real or not real ? (LUCIAN, stval)

Et voilà, le piège s'est refermé sur eux. S'en sont-ils rendus compte ? Oui, le doute n'est plus permis. La véritable question, c'est de savoir si oui ou non ils en ont encore quelque chose à faire. C'est un comme un mélange de deux phénomènes distincts, l'Effet Papillon et la Loi de Murphy. Une révélation suffira à tout changer, et ce qui devra arriver arrivera. Alors, pourquoi lutter, à quoi bon ? Pourquoi, encore une fois, laisser la raison l'emporter sur le cœur ? La seule chose qui fasse encore hésiter Rosie, c'est la peur de l'inconnu. Le fameux saut en parachute... Elle a beau savoir qu'elle en meurt d'envie, elle ne peut pas se lancer dans l'aventure seule. Elle, elle sait depuis longtemps déjà ce qui devra arriver entre eux. Mais pour Lucian c'est différent, c'est nouveau, c'est... Elle ne sait pas ce que c'est, en fin de compte. Elle ne se permettra jamais d'entrer dans son esprit pour lire dans ses pensées, c'est un interdit absolu, une limite infranchissable. Peu importe qu'elle soit concernée ou non, n'en déplaise à Amanda, Rosie n'utilisera jamais ses dons à des fins personnelles et égoïstes. Elle retient sa respiration quand il se rapproche au plus près d'elle, et quand il pose ses lèvres sur les siennes elle a l'impression que son cœur s'arrête – ou qu'il explose, elle n'est pas sûre de l'un ou de l'autre. En revanche, elle est certaine de vouloir la même chose que lui, certaine qu'elle n'a plus envie de faire comme si de rien n'était. Ses doigts s'accrochent à son manteau pour ne pas risquer de flancher, mais aussi pour le garder contre elle comme il le fait lui aussi. Un peu hésitante, incertaine, Rosie a besoin de quelques secondes pour comprendre ce qu'il se passe entre eux avant de répondre à son baiser, peut-être un peu maladroitement, mais avec une envie indéniable. Elle ne s'attendait certainement pas à ce qu'ils échangent leur premier baiser si vite, quelques instants à peine après qu'elle lui ait avoué qu'ils étaient destinés à s'aimer. Elle se hisse sur la pointe des pieds et glisse ses bras autour de son cou pour l'enlacer, en restant serrée contre lui. L'air commence à lui manquer, mais elle profite de ce baiser jusqu'à ne plus avoir d'autre choix que de s'écarter pour reprendre son souffle. Elle a les joues en feu, les lèvres rougies par ce premier baiser et des étoiles plein les yeux. « Je... C'était... Définitivement mieux que dans une vision. » Une vision n'est qu'une succession d'images, parfois imprécises, en fin de compte. Tandis que la réalité... C'est une toute autre chose, et ce qu'elle ressent est démultiplié par rapport à ce qu'elle a pu éprouver après avoir vu une scène ou une autre. Le positif comme le négatif, tout est plus intense lorsque cela se concrétise. Et pour une fois, il ne s'agit pas d'horreurs, il ne s'agit pas de la mort de quiconque. C'est... Une véritable bouffée d'air frais, comme une sorte de bénédiction. « Pour répondre à ta question de tout à l'heure, même si je n'ai pas beaucoup d'expérience, pour ne pas dire aucune... Je pense que tu embrasses merveilleusement bien. » Elle n'a aucun autre homme auquel le comparer, et elle n'en a de toute façon pas envie. Sa timidité envolée, ou du moins disparue pour un temps, c'est elle qui l'embrasse pour leur second baiser, avec l'impression qu'un poids vient de quitter ses épaules et que son cœur s'est mis à battre d'une autre façon. Voilà, c'est fait, rien ne sera plus jamais comme avant. Le destin, finalement, ce n'est pas une si mauvaise chose. Quand Rosie s'écarte, cette fois un peu plus pour éviter de céder trop vite à la tentation une fois de plus, elle a un fin sourire accroché aux lèvres. « Et maintenant... Que fait-on ? » Oui, que font-ils à présent que la fiction de Waller est devenue leur réalité, sans finalement qu'elle n'y soit pour rien ?

