roy | arsenal

T'as deux ans et aucune conscience du fait que ton père vient de mourir en tentant de sauver la réserve dont il avait la charge. T'es qu'un gosse, l'orphelin du garde-forestier. L'orphelin du mec qui a brulé. L’orphelin qui vient d’être adopté par une nouvelle personne. T’es le gosse qui comprend pas ce qu’il se passe et qui pleure parce qu’il veut voir son père. Mais à ton âge, la mort, ça veut rien dire. Tu comprends juste qu’il est pas là et tu voudrais qu’il le soit. Y a cette dame qui te lit une histoire. Tu l’avais déjà lu et sa voix chantante finit par t’endormir. Y a cette main un peu lourde et maladroite qui glisse sur les draps et les remonte sur toi et puis qui vient effleurer ton visage d'enfant en train de dormir. La main de celui qui va prendre soin de toi. La main de celui qui vient de faire cette promesse de s’occuper du gosse de l’homme qui les a sauvés en partie. Mais cet homme qui n’y connait pas grand-chose en matière d’enfant.

T’as cinq ans et maintenant, celui qui se tient à côté de toi, celui dans la main de qui est glissé la tienne, c’est celui que tu appelles papa. Il n’a rien en commun avec toi, t’es yeux sont aussi bleus que les siens sont marrons, ses cheveux aussi bouclés que les tiens sont raides et ta peau couleur neige quand la sienne est dorée par le soleil. Tu le suis partout et il t’apprend les vertus de la forêt. Il te montre les plantes qui soignent et celles qui tuent. Il te montre les traces des différents animaux, comment faire pour cacher ses traces et comment se déplacer suffisamment silencieusement pour pouvoir approcher les animaux de près. Et toi, tu bois ses paroles.

T’as huit ans et y a un cri de joie qui franchit la barrière de tes lèvres lorsque la flèche atteint la cible en plein centre. Et puis, y a ta voix qui berce la tranquillité du lieu pour appeler ton père. Il fallait qu’il le voit. Il fallait que tu vois la fierté dans son regard. Aujourd’hui, il n’y a rien qui peut enlever le sourire de ton visage alors que tu viens de tirer en plein dans le mille. T’es fier, très fier, gosse qui a réussi à atteindre l’objectif fixé depuis des mois grâce au travail. Et lorsqu’il te dit que tu es doué, ça te donne encore plus de force. Tu ne l’es peut-être pas plus que d’autres mais ça te fait pousser des ailes et te pousse à te dépasser encore un peu plus. Cibles plus éloignées de mois en mois, bras qui se renforcent avec le temps, cibles qui passent d’immobiles à mouvantes alors que tu pars à la chasse à ses côtés, alors que tu développes des facultés d’observation et de traque dans cette forêt que tu connais comme ta poche. C’était comme ça la vie avec lui. Lui, ton arc, toi et la forêt, et rien qui ne semblait pouvoir vous arrêter.

T’as onze ans et les larmes qui ravagent ton visage de gosse. T’as le sang gravé dans les yeux et le visage figé par l’horreur. Y a tes cris qui alertent le reste du village alors que t’es à genoux devant le corps de ton père baignant dans son sang. Y a rien à faire pour te calmer, pas cette fois. Y a ton cœur qui vient d’être pulvérisé par un inconnu que tu n’as même pas vu. T’es seul et y a rien pour changer ça. Les larmes qui roulent toujours sur tes joues, les yeux embués qui voient flous, tu récupères ton arc et tu te mets à courir. Tu cours jusqu’à l’épuisement, jusqu’à oublier où tu es. T’as les mains ensanglantées d’avoir frappé dans les écorces d’arbres. Tu quittes tout pour ne pas y revenir. Cette nuit-là, tu n’arrives pas à dormir. Toutes les suivantes également. Parce qu’il hante tes nuits, ce sang. Alors tu te réveilles en sursaut en hurlant et en pleurs. Tu sais que là-bas c’est ta famille mais tu ne peux pas y aller. Parce que c’est trop dur. Alors tu coures les rues, tentant de te trouver un nouveau chez-toi que tu ne trouves pourtant pas. Parce que les gosses de rues, ce n’est pas ce qui manquent à Star City.

T’as douze ans et ton regard se pose sur une télévision dans une devanture de magasin. Sur l’écran, y a Green Arrow dans son costume, son arc à la main. C’est la première fois que tu le vois réellement. T’en as souvent entendu parlé mais tu ne l’avais jamais vu à la télé. Ce mec, c’est ton héros, celui à qui tu voudrais ressembler, celui qui sauve les gens. Peut-être qu’il aurait pu sauver ton père. Green Arrow, y a pas un seul article sur lui à côté duquel tu passes. Tu veux tout savoir de lui, de ce qu’il fait, de ce qu’il est. Il est cette personne que le gosse que tu es rêve d’approcher, parce qu’avec son arc, il a quelque chose comme toi. Il n’a pas les armes à feu que tu détestes, il n’a pas la super-force, c’est juste un archer, comme toi tu peux l’être.

