pris de plein fouet, en réalisant qui était en train de lui tirer dessus. Même si ça n’était pas lui – la ressemblance avait de quoi être troublante. « On s’est fait tirer dessus. Par un type qui portait exactement le même uniforme que toi, mais en bleu. » lâcha-t-elle à voix basse, comme si les murs avaient des oreilles. « Keyvan a pu le distraire assez longtemps pour que je m’enfuie en plongeant dans la Tamise, mais je l’ai clairement vu, Floyd. Je ne sais pas qui était sous ce masque, mais c’était bien Deadshot. Ou un Deadshot. » Et ses doigts se resserrèrent doucement sur les sens, ses yeux rivés sur lui à la recherche de la moindre réaction de sa part. Parce qu’à sa place, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle pourrait bien dire, ou faire, ou penser.

AVENGEDINCHAINS

Deux mondes à concilier. Tu ne pourrais déterminer clairement ce que vous êtes, elle et toi, puisqu'il est sûrement bien trop tôt pour ça, mais dans ce qu'elle te dit, il y a un goût d'avenir. Et ça te plait. Cinq à vivre une vie de solitude et de déchéance, et voilà qu'elle débarque, ton incroyable partenaire, pour mettre un coup dans tout ce dans quoi tu t'étais enlisé. Tout un quotidien qu'il va falloir réaménager, mais où elle a parfaitement sa place, et ce depuis déjà bien longtemps. Jamais t'as été aussi heureux de remplir des cartons, plaçant à l'intérieur toutes les choses dont tu ne veux plus pour les remplacer par la fraiche nouveauté qu'elle t'apporte. Mais avec une différence notable entre elle et toi. Tes bagages sont déjà bien lourds, et certains sont attachés à toi pour toujours. Zoe, ta fille, la prunelle de tes yeux, bien que votre relation ne soit plus ce que tu aurais aimé qu'elle soit. C'est presque comme une autre vie, deux fossés que tu lieras d'un pont fiable et solide le moment venu. Parce que même si t'apprécies l'effort dont elle fait preuve, en ravalant en plus une rancoeur compréhensible envers ton ex-femme, tu refuses de l'entrainer là-dedans trop rapidement. Oui, tu a besoin de Zoe comme elle a besoin de toi, mais ce n'est pas une raison suffisante pour brusquer ce qui ne devrait pas l'être. Vous venez à peine de vous trouver, vous venez à peine de toucher du doigt un futur en commun autre que des venus ponctuelles sur sa côte californienne, alors tout le reste pourra bien attendre encore un peu. « Je veux pas t'obliger à quoi que ce soit. On attendra que tu sois prête pour envisager tout ça. En attendant, t'inquiète pas, je trouverai une autre solution pour vous voir toutes les deux. » L'endroit est mal choisi pour aborder le sujet, mais sans entrer dans une discussion profonde sur la rencontre potentielle et sûrement effrayante entre Layla et ta fille, tu voulais quand même qu'elle sache que jamais tu ne la forcerais à quoi que ce soit, et certainement pas à endosser un rôle dans lequel elle ne se sentirait pas à l'aise. Pas tout de suite. Pas aussi abruptement. Et puis, c'est vrai, t'as aussi un peu cette envie égoïste de profiter d'elle sans personne pour venir vous interrompre.

What the fuck. Tu t'attendais à ce qu'elle te conte les aventures de son quotidien mouvementé au pays des Atlantes et des Amazones, mais retrouver un ami d'enfance, pas du tout imaginaire, et qui en plus appartient à la race des Leprechaun, non, pas vraiment. Les yeux écarquillés, t'as presque l'impression d'avoir mal compris, ou d'avoir manqué un détail important de l'histoire, mais non, elle te fait rapidement comprendre que tout ceci lui est réellement arrivé, aussi invraisemblable celui puisse paraître. Aussi bien pour toi que pour elle. Un leprechaun. Okay. C'est pas comme si vous aviez déjà un quotidien ponctué de bizarreries en tout genre, tels que des trenchers, des requins mafieux et des hommes-crocodiles, mais quand même, vous vous serez bien passés d'une nouvelle étrangeté sur votre longue liste déjà établie. « Un leprechaun t'a aidé. Très bien. Mais ce leprechaun, il est censé revenir ? Il sort d'où ? » Non parce que là, y a quand même pas mal de trucs qui t'échappent. Comment elle s'est retrouvée avec cette créature aux basques ? Pourquoi elle ? Et quelle explication avait-il à fournir sur sa disparition ? Est-ce que d'une certaine façon, ils sont tous les deux liés ? Et qu'est-ce que cela signifie réellement ? Wow, ta tête va imploser, et tu la secoues comme si tu étais en train de sortir l'eau de tes oreilles après une douche. T'as besoin de plus de détails. Vraiment. Mais un autre sujet arrive sur le tapis, qui te laisse tout aussi interdit. Dans la continuité du premier, à l'effet tout aussi radical. Un leprechaun, et maintenant un autre Deadshot. Ses doigts qui se serrent dans les tiens sont salvateurs, nécessaires, parce que tu te sens subitement perdre pied au milieu de la tempête qui se prépare. Tu avais évidemment envisagé cette éventualité, mais maintenant que tu dois concrètement y faire face, t'es plus bien certain de ce que tu es censé dire ou faire.

Au fil des semaines, t'as fini par comprendre ce qu'on attendait de vous, grand échiquier écœurant sur lequel nous n'êtes que des pions. Ici, sur cette Terre, vous existait également, mais sous une autre forme, avec une autre vie. Il peut s'agir d'un double identique, traits pour traits, ou de quelqu'un de différent. Toi, t'aimes le rouge. Et c'est stupide, parce que c'est un minuscule détail presque anodin, mais un minuscule détail qui suffit à complètement te chambouler. Ce simple changement de couleur te fait l'effet d'une bombe explosée en pleine paume. Bam. Toi le rouge, et Eddie, le bleu. « Je n'ai pas croisé sa route, mais ça a toujours été une grosse possibilité. » Un double, qui finalement, a eu le même destin que le tien. Tireur d'élite redoutable que rien n'arrête. Et soudain, il y a cette vive colère qui te serre la gorge. Cet autre toi a essayé de s'en prendre à elle, à la femme que tu aimes. Grosse erreur. Qui qu'il soit, tu lui feras payé d'avoir ne serait-ce que tenté de lui faire du mal. « Layla, je suis pas sûr que ce soit moi sous le masque... » Un doute basé sur le bleu de son costume oui, mais aussi sur ce pressentiment sous forme de sirène d'alarme. Sans l'avoir vu, tu sens que ce n'est pas toi. Mais alors qui ? Rien que l'imaginer te fait frissonner. Non, tu ne veux pas lancer des hypothèses maintenant, sous risque de partir dans une paranoïa qui vous serait peu profitable. Tu lui as fait part de ton ressenti, et c'est tout ce dont tu es capable présentement. T'as besoin de digérer l'information pour pleinement la mesurer. Elle est lourde, pesante, et tu ignores encore comment l'aborder. Tes doigts finissent par relâcher les siens, mais uniquement pour venir se poser sur son visage, gorge toujours nouée par le danger qu'elle a encouru par ta faute. En quelque sorte. « Il t'a blessé ? » Tu l'as déjà regardé en détail depuis vos retrouvailles, mais à nouveau, tu cherches des blessures qui auraient pu t'échapper les fois précédentes, inspectant chaque parcelle de sa peau minutieusement. L'idée que quelqu'un ait pu la blesser t'est insupportable. « Et toi ? Tu sais si t'as un double qui existe ici ? » Si c'est le cas, lui non plus tu ne l'as pas croisé. Mais puisque vous êtes lancés dans les news improbables, autant aller jusqu'au bout. Son périple s'arrête là, ou a t-elle encore des choses à te confier ?

AVENGEDINCHAINS

No offense Keyvan, mais elle espérait quand même qu’il ne réapparaisse pas de sitôt – du moins, pas sans y être explicitement invité. A ses questions, plus que légitimes, Layla n’avait qu’un haussement d’épaules impuissant à offrir, désolée de lui imposer plus de bizarreries encore, quand bien même elle non plus n’avait rien demandé, cette fois. Ses questions, elle se les posait aussi, et les réponses qu’elle avait étaient loin d’être aussi satisfaisantes qu’elle l’aurait voulu. « Si ça peut te rassurer, j’y comprends rien non plus. Mais il ne devrait pas revenir de sitôt. Il a l’air très occupé, pour un… leprechaun. » grimaça-t-elle au souvenir de tout ce que son ami imaginaire pas si imaginaire lui avait révélé, et qu’elle n’avait pas vraiment pris le temps de digérer. Il n’y avait pas grand-chose qu’elle avait pris le temps de digérer, depuis qu’ils avaient atterri sur cette foutue planète ; tout avait été mis en pause, au profit de la survie la plus primale et élémentaire, et de sa quête pour ce partenaire élusif, et maintenant qu’elle avait atteint son but, les aiguilles de l’horloge se remettaient en marche, et ce flot suspendu d’absurdités tentait tant bien que mal de s’emboîter dans un présent qui n’avait pas la place pour. « On aura le temps de s’en inquiéter plus tard. » Parce que malheureusement, Keyvan le leprechaun n’était que le sommet de l’iceberg. Là dehors, il y avait des menaces bien plus sombres qui les guettaient – à commencer par cet autre Deadshot dont la seule vue avait failli la faire basculer, avant qu’il ne s’impose comme danger imminent et mortel. Un danger qu’elle regrettait devoir annoncer à Floyd, en plus du reste, tout en voyant bien à son visage qu’elle venait plus de confirmer ses doutes que de lui apprendre quelque chose de vraiment nouveau.

C’était qui, sous ce foutu masque ? Une autre version de lui ? Quelqu’un d’autre qui, coïncidence, avait eu l’idée du même masque, mais d’une couleur différente ? Layla n’allait même pas faire semble de comprendre quoi que ce soit à ces histoires de réalités parallèles, mais ce qu’elle constatait, c’était l’orage soudain et déchaîné qui grondait sous la surface de ses iris, la peur pour air froid, la colère pour air chaud, cocktail familier et dévastateur – par lequel elle espérait qu’il ne se laisserait pas emporter. Elle non plus, elle ne savait pas qui était sous ce masque, alors elle ne répondit pas, suspendue à ses lèvres, attendant qu’il livre ses propres hypothèses, mais après ce qui ressemblait à un instant d’hésitation Floyd se tut, et après un autre instant d’hésitation, elle décida de ne pas insister. Ils n’étaient plus assez naïfs pour espérer que cet autre Deadshot ne reviendrait pas les hanter – mais s’il avait besoin de temps pour rassembler ses pensées, elle saurait bien se contenter de l’accompagner jusqu’à ce qu’il ne fasse prendre une décision. Les doigts de Floyd effleurèrent son visage, et elle lui adressa un demi-sourire rassurant. « Non. Il n’a pas eu le temps. Ou il est moins bon tireur que toi. » Ou elle avait vraiment joué de chance, ce qui, avec un sauveur comme Keyvan et ses pouvoirs, était sans doute assez proche de la vérité. Difficile de dire si Deadshot était réellement moins bon que Floyd, ou si la fameuse pièce qui lui avait sauvé la vie une fois, avait à nouveau joué un rôle inattendu dans sa survie. Et elle alors ? « J’en ai peur. On s’est croisées deux-trois fois. » Et c’était là que les choses commençaient à se corser. Contemplative, Layla prit un instant pour l’observer, et réfléchir à comment diable allait-elle bien pouvoir raconter la suite ; puis finalement, elle fouilla la poche intérieure de sa veste et en tira une pierre bleue, qui brillait d’une étrange lumière iridescente, avant de la lui tendre.

« Je l’ai vue la première fois quelques jours après mon arrivée. Je ne sais pas exactement ce qui lui est arrivé, mais je pense qu’elle est morte, qu’elle est devenue une créature du Blue d’ici, et que les Atlantes l’ont capturée et transformée en esclave tueur d’humains. Ou quelque chose dans ce goût-là. » L’exposé était simple, clair, concis, obstinément dénué de tout affect ; parce qu’elle ne pouvait pas se permettre, à ses yeux, de se laisser atteindre. Peut-être qu’elle avait tort de traiter ce ‘double’ avec autant de froideur, mais tant pis. « Ce que tu tiens, c’est ce avec quoi les Atlantes la gardent captive. Ils ont dû oublier de mettre un traceur dessus, sinon ils l’auraient déjà repris. Je l’ai trouvé et récupéré il y a quelques jours parce que… » Et voilà, ils touchaient à la partie la plus difficile. Layla se redressa sur le matelas pour s’asseoir en tailleur, et prit une grande inspiration. « Floyd, je crois qu’il y a eu plus de conséquences à mon voyage au Parlement des Vagues qu’on croyait. » Constat grave et solennel, et résigné. Elle-même n’avait toujours pas complètement assimilé tout ça, et encore moins les révélations de Mari, ou même de Tefé, quelques jours plus tôt. C’était absurde, complètement fou, et vertigineux. Et si une part d’elle-même redoutait la réaction de Floyd, en se demandant s’il n’allait pas atteindre ses limites en termes de ce qu’elle pouvait lui infliger de mésaventures, une autre était soulagée d’enfin pouvoir lui en parler, après ces trois mois de silence complet. Il n’aurait sans doute pas les solutions à son problème, mais qu’il écoute, qu’il sache, ça lui suffisait amplement. Surtout maintenant. « Depuis mon retour, j’ai une impression bizarre, dès que je m’approche de l’eau. Pas vraiment une attirance, juste… comme un lien invisible. Un écho dans un coin de ma tête. Et depuis qu’on est ici, j’ai l’impression que – c’est inexplicable, je trouve pas mes mots… que l’eau me demande de l’aide. Alors j’ai arrêté de réfléchir, et j’ai écouté. C’est ça qui m’a menée jusqu’à mon double, aux Atlantes, et à cette pierre. » Du bout des doigts, elle effleura la surface lisse et polie de l’objet qu’il tenait dans ses mains, sourcils froncés. « J’ai reçu de l’aide d’une autre fille de notre Terre. Elle se fait appeler Vixen, et elle… elle dit qu’elle est liée au Red. Comme la fille qui m’a accompagnée au Parlement est liée au Green, l’entité qui gouverne les plantes. Et elle affirme que moi, maintenant, je suis comme elle, mais avec le Blue. » Et cette nouvelle-là, elle ne savait toujours pas quoi en faire, ni même si elle devait y croire. Et de raconter tout ça, à voix haute, à Floyd, lui renvoyait dans la figure toute la mesure dans laquelle elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait – un état de faits dont elle s’était accommodée jusque-là, mais maintenant qu’elle avait arrêté de courir ? Layla soupira derechef, et passa ses mains sur son visage, étouffant un grognement de frustration dans ses paumes avant de laisser retomber ses bras sur ses genoux, et d’adresser à Floyd un rire sans joie. « Ca fait du bien d’en parler à quelqu’un qui n’a pas l’air de trouver ça parfaitement normal, ou d’avoir plus de réponses que moi. » Parce qu’elle était gentille, Mari, mais ces histoires de destinées et de potentiels, ça n’était pas tout à fait sa tasse de thé, à la base. Et si elle se sentait un peu plus légère, de s’être soulagée de ce poids, elle s’en voulait un peu, aussi, d’encore apporter une nouvelle variable à l’équation toute nouvelle et encore incertaine qu’ils cherchaient à écrire à deux.

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T'as ce pressentiment étrange que vous venez à peine d'effleurer tout ce qu'elle a à te dire. Tu le sens dans sa façon de se comporter, dans ses changements de position sur le lit. Elle a beaucoup à te confier, et tout ce ne sera pas aussi agréables que vos quelques baisers échangés. Mais tu t'accroches, parce que si ceci est une nécessité, c'est également un besoin pour elle de partager avec toi tout ce qu'elle a gardé enfoui pendant des mois. Vous êtes plus que des partenaires, vous êtes un soutien infaillible pour l'autre, et chaque fois que la vie vous malmène ou vous joue des tours, vous cherchez le réconfort dans des bras rassurants ou dans des mots réconfortants. Alors même si c'est pas toujours facile à entendre, et même si le nombre de questions que t'as envie de lui poser ne cesse d'augmenter, tu vas pour l'instant te contenter de l'écouter. La laisser aller jusqu'au bout, pour la libérer d'un poids dont tu ignores l'origine, mais que tu devines de plus en plus lourd à porter. Il ne s'agit pas que de vos aventures sur Terre-4, mais aussi de ce qu'elle a voulu te dire avant la téléportation. La dernière ombre sur votre magnifique tableau, et dont la simple existence a suffit à perturber ton sommeil pendant des nuits entières. Quoi que ce soit, c'est aujourd'hui qu'enfin tu vas en percer le mystère, pour le meilleur ou pour le pire. Après le Leprechaun et l'autre Deadshot, voilà maintenant le tour de son double à elle. Rapidement, tu te saisis de la pierre bleue qu'elle te tend pour mieux la regarder sous tous les angles. T'as beau essayer de chercher dans tes souvenirs, tu ne te souviens pas en avoir rencontré une semblable au cours de tes missions pour la Suicide Squad. Ce que tu tiens dans la paume de ta main est pour l'instant une énigme. Une énigme liée à Layla, donc de quoi te donner la fougueuse envie d'en apprendre plus sur elle le plus rapidement possible. Captivé par la pierre, tu relèves de temps en temps le regard vers ta partenaire, à la fois inquiet et intrigué par toutes les informations qu'elle est parvenue à collecter. « Est-ce que j'ai réellement envie de savoir comment tu l'as récupérée ? » Fin sourire aux lèvres pour tenter d'apaiser l'atmosphère tendue qui semble brutalement vous avoir enveloppés. Il y a de la gravité dans tout ce qu'elle t'énonce, et tu comprends très vite que c'est encore loin d'être terminé.