Est-ce que ce n'est pas un peu dangereux de se laisser aller si vite à leurs envies et à ce qu'ils savent à présent être un avenir certain ? Peut-être que oui, peut-être que non. Survivre c'est bien, c'est ce qu'ils font depuis des années. Mais vivre, c'est mieux, et c'est une chose que Rosie va devoir apprendre à faire. Elle acquiesce doucement lorsqu'il leur suggère de rentrer à l'hôtel, pour pouvoir se reposer quelques heures avant de devoir jouer les espions. Quant au reste... Laisser faire les choses ? Oui, bien sûr, jusqu'à un certain point, qu'elle n'a pas encore trouvé le courage de lui expliquer. Ceci risque de compliquer les choses, comment réussira-t-elle à lui dissimuler la vérité, à ne pas lui dire qu'il risque de mourir s'ils continuent à investiguer sur l'affaire Omniscient ? Elle secoue doucement la tête pour chasser ces pensées de son esprit. Ce n'est pas le moment de penser à ce genre de choses, cela gâcherait un moment précieux. De nouveau dans leur chambre, Rosie imite Lucian et retrouve une tenue plus confortable, un peu moins gênée que la première fois, et se glisse de nouveau dans les draps. « Un couple crédible, à défaut d'être des généticiens crédibles... » Elle rit doucement, pourtant c'est un détail qui risque de leur jouer de mauvais tours s'ils ne parviennent pas à anticiper correctement les situations auxquelles ils feront face. « Si tu profites de la situation, alors j'en ferai de même. » Rosie sourit. Elle a l'impression qu'un mur entre eux a été abattu, ils ne font plus que se regarder, ils se voient et cela fait toute la différence. Quand elle s'endort, Rosie n'est pas gênée par la proximité physique entre Lucian et elle. Au contraire, c'est rassurant et elle sait que malgré ce qu'il vient de se passer entre eux, il n'aura aucun geste déplacé à son égard. Ils doivent encore s'habituer à la chose, et cela prendra encore un petit peu de temps.

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Face au grand miroir de la suite, les mains sur les hanches, Rosie soupire. « Cette robe a au moins un avantage, personne n'écoutera ce que je dis, alors tant pis si c'est n'importe quoi. » La robe rouge que Waller a glissé dans sa valise et qui lui servira de tenue pour assister au congrès et au gala qui succédera à ce dernier est à mille lieues de tout ce qu'elle aurait pu choisir elle-même. Elle ne sait pas si elle est jolie, ridicule, ou un drôle de mélange des deux. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est tout sauf une tenue discrète, il y a peu de chance que quiconque la regarde dans les yeux. D'une certaine façon, c'est intelligent. Le milieu scientifique demeure hélas très sexiste, une telle tenue devrait la faire passer pour une belle idiote et faire honneur au tristement célèbre "sois belle et tais-toi". À tous les coups, Lucian passera pour le cerveau du couple Ashworth, et tant pis si officiellement Vivian a plus de diplômes et de thèses publiées que son époux. Rosie secoue la tête avant de se retourner vers Lucian en faisant mine d'être à l'aise, mais sans grand succès. Jusqu'au bout, Amanda fera en sorte de les mettre mal à l'aise. Dans cette tenue et sur ses talons hauts, Rosie a l'impression d'être une poupée avec laquelle on s'apprête à jouer. « Ta cravate est un peu tordue. » Elle se rapproche, et c'est presque comme si elle avait fait ça toute sa vie qu'elle refait  le nœud. Elle croit se souvenir de son père qui lui avait montré comment faire, une fois, et puis elle s'était amusée à le refaire sur ses poupées, puis sur l'un des barreaux de sa fenêtre à l'hôpital. Mais peut-être que ce n'est qu'un souvenir fabriqué pour se protéger ; un de plus. « Si jamais quelqu'un nous pose une question un peu trop pointue sur la génétique ou les recherches des Ashworth, laisse-moi répondre. Je pourrai construire une réponse cohérente, ou du moins convaincante, en fouillant rapidement dans les esprits autour de nous. » Ce n'est pas une chose qu'elle aime faire, mais en leur imposant ce jeu de rôle, Waller ne lui laisse pas le choix. Et Rosie soupçonne que c'est exactement son but, la forcer à utiliser ses dons pour avoir une idée de la façon de les exploiter au mieux ensuite. « Qu'est-ce qu'on fait, si jamais quelqu'un nous démasque ? J'ai beau savoir Waller efficace dans l'exécution de ses plans... Des généticiens aussi réputés, quelqu'un dans le milieu doit forcément les avoir déjà rencontrés, tu ne crois pas ? » Elle ne sait pas si il aura une réponse à lui apporter. Après tout, tout ça est aussi nouveau pour lui que ça l'est pour elle. « Et c'est plus fort que moi, je me demande... Je me demande où sont les vrais Ashworth. Ce qu'elle leur a fait. » D'après ce que dit leur dossier, ils n'ont rien de criminels. Peut-être que leurs croyances sont discutables, mais... Mais elle sait de quoi Amanda est capable, et cela lui fait plus peur que n'importe quel groupe de fanatiques.

