Cassandra Colchis ✸ Circé

Quatre foutus millénaires d'existence... Comment résumer cela? Comment en extraire les moments les plus décisifs sans se lancer dans un roman interminable et fatalement incomplet? Il est impossible de résumer ta vie Circé, pour la connaître vraiment, il fallait l'avoir vécu. Peut être est-ce pour cela qu'il existe tant de contes et de légendes à ton sujet. Certains plus ou moins vrais, d'autres complètement farfelues et réducteurs. Tu es la seule à détenir la vérité Circé, et tu le seras à tout jamais. Personne ne te connait mieux que toi, en réalité, personne ne te connait... tout court. Certains vont le prétendre, certains vont même le croire mais ils auront tous tort, tous, sans exception. Tu fais parti de ces êtres intemporels, immortels et légendaires, que rien ni personne ne saurait véritablement percer à jour. Néanmoins, si tu devais énumérer quelques chapitres incontournables de ta vie, tu évoquerais assurément ceux la.

Chapitre I

Circé, l'on dit souvent que nous n'avons qu'une vie et que, par conséquent, nous devons en profiter... Tu n'es pas vraiment d'accord avec ce concept. Oui il faut en profiter, mais non, nous ne sommes jamais contraint à vivre une seule vie. Tu estimes toi même en avoir vécu au moins deux. Celle que l'on te connait aujourd'hui, et qui t'a rendu si célèbre, et celle que tu as tout simplement fais disparaitre de tous les livres. C'était il y a quatre mille ans, dans un tout autre monde que celui-ci. Les Hommes et la Terre étaient bien différents. Fille d'Hyperion et de Perseis, tu étais née princesse du Royaume de Colchide. Fille unique tu étais destinée à devenir Reine mais de cela tu n'aurais que le titre. Les femmes ne gouvernaient pas, les femmes n'avaient pas leur mot à dire. Et si en apparence tu l'acceptais, au fond de toi tu aspirais déjà à tout renverser. Il avait d'abord fallu te trouver un époux, un homme qui enfilerait ta couronne et s’assiérait sur ton trône. De cela, tu aurais pu t’accommoder, tirant habilement les ficelles dans l'ombre. Mais il avait fallu que ton père choisisse le mauvais, un faible sans ambitions ni volonté. Ton royaume courrait littéralement à sa perte avec lui à tes côtés. Tu n'avais su le tolérer et tu avais agis en conséquence. Dans son cœur tu avais enfoncé ta dague, plongeant ton regard dans le sien tandis que ses pupilles se dilataient et que toute vie le quittait. Tu devais l'avouer Circé, cette sensation, celle de prendre une vie de ta propre main, tu avais adoré. Jamais tu n'avais ressenti cela et tu savais que tu ne pourrais plus t'en passer. Fière de ce que tu avais accompli pour protéger ton royaume, tu n'avais pas tenté de camoufler ton acte, bien au contraire, tu l'avais revendiqué. Et malgré un discours passionné où tu avais déclaré ta flamme au royaume de Colchide et à son peuple, tu avais été huée, conspuée. Toi, qui étais de sang royale. Toi, qui était la digne héritière du trône. Ils t'avaient préféré un futur roi, étranger, stupide et incompétent, sous le seul prétexte qu'il avait un pénis. Ton monde et tes espoirs s'étaient effondrés. Tu avais été bannie et exilée. Trahie et abandonnée. Jamais tu ne leur pardonnerais.

