hello again, love. ‡ pv. zatanna

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zatanna & nicolas

San Francisco. La belle San Francisco. La brise marine est un plaisir que bien des gens ont tendance à oublier… des gens qui n’ont pas passé plus d’une décennie au fin fond des Enfers, à endurer les pires tourments qu’on réserve d’ordinaire aux gens de mon espèce. L’espèce des pires monstres que la Terre ait porté. Pourquoi est-ce un tel crime de recherche le pouvoir dans ce qu’il a de plus absolu ? En voulant flirter avec des pouvoirs au-delà de la compréhension des plus simples d’esprits, j’ai provoqué mille et un tourments qui m’ont été infligés plus de cent fois pendant cette captivité infernale. L’équité, on repassera. Les yeux clos, une nouvelle bouffée d’air glacé emplit mes poumons, débarrassés de toute trace de suie brûlante. Un délice. Alors, je souris, les bras étendus, m’amusant d’avoir l’air d’un Jésus bienheureux, tandis que mon image s’approcherait davantage de celle d’un Satan orgasmique. Lorsque mes pupilles de jais rencontrent la lumière du jour à nouveau, je contemple le métal rouge pétant du Golden Gate sur lequel je me juche à cet instant, je le caresse du bout des doigts, presque rêveusement. « Tu n’as pas bougé d’un poil, toi… » soufflais-je à cette grande dame de métal, point d’orgue d’un paysage que j’ai contemplé pendant des années.
Ce n’est pas pour rien que j’ai décidé de venir ici, en ce jour. Il n’y a bien que ce pont, qui n’a pas changé. La dernière fois que j’ai vu cette merveille d’architecture, c’était en 2008, peu avant… la trahison. Une trahison qui m’a coûté bien plus cher qu’à ceux qui en sont réellement responsables. Rien qu’à y penser, mon poing se serre, mes épaules se mettent à trembler… et je me calme. Je tente de me canaliser le plus possible, afin de garder la tête froide. Aujourd’hui n’est pas le jour J de la vengeance. Ce n’est que le point de départ d’une lente agonie que j’envisage de rendre aussi déchirante que possible pour les principaux concernés. D’ailleurs, je décide de ne pas faire durer le suspense plus longtemps. Je viens finalement fermer les yeux et tendre mes deux mains devant moi en poussant un long soupir pour expirer le plus d’air possible. Concentration. Férocité. Une violence latente fait battre le sang dans mes veines, jusqu’à ce que j’en appelle à cette formidable capacité arrachée aux Enfers : l’électrokinésie. Des petits éclairs se mettent à lécher mes doigts, courir d’une main à l’autre, avant qu’une onde invisible ne pulse autour de moi comme le souffle d’une bombe que l’œil nu ne saurait remarquer. L’onde chargée d’électromagnétisme déferle sur le pont, ravageuse et indolore à la fois : bientôt, toutes les voitures qui roulent sur le pont s’immobilisent, s’entrechoquent, privées de leur batterie et rendues aussi inopérantes qu’une roue de vélo bloquée par un vulgaire bâton. Lorsque je rouvre les yeux, c’est un concert de klaxons qui vient tinter à mes oreilles, porté par le vent marin.
Le regard posé en contrebas, je m’amuse de voir toutes ces fourmis insignifiantes se presser de sortir de leurs véhicules pour constater et s’alarmer du non fonctionnement de leurs carrosses de pacotille. « Qu’ils sont mignons, vu d’en haut… » murmurais-je d’une voix doucereuse, presque attendrie. Je relève alors la manche de mon trench couleur de nuit et scrute les contours du tatouage qui orne mon avant-bras. Cette rune source de bien des maux, mais bientôt porteuse d’un avenir on ne peut plus intéressant. Mon autre main posée dessus, je ferme les yeux et commence à psalmodier une formule dérivée du latin « Evigilans magicae traicere ». Les poils de mon bras se redressent, s’électrisent, et le tatouage s’illumine d’une couleur bleu nuit : sentant qu’un pont se dessine entre moi et la personne sur laquelle je focalise mes pensées – Zatanna Zatara – je parachève le sortilège en envoyant une décharge électrique à travers la rune. Je serre les dents, accusant la douleur de cet appel, mais réjoui à l’idée qu’elle poursuive sa course jusqu’au bras de ma victime. Un sourire dément flotte sur mes lèvres, alors que je souffre. Et enfin, avant que je ne coupe le pont mystique et mental avec la redoutable magicienne, j’envoie une dernière image mentale : le Golden Gate Bridge. Juste l’image de ce pont.
La lueur du tatouage s’évanouit enfin, à mesure que je relâche la pression magique dessus. Une rougeur s’est formée tout autour, et une douleur lancinante se fraye un chemin dans les muscles de mon bras… pourtant, je la trouve presque agréable, cette douleur. Mon masochisme intérieur en redemanderait presque, d'ailleurs. Je croise mes mains dans mon dos, la manche toujours relevée, puis je tourne la tête vers l’horizon, devenu presque sourd à toutes les voitures immobiles qui klaxonnent sans cesse à quelques mètres en dessous. J’attends. Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas encore comment je vais réagir en plongeant à nouveau mon regard dans l’azur des yeux de Zatanna.

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« Toi qui marches à travers tous les royaumes ; cieux, terre, et monde des esprits. Par tes noms secrets je t’appelle : Chtonia de la Terre, Phosphoros qui apporte la lumière, Propolos qui nous conduit, Perséphone protectrice des femmes. » Zee retourna lentement ses mains, posées sur ses jambes croisées, paumes vers le ciel. Yeux fermés, en lévitation à un mètre au-dessus du sol d’une des nombreuses chambres de la Maison, elle tentait de méditer, l’esprit tout entier tendu vers Hécate et sa sombre présence. Rassurante. Ce n’était pas de la magie – pas vraiment. Elle l’avait promis à Orchid, pour se faire pardonner de son attitude des dernières semaines. Promis, avait-elle dit, elle allait arrêter les bêtises. Et elle avait tenu parole. Rangé les livres où elle avait pu, jeté les objets cassés, les tissus brûlés, les bouteilles vides. Rempli le frigo, rempli la cave, dépoussiéré un peu par-ci par-là. Elle était sûre que le vrai propriétaire des lieux n’en faisait pas tant. C’était un peu pour lui aussi qu’elle avait fait tout ça, mais il n’était pas revenu, alors… Des fois, elle se demandait ce qu’elle faisait encore là. Elle avait l’impression de l’attendre et ça la mettait en rage. Et quand elle s’énervait, elle sentait le petit tatouage, gros comme une pièce de monnaie, à la base de sa gorge, palpiter, comme ravi de ces pensées violentes qui la traversaient. Et alors, elle tentait de méditer, pour se calmer. « Je prie pour ta présence, au carrefour de ma vie. Aide-moi à abandonner ce qui me retient. Aide-moi à transformer la décadence en renaissance. Bannis… » Elle s’interrompit et fronça les sourcils sans ouvrir les yeux. Bannir quoi, exactement ? Qu’est-ce qui la dérangeait à ce point ? Tout était parfait dans le meilleur des mondes. Elle inspira de nouveau profondément. « Bannis… Bannis… » Elle serra les poings sans s’en rendre compte. Encore un peu et elle aurait pu entendre Hécate en personne se moquer d’elle. Allez, un petit effort !

Elle sentit son avant-bras la picoter légèrement et chassa la sensation avec agacement, mais cela empira, jusqu’à ce que soudain, une douleur lui traverse le bras et lui arrache un cri. Elle se laissa tomber au sol, la main couvrant son tatouage, avec l’impression que quelque chose allait s’en arracher littéralement. Était-ce John qui avait des ennuis ? Cela ne pouvait être que lui. Ce n’était que lui depuis des années, et ça le serait jusqu’à sa mort ou la sienne. Elle aurait pu s’arracher la peau, se couper le bras, rien n’y aurait changé, ce qu’ils avaient fait à l’époque était gravé en eux jusqu’au plus profond de leur âme. Pendant une seconde elle eut une pensée absurde – il ne pouvait pas appeler, comme tout le monde, non ?? – puis le fil qui semblait la tirer vers le ciel et vide, vers l’autre bout de quelque chose, fut agité d’une secousse et une image explosa dans son esprit, en même temps qu’une impression familière. La sensation disparut tout aussi brutalement qu’elle était venue, laissant la magicienne à genoux par terre, les yeux fixés au sol.

Non.

