Snafu || Jaime

situation normal : all fucked up

Un silence de mort régnait dans la salle de spectacle. Ce n'était pas le premier de la soirée. Zee avait entamé son show par quelques paroles chaleureuses, comme d'habitude, puis sur les conseils insistants de Zach qui « faisait toujours ça et ça marche à chaque fois », elle avait tenté une petite blague. « Alors, qui dans le public a voté pour Lex Luthor, que je puisse choisir parmi vous un volontaire quand j'en arriverai à mon numéro de lancer de couteaux ? » Ce moment avait marqué d'une pierre blanche la prise de résolution de la magicienne de ne plus jamais, jamais écouter les conseils de son cousin. Apparemment, deux semaines après le résultat des élections, c'était encore trop tôt pour faire des vannes. Et puis, son père lui aurait jeté un regard noir s'il l'avait entendue. Pas de politique dans le divertissement grand public. Les enfants dans la salle se fichaient bien de qui était leur président et les pro-Luthor pouvaient très bien apprécier la magie. Même si de l'avis de Zee, l'argent qu'ils avaient payé pour avoir une place ce soir était comme de l'argent du sang. Bref, après ce four mémorable, ça s'était plutôt bien passé. Elle avait fait apparaître et disparaître toute sorte d'objets et de personnes, elle avait coupé en deux une mère de famille, elle avait fait jaillir lapins, fleurs et cartes de son chapeau, avait transformé sa queue de pie en un serpent à deux têtes qui avait fait pleurer les plus petits au premier rang – oups –, elle avait parfaitement exécuté son numéro d'esapologie dans sa cuve en verre remplie d'eau, ce qui était toujours un moment de tension pour le public. Bien sûr, elle avait également usé de quelques tours allant au-delà de l'illusionnisme et de la prestidigitation old-school qu'elle aimait tant. Elle avait tranquillement lévité au-dessus du public et s'était téléportée d'un bout à l'autre de la salle, elle avait fait pleuvoir des pétales de fleurs sur le public qui s'étaient transformés en paillettes histoire que quand les gens en trouveraient encore dans leurs cheveux six mois plus tard, ils pensent à elle, et allumé un brasier sur scène qu'elle avait traversé d'un air paisible.

Elle s'amusait comme une folle, comme tous les soirs. Elle adorait les réactions du public - sauf quand il ne riait pas à ses blagues. Elle adorait que pendant deux heures, ils oublient totalement qu'il y avait un monde à l'extérieur, un monde qui pansait encore ses plaies après la disparition du Syndicat du crime. Elle aimait aussi tricher en utilisant la vraie magie. Les tours habituels avaient sa préférence parce que les gens savaient qu'il y avait un truc et spéculaient à part eux, quand ils n'allaient pas simplement chercher la solution sur Internet. Malgré tout il y avait un rythme dans ces tours, un côté traditionnel qui faisait que les gens et elle étaient en phase dans ces moments-là. Avec la vraie magie, elle obtenait des réactions encore plus fortes, mais elle savait aussi que là se situait la limite entre elle et le public, qui ne la suivait plus alors, qui devenait simple spectateur de quelque chose qui l'émerveillait mais qu'il ne comprenait pas. Son équipe technique était au top, comme toujours. Et était arrivé le fameux numéro de lancer de couteaux, qu'elle n'avait pas du tout prévu d'exécuter sur un membre du public de toute façon parce que c'était complètement illégal. Elle avait donc déclaré avoir besoin d'un volontaire, en vérité elle comptait se servir d'un baron, à savoir quelqu'un prétendument venu assister au show mais en fait complice du spectacle. Le projecteur de poursuite avait balayé le public, elle avait vu les visages à moitié apeurés, à moitié impatients des gens, mais pas son foutu baron, parce que ce foutu traître de Zach devait être en ce moment même en train de laper de la vodka sur le nombril de sa conquête du soir, et elle savait bien qu'elle n'aurait pas dû lui faire confiance et l'inviter à participer. D'où le silence de mort dans la salle, les gens la fixant d'un air ravi, attendant une suite qui ne risquait pas d'arriver à ce compte-là.

Bon eh bien elle n'avait pas besoin de Zach, il lui suffisait de changer son fusil d'épaule. Elle n'avait pas encore annoncé le numéro en question, elle pouvait en changer pour un tour facile à faire avec un spectateur. « Alors, qui parmi vous se porte volontaire ? » Cela la faisait toujours rire comme question parce que c'était elle qui choisirait, peut-être même quelqu'un qui n'était pas volontaire du tout. Comme le jeune homme sur lequel le projecteur de poursuite tomba à cette même seconde, son destin scellé par la main feignasse du technicien lumière. « Vous, cher ami ! Voulez-vous monter sur scène ? Je vous promets de ne pas vous couper en deux. » Elle avait bien pire en tête. Elle savait bien que c'était difficile de dire non, à ce stade, pour la pauvre âme sur laquelle elle jetait son dévolu. Parce qu'il fallait dire non devant des centaines de personnes. Dans un nuage de fumée, elle disparut de la scène et se téléporta devant sa proie de la soirée. Les gens poussèrent des cris ravis, puis se mirent à applaudir. Zee sourit au garçon pour le rassurer. Elle s'éleva lentement dans les airs, la main sur son front comme pour chercher quelqu'un d'autre. « Ou bien peut-être… » Elle laissait toujours une porte de sortie aux gens. Il suffisait que le jeune homme ne dise rien et elle se détournerait de lui pour attirer l'attention des gens sur quelqu'un d'autre, avec naturel et fluidité.

