Et mon amie la rose, est morte ce matin ♫ [IVY]

À Gotham, bien peu de choses font sens. Le haut est en bas, les points cardinaux sont inversés, il n'y a pas de saisons, les criminels font la loi et la ligne entre le bien et le mal est floue. Bien peu de choses sont comme partout ailleurs, Gotham est unique. Mais s'il y a une chose qu'Ivy comprend encore moins que les autres... C'est pourquoi le Joker est encore en vie. Par quel miracle ou triste coup du sort le clown terrorise encore les rues alors que les justiciers masqués sont plus nombreux à Gotham que nulle part ailleurs. Ce n'est pas seulement illogique, c'est ridicule. Il y a un dégénéré en liberté, et personne ne semble pressé de l'arrêter. Comme s'il était devenu un élément essentiel du paysage, à ceci près que le Joker n'a rien d'un monument historique méritant d'être protégé. C'est une véritable nuisance, une peste qui aurait dû être éradiquée depuis longtemps. Les animaux enragés, on les abat, alors pourquoi pas le Joker ? C'est le genre d'énigme qui ferait perdre la tête à Nygma lui-même. Qu'attendent-ils, tous ? Qu'il fasse sauter la totalité de la ville, qu'il s'en prenne à la mauvaise personne et ne pousse un héros à la folie ? Le GCPD s'en lave les mains, ils attendent tous de voir Batman s'en charger une bonne fois pour toutes. Et le Chevalier Noir ne le tuera pas, parce que son sacro-saint code moral le lui interdit. Attend-il de voir un autre de ses protégés être massacré à coups de pied de biche pour réagir ? Et s'il ne veut pas le tuer, est-il obligé de l'enfermer à Arkham à chaque fois qu'il lui met la main dessus ? Ce n'est pas un asile, c'est une passoire, on y entre et on en sort à sa guise. Si Ivy ne craignait pas de mettre le justicier en colère après être enfin parvenue à faire la paix avec lui, elle se serait chargée de régler le sort du clown elle-même. Et bon débarras ! Quel dommage que la seule chauve-souris ayant assez de cran pour abattre le Joker ait filé sur une île paradisiaque avec son Amazone... Enfin, comment lui en vouloir ?

Agenouillée auprès d'un parterre de fleurs en pleine floraison, Ivy fronce les sourcils. Suffit-il de penser au loup pour en voir la queue ? Il semblerait... Un sifflement agacé lui échappe pendant qu'elle se relève. La vermine est là, venue la provoquer chez elle. Et à en juger par les vibrations du sol, il avance en terrain conquis, ce qui est parfaitement insupportable et intolérable. Ivy ressent la douleur de cette pauvre rose dont on arrache les pétales, et ce n'est pas le geste innocent d'un enfant ignorant, c'est le geste d'un sociopathe qui sait exactement ce qu'il fait. Torturer une fleur pour attirer son attention, c'est malheureusement un stratagème voué à fonctionner à chaque fois avec elle. Furieuse de voir sa tranquillité perturbée par cet individu abject, elle traverse le parc d'un pas rapide, suivi par des ronces qui roulent derrière elle comme des vagues. L'individu en vue, l'une de ses ronces lui arrache la rose des mains, et une autre le gifle sèchement. Ivy récupère la fleur endommagée pour examiner les dégâts, ses traits déformés par la colère. L'idiot... Déposée sur son corset végétal, la rose prend immédiatement racine et de nouveaux pétales remplacent ceux qu'elle a perdu. « Es-tu devenu encore plus idiot que la dernière fois, pour oser venir jusqu'ici ? » Elle secoue la tête. Non, ce n'est pas de la stupidité, elle le sait pertinemment. Elle est même intimement persuadée que le Joker n'est pas fou, mais très bon comédien. Quel fou saurait organiser de telles manigances ? Quel fou saurait mettre en place de terribles machinations ? Quel fou saurait ainsi manipuler les foules ? Non, le Joker n'est pas fou. Ce qui le rend encore plus dangereux et inquiétant, puisque aucune maladie mentale n'est à blâmer pour ses actions.