Non, c’était impossible. Sorcellerie, à n’en pas douter, un tour que lui jouait un ennemi, il y en avait toujours, et il y en avait partout. Elle se releva d’un bond, tout à fait disposée à repousser l’éventualité la plus simple, la plus évidente, mais la plus impossible, aussi. « naS ocsisnarF sneiv à iom ! » Eh bien, c’était plus elle qui allait à San Francisco que l’inverse, et rien que de prononcer ce nom, rien que de se téléporter dans cette ville, sur ce pont, où elle n’était plus retournée depuis longtemps, lui arracha un frisson. Ou alors, c'était parce qu'elle était partie en simple débardeur, et ce n'était pas celui en résille qu'elle portait par-dessus qui allait la réchauffer. Elle atterrit sur un des énormes câbles métalliques qui maintenaient le pont au-dessus du bras de mer et vit tout de suite que sur la route, à ses pieds, c’était le chaos. Pas de danger immédiat, mais un sacré bordel. Son regard fouilla l’horizon – la mer, la brume pâle et glaciale qui ornait la skyline de San Francisco avec délicatesse, si différente de la nappe épaisse et poisseuse qui pesait sur Gotham. Puis son regard accrocha une silhouette un peu plus loin, elle aussi perchée à des dizaines de mètres de hauteur du pont, et elle sentit son souffle se bloquer dans sa gorge, mais pas le mot qui franchit ses lèvres, inaudible, aussitôt emporté par le vent qui claquait à cette hauteur et soulevait ses cheveux furieusement. « Nick… » Le dire, c’était le graver dans la pierre. L’accepter, aussi sûrement qu’elle le voyait, là, sous yeux, devant elle. Il était en enfer – c’étaient eux qui l’y avait envoyé. Oh seigneur, s’il y a un seigneur, sauvez mon âme, si j’ai une âme… Elle aurait dû partir, et surtout, prévenir John. Oui, elle aurait dû. « C’est bien toi, Nick ? » Il y avait encore une chance, après tout. Un tour mauvais, par une Némésis quelconque connaissant ses points faibles. Comme si poser la foutue question allait l’aider ! Son visage ? Atterré. Fut un temps où elle lui aurait sauté au cou, des étoiles dans les yeux. Aujourd’hui, sa seule présence ici la repoussait quasi physiquement. Oh non, non, non. Qu’avons-nous encore fait ? Ils l’avaient envoyé en enfer. Et il n’y était plus, augure de catastrophes annoncées.

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Elle approche. Je peux le sentir aussi nettement que le vent qui balaie sans pitié les hauteurs du Golden Gate. Avant même que ce tatouage ne nous lie d’une façon irréversible, j’avais toujours senti une affinité particulière avec l’aura de celle qui allait bientôt faire son apparition, comme si nos êtres étaient destinés à être enlacés, enchaînés même l’un à l’autre. Pourquoi lutter contre ce destin ? A mon tour de lui apprendre le sens du mot malédiction. Enfin, j’entends un souffle léger au moment précis où chaque fibre de mon être s’éveille à la proximité de la magie de Zatanna. Elle est ici. Je garde les yeux obstinément fixés sur la skyline, l’ouïe pourtant focalisée sur le moindre bruit qu’elle pourrait émettre. Malgré le boucan qui règne en bas, je n’entends qu’elle, que ses pas qui frappent doucement le métal rouge, jusqu’à ce hoquet de surprise qui doit probablement la saisir d’effroi. D’effroi, c’est le terme. A une époque, la joie aurait été sa seule maîtresse… mais aujourd’hui, elle ne semble guère ressentir la moindre petite once de bonheur. Ce serait même plutôt l’inverse. Triste. « C’est beau, non ? Je me souviens du premier jour où je t’ai amenée ici. Tu ne me croyais pas, quand je te disais que la plus belle vue de la baie était au plus haut de ce pont… » Étrangement, je sentais un sourire se dessiner sur mes lèvres, mais bien loin de la démence qui m’habitait quelques minutes plus tôt. Cette fois-ci, je pourrais tout à fait l’associer à une forme de nostalgie… un sentimentalisme qui s’évanouit aussi rapidement qu’il fit son apparition.
Je me tourne enfin vers elle pour lui faire face, les mains toujours jointes dans le dos. Il n’y a pas l’ombre d’un sentiment agressif qui habite mes traits, pas même ce regard de jais que je darde sur elle presque sans ciller. « Maintenant, il y a une autre raison à cette si jolie vue. » ajoutais-je, une légère étincelle charmeuse dans les yeux. S’il m’arrive d’être une tornade de violence et un sadique sans la moindre pitié, j’estime être une personne calme et courtoise la majeure partie du temps… et c’est probablement à cela que je dois cette réputation de psychopathe dangereux et insondable qui me colle à la peau comme mon trench au dos de Constantine. « Tu y penses, n’est-ce pas ? A l’appeler. » Lui. Celui qu’elle avait choisi. Ce cafard que j’ai eu la bêtise de façonner à mon image. J’accorde un sourire en coin à la prodigieuse magicienne. « Ca me vexe, Zee. Même dans un moment aussi romantique et agréable, tes pensées ne sont pas toutes tournées vers moi. Dommage. Tiens, parlant de pensées… » Je plonge l’une de mes mains dans la poche de mon long manteau pour en sortir une poudre. Après avoir psalmodié quelques mots gaéliques, je lâche la poignée de poudre qui flotte dans l’air, en suspension immobile malgré le vent qui souffle sur nous. Doucement, elle se met à tourbillonner et à former une scène, à représenter quelqu’un dont les traits ressemblent étonnamment à Zatanna. « Ca, ce sont mes pensées. Ou plutôt un souvenir, quelque chose de fugace, d’étrange… Ca ne te rappelle rien ? De grands espaces noyés dans les flammes, une prison biblique pour les personnages soi-disant peu recommandables… C’est toi, au milieu de ce capharnaüm, non ? Mais qui sembles-tu chercher aussi avidement ? Ah oui… c’est vrai. Pendant un instant, j’ai cru que le repentir t’avait menée jusqu’à moi… mais non. » J’étendais mon bras dans un long mouvement, et la poussière dorée prit cette fois la forme du visage de John. Avant de retomber au sol et finir balayée par la houle violente, ne laissant à Zatanna que le loisir de voir mes traits pourtant si joyeux malgré la dureté du regard que je posais sur elle. « Une fois de plus, tes pensées allaient à un autre. Jusqu’au beau milieu des Enfers. Décidément, on ne peut compter que sur soi-même pour se sortir des pires situations, n’est-ce pas ? » demandais-je de façon rhétorique en croisant les bras sur mon torse, avec un petit rire amusé et amer à la fois. Non, tu ne rêves pas, trésor. Ou si c’est un cauchemar, ne compte pas sur la sonnerie du réveil pour t’en sortir. Il ne fait que commencer.

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Son cœur battait trop fort, et elle respirait trop vite. Le voir ici, libre, qui se tenait au sommet de ce pont comme s’il était le roi du monde… Dans son esprit, Nick brûlait en enfer. En cette seconde même, il brûlait. John et elle s’en étaient assurés et n’avaient jamais ne serait-ce qu’envisager de le délivrer. Ni alors ni maintenant. Alors qu’est-ce qu’il faisait là ? Qui l’avait fait sortir ? La tête lui tournait, alors que s’imposait à elle une urgence absolue : il fallait qu’il y retourne, en enfer. Nick marchant libre sur cette Terre, ce n’était pas une bonne chose. Elle le fixait, qui évoquait le passé comme si c’était hier, comme si c’était normal, comme si c’étaient des retrouvailles attendues et pas l’un des pires cauchemars de Zee qui se réalisait. Et à ses mots, ses yeux lancèrent des éclairs. Quand il se tourna enfin vers elle, elle le regarda avec une colère sourde. De quel droit est-ce qu’il évoquait cette chimère, ce passé commun qui avec le recul était devenu une des pires erreurs de toute sa vie ? Il se foutait d’elle, ou quoi ? Elle avait appris à ne pas remuer la boue de ses souvenirs. Elle ouvrit la bouche pour répliquer vertement à ses hérésies, mais alors ce fut comme s'il avait lu dans son esprit. Un sentiment l’envahit peu à peu, un froid glacial : et s’il avait déjà rendu visite à John ? Mais John le lui aurait dit, n’est-ce pas ? Il ne pouvait tout de même pas ne pas le lui dire, même s’il la détestait. Elle se retint de demander à Nick ce qu’il lui avait fait. Cela lui aurait fait trop plaisir. Pourtant, il avait essayé de les tuer par le passé. C’était ce qui lui avait valu un aller censé être simple pour l’enfer. Mais avant cela, Nick avait aimé John d’un amour véritable. Mais l’amour, elle le savait, ne faisait pas le poids face à la haine, particulièrement chez des gens comme Nick.