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« Je ne comprendrais jamais l'intérêt de ces trivialités. » « Tais-toi un peu, tu verras que c'est génial. » Les pieds fermement ancrés sur ton skateboard, tu parcours les rues avec ton sac de cours encore sur les épaules. Tu sais qu'il a horreur de ça, le scarabée, quand tu utilises tes pouvoirs pour ce genre de trivialités, mais hé, tout le monde a ses péchés mignons. Et le tien, n'est ni plus ni moins que la sublime Zatanna Zatara, prestidigitatrice de talent, entre plein d'autres choses. Alors que ça lui plaise ou non, pour rien au monde tu n'aurais manqué ce spectacle, et tu n'aurais certainement pas pu arriver à temps si t'avais traversé le pays en skate, d'Austin à Star City. Peut-être bien qu'il boude, mais tant pis, il s'en remettra. Comme à chaque fois. Et quelque part, ça te rassure ces petites contrariétés, ça signifie que t'as encore un certain contrôle sur lui, et qu'il ne peut toujours pas t'obliger à exécuter tous ses désirs. Rassurant, donc. Mais, oh, ouah, à te perdre ainsi dans tes pensées, tu risques de provoquer un accident ou un tragique effet domino. « Attention, chaud devant ! » Oups, tu t'excuses de quelques mous désolés auprès des passants que t'as failli écraser. Qu'ils pardonnent ton excès de vitesse, mais t'es en retard. Entre la fac et sauver le monde, finalement, ils sont devenus bien trop peu nombreux les moments où tu peux te permettre de passer du bon temps. Bien sûr, il y a toujours quelques sorties avec les copains – enfin, quand tu t'autorises à prendre le risque – mais ce n'est jamais ce que toi t'as vraiment envie de faire. Enfin, si, t'aimes ça boire avec eux et aller au cinéma, mais c'est pas aussi bien que les spectacles de Zatanna. Quoi ? C'est pas grave d'être un fanboy. Y en a qui sont encore obsédés par Charles Manson ou par le cannibale du Milwaukee, alors toi, à côté, tu fais carrément dans le soft. Vaut mieux aduler une magicienne talentueuse qui sauve le monde que ce genre de dégénérés, pas vrai ? « Tu gâches les dons qui t'ont été donnés. » « T'es vraiment qu'un sale rabat joie. » Mi-amusé, mi désespéré, vous arrivez enfin à destination, et skate sous le bras, tu t'engouffre dans la salle.

Ça fait tellement de bien d'entendre les gens rire et s'extasier après avoir traversé une période aussi difficile. Toi-même, pendant un temps, t'as cru que les choses ne s'arrêteraient jamais. Qu'il y aurait toujours un obstacle à franchir, et que d'une façon ou d'une autre, le Syndicat finirait par l'emporter. Plus de soleil, plus de Superman, plus de Batman, une nuit perpétuelle où le pire de l'humanité s'est adonné à une fête sans fin. Une épreuve délicate, qui aurait pu avoir raison de toi, si tu ne t'étais pas autant accroché à l'espoir. Ne rien lâcher, toujours se battre, voilà ce que tu tires de positif de cette nouvelle invasion, et qui te permet ce soir de profiter encore plus de cette pause largement méritée. C'est avec des yeux émerveillés que tu observes Zatanna faire le show, à la perfection, comme d'habitude. Des tours de magie, qui même à ton âge, te laisse bouche-bée. Ouais, malgré tout ce que tu as déjà vu, malgré les monstres, les tyrans et les meta-humains, tu parviens encore à t'éblouir devant un spectacle de magie. Sans doute la part enfantine qui reste encore en toi, et à laquelle tu te raccroches pour lutter contre les ténèbres qui vous envahissent un peu trop souvent. Ton propre moyen de défense, des remparts que tu dresses pour ne pas sombrer trop rapidement. Quoi?! Un volontaire ? Ah mais toi t'es totalement volontaire ! Et en plus c'est elle qui te demande ? Le rêve. Malgré tous les regards braqués sur toi qui te mettent un peu mal à l'aise, tu te sens parfaitement prêt à tenter l'expérience. Qu'importe le numéro, même si le but est de te couper en deux, t'es partant. Oui, c'est pas raisonnable, mais t'en as marre de toujours faire attention à tout. « Non, non, non ! Je suis volontaire ! » Et aussitôt, tu bondis de ton siège pour rejoindre Zatanna sur scène. Elle ne te l'a pas demandé, mais t'as pas envie que qui que ce soit te pique ta place.

Alors que la maestro est encore dans les airs, toi t'es déjà là, à attendre patiemment de pouvoir participer au numéro. C'est dingue d'être de l'autre côté du miroir, et de pouvoir enfin assister de très près au spectacle. Qu'elle fasse absolument tout ce qu'elle voudra de toi. « J'aime pas ça. » « Arrête, tu vas tout gâcher. Pour une fois, laisse-moi tranquille. Et de toute façon t'aimes jamais rien ! » Tu essayes d'être discret quand tu t'exprimes au scarabée bleu dans ton dos, parasite et emmerdeur professionnel, mais difficile quand des centaines de personnes ont leur regard rivé sur toi. « Salut, je suis un grand fan. » Ouais, bon, t'as pas pu t'en empêcher. Mais t'auras peut-être pas d'autres occasions de lui dire. Tu sais qu'elle se bat elle aussi pour un monde meilleur, Zatanna, mais quand t'es en Blue Beetle sur le terrain d'une quelconque attaque de super vilain, tu peux pas vraiment te révéler à elle. Ce serait quand même bizarre qu'en plein combat tu lui confesses ton admiration, non ? Alors qu'il se taise l'insecte, et qu'il te laisse profiter de ce moment magique. « Qu'est-ce que je dois faire ? » Te présenter, peut-être, avant ? T'es trop impatient et surexcité, qu'elle ne t'en tienne pas rigueur.