Trouvant refuge sur l'île mythologique d'Aeaea, tu fomentais alors ta vengeance. Tu développais ce que tu avais toujours ressenti en toi, tu devenais celle que tu avais toujours voulu être. Tu étais enfin libre. Fidèle et dévouée disciple d'Hécate , ainsi que de la sorcellerie, tu t'étais consacrée entièrement à la magie. Tu n'avais plus de barrière, tu n'avais plus de limite. Plus aucune crainte, plus aucune entraves. Tu te découvrais alors une puissance que tu n'aurais jamais osé rêver. Malheureusement, cette puissance ne pouvait quitter l'île. Tu étais comme prisonnière, prisonnière de ton propre pouvoir. Condamnée à désirer une vengeance qui ne s'assouvirait jamais. L’ultime frustration, un Enfer taillé sur mesure. Alors pour t'apaiser et te contenter, tu faisais appel à des êtres que tu avais découvert en débarquant sur cette île. Des êtres que tu comprenais, des êtres qui te comprenaient. Les sirènes attiraient les marins égarés pour toi et tu accablais ces derniers de toutes tes souffrances, de tous tes malheurs. Tu leur infligeais des calvaires inimaginables, exerçant ta magie et ta cruauté, sans jamais les délivrer ou abréger leurs souffrances. Tant qu'il restait une parcelle de vie en eux, tu ne leur laissais aucun répit, prenant bien garde à faire durer le plaisir.

Mais très vite, cela était devenu insuffisant, il te fallait plus, toujours plus. Ton désir de vengeance, bien loin de s'amoindrir, ne faisait que croître avec le temps. Il te dévorait, il te hantait, chaque jour et chaque nuit. La frustration finirait par te tuer et aucun marin dans cette vie, ou dans une autre, n'aurait suffit à l'apaiser. Il te fallait plus de pouvoir alors tu invoquais la seule déesse que tu vénérais, celle en qui tu avais toujours cru, celle en qui tu avais envie de croire. Hécate avait entendu tes prières et, intriguée par la force de ta colère, était venue à toi. Tu voulais te venger de ton peuple, elle voulait se venger des humains et des dieux qui l'avaient trahi. Vos désirs se rejoignaient et de vos puissances combinées vos vengeances s'accompliraient. Hécate en était intimement convaincue, assez pour te proposer un marché. L'immortalité, la beauté éternelle et un pouvoir colossale en échange de ton âme. Et sans aucune forme d'hésitation, tu avais immédiatement accepté. La déesse de la lune t'offrait une puissance quasi-divine et cette nuit là, cette nuit là tu naissais pour une seconde fois. Une nouvelle femme, de nouveaux pouvoirs, de nouvelles ambitions. Tu étais devenue Circé, puissante magicienne et prétendue déesse. Tu n'en étais pas réellement une mais à tes yeux, c'était tout comme. Et très vite, tu imposerais ta vision au monde. Tu commençais alors sans attendre, dès le levé du jour, par l'imposer à ceux qui t'avaient offensé. Il ne t'avait fallu qu'une seule journée, une seule petite journée pour détruire, anéantir et raser le royaume de Colchide, sans même sourciller. Tu n'avais épargné rien ni personne. Tous avaient subi ton courroux et avaient goûté à ta vengeance. On dit souvent que l'assouvir ne mène à rien et ne soulage pas les maux... C'est faux. D'ailleurs, depuis ce jour, plus jamais tu n'as laissé une seule vengeance te frustrer. Mais tu avais fais un marché et tu devais le respecter, tu ne pouvais agir que pour assouvir ta propre vengeance, tu devais te charger d'une autre. Et c'est ainsi que tu commençais à instaurer le chaos et la destruction parmi les Hommes et les Dieux.