Elle se redresse, se met assise, et tu en fais de même, sentant le nouveau pallier crescendo des révélations arriver. Okay, alors maintenant quoi ? Tu t'attendais à peu près à tout, mais certainement pas à ce qu'elle t'avoue. Abasourdi et complètement désarçonné, tu ne parviens qu'à secouer ta tête en signe de confusion. Qu'est-ce qu'elle veut dire par conséquences ? L'imagination fertile, tu envisages une dizaines de possibilités aussi peu réjouissantes les unes que les autres, habitude pessimiste d'un homme qui a déjà trop perdu. Suspendu à ses lèvres en quête de réponses, après avoir complètement délaissé la pierre, tu écoutes avec une attention religieuse les changements qui sont venus perturber sa vie depuis son voyage dans les eaux. Trois mois. Trois mois qu'elle se découvre peu à peu des capacités à la fois étonnantes et effrayantes, sans que tu ne sois là pour l'aider à comprendre. Tout ça, ça fait beaucoup d'informations qui viennent brutalement fracasser les barrières de ton esprit d'humain étriqué. Bien sûr que tu mesures amplement l'existence de toutes sortes d'étrangetés dans vos vies, mais là, c'est encore différent. Le Blue, le Red, le Green, des forces élémentaires qui régissent le monde et à qui Layla est intimement liée. Une connexion assez forte pour altérer son quotidien et petit à petit le chambouler. C'est...trop ? Non, pas trop, juste complètement déroutant, et une nouvelle facette de votre existence commune qu'il va vous falloir apprivoiser. C'est comme avancer dans le noir sans savoir où vous mènera le prochain pas. Oui, ça fait peur, mais ensemble vous devriez pouvoir retrouver la lueur. « Donc, si je comprends bien, tu es maintenant intimement liée à une force naturelle qui a fait de toi son avatar ? » T'as besoin de le dire toi aussi à haute voix, pour être certain que tout ceci n'est pas totalement insensé. Enfin, ça le reste un peu, mais au moins t'es certain d'avoir compris la finalité de la chose. Layla a une sensibilité accrue à l'eau, et vous ignorez encore jusqu'à quel point. Très bien. C'est parti pour une nouvelle aventure.

Visiblement, ici ou ailleurs, Layla est étroitement connectée à cet élément. Simple constat. Tu passes une main sur ton visage, encaissant du mieux que tu peux tout ce que tu viens d'apprendre en l'espace de quelques minutes. Pourquoi t'étonnes-tu de tout ce qui a changé en trois mois, quand tu sais pertinemment que tout peut arriver en une seule seconde. « Ce n'est pas tout à fait normal, effectivement. Et oui, je suis très clairement tout aussi paumé que toi. » Là aussi, simple constat. Dressage du bilan après les révélations. Puis tu pousses un long soupire, avant de lui adresser un sourire sincère. Y a pas mort d'homme. Ce n'est qu'une simple épreuve que vous allez affronter ensemble, rien de dramatique, rien de désespéré, rien de pire que tout ce que avez déjà enduré. Vous allez d'abord régler cette histoire de mauvaise Terre, puis ensuite vous prendrez le temps d'étudier le cas Leprechaun et le problème – ou non – de cette toute fraiche connexion. Désireux de lui transmettre ton état d'âme, tu lui attrapes la main avec beaucoup d'affection, avant de t'épancher plus longuement sur ton ressenti : « Mais hé, c'est pas grave. Quoi que ce soit, on finira par y mettre les mots justes, et on arrivera à mieux comprendre les aboutissements de cette... nouveauté. On fera des recherches, ensemble. On sait jamais, je pourrais aller fouiner chez ARGUS. Et peut-être que c'est une responsabilité dont tu pourras te détacher. Ou peut-être que c'est un rôle qui te conviendra, qui sait ? Peu importe tes choix, ou ce que tout ceci va chambouler dans nos vies, je serai là. » Maintenant t'en es certain, votre histoire sera aussi belle que mouvementée. Et t'es parfaitement okay avec ça. C'est elle que tu veux, dans son intégralité, qu'elle soit activiste Sea Shepherd, contremaitre d'un navire ou avatar du Blue. « J'ai quand même une question. Tu te sens aussi liée à l'eau qui a dans les chiottes ou y a des limites ? » Tu tentes de garder ton sérieux pendant plusieurs secondes, mais en vain. Après avoir éclaté de rire, tu te jettes sur elle pour venir déposer plusieurs baisers taquins sur sa joue. Assez de gravité, vous venez de vous retrouver, et t'as aucune envie de te focaliser sur autre chose que l'avenir commun qui vous attend. « Fais plus cette tête, d'accord ? Je te promets qu'on va démêler tout ce bordel. C'est qu'une mise à jour Windows un peu relou après tout, non ? » Ou presque. C'est en tout cas sous cet angle que tu préfères l'envisager. Parce que Layla elle a cette force, te faire voir que le meilleur. Tu comprends la pression que tout ceci a pu engendrer, mais t'espères que t'en avoir parlé l'aidera à mieux envisager les possibilités qui s'offrent à elle. Et maintenant, elle sait que quoi qu'elle fasse, tu seras toujours là, auprès d'elle comme l'équipier que t'as toujours été. Main dans la main, à chaque fois.

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Son avatar ? Dit comme ça, c’était tout bête, mais à peine Floyd avait-il lâché le mot qu’elle se rendit compte qu’elle avait complètement négligé – sans doute dans une forme de déni pernicieuse – de se formuler la chose de cette façon, à elle-même. Et cette réalisation lui tomba dessus comme une brique sur la tête. Non. Noooon mais non. Avatar, c’était quand même aller trop loin – elle n’avait rien des extraordinaires pouvoirs de Tefé ou de Mari, au mieux entendait-elle des voix curieusement caverneuses et pouvait-elle voir certaines choses, ou se fondre avec l’eau, mais ; étouffant un grognement d’impuissance, Layla tenta tant bien que mal de mettre un terme au soudain flot ininterrompu de questionnements qui s’était remis à inonder sa pauvre tête. Mais la voix de Floyd la tira fort heureusement de ce nouvel instant de panique silencieux, panique redoublée à l’idée qu’il décide que c’était trop pour lui, ces histoires d’élémentaires auxquelles elle-même ne comprenait pas quand même, mais non. Comme toujours, comme à chaque fois, comme avant son voyage au Parlement des Vagues, son sourire confiance balaya toutes ses inquiétudes, et le sourire qu’elle lui rendit en serrant ses doigts dans les siens, était chargé d’autant de soulagement de d’affection. « Fais attention quand même, avec ARGUS. Je ne veux pas qu’ils se mêlent des histoires du Blue, ou de n’importe quelle autre couleur. » Elle l’avait promis à Tefé, et elle se l’était promis à elle-même. Mais elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance, aveuglément – et plus encore maintenant qu’il conjuguait leurs vies à la première personne du pluriel, une formule ô combien naturelle, et qui, pourtant, fit un petit peu chavirer son pauvre cœur. De bonheur, d’abord – puis une deuxième vague, cinglante, celle de la culpabilité. Parce qu’elle n’en avait pas tout à fait fini avec les aveux compliqués, et que le dernier qu’il restait surpassait, de loin, tous les autres.

La culpabilité, il la repoussa momentanément lui-même, lui arrachant un glapissement indigné et surpris suivit d’un éclat de rire en unisson avec le sien, alors qu’elle subissait l’assaut traître de ses baisers – terrible traitement, vraiment. « T’es con ! » Et bon sang, que ça faisait du bien, de rire, après ces longs mois d’attente et d’angoisse à écumer les rues d’une ville hostile et inhospitalière. Mais les rires, comme les couchers de soleil, finissaient toujours par s’éteindre, et avec leur disparition revenait la noirceur des ténèbres ; et le rire de Layla finit par mourir sur ses lèvres, lui aussi, laissant place à un sourire qui, alors qu’elle caressait le visage de Floyd du regard, se teinta peu à peu de tristesse – et surtout d’appréhension. C’était le moment. Là, maintenant, ni dans cinq minutes, ni dans cinq jours. Elle n’avait que trop repoussé l’instant fatidique, et déjà elle sentait qu’elle allait en payer le prix fort. Un étau, comme une liane, vint lui enserrer le cœur. Quel chemin ils avaient parcouru, tous les deux, de secrets en secrets, de lourds aveux en lourds aveux, et s’il avait été courageux en dévoilant progressivement toutes ses parts d’ombre, elle, malheureusement, n’avait pas fait preuve de la même honnêteté. « Ne fais pas de promesse tout de suite, s’il te plaît. » souffla-t-elle. L’horloge sonnait minuit, sonnait le glas et l’heure du jugement dernier. C’était son tour, maintenant, d’avouer l’inavouable, bien trop tard, bien trop lâchement, alors qu’ils étaient déjà allés beaucoup trop loin. « Avant qu’on ne se fasse téléporter ici, je t’avais dit qu’il y avait quelque chose que je ne t’avais pas encore avoué. » Combien de fois avait-elle imaginé cette discussion ? Un million, au bas mot. Et jamais, au grand jamais, n’avait-elle envisagé cette configuration. Elle avançait en terrain miné, sans la moindre visibilité. Layla ne se faisait aucune illusion. Quelque chose allait lui sauter à la figure… et ce serait entièrement de sa faute.

Elle inspira profondément, avant d’expirer longuement encore, machinalement, comme lorsqu’elle se préparait à une plongée délicate. S’arrachant à l’étreinte de Floyd – mesure de prévention, de crainte que ce ne soit lui, qui s’arrache de ses bras – elle se redressa et, après l’avoir une dernière fois contemplé pour graver cette image dans sa mémoire au cas où, décida d’entamer son récit à sa juste place : au début. « Il y a un peu moins de deux ans, pendant la période du Syndicat du Crime, j’allais parfois en mer en solo, sans le dire à Victor, pour grimper sur des plateformes pétrolières ou des baleiniers pour saboter leurs équipements. Ou leurs moteurs. Tout ce que je pouvais trouver pour les forcer à cesser leurs activités. » Des activités qu’elle n’avait jamais avoué à Victor, mais dont il se doutait peut-être. Sans doute. « Un jour ça a mal tourné. Un équipage sur un baleinier au large de l’Alaska, qui m’a prise la main dans le sac. Ces gens-là opèrent dans l’illégalité totale – ils ne voulaient pas laisser de témoins. » Le décor était posé. Ne manquait plus que le protagoniste. Dans sa poitrine, son cœur menaçait soit d’exploser, soit de décrocher complètement. Il allait la détester. Il allait lui en vouloir, il allait la haïr, et il aurait bien raison. Et elle aurait tout gâché – mais elle ne pouvait plus mentir, plus maintenant, surtout pas maintenant. « Mais quelqu’un a sauté sur le pont, et les a tous tués avant qu’ils ne puissent s’en prendre à moi. » Trois, deux, un… « Crois-le ou non, Ocean Master m’a sauvé la vie, et en plus, m’a laissée repartir indemne. » Et elle s’était longtemps demandé pourquoi, et même à ce jour, elle n’était pas sûre d’avoir une réponse – elle n’était même pas sûre qu’Orm en avait une, de réponse. Mais ça n’avait plus la moindre importance, désormais. Incapable de dissimuler son anxiété croissante, elle se força à croiser les mains pour les garder à peu près tranquille. « Je n’ai plus entendu parler de lui pendant un peu plus d’un an, jusqu’à l’invasion de la Fosse, à Morro Bay, et… » Les mots se bousculaient dans sa gorge, sa voix refusait de lui obéir et elle avait déjà l’impression d’étouffer, mais il fallait bien qu’elle persiste. Malgré le regard de Floyd sur elle, qui la brûlait autant que s’il la marquait au fer rouge. « … il s’est montré à Morro Bay deux jours avant ça. Il est venu frapper à ma porte en pleine nuit, sans me menacer, pour me demander de l’héberger parce qu’il n’avait nulle part où aller… » Stop, arrête, rétropédale, fuis, lui hurlait chaque parcelle de son cerveau, mais non. Elle n’avait plus le droit. Elle n’avait plus qu’à porter le dernier coup d’estoc. Celui qui allait, vraiment, tout remettre en cause. « … et je lui ai dit oui. »

Et boum, sonne le glas de l’omerta – et peut-être, de leurs efforts désespérés écrasés par un surplus de secrets, et celui de trop.

AVENGEDINCHAINS

La sauce ne prend pas, et ce qui devait être l'ouverture vers la prochaine partie de soirée se transforme en nuage noir au-dessus de vos têtes. Le vent se lève, la pluie s'abat, et tu entends déjà les grondements du tonnerre se rapprocher. Son rire se meurt, son sourire disparaît, et tout ce que tu peux désormais lire dans son regard n'est qu'appréhension et tristesse. Quoi ? Cette histoire d'avatar du Blue n'était pas ce qu'elle avait voulu te dire sur la plage de Morro Bay ? Qu'ignores-tu encore, et pourquoi le poids du secret lui écrase autant la poitrine ? T'as peur, horriblement peur. Une force invisible qui serre ta gorge et rend ta respiration sifflante et douloureuse. Parce que tu comprends que ce qu'elle est sur le point de te dire pourrait tout remettre en question. Que ce que vous venez de trouver aujourd'hui n'existera peut-être plus demain. Et cette éventualité, elle te terrifie au point de sentir ton cœur tambouriner dans la tête, ardemment, violemment, cherchant à fuir sa cage avant que le couperet ne s'abatte. T'as tellement perdu au cours de ta vie, Layla était censé être celle qui resterait. Qui malgré ton sombre passé, tes ratures et tes imperfections, serait la femme qui accompagnerait chacun de tes jours. Alors quoi ? Qu'est-ce qui pourrait venir gâcher tout ça ? Quel visage porte cette horrible épée de Damoclès qui menace la meilleure chose qui te soit arrivée depuis très, très longtemps. « Tu me fais flipper. » Et ça s'entend dans ta voix enrouée, des mots qui ont du mal à s'extirper, mais qui ne pourraient mieux exprimer ce que tu ressens, à la fois impatient et terrorisé d'entendre les siens. Elle s'est déjà enfuie, Layla. Elle sait que tu ne juges jamais les autres pour des erreurs que tu as toi aussi commises, et elle sait tout autant que tu possèdes des limites qu'il ne faut jamais franchir. Echappée de tes bras, tu poses un regard confus sur la pièce qui vous entoure, qui devient soudainement une prison dont tu aimerais pouvoir t'échapper. Cet espace rassurant et qui n'appartenait qu'à vous s'est transformé en piège sans oxygène, où il fait brusquement si froid.

L'histoire commence, celle dont l'issue est incertaine. Un temps où tu n'étais pas encore revenu dans sa vie. Un quotidien trépidant et dangereux qui l'a amenée à faire une rencontre inattendue. Ocean Master. L'Atlante déchu, emprisonné puis échappé, l'une des cibles prioritaires de Waller, et que tu devais essayer de capturer cette nuit là, sur la plage de Morro Bay. Tu te souviens les avoir vus  dans ta lunette échanger quelques mots, mais t'étais loin d'imaginer que c'est parce qu'ils se connaissaient. Non pire, parce qu'elle l'hébergeait chez elle. Que depuis que tu partages sa vie, il partage également la sienne. Cet homme dangereux qui a essayé de détruire la planète, et que tu as eu pour ordre de traquer. Elle le savait. Elle savait que tu le cherchais. Ta tête se baisse, le regard fixé sur le matelas, abattu comme si tu venais de recevoir une balle en pleine poitrine. Et peut-être que c'est un peu le cas. T'as l'impression que c'est la même douleur. Le même souffle coupé, le même corps fébrile, la même envie de s'écrouler. De tomber à genoux. De laisser l'obscurité te gagner. Tous ces mois à faire des aller-retours entre Gotham et Morro Bay, en ignorant qu'un autre homme y vivait déjà. « Depuis tout ce temps, il vit avec toi... » A quelques mètres seulement de là où tu te trouvais. Juste sous ton nez. Et une nouvelle grenade éclate. Une nouvelle vérité : ce qu'elle a risqué pour le mettre à l'abri, c'est ta propre vie. « T'as... Tu savais que la Suicide Squad le voulait. Que Waller nous avait confié la mission de lui ramener. Et... » Et c'est quand même seulement maintenant qu'elle t'en parle. Des mois et des mois passé à côté de ta cible, sous la protection de celle à qui tu as donné cœur et confiance. Tu secoues la tête, refusant de laisser tout ce flux de pensées te noyer, puis brusquement, tu t'extirpes de cette bulle anxiogène, trouves refuge un peu plus loin dans la pièce, où tu as besoin de te couper de sa présence pour encaisser le poids des mots. L'histoire est terminée, et tu ne sais plus bien de laquelle tu parles.