Un siège de racines prend forme, et Ivy s'y assoit tandis que d'autres s'enroulent autour du Joker pour l'empêcher de bouger, et notamment de faire du mal à d'autres plantes. Si elle leur demandait de serrer rien qu'un peu plus... Elle soupire, frustrée de ne pouvoir lui briser le cou dans la seconde. C'est risible, mais en le tuant, elle y perdrait plus qu'elle n'y gagnerait. C'est justement parce qu'elle s'est bien tenue et a évité de tuer quiconque ces deux dernières années que Batman et le GCPD la laissent tranquille. Oh, certains seraient ravis de la voir transformer le Joker en engrais pour ses plantes, elle n'en doute pas... Mais elle songe à Jason et à Harley, qui lui en voudraient de l'avoir tué. À leur place. « Je te donne exactement deux minutes pour me dire ce que tu veux et pour déguerpir ensuite. Sinon, je te donne à avaler à l'une de mes plantes carnivores, qui te régurgitera un peu plus tard dans les égouts de la ville. Je doute que tu sois très digeste. » Ivy tapote impatiemment son accoudoir de bois. « Ne me fais pas perdre plus de mon mon temps. »

Elle pourrait le tuer. D'une dizaines de façons différentes, elle n'aurait qu'à en choisir une. Ce serait d'une facilité déconcertante. Elle pourrait le tuer et débarrasser Gotham de son pire fléau. Cruelle ironie, elle ne le peut pas, car ce serait troquer un mal pour un autre – encore que, avoir Batman sur le dos pour le meurtre du Joker, ne serait-ce pas un prix à payer acceptable ? Peut-être que le Chevalier Noir n'approuverait pas, mais le reste de la ville, en revanche... Sa mort la réhabiliterait peut-être aux yeux de tous ! C'est tellement, tellement tentant... Après tout ce qu'il a fait, toutes les personnes mortes par sa faute et celles souffrant encore...  Ce serait un service à rendre à la communauté. Mais au fond, Ivy sait que ce n'est pas à elle de tuer le Joker. Et ce n'est pas à Batman non plus. C'est un droit qui revient à Jason. À Barbara. À Harley. Peut-être même à n'importe quelle personne ayant souffert le martyre par sa faute. La liste de ses victimes et interminable, celle de ses potentiels bourreaux l'est tout autant. Ne serait-ce pas là une belle forme de justice divine, que de voir l'un de ses souffre-douleur lui rendre la monnaie de sa pièce. Y songer suffit à la faire sourire... Et puis le clown prononce un prénom. Harley. L'Empoisonneuse fronce les sourcils, ses lèvres se tordent en un rictus de dégoût. « Quoi, Harley ? » Même en devinant aisément la raison de sa présence dans son domaine, l'entendre à haute voix a une autre saveur, bien plus amère. Ivy se lève et se rapproche du Joker de quelques pas ; les plantes rampantes qui les entourent en font de même. « Quoi, Harley, hmm ? Tes nouveaux jouets te lassent déjà ? À moins que ce ne soit le fait qu'elle ne veuille plus de toi ? » Ivy ricane. Le Joker ne vaut parfois pas mieux qu'un enfant. Un enfant psychopathe, mais un enfant tout de même. À présent que Harley ne veut plus de lui et qu'elle s'intéresse à d'autres, il la veut de nouveau auprès de lui. Ou plutôt, il veut de nouveau pouvoir en faire sa petite marionnette bien obéissante. Elle secoue la tête. « Contrairement à toi, je ne surveille pas ses moindres faits et gestes. Elle est libre d'aller et venir, je ne sais pas où elle est. Et quand bien même je le saurais, tu n'espères tout de même pas que je te le dirais ? » C'est presque risible de faire à ce point preuve d'arrogance. « Contrairement à la plupart des habitants de cette ville, je n'ai pas peur de toi. Je ne suis même pas certaine de savoir ce qui me retient de t'étriper ici et maintenant. Si ce n'est l'envie de voir Harley le faire elle-même. » Elle lui tourne autour lentement, se montrant volontairement agaçante. Il ne doit pas avoir l'habitude d'être en position de faiblesse. « Ou peut-être Red Hood ? Les deux en même temps, alternant coups de pied-de-biche et coup de batte de baseball ? » Elle l'observe avec un sourire avant de retourner s'asseoir, entortillant avec désinvolture une mèche autour de son doigt. « Je pourrais peut-être les appeler, et te servir à eux sur un plateau d'argent. Quel spectacle ce serait ! Je ne voudrais surtout pas en perdre une miette... » Appeler Batman ? À quoi bon ? S'il y a bien une chose qu'il ne sait pas faire, c'est mettre le Joker à l'ombre une bonne fois pour toutes. Arkham est pire qu'un panier percé, et cela ils le savent tous les deux. « Très franchement, à quoi bon venir ici ? Qu'imaginais-tu obtenir de moi ? Sinon une mort éventuellement longue et douloureuse, évidemment... » Il n'est pas question une seule seconde qu'elle lui dise quoi que ce soit à propos de Harley. Cette dernière pourrait bien être quelque part dans le parc à se prélasser dans l'herbe qu'elle ne le sous-entendrait même pas. C'est tout juste si elle commence à se défaire de son influence nocive, alors il n'est pas question qu'elle la précipite de nouveau dans la gueule du loup. « Oh, et que ce soit bien clair... Si par hasard tu avais emmené quelques uns de tes pions avec toi... Ils seront morts avant d'arriver jusqu'à nous. Mais tu t'en moques, n'est-ce pas ? Tu trouverais même cela drôle, sans doute. » Qu'est-ce qui ne l'amuse pas, après tout ? Brusquement silencieuse, Ivy ne quitte pas le Joker des yeux. Que peut-il bien manigancer, pour être venu jusqu'à elle avec tant d'assurance et de certitudes ? Peut-être qu'elle ferait véritablement mieux de prévenir Jason et Harley de sa présence dans le parc, après tout.