Elle se raidit en le voyant fouiller sa poche, mais ce n’était qu’un spectacle de plus, les images d’un cauchemar qui la hanterait toute sa vie – l’enfer. Elle ne pouvait pas ne pas prétendre ne pas avoir pensé à Nick alors qu’elle cherchait John. Pas par pitié. Non, elle n’avait eu qu’une crainte, ça avait été de le croiser. Elle s’accrocha de toutes ses forces au visage de John, qui s’évapora comme le reste du petit show de Nick – il aimait toujours autant le spectacle, apparemment. Elle grinça des dents en entendant son surnom, devenu parodique dans sa bouche. « On dirait que ça t’amuse de réécrire l’histoire. Ce n’est pas toi la victime. Toi, Nick, tu étais le bourreau. Ce sont tes choix qui t’ont mené en enfer. Et c’est là-bas qu’est ta place. » Plus jeune, oui, la culpabilité avait été presque insupportable, mais contrebalancée par la certitude d’avoir pris la seule décision possible, et aussi la présence d’un être aimé. Elle avait mûri aujourd’hui. Elle était seule désormais. Mais elle ne regrettait plus ses choix. Le seul regret qu’elle avait en cette seconde, c’était de ne pas être assez forte pour le renvoyer en enfer elle-même. Ou peut-être bien qu’elle en était capable. Elle ne supportait pas de regarder dans le miroir l’étendue réelle de ses pouvoirs. Peut-être qu’elle pouvait tout arranger, ici, maintenant. Tu n’as qu’à le faire… User de forces qui la dépassaient ? Qu’elle n’aurait pas su maîtriser seule ? Non, plus jamais – jusqu’à la prochaine fois. « Je n’ai pas pensé à toi si ce n’est pour regretter mes choix. Et j’ai changé. On dirait que toi, tu n’es pas allé de l’avant. » Ses pieds décollèrent du câble et elle lévita un peu au-dessus de lui. Elle pouvait le tuer. Cela suffirait à renvoyer son âme brûler en enfer. Pas la peine d’appeler de l’aide. S’il était encore en vie. Il était censé débarquer quand on avait besoin de lui.

« muirotujdA murtson ni enimon inimod euq ticef muleac te marret ! » Les mots sortaient tous seuls, à l’envers, parce que c’était facile. Il croyait peut-être qu’elle était encore la gamine qu’il avait prise sous son aile. Un pentacle lumineux se dessina juste derrière lui, lançant ses lignes d’énergie à l’assaut de ses bras, de ses jambes de son cou. C’était une invocation positive, rien à voir avec la magie noire. Elle ne se ferait pas avoir deux fois en si peu de temps. Elle serra le poing, forçant le pentacle à aspirer l’énergie de Nick. Elle était grande, à présent. Et les adultes n’avaient pas peur que leurs cauchemars prennent vie. Ils étaient censés pouvoir lutter contre les monstres cachés dans le placard. « enruoteR ùo'd ut sneiv, kciN ! »

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Spoiler:

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Tigresse furieuse, Zatanna avait bien changé, je m’en apercevais à cet instant précis. Plus mature, probablement un peu plus sûre d’elle-même, et surtout en accord avec ses choix. Intéressant. Il sera d’autant plus gratifiant de la faire replonger dans ces démons qu’elle a voulu oublier au cours de cette dernière décennie. Tu n’oublieras plus, trésor, pensais-je. J’y veillerai. L’insécurité deviendra sa meilleure ennemie. Figée dans une attitude proche du dégoût, elle crache ses paroles comme un cobra jetterait son venin à la figure de sa proie. Outrancier jusqu’au bout des ongles, j’en viens à poser une main sur ma poitrine, mimant un coup porté au cœur… non sans habiller mon visage d’une expression blessée et malheureuse. « Et c’est ton choix de mots qui me fait encore davantage souffrir… Seigneur, qu’ai-je bien pu faire pour mériter autant de mépris ? » implorais-je faussement en levant les bras vers le ciel. Blasphématoire, le pape devait probablement trembler jusqu’au Vatican en entendant le vent porter de telles paroles de ma bouche. Soudain, je me demande fugacement si me faire tatouer ‘Jesus loves me’ provoquerait une brûlure de ma peau à tout jamais… à tester. Quoiqu’il en soit, je réalise que Zatanna ne semble plus éprouver le moindre regret à l’idée de m’avoir banni de ce plan terrestre, et elle ne pense même qu’à une seule chose : m’y renvoyer. John a dû faire un travail exceptionnel pour la monter contre moi. Et plus j’observe la magicienne, plus je repense à cet étrange sentiment que j’ai eu au cœur des Enfers, comme l’impression d’avoir vécu une double vie avec elle… une vie idéale. Je n’ai pas encore compris d’où venait cette sensation, et je ne compte pas rester éternellement sans réponse.

Toutefois, à l’instant précis où je comptais lui en parler, voilà qu’une de ses paroles me fige à mon tour. Tu n’es pas allé de l’avant. Choqué, tant et si bien que je suis sourd aux formules qu’elle entonne de son ton si particulier. Yeux écarquillés, le visage bloqué dans une expression hébétée et incrédule, je termine à genoux et enlacé par des liens d’une magie si pure que même dans mes rêves les plus fous, je serai incapable d’en produire une semblable. Je secoue la tête et déglutit avec difficulté afin de reprendre connaissance. « Si agressive… on dirait bien que tu as un peu plus peur… qu-que tu ne veux l-l’adm… ettre… » soufflai-je, avec un sourire dément sur les lèvres. Si ma magie n’est pas très efficace contre des sortilèges comme celui-ci de façon frontale, je n’en prends pas ombrage le moins du monde. Mon poing se serre, et mes yeux se nimbent de flammes orangées qui courent sur ma cornée. En dessous de nous, un bruit de métal qu’on tord se fait entendre : les boulons d’une des rambardes sautent et les barres métalliques s’écartent, broyées par une magie impitoyable. Dans un second temps, deux véhicules virent leur sécurité se bloquer, empêchant les occupants de s’échapper, avant d’être brutalement projetés par une force invisible hors du pont, via la brèche nouvellement créée. Les occupants des voitures se débattaient, tapaient aux vitres en criant pour qu’on vienne les sortir de ce cauchemar. A des mètres au-dessus, je fixe Zatanna d’un air supérieur, tout en luttant pour ne pas me laisser engloutir par sa magie et rester le plus stable possible. « Vas-y, renvoie-moi en Enfer, acharne-toi sur moi… tu le veux, je le sens. Cette violence, toute cette passion… Tu n’as pas besoin d’aller les sauver eux, si tu préfères me vaincre moi… » narguais-je en employant cette fois une partie de ma magie à faire courir des liens ténébreux sur ceux qui me tenaient prisonnier, afin de corrompre la clarté des entraves qui me maintenaient. Elle avait le choix : sauver ces humains d’une noyade certaine, ou chercher à me vaincre. Et nous savions tous les deux où son cœur allait pencher.

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Il avait toujours été doué pour parler, Nick. C’était bien aussi pour ça qu’ils s’étaient fait avoir, au début. Il avait la connaissance, il avait le pouvoir, il avait l’expérience, et il avait cette aura qui l’entourait, et grâce à laquelle il obtenait toujours des gens tout ce qu’il voulait, souvent sans même utiliser la magie. Il en avait fait, des promesses. Il en avait tenues la plupart, jusqu’à ce qu’il finisse par ne plus les tenir, par piétiner toutes les limites, par en oublier qu’il n’était plus celui qu’il était. Bien sûr, ses mots cognaient fort en elle, mais elle avait eu le temps de se blinder. Ce n’était pas qu’elle n’était pas touchée, mais elle avait appris à le haïr plus fort qu’à avoir pitié. Les deux sentiments coexistaient, mais la colère était la plus forte, pour le mal qu’il avait fait, pour la trahison qu’il représentait, pour avoir essayé de les tuer. Et c’était toute cette colère qu’elle mettait dans ses intentions, à tenter de le planter là comme une araignée sur un mur, de siphonner sa force, d’éliminer la menace qu’il représentait et dont ce monde n’avait pas encore conscience. Seuls John et elle pouvaient le savoir, et Zatara s’il avait été encore parmi eux. Et elle avait bien l’intention de préserver la population de ce nouvel ennemi dont elle n’avait pas besoin, surtout pas en ce moment. Il était leur faute. Leur responsabilité. Quelqu’un dont ils ne pouvaient pas se détourner ni fuir.

