Children shouldn't play with dead things || John & Boston

Children shouldn't play with dead things

Il n’y avait qu’une seule route pour accéder à Stonemouth. Il faut dire que pas grand-monde ne devait vouloir y accéder. Petite ville de campagne éloignée de tout, quelques centaines d'âmes, entourée de champs, autour de laquelle s’enroulait une rivière qu’il fallait traverser via un vieux pont métallique pour atteindre les premières maisons… Ce que n’avait pas fait Zee pour le moment. Il n’y avait qu’une seule route, et pour l’heure ladite route s’enfonçait dans un épais brouillard humide qui générait une atmosphère crépusculaire alors qu’on n’était même pas encore le soir – elle avait bien pris garde à l’heure en donnant rendez-vous ici à John et à Boston. Elle faisait les cent pas sur le goudron abîmé, fouillant nerveusement des yeux les arbres bordant cette stupide route et ce stupide brouillard d’où émergeaient au loin les silhouettes trapues de ce qui ressemblaient à des bâtiments, mais ça aurait aussi bien pu être Cthulhu se promenant dans le coin. Elle tripotait l’arcane de tarot du Pendu que Mme Xanadu avait laissée la veille sur son oreiller elle ne savait comment. Avant ça, elle avait tenté de la contacter en rêve deux fois, parce que le téléphone, c'était trop mainstream pour elle, s’incrustant dans ses cauchemars sans ménagement. Et ça ne coûtait rien de juste écouter l’immortelle. Cela ne l’engageait à rien. N’est-ce pas ? Zee en faisait toutes les nuits ou presque, des cauchemars, en général à base de démon portant son visage rampant dans le noir pour s’inviter de nouveau dans son esprit, et à défaut d’étrangler John dans son sommeil comme elle en rêvait, elle lui en avait donné, des coups bien réels, en se débattant pour s’arracher à ces visions d’horreur. Mais à côté des songes de Mme Xanadu, c’était de la petite bière. Tout était très vivace, avec la voyante, et elle rêvait toujours d’apocalypses globalisées, elle. Zee n’aurait pas aimé être à sa place. Bref, au réveil, elle avait trouvé la carte, et s’était rendu à l’Oblivion Bar pour parler à l’immortelle, savoir ce qu’elle voulait.

« Tu es une adulte, majeure, vaccinée, fonctionnelle et tout. » Zee hocha la tête. « T’es censée, en plus, être la plus adulte dans le coin. Pas du genre à te planquer derrière le bar pour câliner une bouteille. » Zee hocha la tête et resserra sa prise sur la bouteille de Jack Daniel’s qu’elle avait pris au pif dans la réserve, non pas pour boire mais simplement pour s’occuper les mains. « Et puis t’es ridicule, il va bien falloir que tu sortes de là si tu attends quelqu’un. » Traci s’arrêta devant elle et la regarda de haut, furieuse. « Ce que je veux dire, c’est que tu me gênes, là, bordel ! Bouge ! Et donne-moi ça, j’en ai besoin, on a des candidats sérieux, ce soir. » Zee roula sur une fesse pour permettre à la barmaid mineure d’ouvrir le placard contre lequel la magicienne était assise, par terre, derrière le bar, à l’abri des regards, puis laissa l’adolescente lui arracher la bouteille de whisky avec un faible chouinement. C’était la première fois que Zee se rendait à l’Oblivion Bar depuis que Nebiros s’était tiré. Elle ne savait pas ce que le monde occulte avait entendu dire de ce qu’elle avait fait, ce qu’il avait ressenti ou pas, encore moins ce qu’il en pensait, mais depuis son arrivée, elle n’avait pas eu le courage de se montrer en public. Traci fit claquer son torchon devant son visage. « Dégage ! » La magicienne se leva, apparaissant derrière le bar comme par magie. Et personne ne sembla la remarquer. Elle regarda la faune présente, reconnut quelques visages, croisa quelques regards, répondit à quelques saluts, évita violemment de croiser les yeux de Shade. « Tu vois ? Tout le monde s’en fout, de toi. Tout va bien », fit Traci en passant derrière elle pour servir Frankenstein qui vacillait méchamment au-dessus du comptoir. Ce dernier leva un œil trouble vers la magicienne. « Natzana Traaza… » réussit-il à éructer d’un air penaud.