Rosie fronce les sourcils. Évidemment qu'elle a des questions. Des milliers de questions, même. Mais Lucian a raison, elle ne doit pas perdre de vue leurs objectifs. Pirater les serveurs de l'organisation pour lui, et fouiller les esprits à la recherche d'informations intéressantes pour elle. Au plus vite ce sera fait, au plus vite ils pourront cesser de jouer les espions et redevenir des agents comme les autres. Presque comme les autres. Elle prend une profonde inspiration et acquiesce doucement. Elle se sent terriblement mal à l'aise dans cette tenue, mais elle va s'y habituer. Il faut qu'elle s'y habitue, faute de quoi elle aura l'air suspecte. À moins qu'elle ne joue la carte de la scientifique peu habituée à porter autre chose que sa blouse ? Pendant le trajet, Rosie reste silencieuse, concentrée. Elle se repasse en boucle des éléments du dossier, et ressasse leurs noms pour la soirée. Luke et Vivian Ashworth. Luke et Vivian Ashworth. Comme ils devaient s'y attendre, ils n'ont aucun mal à entrer dans le bâtiment qui héberge le congrès. Les plans de Waller sont toujours parfaits, de A à Z. Quand Lucian lui tend une coupe de champagne, elle hausse les sourcils. Si elle sait jouer la femme qui a trop bu ? Elle secoue doucement la tête. « Disons qu'on ne m'embaucherait pas pour jouer à Broadway, mais je doute que quiconque ici vienne mesurer mon taux d'alcoolémie... » Elle soupire doucement. « Aguicheuse et ivre morte à un congrès, Vivian peut dire adieu à sa réputation de généticienne renommée... » Et accessoirement, c'est le féminisme qui en prendra un coup. Mais c'est une stratégie qui tient la route, puisque la salle contenant les serveurs informatiques se trouve non loin des toilettes. Rosie porte le verre à ses lèvres, et se fige quand elle aperçoit un visage qui lui semble étrangement familier dans la foule. Un homme d'une soixantaine d'années, cheveux gris et barbe soigneusement taillée. Elle secoue la tête. « Désolée. J'ai cru... J'ai cru reconnaître quelqu'un. Probablement juste un scientifique que j'ai vu dans le dossier. » Elle s'éclaircit la gorge, affiche un sourire... et avale sa coupe de champagne cul-sec. Ils ne peuvent pas disparaître aux toilettes à peine arrivés, alors Rosie s'intéresse aux conversations qu'elle entend ; qu'elles soient prononcées à voix hautes ou non. Sans surprise, beaucoup ne font que parler de génétique et de leur obsession presque malsaine pour les méta-humains. Certains les considèrent comme la nouvelle étape de l'évolution de l'espèce humaine, d'autres comme de parfaits sujets pour leurs études, et il y a les plus tordus qui les considèrent comme des divinités et leur vouent un culte. Elle grimace. « Si je termine la soirée avec une migraine, ce ne sera pas la faute du champagne. » Rosie déteste devoir ouvrir son esprit. Elle a l'impression de se rendre vulnérable, quand bien même techniquement, c'est elle la télépathe. « Je ne sais pas si ces gens sont fanatiques ou visionnaires, pour être tout à fait honnête. » Accrochée au bras de Lucian, elle lui lance parfois des regards énamourés accompagnés de larges sourires en même temps qu'elle lui parle. Elle les Ashworth sont censés s'aimer à la folie, tout cela n'est-ce qu'une question d'apparence... N'est-ce pas ? « Le premier intervenant prendra la parole dans une demie-heure, ce sera le moment pour moi de me sentir mal... » Rosie fait mine de ne pas remarquer les regards insistants – et surtout gênants – que beaucoup d'hommes posent sur elle. Dans cette robe, elle a véritablement l'impression de n'être qu'un morceau de viande, jeté en pâture à une meute de lions. « Eh bien au moins, je n'ai