Elle le sentit ruer contre sa magie et ouvrit la bouche pour lancer un second sort, quand sous eux, le métal du pont se tordit et se brisa. Elle sentit son cœur battre à tout rompre, à moins que ce ne soit ce fichu tatouage, cette marque dégoûtante, tue-le, tue-le, ne t’occupe pas d’eux, et pendant une fraction de seconde, elle crut qu’elle allait hésiter. La magie de Nick rampait sur la sienne comme les ténèbres dévorant la lumière et elle se secoua, un véritable électrochoc. « noitativéL ! » Les voitures en train de tomber furent stoppée dans leur course et elle les reposa sur le pont, consciente du temps perdu, de l’attention qu’elle portait à ces gens et pas à lui, mais sans aucun regret non plus. « Rien n’a changé, alors ? L’enfer n’a pas calmé tes ambitions ? C’est pour cela que tu es revenu, semer à nouveau le chaos, pour ton seul profit ? » Elle plaqua les deux mains l’une contre l’autre et ses yeux soudain devinrent entièrement lumineux sous la puissance qu’elle déployait. Prononçant un sort à l’envers, elle écarta les bras, et chaque personne présente sur le pont fut soudain entourée d’une sphère lumineuse à peine visible, qu’elle soit à l’extérieur ou encore dans sa voiture, avant de disparaître, purement et simplement. Elle n’avait pas le temps de s’occuper de leur atterrissage, à quelques centaines de mètres de là, mais quelques genoux égratignés, ce n’était pas cher payé pour avoir la vie sauve – à condition qu’elle vainque Nick ici et maintenant. Les yeux toujours illuminés, elle baissa la tête sur le sorcier. Elle avait dépensé beaucoup d’énergie, mais il lui en restait encore des sommes astronomiques. C’était le doute qui l’empêchait d’être meilleure, pas la puissance, et oui, quand ils étaient tous les trois ensemble, elle n’avait jamais douté. Mais elle avait eu tort, bien sûr, la maturité et l’expérience lui avaient appris la prudence, car la magie était dangereuse, c’était aussi simple et aussi tragique que ça.

« Tu vas retourner en enfer. Et ceux qui t’en ont fait sortir vont aller te tenir compagnie. » Mais qui, hein, qui lui était venu en aide ? Il n’avait pas pu revenir seul. Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser à ce qui s’était passé dans cette grotte quand John avait tiré sur ce fil invisible qui les reliait à Nick. Mais ce n’était pas le moment de se déconcentrer. « etacéH ej erolpmi't, at ecrof emmoc eépé, at essegas emmoc reilcuob ! » Une silhouette féminine éthérée s’arracha à elle, plus grande, plus musclée, armée d’une longue épée et d’un bouclier rond, telle une Valkyrie d’antan – sans traits distinctifs, juste une entité d’énergie qui se jeta sur Nick, guidée par Zee qui, obnubilée par l’idée d’en finir le plus vite possible, en oubliait presque qu’il savait comment se défendre contre elle. Sans cesser de psalmodier sa litanie, elle leva un bras, et sa guerrière leva le même bras, armée de son épée, pour l’abattre sur Nick de toutes ses forces.

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J’avais imaginé des retrouvailles mémorables, il va sans dire que Zatanna est fidèle à sa réputation : elle ne déçoit jamais. Si elle dégage toujours cette même fragilité qu’elle a le bon goût de nommer « sensibilité », je ressens dans ses gestes, dans son regard et dans sa voix une force qu’elle ne possédait pas à un tel degré une décennie plus tôt. Il n’y a pas que les ravages du temps qui ont fait leur œuvre sur le cœur et l’âme de ma petite magicienne préférée : il y a sans doute les mots réconfortants d’un blond détestable, et des épreuves endurées qu’elle a passé haut la main en écoutant un potentiel qui ne demandait qu’à éclore. Et pourtant, alors que j’étais agenouillé en luttant contre ses liens qui cherchaient désespérément à me renvoyer en Enfer, je m’amusais de constater qu’elle commettait toujours les mêmes erreurs. Toutes liées à un seul et unique défaut : la hâte. Le besoin d’en finir rapidement, de prendre une décision sans tarder, d’agir immédiatement pour ne pas laisser une situation lui échapper. Ajoutez-y une dose d’héroïsme et vous aurez un savoureux cocktail dont le genre humain était si friand, lui qui manquait cruellement de forces pour lutter contre ce qui est né pour le dominer. En l’occurrence, votre estimé moi-même. Oui, l’ego va de pair avec la soif de pouvoir, c’est écrit comme ça dans le manuel du parfait psychopathe.

Et c’est cet héroïsme qui ne manqua pas de faire son apparition. Un sourire au coin de la bouche, je l’observais léviter au-dessus du métal carmin, concentrée à appliquer le même sort aux voitures plongeant vers la surface de l’océan. Alors, mes lèvres se mirent à bouger elles aussi, soufflant une mélopée grave et presque inaudible qui fit frissonner l’air autour de moi. Ma silhouette fut brouillée l’espace d’une demi-seconde, comme une télé mal réglée pour laquelle on chercherait le bon signal de réception. La même chose se produisit à l’intérieur d’une des voitures dans l’eau. Puis plus rien. Je me retrouvais comme tout à l’heure aux prises avec ces liens magiques que les ombres eurent tôt fait de finalement dévorer. Zatanna n’eut guère le temps de mériter une réponse, puisqu’elle se trouva vite occupée par la téléportation de tous ces braves gens innocents du pont jusqu’au rivage. Tous parqués les uns avec les autres. Rassemblés loin de l’horizon de la bataille… c’en était navrant tant la situation était prévisible.
« Allons bon, tu ne me crois pas suffisamment puissant pour pouvoir m’échapper seul ? Ce n’est pas parce que tu as toujours eu un larbin voleur de manteau pour te prêter main forte que les autres grandes personnes ne savent pas non plus se débrouiller par eux-mêmes, tu sais, love. » narguais-je avec un sourire on ne peut plus aimable. Bientôt, elle s’empressa de prononcer son sortilège à l’envers, appelant à son secours un soldat tout de magie constitué… Remarquable. Face à la nouvelle assaillante commandée à distance par la puissante magicienne, ma propre silhouette demeura immobile. Calme. Peut-être trop calme… mais ce n’est pas ce qui arrêta le bras armé de Zatanna : l’épée d’énergie s’éleva et fondit sur sa cible. Et à aucun moment, je n’avais cherché à l’éviter.
La lame traversa ma silhouette de haut en bas, me projetant même contre l’un des poteaux de métal sous la force de l’impact. Mais à l’instant où j’ouvris les yeux, ma silhouette se brouilla encore, exactement comme tout à l’heure. « Tellement déterminée à me renvoyer en Enfer… c’est scandaleux de voir la haine que je peux t’inspirer. Tant de haine, et si peu de recul. » Ma propre image fut dissolue dans une volute de fumée noire et, à la place de mon corps étendu au sol, c’est le corps d’un homme d’une trentaine d’années qui jonchait le sol métallique. Les yeux grands ouverts, d’un noir profond sans pupille ni blanc, une marque de brûlure se dessinait sur tout son torse, blessure irrémédiable causée par Zatanna. Pourtant, c’est bien le son de ma voix qui résonnait à travers les lèvres de l’anonyme écorché. « Tu ne connais pas cet homme, et c’est pourtant la première victime de ta ridicule croisade contre moi, Zee. S’il te parle en ce moment, c’est uniquement parce que je le maintiens en vie. Des marionnettes comme celle-ci, c’est utile… et vu la qualité du service après-vente infernal, je persiste à dire qu’il vaut mieux être possédé que de moisir dans les profondeurs des Enfers. » ajoutais-je avec un soupçon d’humour amer. Le type se releva pour faire face à la jeune femme, alors que du sang s’écoulait lentement de sa blessure. « Impressionnante, ta garde du corps… j’aurais résisté, mais ce brave homme, lui… il a les organes liquéfiés par un tel apport d’énergie. Un petit prix à payer pour avoir tout un tas d’autres petites âmes à collecter. D’ailleurs, je te remercie de les avoir téléportés au même endroit, ça m’a évité d’avoir à dépenser trop d’énergie à le faire moi-même. » lança l’inconnu en mimant un baiser du bout des lèvres. Le noir de ses yeux s’évanouit et à cet instant précis, il s’effondra aux pieds de Zatanna. Sans vie.

