Rachel Roth ☾ Raven

Des cendres tout autour de toi, tu peinais à voir, tu ne savais plus où tu étais. Tu ne savais plus ni le jour ni l'année. Tu ne savais plus qui tu étais, ce que tu avais fait. Tu ne savais qu'une seule chose, le mal rôdait. Le mal avait triomphé. Péniblement, tu te relevais, soulevant avec toi un nuage de poussière tandis qu'une goutte de sang perlait sur ta lèvre supérieure. Tu l'essuyais nonchalamment d'un revers de la main et tu clignais des yeux, comme si cela pouvait t'aider à y voir plus clair. Tu tremblais de tout ton être, chaque partie de ton corps n'était que souffrance. Tu cherchais de l'air, tu n'arrivais plus à respirer. Tu n'entendais presque rien, comme si tes tympans avaient été tous deux percés. Le sang qui s'en échappait ne faisait que confirmer cette hypothèse. En revanche, ton odorat n'avait pas été altéré lui, tu sentais parfaitement cette odeur que tu ne connaissais que trop bien, l'odeur de la mort. Mais ce qui t'avait le plus frappé, ce n'était pas cela. Ce qui t'avait le plus frappé, c'était le vide, le néant. Toi qui devais sans cesse lutter contre tes émotions et celles des autres pour ne pas qu'elles te submergent... Pour la première fois de ton existence, tu étais... en paix. Plus aucune lutte, plus aucune émotion, plus aucune âme qui vive.

C'était le vide autour de toi, la destruction, le chaos, la fin. Tu avais déjà vécu une situation similaire, lorsque le monde qui t'avait vu naître avait été détruit par ton père. Azarath... Mais ce n'était pas ce monde, ce n'était pas un souvenir, tu n'étais pas revenue dans le passé. C'était bel et bien le présent, le douloureux présent. C'était la Terre. Les larmes montaient mais tu les retenais. La colère montait mais tu la retenais elle aussi. Parce que tu avais toujours appris à faire cela, à te contenir, à retenir. Un pas après l'autre, tu avançais lentement parmi les décombres jonchées de cadavres. Tu reconnaissais certaines silhouettes, certains symboles. Ton cœur et tes poings se serraient. Tu continuais à avancer. Quelques mètres devant toi, un long et large mur se dressait. Tu avançais vers lui. Et plus tu t'en rapprochais, plus tu te rendais compte qu'il ne s'agissait pas d'un mur mais d'un immense miroir. Tu voyais à peine ton reflet à travers les cendres et la poussière. Pourtant, le miroir, lui, était étonnamment propre. Tu le fixais, comme hypnotisée, appelée par lui. Attirée comme un insecte par la lumière. Et soudain tout devenait clair. Tu te voyais enfin. Tu étais dans un piteux état mais tu n'en avais que faire. Tu ne cherchais même pas à comprendre si tu étais blessée. Tu t'en fichais. Tu restais alors là à te regarder, comme en état de choc. Comme si tu ne contrôlais plus rien. Non, en fait, tu ne contrôlais plus rien. Tu savais très bien ce que tout cela signifiait. Et très vite ton reflet te le confirmer. Ton visage se déformait laissant apparaitre en transparence celui de ton père, Trigon.

« Bon anniversaire ma fille. Je suis si fier de ton œuvre. »

Te disait-il dans un sourire à glacer le sang. Vos deux visages se fondaient l'un dans l'autre, formant une entité démoniaque terrifiante. La prophétie, elle s'était réalisée. Trigon avait réussi à t'utiliser pour détruire l'humanité et cette fois-ci, personne n'avait pu l'en empêcher, personne, même pas toi. Tu voulais hurler, tu voulais crier ta peine, ta rage, ta honte et ton dégout pour celui qui t'avait donné la vie mais aucun son ne sortait de ta bouche. Tu te réveillais alors en sueur dans ton lit. Cauchemar, prémonition, élucubration... Tu ne le sauras peut être jamais. Mais cette nuit là, cette nuit là tu avais dû méditer plus fort que jamais pour contenir cette terreur qui s'était emparée de tout ton être. Tu avais médité jusqu'à l'aube, incapable de te rendormir.