AVENGEDINCHAINS

situation normal : all fucked up

L’enthousiasme de sa victime du jour faisait plaisir à voir. Zee le suivit des yeux avec un sourire attendri alors qu’il remontait l’allée jusqu’à la scène d’un pas décidé. En toutes ces années, elle avait eu droit à tout, aux épaules voûtées, à la maladresse, le plus souvent, à la timidité, sauf avec les enfants, toujours les premiers à se porter au devant de ce qu’ils ne pouvaient pas anticiper. Ce choix-là avait l’air anodin, particulièrement dans un spectacle de magie, où c’était un classique : l’artiste faisait monter un volontaire sur scène. Mais c’était en vérité le moment le plus délicat de tout le show, parce que les choses ne dépendaient plus de Zatanna, désormais elles dépendaient aussi de ce jeune homme. Et il lui était arrivé de se tromper dans son choix, ou de ne simplement pas avoir de chance, et alors le segment devenait poussif, ou gênant, voire un échec. En l’occurrence, Zee comptait bien utiliser le garçon pour un vrai tour de prestidigitation à l’ancienne saupoudrée de véritable magie, mais si les choses ne se passaient pas comme elle le voulait, elle pouvait toujours rebondir grâce à ses dons, une tricherie que la plupart des autres illusionnistes n’avaient pas le luxe de se payer. Sur scène, tout était question d’alchimie. La maladresse, la timidité, la gêne, au final, ne comptaient pas, non, il fallait que la personne choisie lui fasse confiance, tout simplement. Et si elle pouvait faire le show avec elle, alors c’était encore mieux. Et elle sut qu’avec celui-là, le spectacle allait être assuré. Pas une hésitation, pas d’angoisse dans le regard, pas de crispation dans le sourire mais une joie pure et absolument pas feinte, comme elle en voyait rarement chez les adolescents, et même les adultes, si préoccupés par le regard des autres, particulièrement quand ils étaient des centaines braqués sur vous.

Elle lévita jusqu’à la scène, à la manière un peu figée de Dr Fate, parce que ça la faisait rire et parce qu’elle voulait que les gens puissent croire qu’il y avait un fil quelque part qui lui permettait de faire ça. Elle se posa devant le garçon, qui aussitôt lui confessa qu’il était un fan, ce dont elle ne se lassait jamais, pas pour elle mais pour eux, tous ces gens qui avaient encore en eux la force et la place d’aimer quelqu’un d’autre, peu importe qui, peu importe la raison. Elle le salua d’un mouvement gracieux et se plaça à côté de lui avant de poser délicatement une main sur son épaule, au cas où il aurait envie de se déplacer sur la scène alors que derrière eux, tels des ninjas, ses techniciens mettaient en place une boite en bois d’à peu près un mètre soixante-quinze sur un mètre et plaçait un fourreau rempli de sabres. Les spectateurs savaient déjà pratiquement à quoi ils allaient assister, mais son invité, pas encore. « Enchantée de te rencontrer et merci d’accepter de participer au numéro. Pour commencer, tu pourrais te présenter au public, et leur promettre sur l’honneur que toi et moi ne nous connaissions pas avant ce soir ! » Ceci n’est pas un mensonge, mesdames et messieurs. Une promesse qu’elle lui demandait sans se douter une seconde de sa portée. Du coin de l’œil, elle vérifiait que ses assistants en avaient fini, laissant Jaime, puisque c’était son nom, se dépatouiller avec les spectateurs de toute façon acquis à sa cause, car en cette seconde ils étaient tous Jaime, tous avec lui. D’un geste naturel, elle signifia à son ingénieur lumière de tamiser les spots – ambiance sérieuse. Elle fit pivoter Jaime pour lui désigner la boîte en bois. « Si tu le permets, ce soir, je vais t’enfermer dans cette boîte et la transpercer de sabres. »

Elle fit pivoter la caisse sur son roulement à bille, en cognant sur chaque face, et en tapant du pied sous elle pour prouver à tout le monde qu’il n’y avait pas de trappe dessous. Puis elle s’empara d’un ballon en mousse posé parmi ses artifices et le tendit à Jaime. « Est-ce que tu peux tenir ce ballon devant toi à bout de bras, s’il te plaît, Jaime ? » Elle lui envoya un clin d’œil histoire de le rassurer même s’il n’avait pas l’air inquiet du tout. Elle se saisit d’une épée, s’assura que le garçon avait bien saisi son intention et ne bouge pas au dernier moment – c’était vingt ans de procès sinon, ça, c’est sûr – puis d’un geste vif mais mesuré, avec la force de l’habitude pour être sûre de ne pas faire de mal à son partenaire du jour si jamais il bougeait au dernier moment, elle planta la lame dans le ballon en coup d’estoc pour prouver que l’arme était vraie. En soit cela n’avait rien d’impressionnant, mais les gens pensaient déjà à ce qui allait suivre. Enfin, cela n’avait rien d’impressionnant sauf peut-être pour Jaime qui la voyait de face planter une épée dans sa direction. Mais à moins qu’il ne se jette en avant, il ne risquait rien. Elle réitéra l’opération avec ses quatre autres épées, les rangeant dans leur fourreau une à une, puis d’une formule changea le ballon entre les mains de l’adolescent en un lapin gris tremblotant comme un bol de gelée. C’était Mordor. Jamais lapin n’avait été aussi mal nommé. Quand elle les convoquait de la dimension de poche où ils menaient la belle vie en attendant qu’elle ait besoin d’eux, elle ne savait jamais lequel allait popper, et Mordor était une petite nature – mais adorable. Elle profita des applaudissements des gens pour caresser le lapin dans les mains de Jaime et briser un peu l’ambiance en ce qui le concernait, lui. « Je te promets que tu ne risques rien, mais si jamais à un moment tu te sens mal ou tu changes d’avis, tape deux fois contre la paroi et j’arrête tout. Ne t’inquiète pas pour les conséquences, j’ai toujours un tour en réserve. Est-ce que tu veux garder Mordor avec toi ? Il a l’habitude, et il ne bougera pas d’un cil, il est un peu craintif. »