Machinalement, tes doigts viennent toucher la bombe logée derrière ta tête. Comme si t'avais peur que Waller vous entende et décide de la faire sauter, en guise de représailles pour ne pas avoir vu ce qui se trouvait juste sous tes yeux. « T'as tout risqué pour lui, putain. Ta vie. La mienne. » La tienne. Si fragile, qui ne tient plus qu'à un fil. Ou plus justement, à une foutue tablette numérique qui sert de détonateur. Et pour quoi ? Parce qu'un jour il lui est venu en aide ? Parce qu'il a simplement frappé à sa porte ? « J'espère que ça en valait la peine. » T'es blessé, t'es en colère. Tu t'es tellement battu pour obtenir ce que vous avez là. Une relation que tu pensais stable, saine, toujours à cœur ouvert. Tu lui as avoué tous tes sombres secrets, ceux qui auraient pu mettre en péril ce que vous cherchiez à construire, pour que finalement, ce soit Ocean Master lui-même qui vienne tout vous arracher. C'est injuste. C'est cruel. « Quand Waller va l'apprendre... » T'arrives pas à aller jusqu'au bout de ta pensée, mais elle la comprendra d'elle-même. T'étais en sursis, et en te cachant la vérité, elle vient peut-être de provoquer ta chute. T'es qu'un pion sacrifiable sur un grand échiquier, et si elle estime que tu ne lui es de plus aucune utilité, elle se débarrassera de toi pour te remplacer par un autre. C'est ça la réalité de son mensonge. C'est ça les conséquences de son choix. « T'as préféré le protéger lui. » Haussement d'épaules résigné, voix brisée, qu'est-ce que t'es censé faire maintenant ? La femme dont t'es tombé amoureux a préféré mettre ta vie en danger plutôt que de trahir un génocidaire. C'est absurde, ça te dépasse, et tout ce qu'il reste de toi n'est qu'un amas de miettes sur le sol. Frappé par la foudre, t'arrives à peine à rester debout. Tout ce en quoi tu croyais, tout ce qui commençait à te faire remonter la pente, finalement, te ramène directement et sans ménagement au fond du trou.

Ce que t'aimerais pouvoir revivre vos instants en suspend dans la crique, quand tout était encore à écrire, et où aucune page ne portait le nom d'un autre.

Crac. Autrefois une branche, aujourd'hui un cœur.

Tu ne pensais pas que ta partenaire te lâcherait un jour. Qu'elle te laisserait tomber. Et pourtant.

AVENGEDINCHAINS

L’histoire est terminée, et c’était elle, sans le vouloir, qui y avait apposé le point final. Elle avait enfin réussi à extraire ces aveux de son silence, mais trop tard, beaucoup trop tard, oubliant ce précepte élémentaire que toute vérité est bonne à dire et que toute faute fait mal, mais que le temps et l’attente ne faisaient que charger encore plus la bombe qui allait nécessairement leur exploser à la figure un jour ou l’autre. A quoi elle pensait, hein ? Elle aussi, elle gardait la tête baissée, écrasée sous le poids de la culpabilité alors qu’elle sent les dégâts qu’elle vient de faire, la trahison dont elle vient de se rendre responsable. Elle avait merdé. De A à Z. Et après son aveu, elle resta parfaitement immobile, mortifiée, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine alors qu’elle attendait une réaction, un verdict, un retour de bâton bien justifié. C’était rare qu’elle se sente coupable de quoi que ce soit, Layla. Quand on estimait qu’on n’avait de compte à rendre à personne, et que ses actions ne regardaient que soi, et que la vie ne semblait pas décidée à la détromper, c’était facile, de se figurer qu’on dictait les règles et que les faux-pas n’avaient pas tant d’importance. Mais maintenant qu’elle voyait la peine dans l’expression de Floyd, la stupéfaction et la colère sourde explosant dans son silence, maintenant qu’elle le sentait lui échapper, elle ne souhaitait rien tant que d’avoir cette foutue DeLorean et remonter le temps, jusqu’à cette soirée à Metropolis, où la Suicide Squad s’était officiellement invitée dans sa vie, et où elle aurait dû, elle aussi, immédiatement se blanchir de ses mensonges par omission. Quelle imbécile elle avait été. Et alors qu’il énonçait, à son rythme, les vérités contenues dans ses aveux, elle hochait imperceptiblement la tête : oui, il vivait avec elle depuis tout ce temps, oui elle savait quelle était la mission de la Suicide Squad. Et maintenant, il n’y avait plus aucun moyen de faire marche arrière.

Et les reproches commencèrent à tomber, parfaitement justifiés ; ils tombaient avec parcimonie, mais bon sang ce qu’ils faisaient mal. Une claque dans la figure à chaque fois, pour la forcer à ouvrir les yeux, là où elle s’était si bien acharnée à garder les paupières closes pour ne pas voir le monstre auquel elle avait donné naissance. Un coup de poing dans l’estomac alors que la possibilité ignominieuse de Waller pressant la détente se précisait dans son esprit – par sa faute. Le vertige, la nausée alors que l’appel du vide fait brusquement chuter son cœur dans sa poitrine, le déni, aussi. « Non ! » protesta-t-elle, sa voix brisée comme la sienne. Assortis dans leur dégringolade. « J’essayais de vous protéger tous les deux… » commença-t-elle, mais les mots, trop nombreux, se congestionnaient et encombraient sa gorge, bloquaient le passage, l’étouffaient sans merci. Paralysée, Layla ne savait plus quoi faire, impuissante face au constat brûlant de son échec. You had one job, Cook. Elle avait promis de le protéger, de veiller sur lui, et finalement, c’était elle qui lui portait le coup fatal. « C’est pas une excuse, je sais, mais c’est la vérité. » C’était tout ce qu’elle avait pour sa défense – de bonnes intentions. Les meilleures intentions du monde, même, quand on y pensait. Elle avait voulu protéger tout le monde, sauf que les règles du jeu n’étaient pas écrites comme ça, et que maintenant, Floyd était en première ligne pour payer le prix d’un contrat qu’il n’avait pas signé. Et Orm serait le suivant, évidemment. « Je suis désolée… » Pathétique. Il était bien trop tard pour l’honnêteté, maintenant.

Floyd dans un coin de la pièce, elle dans l’autre, comme deux animaux sauvages – lui blessé par sa faute, son inconscience et sa cruauté, et si elle faisait le moindre pas vers lui, est-ce que ça ne ferait qu’empirer les choses ? Elle redressa le cou, laissa sa tête aller contre le mur derrière elle, et reprit sans parvenir à affirmer sa voix : « Il est parti juste après la Fosse. Pour ne pas m’attirer d’ennuis. Puis il est revenu, et tout ça devait être temporaire, et puis… le dialogue, l’habitude… » Un point fixe dans le paysage désordonné de son existence, au moment où Floyd était revenu tout chambouler – pour le meilleur, mais un chamboulement quand même. Mais quelle importance, maintenant. De tout ça, il ne resterait bientôt que des décombres irréparables. « Il était déjà devenu mon ami, quand tu m’as appris que tu étais Deadshot. J’ai rien dit sur le coup parce que j’étais sous le choc. Et parce que j’avais peur. De ce que Waller te ferait si tu lui disais… » Oh l’ironie. « … de ce qu’elle te demanderait de lui faire à lui, de ce que ça impliquerait pour nous, tout. » Et au lieu de réagir, au lieu de lui en parler, elle était retombée exactement dans le même piège qu’il y a cinq ans : elle s’était enfermée dans une cage, et avait pris la décision sans lui. Alors qu’à deux, ils auraient forcément été plus forts – mais à ce moment-là, elle n’avait plus bien su ce que ça voulait dire, à deux, elle réécrivait toutes les définitions qu’elle avait toujours prises pour acquises, et par réflexe, elle s’était réfugiée dans les mauvaises habitudes qui leur avaient déjà tout coûté cinq ans plus tôt. Toutes ces belles promesses dans son salon, au soir de leurs retrouvailles, trahies, et lui, sacrifié à l’autel de son égoïsme, parce que visiblement, elle était incapable de l’aimer correctement. Même si elle avait essayé de se convaincre du contraire, pendant quelques semaines d’optimisme aveugle. « J’ai voulu te le dire, plein de fois, mais avec tout le reste, Amy, le Parlement, je me suis tue parce que je pensais que ce serait le truc de trop… » Et finalement, le truc de trop, ça n’était même pas Orm – c’était elle, elle et son silence, elle qui faisait voler en éclat tout ce qu’elle avait le malheur d’effleurer du bout des doigts. Cette petite chance de bonheur à deux, fragile, mais ô combien précieuse, démolie par sa faute. « Je ne voulais pas encore te perdre, et j’ai tout fait de travers. J’avais pas réalisé – Waller, le danger pour toi, le… » Dans sa noyade, les mots se perdent et se mélangent, et son récit décousu, elle se perdait dedans, alors elle releva la tête vers lui, n’osant pas lui tendre la main, de peur de l’entraîner dans sa noyade. « Floyd, je suis désolée. » Et maintenant, c’était leurs têtes à tous les deux, qui étaient sur l’échafaud. Et si par miracle ils revenaient de cette autre Terre, et si par miracle Floyd n’avait pas à souffrir des conséquences de ses mauvaises décisions, elle n’était quand même pas sûre de pouvoir se pardonner ce faux-pas un jour. « Dis quelque chose, s’il te plaît. » Et ne dis rien non plus. Parce que sitôt qu’il ouvrirait la bouche, Layla savait bien quelle sentence tomberait. Elle avait été trop loin. Cette fois, elle avait vraiment été trop loin.

AVENGEDINCHAINS

Ce n'est pas un monde qui ne tourne plus à l'envers, c'est un monde qui s'écroule. Et oui, peut-être que tu exagères le drame, mais t'es comme ça. Trop déçu, trop souffert. Quand tu te donnes à quelqu'un, tu ne le fais jamais à moitié. Et Layla, tu lui as absolument tout donné. Elle est devenue la raison de te lever, l'envie d'avancer, l'espoir de recommencer. Un déni, une évidence, vous viviez votre paradoxe personnel depuis six ans déjà, et tu pensais qu'enfin tous les secrets étaient dévoilés au grand jour. Tu t'es trompé. Et celui-ci, le dernier d'une longue série que vous avez pourtant bravement affronté, est particulièrement douloureux. T'aimerais pouvoir lui dire que c'est pas grave, qu'encore une fois vous y irez par delà les difficultés, mais t'y arrives pas. Encore moins quand tu l'entends parler de sa relation avec lui. Leur amitié, cette affection à son égard qui déborde de tous ses mots, c'est pas ce dont t'avais besoin pour stopper l'hémorragie. Au contraire, ce secret vous éloigne plus que jamais. Cette fois, vous avez été trop loin, et chaque pas en arrière est aussi terrible qu'une lame aiguisée en pleine poitrine. Comment peux-tu découvrir l'existence d'une relation aussi forte aussi tard ? Tu comprends pas. T'as beau essayer de calculer chaque inconnue, chaque variable, le résultat ne te donne aucune réponse satisfaisante. T'as l'impression d'être passé à côté de tout un pan de son existence. La confiance, la communication, tout ce que tu pensais que vous aviez est entièrement remis en question. T'es pas le genre d'homme à blâmer la nature des autres, encore moins à refuser les secondes chances, tu ne feras donc pas l'erreur de juger son amitié avec un Atlante fou dangereux. Et finalement, là n'est pas réellement le problème. Non, ce qui fait mal, horriblement mal, c'est qu'elle ne t'a pas fait assez confiance. Qu'elle a préféré sacrifier un morceau de votre relation pour épargner la leur. Elle parle de nous mais a t-elle seulement idée de ce que cela signifie réellement ? Quand l'ennemi n'est plus déterminé par une bombe ou le camp opposé, elle semble soudainement perdre vos acquis de partenaire. Et une fois encore, elle ne t'a laissé aucun choix.

T'as envie de l'interrompre, mais t'as peur de crier des mots que tu pourrais vite regretter, alors tu ne dis rien. Tu encaisses, tu la laisses te parler de lui. Tu la laisses déblatérer des justifications qui ne font qu'enfoncer un clou déjà profond. Tu veux pas lui faire de mal, à Layla, et lire toute cette douleur sur son visage ne fait que crisper un peu plus le tien. Mais malgré toute la souffrance que vous vous infligez mutuellement, et l'envie d'y mettre un terme tout de suite tant elle est insupportable, tu ne peux pas tourner aussi aisément la page. Pas maintenant. L'encre est encore trop brûlante pour que tu puisses y poser les doigts. « Si tu lui disais... » Il est là le problème, cette terrible manie d'anticiper tes réactions, et prendre des décisions qui t'appartiennent à ta place. T'avais le droit de savoir. T'avais le droit de connaître l'existence de ce lien, et des conséquences que vous allez devoir maintenant subir. Par chance, vous êtes pour l'instant loin de Waller et de la Suicide Squad, mais un jour ou l'autre, ce qu'elle a essayé de planquer sous le tapis finira par sauter aux yeux de tout le monde. Et ce sera toi en première ligne. Pas lui, pas elle, toi. Parfois, les gens que l'on aime ne nous connaissent pas aussi bien qu'on l'aurait souhaité. Parce que si elle s'est imaginée une seule seconde que tu aurais dénoncé l'Atlante, ou que tu l'aurais consciemment mise en danger en dévoilant tout à Waller, elle se trompe lourdement. T'aurais cherché une autre solution. Avec elle. Pour qu'aucun n'ait à subir quoi que ce soit. Mais c'est trop tard. Les pots sont cassés, irréparables, et l'erreur est irréversible. Autant pour les dommages collatéraux que pour vous. Bon sang, elle était censée ne plus te mettre à l'écart de ses problèmes. Elle est partie une fois, sans te consulter, sans te laisser le moindre choix, et voilà que le schéma se répète. Bien sûr, elle est encore là, mais elle t'a fermé une porte que tu ne peux plus ouvrir.

Dire quelque chose, mais quoi ? T'arrives à peine à maintenir son regard, parce que c'est pas cette image d'elle que tu veux garder. Pas cette horrible tristesse à laquelle tu ne peux mettre un terme. Tu préférais ses sourires à la fête foraine, ses rires dans la crique, ses doigts qui cherchaient constamment les tiens, ou inversement, quand sans même vous en rendre compte, vous aviez ce besoin fou de maintenir un contact charnel, par, sûrement, peur de vous perdre. « Qu'est-ce que je suis censé dire, Layla ? Je viens d'apprendre qu'un autre homme partage ta vie depuis des mois. Un homme pour qui tu nous as sacrifié. » Résumé maigre et injuste du problème, mais si elle veut que tu lui parles, très bien. « Peut-être qu'il n'y pas de place pour moi. » La voix étranglée, le regard abîmé. Tout ceci n'a pas pour but de lui faire du mal, mais si elle attend de toi maintenant que tu t'ouvres un peu plus sur ton ressenti, qu'elle n'espère pas autre chose qu'une profonde déception et une terrible désillusion. « Je t'ai déjà dit que je t'aurais suivi si tu me l'avais demandé, la première fois. Et si t'avais réellement eu confiance en moi, tu m'aurais parlé de tout ça, et t'aurais su que jamais, pas une seule seconde, je n'aurais mis qui que ce soit en danger. Ni toi. Ni lui. » Etre ensemble ne signifie pas qu'être à deux. C'est aussi partager la vie déjà existante de l'autre, l'accepter, et tout faire pour s'y intégrer. Bien sûr, il y a une différence entre un Victor et un Atlante génocidaire, mais t'aurais fait cet effort pour elle, si seulement elle te l'avait demandé. T'aurais râlé, très fort probablement, mais tu l'aurais fait. Pour qu'elle n'ait rien à sacrifier pour cette relation. Pour qu'elle sache qu'en gagnant quelque chose, on n'est pas obligé d'en perdre une autre. Que tout est une question d'équilibre. Mais cette chance, elle te l'a enlevée bien trop tôt. Et puisqu'elle attend de toi que tu sois parfaitement honnête, il y a une dernière chose que tu dois lui dire. Alors tu t'approches un peu plus, diminuant l'espace insoutenable entre vous, tout en gardant malgré tout une distance nécessaire. Et cette fois, tu t'efforces d'accrocher le bleu de ses iris pour ne plus les lâcher. « Je t'aime. » Oui, comme ça, au moment le plus inopportun qui soit. A ton image, spontané, au timing souvent mauvais, mais d'une indéniable sincérité. Un premier baiser, une première déclaration, c'est beaucoup, mais c'est toi. Rien de romantique, rien d'anticipé, juste un cœur ouvert. Lacéré par un secret trop longtemps gardé, mais toujours capable d'aimer. Elle, en particulier. « Je t'aime depuis tellement longtemps. » Trop tôt ? Vous venez à peine de vous retrouver, en plus d'être en pleine querelle. Trop tard ? T'espères que non, il y a déjà bien longtemps que t'aurais dû lui dire. C'est ce que tu ressens, malgré l'erreur et l'impasse, tu l'aimes, et t'en avais marre de le garder pour toi. La tragédie, dans cette confession à la fois précoce et tardive, c'est qu'elle ne s'arrête malheureusement pas là. « Mais je suis désolé, je peux pas rester ici. Je peux pas. » C'est avec toi-même que tu dois te retrouver, en quête du recul nécessaire. Et avant de changer d'avis, luttant contre cette envie irrationnelle de la prendre dans les bras et de l'embrasser, tu ouvres la porte pour sortir de la chambre, et la refermes aussitôt derrière toi. Le front contre le bois froid, tu cherches la force nécessaire d'aller jusqu'au bout de ce que tu as besoin de faire. Pour elle. Pour toi. Pour vous. T'as le cœur dans les baskets, les larmes au bord des yeux. Chaque marche que tu descends te tord les entrailles. Et une fois dehors, loin d'elle, la sachant tout aussi désemparée que tu l'es, tu cours, vers l'obscurité, là où tu pourras t'y cacher, pour ne pas te retourner.