T’as quatorze ans et tu t’engages dans la criminalité sans même t’en rendre compte. Parce qu’il était pas beaucoup plus grand que toi celui qui était venu te trouver. Tu l’avais souvent croisé dans le quartier, entre deux petits vols de nourriture ou de fringues pour être au chaud. Mais cette fois-ci, il te promet de l’argent, pour que t’es plus à risquer de te faire prendre en volant. Alors tu réfléchis pas trop. L’occasion elle est trop belle et t’en as marre de vivre comme ça. La mission, elle est simple, aller livrer un paquet à l’autre bout de la ville, récupérer l’argent et lui donner. Tu ne te poses même pas la question de ce qu’il peut y avoir dans le paquet, tu te la poseras un peu trop tard. T’as plus rien d’un gosse depuis que tu dois te débrouiller pour survivre mais t’es encore bien naïf. C’est trop tard quand tu comprends. Parce que tu t’es déjà habitué à ce semblant de luxe de savoir que tu peux ne plus vivre dans la fin et que tu peux toujours avoir un toit au-dessus de ta tête la nuit, une couverture et une douche chaude.

T’as quinze ans et tu viens de commettre la pire erreur de ta vie. Une erreur que tu regretteras à jamais, une erreur qui va conditionner le reste de ton existence. T’avais voulu tester, comme ils étaient nombreux à le faire. Comment t’aurais pu deviner que tu sonnais le glas de ton existence et de ta santé juste en aspirant un peu de ce produit comme ils étaient si nombreux à le faire. T’avais pas compris au départ, tu t’étais juste senti bien, très bien, peut-être trop bien même. Ça faisait des années que tu ne t’étais pas senti aussi léger, comme si le poids de ton existence avait disparu. Mais il était revenu et il était encore plus douloureux qu’avant. Parce que pendant quelques heures, t’avais oublié ce que c’était que de vivre avec ça, avec l’horreur et le sang, avec les cauchemars et la peur, avec un passé qui te hantait. T’avais voulu tester et t’avais pas compris qu’en en prenant un petit peu tu allais devenir accro aussi rapidement. T’étais pourtant tellement brisé que c’était une évidence. T’as quinze ans et tu viens de te perdre en voulant jouer avec les produits des grands.

T’as seize ans et le corps déjà détruit par la drogue et l’alcool. Pas une seule soirée passée sobre ou clean. T’inhales une dernière bouffée de drogue et tu quittes ton appart miteux. T’as une livraison à faire, il faut bien vivre. Tu ne sais plus si tu livres pour consommer ou si tu consommes parce que tu livres assez. T’as plus les idées assez nettes pour le savoir. T’as l’héro qui te bouffe l’esprit à longueur de journée. Ca fait maintenant plusieurs mois que c’est plus suffisant. T’es tout le temps en manque. Un manque que tu combles parfois par l’alcool quand t’en as plus, mais c’est juste temporaire. Il te faut tes doses. Y a rien de plus apaisant que l’aiguille s’enfonçant sous ta chair. T’es le spectateur lointain de ta vie en chute-libre. Mais au moins, la douleur disparait. Pendant quelques heures, tu ne penses pas à ce que tu as perdu. Pendant quelques heures, tu ne penses pas à son sang coulant sur le sol et tu n’entends plus ses cris de douleur. Pendant quelques heures, tu peux dormir d’un sommeil profond où aucun cauchemar ne te réveille. Et ça te suffit comme vie. Tu vis une vie hors de la réalité mais bien plus simple. Avec l’héro, la douleur elle disparait en partie et parfois tu le vois qui te sourit. T’es là, tu livres, t’es présent, mais t’as l’esprit dans un autre monde.

T’as dix-sept ans et la corde de ton arc est bandée à son maximum. T’essaies de stabiliser avec difficulté ton bras. C’est flou la cible, t’aurais dû aller prendre une dose avant d’aller dans la compétition. Maintenant t’en as trop envie mais c’est trop tard. C’est la seule chose à laquelle tu penses alors que tu devrais être concentré sur ta cible et cette flèche que tu dois envoyer en plein cœur. C’est le seul moyen d’attirer son attention. Le seul moyen que le Green Arrow, ton héros, te voit. T’es doué, t’en fais depuis que t’es gosse, mais t’es plus que l’ombre du gosse que tu pouvais être. Alors que tu penses qu’à ta drogue, c’est dur de viser le cercle le plus petit. T’as la rage au cœur quand tu comprends que t’as pas gagné. Pourtant, t’as la chance de ta vie un peu plus tard. Les délinquants des bacs à sable qui veulent piquer la caisse et toi qui passes étrangement à l’action. Et pendant le temps que ça dure, tu remplaces ta drogue par une autre. Par l’adrénaline que tu ressens à ce moment-là. Et quelques minutes plus tard par la joie d’être reconnue par le Green Arrow et par sa proposition. Pour la première fois depuis des mois, tu ne penses plus à la drogue pendant quelques minutes alors que tu es arrivé au bout de ta précédente prise. Juste quelques minutes, mais c’était déjà beaucoup.