Elle le gratifia d’un nouveau sourire. Elle l’aimait beaucoup, il réagissait à tout ce qu’elle faisait ou disait et partageait ses émotions avec le public, qu’il en ait conscience ou pas. Il était expressif et il la rendait heureuse, tout simplement. Elle ouvrit la porte de la boîte, où il était évident qu’il n’y avait pas de double-fond nulle part, et fit signe à Jaime d’y entrer. La raison pour laquelle elle utilisait la vraie magie pour ce tour était un peu bête : elle ne voulait pas ruiner la chose pour la personne qui participait. Quand on vous appelait sur scène pour vous couper en deux, vous pouviez voir de vos yeux le fameux « truc ». Avec ou sans magie, Zee aurait pu donner à son tour le même effet : elle transpercerait la boîte et les spectateurs ne comprendraient pas comment Jaime s’en sortirait en vie. Mais Jaime lui-même, si elle avait utilisé un double-fond, une illusion d’optique ou des faux sabres, aurait passé un moment vachement moins impressionnant. Elle attendit que le jeune homme soit prêt, puis le fit entrer dans la boîte qu’elle referma avec la panoplie d’effets sonores et gestuels habituelle. Il y avait cinq fentes en tout dans la boîte, là où elle enfoncerait les épées, de manière à la transpercer à peu près partout pour que les gens ne pensent pas que là-dedans, Jaime s’était simplement recroquevillé dans un coin. Elle attendit une dernière seconde pour voir si Jaime tenait le coup là-dedans, puis elle s’empara d’une première épée, la plaça dans l’ouverture et la glissa lentement à travers le bois, là où était censé se trouver ses jambes.

Ses lèvres bougeaient à peine, mais elle murmurait une formule en même temps. Là-dedans, Jaime voyait probablement la pointe de la lame rentrer dans la boîte d’un centimètre, mais ensuite, la lame s’étiolait en des milliers de petites particules argentées jusqu’à la garde. Plus jeune, elle avait transformé la lame en mousse ou en caoutchouc qui fait pouic, mais Zach, son principal cobaye, lui avait fait remarquer que pour la personne à l’intérieur, c’était à chier, pour reprendre ses termes. Alors elle avait rendu les lames intangibles pour qu’elles s’enfoncent sans risque dans le corps de son cousin, qui lui avait fait remarquer, le teint un peu vert, que c’était flippant et qu’en plus, si elle éternuait ou que quelqu’un déclenchait l’alarme incendie de la salle à ce moment-là, elle pouvait perdre sa concentration et commettre un meurtre. En vérité c’était lui qui l’avait aidée à s’entraîner pour ce tour, lui qui était bien plus douée qu’elle quand il s’agissait d’user de magie sur les objets. Le public poussa des cris, retint son souffle, et elle s’empara d’une deuxième épée que cette fois, elle positionna dans la fente juste en face du visage de Jaime. Tout allait bien. Tout allait très bien.

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C'est que tu y prends déjà goût, aux lumières braquées sur toi, aux côtés de cette magicienne que tu n'aurais jamais pensé voir d'aussi près un jour. Et même si t'es à l'aise et plus qu'heureux d'être à ses côtés pour un numéro mémorable, tu ressens aussi une légère pression. T'as pas envie de tout faire foirer. Elle compte sur toi pour que le spectacle les éblouisse, mais avec cette saleté dans ton dos, tu sais jamais réellement comment les choses vont se dérouler. Pour l'instant, il se tait, ce qui est plutôt bon signe. C'est quand il commence à bavarder, signe de sa nervosité, qu'il faut commencer à s'inquiéter. Face au public, mains dans le dos et droit comme un i, tu te présentes à eux dans un résumé succinct. Enfin, presque. « Je m'appelle Jaime Reyes, j'ai vingt quatre-ans et je suis étudiant en sciences. On pourrait croire que c'est nul et chiant comme études, mais en fait c'est passionnant. Bref. » Oui, tu t'égares, t'es pas là pour faire un one man show mais pour assister Zatanna, qui attend patiemment que tu termines ta présentation pour passer à la suite. « Et je ne connais pas Zatanna. Enfin, si, techniquement j'en suis fan, mais voilà, je la connais pas d'en dehors de ses spectacles. » Bon, qu'elle te pardonne cette piètre entrée en matière, t'es tellement excité que ta maladresse a encore une fois tendance à prendre le dessus. En plus, c'est un peu en mensonge, parce que tu l'as déjà croisée quelques fois sur le terrain. Elle savait pas que c'était toi, sous l'armure de Blue Beetle, mais toi parfois tu t'autorisais à la regarder en pleine action, les yeux en cœur, et avec l'espoir secret de pouvoir un jour te battre dos à dos avec elle pour lutter contre la menace du mois. C'est presque ce que tu vas avoir maintenant, finalement, en un peu moins épique, c'est tout. Après un sourire un peu navré adressé à Zatanna, tu te retournes pour découvrir le tour auquel tu vas participer. Et...merde.