pas besoin de lire leur esprit pour savoir ce que certains pensent... » Elle serre les dents. Elle n'est pas à sa place ici, et fouiller les esprits n'est pas son activité favorite. Elle grimace et passe nerveusement une main dans sa nuque, et effleure son tatouage runique du bout des doigts – elle a l'impression qu'il la démange. Ce n'est sans doute qu'un réflexe nerveux. « Tu vois le couple, là bas ? » Rosie fait un mouvement de tête discret, en faisant mine de remettre une mèche de cheveux derrière son oreille. « Ils font des expériences sur... » Elle  a du mal à prononcer les mots, c'est affreux. « Sur des femmes enceintes. Issues de quartiers pauvres, ils prétendent leur offrir des consultations gratuites, pour mieux pouvoir injecter des cocktails expérimentaux à leurs bébés... Ils essaient de modifier leur ADN in utero, parce qu'ils ne sont pas parvenus à obtenir des ovules fécondés... » Elle grimace. De la science, oui, mais à quel prix ? Elle frissonne. « Oh, et la blonde là bas, près du bar, elle a l'intention de faire de toi un mari infidèle. Juste pour ton information. »

Rosie soupire doucement entre ses lèvres. Certaines personnes semblent croire que tout endroit est le bon endroit pour séduire. Et tant pis si la personne en ligne de mire est visiblement prise. Même si c'est un jeu d'apparences, c'est agaçant. Si cette femme a une folle confiance en elle, tant mieux. Mais ce n'est pas une raison pour chercher à faire voler en éclats un couple sans remords ni compassion. Si elle décidait de fouiller un peu plus dans sa tête, que verrait-elle ? Elle l'imagine sans trop de peine. Scientifique renommée, cœur de pierre, mais un goût prononcé pour les relations charnelles sans attaches et tant pis pour les cœurs brisés en chemin. Elle se force à afficher un sourire quand la femme se rapproche d'eux, feignant d'ignorer ses intentions. L'avantage de la situation, c'est qu'ils n'auront pas à tenir une conversation sur la génétique méta-humaine avec elle, puisque ce n'est pas du tout ce qui l'intéresse. « Ravie de vous rencontrer, Victoire. » Dommage pour elle, Luke et Vivian sont fous amoureux depuis des années. Rosie pose une main sur le torse de Lucian et bat des cils, elle se sent ridicule mais peu importe. « Paris est véritablement la ville la plus romantique du monde ! Et puis, cela nous change tellement de notre laboratoire new-yorkais... Pas vrai, chéri ? » C'est tout juste si elle se retient de lever les yeux au ciel. Déçue, la Française s'excuse et prétend aller retrouver un collègue – sa nouvelle victime, plutôt. « Tu as toujours autant de succès avec les femmes ? » Elle lui sourit, avant de se diriger vers le buffet pour attraper le programme de la soirée, qui présente tous les intervenants du congrès. Elle le plie et le glisse dans son sac. « J'ai un mauvais pressentiment. Pas toi ? » Quelque chose cloche, quelque chose ne va pas. Il leur manque des informations essentielles, des informations qu'Amanda ne leur a pas donnés sans doute parce qu'elle savait qu'ils n'approuveraient pas. Elle voulait les pousser à se rapprocher, c'est un fait, mais si elle tient à s'approprier des années de recherches illégales, c'est forcément pour les exploiter ensuite. La question est, pourquoi ? Encore une fois, ils ne sont que des pions sur l'échiquier de Waller, elle a estimé qu'ils n'avaient pas à le savoir. En attendant que la conférence ne commence, ils se font discrets, Rosie pioche des informations dans un esprit puis dans un autre, mais cela personne ne peut le deviner. S'il y avait eu un autre télépathe dans la salle, Rosie l'aurait immédiatement repéré, et inversement. Quand la