Chapitre II

Celui-ci commence par un dieu justement. Un dieu qui fut étonnamment ton allié. Arès, dieu de la guerre et de la destruction, fils de Zeus et de Héra. A l'époque, vous n'aviez qu'une seule obsession, les Amazones... Elles représentaient une menace potentielle à tes yeux et tu voulais toutes les voir mortes. Tu étais prête à employer les grands moyens, tu étais prête à t'y dédier entièrement. La flamme de la détermination crépitait dans ton regard, Arès l'avait vu mais cette guerre était la sienne et il t'avait affirmé, il t'avait promis, qu'il s'occuperait personnellement des Amazones. Bien évidemment, tu n'avais pas cru cette promesse, nous ne sommes jamais mieux servis que par nous même... N'est-ce pas Circé? Tu le laissais cependant croire que tu avais confiance en lui mais, tu n'étais pas le genre de femme à déléguer, tu ne l'as jamais été et tu ne le seras jamais. Tu l'avais pourtant laissé faire, tu lui avais laissé une chance de t'impressionner, mais pas sans garder un œil attentif sur toutes les opérations. Prête à intervenir à la moindre petite occasion. Arès avait lamentablement échoué. Tu n'avais pas été réellement étonnée. En revanche, celui qui t'avait prise au dépourvu, celui que tu n'avais pas vu venir, était Héraclès, fils de Zeus et d'Alcmène. Celui que l'on appelle plus communément, Hercule. Et oui, lui aussi a réellement existé. Vous seriez surpris de voir à quel point certaines légendes, mêmes les plus incroyables, peuvent être vraies. Mais c'est un tout autre sujet. Revenons en à nos moutons, Héraclès avait donc abattu à lui seul les anciennes Amazones. Tu avais été très impressionnée, séduite même par le héros. Il était exactement le genre d'hommes pour lesquels tu t'entichais. Mais tu n'avais pas eu ni le temps ni l'envie pour ce genre de préoccupations. Tu avais beaucoup plus important à gérer.

Antiope avait mené une partie des survivantes avec elle et avait trouvé un terrain d'entente avec Thésée, fils de Poséidon et d'Éthra, ils finirent d'ailleurs par se marier. C'était donc à toi de jouer. Le peuple des Amazones avait presque été décimé, il te suffisait juste de donner le coup de grâce. Sournoisement, habilement, tu avais trouvé la précédente femme de Thésée, Ariane. Une femme à l'écart de tout soupçon, une femme qui n'éveillerait aucune méfiance. Un pion d'une importance capital et pourtant trop sous-estimé. Mais toi, toi tu avais su voir son potentiel, tu avais su voir tout ce qu'elle pouvait t'apporter. Tu l'avais donc envouté et poussé à s'introduire dans la chambre d'Antiope pour l'assassiner dans son sommeil. Ariane était un visage connu, un visage familier, sa présence n'avait pas, pour le moins du monde, inquiété. Et cette nuit là, à travers son regard, à travers ses mains, tu avais senti le dernier souffle d'Antiope sur ta peau. Un véritable délice. Le reste suivrait tel un effet dominos. Ton plan avait fonctionné à merveille et il ne t'avait plus resté qu'à admirer la chute. Les Amazones avaient blâmé Thésée qui les avait blâmé en retour. Une nouvelle guerre s'était ouverte et tu avais consciencieusement entretenu les brasiers de la colère jusqu'à ce que les Amazones disparaissent, complètement. Du moins, tu l'avais cru. Tu avais cru en ta victoire, en votre victoire. Tu te rendrais compte plusieurs siècles plus tard qu'il ne fallait jamais se fier aux apparences, encore moins en temps de guerre. Encore moins lorsqu'il s'agissait d'Amazones...