« Danger immédiat. » « Non, non, non, arrête, c'est qu'un jeu. C'est juste un jeu, il ne va rien m'arriver. » C'est en serrant les dents, secoué par une anxiété soudaine, que tu essayes de répondre discrètement au scarabée. Hors de question qu'il enclenche l'armure ici, dans une salle pleine de monde, et encore moins pour se protéger d'un danger qui n'existe pas. Bon sang, est-ce que t'as bien fait d'accepter de monter sur scène ? Tu voulais seulement profiter de l'occasion, t'amuser un peu toi aussi, pour une fois, mais est-ce que tu viens peut-être de mettre la vie de ces gens en danger dans cet élan de pure égoïsme ? Tu distingues beaucoup d'enfants dans la foule, que se passerait-il s'il venait à se sentir réellement menacé ? « Euh... » Tu devrais lui dire, à Zatanna, que ce numéro là serait bien trop risqué, que t'es pas un simple spectateur lambda, mais le détenteur d'un scarabée bizarre aux réactions dangereuses et imprévisibles. « Je suis prêt ! » Idiot. Tant pis, si vraiment la situation venait à s'envenimer, t'improviseras. T'en as marre de le laisser dicter ta conduite. Combien de personnes t'as été obligé de repousser pour éviter qu'il leur fasse du mal ? Toute cette solitude qu'il t'impose, par crainte de le voir péter encore un plomb. Ouais, y en a ras le bol. Pour une fois, tu vas faire ce que toi tu veux. Alors déterminé et enjoué, ignorant l'agitation montante du scarabée, tu suis les instructions de la magicienne, et tiens le ballon droit devant toi. « Jaime, je sens un danger. » Qu'il se taise. Il n'y a aucun danger, c'est juste un numéro de magie, ni plus ni moins. Aucune de ses lames ne va te blesser, et ce maudit insecte ne risque absolument rien. Alors par pitié, qu'il se taise. Après une démonstration en guise de transparence sur les accessoires utilisés, c'est maintenant un lapin que tu tiens dans tes mains, et que tu caresses bien évidemment sans retenue. Oh. Si ce petit animal ne parvient pas à calmer le scarabée, alors rien ne le pourra jamais. « Je le garde avec moi. » Comme si ça allait suffire à assurer ton calme et le sien.

Allongé dans la boite magique, tu sens ton cœur battre un peu plus fort et raisonner dans tes tempes. T'as parfaitement confiance en Zatanna, c'est de lui que tu te méfies. A la première lame, totalement inoffensive alors qu'elle se transforme en effet pailleté, il ne tarde pourtant pas à manifester son mécontentement et son angoisse. « Danger immédiat. » « Il ne va rien se passer. Absolument rien, t'entends ? » « Armure enclenchée. » NON ! Non, surtout pas ! Sur le point de frapper contre le bois pour avertir la magicienne du changement de plan, tu vois déjà tes membres se transformer et se recouvrir de l'alliage indestructible. La seconde lame s'approche de ton visage, et d'un coup brutal, la boite magique se fracasse sous l'assaut du scarabée. Il panique, il a cru que t'étais sur le point de te faire transpercer, et te voilà maintenant entièrement recouvert du costume bleu et noir, perché au-dessus de la scène, ton bras tendu vers Zatanna. « Non, pas ça ! » Trop tard, la boule d'énergie est envoyée dans sa direction, en guise de représailles pour avoir essayé, selon lui, de faire du mal à son hôte. C'est même pas vraiment pour toi qu'il s'inquiète, non, c'est pour lui-même, et ce qu'il deviendrait si tu venais à disparaître. Il lui faudrait trouver un nouveau partenaire dans le meilleur des cas, et dans le pire, se retrouver enfermé quelque part où il ne pourrait plus utiliser ses capacités. Un cauchemar pour lui, donc. De toutes tes forces, tu essayes de reprendre le contrôle de l'armure, avant qu'une nouvelle catastrophe ne se produise. Tu penses à Paco, tu penses à ce que tu lui as fait, et l'angoisse monte encore plus. T'arrives pas à te concentrer, t'as trop peur de ce qui pourrait advenir de ces gens, de toi et de Zatanna. Pourtant, il va bien falloir, ou tout pourrait d'autant plus dégénérer. « Arrête ! Tout va bien ! Il n'y a pas de danger ! » T'aurais jamais dû accepter de monter sur scène. Par ta faute, par ton égoïsme, des gens vont peut-être être blessés. Ils voulaient un spectacle de magie, et voilà que tu leur offres un véritable carnage.

AVENGEDINCHAINS

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Franchement, qu’est-ce qui peut arriver de pire, dans ce genre de situation ? Zee avait tout vu, avec le temps. C’était comme ça quand on faisait participer quelqu’un du public, on ne pouvait pas tout prévoir, et parfois ça se passait moins bien que prévu, mais ce n’était pas si grave que ça. En général, elle avait droit à des crises de panique et à des demandes de libération intempestives. Une fois ou deux, la personne était ressortie un peu en colère de ce traitement, trouvant que finalement, la magie, c’était plus drôle à regarder qu’à faire. En une occasion seulement, son cobaye s’était carrément évanoui d’angoisse. Mais dans la majorité des cas, ça se passait bien, et elle ne doutait pas une seconde que ça se passerait bien avec Jaime Reyes parce qu’il avait l’air à l’aise et surtout, il avait l’air de s’amuser, non ? En tout cas, elle ne s’inquiétait pas pour lui, ni pour Mordor. Pas un instant elle ne songea que Jaime puisse l’étrangler sous le coup de la panique ou quelque chose dans le genre. Et donc, elle enfonçait joyeusement son épée dans la caisse en déclenchant des cris de frayeur dans la salle, ce qui la réjouissait, ce qui techniquement faisait d’elle une psychopathe, mais en magie tout était permis. De sorte qu’elle fut totalement prise par surprise quand la boîte explosa littéralement, lui arrachant son épée des mains, qu’elle vit fuser vers les coulisses sans blesser personne heureusement. Le public poussa encore de grands cris avant d’applaudir, mais la magicienne ne prêtait plus du tout attention à lui pour le moment parce que se tenait devant elle, au-dessus d’elle, une silhouette en armure bleue qu’elle connaissait, qu’elle avait croisée plusieurs fois, aux côtés de qui elle avait combattu… Et si des millions de questions l’assaillirent dans la seconde, elle se rendit compte que le moment était malvenu pour les poser. En fait, le moment était malvenu pour tout.