En contrebas, à la sortie du pont, un vent souffla sur le sol où les rescapés avaient atterri et dévoila un pentagramme tracé avec ce qui semblait être de la cendre. Il s’activa soudain d’une couleur pourpre et, en son centre, un autre homme se retrouva « brouillé » avant de reprendre mes traits. Cette fois-ci, pas besoin d’un échange de corps et d’une banale illusion. Les bras levés dans des directions opposées, je pris une grande inspiration, puis j’entamai la formule en grec ancien. « Hadès, Lucifer et Hela, divinités infernales, j’en appelle à vos forces. Emportez ces âmes pour m’en offrir l’essence, et consommez ces corps pour me garder des offenses. » Un dôme de la même couleur pourpre enveloppa le pentagramme et chaque personne à l’intérieur se figea instantanément, comme dépossédées de leur volonté. Un mince filet d’ombre flotta de chacune d’entre elles pour venir jusqu’à moi, alimentant un rituel de magie noire avancée relativement abominable : leur énergie spirituelle venait nourrir mon incantation, et leur énergie physique servait à alimenter le dôme de protection. Assis en tailleur au milieu de tout ce beau monde sur le point de succomber comme des mouches face à l’impitoyable bombe insecticide, je gardais un air serein et concentré, levant les yeux vers le pont d’où Zatanna ne tarderait probablement pas à partir. Chacune de ses attaques contre le dôme ne ferait qu’accélérer le processus, et une attaque contre moi impacterait tout le collectif instantanément.
Pourquoi diable s’en prendre directement à Zatanna, quand il était plus drôle de la faire souffrir sans lui infliger la moindre attaque directe ? Il était écrit que je la ferai souffrir jusqu’à la folie… jamais je n’ai promis de m’en prendre à sa personne.

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Ne pas écouter ses paroles. Ne pas écouter ses mots, qui étaient comme du poison. Elle pouvait se revoir, à peine sortie de l’adolescence, boire ses propos, les yeux grands ouverts – une tout autre façon d’envisager de faire de la magie, si différente de son père, qui n’était que limites et restrictions, prudence et raison. Nick était entré dans sa vie quand elle-même commençait à vouloir s’émanciper de son père et ce terrible hasard avait suffi à bouleverser sa vie pour toujours. La jeunesse n’excusait pas tout. Elle avait toujours eu tendance à se croire meilleure, à l’époque – et Nick le lui avait bien assez répété. C’était stupide, avec le recul, la chose la plus stupide et la plus puérile qu’elle ait jamais fait de sa vie. Se faire avoir ainsi, comme une gamine. Mais c’était une autre époque, où tout semblait commencer, tout se passait comme ils le voulaient, et tous les trois, Nick, John et elle, se portaient les une les autres vers l’avant, dans cet élan qui les faisait se sentir invincibles et immortels. Jusqu’à ce qu’ils se brûlent les ailes. Nick avait fini en enfer. John avait commis l’irréparable – plusieurs fois, incapable d’apprendre de ses erreurs. Et elle, elle avait fini par avoir peur de ses propres pouvoirs, recroquevillée dans sa propre existence au point de ne même plus pouvoir se battre pour les autres. Mais elle en était revenue, de ça. Elle pouvait se battre, et elle s’imposait à elle-même ces restrictions qu’elle avait rejetées du temps où son père tentait de les lui inculquer. Du moins pensait-elle avoir gagné ce genre de maturité. Voir Nick ainsi ressuscité, connaissant son potentiel de nuisance et le danger qu’il représentait, faisait remonter en elle des attitudes qu’elle pensait avoir étouffées. Régler le problème. Se débarrasser de la menace, tout de suite, maintenant. Elle avait vingt ans à nouveau, incapable de voir plus loin que ce qu’elle avait sous les yeux.

Son coup traversa Nick de part en part et pourtant, elle n’en ressentit aucune satisfaction, au contraire, un sentiment d’angoisse l’étreignit alors qu’elle savait que ça ne pouvait pas être aussi simple. En voyant la silhouette haïe s’évaporer pour laisser la place à un inconnu, elle sentit son cœur se glacer. Les paroles moqueuses de Nick l’atteignaient à peine, parce qu’elle-même savait exactement ce qu’elle venait de faire. La silhouette gigantesque de sa guerrière vacilla et disparut et Zee se laissa glisser vers le sol, comme une feuille morte, jusqu’à tomber à genoux devant l’homme qu’elle venait d’attaquer. La rengaine habituelle tournait dans sa tête, la rendant sourde et aveugle à tout ce qui l’entourait – non, non, non, non, non…. Elle posa les mains sur le torse de l’homme et laissa un flux d’énergie passer de son corps au sien, mais la magie tournoyait au-dessus du corps et s’évaporait dans l’air, inutile. Elle s’acharna, jusqu’à se redresser, les larmes aux yeux, une main posée sur sa gorge. Elle pouvait toujours détester Nick pour ce tour hideux et cruel, mais n’était-ce pas dans sa nature ? Et elle, ne s’était-elle pas montrée stupide ? Alors, à qui la faute ? Elle le regarda qui, à l’abri sous un dôme d’énergie, était en train de siphonner la vie de tous ceux qu’elle avait tenté de sauver. Elle pouvait lutter contre le mal par le mal. Cela aurait plu à Nebiros. Mais utiliser une magie qu’elle ne maîtrisait pas, à quoi bon ? Elle pouvait imaginer dix scénarios différents – ce qu’aurait fait Clark, ce qu’aurait fait Diana, ce qu’aurait fait Hal. Ce qu’aurait fait John. Il savait toujours quoi faire, à sa façon, en tout cas.

Elle inspira à fond et ferma les yeux. Toujours à genoux à côté du cadavre innocent. Quand elle rouvrit les yeux, le décor avait changé. C’était cet endroit intermédiaire entre les mondes, qu’elle voyait lorsqu’elle utilisait la projection astrale. Les couleurs étaient passées, quasi grise, et tout était silencieux, du moins les sons étaient-ils déformés, comme dans du coton. Un œil extérieur n’aurait rien remarqué, mais Zee, quittant son corps en esprit, et ainsi sous forme astrale, lévita jusqu’à Nick et traversé son dôme d’énergie comme s’il n’existait pas. Elle-même n’existait pas vraiment sous cette forme, en quelque sorte. Elle se posa face à lui – elle savait que lui pouvait la voir, projection mentale d’elle-même, son esprit sans l’armure de son corps. Elle ne pouvait pas lancer de sorts sous cette forme. Ne pouvait pas lui coller son poing dans la figure ou son genou dans les parties, ce qu’elle rêvait de faire. Ne pouvait pas mettre tous ces gens à l’abri. « Arrête, Nick. » Voulait-il l’entendre la supplier ? Elle s’en fichait, si ça lui permettait de sauver tous ses gens. « Je t’en prie, arrête, laisse-les. » Ce n’était pas comme si son orgueil l’empêchait de faire une chose pareille, ou même si elle était sincère. Mais elle savait aussi que c’était perdu d’avance. Qu’il ne se laisserait pas attendrir et qu’il n’aurait pour elle que ses discours blessants. Un moyen comme un autre de gagner du temps.

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zatanna & nicolas

Revenir d’entre les pécheurs voués à la damnation éternelle donne une autre saveur à l’existence. L’envie d’excès, ne pas vivre uniquement pour la normalité : ne rechercher que l’extraordinaire. Malgré une décennie d’absence, le nom de Nick Necro résonnait encore aux oreilles des sorciers avec un frisson caractéristique… Si j’avais eu la réputation d’être capable de choses terribles, aujourd’hui je veux être celui qu’on sait capable des prouesses les plus extraordinaires, les plus indicibles. Le sens du sacrifice fait partie du lot à payer pour se hisser au sommet du pouvoir, et j’en avais déjà payé, des tributs. Une poignée d’anonymes connectés dans un rituel létal n’était que peu de choses, surtout pour infliger un premier revers à Zatanna. Comme une brise légère, je sentais une caresse de culpabilité et de désarroi flotter vers moi… Ce tatouage me permettait de ressentir les émotions les plus aigües de mes anciens camarades. Et si je l’avais maudit en Enfer, je le bénissais aujourd’hui pour m’offrir en direct le ressenti profond de la magicienne. Celle-ci ne s’enfonça toutefois pas bien longtemps dans ce marasme sentimental, car la brise s’évada aussi rapidement qu’elle m’était parvenue.