AVENGEDINCHAINS

Ils en avaient traversé des tempêtes, tous les deux, mais celle-là était de loin la pire de toutes, et Layla avait perdu tout sens de l’orientation. Elle avait menti à Floyd, cruellement, et elle s’était menti à elle-même, stupidement. Bien sûr qu’elle lui faisait confiance – et alors, pourquoi ne lui avoir rien dit plus tôt ? Pour le protéger de Waller, bien sûr, mais bon sang, qui était-elle, pour penser mieux savoir la démarche à suivre pour éviter les fourbes de ce monstre en costume d’être humain ? Pour penser mieux savoir que lui, qui survivait à cet enfer depuis déjà trop longtemps ? Elle lui faisait confiance, mais ses actions, elles, criaient l’exact contraire. Et les reproches de Floyd l’atteignaient en plein cœur, perforaient ce qui lui restait d’armure, parce qu’ils étaient justes, parce qu’il avait raison. Se mettre en danger et s’en tirer, elle savait faire. Prendre des risques et les assumer toute seule pour régler un problème, elle savait faire. Mais mesurer des risques qui impliquaient les autres, jouer en équipe, vraiment jouer en équipe sans le confort paradoxal de la distance ? Apparemment, tout restait encore à faire. Et elle venait possible de saboter sa dernière chance d’apprendre, parce que si ça n’était pas avec lui, avec qui ce serait d’autre ? Abattue, elle fixait un point sur son matelas, ses regrets pesant soudain des tonnes sur ses épaules. Cinq ans d’absence ne lui avaient-ils rien appris, pour qu’elle s’enferme aussitôt dans le même cycle à la première difficulté ? Pour qu’elle leur inflige à nouveau la même débâcle, mais en pire, cette fois, parce qu’elle aurait dû savoir ? Cette chambre, qui aurait dû être un refuge, prenait maintenant des airs de tribunal et d’échafaud ; et sa victime, jury et juge, s’approchait, alors qu’elle se cramponnait aux derniers restes des murs qu’elle essayait de se construire pour encaisser les coups. L’accusée releva la tête, dans l’attente de sa sentence. « Floyd… » Et clac, le couperet tombe. Son souffle se bloque dans sa poitrine, le temps se suspend dans une ultime seconde – et les restes de murs s’écroulent et ne deviennent plus que poussière inutile entre ses doigts. Je t’aime. Si Layla était un roc, elle sentit son cœur de pierre se fendre en deux. L’évidence enfin formulée, l’évidence qui les regardait droit dans les yeux depuis le début, l’évidence quand sa voix venait enfin remplacer ses absences, quand sa main cherchait la sienne, quand sa malice et son intrépidité lui arrachaient les quelques sourires qu’il lui restait, quand ensemble ils faisaient reculer les ombres de leurs cauchemars, quand leurs lèvres s’étaient trouvées avec beaucoup trop de retard. Si l’eau devait maintenant être son élément, les larmes qui lui montèrent aux yeux auraient dû être salvatrices ; mais elles ne laissaient sous ses paupières qu’un voile brûlant alors que la véritable sentence était prononcée, et que Floyd lui tournait le dos, et qu’elle fut incapable de crier pour le retenir. Foudroyée sur place, les murs de la maison s’effondraient autour d’elle, et le silence assourdissant faisait tout tanguer. Poitrine ouverte, regrets et remords coulant à flots, elle se plia en deux, pressa son front contre le matelas pour que l’hémorragie s’arrête. Elle l’avait encore perdu, et la deuxième fois était plus douloureuse encore que la première. Et cette fois, peut-être bien qu’ils resteraient à terre sans jamais s’en relever.

Le sommeil, visiblement, avait claqué la porte en même temps que Floyd. Recroquevillée sous sa maigre couverture, tournée vers le mur pour ne pas avoir affaire à quoi que ce soit d’autre, Layla offrirait sans doute le spectacle d’une paisible endormie, si l’on n’attrapait pas ses yeux encore rouges et ses doigts crispés sur les draps, serrant et desserrant machinalement une prise imaginaire. Sara avait fini par rentrer de sa patrouille, mais tout ce qu’elle avait trouvé en poussant la porte de leur chambre après avoir été informée de la visite d’un inconnu en compagnie de Layla, c’était un mur de silence plus borné que tous ceux que son étrange colocataire avait eu à leur offrir depuis son arrivée dans la maison, alors elle n’avait pas insisté plus avant. Seule la respiration régulière de Sara venait interrompre le silence épais de la nuit, mais même ça, Layla n’arrivait pas à se concentrer dessus. Dans ses oreilles ne résonnaient que les reproches de Floyd, sa stupéfaction, sa colère, sa déception, sa profession d’amour, et ça recommençait au début, dans un cycle sans fin qui durait maintenant depuis des heures. Le décor avait arrêté de tanguer, la maison était toujours debout, mais la douleur, elle, était toujours aussi vivace. Alors pour oublier, elle essayait de conjurer les bons moments, la fête foraine, la crique, le Blue Lagoon, et de temps en temps, entre deux images, elle se risquait à glisser ces trois mots fatidiques et salvateurs, malgré la brûlure qu’ils provoquaient inévitablement, malgré les larmes qui lui montaient aux yeux alors qu’elle pensait être en rupture de stock. Consolation ou masochisme, ou un peu des deux, ça n’avait pas d’importance. La gorge serrée, Layla ferma à nouveau les yeux, à la recherche de miettes d’espoir et d’optimisme dans les décombres. Il lui avait dit ces trois mots, et il était parti sans se retourner. Et déjà, il lui manquait horriblement. Peut-être était-ce le début d’un nouvel exil de cinq ans. Peut-être que cette fois, c’était vraiment terminé pour de bon. Et à nouveau, la dégringolade, la spirale infernale, les tentatives pour se raccrocher aux parois de la raison au lieu de se laisser tenter par le catastrophisme, mais c’était plus fort qu’elle. Quitte à retomber dans ses travers d’il y a six ans, autant aller jusqu’au bout de la chose, pas vrai ?

Vigilante, trop vigilante, comme d’habitude, son esprit en surchauffe laissa malgré tout filtrer quelques bruits de pas et de conversation à l’étage du dessous, qu’elle ne chercha pas à déchiffrer, fermement décidée à rester hermétique à tout ce qui pourrait lui tomber dessus ce soir. S’il s’agissait d’intrus, il y aurait bien plus de vacarme que ça. Probablement le père qui couchait ses enfants. Elle commençait déjà à dériver à nouveau, quand cette fois, les pas furtifs grimpèrent les escaliers. Si quelqu’un avait un jour dit que l’espoir donnait des ailes, c’était un fieffé menteur. Elle, elle aurait plutôt dit qu’il lui broyait le cœur, avec ses mensonges. Ne pas espérer, pour ne pas être déçue. Tellement plus facile. Lorsque ce fut au tour du plancher de craquer légèrement, bien plus près, elle retint sa respiration. Sara s’était levée ? Elle n’avait pas fait attention. Il suffirait qu’elle se retourne, peut-être, si le craquement ne venait pas du couloir. Mais la crainte de la déception était trop forte. Il n’y avait qu’une seule personne qu’elle voulait voir dans l’encadrement de cette porte – et si ça n’était pas lui, alors ce mur ne valait vraiment pas le coup qu’elle s’en détourne.

AVENGEDINCHAINS

L'absence est assourdissante. Le manque aussi corrosif que l'acide. Enveloppé dans l'obscurité de la nuit, chaque pas est une lutte contre toi-même. Prendre le temps de réfléchir, ne pas tirer de conclusions trop hâtives, et essayer de faire abstraction de cette douleur lancinante dans la poitrine. La première fois, il y a eu cet appel décisif. Et aujourd'hui, c'est à ton tour de prendre la fuite. Conséquence d'un secret trop tardivement avoué, même si tu sais déjà que tu seras incapable de tenir bien longtemps sans la retrouver. Impossible. Déjà là, la gorge horriblement serrée, tout ce que à quoi tu penses, c'est elle. T'essayes de la comprendre, Layla, de percer les mystères de sa personnalité, et qui finalement, peuvent se résumer à un simple constat : elle ne sait plus comment vivre pour autre qu'elle-même. De longues années à être la seule commanditaire de ses décisions, sans aucune autre conséquence que celles qu'elles s'infligeaient. Et voilà que tu débarques sur un quai de Morro Bay, implicitement là pour reprendre l'histoire là où vous l'aviez laissée. T'as été l'équivalent d'un boulet de canon dans sa vie, fracassant les murs de son existence sans forcément lui demander son avis, parce que ça a toujours été comme ça entre vous, évident, sans avoir besoin d'en parler. Mais maintenant que les choses ont grandement évolué, la communication se révèle fondamentale, et un moteur indéniable de votre nouvelle relation. Peut-être que c'est ça, ton erreur à toi. Bien sûr qu'elle te voulait auprès d'elle, que ta présence, autant que la sienne, était un rayon de soleil dans un ciel un peu trop terne, mais tu ne peux pas demander à une indépendante très solitaire d'envisager le couple de la même façon que toi, le divorcé qui a partagé le quotidien d'une femme pendant dix ans. Elle et toi, vous êtes semblables, mais aussi très différents. Sur ce point là, en tout cas, vous l'êtes. Elle pensait pouvoir régler ce problème seule, habitude profondément ancrée depuis toujours, et qu'est-ce que cela fait de toi, de la blâmer pour ça ? De la rendre coupable de son propre mode de vie, tout en essayant de modeler une existence en commun pour laquelle elle n'est peut-être pas encore prête ? Les mains dans les poches de ta veste, le regard fixe droit devant, c'est à toutes ces choses que tu songes, avec la brise nocturne pour seule compagnie. Tu ne veux commettre aucune erreur, et mettre un terme à ce que vous avez en serait une énorme. Tu n'en as de toute façon pas l'envie. Alors tu marches, pendant longtemps, cherchant une solution à cette querelle douloureuse, pour que vous puissiez passer outre tout ça, et que la déception ne soit plus qu'une toute petite rature dans une belle histoire à venir.

Sur le chemin de ton errance solitaire, tu entends plusieurs chuchotements dans la pénombre, là, dans les ruines d'un ancien bâtiment. Aucune chance que ce soit des Atlantes ou des Amazones, il doit probablement s'agir d'un groupe de pilleurs. Et qui dit pilleurs, dit butin. Oui, c'est plus fort que toi, foncer tête baissée droit vers le danger c'est ton truc. Mais t'en as besoin, parce que t'es déjà fatigué d'avoir mal. Fatigué d'être loin d'elle. Et finalement, aux portes d'une nouvelle idée stupide, tu te demandes pourquoi lutter contre cette envie. Tu l'aimes, tu n'envisages ta vie avec aucune autre qu'elle, alors pourquoi t'infliger cette peine ? Oui, elle a fait une erreur. Oui, elle t'a blessé dans son incapacité à penser pour deux. Mais rien de tout ça ne vaut la souffrance que vous vous faites subir. Et il te suffit de l'imaginer tout aussi anéantie que toi pour avoir la furieuse envie de courir jusqu'à la planque, la retrouver, et tout faire pour essayer de réparer les morceaux cassés. Mais avant, t'aimerais voir ce que les pilleurs ont avec eux. Alors avec un peu d'ingéniosité, tu attires leur attention avec un bruit fort et récurrent pour les obliger à sortir de leur cachette. Bingo. Furtivement, caché dans les ombres, tu rejoins leur feu de camp une fois certain de les avoir assez éloignés, pour récupérer tout ce que tu pourras, sans aucun scrupule. Un peu de nourriture dans les poches, plusieurs couvertures dans lesquelles ils dormaient, et hop, tu quittes les lieux sans te faire repérer. Quand ils reviendront de leur expédition, ils auront une bien jolie surprise, et la certitude de s'être fait complètement avoir.

Le chemin du retour se fait plus rapidement. Et plus tu approches, moins tu sens la vague de douleur tout emporter avec elle. T'ignores depuis combien de temps t'es parti, mais débarquer à l'improviste en plein milieu de la nuit dans une maison habitée et aux aguets n'est pas la meilleure des idées. C'est pourquoi tu t'annonces directement, et à haute voix, pour éviter d'effrayer la famille qui loge en bas. « N'ayez pas peur, c'est moi, l'ami de Layla. » Tu t'en veux de les avoir réveillés aussi brusquement, alors pour te faire pardonner, tu leur offres une des couvertures que t'es parvenu à voler. Pour les enfants, pour qu'ils n'aient plus à en partager une pour deux. Puis enfin, tu remontes les escaliers et pénètres dans la chambre, où tu le sais, il y a peu de chance qu'elle soit endormie. Après son rapatriement, tu n'étais pas à ses côtés durant la phase de deuil de votre relation. Elle a subi de son côté, toi du tien. De longs jours de tempête émotionnelle dévastatrice sans aucune accalmie. C'est comme ça que tu l'as ressenti, un mal être perpétuel, privé d'une moitié qui empêchait ce qu'il restait de toi de fonctionner correctement. Rouillé. Rayé. Optionnel. Et t'en es persuadé, ce soir, elle s'est sentie tout aussi incomplète. « Layla. » Tu annonces ta présence en parlant tout bas, ayant tout de suite repéré la forme sur le second matelas, la colocataire, sans doute. Dans la pièce plongée dans le noir, tu distingues mal son visage, mais déjà tu devines des traits tirés par l'épuisement et ton départ abrupte. Alors sans perdre de temps, tu retires tes chaussures, et viens aussitôt la rejoindre, déposant une couverture bien plus épaisse que la sienne sur elle. « Je suis tombé sur un squat de pilleurs, je leur ai piqué quelques trucs. » Mais cette histoire n'a aucune importance. Elle a pleuré, Layla, et cette simple constatation suffit à t'arracher le cœur et à faire naitre en toi une profonde culpabilité. T'aurais aimé avoir le recul tout de suite, pouvoir réfléchir vite et ainsi lui éviter ces longues heures d'attente et d’angoisse. La savoir désemparée par ta faute, c'est pire que tout. Mais qu'elle se rassure, si tu es revenu, c'est que t'as la certitude de vouloir être exactement là où elle se trouve. Et pour toujours, si possible. Si elle le veut, elle aussi. « Pardon d'avoir été aussi long. » Allongé sur le côté pour lui faire face, tu laisses ta main venir caresser sa joue, en quête de dernières larmes que tu pourrais essuyer. « Je suis là. » Vous aurez tout le temps de parler du problème Ocean Master plus tard, pour l'heure, t'aimerais d'abord faire le point sur votre situation. Savoir ce qu'elle pense, ce qu'elle veut, et ce qu'elle attend de toi dans la relation que vous essayez de construire. Parfois, vouloir n'est pas suffisant, et c'est ce dont tu aimerais t'assurer, à grand renfort d'une bonne dose de communication. Mais pas sans l'avoir serré dans tes bras avant. Elle est là, ta priorité absolue. Lui faire comprendre qu'aucune fin à votre histoire n'est envisageable. Doucement, tu l'incites à venir contre toi, et tu serres fort. Très fort. Assez pour qu'elle puisse entendre ton cœur battre à tout rompre, après avoir  retrouvé sa place.

AVENGEDINCHAINS

Le remous de la surface n’était encore qu’un pâle reflet des myriades de tourbillons qui l’engloutissaient au cœur de la tourmente, naufragée en péril dans des ténèbres de sa propre création – mais son nom chuchoté dans la nuit désormais bien installée parvint quand même à se faufiler dans le bruit infernal qu’elle seule entendait, une bulle d’air salvatrice à laquelle elle s’accrocha précautionneusement pour remonter la pente. Prise de court et incrédule, elle sentit son cœur rater un battement et son souffle se suspendre entre deux inspirations, alors qu’elle se demandait, brièvement, si elle n’avait pas rêvé. Ou peut-être que ça faisait déjà cinq nouvelles années qu’elle comatait là comme une malheureuse, et qu’elle avait juste appris à faire passer le temps plus vite en se torturant toute seule. Etait-elle vraiment à ça près, maintenant ? Mais non – guidée par la lumière pâle et maladive de la nuit de New Themyscira, elle distingua une ombre se découper sur le mur, perçut la présence familière dans son dos, et tout ça formait un tout qui s’imposa comme réalité qu’elle n’avait pas pu s’empêcher d’imaginer au cours des dernières heures : il était revenu. Contre toute attente, il était revenu, là où personne n’aurait pu le blâmer s’il avait choisi de tourner la page et laisser derrière lui cette partenaire en carton qui n’avait pas su être à la hauteur. Elle avait fait la même erreur que la première fois – mais cette fois, lui avait fait le choix d’éviter les mêmes écueils, réussissant là où elle avait échoué, les sauvant peut-être tous les deux là où elle les avait peut-être condamnés. Le soulagement s’écrasa sur elle comme une lame de fond, et comme ça, Floyd fit voler en éclats le cycle incessant des souvenirs dans lesquels elle s’était enfermée depuis son départ. Pour laisser filtrer, à travers la noirceur de ses angoisses, un rayon de lumière libérateur.