Il y avait trop de monde, trop de manières de très mal finir cette histoire, trop d’erreurs potentielles à commettre et à peine une fraction de seconde pour réagir. « eL spmet etêrra’s ! » Et puisqu’elle l’avait si gentiment ordonné, le temps s’arrêta effectivement. Le silence était total, l’immobilité de tout le monde également. La sphère d’énergie que Blue Beetle lui avait tiré dessus à mi-chemin entre eux. Elle serra les bras contre elle en frissonnant. WHAT… THE FUCK. « Je fais quoi, je fais quoi, je fais quoi… » Dans sa panoplie fort étendue de petits tours, jouer avec le temps était celui qui l’épuisait le plus et dans une trentaine de secondes maximum, le chaos allait régner, il allait y avoir des blessés, voire des morts, et beaucoup de vies allaient être brisées, et ce serait pas mal sa faute. Elle contempla Jaime avec peine, puis avisa Mordor en plein saut au bord de la scène, courut le récupérer faute d’avoir réussi à mettre ses trente secondes à profit pour faire quelque chose d’utile, puis se replaça devant l’attaque, posa le lapin sur son épaule, écarta les bras et ouvrit un portail dimensionnel sur du rien devant elle juste avant que le temps ne reparte à l’assaut de la réalité comme le grand dévoreur qu’il était. La sphère d’énergie disparut dans le portail comme si le propre corps de Zee l’avait gobée, et elle referma aussitôt la brèche. Les gens dans le public se levèrent pour applaudir à tout rompre. Elle tenta de communiquer mentalement avec Jaime, de lui communiquer un peu d'apaisement, aussi. Jaime, est-ce que tu m’entends ? Je me doute que tu ne veux pas me faire de mal. Et moi je ne t'en ferai pas non plus, promis. Tout va bien, d’accord ? Bien sûr, rien n’allait bien mais ça valait le coup de le dire, comme « j’ai trop chaud » ou « j’ai faim », ben ouais, et alors ?? Soudain, du bord de la scène, de la fumée jaillit dans la salle. Normalement, Andrew Sinclair, son chef de scène avec qui elle concevait ses shows, l’envoyait à la fin, pour sa grande disparition old-school, mais elle l’aurait embrassé, là, tout de suite, alors que la vapeur envahissait la scène en un épais voile les séparant des spectateurs. Voilà, quelques précieuses minutes de gagnées plus efficacement que n’importe quelle magie. Elle vit Andrew qui s’agitait comme un possédé dans les coulisses et lui fit signe de rester en retrait avant de se concentrer à nouveau sur Jaime.

Elle leva la main vers lui. « uaediR, sneiter-el ! » Les lourdes tentures s’enroulèrent autour de Blue Beetle pour le saucissonner, s’enroulant autour de tout ce qu’il était possible pour du tissu de s’enrouler. Alors là… Elle ne voulait pas lui faire de mal, elle ne voulait pas qu’il fasse du mal à quiconque, mais autant dire que dans un combat aussi épique et dantesque que Blue Beetle versus rideaux, elle savait bien qui aurait le dessus. Elle voulait gagner du temps. Mais elle s’y prenait mal, elle le savait sans avoir la moindre idée de comment elle était censée s’y prendre. Il faut dire qu’en vérité elle ne savait pas grand-chose de Blue Beetle si ce n’était qu’il faisait partie des Teen Titans, qu’il était d’une efficacité redoutable et que sous cette armure se cachait probablement un garçon beaucoup trop jeune pour subir ce qu’il subissait, ce en quoi elle avait raison, finalement, après avoir vu Jaime. « Dis-moi ce que je dois faire, BB ! Ou bien je nous téléporte illico dans le désert et on règle ça sans personne pour nous gêner. » Et non, elle n’était pas devenue une sugar-magicienne, mais elle ne pouvait pas appeler Blue Beetle « Jaime » et ne voulait pas appeler Jaime « Blue Beetle », des fois que les gens dans le public n’aient rien compris à ce qui venait de se passer, et connaissant les gens en général, et rien qu’à entendre leurs cris ravis, ils n’avaient effectivement rien compris, enfin pas encore.