foule commence à se masser vers la scène, elle commence à feindre de se sentir mal, faisant mine de devoir s'appuyer contre Lucian pour parvenir à mettre un pied devant l'autre sans trébucher. Leur petite comédie semble fonctionner, puisqu'ils parviennent à rejoindre le couloir où se trouvent les toilettes et surtout, la salle des serveurs sans qu'on ne les arrête. Après avoir vérifié que personne ne les ait suivis, Rosie fait griller la caméra du couloir use de sa télékinésie pour déverrouiller la porte en faisant bouger les mécanismes des différents verrous. Elle s'ouvre sans qu'aucune alarme ne soit déclenchée, et remet en place les verrous après qu'ils sont entrés dans la pièce. C'est à présent à Lucian d'agir, puisque c'est lui qui possède la clé qui copiera toutes les données tout en les effaçant des serveurs. Elle fronce les sourcils. « Je ne comprends pas... Pourquoi ces gens auraient-ils réunis des années de recherches ici ? Si Amanda nous a demandé d'effacer toutes les données de ces serveurs, c'est qu'elles ne sont stockées nulle part ailleurs. Mais ça n'a aucun sens. N'importe quel scientifique fait des copies de ses travaux, à plus forte raisons s'ils sont en mesure de faire progresser la science de plusieurs années d'un seul coup. » Elle croise les bras et fait quelques pas dans la pièce, nerveuse. « Et puis, la plupart de ces recherches sont illégales et n'ont jamais été approuvées, elles vont à l'encontre des règles éthiques... Pourquoi stocker absolument toutes les preuves incriminantes dans un seul et même endroit ? Quand bien même ils auraient gardé des copies papier de leurs travaux... Ces gens sont censés être des génies, je ne vois pas comment aucun d'entre eux n'aurait réalisé le danger de la chose. » Non, ce n'est pas leur problème, mais Rosie n'est pas stupide, elle est capable de comprendre lorsque quelque chose est trop beau, trop parfait pour être vrai. Elle secoue la tête. « J'ai peur, Lucian. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai peur. »

Si la vie de Rosie avait suivi son cours sans accrocs, elle ne serait jamais devenue agent d'A.R.G.U.S et n'aurait pas approché Amanda Waller à moins de plusieurs dizaines de kilomètres. Elle n'est pas taillée pour ce genre de choses, et ne possède pas les capacités d'adaptation de Lucian. Alors elle panique, incapable de faire taire son anxiété et les questions qui tournent en rond dans son esprit, de façon de plus en plus assourdissante. Faire une copie des données pour eux, poser des questions à leur retour pour ne pas paraître suspects... Elle ne l'aurait pas fait si Lucian n'y avait pas pensé. Elle prend une profonde inspiration lorsqu'il vient prendre ses mains entre les siennes pour la rassurer. Rosie ne peut s'empêcher de grimacer légèrement lorsqu'elle se souvient qu'elle lui cache des choses ; il ignore qu'elle s'est jetée dans une bataille contre le destin – littéralement – pour lui éviter une mort prématurée. Elle hoche cependant la tête parce que c'est vrai, ils feront toujours tout pour se protéger l'un l'autre. Elle a comme une légère impression de "toi et moi contre le reste du monde", d'un rapprochement presque brutal après les événements de lui nuit passée. Rosie sursaute quand elle entend la porte se déverrouiller ; quelqu'un s'apprête à entrer dans la pièce. « Ne bouge pas, ne fais aucun bruit. » La porte s'ouvre et immédiatement Rosie s'introduit dans l'esprit des deux agents de sécurité pour y faire naître une illusion. Lucian et elle sont juste devant eux, mais ils ne les voient pas. Tout ce qu'ils voient, c'est une salle vide, où rien n'est à signaler. « J'aurais juré avoir entendu