Réalisant à peine ce qu’il était en train de se passer, elle sursauta en sentant soudain le poids d’une nouvelle couverture sur elle, et fut incapable de prononcer le moindre mot jusqu’à ce qu’il soit à son tour allongé à ses côtés, et c’était tellement inespéré que c’en était presque trop, comme si on lui jouait un mauvais tour et que d’un instant à l’autre, on allait lui faire comprendre que non, ce n’était pas vrai, et qu’il allait repartir comme il était venu. Ses yeux secs, mais encore irrités, trahissaient sa surprise, elle d’habitude si stoïque face à l’inattendu. « Un squat de… ? » Elle faillit, faillit songer à peut-être lui dire qu’il n’aurait pas dû, que c’était beaucoup trop dangereux tout seul, avant de se raisonner : niveau idées insensées et beaucoup trop dangereuses, elle avait prouvé qu’elle n’était pas en reste. Dans sa tête où tout était d’habitude si bien arrangé, soigneusement rangé dans des cases à ne surtout pas bouger, Floyd avait tout retourné, d’abord en partant, puis en revenant, et elle le fixait, incrédule, fouillant les expressions de son visage à la recherche du moindre signe de colère ou de nouvel adieu à venir, incapable de savoir à quoi s’attendre – désemparée, démunie, surtout. Mais sa main sur sa joue, fraîche encore de sa sortie dans l’hiver londonien, apaisa le brasier incendiaire, et ses excuses, et son assurance qu’il était là, vraiment là, mettaient du baume sur les plaies qu’elle n’avait même pas essayé de soigner toute seule. Et puisqu’elle en avait la permission, elle n’attendit pas un instant de plus pour trouver refuge dans ses bras, nouant les siens autour de lui pour le serrer contre elle avec autant de conviction. Les pots cassés étaient nombreux ; mais déjà, elle avait l’impression que cette étreinte salvatrice réussissait à recoller un peu les morceaux.

Il était vraiment revenu. Blottie contre lui, elle n’avait plus aucun doute, calant sa respiration sur la sienne, profitant sans vergogne de la chaleur réconfortante de sa présence inespérée. Comme une pauvre moule accrochée à sa planche de bois qui se laisse bercer par la houle, Layla laissait les secondes s’égrener, juste le temps de reprendre pied – mais sans oublier le plus important en cet instant. « T’as pas besoin de t’excuser. C’est ma faute. » chuchota-t-elle elle aussi, peu désireuse de réveiller sa colocataire ou lui faire partager leurs drames personnels. « J’aurais dû t’en parler dès Metropolis. Je suis désolée, Floyd. Je suis tellement désolée. » L’avantage de quelques heures de panique et d’angoisse, c’était qu’elle avait épuisé ses réserves. Et maintenant qu’il était revenu, ramenant avec lui espoir et réconfort, le calme s’installait après la tempête ; le brouillard se levait, et elle y voyait enfin à peu près clair dans ce chaos désordonné. « Tu as raison, j’ai pas su te donner ta place. Ni te faire confiance comme j’aurais dû, alors que je savais que je le pouvais. J’ai été égoïste. Je te demande pardon. » Tout s’emboîtait enfin, comme les pièces d’un puzzle. Du bout des doigts, elle pouvait retracer leur parcours, les occasions manquées, les étapes brûlées, cet instant où elle s’était, inconsciemment, braquée pour s’isoler dans une solitude dont la familiarité lui avait semblé, sous la pression de la situation, préférable aux risques de l’à-deux. Alors que Floyd avait fait l’inverse, progressivement, mais tellement plus vite qu’elle ; esseulé pendant trop longtemps, prêt et préparé, avide de cet ensemble qu’ils avaient déjà connu, mais qui se dessinait désormais en terrain totalement nouveau. Lui, il lui avait fait confiance, toujours entier dans ses éclats comme dans sa dévotion, sans demi-mesure et sans compromis. Et elle s’était pensée pareille – jusqu’à aujourd’hui. « Ca n’arrivera plus. C’était une horrible erreur, et je m’en veux de t’avoir fait souffrir et mis en danger. » Layla releva la tête sur son semblant d’oreiller, à la recherche du regard de Floyd. Courageux Floyd, qui volait au-devant de tous les dangers – et avait eu assez foi en elle pour tout risquer, encore, et encore, et encore, même maintenant, alors qu’il aurait eu toutes les raisons de décider que cette fois, c’en était trop. Et toujours d’une honnêteté brutale, quitte à choisir le timing le moins approprié pour dire certaines vérités – ou peut-être, finalement, le meilleur timing. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, elle cherchait dans ses yeux le courage d’aller jusqu’au bout de sa pensée. Parce qu’elle était peut-être moins courageuse, mais pas moins bornée, maintenant qu’elle avait une catastrophe à réparer. Ce soir avait prouvé, plus que n’importe quel autre, qu’elle n’avait pas le droit de le prendre pour acquis : tant pis pour sa zone de confort, au diable la pudeur, si cette nuit pouvait être sa dernière chance de suivre son exemple et admettre l’évidence, elle devait la saisir. « Je t’aime, et je refuse de faire partie de tes peines alors que malgré tout ce qu’il s’est passé, tu ne m’as jamais apporté que du bonheur. » Est-ce qu’il l’avait seulement entendue, tant elle avait parlé à voix basse ? Elle l’espérait – parce que les mots qui avaient passé ses lèvres avaient fracassé tout le reste, et leur sens enflait au point qu’elle en perdait les quelques mots qu’il lui restait, la gorge nouée, étouffée par la force de tout ce qu’il lui inspirait. « Si tu veux bien nous donner une autre chance. » parvint-elle à articuler, en guise de point final, ou plutôt, de point d’interrogation. Conjuguer au pluriel, c’était un exercice nouveau, dès qu’il s’agissait d’amour, c’était avec Floyd, et personne d’autre, qu’elle voulait apprendre, et apprendre vite. C’était dans ses bras qu’elle se figurait, à ses côtés qu’elle imaginait son avenir, elle qui avait toujours vécu au jour le jour, mais maintenant, il y avait une constante quelle que soit la route en amont de laquelle elle regarde : lui. S’il n’était pas encore trop tard.
 

AVENGEDINCHAINS

Elle se méprend, tu n'es pas revenu pour entendre encore plus d'excuses. Ce n'est pas vers le passé et l'erreur commise que tu veux te tourner, mais vers ce que vous pourriez construire à deux, et de l'accord dont tu as besoin. La laisser seule, partir, en aucun cas tu n'as voulu à ce que ce soit une punition. Ce n'est pas pour cette raison que t'as pris la fuite, en quête d'une grande bouffée d'air pour essayer de te remettre les idées en place. Non, c'est parce que tu voulais trouver une solution au problème sous jacent, celui bien caché derrière la décision qui a été la sienne. Choisir d'héberger un Atlante, puis ne pas t'en parler, est révélateur de tellement de choses que tu ne saurais pas où commencer. Tu ne lui en veux pas, à Layla, de ne pas encore réussir à envisager sa vie conjointement à la tienne. On ne met pas des années de routine réconfortante au placard aisément, et surtout, qui es-tu pour oser lui demander de le faire ? Peut-être que t'as été trop intrusif, trop présent rapidement, envahissant son espace personnel sans avoir une réelle permission. Oui, tu ne pensais pas à mal, parce que t'étais persuadé que c'était là l'évolution logique et attendue de votre relation, mais il est probable que tu te sois trompé, et que ce tu t'imaginais évident ne l'était pas tant que ça. Squatter son canapé, partager son petit-déjeuner, c'était merveilleux. C'est tout ce que t'aurais aimé avoir avec elle depuis bien longtemps. Mais c'est dans son quotidien que tu t'es écrasé. Dans sa ville. Dans sa maison. Perturbant absolument tout sur ton passage, et allant même jusqu'à frapper l'un de ses amis. Peut-être que certains jours elle aurait préféré partir en mer. Ou simplement passer du temps sur le pont de son bateau. Toutes ces choses qui rythmaient son existence et que tu as, inconsciemment, mis un peu entre parenthèses, sans que la décision ne te revienne de droit. Ce baiser tout à l'heure, pour toi, il signifiait beaucoup. Tellement, que tu en as oublié tout le reste. Tellement, que tu ne lui as pas demandé ce que pour elle, il signifiait. Elle est là ton erreur, prendre pour acquis certaines étapes d'une relation et prétendre qu'il en est exactement de même pour elle. Des questions simples, qu'il n'est pas trop tard pour poser. Pour être certain que ce que tu veux, elle le veut tout autant que toi.

Dans tes bras, tu la sens fébrile, Layla, et ça renforce ta culpabilité d'être parti aussi longtemps. Elle a réellement cru que tu ne reviendrais pas ? Que tu jetterais au feu tout ce que vous avez écrit jusque là ? Non, t'as beau être membre et leader de la Suicide Squad, t'es pas assez fou pour ça. Après cinq ans éloigné d'elle, puis trois mois à tenter désespérément de la retrouver, jamais tu n'as été aussi certain de la vouloir toute ta vie à tes côtés. C'est comme ça, c'est tout. Et maintenant, même si ses excuses répétées te serrent le cœur et te mettent face à l'état dans lequel tu l'as abandonnée, tu la laisses aller jusqu'au bout de toutes ses pensées, conscient que c'est probablement quelque chose qu'elle a besoin d'exprimer, elle aussi. « Hé, crois-moi, cette erreur ne vaut pas la peine que tu te tortures autant l'esprit. » Parce qu'elle est déjà pardonnée. Parce que tu n'as jamais eu l'intention de la quitter – enfin, dans l'optique où il y avait quoi que ce soit d'officiel entre vous. Mais ce n'est pas tout. Tu lis dans son regard qu'elle aimerait t'en dire plus. Et finalement, ce qui s'échappe de ses lèvres, après plusieurs secondes d'hésitation, mais avoué le plus naturellement du monde, fait chavirer ce qu'il te restait d'équilibre. Oh. Ouah. Bordel. C'est l'explosion d'un millier de choses dans ta tête. Elle t'a complètement pris de court, ta jolie partenaire. Tu devrais peut-être éviter dans ce contexte aussi épineux que bancale, mais t'arrives pas à le contenir, ce sourire étiré d'un bout à l'autre, la tête dans les nuages, après ce qu'elle est parvenue à te dire. Elle t'aime. Et t'espères qu'elle a pas continué à trop parler après ça, parce que tu t'es arrêté là, à ces quelques mots si importants, et si rassurants après votre nuit infernale. Est-ce que c'est ça que t'attendais ? Que t'espérais ? Possible. Tu ne lui as pas dit que tu l'aimais pour qu'elle en fasse autant, certainement pas, mais bon sang, ce que ça fait du bien. C'est comme suturer automatiquement une plaie béante, sans laisser la moindre cicatrice. T'as presque honte de sourire aussi bêtement, mais c'est beaucoup plus fort que toi. Si tu veux bien vous donner une seconde chance ? Et comment ! Tu romps l'étreinte, mais uniquement pour venir répondre à sa question avec tes lèvres, sur les siennes, dans un échange que tu espères à la hauteur de ce qu'elle a fait brûler en toi en t'avouant de la plus belle des façons ses sentiments.

Est-ce que t'as été assez clair ? C'était assez convaincant comme réponse ? Bon, de toute façon, il y a encore des choses que t'aimerais lui dire. Alors après avoir retiré ta veste et t'être mis à l'aise sur le lit, tourné vers elle pour pouvoir la regarder dans les yeux, tu entames ce que t'as ressassé pendant des heures avant de rentrer. « Maintenant que tu t'es excusée, et sache que tu es entièrement pardonnée, j'aimerais le faire moi aussi. Parce que j'ai l'impression de ne pas t'avoir laissé autant le choix que je l'aurais voulu. Je suis revenu dans ta vie assez brutalement, et j'ai conscience maintenant que c'était peut-être... trop ? » T'as vraiment besoin d'en parler, et tant pis si tu te trompes, c'est de toute façon un sujet qu'il est très important d'aborder, pour être sûr que vous êtes tous les deux sur la même longueur d'onde, et avec les mêmes attentes quant à la suite de votre relation et tout ce que cela va impliquer. Vous vous aimez, vous vous connaissez, mais ce ne sont pas des raisons suffisantes pour passer outre la certitude du consentement. « Je me dis que, peut-être, si t'as pas pu me laisser cette place, c'est parce que t'étais pas encore prête. » Parce qu'elle l'a avoué d'elle-même, elle ne t'a pas fait confiance autant qu'elle l'aurait dû, et elle n'a pas réussi à t'accorder ce que tu demandais silencieusement. Tu regrettes de le faire aussi tard, ça vous aurait probablement évité quelques querelles, mais tu sais aussi que rien ne pourrait réellement compromettre ce que vous envisagez ensemble. Que ce soit ce soir, demain, dans un mois ou dans un an, vous arriverez à trouver le parfait équilibre entre vos deux vies à part entière et celle que vous voulez en commun. « Je veux pas te forcer, ou te donner l'impression que je te presse. J'attendrais le temps qu'il faudra pour l'avoir, cette place. Elle se mérite. Et on fera les choses à ton rythme. » Elle a pas ton vécu, elle a pas ton expérience du couple, et c'est un fait que tu n'oublieras plus. Tu ne dois surtout pas confondre apprentissage et acquis. « Enfin, sauf s'embrasser, parce que ça je trouve que tu maitrises déjà plutôt bien. » Taquin, rieur, pour effacer les traces des larmes qui ont coulé, et le souvenir d'une tempête, qui, finalement, n'aura pas su vous faire sombrer. Elle t'aime, comment pourrais-tu retenir autre chose que ça.

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Layla Cook était une grande habituée des situations où tout pouvait basculer en un claquement de doigts – mais ces montagnes russes-là, elle s’en serait quand même bien passée. Son seul soulagement dans cette débâcle qui lui avait coûté toute son énergie, et qui avait bien failli lui coûter ce qui lui restait d’esprit pas trop fracassé, c’était que le rodéo semblait devoir s’achever sur une note optimiste : d’un baiser qui, dans ces circonstances, avait encore son goût de première fois, Floyd mettait un terme à l’enfer dans lequel elle s’était enfermée toute seule, le soulagement presque trop intense pour qu’elle puisse le supporter. Alors elle s’accrocha à lui, à ses lèvres, à son cœur rebooté qui repartait à mille à l’heure dans sa poitrine. Ce n’était pas comme ça qu’elle avait imaginé un jour lui avouer ce qu’elle s’était si bien caché à elle-même depuis tout ce temps, et quelque part, elle s’en voulait d’avoir si bien foiré son coup ; mais le risque avait été trop grand, l’urgence trop pressante, et même si la forme laissait considérablement à désirer, le fond, lui, y était. Tant pis. Elle se promit de se rattraper une autre fois, acceptant à contrecoeur de mettre fin à ce baiser – une vague crainte à l’âme aussi irraisonnée qu’inévitable sitôt qu’il reprit la parole, mais aussitôt apaisée, montagnes russes encore et toujours. Optimisme, Layla, optimisme. Est-ce qu’il avait raison ? Est-ce qu’ils avaient voulu trop, trop vite ? Elle fronça brièvement les sourcils, mais finalement, ravala le désaccord qui avait spontanément cherché à se frayer un chemin par ses lèvres. Que c’était difficile, d’admettre qu’il avait raison, qu’ils avaient brûlé les étapes et fait dans l’excès, quand, au fond, tout ce qu’ils avaient voulu, c’était rattraper cinq années qui leur avaient été volées. Cinq années perdues, et que, visiblement, ils ne retrouveraient jamais – pas sans s’y brûler les ailes. C’était injuste – mais c’était quoi, dans leur monde, une injustice de plus ? « Peut-être. » admit-elle à contrecoeur, trop bornée pour tout de suite admettre son tort. Mais, même si la pilule était amère à avaler, parce qu’elle signifiait que pour une fois ils n’étaient pas (encore) exactement sur la même longueur d’ondes, entendre Floyd mettre des mots sur un ressenti qu’elle n’avait même pas eu conscience de porter comme un poids invisible, lui ôta du même coup ce fardeau des épaules. Et elle de rire silencieusement, pour ne pas réveiller Sara, lui retournant cette fois sans aucune peine son sourire soulagé et malicieux, les joues légèrement empourprées par un compliment qu’elle pourrait sans peine lui retourner, avant de retrouver un peu de sérieux. « J’ai jamais eu l’impression que tu me forçais à quoi que ce soit, Floyd. » répondit-elle enfin à voix basse. « Si on a fait des erreurs ou voulu aller trop vite, j’étais complètement partante. Même si, d’accord, peut-être que je ne réalisais pas vraiment tout ce que ça impliquait. » Ca lui en coûtait de l’admettre, mais si c’était une étape nécessaire pour qu’ils repartent sur les bases qu’ils méritaient, elle voulait bien faire ce sacrifice-là. Pour que leur avenir ensemble ait une meilleure chance que ce qu’il avait eu jusque-là. Alors, prenant son temps, pour cette fois, elle leva la main jusqu’à son visage, effleurant le dessin de sa mâchoire, puis ses lèvres du bout des doigts, avant de clore l’espace entre eux pour l’embrasser une nouvelle fois. Sans peur, et sans reproche. « Tu te débrouilles pas trop mal non plus. » souffla-t-elle dans un sourire, le temps de reprendre sa respiration. L’apprentissage serait long, peut-être laborieux, mais qu’importe. Il était le seul avec qui elle avait envie d’apprendre à vivre à deux.