Codage par Libella sur Graphiorum

T'as honte. Tu savais que le risque existait, et tu l'as quand même pris, dans une égoïste tentative d'impressionner la magicienne. Erreur pardonnable pour un adolescent, mais pour toi, qui après plusieurs années d'entraînement et une place chez les Teen Titans, aurais dû anticiper la réaction du scarabée. T'en as fait qu'à ta tête, et à cause de toi il pourrait y avoir des blessés. Tu ne veux pas revivre ça, plus jamais. Une angoisse qui monte en flèche, et contre laquelle tu dois aussi lutter, alors que tout ce que t'aimerais pouvoir faire c'est te planquer sous une table et ne plus en sortir. Pour ne plus avoir ces responsabilités. Pour oublier qu'il n'y a pas si longtemps que ça, t'as failli tuer ton meilleur ami. Peut-être que t'as appris à maitriser tes capacités auprès de mentors expérimentés depuis tes premiers pas en tant que Blue Beetle, mais lui, tu sais que tu ne pourras jamais vraiment l'apprivoiser. Il te contrôle, il te dicte ce que t'es censé faire, et si tu n'obéis pas quand il se sent en danger, et bien il décide à ta place. Comme ce soir, alors qu'il t'oblige à faire du mal à quelqu'un qui ne t'en voulait pas. Et parfois, tu te demandes si ses réactions sont réellement guidées par la menace, ou s'il prend simplement plaisir à te torturer. Tu sens son influence néfaste, tu sais combien il aimerait te voir user et abuser de la force létale, et tu redoutes d'un jour y céder pour avoir la paix. Pour ne plus être dans la retenue en permanence, et enfin goûter à la liberté en ne faisant plus qu'un avec lui. C'est épuisant de se battre sans cesse, chaque seconde de chaque heure, comme si tu ne vivais pas vraiment pour toi-même, contraint de t'assurer constamment qu'il se sente en sécurité. Un fardeau de plus en plus lourd à porter, et qui cette fois encore, te laisse complètement désoeuvré, spectateur de ton propre dérapage incontrôlé. Mais alors que tu observes la boule d'énergie sortir de ton bras, et que tu la distingues très nettement s'approcher de Zatanna, en une fraction de seconde, elle disparaît. Comme par magie. Stoppé net.

Dans ta tête, tu entends la voix de la magicienne essayer de t'apaiser, et c'est sur chacun de ses mots que tu te concentres pour tenter de reprendre le contrôle. Inspire, expire. T'es déjà passé par là, et t'as déjà réussi à t'en sortir – enfin, si on oublie les blessures de Paco et ton traumatisme. « Elle nous attaque, elle veut nous mettre hors d'état de nuire. » T'aimerais pouvoir lui répondre, à Zatanna, mais avec les rideaux qui s'enroulent autour de l'armure, tu sens le peu de pouvoir que tu venais de récupérer s'envoler à nouveau, comme un cerf volant impossible à rattraper. Plus elle ira à l'affrontement avec lui, moins tu parviendras à réparer ta terrible erreur. Quand vous êtes en phase, lui et toi, tout se déroule toujours sans accroche. Vous battez les méchants sans problème, et parfois même, t'es content de l'avoir avec toi pour qu'il puisse te guider. Il sait ce qu'il fait, lui, véritable arme de destruction au pouvoir incommensurable. Toi, t'es que le gamin qui n'a aucune idée de ce qu'il fait avec une telle armure bien trop grande pour lui, et qui n'a pas d'autres choix que d'essayer de s'en accoutumer. « Ne l'attaque surtout pas ! » Tu ne sais plus bien si tu t'adresses au scarabée ou à Zatanna. Il ne t'aura fallu que quelques secondes pour te défaire de l'emprise magique des rideaux, et même si tu apprécies le temps qu'elle essaye de vous faire gagner, maintenant, c'est à toi de faire le boulot. Allez, tu peux arriver, t'es plus fort que lui, c'est de ton corps qu'il s'agit. « Ça suffit, t'entends ? Je refuse que tu blesses ces gens. Ils ne nous veulent aucun mal, ce n'était qu'un spectacle ! UN SIMPLE SPECTACLE ! » T'es frustré, énervé, et profondément lassé de devoir à nouveau tenter de le raisonner. T'es en colère contre lui, t'es en colère contre toi-même, et tu te sers de cette vive émotion pour assoir ta domination. Procédé dangereux qui pourrait un jour beaucoup te coûter, mais la seule alternative qu'il te reste. « J'AI DIT STOP ! » Et le bras à nouveau dirigé vers la cible se baisse. Cette fois, c'est toi qui a gagné.

Tes pieds retouchent le sol, mais tu restes méfiant quant à ses réactions, tu sais qu'il suffirait de pas grand chose pour que l'assaut reparte. Alors tu restes concentré, en lui ordonnant mentalement de te retirer l'armure. « Le combat est terminé. » C'est un ordre. Et il obéit. Le bleu et le noir qui te recouvraient se retire comme une vague sur le sable. Le scarabée est pour l'instant maitrisé, mais ça ne change rien à la honte que tu éprouves. Sans l'intervention de Zatanna, les choses auraient pu terriblement mal tourner. T'as eu de la chance, ce soir, mais elle ne sera pas toujours là pour couvrir tes arrières. T'aurais pu lui faire du mal, ou à quelqu'un de public, et ce simple constat te pousse à t'engouffrer dans l'arrière scène, pour essayer de retrouver le calme dont tu as besoin. Dans un couloir, assis contre un mur, les genoux repliés contre toi, maintenant que la tempête est passée, c'est contre cette montée de crise d'angoisse que tu dois lutter. Elle est là, si proche d'exploser, après avoir à nouveau traversé un épisode de perte de contrôle totale traumatisant. Quand est-ce que tout ceci va cesser ? Quand est-ce que tu vas arrêter d'avoir peur ? Tu t'étais juré que ça n'arriverait plus, que plus jamais tu ne le laisserais faire de toi ton pantin, mais t'as misérablement échoué. Ton visage entre tes mains, tu doutes trouver le courage de sortir d'ici un jour.