Bref, Xanadu s’était pointée et elles avaient vaguement papoté. Il se passait « quelque chose » « quelque part », qui nécessitait l’attention de la Justice League Dark. Stonemouth, le nom de la ville, qui brûlait dans les flammes dans les visions de la voyante, une métaphore pour un mal pernicieux et occulte, d’après elle. Zee était rentrée à la Maison du mystère, elle en avait parlé à John. Parce qu’elle savait qu’elle aurait du mal à ignorer la demande de Xanadu, alors que lui en était capable, et pouvait même la convaincre. En tout cas il avait essayé. Vraiment. Et elle avait espéré qu’il la convainque. Vraiment. Elle avait cogité toute la nuit. Elle l’avait secoué vers quatre heures du mat’ pour lui dire qu’il fallait vraiment qu’ils jettent un coup d’œil, au moins ça. Juste ça. C’était trois fois rien, non ? Elle ne savait pas si elle l’avait convaincue. Elle avait peur d’un tas de choses : d’y aller, déjà. De devoir faire quelque chose. Et aussi, de trahir John, de trahir ce consensus entre eux, qui faisait que tout semblait si bien aller entre eux. Comme si leur relation dépendait de leur implication dans le monde. Comme si elle s’apprêtait à tout gâcher, pour un caprice, pour se donner l’impression que rien n’avait changé et qu’elle pouvait toujours faire preuve de compassion et s’inquiéter pour son prochain. Elle lui avait dit qu’elle l’attendrait ici, sans savoir s’il allait venir. En fait, elle se disait qu’il viendrait probablement même s’il n’en avait pas envie parce qu’il avait ce truc de la synchronicité fort bien pratique. Et un peu aussi parce qu’elle le lui avait demandé.

Elle avait appelé quelqu’un d’autre à la rescousse. D’après le peu que lui avait raconté Xanadu, elle aurait besoin de lui – toute une ville avait besoin de lui. Et puis Boston et John s’entendaient bien. Quand elle pensait à la Justice League Dark, elle se livrait toujours à des acrobaties mentales pour bricoler des équipes à la fois utiles pour le job et qui en même temps pouvaient fonctionner un minimum – souvent en vain. Mais elle espérait que Boston répondrait à son message stupide où elle ne lui expliquait rien, comptant simplement sur le fait qu’il était du genre à répondre à un appel à l’aide. Elle ne savait pas comment il faisait pour avoir un téléphone. Il y avait des tas de choses que Boston faisait et qui demeuraient un mystère. Mais ce dont elle était sûre, en ce qui le concernait, c’était qu’il allait venir. Et même qu’il ne s’en irait pas une fois qu’elle lui aurait expliqué de quoi il retournait. Du coup, elle était là à faire les cent pas, avec l’impression que la brume devant elle pulsait d’une énergie dégoûtante – il était évident, même d’ici, qu’il y avait un problème à Stonemouth, bordel. Et elle savait déjà qu’elle allait s’en mêler. Elle resserra sa veste en cuir sur elle. Elle espérait juste ne pas le faire toute seule. Même si comme d’habitude, il n’y avait pas de plan. Pas d’anticipation de rien. Et aussi, elle espérait que ces silhouettes tordues un peu plus loin n’étaient que des arbres morts au bord de la route.