Il va neiger. Son fusil d’assaut accroché à l’épaule, les bras chargés de bois, Layla leva le nez vers le ciel haut et gris en remontant les rues de Whitechapel. Son sixième sens de météorologue aguerrie aux aguets, elle observa un instant les nuages pâles, humant l’air froid et vivifiant, avant de reprendre sa marche en accélérant le pas, en direction de l’immeuble dans lequel elle et Floyd avaient décidé d’élire domicile quelques jours plus tôt. A Westminster, pôle d’instabilité dans cette ville à la dérive, les choses s’étaient vite corsées dans leur maison de réfugiés, et tous avaient fini par se déloger progressivement pour trouver abri ailleurs – tous les deux avaient été les derniers à partir, après s’être assuré que le père et ses gosses s’en sortent en un seul morceau, et avaient décidé de revenir du côté de la Résistance ; d’une part parce que l’endroit serait infiniment plus sûr malgré la proximité d’autres gens, d’autre part parce que, malgré les assurances de Floyd, elle ne voulait pas être celle qui le tenait éloigné de sa fille. Tout changeait tellement vite dans cet endroit. La dernière chose dont ils avaient besoin, maintenant, c’était des regrets. Renfonçant le nez dans son écharpe de fortune, elle s’engouffra dans une ruelle, puis un immeuble, et gravit les marches rapidement avant de pousser la porte de l’appartement qui constituait leur nouveau refuge. « Il va neiger. » répéta-t-elle, à voix haute cette fois, à son compagnon, avant d’aller décharger sa cargaison de bois près d’une cheminée qui n’avait pas dû être utilisée depuis des années. « T’as trouvé des couvertures ? J’ai l’impression que les deux gars qui étaient là avec nous sont partis avec les autres ce matin. » Sales types. Au moins, ça voulait dire qu’ils avaient désormais l’endroit pour eux, et qu’ils pourraient dormir sans surveiller d’un œil leurs colocataires. Dehors, la nuit commençait à tomber, et tombait vite – l’hiver anglais lui semblait à peu près aussi impardonnable qu’en Alaska, niveau obscurité brutale et impitoyable. Ramassant une petite brassée de bois, elle en profitant pour ré-alimenter le feu que Floyd avait pris le soin d’allumer, avant d’aller le rejoindre en soupirant sur le matelas qu’ils s’étaient appropriés. « … tu sais que c’est Noël, ce soir ? » demanda-t-elle en tournant la tête vers lui. « J’avais complètement perdu le compte des jours, puis j’ai entendu quelqu’un le mentionner dans la rue. » Et quel Noël c’était. Perdus sur une planète hostile, sans savoir s’ils pourraient un jour retourner chez eux. Mais ensemble. C’était déjà ça de gagné, non ?

AVENGEDINCHAINS

« Bordel de merde. » L'entretien d'une cheminée est donc obsolète chez certains. Armé d'un balai, l'unique chose que t'as trouvé pour t'aider à la tâche, tu tentes de déboucher l'évacuation pleine de suie et de substances non identifiées. Les parois sont dégueulasses, et ton tshirt auparavant blanc est désormais recouvert de crasse à la fois noire et grise. Ton visage, quant à lui, et bien, il s'accorde plutôt bien avec ton haut. Tant pis. Au diable la propreté si ça peut vous empêcher de mourir asphyxiés en essayant de vous réchauffer près du feu. Déboucher ce truc est un métier de professionnel, mais avec les moyens du bord et un peu de persévérance, tu parviens quand même à obtenir un résultat potable. Le principal étant de ne courir aucun risque, tu estimes avoir accompli approximativement ton but. Bien, après t'être changé et nettoyé avec un peu d'eau, tu te lances dans l'allumage avec ce que t'as à disposition, pendant que Layla est partie en quête de bois pour maintenir le feu sur plusieurs jours. Un peu de papiers administratifs qui trainaient dans un tiroir, des morceaux du meuble en question, plusieurs allumettes, et hop, les premières flammes jaillissent comme par enchantement, et réchauffent déjà un peu la pièce horriblement froide de votre appartement. Evidemment, tu ne peux t'empêcher d'avoir une pensée pour Nate. Cette fois, pas besoin de cacher la fumée. Vous avez trouvé refuge dans un quartier appartenant à la Résistance, et même si vous n'êtes pas à l'abri de tout danger, vous pouvez au moins vivre un peu plus sereinement. Sur chaque bâtiment des alentours se trouvent des snipers qui surveillent les environs et donnent l'alerte en cas de mouvements suspects. Plusieurs fois déjà tu leur as proposé tes services, passant quelques heures perché là-haut, à surveiller le quartier pour toutes les âmes qui y vivent et attendent de toi minutie et attention. Un service que tu es heureux de leur rendre, pour avoir accepté de vous accueillir sans trop vous poser de questions, et te permettre d'installer également dans le même immeuble Susan et Zoe. Un bon procédé de donnant-donnant et de confiance mutuelle, la base pour vivre en communauté.

Quand la porte s'ouvre enfin, tu souris aussitôt à ta partenaire, pas peu fier d'être parvenu à allumer ce bordel, mais aussi heureux de la retrouver. « Quoi, sérieux ? » De la neige ? Curieux, tu te hâtes vers la fenêtre pour contempler de tes propres yeux les flocons qui commencent à tapisser le sol meurtri de Whitechapel. Bon sang, ce que le temps passe vite. Et ce simple constat te pousse à venir t'écraser sur le matelas posé près de la cheminée. Assez pour aujourd'hui. « Je suis allé voir quelques voisins, ceux juste en-dessous ont accepté de m'échanger deux couvertures contre un peu de vivres. » Dans ce monde, il y a de tout. Ceux qui s'entraident, ceux qui aiment marchander, et ceux qui préfèrent voler. Et t'es personne pour juger, mais quand même, qu'est-ce qu'ils peuvent vous emmerder ces enfoirés de voleurs. Layla te rejoint vite sur votre lit de fortune, et avec sa présence et la chaleur du feu de cheminée, pour la première fois depuis bien longtemps, tu te sens enfin apaisé. Plus de recherches sans fin, plus de fuites continuelles, plus personne pour venir troubler vos moments d'intimité, rien, juste elle et toi. Et Noël. Voilà une fête que t'avais oubliée. Que ce soit ici ou ailleurs, ça fait maintenant six ans que tu as appris à t'en passer. Cette période synonyme de joie et de famille pour beaucoup, est devenue pour toi une longue nuit de souffrance à noyer ton chagrin dans l'alcool. « Noël, depuis Eddie, j'ai arrêté de m'y intéresser. » Et c'est sans peine que tu lui fais cette confession, puisque vous êtes désormais passés outre tous ces sujets sensibles qui t'arrachaient auparavant le cœur. Elle sait tout, Layla, et c'est devenu tellement plus facile d'en parler. T'as perdu ton fils, Zoe a fêté tous ses Noël auprès de sa mère, alors que te restait-il à toi, si ce n'est une pesante solitude. « Mais je suis trop nul, si j'avais su j'aurais pu essayer de te trouver un cadeau. » Tu sais très bien qu'elle s'en fiche, Layla, des cadeaux, mais pour toi, ça aurait été l'occasion de doucement remettre le pied à l'étrier. De sortir du tunnel pour réapprendre à vivre comme tout le monde, et à ré-apprivoiser ce soir si important de l'année. Parce que Noël, finalement, c'est l'amour. Et l'amour, tu l'as à ses côtés.

Mais peut-être que vous pouvez marquer le coup à votre façon. Vous avez là l'occasion parfaite de passer la nuit comme bon vous semble, et ce n'était pas arrivé depuis vos retrouvailles à Westminster. Vous seriez un peu idiot de ne pas en profiter, pas vrai ? Ou bien trop sages. « T'as conscience qu'on est seuls tous les deux ? Et que c'est bien la première fois depuis qu'on est ici ? » Ce n'est pas ainsi que tu aurais envisagé passer la prochaine étape avec elle, mais finalement, quelle importance qu'il s'agisse d'une crique paradisiaque ou d'une pièce dans un autre monde ? Ce qui compte, c'est ce que tu ressens pour elle, et cette envie brûlante de concrétiser ces sentiments sur un terrain encore inexploré. Doucement, sans vouloir la brusquer ou lui donner l'impression de décider pour vous deux, tu te rapproches pour venir attraper ses lèvres. Un baiser tendre, un peu à l'image de ton appréhension à amorcer la suite de votre relation, après avoir tenu un discours contraire quelques jours auparavant. Mais ce n'est plus un secret, ce qui vous définit plus que toutes autres choses, c'est la spontanéité. Et c'est exactement ce que t'adoptes, malgré la peur que peut susciter tout nouveau pas vers l'inédit, te fiant à votre incroyable naturel, alors que tu approfondis un baiser que tu as refusé de rompre trop tôt. Débarrassé de tes doutes en parallèle du rythme de la fougue de vos lèvres qui se cherchent, et si soulagé de ne pas sentir de fantôme s'immiscer pour briser votre élan, tu viens coller ton corps plus étroitement contre le sien, basculant un peu par-dessus elle, pour avoir accès à d'autres zones à explorer. A commencer par son cou, où plusieurs baisers appuyés viennent laisser leur marque sur la douceur de sa peau. Quant à ta main, tout aussi aventurière que tu l'es toi-même, descend doucement, non sans rendre sa route lascive, jusqu'au bouton de son pantalon que tu défaits avec une impatience mesurée. Plus les secondes défilent et plus tu sens ton cœur tambouriner avec force dans ta poitrine, conscient qu'après presque six ans d'agonie et de longue attente, enfin, il va pouvoir exploser à l'unisson avec celui de celle qu'il convoite, abandonnant la guerre pour enfin s'attaquer à l'amour. Sous toutes ses formes.

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Ils étaient bien, là. Comme si Atlantes, Amazones et Résistance avaient miraculeusement décidé d’un commun accord d’une trêve de Noël, le bruit des fusillades et des conflits avaient cessé, et si le cadre était loin d’être idéal, ça n’avait à ses yeux aucune espèce d’importance. Ils avaient connu les tentes et les tempêtes du désert, qu’est-ce qu’était un décor chargé de désolation de plus ? Après avoir erré dans une Londres en ruines, de refuge de fortune en campement improvisé, en passant par le jardin d’Eden de Tefé comme unique morceau de paradis dans cet enfer, avoir Floyd à nouveau à ses côtés compensait largement tout ce qui aurait pu lui manquer d’autre. En l’écoutant, elle se remémorait ces moments dans le désert où, déjà, sa présence suffisait à créer une petite bulle de sécurité et de tranquillité dans le chaos de leur quotidien – en lui montrant une famille de fennecs à travers la lentille de son fusil, ou en l’écoutant parler d’une famille d’orques qu’elle avait croisée une fois en mer. « Je suis pas sûre qu’on aurait trouvé grand-chose ici à part des bouts de ferraille. » remarqua-t-elle avec un demi-sourire, choisissant de ne pas insister sur le sujet Eddie – lui qui commençait tout juste à trouver sa place entre eux, comme le reste de leurs fantômes et de leurs secrets enfin agencés sans menacer de détruire tous leurs efforts. Ils en parleraient encore, comme ils parleraient encore du reste ; mais au moins son nom n’était-il plus synonyme de honte et de silence. Pas entre eux, en tout cas. « Je t’ai avec moi, et t’as débouché la cheminée, c’est ça mon cadeau de Noël. » Elle le taquinait, mais elle était un peu sérieuse quand même. Pour la première fois depuis des mois, ils avaient vraiment la paix. Elle n’aurait pas pu demander mieux.

Et puis, songeait-elle sans l’exprimer à voix haute, il y aurait d’autres Noëls – du moins elle se prenait à l’espérer. Bien sûr, c’était peut-être optimiste d’espérer qu’ils reviennent un jour sur leur propre Terre, mais Layla avait du mal à ne pas essayer d’imaginer à quoi ça pourrait ressembler, un Noël normal, maintenant qu’ils étaient… qu’ils essayaient de construire quelque chose à deux, pour de bon. Même si, sur une planète qui n’était pas la leur, arrachés à tous leurs repères déjà bien fragiles, la chose s’avérait compliquée. S’installant plus confortablement sur le matelas, songeant qu’ils étaient quand même bien mieux lotis auprès du feu que dans leur planque précédente, elle leva la tête vers Floyd dès qu’il l’arracha à ses pensées – pour partager, à demi-mot, les siennes, et les idées qu’il ne disait pas encore à voix haute. Des idées qu’elle n’avait aucun mal à saisir, et qui se frayèrent sans brusquerie un chemin dans sa propre tête, tellement légère à mesure qu’il approfondissait ce baiser. Les jours passaient et ne se ressemblaient pas toujours sur cette planète, mais elle était à peu près sûre qu’elle ne se lasserait jamais de cette découverte et redécouverte constante. Dans sa poitrine, son cœur marquait la mesure de leur danse amoureuse pour accompagner chaque baiser qu’elle lui rendait avec le même enthousiasme, la même fougue de ceux à qui on avait trop longtemps dit non. Mais cette fois, il n’y avait personne pour leur interdire quoi que ce soit. Ni fantômes, ni amis trop encombrants et méfiants, ni colocataires trop présents. Juste eux, et un brasier trop longtemps étouffé qui ne cherchait qu’à se déchaîner, maintenant que la solitude et le crépitement d’un feu de cheminée se faisaient seuls témoins de deux cœurs et deux corps qui trouvaient enfin leur chemin commun l’un vers l’autre.

Oublié l’inconfort de cet appartement qui en était à peine un – c’était même complètement volontaire qu’elle se laissait embarquer par ces baisers répétés dans son cou, et par le dérapage de son rythme cardiaque de plus en plus affolé. Et elle de l’encourager, en pressant son corps au plus près du sien, refusant de ne pas elle aussi saisir l’opportunité pour reprendre une exploration commencée des mois plus tôt sous un vaseux prétexte de massage : malicieuse, elle glissa ses mains probablement encore un peu fraîches sous son t-shirt, les laissant remonter le long de son dos, puis glisser le long de ses côtes jusqu’à son torse, bien décidée, s’il le lui permettait, à se débarrasser de cet encombrant morceau de tissu et…

« Papaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa ! »

Comment devina-t-elle que cette voix fluette qui claironna joyeusement dans la cage d’escaliers était destinée à Floyd, et pas à un autre père dans leur immeuble malmené par les conflits ? Elle n’en avait aucune idée ; un traumatisme, une habitude peut-être, à force de se faire interrompre. Toujours est-il que Layla n’eut même pas le temps de réaliser, qu’elle le repoussait déjà précipitamment, et se redressait tout aussi précipitamment en basculant à moitié du matelas, tout en reboutonnant son pantalon juste à temps pour être à nouveau en position vaguement assise – et habillée – lorsque la porte de leur appartement s’ouvrit à la volée pour laisser place à une petite fille. Bien vivante, celle-là, Dieu merci. Bien vivante, avec un grand sourire accroché aux lèvres sitôt qu’elle posa les yeux sur son père, et qu’elle se précipita pour se jeter à son cou. « Joyeux Noël papa ! » s’exclama-t-elle – sans soupçonner un seul instant le coup de matraque qu’elle venait accidentellement de leur asséner. Quant à Layla, elle n’osait même plus bouger. De crainte de briser un instant un peu magique, des retrouvailles dans lesquelles elle n’avait clairement pas sa place, de crainte d’attirer l’attention et – oho. Clic, les prunelles vertes, curieuses et perplexes, se désintéressent de Floyd pour se fixer sur elle. « … bonjour. » lâcha Zoe – parce que c’était elle, évidemment, d’une manière ou d’une autre elle l’avait deviné avant même qu’elle ne passe le pas de la porte – soudainement plus réservée, plus timide. « … salut. » lui répondit Layla, pas beaucoup plus assurée. Oh God. Ca n’était absolument pas comme ça qu’elle avait pensé un jour rencontrer la fille de Floyd. Panique à bord. Et, après un bref instant d’hésitation, mais dans un superbe élan de synchronisation, elles tournèrent toutes les deux la tête vers Floyd, des points d’interrogation plein les yeux pour l’une, une vague expression de ‘help’ peinte sur les traits de l’autre. Finalement, ils l’avaient vraiment, leur Noël de tous les possibles.

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Il y a eu bien trop d'actes manqués pour que tu ne parviennes à contenir la fièvre fulgurante de vos deux corps qui se cherchent. Et si tes doigts s'empressent d'épouser ses formes, tes hanches, elles, se calent déjà au plus près des siennes, frustré par ce surplus de vêtements qui limite l'exploration, mais désireux de savourer chaque seconde de cette nouvelle découverte. T'as le cœur qui déraille, le souffle qui se saccade, et les frissons qui te parcourent la peau sous le contact de ses mains sous ton haut. Cette fois, c'est la bonne. Après des années à museler tes désirs, te surprenant souvent à contempler son visage dans des pensées inattendues avant de t'endormir, vous allez enfin pouvoir concrétiser ce qui est né dans le désert afghan. Une attirance qui s'est élevée sous le sable brûlant d'un pays en flamme, et qui trouve aujourd'hui sa finalité dans un monde apocalyptique. Parce que c'est votre label, implanter l'amour dans le plus désespéré des paysages. Vous ne vous êtes jamais souciés de quoi que ce soit d'autre que vous même, effaçant le monde autour de vous d'un coup de chiffon, pour tout réécrire selon vos envies. Qu'importe si dehors tout se déchire, ici, dans cet appartement sommaire, vous changez toutes les règles pour que le jeu vous convienne mieux. T'étouffes un premier soupire contre ses lèvres, impatient de te débarrasser de ce tshirt bien trop encombrant avant de faire suivre tout le reste, et puis... elle te repousse. Confus, tu te laisses retomber sur le matelas, ne comprenant pas ce qui, cette fois, encore, a pu mal se passer. Plus d'entraves sous une tente au parfum d'infidélité, plus de menaces d'un fantôme trop possessif, alors quoi ? Précipitamment, tu la vois se hâter à refermer le bouton de son pantalon, et c'est là, à ce moment précis, alors que même que la porte s'ouvre d'un coup, que tu comprends le sens de l'alerte. Oh bordel. A ton tour tu te remets assis, à peu près normalement sur le lit, prêt à accueillir ta fille dans des conditions plus adéquates. Toi qui était encore sous le charme de vos très courts préliminaires, il est évident qu'à l'arrivée de Zoe, le seul sentiment qu'il te reste soit la panique totale.

