Un incident, tes secrets, ma consternation [Pv : Layla]

Quand elle s’était demandé comment elle allait bien pouvoir briser la glace avec Victor, ça n’était pas tout à fait à ça qu’elle s’était attendue. Ni qu’elle avait souhaité. Mille fois, elle avait joué les scénarios possibles dans sa tête : lui, lui hurlant dessus sitôt qu’il la verrait apparaître ; une tempête les interrompant soudainement ; une attaque de braconniers ; des réconciliations immédiates. Tout, elle avait tout imaginé. Sauf, évidemment, le plus improbable : une noyade. Lorsqu’elle avait quitté le bateau sur lequel elle et Floyd avaient trouvé refuge depuis maintenant plusieurs semaines, Layla avait plongé à l’eau avec des nœuds dans l’estomac, anticipant non sans appréhension ses retrouvailles avec son capitaine, mentor, ami. Il y a peu de gens dans son existence que Layla n’a pas envie de décevoir, et pourtant, d’une façon ou d’une autre, elle a réussi à tous leur jouer le même tour. Floyd. Orm. Ses parents. Et maintenant, Victor. Il n’est que le dernier d’une liste désormais bien trop longue à son goût, et bon sang, il n’est vraiment pas des moindres. Malheureusement, songe-t-elle en filant à travers le Clear en guise de raccourci, elle sait qu’elle n’a plus le choix. Des choix, elle en a fait ; sans doute très discutables. Dans l’eau cristalline et antique du Clear, son expression se teinte de tristesse et de résignation. Si aujourd’hui doit être la dernière fois qu’elle voit Victor, qu’elle a l’occasion de lui parler, avant qu’il ne la bannisse de sa vie, alors elle tient, au moins pour cette fois, à faire les choses correctement.

Evidemment, elle ne s’était pas attendue à l’éventualité de ne même pas pouvoir lui parler de quoi que ce soit pour cause de noyade sauvage au large de Coast City. Elle le voit sitôt qu’elle se matérialise dans un torrent de bulles aux abords du point de rendez-vous, l’homme qui se débat sous l’eau, luttant pour conserver dans ses poumons le peu d’oxygène qu’il lui reste. Sous l’eau, Layla écarquille les yeux, sent son cœur chuter de plusieurs étages dans sa poitrine en reconnaissant le visage contorsionné qui lui fait face. What the fuck, Victor. Précipitamment, la jeune femme s’élance, se propulse à travers un courant pour atteindre son capitaine – bloqué par un débris. Ce qu’il fabrique sous ce débris en premier lieu, elle aura bien le temps de le lui demander plus tard : d’abord, le tirer de là avant qu’il ne soit trop tard. Rapidement, Layla prend appui, se saisit de l’imposant résidu à deux mains, et tire de toutes ses forces, n’hésite pas à donner des coups de pieds en espérant libérer Victor de ce piège qui l’entraîne doucement, mais sûrement vers les tréfonds des abysses. Allez, bon sang, lâche ! s’époumone-t-elle intérieurement. Enfin, avec un craquement sonore étouffé par l’eau tout autour d’eux, le débris cède, consent enfin à libérer son otage ; avant qu’il ne puisse se faire à nouveau entraîner, Layla attrape Victor en nouant les bras autour de son torse et le tire vers la surface. Priant, bien évidemment, qu’il ne soit pas trop tard.

Elle crève la surface de l’eau en prenant une grande inspiration, une main s’accrochant fébrilement au premier barreau de l’échelle du bateau. « Victor ?! » appelle-t-elle en tentant tant bien que mal de lui maintenir la tête hors de l’eau. N’obtenant pas de réponse, elle s’agrippe aux échelons, et, tant bien que mal, avec force grognements et jurons étouffés dans sa barbe, hisse son casse-cou de capitaine à bord. « Victor ! Hé ! Réveille-toi, bordel ! » s’écrie-t-elle en le secouant comme elle le peut – quand enfin, le pauvre homme recrache l’eau qui a eu le bon goût de s’infiltrer dans ses poumons, revient à la vie, même si douloureusement. Soulagée au-delà de ce qu’elle aurait été capable de formuler, Layla pousse un long soupir, et se laisse retomber sur le ponton. « Bon dieu, tu m’as foutu une de ces frousses… » marmonne-t-elle en le fusillant du regard, avant de repousser sa tignasse brune détrempée de ses yeux. Tu parles de retrouvailles, tiens. « … qu’est-ce que tu foutais sous un débris dans l’eau ? » Une question comme une autre pour briser la glace, non ? Le dos appuyé contre le mât, elle cherche son regard, à Victor. Est-ce qu’il est fâché ? Content d’être en vie ? Est-ce que sa quasi-noyade lui a causé une amnésie partielle ? Tant de questions, si peu de réponses encore. « Même en solitaire, tu peux pas t’empêcher de jouer au héros des fonds marins, hein ? » Une esquisse de sourire moqueur – mais sourire quand même – vient ourler le coin de ses lèvres. Bon sang, elle sait qu’elle va sûrement se prendre une dérouillée mais – qu’est-ce qu’elle est heureuse de le voir, ce vieux loup de mer.

AVENGEDINCHAINS