T’as dix-huit ans et la première chose que tu fais ce jour-là, c’est de te faire tatouer les symboles de la tribu navaro sur le poignet. Brave Bow, il sera partout avec toi à présent. T’as le cœur presque léger et le sourire aux lèvres quand tu quittes sa boutique. Les choses tournent bien et tu te plais à te dire ce jour-là qu’il serait fier de toi. Fier comme Oliver peut l’être régulièrement. Et cette fierté que tu peux lire dans son regard, t’en as besoin. Parce que tu as vécu trop longtemps sans un seul regard. Parce que tu as vécu trop longtemps en étant le gosse de la rue, celui qui trafique et dont il faut s’éloigner, celui qui pourrait être dangereux et dont il vaut mieux ne pas croiser le regard, au cas où… Trop longtemps depuis la mort de ton père adoptif tu avais vécu sans cette reconnaissance dont tu avais eu bien trop besoin.

T’as vingt-ans et tu parcoures les rues de la ville à ses cotés. T’as l’adrénaline qui a remplacé l’héroïne dans tes veines depuis bien longtemps. Dépendance plus discrète mais bien réelle. T’en as besoin d’être dehors et lorsque t’es blessé et que t’es cloué au qg, tu sens le manque qui revient. C’est les seuls moments où ça te manque tout ça. Ça plus le fait que tu sais que la douleur pourrait s’arrêter pendant quelques heures. T’as les cicatrices qui parsèment en partie ton corps. Balles qui t’ont touché, coups de couteau, chute de moto. Personne ne sait ce que l’étudiant en mécanique fait de ses nuits, secret bien gardé de tous. Tu collectionnes les aventures sans jamais t’attacher. Peur de la perte, peur d’être de nouveau brisé. Et puis, c’est plus simple de ne pas se chercher d’excuses pour tes nuits passées à l’extérieur. T’as le cœur à l’ouvrage et tu deviens Speedy, plus que jamais. Nom trouvé par Oliver qui te va comme un gant. T’es son ombre sur le champ de bataille, l’ancien élève qui a rattrapé le maitre. Celui qui pourrait donner sa vie pour celui qui l’a sorti des ténèbres et lui a donné un but et un nouveau foyer, pour son équipe et pour celui que tu vois comme un nouveau père. T’arpentes les rues de Star City tous les soirs, t’as les flèches qui fusent et l’adrénaline qui coule dans tes veines. Battements de cœur qui s’accélèrent alors que tu t’apprêtes à te laisser sauter d’un immeuble à un autre. Besoin de la recherche du danger, mais tu sais qu’il ne faut pas être inconscient.

T’as vingt-deux ans et tu veux faire tes preuves tout seul. Oliver t’a appris plein de choses, mais maintenant, il est temps que tu voles de tes propres ailes. Tu n’as plus besoin de lui pour savoir ce qu’il faut que tu fasses. Tu n’as plus besoin de lui et tu as besoin de retrouver l’indépendance que tu as eu pendant bien longtemps tout en sachant que ce n’est pas comme avant. Ce n’est pas comme après la mort de Brave Bow. Tu n’es plus seul. Il sera toujours là, dans l’ombre, à guetter ton évolution, tu n’en doutes pas un seul instant. Tu pourras toujours le côtoyer régulièrement, parce qu’il sera toujours cette figure paternelle dans le monde des justiciers comme dans ta vie réelle, le grand-frère plein de bons conseils, le père que tu ne considères pas ainsi parce que tu t’imagines ainsi que ce sera moins difficile de le perdre si jamais quelque chose devait lui arriver. Tu quittes l’équipe officiellement, tu pars vivre ta vie. Tu voyages un peu avant de retourner aux sources, dans la forêt, vivre avec ta tribu. T’en avais besoin après tant d’années. Des années à ne pas pouvoir y remettre les pieds de peur de réveiller tes démons. Des années à ne pas pouvoir y remettre les pieds parce que la douleur était encore bien trop forte et les plaies bien trop béantes.

T’as vingt-trois ans et y a la proposition qui tombe. Ton choix, tu le fais seul, comme lors de tes derniers choix. Peut-être que le fait qu’Oliver travaillant peu en équipe choisisse de rejoindre la Justice League t’aide à te lancer dans l’aventure des Young Justice, tu n’en sais rien. Mais tu sais que tu as besoin de voir des gens, de savoir que tu peux aider un peu plus que ce que tu ne fais pour l’instant dans les rues si l’aide venait réellement à manquer. Parce que les grosses attaques arrivaient bien plus régulièrement et ça t’effrayait un peu. Peut-être aussi parce que tu avais besoin de partager un peu de ta vie avec d’autres, des personnes de ton âge. Des personnes à qui tu pourrais te confier sans soucis sur ce que tu pouvais voir dans les rues. Des personnes au côté de qui il faudra forcément que tu te battes si vous voulez tous sauver votre ville. Parce que si le syndicat s’attaquait à Star City, même avec l’aide d’Oliver et du Black Canary, vous seriez en infériorité numérique.

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