Deux mondes qui se rencontrent plus tôt prévu, et au moment le plus inadéquat. Mayday, mayday. T'as l'esprit en surchauffe, déjà en quête d'une solution à ce problème inopiné qui vient perturber votre premier et seul instant d'intimité depuis vos retrouvailles. Vous êtes maudits. Et cette petite a un sens douteux du timing. Mais évidemment heureux de la voir, t'enserres tes bras autour d'elle alors qu'elle s'agrippe affectueusement à ton cou, tout en t'exclamant à ton tour : « Joyeux Noël, ma puce. » Elle, c'est certain, elle n'a pas oublié la date. Un peu paniqué à l'idée que Layla puisse prendre la fuite, tu cherches désespérément à garder  l'attention de ta fille et à masquer cette confusion évidente d'avoir été stoppé en plein élan d'ébats amoureux. Pas facile. « Maman t'as laissée venir ?  » Mais ta question ne trouve aucune réponse, car ce qui l'intéresse soudainement, et en toute logique, c'est ta partenaire, que tu devines aussi mal à l'aise qu'il soit possible de l'être. Bordel. Encore en pleine construction de votre relation, voilà que tu l'obliges à mettre les pieds dans ta sphère familiale on ne peut plus bancale. Tu voulais que cette rencontre puisse avoir lieue, pour concilier deux pans de ton existence extrêmement importants, mais pas ainsi, pas comme ça. Pas sans en avoir parlé avant, et pas de façon aussi abrupte. Mais impossible de faire machine arrière, et tandis qu'elles se saluent en tâtonnant un peu, toi, tu réfléchis à comment tous vous tirer de cette situation pour la moins périlleuse. Pourquoi tout doit toujours être si compliqué.

Les deux regards se braquent sur toi, comme si tu étais devenu un phare en plein milieu de la tempête, à la fois en quête de réponse et d'aide urgente. « Jeeeee... » Tu ? Va falloir faire un peu mieux que ça si tu veux réussir à limiter les dégâts de la collision imprévue. Bon, allez, t'as totalement assumé auprès de Susan, alors tu peux le faire auprès de Zoe. Après tout, à son âge, elle est parfaitement en mesure de comprendre ces choses là. Elle sait que sa mère et toi vous ne vous remettrez jamais ensemble, et qu'un jour ou l'autre, il faudra qu'elle apprenne à accepter d'autres personnes dans sa vie. Que ce soit Layla, ou un futur compagnon de Susan. Pas de bol, c'est toi qui a la lourde tâche de t'y coller pour avoir été le premier à te recaser. « Layla, je te présente Zoe, ma fille. » Tu commences par le plus facile, car même si tu n'as jamais pris l'initiative de lui montrer une photo de tes enfants, que ce soit en Afghanistan ou de retour au pays, nul doute qu'elle l'aura déjà deviné par elle-même. Et d'ailleurs, tu lui adresses un regard plein de remerciement, car sans son sens aiguisé de la réactivité, ta fille se serait retrouvée en plein milieu d'un moment extrêmement gênant pour vous trois. T'es désolé, aussi. C'est ce que t'essayes de lui faire comprendre comme tu le peux. C'était pas prévu. T'étais pas du tout au courant que votre soirée allait prendre un tel tournant, et t'espères sincèrement qu'elle ne se sent pas prise au piège. « Et Zoe, je te présente Layla, la copine de papa. » Comment ils disent les gosses de son âge ? Copine ? Amoureuse ? Bordel, y a bien trop de choses que tu ignores sur la façon d'éduquer un enfant, et c'est devenu d'autant plus compliqué depuis que tu le fais à distance. Mais la plus grosse inconnue de cette drôle d'équation, c'est quand même la réaction qu'elle adoptera face à cette nouvelle. D'abord hésitante, ne lâchant pas des yeux ta partenaire, comme si elle cherchait à lire en elle quelque chose, un sourire finit par se dessiner aux coins de ses lèvres. « T'es jolie. » Hallujah. Profond soulagement que tu manifestes par un long soupire, avant de te lever et de redresser Zoe sur ses deux jambes en même temps. « Ma chérie, y a des gâteaux dans la cuisine, tu peux aller en chercher si tu veux. » « C'est vrai ? Maman aime pas quand je mange des sucreries quand il est trop tard. » « Mais ce soir c'est Noël, alors tout est permis. » Et tant mieux, il n'en faut pas plus pour que la fillette aille récupérer gaiement son probable second dessert sur la table de la cuisine. L'occasion parfaite pour t'assurer que tout va bien. Que Layla est pas en train de remettre tout en question après avoir été brutalement propulsée dans un rôle de belle-mère. « Je suis désolé, je voulais pas du tout que cette rencontre se passe comme ça. Tout va bien ? T'es pas trop paniquée ? Je veux dire, t'es tout aussi paniquée que moi ? » La discussion aura été brève, puisque déjà de retour, Zoe se laisse tomber sur le matelas, barre chocolatée dans la bouche, et regard rivé sur cette toute nouvelle inconnue qui semble susciter en elle beaucoup d'intérêt et de curiosité. « Tu l'as rencontré où, mon papa ? » Ah oui, forcément, tout de suite la question qui tue. C'est un truc de famille, de taper dans le mille.

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C’était quoi le stade au-dessus d’une malédiction ? Parce que là, autant le dire, il lui semblait bien que ça en devenait de l’acharnement, cet enchaînement d’événements impromptus qui venaient s’immiscer entre eux, systématiquement, quand ils auraient le plus souhaité être tranquilles. D’accord, ils n’étaient pas exactement des enfants de chœur, d’accord, ils méritaient peut-être un petit retour de karma en pleine face, mais ça faisait le douzième ou treizième retour, et elle commençait sérieusement à se demander si ça s’arrêterait un jour. Encore sonnée par l’arrivée inattendue de Zoe, elle n’arrivait pas à détacher son regard de la petite fille, puis de Floyd, puis encore de la petite fille, sans oser respirer de peur d’aggraver la situation, même si ça n’avait aucun sens. Quel nouveau désastre allait leur tomber dessus, cette fois ? Est-ce qu’elle avait une tragédie à leur annoncer ? Est-ce qu’Amy, finalement pas du tout restée dans le Clear, avait décidé de posséder une autre petite fille pour continuer de jouer les trouble-fêtes ? Mais non, pas de désastre annoncé, pas de catastrophe, pas de nouvelles crises de cris et de larmes et d’horribles secrets révélés : juste une enfant trop longtemps privée de son père, qui avait envie venir l’embrasser le soir de Noël. Thank God. Et puis, Floyd avait l’air aussi tétanisé qu’elle, alors que c’était sa propre fille, donc ça la rassurait un peu. La redescente était brutale ; mais au moins, elle ne se finirait, à priori, pas en tragédie. Floyd reprenant à peu près ses esprits, et officialisant la rencontre, elle adressa à Zoe un vague geste de la main et un demi-sourire cent pour cent crispé et gêné. Et failli laisser échapper un hoquet de surprise sitôt que les mots « copine de papa » furent lâchés. Alors ça y était. C’était officiel. Bizarre, comme elle n’y avait pas pensé avant – alors que c’était parfaitement logique, finalement. Et qu’il était étrange, ce mélange de soulagement, qui lui arracha même un petit sourire, et d’appréhension en sourdine qui faisait tambouriner son cœur dans sa poitrine, alors qu’ils attendaient, anxieusement, la réaction de Zoe. Layla n’avait pas vraiment réfléchi à qui elle aurait l’occasion de présenter Floyd sous ce nouveau jour, mais dans l’autre sens, attaquer directement par sa fille, la prunelle de ses yeux ? Si ça n’était pas la définition même d’un baptême du feu, elle voulait bien vendre son bateau.

Hallelujah indeed. Layla ne savait pas trop ce que Zoe avait voulu dire par ce ‘t’es jolie’, mais elle décida que ça devait être une forme d’approbation initiale, comme si elle avait passé une première épreuve auprès du jury, et elle laissa elle aussi échapper un long soupir de soulagement, l’attention de Zoe heureusement détournée par son père et la promesse d’un deuxième dessert bien mérité, quand on était une enfant de dix ans en pleine fin du monde. Pheeeeeeeew, cette catastrophe évitée à un cheveu près : Layla se laissa glisser sur le matelas en pressant ses deux mains sur son visage, un grognement mêlé d’un nouveau soupir de soulagement étouffé dans ses paumes, avant de relever les yeux sur Floyd, dont la tête lui indiqua aussitôt qu’il n’était pas franchement plus à l’aise qu’elle. « Pourquoi, j’ai l’air paniquée ? » demanda-t-elle, d’un air qui donnait la réponse : évidemment qu’elle était paniquée, bon sang. Toutes ces questions-là, ils avaient justement évité de se les poser, parce que c’était trop tôt, parce que c’était la fin du monde, parce qu’ils avaient voulu, pour une fois, prendre le temps de faire les choses dans l’ordre, et correctement. Et même s’ils étaient tous les deux champions de l’improvisation dans leurs catégories respectives, cette épreuve-là, c’était peut-être bien la seule qui parvenait à les prendre de court. « … je suis surtout contente qu’on n’ait pas traumatisé ta fille pour toujours. » Au moins une bonne nouvelle dans cette débâcle du ridicule, pas vrai ? Elle laissa ses bras retomber sur le matelas, et regarda à nouveau Floyd. Et faillit éclater de rire. Peut-être d’un rire nerveux, peut-être d’un rire hilare, elle n’en savait fichtre rien – mais il fallait bien admettre qu’il n’y avait probablement qu’eux, sur toutes les planètes du multivers, pour autant se casser la gueule sur de l’absurde. « Pardon, c’est nerveux. » chuchota-t-elle à son adresse, toute la cocasserie qu’elle trouvait à la situation lisible dans ses yeux bleus, avant de se redresser parce que Zoe revenait déjà de sa quête de gâteau – allons, ça n’était pas de la faute de Floyd, ni celle de Zoe, et ça n’était pas la fin du monde, comparé à ce qui les attendait là-dehors. Tout irait bien. Du moins, elle essayait très fort de s’en convaincre.

Etape numéro un : se souvenir comment on interagit avec des gosses. Parce que dire qu’elle n’avait guère d’expérience en la matière aurait été un euphémisme, mais Zoe coupa court à toutes ses réflexions en une seule question qui la laissa sans voix. La question qui tue, c’est rien de le dire. « Euh… » Pendant un instant, elles se dévisagèrent toutes les deux, puis Layla leva les yeux sur Floyd, puis les baissa à nouveau sur Zoe. Merde alors. Tu parles d’une situation délicate – alors qu’elle ne devrait pas l’être, parce que c’était vrai, qu’il ne s’était jamais rien passé en Afghanistan, mais est-ce qu’une enfant de dix ans pouvait comprendre ces nuances somme toute un peu hypocrites ? Qu’est-ce que ça pouvait comprendre, les enfants ? Les seuls qu’elle avait croisés ces… dix ou quinze dernières années, c’était les groupes scolaires que Victor amenait parfois sur le bateau à quai et dont elle se tenait prudemment à l’écart. Sa seule vraie référence, dans le fond, c’était son petit fantôme, qui n’était pas beaucoup plus âgée que Zoe, finalement. Et même si ça remontait à loin, elle se souvenait très bien qu’elle était maline, Amy. Elle comprenait, déjà à l’époque, les trucs de grands. Les yeux de Zoe, fixés sur elle, attendaient patiemment une réponse. Et Layla décida, quitte à prendre un risque, que tous les enfants de la planète méritaient bien un peu d’honnêteté de la part des adultes qui s’échinaient à se compliquer la vie avec leurs âneries. Que Zoe, surtout, méritait qu’on lui en cache le moins possible, alors Layla prit une courte inspiration, et se lança : « J’ai rencontré ton papa à l’armée. Je travaillais sur des bateaux, mais un jour, on a eu besoin de moi en Afghanistan – un pays dans le désert. J’y suis restée six mois, et je suis devenue amie avec ton papa. » Elle n’avait pas encore besoin de savoir comment et pourquoi elle avait dû repartir, et de toute façon, ça n’était pas la question qu’elle avait posée. Marquant une pause, Layla sondait l’expression de Zoe. Sentant bien qu’elle faisait les calculs dans sa tête, et reconstituait les pièces d’un puzzle un peu trop élaboré pour elle, pour le moment. « Je suis rentrée aux Etats-Unis, et on s’est perdus de vue, pendant quelques années. » « Pourquoi ? » demanda aussitôt la petite fille, suspendue à ses lèvres. Respire, Layla. « Parce que… quand je suis rentrée, c’était difficile de penser à l’armée. Et quand ça a été mieux, j’ai pas réussi à le contacter. C’était pas le bon moment. » Zoe baissa les yeux, songeuse, absorbant tout ce qu’elle lui disait comme une petite éponge. Confortée dans son élan, Layla décida qu’elle pouvait conclure son récit. « Et puis un jour, l’année dernière, c’est ton papa qui m’a retrouvée devant mon bateau. » sourit-elle en adressant un bref regard complice à son partenaire. « On a recommencé à se parler, à se voir, et petit à petit, on a décidé qu’on voulait être plus que des amis. Qu’on voulait devenir un couple. Et voilà. » Une seconde, deux secondes de battement – qui lui parurent interminables – et enfin, le visage de Zoe s’illumina d’un sourire ravi. Et Layla retint un soupir de soulagement. Elle avait compris, cette petite. C’était la version courte et simplifiée, évidemment, mais pas complètement malhonnête. Et Zoe de lancer un regard chargé de malice à son pauvre père, dont Layla se demandait s’il s’était souvenu de respirer, pendant toute cette discussion pour le moins délicate. « Papa il a une amoureuuuuuuse… » chantonna-t-elle en mordant dans sa barre chocolatée – et Layla en profita pour soupirer de soulagement, et rire sous cape de concert avec cette drôle de petite fille plus intimidante qu’un Kraken. La première étape, peut-être la plus difficile, était passée. « Je peux rester un peu ici ? » Ah, nouveau retournement de situation. « J’ai déjà dit à maman que je voulais être avec toi, et elle a dit oui. Ca fait trop longtemps. » … bon. Ils pouvaient donc dire adieu à leur soirée de jeune couple ; mais, sans dire un mot, et profitant du dos tourné de Zoe, Layla adressa à Floyd un sourire conciliant. Depuis combien de temps n’avait-il pas eu droit à une soirée avec sa fille, depuis son divorce ? Sans doute beaucoup trop longtemps. Et eux, ils auraient d’autres occasions. Peut-être qu’ils voulaient profiter entre père et fille, d’ailleurs ; alors elle commença à se lever du matelas, prête, pour la bonne cause, à leur laisser cette petite bulle qu’ils méritaient tant.

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C'est attendri que tu observes Layla conter votre histoire amoureuse à ta fille. Et la question posée, pourtant piégée, ne semble pas perturber plus que ça la démineuse expérimentée. Elle est peut-être paniquée face à cette boule de chantier venue fracasser son existence, mais elle n'en reste pas moins pleine de sang froid, comme à son habitude. Finalement, cette rencontre inattendue avec Zoe n'est-elle pas qu'une énième situation périlleuse à désamorcer ? Domaine dans lequel elle excelle, en voilà une preuve de plus ce soir. Et non, tu ne penses pas exagérer en comparant ta fille à un engin explosif. Avec les enfants, c'est quitte ou double, et leur réputation de toujours dire ce qu'ils pensent est entièrement fondée. Evidemment que tu redoutes sa réaction, scrutant le moindre de ses traits à mesure que le récit se poursuit. Tu t'attends à tout moment à ce qu'elle explose, prenant mal l'apparition de cette étrangère dans la vie de son père et de la sienne. Mais non. C'est avec attention qu'elle écoute, posant des questions pour en apprendre encore un peu plus. Et toi, les bras croisés, sourire aux lèvres, tu revis par la même occasions chaque moment de ton histoire avec Layla. Maintenant que le temps a passé, la séparation en Afghanistan te paraît beaucoup moins douloureuse. La blessure a enfin cicatrisé, depuis que vous vous êtes créés de nouveaux souvenirs à chérir. Des retrouvailles sur un ponton, une soirée particulière dans une fête foraine, et tous les sentiments se sont ravivés pour ne jamais cesser de grandir. Là où vous en êtes aujourd'hui n'est pas inespéré, c'est juste la logique même de ce qui est né il y a six ans sous une tente transformée en bulle coupée du monde. Vous vous êtes battus pour tout ça, et votre relation n'est que le fruit d'une envie sincère et profonde d'être enfin ensemble. Vraiment ensemble. Un couple, comme elle l'explique si bien à Zoe. Un mot qui t'arrache un sourire d'autant plus franc, réalisant à quel point t'es un homme chanceux d'avoir ces deux filles là dans ta vie. Le tableau est magnifique. Une œuvre peinte avec appréhension, mais dont le résultat est incontestablement la plus belle chose de ce monde en ruines.