quelqu'un... » « Personne ne peut entrer dans cette salle, elle est mieux gardée que le Vatican. Faut croire que tous ces petits génies tiennent à leurs découvertes. » Elle les convainc que faire le tour de la pièce serait inutile. Un petit exercice de persuasion qui leur évite à tous une situation gênante. Quand la porte se referme, Rosie relâche ses efforts. Cela commence à faire beaucoup d'efforts pour une seule et même soirée, elle s'appuie contre le mur quand elle est prise d'un vertige. Elle aurait dû demander à Dr Fate si avec le temps, elle cesserait d'être victime de tels effets secondaires à chaque usage de ses dons, ou si elle ferait mieux de s'y habituer. Rosie prend une profonde inspiration avant de se redresser. Une fois que la clé de Waller a terminé de faire son travail, Rosie vérifie que personne ne se trouve dans le couloir, et ils peuvent quitter les lieux sans que leur présence ait été remarquée ou enregistrée. Les intervenants se relaient toujours sur la scène, l'attention générale est tournée vers eux. « On rentre ? Je ne me sens pas très bien. » Ils ont fait ce qu'Amanda attendait d'eux, ils n'ont pas besoin de s'attarder. Et puisqu'elle est censée être complètement ivre, leur départ précipité ne choquera personne.

De retour dans leur chambre d'hôtel, Rosie disparaît rapidement dans la salle de bain. Elle retire ses escarpins et ses vêtements, et fait couler de l'eau brûlante dans la baignoire avant de s'y glisser. Une fois dans l'eau, elle ramène ses jambes contre sa poitrine et pose son menton entre ses genoux. Son esprit est en pleine tempête, il faut qu'elle parvienne à faire taire toutes voix qui semblent y hurler, et elle doit mettre de côté toutes les pensées récoltées durant la soirée de côté, c'est un peu comme si elle devait les enfermer dans un coffre fort pour pouvoir les réétudier plus tard. C'est horriblement perturbant de se retrouver avec les souvenirs et les pensées de dizaines d'inconnus, contrairement au petit dispositif de Waller, elle n'a pas été faite pour stocker les données. Elle soupire lorsqu'elle remarque que l'eau a pris une teinte légèrement rosée, elle passe une main dans son dos et un gémissement de douleur lui échappe quand elle effleure son tatouage du bout des doigts. Les runes gravées dans sa peau saignent, comme souvent après un usage trop intensif de la magie. Elle s'enfonce un peu plus dans l'eau en serrant les dents, accrochée fermement aux rebords en marbre de la baignoire. Elle attend que la douleur s'estompe, jusqu'à ce que l'eau devienne froide. Quand elle se décide enfin à sortir, elle essuie la buée sur le miroir de la salle de bain et observe avec une grimace son dos, sa peau est encore rougie et enflée, mais au moins elle ne saigne plus. Elle enfile une tenue plus décontractée, un pull léger et ample – qui cache merveilleusement bien son dos – et les collants qui lui ont servi de pyjama la veille. Quand elle réapparaît dans la chambre, elle adresse un sourire désolé à Lucian. « Excuse-moi, il fallait que je me vide l'esprit... Littéralement. » Elle sait qu'il est habitué à ses états après une mission, mais étant donné le contexte un peu plus... intime de leur situation, elle préfère s'excuser. « Je suppose que tu as déjà annoncé à Waller que notre mission a été une réussite ? » Rosie secoue doucement la tête, en passant une main dans ses cheveux. Il leur reste encore presque deux jours à passer à Paris, alors qu'Amanda savait pertinemment que leur mission ne prendrait pas tant de temps. « Est-ce que nous avons de nouveaux ordres ? » Ou sont-ils censés continuer à se "rapprocher" comme elle espérait qu'ils le fassent ?