AVENGEDINCHAINS

situation normal : all fucked up

Ça partait en sucette, il fallait bien le dire. Même si dans la tête de Zee, il était évident que tout finirait bien et que personne ne serait blessé, ni les spectateurs ni Jaime. Il semblait urgent de l’arrêter, bien sûr, mais plus urgent encore de comprendre la situation, qui pour l’heure lui échappait complètement. Il hurlait des ordres, et si au début elle crut logiquement que c’était à elle qu’il s’adressait, elle en douta, ensuite, pour douter enfin qu’il puisse s’adresser à quelqu’un d’autre… Et pourtant, quoi qu’il soit en train de se passer pour lui, il était évident qu’il luttait. Elle savait reconnaître un combat intérieur quand elle en voyait un. C’était comme s’ils n’étaient pas seuls sur scène en cette seconde, comme s’il se battait contre un ennemi invisible pour elle. Il était le spectacle, et elle presque spectatrice… si ce n’était qu’elle ne pouvait pas se payer ce luxe. Ne pas attaquer. Cela, elle pouvait le faire. Elle n’avait pas particulièrement l’offensive dans le sang, Zee. Elle desserra son emprise magique sur les tentures, qui redevinrent de simples rideaux dont Blue Beetle pouvait se débarrasser facilement. D’un geste, elle fit signe à son staff de rester en retrait, d’un regard, elle vérifia que la scène était toujours invisible au public qui pensait avoir assisté au grand final, quelque chose d’incompréhensible mais de spectaculaire malgré tout alors pourquoi pas ? et qui à présent applaudissait en rythme pour demander un encore. Ben voyons. C’est sûr qu’ils avaient failli en avoir pour leur argent. Puis elle reporta son attention sur Jaime, occupé à parler tout seul, sauf que pas vraiment, probablement. Et dans ces étranges secondes où elle le regarda lutter – contre lui-même ? –, elle retint son souffle. C’était de lui que l’avenir proche dépendait désormais. Elle s’en voulait d’être à l’origine de tout ça. Elle s’en voulait de ne pas comprendre, et d’en être réduite à lui laisser la responsabilité de faire en sorte que tout ne dégénère pas.

Puis il se posa doucement sur la scène et elle se détendit à son tour, contenant sa magie qui bouillonnait dans ses veines et qui aurait fait gigoter quiconque alentour possédant quelques dons ou une sensibilité à l’étrange. Comme une gamine mal entraînée, elle laissait son énergie rayonner autour d’elle, tel un appel de détresse. Mais voyant que Jaime semblait reprendre le contrôle de la situation, elle se calma à son tour. Et songeait déjà à la suite. Pas question de faire la une des journaux avec en gros la photo d’un garçon monté sur scène et qui aurait failli causer une catastrophe. Il y avait des tas de moyens de protéger les gens, et dans sa panoplie, il y avait le plus efficace, avec la magie : le mensonge, l’illusion, la manipulation. Elle regarda Jaime détaler entre deux rideaux dans les coulisses et le laissa faire. D’un geste, elle chassa la fumée. Combien de temps s’était passé ? Une minute, même pas ? Les gens hurlèrent de joie en la voyant, et elle avait déjà escamoté la caisse fracassée pour une autre, qu’elle ouvrit d’un geste théâtral : à l’intérieur, point de Jaime, mais Mordor, tremblotant comme un bol de gelée. Tadaaaaaan ! C’était une première, même pour elle. Il y avait une idée à creuser, n’empêche. Elle salua, récupéra son lapin et s’enfuit à son tour dans les coulisses, laissant un double illusoire d’elle-même revenir sur scène pour saluer, en silence et d’un air un peu vacant.

Où était-il passé, Jaime ? Elle repoussa tous les membres de son staff venus lui poser des questions, leur demanda de gérer la suite. Puis, dans un couloir, elle le trouva, assis contre le mur, tête basse, comme un enfant. Elle s’arrêta à quelques mètres de lui. Si elle avait bien compris une seule chose de tout ça c’était qu’elle ne devait pas le surprendre ou lui faire peur. Elle posa Mordor par terre et poussa son petit derrière vers Jaime. Le lapin le rejoignit en trois bonds incertains avant de rester là, sous son nez, l’air de dire : Now what ? Zee croisa les bras et s’appuya contre le mur sans s’approcher. « Tout va bien. » Sa voix était douce. Bon, tout n’allait pas bien pour lui, de toute évidence. Mais personne n’était blessé. Personne n’était mort. Zee appelait ça une victoire, elle. « Je suis enchantée de faire enfin ta connaissance, Jaime Reyes. On devrait toujours mettre un visage sur les gens qui combattent à ses côtés. » Oui, ces histoires d’identité cachée lui avaient toujours parues un peu inutiles… sauf évidemment dans les cas comme celui du garçon présentement assis devant elle. Elle s’assit à son tour par terre. « Tu sais, à mon âge, je croyais ne plus pouvoir être surprise. Je devrais te remercier pour cette fin de spectacle inédite. » Elle voyait bien qu’il était – sans mauvais jeu de mots – enfermé dans une carapace, pour l’heure. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était parler de tout et de rien en attendant que ça passe. Parce que c’était le seul remède à ces moments désagréables : attendre et subir. « Mais tout va bien. Tout va bien. Personne n’est blessé. Personne ne t'en veut. Je suis juste inquiète pour toi. Est-ce que tu veux me dire ce qu’il s’est passé ? » Parce que, elle devait bien l'avouer, alors que Mordor entreprenait de grignoter un lacet de Jaime : elle ne comprenait pas du tout ce qui venait de se produire, pas même un peu.

Codage par Libella sur Graphiorum