(mera) ✲ « i am the sea and nobody owns me »

Les yeux sont livides. Ils se plongent à l’intérieur d’un récipient vide et dénuer de valeur. Plonger un regard d’autrui dans ces yeux et l’on verra que l’âme de cette personne est meurtrie. Meurtrie par une disparition. Meurtrie par une perte douloureuse et inattendue. Une larme tente de prendre la fuite. Elle tente de s’échapper des iris de la future reine pour entamer un long chemin périlleux jusqu’à une descente terrible et finale. Cette future reine… C’est moi… Je ne parviens pas à pouvoir me résoudre que la Reine Atlanna ne soit plus parmi nous, ne soit plus de ce monde. J’éprouve de la difficulté à cacher mes émotions en cet instant précis. Un lien vient de se dissoudre. Une relation riche, fusionnelle et fraternelle venait de voler en éclats… Une femme immense. Une femme au grand cœur vient de quitter ce monde alors qu’elle venait tout juste de retrouver son seul et unique enfant… Alors que cet enfant grandissant, évoluant, devenu un beau jeune homme ne pourra alors jamais recevoir de longues conversations avec sa mère. Le résultat d’un seul et unique être abject et dénudé de sentiments, ou même de moral. Il se fait prétendre être le fils de la Reine, le demi-frère du fils orphelin. Pour moi, il n’est qu’un homme à abattre.

« Reine… ? » Je ne me retourne pas. Mon corps demeure figé dans de la glace, dans du béton armé. Pourtant, seule ma main trouve la force nécessaire pour combattre ce mauvais sort afin de remonter vers mon visage et de chasser d’un revers de main la larme qui peinait à glisser le long de ma joue. « Reine… ? Reine, vous m’entendez… ? » Le soldat se rapproche un peu plus de ma silhouette. Certainement que quelques centimètres nous séparaient. Je n’en ai aucune idée et je ne m’en soucie nullement d’ailleurs. Mais, face à l’insistance de ce dernier, mes lèvres s’entrouvrent, sans que mon corps ne se retourne cependant pour lui faire face : « Cessez de m’appeler ainsi. Je ne suis pas votre Reine. » Je ne veux pas l’être. Beaucoup s’obstinent à penser que je le deviendrais, car je serais l’épouse du fils légitime d’Atlanna, Arthur. Bien que mon cœur commence à ressentir des sentiments qui dépassent de loin ma pensée, je ne me sens pas prête à faire face à cette nouvelle réalité, à ce nouveau destin. Un destin qui avait croisé ma route fût un temps… Un temps lugubre, un temps obscur où je demeurais encore à Xebel. Une dimension que j’ai dû fuir si je voulais vivre. J’y ai laissé un trône. J’y ai laissé un père sans cœur, un père sans sentiment. Puis-je même d’ailleurs l’appeler par ce terme ? Par pure gentillesse, certainement… « Rei… Hum… Mera… Le peuple a besoin de savoir du sort qu’il adviendra d’Atlantis. Et… Le fils de la Reine a besoin de votre soutien, de vos conseils, pour pouvoir mettre à bien le rôle qui lui a été attribué… » Je soupire. Un soupir qui se veut être silencieux néanmoins. Ce sont des propos dont je ne peux pas faire semblant d’ignorer. Je ne désire pas abandonner Arthur et le mettre en retrait, loin de là. Le deuil doit être autant difficile pour lui que ça ne l’est pour moi. Mon corps reprend conscience. Mes paupières se ferment alors. Je prends une profonde inspiration avant d’éclaircir la gorge. « Très bien. Je serais là dans quelques minutes. »