Les yeux clos, je sentais une force positive et éthérée flotter dans la direction du dôme, jusqu’à le franchir comme s’il s’était agi d’un drap de soie. Immobile, je ne bronchais pas. De la projection astrale, un tour très simple pour s’épargner un déplacement inutile. Coûteux en énergie, mais relativement efficace dans le cas présent. Les anonymes drainés ne pouvaient rien voir, malgré leurs yeux vitreux écarquillés, seul un autre sorcier pourrait le ressentir. Soudain, la voix mélodieuse de Zee se fit entendre. Deux mots, tout simples. Puis une requête. Elle aussi d’une simplicité confondante. Les yeux clos et assis en tailleur, je laissais l’ombre d’un sourire soulever le coin de mes lèvres, rictus amusé et témoin d’un sentiment de satisfaction. A cet instant précis, presque tout de suite après la demande de l’héroïne, j’ouvris les yeux et le rituel fut suspendu par mes soins. Les perles d’énergie qui couraient le long des liens mystiques qui reliaient les humains à moi s’immobilisèrent net, et les ondes qui couraient le long du dôme se stabilisèrent au lieu de courir sur sa surface. Le rituel ne s’était pas évanoui, il était toutefois mis en pause. Je levais la tête vers mon interlocutrice aux formes floues puis lui accordais un sourire aimable. « N’est-ce pas plus simple, de demander poliment ? J’ai eu peur que tes bonnes manières se soient évanouies avec tes mauvaises fréquentations. » Après m’être redressé, je m’époussetais nonchalamment puis croisais les bras sur mon torse. Elle veut me frapper, elle bouillonne de me faire mal. Je sens cette violence courir dans le fond de ses yeux, rendus diffus par la projection astrale. Délectable. « Tu m’attaques, des gens mourront. Tu me parles sans chercher à me nuire, et ces pantins ne subiront pas mes foudres. Retiens cette règle, et il se peut que je me montre… magnanime. Dans une moindre mesure, évidemment. » ajoutais-je avec un clin d’œil qui se voulait complice. Arrogant comme à mon habitude, j’étais pourtant sérieux. Et j’en voulais pour preuve ces humains qui étaient littéralement suspendus à moi. « Tu comprendras que, grâce à toi et à John, j’ai pourtant toutes les raisons du monde de déchaîner ma colère sur ce bas monde… J’ai appris bien des choses entre deux tortures insupportables, en Enfer. Et j’en ai appris suffisamment pour ridiculiser vos tours de passe-passe, à présent. » Mon regard de jais s’anima de quelques étincelles qui se mirent à courir sur ma cornée, tandis que l’air devenait soudainement lourd, chargé en électricité. Rien qu’un maigre échantillon d’un des cadeaux infernaux que je me suis offert. Tandis que mes yeux reprenaient leur aspect sombre naturel, je me mis à pencher la tête sur le côté. Mon attitude ne se séparait pas de l’air de gentleman qui animait mes traits. « Il y a bien une chose que tu peux faire, si tu veux que je laisse repartir ces gens sans que je ne continue à les vider de leur énergie. Cela ne rattrapera pas tout ce que tu mérites que je t’inflige, évidemment… » commentais-je en haussant les épaules, l’air faussement désolé. « … mais cela t’évitera un nouvel échec cuisant dans cette ridicule mission de sauvetage du genre humain que tu sembles t’être fixée. Quel gâchis de tes capacités, quand on y pense… » soufflais-je, sur un ton qui ne demandait pas spécialement de réponse en retour.

Je levai mon bras et orientai mon pouce en direction du front de la projection astrale de Zatanna. Cela pourrait peut-être l’effrayer, mais un mouvement de ma tête lui fit comprendre que je ne cherchais pas à lui faire du mal cette fois. J’apposai enfin mon pouce comme on donnerait l’extrême-onction – hilarant, pas vrai ? – puis je fermai les yeux à nouveau. J’envoyai une image mentale à la jeune femme, dénuée de bouclier sous cette forme, et retirai mon pouce immédiatement pour rompre le contact. L’image d’un vieux grimoire dans une bibliothèque bien particulière. Une couverture de cuir noir écorné, des pages étonnamment blanches et bien conservées, malgré l’aspect général de l’ouvrage. Les yeux à nouveau ouverts, je les plongeais dans ceux de la puissante magicienne. « Je sais que tu as accès à la Maison des Mystères, ne cherche pas à le nier, love. Tu vas aller chercher le livre qui s'y trouve et que je viens de t’envoyer par télépathie express, puis tu vas me le remettre en parfait état. Maintenant. » Une rotation de mes mains fit vibrer de nouveau les liens qui m’unissaient au collectif des hommes, femmes et enfants pris en otage sous le dôme. Les perles d’énergie se mirent à nouveau en mouvement, bien plus lentement cette fois-ci, vers moi. Le dôme vibra de nouveau, lui aussi. « A chaque seconde passée à discuter mes conditions, tu prends le risque de creuser de nouvelles tombes, Zee. Puisqu’il faut t’imposer des deadlines… deadlines. C’est drôle, pas vrai ? » lançais-je en pouffant d’un rire déplacé au possible, alors que je m’asseyais de nouveau en tailleur, concentré sur le rituel. Tic tac, l’horloge tourne.

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Il avait l’art de se rendre détestable. Comme s’il préférait encore ça qu’essayer n’importe quoi d’autre – la rédemption, le pardon, l’acceptation. Avait-il toujours été comme ça ? Peut-être, mais avant, elle le voyait différemment. Et avant, aussi, il était encore sain d’esprit. Il sauvait les gens au lieu de leur voler leur énergie. Il était une force positive dans ce monde. Et peut-être que c’était leur faute, à John et à elle, s’il était devenu comme ça, mais peut-être pas seulement la leur, et aussi la sienne. Pour l’heure, elle ne pouvait qu’abdiquer. Mais pas parce qu’elle prenait son parti ou cautionnait ses actes. Il avait eu le temps de tisser sa toile et son plan était au point. Dès le départ, elle avait perdu cette bataille. Elle aurait presque mieux fait de ne pas se montrer, mais il aurait trouvé un autre moyen de la faire venir à lui. Elle se demanda de nouveau, brièvement, s’il avait rendu visite à John, et si John allait bien. Mais pour le moment, elle ne pouvait pas s’offrir le luxe d’être déconcentrée. Car bien sûr, Nick avait fait tout cela dans un but particulier. Il avait toujours eu le sens du spectacle, savait faire ses entrées et ménageaient ses sorties, mais en faire autant simplement pour épater la galerie, non, ça n’était pas son genre. Elle savait qu’il attendait quelque chose d’elle, et c’était plus que des excuses. Elle était prête à beaucoup de choses. S’il avait voulu prendre sa vie, ça aurait été beaucoup plus simple, mais évidemment, ce n’était pas là son but. Son visage luminescent esquissa une moue contrariée alors qu’il énonçait ses conditions. « Il n’y a bien que toi, Nick, pour ne rien apprendre de son passage en enfer. Si tu n’apprends pas, tu seras condamné à voir ton histoire se répéter. » Et c’était tout ce qu’elle souhaitait. Mais c’étaient des mots, aussi, rien que des mots : en cette seconde, c’était lui qui avait l’avantage. Elle posa le regard sur les pauvres innocents martyrisés, simplement parce qu’ils avaient eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, et d’avoir croisé la route de Nicolas Nolan.

Enfin, il en venait à ce qu’il désirait vraiment. Elle eut un mouvement de recul quand il approcha la main de son visage, mais il ne pouvait pas lui faire de mal physiquement et aux dernières nouvelles, il n’était pas doté de pouvoirs psychiques – encore qu’il n’était pas revenu des Enfers sans ramener quelque talent dans ses bagages. Aussitôt, des images explosèrent dans son esprit ; un livre à la reliure ancienne, des pages immaculées, dans une bibliothèque qu’elle aurait reconnue entre mille. Sa silhouette vacilla comme la flammèche d’une bougie sous la brise tant ce contact, familier et honni, la perturba. Si elle avait pu, elle aurait plongé la tête dans un bain moussant. « Oh, Nick, mais qu’est-ce que tu crois ? Que John n’a pas protégé la moindre de ses petites affaires, même de moi ? Ça fait longtemps que je ne suis plus la bienvenue dans sa vie, et si j’ai accès à la Maison, je n’ai certainement pas accès à ses précieux artefacts magiques. » Il y avait de l’amertume dans sa voix, puisque c’était la vérité, d’une certaine façon. Ils n’étaient plus ceux dont Nick avait emporté l’image dans sa prison infernale. Le temps avait passé et, ironie du sort, le couple qu’ils avaient formé au prix de la damnation de leur maître et ami n’avait pas tenu sur la durée. Cela le ferait peut-être rire, ou peut-être pas – à sa place, elle savait qu’elle l’aurait mauvaise. Mais en ce moment même, elle possédait la Maison des mystères, par un hasard abominable. Et elle avait accès à tout ce qui s’y trouvait – elle en avait fait bon usage pour aller en enfer. Mais cela, Nick ne pouvait pas le savoir. Il ne pouvait pas imaginer une seule seconde le tout petit objet en métal que John avait glissé dans sa main dan cette grotte en Islande avant de se faire tuer – la clé de cette fichue Maison. Cette fichue Maison qu’elle lui aurait rendu si seulement il l’avait recontactée, et alors, Nick aurait pu lui demander tout ce qu’elle voulait, elle n’aurait pas été en mesure de le lui donner.