Difficile pour une enfant de comprendre l'impact psychologique d'une guerre et les conséquences qui s'en suivent, mais de toute façon, ce n'est pas du tout ça qu'elle retient. Non, ce qui lui importe, ce n'est pas l'absence de Layla dans ta vie pendant longtemps, ni la date de votre rencontre, mais que son père ait une amoureuse. Et tu réponds d'un éclat de rire à ce constat on ne peut plus correct, et finalement, la seule chose qu'elle devrait retenir de cette histoire compliquée d'adultes. « Ouais, papa il a une amoureuse. » Regard amusé à Layla, puis sourire sincère. Elle s'en est tirée haut la main, ton amoureuse. Et même si tout ceci n'avait rien d'un test, t'es terriblement soulagé de voir le courant plutôt bien passer entre elles. Zoe ne semble avoir aucun mal à l'accepter, et... réciproquement ? T'as conscience de lui en demander beaucoup en endossant un rôle aussi important dans la vie de ta fille, mais jamais tu ne l'obligeras à faire quoi que ce soit contre sa volonté. Cette rencontre pourra être le seul échange avant un bon moment si elle le désire. Inutile de faire les choses trop rapidement en prenant le risque de la brusquer. Vous partiez avec l'intention de construire petit à petit votre histoire, alors tu comprendrais parfaitement qu'une petite fille bavarde soit un peu trop d'un coup pour elle. « Bien sûr que tu peux rester, ma chérie. » Et ça ferait même de toi le plus heureux des hommes, en plus du plus beau cadeau de Noël. Il aura fallu que t'attendes d'être envoyé dans un autre monde pour pouvoir passer du temps avec elle, à quel point c'est insensé ? Avec un peu de chance, et après vos quelques jours passés ensemble, Susan réalisera peut-être que tu n'es pas aussi incapable de t'occuper d'elle qu'elle se l'imaginait. T'as su les protéger, toutes les deux, et t'es prêt à le faire n'importe où, qu'importe la Terre où vous vous trouvez. Mais pour ça, encore faut-il que l'on t'accorde une seconde chance.

En acceptant que Zoe reste ici, tu ne sous-entendais pas sans Layla. Alors quand tu la vois commencer à se lever, sans doute désireuse de vous laisser profiter en tête à tête, t'attrapes sa main pour l'empêcher d'aller trop loin. Non, tu ne veux pas à avoir faire de choix. Pourquoi devrais-tu sacrifier l'une des deux un soir de Noël ? Pourquoi ne pourrais-tu pas, au moins une fois, avoir tout ce que tu veux ? « Hé, Zoe, t'en penses quoi si on passe cette soirée tous les trois ? » Et ton regard alterne entre les deux, puisque l'accord doit être réciproque. Peut-être que vous devez renoncer à votre premier moment de couple, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'elle n'a pas sa place auprès de vous. Au contraire, t'estimes qu'elle ne devrait être nulle part ailleurs qu'ici. « Bien sûr que Layla elle reste avec nous. » Puis cette fois, c'est directement à l'intéressée qu'elle s'adresse, après avoir terminé sa barre chocolatée : « J'ai pas envie que tu sortes dehors. Papa il dit que les Atlantes et les Amazones ils sont super méchants. On sait jamais, tu pourrais tomber sur eux. Et en plus, c'est Noël. On doit pas fêter Noël tout seul. » Tu as toujours été fier de ta fille, mais tu ne te souviens pas l'avoir été autant que ce soir. Cette petite a tellement gagné en maturité, et c'est de la gentillesse pure que tu vois émaner d'elle. Susan a fait du bon boulot. Tu la contemples grandir et devenir exactement ce que tu espérais qu'elle devienne. Moins elle tient de toi, plus t'es heureux. Serrant affectueusement les doigts de Layla dans les tiens, tu veux la rassurer un maximum, parce que finalement, la décision lui revient entièrement. Sans pression aucune. Quoi qu'elle choisisse, tu le comprendras et l'accepteras complètement. « Ça te dit ? » De rester là. Avec toi. Avec vous. D'essayer de retrouver une normalité dans votre quotidien tumultueux. De reconstruire une bulle familiale, et tant pis si parfois elle est bancale. « J'aimerais bien que tu me racontes comment c'est d'être sur un bateau, de le conduire et tout ça. Parce que ça papa il sait pas le faire. » Amusé et faussement offusqué, tu réponds du tac au tac : « Hé, je te permets pas, jeune fille. Papa il sait tout faire, tu le sais bien. » Ou presque. Et pour l'instant, il aimerait réussir à faire en sorte que celle qu'il aime se sente aussi bien auprès de lui, qu'après de l'autre femme de sa vie.

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C’était autorisé, un semblant de bonheur, pour les gens comme eux ? Elle avait longtemps pensé que non – que certaines personnes étaient trop endommagées pour espérer un jour faire autre chose que ramper sur le sol en espérant réussir à pousser un peu plus loin chaque jour. Mais depuis que Floyd était revenu dans sa vie, et en dépit de toutes les difficultés qu’ils avaient traversées, son propre optimisme la surprenait. La route était pleine de bosses et ils s’étaient même crashés plusieurs fois dans le bas-côté, mais quand elle voyait le visage radieux et détendu de Floyd, malgré les circonstances, et quand elle sentait elle-même ces papillons dans le ventre et cette légèreté dans la tête, signes d’une insouciance heureuse qu’elle n’avait pas connue depuis des années, elle avait envie d’y croire. Même au milieu des ruines, même avec le sang qui nourrissait la terre sous leurs pieds autant que la pluie ou la neige. Et Zoe, du haut de ses dix ans, était un morceau tellement important et indispensable au bonheur de Floyd, et malheureusement si peu présent – évidemment qu’elle voulait leur laisser le temps de se retrouver. Mais elle, elle n’y connaissait pas grand-chose en histoires de familles, encore moins en tragédies familiales ; jamais séparée de ses parents, jamais parent elle-même, Layla ignorait sur quel pied danser dans ce trio incongru et avait songé, sans arrière-pensée et sans amertume, qu’il valait peut-être mieux qu’elle s’éclipse. Parce qu’elle n’avait pas encore sa place dans cette famille un peu compliquée, un peu morcelée, qu’il était peut-être préférable qu’elle n’en ait pas de place, elle ne savait pas vraiment comment ça fonctionnait ces choses-là, et ça n’était pas ici qu’elle trouverait un mode d’emploi. Alors elle avait cru que se lever, et les laisser profiter de leur premier moment ensemble depuis longtemps était la meilleure marche à suivre.

Mais ni l’un ni l’autre (à sa grande surprise) n’avait l’air décidé à la laisser faire. Arrêtée dans son élan par la main de Floyd s’emparant de la sienne, elle cessa net dans son mouvement et leur adressa à tous les deux un regard sincèrement étonné – non, vraiment, s’ils voulaient passer Noël entre père et fille, ils pouvaient et… oh. Parfaitement immobile sur son matelas, Layla attendit le verdict de Zoe – non mais une certaine appréhension, et non sans être touchée par la proposition de Floyd. Si elle, elle voulait rester ? Bien entendu, qu’elle voulait passer cette soirée un peu particulière avec son amoureux, et avec cette petite fille décidément pleine de surprises, si elle voulait bien lui laisser sa chance, et Zoe étant apparemment la petite fille la plus cool du monde, elle la lui laissait, sa chance. Parce qu’elle ne voulait pas qu’elle se balade dehors toute seule avec les Atlantes et les Amazones qui rôdent, ni qu’elle passe Noël en solitaire. Et Layla n’avait jamais été des plus faciles à émouvoir, mais à cet instant-là, elle eut bien du mal à réprimer l’éclat ému qui passa dans ses yeux clairs. Si c’était ça, l’esprit de Noël, qu’on lui en donne tous les jours, s’il vous plaît. Alors, puisqu’elle était invitée – mieux, acceptée – dans cette petite bulle familiale, elle serra à son tour les doigts de Floyd dans les siens et lui rendit son sourire, avant que l’ultime argument percutant de Zoe ne lui arrache un rire franc. « Bon d’accord, puisque c’est si gentiment proposé, et si vous êtes sûrs que je ne vous embête pas, je reste. » Puis elle adressa un clin d’œil à Zoe : « Comme ça tu pourras me dire tout ce que papa ne sait pas faire d’autre. » Grand sourire de Zoe – et aussi simplement que ça, la première couche de glace est brisée. Et leur petit cocon, préservé.

Et pour peu, l’on en oublierait presque la guerre au-dehors, tant il était confortable, leur cocon. Bien au chaud auprès du feu, ces quelques heures de répit miraculeux avaient passé au rythme des récits de Layla, véritables histoires de pirates des temps modernes, sauf qu’au lieu de collectionner les coffres pleins de pièces d’or, on sauvait les baleines et les dauphins ; et une fois qu’on en avait eu marre des histoires, il avait fallu passer aux jeux, pour le plus grand plaisir d’une petite fille morte de rire en constatant que la nouvelle copine de son père était aussi nulle aux mimes qu’elle était forte pour imiter les bruits d’animaux. Et les heures avaient passé, dans la félicité la plus totale, jusqu’à ce que Zoe du haut de ses dix ans ne commence à fatiguer et à piquer du nez sur l’épaule de son père. Le calme revenu, il ne restait plus que le crépitement du feu dans la cheminée, que Layla se leva pour aller alimenter une dernière fois avant de revenir vers le matelas. « Elle a l’air d’avoir passé une bonne soirée. » chuchota-t-elle à l’adresse de Floyd, avant de l’aider à couvrir Zoe d’une couverture sans la réveiller de son sommeil réparateur. Puis, s’assurant de la présence d’un fusil pas trop loin du lit – on était jamais trop prudent – elle vint à son tour se lover contre son partenaire avec la deuxième couverture pour les recouvrir tous les trois. Sa tête sur son épaule, elle releva les yeux pour chercher son regard, un sourire apaisé suspendu aux lèvres. « Et moi aussi. T’as une petite fille extraordinaire. » Cette rencontre avait été pour le moins inattendue, mais maintenant que c’était chose faite, elle ne regrettait absolument rien. Peut-être que c’était un peu trop tôt, peut-être que c’était les pires conditions possibles et imaginables, au milieu de tout ce chaos, mais est-ce que ce n’était pas exactement leur style, de tout faire dans le désordre, et de trouver ces pépites d’or au milieu de la tempête ? Finalement, peut-être qu’à leur façon, c’était exactement le bon moment. Et elle espérait, sincèrement, que s‘ils parvenaient à revenir sur leur Terre, Floyd pourrait profiter un peu plus de sa fille, qui était devenue tellement plus concrète ces dernières heures qu’elle ne l’avait jamais été ces cinq dernières années. « C’est le meilleur Noël que j’aie passé depuis longtemps. Merci, partenaire. » ajouta-t-elle, en toute honnêteté, avant de profiter du sommeil de leur petite invitée pour venir déposer un innocent baiser dans son cou. Ils l’avaient bien mérité. « Tu penses que ça s’est bien passé, pour elle ? » demanda-t-elle – soucieuse, après tout, c’était lui qui la connaissait et pouvait déchiffrer ses réactions. Est-ce que quelque chose avait pu échapper à ses yeux inexpérimentés ? « Elle non plus elle ne devait pas s’attendre à rencontrer la nouvelle copine de son père. Mais elle n’avait pas l’air traumatisée, si ? » Qu’ils gardent tous un bon souvenir de ce réveillon complètement improvisé. Comme une bulle de bonheur dans un quotidien sanglant, et comme les débuts maladroits de leur couple anormal, mais tellement fidèle à eux-mêmes.

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Complot ! Il y a complot contre toi, pauvre victime de l'alliance insoupçonnée des deux filles. Non seulement Zoe a réellement énuméré toutes les choses que tu n'étais pas capable de faire – malgré tes protestions – mais en plus, quand est venu ton tour de proposer un jeu, c'est en choeur qu'elles l'ont refusé. Injustement, parce que quand même, le calcul mental c'est cool. Mais bon, tant pis, se sont enchainés à la queue leu-leu mimes, imitations animales et blind test, et t'as pu passer toute la soirée entouré des deux personnes les plus chères à ton cœur. Si bien que parfois, t'en oublié même de jouer ton tour, submergé par la joie de les voir ensemble. Non, encore mieux, de les voir s'entendre aussi bien. Parce que le constat est sans appel, Zoe a accepté Layla, et Layla a accepté Zoe. Il y a des évidences qui ne trompent pas, et ce que t'as vu se dessiner tout au long de votre réveillon est indéniable. La tolérance de Zoe, le courage de Layla, voilà ce qui a été la clé d'un moment aussi réussi. Instant précieux que tu chériras toute ta vie, sorti d'une terre pourtant anéantie. La renaissance sous les cendres. Le rayon de soleil dans un environnement constamment sous des nuages noirs. C'est incroyable d'être parvenu à obtenir un tel miracle dans un monde comme celui-ci. Comme quoi, parfois, même quand tout semble allait de travers, il existe toujours un espoir qui peut tout changer. Ici, à New Themyscira, t'as non seulement trouvé ton amoureuse, mais en plus la reconstruction d'une bulle familiale que tu pensais morte et enterrée depuis longtemps. Une toute nouvelle, oui, et bien évidemment que tu gardes une pensée pour Susan ce soir, qui n'a pas pu avoir une place parmi vous, mais tout ça, c'est tellement plus que tout ce que t'aurais osé imaginer un jour. Ta partenaire, ta fille, ensemble, en train de rire et s'amuser. C'est ça ton cadeau de Noël. C'est tout ce que tu rêvais d'avoir un jour sans vraiment y croire. Et pourtant. L'éclats de rires de tes deux amours est un réchauffement au cœur, bien plus efficace que le feu de cheminée dans ton dos.

Calme revenu, Zoe contre ton épaule, c'est avec déception et résistance que tu luttes toi aussi contre ton envie de dormir. T'aurais aimé que cela puisse durer encore plus longtemps. Des heures et des heures. Ou au moins, de pouvoir recommencer plus régulièrement. T'aimerais tellement, tellement, pouvoir avoir une telle chance sur votre propre Terre, et ne pas devoir attendre la prochaine apocalypse pour passer du temps avec ta fille. Ce que t'as vu ce soir est pire qu'une dose d'héroïne. T'es déjà accro, espérant du plus profond de ton âme qu'une autre soirée comme celle-ci pourra à nouveau voir le jour bientôt. Chez vous, de préférence, loin de tous les dangers. Et pour une telle occasion, tu serais prêt à mimer n'importe quoi et à chanter tous tes classiques Disney sans ronchonner. « Elle a passé une merveilleuse soirée. » Et tu dis ça sans aucun doute possible, balayant celui de Layla au passage. Zoe recouverte d'une couverture, tu passes ton bras autour des épaules de ta partenaire venue te rejoindre, l'invitant elle aussi au plus près de toi. Si voir ta fille passer une bonne soirée était important, que ce soit le cas pour elle également l'est tout autant. Et quel soulagement de l'entendre te le dire sans que tu n'aies besoin de lui demander. « Ouais, elle est géniale. Mais je suis pas sûr que le mérite me revienne. » Parce que ton rôle à jouer est bien trop mince. C'est Susan qui partage son quotidien. Susan qui a la lourde tâche de l'éduquer. Toi, tu fais simplement de ton mieux quand l'occasion se présente. Ce qui est, pour ainsi dire, très peu. « Merci à toi. D'avoir fait ça pour moi. C'était important. » Rencontrer ta fille était bien évidemment une étape primordiale de votre relation. Tout aurait dû être réfléchi, savamment pesé pour éviter une potentielle gêne occasionnée, mais les choses se sont déroulées autrement, et au final, au vu du résultat plus qu'encourageant, tu n'éprouves aucun regret malgré la rapidité. Le courant est passé, et toutes les deux ont déjà commencé à s'apprivoiser. Que demander de plus ? « T'as été parfaite, Mère Castor. » Tu te retiens de rire pour ne pas réveiller ta fille, mais vraiment, Layla a un don pour raconter. Même toi t'étais plongé dans ses histoires de sauvetage et de navire.

Tu la ressens un peu, son inquiétude. Celle de peut-être ne pas avoir été à la hauteur. Mais qu'elle se rassure, elle a été absolument tout ce qu'elle était censée être, et même bien plus encore. « Je crois qu'elle t'apprécie beaucoup. Pour elle aussi tout a été extrêmement difficile, alors pouvoir reconstruire petit à petit sa vie en s'éloignant de tout ça, je pense que ça lui fait beaucoup de bien. » Avec Layla, elle ne doit pas ressentir la lourdeur du traumatisme encore trop présent. Ce qui est différent de quand elle est avec sa mère ou avec toi. Ce soir a été une énorme bouffée d'air frais pour elle. Et si tu as eu un rôle à jouer, celui de Layla a été encore plus important, parce qu'elle représente l'espoir d'une nouvelle normalité. Aussi bien pour toi que pour elle, finalement. « On peut tous les deux dormir sereinement. » Et tu viens déposer un baiser sur le dessus de sa tête, avant de la serrer un peu plus contre toi. « Dors bien. Et joyeux Noël. » Au chaud, au milieu des deux, tu vas t'endormir, pour la première fois en cinq ans, en étant réellement heureux.

sujet terminé

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