Il n'y a rien de surprenant dans les paroles de Lucian. Amanda sait réprimander, mais elle ne félicite jamais, estimant que la réussite est un dû. Elle ne sait motiver ses agents qu'en usant de son autorité et de son pouvoir sur eux, à la manière d'une dictatrice sur ses sujets. La mission est accomplie, c'est tout ce qui l'intéresse et tant mieux pour les états d'esprit de ceux dont elle aime disposer à sa guise comme de simples pions. Rosie sait très bien qu'elle ne la considère pas comme quelqu'un de rare et d'exceptionnel, elle n'est qu'un atout de plus dans sa manche, la petite Homo Magi à sa botte, qu'elle aura vite fait de remplacer le jour où elle ne lui trouvera plus d'intérêt ou aura sous la main quelqu'un de plus puissant ou plus disposé à l'aider. Pour Amanda, posséder une conscience est un défaut. « Tu feras attention, n'est-ce pas ? Avec la clé... » C'est dangereux de cacher des choses à Amanda, encore plus de mettre le nez dans ses affaires. Faire une copie des données était la bonne chose à faire, mais certainement pas la plus sage. Rosie croise les bras sous sa poitrine, et soupire doucement. « Sur ce coup là, elle a manqué d'originalité... A ton avis, tu crois qu'elle avait aussi réservé une suite nuptiale pour Rick et June ? À Venise, peut-être ? » Elle secoue la tête. Jouer avec les sentiments des gens, c'est odieux, mais leur chef n'est pas du genre à s'en soucier, ils le savaient déjà. « Parfois, je me souviens que cette femme a des enfants, et j'ai de la peine pour eux. » Amanda Waller, mère douce et aimante ? Rien n'est moins certain, et un tel changement de personnalité dans sa vie privée serait plus effrayant qu'autre chose. À condition qu'elle ait un semblant de vie privée... « C'est cruel, ce qu'elle fait. Pas seulement pour nous deux. Elle sait très bien que tu devrais être auprès de Sasha, et elle t'en empêche. C'est cruel. » La compassion, encore une qualité absente du vocabulaire de cette femme. Rosie se rapproche du minibar, duquel elle sort une bouteille d'eau fraîche pétillante ; elle sert deux verres par politesse et va s'asseoir sur l'un des fauteuils de la suite, en ramenant ses jambes sous elle. Où qu'elle soit, Rosie fait toujours de son mieux pour se faire toute petite. Elle porte le verre à ses lèvres et avale quelques gorgées, et le repose sur le petit meuble à côté d'elle. Elle est parfaitement épuisée, aussi bien physiquement que psychologiquement. « En parler ? » Pendant une seconde, elle croit que Lucian lui parle encore de la mission, de ce qu'elle a pu découvrir en sondant les esprits. Et puis, elle comprend. Pour une fois, elle ne rougit pas. « Je... Je ne sais pas quoi dire... » La nuit dernière, tout paraissait plus intime, et presque irréel. À présent tout est beaucoup plus concret, et par conséquent plus effrayant. Ils sont là, l'un en face de l'autre, et savent très bien ce qui va arriver entre eux. « Je ne sais pas si ça peut te rassurer ou non, mais je n'ai pas la moindre idée de comment et quand les choses vont... arriver. » Du moins, pas exactement. Lucian le sait, ses visions ne sont pas toujours limpides, et lorsqu'elles la concernent elles souvent encore moins claires que les autres. « Tu sais... » Elle le regarde avant de baisser les yeux, un peu gênée par ce qu'elle s'apprête à dire. « D'habitude, tout ce que je vois, ce sont des choses horribles, la mort des uns et des autres... Voir ça, c'était... Ça m'a permis de comprendre que ma vie n'était finalement peut-être pas destinée à n'être qu'un théâtre d'horreurs. » Elle soupire, et reprend un peu d'eau ; elle a la gorge sèche. « Et pour être honnête, je ne pensais vraiment pas que tu... que tu m'embrasserais si vite. » Rosie sourit en relevant la tête. Après tout, après ces révélations pour le moins bouleversantes, il aurait pu préférer prendre ses distances un moment le temps de digérer la nouvelle, mais... non. « Merci, pour ça. » Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille, nerveusement. « C'est difficile à appréhender, pas vrai ? Savoir sans savoir, ressentir quelque chose sans savoir exactement quoi, ne plus savoir quoi faire et comment... » Bienvenue dans l'indélicat monde de la prescience.