« Orin… ? » Mon corps se rapproche doucement vers le sien. Quelques centimètres nous séparent. Je suis face à son dos. Je me rapproche encore un petit instant. Mes bras glissent lentement autour de ses hanches. Ma tête se repose contre son dos, près de son épaule. Ces derniers jours n’ont pas été de tout repos. Bien qu’il ne veuille rien dévoiler à prime abord, je sais que son cœur pèse lourd. Un lourd poids dût à la disparition tragique de sa mère, de la main maudite de son demi-frère, jaloux du trône prôné par le fils légitime. D’autant plus qu’Arthur doit, à présent, gérer la lourde charge de pouvoir gérer un peuple tout entier, de pouvoir les mettre en confiance, de gagner leur confiance surtout et savoir les convaincre que, même s’il est le fils des deux mondes, rien ne changera sa loyauté envers Atlantis. Chaque civilisation possède des malfaiteurs, des personnes qui seraient prêtes à trahir, à « enfoncer » les meilleurs, à les discréditer aux yeux des citoyens. Tant que je serais là, je m’assurerais à ce qu’il n’ait pas à subir ce type de conflits, sans aucun intérêt. Mes paupières se sont fermées à l’instant même où je sens les paumes de mon compagnon se reposer contre les miennes, posées alors contre son ventre. « Je ne peux que comprendre ce que tu peux ressentir en ce moment… Tu agis de la meilleure des façons. Je tiens à ce que tu le saches. » En tant que femme, en tant que Reine, en tant que compagne, il est de mon devoir inné de pouvoir le rassurer, tout en ne lui cachant aucune vérité. Je me suis jurée que je ne pourrais rien lui cacher, et cela ne commencerait pas aujourd’hui. Un baiser se pose délicatement et précieusement contre son épaule. Mon menton s’y repose alors par la suite. « Je ne crois pas être à la hauteur, Mera… C’est un fardeau pénible à porter. Je veux lui rendre honneur, la rendre fière… Pourtant, j’ai toujours cette image en tête… Je n’ai qu’une seule envie… Le tuer… » Mes yeux se baissent alors. Un soupir discret s’extirpe de mes lèvres. Je sens ses paumes se refermer solidement contre mes mains. Je relève la tête. Je me décolle de son contact physique et me contente alors de le contourner pour pouvoir lui faire face et le regarder droit dans les yeux. Une main se pose solidement contre le haut de son torse. « Je peux te faire la promesse solennelle qu’elle sera vengée. Que ce soit de la manière la plus héroïque possible, ou de la manière la plus rude… Qu’importe… Je comprends ta colère, je peux te l’assurer. » Je laisse quelques secondes de silence s’interposer entre nos propos pour que mes yeux puissent bien soutenir son regard avant de finalement laisser mes lèvres se poser délicatement et en douceur contre les siennes pour échanger un doux et tendre baiser. Je viens alors l’entrelacer. Mes mains glissent derrière son dos et s’y posent en douceur. « Nous la vengerons, en temps voulu… » Je ne dis rien de plus. Je me contente juste de le serrer fort dans mes bras, contre moi. Les mots peuvent être ajoutés pour apporter davantage de détails, de précisions à une conversation. Entre Arthur et moi… Les gestes, le regard, le non-verbal suffit à nous comprendre. L’amour que je porte pour lui est tel que je serais prête à tout pour pouvoir le rendre heureux et le soulager. Une main glisse alors dans la crinière de ses cheveux tandis que mes lèvres dévient vers son oreille : « Je t’aime… » Une déclaration lourde de sentiments et de tant de paroles que seules lui pourra comprendre…


Sur Atlantis, le temps se déroule de façon paisible et sans tracas. Orin avait finalement réussi à apporter un peu de paix dans le cœur, dans l’âme de chaque citoyen de notre cité située dans les profondeurs des eaux. Evidemment, cette réussite ne connaît pas autant de succès que nous ne l’aurions voulu. Beaucoup agissent bien au-dessus des règles instaurées par Arthur. Beaucoup discréditent le souverain d’Atlantis, bien trop obnubilés par la lubie loufoque de leur prince Orm. Certains doutent sincèrement de la foi que peut avoir Arthur vis-à-vis du peuple terrestre. Bien que, généralement, les propos du Roi suffisent à faire taire les langues bien trop pendues, l’intervention de la Reine d’Atlantis peut s’avérer utile pour apporter davantage de soutien au souverain. Je n’hésite pas à le faire, tout en respectant la mémoire d’Atlanna, tout en veillant à me mettre à sa position et de quelle façon elle réagirait face à telle ou telle situation. Parfois, ce n’est pas chose aisée. Sa perte est encore présente dans nos cœurs. Néanmoins, je ne perds pas de vue l’objectif premier de mes fonctions. Je reste sur Atlantis afin de veiller sur nos habitants, sur mes élèves, sur mon école, tandis qu’Arthur s’occupe autant de la cité que de la Ligue de Justice ou encore des décrets, des négociations qu’il doit parfois apporter avec le peuple de la surface afin que nos deux civilisations puissent cohabiter sans entraver les habitants premiers de notre monde, de la vie, de la nature : les animaux marins.

La cohabitation avec le peuple terrestre n’est pas sans difficulté. Par les peu de fois où je me suis retrouvée à quitter mon royaume pour regagner celui de mon fiancé, j’ai eu des différends avec quelques personnes de la gente masculine. La manière qu’ont certains hommes à autant exploiter la femme me révulse. Au point où j’ai failli, où j’ai été à quelques centimètres de lui offrir les portes grandes ouvertes vers l’autre monde tant ses actes étaient inacceptables. Je suis sanguine. Je suis imprévisible. Je suis impulsive. Arthur réussit à me faire contrôler ces traits de ma personnalité, mais je reste celle que je suis, je ne pourrais pas tant changer cela. Néanmoins, cette rage est souvent bien utile durant nos missions ainsi que durant les missions qu’a la Ligue de Justice dont je n’hésite pas à apporter un coup de main si nécessaire. Un coup de main qui ne fut pas de trop lors de l’invasion d’extraterrestres sur le peuple terrestre. J’ignore comment le monde évoluera avec la manifestation de tant de présences funestes, de tant de personnalités si différentes qui peuvent être autant saines que dangereuses. Toutefois, tant que je serais présente, je ne cesserais de soutenir mon peuple, de soutenir mon souverain et ce, quoiqu’il puisse m’en coûter.