« Je vais essayer, Nick, puisque tu ne me laisses pas le choix. Je ne te garantis pas que ce bouquin ne prenne pas feu à la seconde où je le toucherai. Ni même que la Maison me laisse m’en emparer. Mais si toi, tu tues une seule de ces personnes, tu n’auras rien. Je ne sais pas ce que tu veux faire avec, mais j’imagine que ça causera bien plus de dégâts que la mort de quelques centaines de personnes. Et si tu me forces à choisir, tu seras peut-être étonné du résultat. » Sa silhouette astrale disparut soudain et elle rouvrit les yeux dans son corps, à genoux aux côtés du cadavre de l’homme qu’elle avait tué par pure bêtise. Cette vision amena de nouveau des larmes dans ses yeux clairs. Papa, dis-moi quoi faire. Mais son père était mort. Lui aussi brûlait en enfer – et il n’en était jamais ressorti, comme un bon élève. Elle jeta un dernier coup d’œil à Nick au loin, à l’abri sous son dôme d’énergie, puis d’une formule, se téléporta, avec le corps anonyme, dans la Maison, qui allait et venait entre les dimensions sans que personne ou presque ne soit capable de la trouver. Elle réapparut dans le salon, où Orchid était là, comme si elle l’attendait. Zee essuya ses larmes avec le bas de son tee-shirt et désigna l’homme mort du menton. « Prends soin de lui. Vérifie que plus aucune magie noire ne souille son âme et protège-le jusqu’à ce que sa dépouille soit consacrée. Est-ce que… Est-ce que John est venu ? » L’esprit de la Maison secoua lentement la tête, avant de s’agenouiller auprès du cadavre, et Zee tourna les talons pour se rendre dans la bibliothèque. Elle aurait pu donner un leurre à Nick. Elle aurait pu tenter de lui mentir, lui dire qu’elle n’avait pas trouvé cette chose. Dans la bibliothèque, elle appela l’ouvrage comme on appelle un animal de compagnie, et le grimoire s’arracha du rayonnage pour venir gentiment à elle – foutu bouquin ! Elle s’en empara. Il ne lui disait rien, mais par acquis de conscience, elle en créa une copie, non pas pour Nick, mais pour elle, pour plus tard. Puis elle laissa le livre flotter devant elle, la main droite au-dessus de la reliure noire. De son index gauche, elle traça une croix sur le dos de son autre main, qui se grava dans sa paume. Quelques gouttes de sang tombèrent sur la couverture, aussitôt avalées, aussitôt disparues. Cela ne faisait pas longtemps qu’elle maîtrisait la magie du sang. Nick ne l’avait jamais vu faire. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était tout ce qu’elle pouvait faire ; poser un mouchard, pour pouvoir suivre ce grimoire à la trace.

Elle se téléporte de nouveau à San Francisco et se posa sur le pont, à plusieurs dizaines de mètres du dôme de Nick. Elle agita le livre, sans bouger d’un pas de plus. S’il le voulait, il allait falloir qu’il vienne le chercher. Et qu’il lui dise ce qu’il voulait en faire. Il adorait cela, non ? Leur parler de ses ambitions, de ses plans, de ses quêtes qui, pour un temps, leur avaient mis des étoiles dans les yeux.

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zatanna & nicolas

« Ne te sous-estime pas comme tu as l’habitude de le faire… je suis sûr que tu peux le trouver, ce livre. » arguai-je avec ce petit sourire enjôleur qui autrefois la faisait craquer. Et pourtant, chacune de ses phrases faisait bouillir dans mon sang les premiers signes de la Colère avec un C majuscule. Elle s’imaginait que si un jour j’arrivais à sortir des Enfers, je serai un bon petit caniche obéissant et repentant ? C’est qu’elle ne me connaissait pas du tout, alors. A chaque torture, à chaque bouffée insupportable de souffre, à chaque immondice que l’on m’infligeait, je sentais la haine et l’envie irrésistible de revanche irradier dans tout mon être. Je revoyais leurs visages, je les imaginais rire de mon infernale misère, profiter de mon enseignement sans éprouver l’once d’un regret de m’avoir trahi… J’ai passé plus de dix ans à espérer ce moment, alors je n’allais pas tout gâcher en m’emportant directement contre eux. Non, je n’allais pas déchaîner toutes les pires catastrophes que l’Homme puisse imaginer. A petit feu, je comptais les détruire de l’intérieur, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une mince coquille vide à ruiner d’un coup sec à l’arrière de la nuque. Qu’ils en viennent jusqu’à me supplier de les achever pour mettre un terme à tous ces tourments que ma folie a pris le temps d’imaginer pour eux.
Cela dit, une réflexion de la part de la magicienne me fit arquer un sourcil, et réfléchir après que sa silhouette se soit évanouie pour obtempérer. Alors comme ça, Constantine avait écarté Zatanna de sa vie ? A la manière dont elle l’avait formulé, la réciproque ne semblait pas aller de mise pour autant. Néanmoins, je me demandais bien ce que l’exorciste avait pu faire pour se résoudre à écarter la jeune femme de ses plus proches amies, voire même davantage que cela. John avait toujours eu le don pour repousser celles et ceux qui pourraient l’aider le plus… cette fois-ci ne faisait donc pas exception. Attiser les remords et les sentiments enfouis seraient sans doute on ne peut plus amusant, tant pour l’un que pour l’autre. « Ah, tiens… en voilà une qui n’est clairement pas une team player. » soufflais-je avec un rire froid, en voyant une femme s’effondrer au sol sous le dôme, épuisée par le drain d’énergie que je leur imposais. Zatanna ferait bien d’être rapide, le souffle de la victime s’accélérait dangereusement.

Un sourire à la fois amusé et machiavélique dansant sur mes traits, je sentis une poussée de magie à proximité, alors je tournai la tête vers sa source pour y voir apparaître Zatanna. Elle en avait mis, du temps… Et quelque chose me disait qu’elle ne se séparerait pas du grimoire sans un petit piège à l’intérieur. Mais qu’importe. Au contraire, il était même crucial qu’elle devine plus tard ce que j’en ferai, et où m’y retrouver. Je me levai en roulant des yeux. « Vraiment ? » soupirais-je, passablement agacé à l’idée de devoir bouger. « Tiens, Ringo, mets-toi là. » lançais-je à l’un de mes otages à la coupe au bol, en claquant des doigts comme un maître à son esclave. Zombifié, le jeune homme se plaça au centre du dôme et s’assit en tailleur à son tour. Je m’accroupis à sa hauteur puis posai mon pouce sur son front en murmurant de vieilles palabres en araméen. Entre ses deux yeux, une petite croix se dessina à même la chair et ses yeux vitreux prirent une teinte rouge sang. La même croix se dessina sur mon propre front, symbole du lien qui nous unissait à présent. Après m’être redressé, je dissimulai une grimace en tournant le dos à la magicienne : mes épaules commençaient à être douloureuses, signe que puiser dans mes ressources réveillait mes blessures et mes cicatrices infernales. Poker face, Nick. Je fis alors volte-face, sourire de vendeur immobilier au visage, et je franchis le dôme d’un pas léger pour m’approcher de Zee. « Il va sans dire qu’à la moindre entourloupe, c’est Ringo là-bas qui mange tout… et le collectif qui en fait les frais aussi, chérie. » lançais-je joyeusement à la jeune femme en tapotant mon front d’un index, et en désignant le dôme grésillant de l’autre. Une simple garantie. Après tout, le but n’était pas d’attaquer l’héroïne ou de la blesser… c’était simplement d’obtenir ce que je voulais, tout en lui donnant un aperçu de l’horreur que j’allais bientôt laisser dans son sillage. « Si tu as mis tout ce temps, c’est parce que tu l’as testé, le livre, pas vrai ? Ou alors que tu t’es assurée qu’il ne disparaîtrait pas sans que tu en sois informée… J’ai beau te trouver faible concernant l’espèce humaine, je ne t’ai jamais considérée comme étant idiote, ma petit Zee. » ajoutais-je en m’approchant d’elle dangereusement. Le torse bombé, le regard profondément plongé dans le sien. Hypnotique, séducteur, imbuvable. Cet homme insondable qui avait eu le don de réveiller en elle une vraie confusion de sentiments. « John m’a pris mon trench, alors je ne fais qu’équilibrer la balance. Il s’avère que je n’avais pas de toit en sortant des Enfers… alors, quitte à ne pas avoir accès à la Maison des mystères, autant m’en trouver une autre. » Je me trouvai alors face à elle, quelques centimètres seulement nous séparaient l’un de l’autre. A contempler son visage, je m’étonnais de voir que la maturité lui allait bien… et que je n’éprouverai que de la joie à voir ses grands yeux clairs embués par des larmes de déchirement. L’une de mes mains tremblait presque de cette rage savamment contenue derrière une inébranlable façade de courtoisie. D’ailleurs, pour y couper court, je tendais doucement les mains devant moi en m’adressant à elle. « Allez, donne-moi ce livre, que je vérifie que tu ne t’es pas moquée du monde… Et fais-vite, il y a déjà une pauvre âme qui s’est effondrée de fatigue tout à l’heure. » murmurais-je en désignant le dôme d’un mouvement de tête, et la femme allongée au sol qui s'y trouvait. « Ceci dit, transférer son essence, c’est comme courir un marathon à fond… ça ne doit pas lui arriver si souvent, vu son format. » ajoutais-je avec un clin d’œil moqueur et déplacé, tendant encore un peu plus les mains pour faire signe à Zee de me donner le grimoire. Sous le dôme, les jambes de deux enfants se mirent à vaciller, signe qu’ils étaient au bord d’être vidés de leur énergie.