Ne jamais sous-estimer un psychopathe. Aussi tordus puissent-ils être, ces gens là ont hélas une imagination aussi débordante que dangereuse. Le Joker, principalement, mérite la palme d'or des idées tordues. Il la nargue, si bien qu'Ivy commence sérieusement à se demander si son alliance avec Batman est réellement a plus de valeur que la possibilité de débarrasser Gotham du clown définitivement. Oh, évidemment, il y aura toujours quelqu'un pour vouloir reprendre sa place, mais... Peut-on faire pire que le Joker ? Pourrait-on véritablement faire pire que... eh bien, le pire ? Ivy fronce les sourcils, de plus en plus incommodée par la présence du clown dans ses jardins. Est-il venu pour trouver Harley, ou juste pour la narguer ? « Tu sais ce qui serait poétique ? Que ce soit Harley qui mette fin à ta misérable existence. Je ne crois pas à l'efficacité de la justice, mais celle du karma, c'est une toute autre histoire. » Personne ne mérite plus qu'elle de le tuer. Sauf Jason, peut-être. S'ils pouvaient s'y mettre à deux pour le tailler en pièces, ce serait merveilleux ! Son expression se fait encore plus menaçante lorsqu'elle entend le bruit d'un hélicoptère qui se rapproche. Évidemment, elle aurait dû s'en douter. Quoi de pire qu'un fou ? Deux. Elle lâche un juron quand plusieurs petites bombes explosent dans son jardin pour libérer un gaz qui gèles les plantes aux alentours. « Fries... » Encore un qui va le lui payer très cher. Elle resserre sa prise sur le Joker, furieuse. « Qu'est-ce que tu lui as promis, hein ? De l'aider à sauver sa chère et tendre ? Avoue, tout ce que tu comptes faire pour l'aider, c'est la débrancher ! » Ivy s'écarte du Joker, et ordonne aux plantes les plus fragiles de se retirer sous terre pour éviter de mourir geler. Mais elle doit aussi songer à protéger les enfants, ce qu'elle fait en recouvrant leur abri d'une épaisse couche de végétation – qu'elle sacrifiera pour eux, quand bien même cela lui brise le cœur. « Tu vas me le payer, Joker. Tu vas me le payer très cher ! » Le temps n'est plus à la discussion, ni même aux négociations. Il veut la guerre ? Très bien, il l'aura. Mais elle doit commencer par se débarrasser de Freeze, ce qui promet de ne pas être une mince affaire. Pour le déstabiliser, lui et son hélicoptère, elle fait pousser d'immenses ronces qui claquent dans l'air, comme des tentacules cherchant à s'emparer de l'appareil. Mais elle ne peut leur faire atteindre qu'une certaine taille sans que cela risque de détruire le jardin dans sa totalité, leurs racines risquant de retourner le sol sous leurs pieds. Elle serre les dents, elle ressent la douleur de ses protégées qui n'ont pas pu échapper au froid, et cela la met hors d'elle. C'est un véritable miracle qu'elle n'ait pas encore brisé le cou de ce maudit clown, ou peut-être est-ce simplement de la bêtise. Le laisser en vie, c'est lui donner la chance de continuer à martyriser Gotham et ses habitants. Qui, à part Batman, irait lui reprocher d'avoir mis un terme à son règne de terreur. Ivy pousse un cri de colère avant d'envoyer le Joker dans le décor. Peu lui importe qu'il se brise quelques os au passage, bien au contraire. Les poings serrés, elle s'avance vers lui. « Sors de chez moi, et emmène ton petit copain le glaçon avec toi ! Je te donne exactement une minute pour ficher le camp d'ici, ce délai dépassé je t'écartèle et j'éparpille tes restes dans toute la ville, est-ce que c'est clair ?! » La colère fait bouillonner le poison dans ses veines, la teinte de sa peau est devenue plus foncée en guise de mise en garde, comme celle d'un animal venimeux. « J'ai dit... SORS DE CHEZ MOI ! »