Codage par Libella sur Graphiorum

« … » « … » « … non mais ça y est, je me souviens pourquoi on t’invite jamais nulle part. » « Eclaire donc ma lanterne, Constantine. » « T’es chiant à mourir. » Si le Phantom Stranger n’était pas réputé pour être plus impassible et indéchiffrable qu’un sphinx, John aurait juré le voir se renfrogner, à cet instant, alors qu’ils étaient tous les deux assis au comptoir d’un pub dans l’East End londonien. Sentant l’impatience le gagner, John soupira et pivota sur son tabouret, pinte en main, se demandant s’il venait de réussir à vexer un immortel – mais à sa décharge, le Stranger n’était vraiment pas ce qu’on pouvait appeler une compagnie festive, ni même distrayante. Au moins, on ne pourrait pas dire que John n’avait pas fait d’efforts. Est-ce qu’il avait laissé les suppositions de Zee quant à la solitude et au malheur résigné du Stranger lui monter à la tête, et planter la petite graine de la culpabilité dans son esprit, au souvenir de la façon dont il l’avait parfois traité par le passé, d’anniversaires et autres occasions de réjouissances où il avait, fort pratiquement, oublié de l’inviter ? Pour faire court, oui. Et comme, ces derniers temps, John Constantine tentait de prendre de bonnes résolutions, il avait décidé, dans ce qu’il ne pourrait maintenant que qualifier d’un accès de folie parfaitement inconsciente, d’inviter le malheureux Phantom Stranger à venir boire un verre avec lui. Bon d’accord, avec lui, et Doctor Occult, et Mister E, sauf qu’Occult et son alter ego Rose Psychic avaient eu un empêchement de dernière minute, et que ce cinglé de E s’était contenté de l’insulter copieusement en lui promettant la damnation éternelle, puis son monologue avait été interrompu par, semblait-il, les vampires qu’il tentait de chasser avant que John ne l’interrompe avec son invitation. Donc, il n’avait resté que lui, et le Phantom Stranger, dont les talents d’adaptation sociale avec les humains avoisinaient celles de l’huître. Voilà ce qu’il récoltait pour sa peine, lui qui, pour une fois, essayait de se montrer sympa. Personne ne leur prêtait attention, dans ce pub où l’air lourd portait des effluves d’alcool, de tabac froid et de fatigue journalière, mais ça n’empêchait pas John d’avoir l’impression qu’ils détonnaient dans l’assemblée, tous les deux. Sur l’écran de télévision accroché au mur, le journal télévisé annonçait les dernières nouvelles en attendant le début d’un match de foot. Liverpool-Manchester. Bon. Au moins pourrait-il peut-être initier son inepte camarade à cette ancienne et noble tradition britannique.

Enfin, c’était ce qu’il se disait, jusqu’à ce qu’un sous-titre, le genre de sous-titre en tout petit auquel personne ne prête attention, bien trop occupé à secouer la tête ou se désintéresser des dernières déclarations de cet incapable patenté de Premier Ministre, n’attire son attention à lui, Constantine, l’homme à qui rien n’échappait, et surtout pas quand il le voulait. « Stonemouth, ça te dit quelque chose ? » demanda John à son camarade, en laissant son dos aller contre le comptoir. Comme par magie, le Phantom Stranger s’arracha à son immobilisme et son mutisme pour jeter un œil à la télévision, puis à John. « Madame Xanadu a mentionné ce nom à l’Oblivion Bar. » répondit-il de sa voix éthérée et immatérielle. « Il s’y passe quelque chose. Et Zatanna t’a demandé de l’assister afin de contrôler ce qu’il peut s’y dérouler. » « Décidément, on ne peut rien ta cacher. » « Vas-tu y aller ? » « Je devrais ? » L’affrontement de regards qui s’ensuivit aurait pu, aurait dû, même, rester dans les annales. Puis John fut le premier à jeter l’éponge, parce que soutenir le regard très et brillant du Phantom Stranger était à peu près impossible, même pour le plus entêté des idiots. John soupira derechef. « C’était bien tant que ça durait, ces vacances. » marmonna-t-il, fataliste et philosophe. Allons. Même si lui et Zee s’étaient promis de se tenir éloigner des ennuis, des fins du monde et autres désastres occultes, avaient-ils vraiment cru, l’un comme l’autre, pouvoir s’y tenir ? Zee avait un compas moral bien trop aiguisé pour détourner le regard quand quelque chose pas, et lui… lui ne pouvait jamais se tenir éloigné du bizarre, de l’inattendu et du creepy bien longtemps, même s’il avait vachement bien essayé de s’en convaincre. « J’ai cru comprendre qu’elle avait également requis l’assistance de notre ami Deadman. » « Je suis perdu, t’essayes de me convaincre d’y aller, ou de ne pas y aller ? » rétorqua John avec la plus parfaite mauvaise foi du monde. Et s’il n’avait pas su cela parfaitement impossible dans tout le cosmos, il aurait pu jurer voir l’ombre d’un sourire soulever le coin de la bouche du Stranger. « … on aura tout vu. » soupira-t-il, avant de s’emparer de sa pinte. Quoiqu’il se passe à Stonemouth, ça n’était rien qui ne pourrait pas attendre qu’il ait fini son verre en bonne et due forme.