Chapitre III

Assurément le plus court car toujours en cours d'écriture. Celui-ci commence avec une Amazone. Une princesse, une héroïne. Vous la surnommez Wonder Woman... Celle là, tu ne l'avais pas vu venir non plus et quand tu avais découvert son existence, c'était un euphémisme de dire que tu avais été déroutée et désappointée. Les Amazones étaient de l'histoire ancienne et les voir ainsi ressurgir t'avait fortement déplu, te poussant même à sortir de l'ombre, là où pourtant tu te complaisais depuis des siècles. Mais cette princesse des Amazones, elle faisait étrangement écho à la prophétie que t'avait énoncé Hécate avant d'échanger vos âmes et de disparaitre. Une prophétie que tu avais à l'époque pris à la légère, sans même vraiment prêter attention à son contenu. Tu étais bien trop galvanisée par tes nouveaux pouvoirs et ta nouvelle puissance. Mais dès lors que ton regard s'était posé sur cette Amazone, la voix d'Hécate avait sonné comme le glas qui résonne. "À la mort de la sorcière, provoquée par la main de la guerrière, Hécate, par son nom et son choix, reprendra son âme." Traduction, elle reprendrait tes pouvoirs, ta chair et ton sang. Tu disparaitrais à tout jamais. Et tout ce que tu avais construit, tout ce pourquoi tu t'étais battue, disparaitrait avec toi. Tu n'avais aucune certitude sur le fait que cette Wonder Woman pouvait être la guerrière en question... mais le simple et raisonnable doute l'emportait sur tout. Tu devais l'éliminer avant qu'elle n'ait une chance de le faire elle même. Une nouvelle fois, tu allais devoir mener une guerre contre les Amazones. Tu ferais sans doute appel à tes alliés du passé. Tu ferais sans doute appel à des alliés du présent. Tu ne savais pas encore, tu devais y réfléchir. Tu devais songer à toutes les possibilités et te parer à tous les plans. Mais s'il y avait bien une chose dont tu étais certaine, c'était que tu n'avais pas droit à l'erreur. Les prophéties sont des choses bien immatériels que l'on a tendance à oublier, à sous-estimer. Mais s'il y a bien une chose que tu as apprise au cours de ta longue existence, c'est que tôt ou tard, si personne ne s'obstine à les contrer, elles finissent toujours par se réaliser. Impensable, tu ne pouvais laisser faire ça. Tu avais été trop négligente, te reposant sur tes lauriers, tu devais y remédier. N'ayant aucune certitude, tu devais toutes les éliminer, sans autre forme de procès. Peut être t'évertuerais-tu à le faire pour rien. Peut être que cette guerrière serait tout autre. Mais dans tous les cas, tu savais que tu ne perdrais pas ton temps car, au delà de cette prophétie, au delà de cette crainte purement égoïste d'y laisser ta propre vie, tu avais aussi et surtout un travail à terminer.

Malheureusement, ces dernières années, beaucoup de contre-temps t'ont ralenti et freiné. Les Hommes, de par leur faiblesse et leur cupidité, étaient devenus les cibles préférées de menaces insoupçonnées. Toutes ces années, tu étais restée spectatrice, fidèle à tes valeurs et à ta volonté d'équilibrer la balance. Ce n'était pas à toi d'intervenir pour protéger et défendre le royaume des Hommes. Bien sûr, voir cette Terre détruite n'était pas dans ton intérêt, tu ne voulais pas voir la fin de l'Humanité. Car même si tu étais désormais de l'ordre du divin, tu vivais et survivais dans leur royaume. Tu te considérais comme une déesse mais tu savais que tu n'en étais pas une. Alors tu n'intervenais pas mais tu observais. Prête à intervenir en dernier recours. Mais les héros de cette Terre s'étaient finalement montrés à la hauteur. Contre le général Zod, contre Darkseid, contre le Syndicat du Crime, contre les sept péchés capitaux, assurément ta menace préférée, celle qui t'avait le plus diverti... Mais récemment, une nouvelle menace, plus lourde, plus imposante et plus inquiétante, te fait beaucoup réfléchir sur ta prise de position. Brainiac... Tu n'avais pas été téléportée sur New Themyscira, tu avais été figée sur ton île durant six longs mois. Une grande première en quatre mille ans d'existence. Et cela, tu ne le supportais pas. Tu avais pour principe de pas intervenir pour défendre ou protéger. Toi, tu n'étais là que pour instiller la peur, le chaos et la guerre. Mais cette fois-ci, tu avais été affectée, au même titre que les Hommes. Ce Brainiac méritait donc certainement que tu remettes en question certains de tes principes. Un sujet sur lequel tu réfléchis beaucoup sans en oublier pour autant ton objectif principal... jamais.