Un sourire aux lèvres, Rosie lève les yeux au ciel. « Deux ans et trois mois, pour être précis. » Elle rit doucement, et secoue la tête. Non, vraiment. Elle ne pensait pas que Lucian puisse vouloir l'embrasser si vite, tout juste après avoir appris qu'ils étaient destinés à s'aimer. C'est presque comme si, au lieu de se faire rapidement à cette idée, ces révélations l'avaient simplement aidé à surmonter les barrières qu'il s'était imposé. Ce n'est pas une mauvaise chose, bien loin de là... Mais Amanda Waller risque de s'imaginer que son plan a fonctionné bien mieux que prévu, et Rosie ne peut que s'inquiéter d'une telle chose, ne souhaitant pas voir cette femme mettre son nez dans leur histoire. Devront-ils prétendre jouer son jeu pour avoir la paix ? Devrait-elle oser, enfin, fouiller dans son esprit pour découvrir ce qu'elle a réellement l'intention de faire les concernant et l'en dissuader ? Mais utiliser sa magie à des fins égoïstes, ne serait-ce pas aller à l'encontre de tous ses principes ? Elle soupire doucement. « Tu ferais mieux d'espérer que ce soit ta première et dernière expérience dans le domaine. » La prescience, c'est... Quelque chose de compliqué, et Rosie est persuadée qu'on ne peut jamais la comprendre tout à fait. Dr Fate lui-même semble ne pas maîtriser la chose parfaitement, alors qu'il est pourtant censé en être le maître. Si seulement Rosie pouvait se débarrasser de ses visions, elle n'hésiterait pas une seule seconde. « Washington ? Tu n'as pas peur que Waller épie nos moindres faits et gestes ? » Rosie feint d'être sérieuse, avant d'éclater de rire. Avec Amanda, rien ne semble impossible, pas même les choses les plus étranges ou déplacées. Elle serait parfaitement capable de les espionner pour s'assurer que son plan fonctionne comme elle le veut. Mais cette fois ils ont un coup d'avance sur elle, ce dont elle ne se doute sans doute pas. Rosie retrouve son sérieux, et va s'asseoir sur le canapé à côté de Lucian. Elle comprend ce qu'il veut dire, ce n'est pas parce qu'ils savent ce que leur réserve le destin qu'ils doivent se priver de faire les choses... normalement ? « D'accord, faisons les choses dans les règles de l'art. » Des règles dont elle ne sait que ce qu'elle a pu voir dans les films, et elle doute que cela se passe ainsi en réalité. Mais peu importe, elle a toujours fait confiance à Lucian et ce n'est surtout pas maintenant que cela changera. « Washington, donc. » Ou n'importe où ailleurs, dans l'éventualité où Amanda déciderait de les envoyer de nouveau en mission spéciale. Pourvu que ce ne soit pas à Central City... Un sourire aux lèvres, elle dépose un baiser sur sa joue. « Nous ferions sans doute mieux de nous reposer un peu. Ce n'est pas tous les jours que nous avons l'opportunité de faire la grasse-matinée... » Pour ne pas dire jamais. Travailler pour A.R.G.U.S est épuisant, à tous les niveaux. Alors la perspective d'une bonne nuit de sommeil est alléchante, surtout après la précédente qui n'a pas été de tout repos. Rares sont les fois où Rosie ne redoute pas de fermer les yeux, mais pour une fois elle ne pense pas que son sommeil soit hanté par de terribles visions. Jamais la présence de Lucian à ses côtés n'a été aussi rassurante que ce soir.