Assise devant ton petit miroir, tu admirais, des étoiles plein les yeux, cette magnifique pierre rouge vif qui trônait désormais au milieu de ton front. Le Chakra, tel était son nom. Azar te l'avait offert le jour de tes neuf ans, lorsque tes pouvoirs commençaient réellement à se manifester et à te donner du fil à retordre. Tu ne comprenais pas vraiment ce qu'il se passait, tous ces changements, toutes ces questions... et cette présence, étrange et malveillante au fond de ton être. Tu avais bien remarqué que quelque chose changeait en toi, tu avais bien remarqué que le regard des autres avait changé sur toi. Même si tu avais toujours été mise à l'écart, Azar ayant intimé comme ordre aux habitants d'Azarath d'éviter tout contact et sentiment avec toi... Pourquoi? Pourquoi t’infliger cela? Pourquoi faire preuve d'une telle cruauté? Tout simplement pour empêcher Trigon de te localiser. Azar ne l'avait pas fait de bon cœur, elle s'était prise d'une affection sincère pour toi... Mais elle avait du se résoudre à un tel choix pour te protéger toi, toi et le peuple d'Azarath, toi et tous les autres peuples. Tu étais jeune et perdue mais la grande prêtresse avait su te rassurer et t'expliquer. La pilule avait été dure à avaler. Tu n'étais qu'une enfant. Tu avais peur. Mais avec les bons mots et la bienveillance d'une mère, Azar t'avait donné toutes les clés pour surmonter cette première épreuve. Aujourd'hui, tu te souviens encore de ses longs cheveux blancs, de son regard emprunt d'une bienveillance pure et inconditionnelle. Tu n'as jamais réellement connu ta mère biologique ou tissé de liens avec elle, mais Azar était indubitablement ce qui se rapprochait le plus d'une figure maternelle pour toi. Alors, quand elle t'avait offert cette pierre pour te permettre de canaliser au mieux tes émotions les plus sombres, tu avais chéri ce cadeau comme s'il s'agissait de l'objet le plus précieux qu'il t'ait jamais été donné de voir. Le cadeau d'une mère à son enfant. L'offrande d'un mentor à son élève. Cette pierre tu la portes encore aujourd'hui et tu ne t'en sépareras jamais. Lorsque tu es Rachel Roth, tu la dissimules élégamment sous forme de pendentif mais lorsque tu es Raven... Lorsque tu es Raven, tu l'arbores à nouveau fièrement là où est sa place, au milieu de ton front. Hommage à celle qui t'a élevé et tout appris. Filet de secours en cas dérapage, au cas où tu perdrais pied. Jamais tu ne t'en sépareras. Tout comme tu ne te sépareras jamais des anneaux d'Azar. Deux bagues identiques que la matriarche t'a offert avant de mourir. Il s'agit de deux magnifiques, et pourtant simples, anneaux dorés, ornés de symboles pourpres d'Azarath. Tu en portes un à chaque main et n'évoque jamais leur provenance ou leur signification. Tu ne sais d'ailleurs pas toi même que l'âme d'Azar s'y est réfugiée à sa mort, attendant sagement que tu es besoin d'elle, et de ses pouvoirs, pour contrer l'influence démoniaque de ton père. De l'au-delà, Azar veille toujours sur toi et un jour, tu le découvriras...


Après six mois de survie plus qu'éprouvants sur New Themyscira, toi et les autres habitants de Terre 1, enlevés par Brainiac, sortaient enfin victorieux de cette expérience, de cette mascarade. La victoire était cependant amère car les rescapés de tout un peuple s’étaient sacrifiés pour vous offrir une chance de ne pas subir le même sort qu'eux. Lors de ton retour sur Terre, le constat avait été terrifiant. Vous aviez gagné mais le mal était fait. Brainiac avait instillé la noirceur dans vos terres, il avait éborgné l’équilibre déjà instable de votre société. Il avait plongeait votre monde dans un chaos qu'il serait dur d'annihiler. Voir la Terre et ses habitants dans un tel état t'avait bien évidemment rappeler le triste sort d'Azarath et tu t'étais alors promis de tout faire pour empêcher un autre tyran de détruire tout un peuple. Tu avais tout fait pour aider la Terre et ses habitants à se relever. Et quand l'invasion de Brainiac avait commencé, tu n'avais pas rechigné à la tâche, tu avais lutter comme une acharnée, contre ses attaques, mais aussi contre tes émotions, pour sauver l'Humanité. Ce fut un long et difficile travail d'équipe mais finalement vous aviez réussi. Brainiac était mort. La Terre était sauvée. Quelle joie, quelle soulagement. Tu n'en montrais rien mais tu étais heureuse. Cette fois-ci, tu n'avais pas échoué même si tu n'avais été qu'un soldat parmi les autres. Malheureusement, Coast City fut la dernière victime de Brainiac d'outre-tombe... et des centaines de milliers de civils perdirent la vie. Un échec et une perte extrêmement douloureux pour le peuple de la Terre et leurs gardiens. Tu n'y échappas pas. Ce drame t'avait atteint, bien plus que tu ne voulais bien l'admettre, bien plus qu'il ne devait le faire. Tes émotions étaient chamboulées. Tu étais devenue dangereuse Raven, tu le savais et ceux qui te surveillaient aussi. Tu t'étais alors enfermée, te plongeant dans la méditation et les livres pour fuir tes émotions, ce chagrin terrible qui te rappelait tout ce que tu avais déjà perdu par le passé. Cela fut long et difficile mais tu parvins, grâce au Chakra, grâce à ta force et à ta détermination, à te relever. Lorsque tu émergeais de ton exil forcé, tu découvrais alors avec effroi l’œuvre du Peuple, une organisation terroriste anti-métahumains. L'identité de nombreux héros avait été injustement dévoilée. Toi qui avais toujours tout fait pour préserver ton anonymat et celui de tes alliés, tu comprenais aisément les désagréments que tout cela pouvait provoqué à ceux et celles qui avaient perdu leur jardin secret. Tu ne savais pas encore comment mais tu allais tout faire pour leur venir en aide.

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