« Le décor est sympa, mais ça manque d’animation. » lança John en tirant sur sa cigarette, alors qu’il se matérialisait derrière Zatanna – pas littéralement, évidemment, mais il aimait ménager ses entrées, et priait son public de lui laisser ce petit plaisir, merci bien. Et il n’exagérait pas. Stonemouth, de loin, n’aurait pas pu plus ressembler à un village fantôme si elle avait essayé. Le brouillard chargeait l’air d’humidité, portant avec lui un parfum bien identifiable de terre mouillée et de bois pourri. Le soleil, pâle et maladif, se cachait derrière les nuages, et semblait parfaitement incapable de monter plus haut dans le ciel, malgré l’heure qu’il était. Et partout, irradiant de la terre, irradiant de ce village dont il distinguait les contours de l’autre côté du pont, cette aura, cette énergie malaisante et mortifère, qui lui confirma, encore mieux que n’importe quel possible récit de Xanadu ou du Stranger, que quelque chose ne tournait vraiment pas rond dans ce patelin. « C’est la rentrée des classes, alors ? Xanadu nous envoie directement en travaux pratiques pour reprendre en douceur ? » Evidemment, avec les travaux de groupe revenaient immanquablement son attitude de pitre individualiste – mais il était là, et malgré son choix lexical, ni rancœur ni inimitié ne transpirait dans ses paroles, et c’est un intérêt réel qui brillait dans son regard alors qu’il détaillait la petite ville du regard. Il n’en voulait pas à Zee de l’avoir embarqué là-dedans – seulement de l’avoir réveillé à quatre heures du matin – et au fond, qu’est-ce que ça changeait à leurs bonnes résolutions ? Ils pouvaient bien jeter un œil, élucider le mystère, et contenir le problème sans en arriver à déclencher une nouvelle apocalypse, non ? Chassant de son esprit la pensée qui lui soufflait que c’était exactement le raisonnement que suivraient deux accros, John relâcha dans l’air la fumée de sa cigarette. « Alors comme ça tu t’es planquée derrière le bar de Traci, à l’Oblivion ? » glissa-t-il à sa princesse qui parle à l’envers – et oui, le Phantom Stranger avait fini par lui en dire un peu plus, et John allait profiter de leur solitude pour étouffer ses possibles protestations d’un baiser, sauf qu’une nouvelle aura, bien familière, se fit un peu trop vite sentir dans les parages, et John, à la place, étouffa un juron bougon, avant de s’éloigner d’elle. « Boston. Ca faisait une paye. » Bon d’accord. Il faisait un peu la gueule, mais était-il content de le revoir, ce sacré fantôme, après leur dernière rencontre pour le moins sensible pour affronter Nebiros ? Un peu. Peut-être. Mais comme il serait bien trop content de le charrier à ce sujet, Boston, il s’abstint de le lui dire un peu trop expressément. « L’équipe originelle réunie. On dirait presque un reboot, vous trouvez pas ? » s’amusa-t-il, flanqué de ses deux camarades.

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