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Une chose n’avait pas changé avec lui, il aimait toujours autant le son de sa propre voix. C’était à peu près le seul avantage qu’elle possédait dans cette situation, et elle se força à ne pas scruter l’intérieur du dôme, à ne pas penser aux innocents en train de payer pour ses actes à elle. Sans pouvoir se résoudre à penser qu’il y aurait forcément d’autres victimes. Cela, ce n’était pas son genre. Bien campée sur le goudron du pont, elle attendait, le grimoire à la main, ce grimoire pour lequel il se donnait tant de mal, ce qui aurait dû suffire à la convaincre de ne pas le lui donner. Pendant un instant, elle se dit que puisqu’il tenait plus à ce foutu bouquin qu’à la vie des gens, elle avait un véritable atout entre les mains. Si elle mettait le feu au livre, là, tout de suite… Elle le vit qui remuait, se décidant enfin à la rejoindre, et ferma les yeux un instant. Sur ce pont, difficile de capter les lignes de magie qui couraient toujours dans la terre. Il l’avait sûrement fait exprès. « eL gnas eluoc… » murmura-t-elle, et elle sentit une douleur acérée au niveau de ses mollets, sous ses bottes, puis le sang couler doucement vers le bas, plus rapidement et plus abondamment que ne l’exigeait la gravité. Directement absorbé par le bitume, relié à elle, elle le sentait prendre la forme des mots qu’elle n’avait pas besoin de prononcer. Elle avait appris seule la magie du sang. Son père aurait détesté cela. Il aurait trouvé que c’était une insulte à tout ce qu’il lui avait appris. Elle était quasiment sûre de tenir ce don de sa mère. eL gnas etsurcni's tuotrap, el gnas esrepsid tuot, el gnas elliuos al eigam. Elle pouvait sentir son sort approcher la magie de Nick, et pour une fois, elle ne pouvait pas prétendre que la sienne était plus pure que celle du puissant sorcier, mais c’était aussi pour ça qu’elle l’utilisait : pas d’attaque, pas d’offensive, et rien qu’un genre de sorcellerie noire qui pouvait flirter avec celle qui ponctionnait ces gens de leur énergie.

Elle regarda Nick s’approcher, alors que les cellules de sang et de magie entamaient leur travail de sape. Tout ce qu’elle espérait, c’était que son sort réussisse à faire grain de sable dans celui de Nick avant qu’elle doive cesser sous peine de tourner de l’œil. La magie était comme une science exacte et il en fallait peu finalement pour qu’elle se dégonfle comme un soufflet. Une petite voix en elle lui soufflait que Nick ne laisserait pas partir ces gens en vie. Malgré ses paroles, malgré ses promesses, qui n’engageaient que lui. Il savait comment lui faire du mal et c’était exactement en tuant ces gens sous ses yeux qu’il y parviendrait. Alors, elle était prête à tout tenter, et en accepterait les conséquences. Et quant au livre, elle savait aussi qu’elle allait le lui donner. Un deal qui satisferait les deux parties – sauf qu’il aurait ce fichu bouquin, donc quoi qu’il arrivait, c’était lui qui gagnait. Elle secoua lentement la tête, réellement perplexe. « Tu es parano. Je ne sais même pas ce qu’est ce grimoire ni à quoi il te servira. Compte tenu des circonstances, je trouve, moi, que j’ai été plutôt rapide. » Et elle agita violement le bouquin, résistant une nouvelle fois à l’envie d’y mettre le feu. Il était tout proche désormais, et elle devait également résister à son désir violent de lui coller son poing dans la figure. Si elle n’avait pas eu encore une infime chance de sauver quelques-uns des gens, là-bas, elle l’aurait fait depuis longtemps. « Un stupide trenchcoat et un toit, c’est tout ce qu’il te faudrait pour être heureux ? Si ce n’est que ça, tu n’as qu’à demander, tu n’as pas à te donner tout ce mal. Arrête de me prendre pour une idiote. » De la couverture du livre commença à s’échapper un peu de fumée. Elle était tellement en colère…

« Si tu ne tues pas ces personnes maintenant, tu en tueras dix fois plus demain. Je ne me fais pas… plus d’illusions à ton sujet. Quand je t’ai vu tout à l’heure peut-être que j’ai pensé, pendant une seconde, que tu avais changé. Mais tu ne mérites que l’enfer. Regarde-toi. Je ne sais pas qui tu es. » Sa voix tremblait tant ces mots lui coûtaient. Comment ne pas se souvenir de l’homme qu’il avait été, des vies qu’il avait sauvées – c’était à ses côtés qu’elle avait commencé à faire cet espèce de job, sauver des gens. Elle finit par lui tendre le livre, donc la couverture était en réalité intacte. « Fais ce que tu dois faire. Un jour, tu retourneras en enfer. Que ce soit parce qu’on t’y aura renvoyé ou simplement parce que c’est ce qui t’attend, Nick. Mais tu le sais déjà. » Il était damné. Comme John. Peut-être comme elle. Elle sentit son tatouage pulser sur son bras. Il fallait les voir, tous les trois. Comme ils avaient été idiots, et comme ils l’étaient encore aujourd’hui, tous, à leur façon.

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zatanna & nicolas

Méfiant, je me devais de l’être, car Zatanna avait bien plus changé que je ne l’aurais imaginé. Inflexible, un peu plus sûre d’elle, n’ayant pas peur de prendre position… Et c’est précisément pour cette raison que je ne relâchais pas l’attention que je portais à la magie souillée que je déversais dans ce rituel sordide. J’étais convaincu que le pouvoir de la jeune femme était pour l’instant trop insondable pour me permettre de l’attaquer de front afin d’obtenir ce que je voulais, et je n’étais d’ailleurs pas sûr non plus de mes propres capacités. Certes, l’Enfer m’avait doté de quelques capacités que je n’avais jamais pu toucher auparavant, mais qu’est-ce qui me garantissait que je possédais la même puissance qu’auparavant ? Cette douleur lancinante qui brûlait mes cicatrices infernales étaient un signe que cet exil dans le monde souterrain ne m’avait pas laissé indemne, au contraire. A l’heure actuelle, je ne pouvais pas affirmer être en mesure de rivaliser avec Zatanna. Ni même avec John, d’ailleurs. Alors, il me fallait être doublement plus rusé afin de les duper.
Face à Zee, l’arrogance était le masque le plus avisé, car il appuyait exactement sur les blessures qu’elle devait penser fermées, depuis tout ce temps. Malgré les risques encourus, je m’amusais singulièrement de la voir ainsi. Parano ? Et pas qu’un peu. « Attention, trésor… tes émotions… » soufflais-je face au mince panache de fumée qui s’échappait du grimoire qu’elle tenait rageusement entre ses mains. Les émotions sont de loin la plus grande faiblesse de ce bas monde et des créatures inférieures qui le peuplent. J’en sais quelque chose : j’ai été victime des miennes. Si je n’avais pas eu le mauvais goût de me lier d’aussi près à mon interlocutrice du moment et à son toutou usurpateur, je n’aurais probablement jamais mis les pieds dans les entrailles du monde infernal. « Oh, il me faudrait un peu plus que ça pour être heureux, tu sais. » narguais-je en la dévisageant de haut en bas, avec une lueur à la fois salace et dérangeante dans les yeux. De quoi raviver en elle les graines de la colère. Quoi ? C’est pourtant si drôle, de s’amuser aux dépens des ires des uns et des autres. Après tout, c’est là que tout chaos commence.

« Et pourquoi diable aurais-je changé, Zee ? » Ces quelques mots ne furent que la ponctuation de ses palabres, alors que je m’emparais du grimoire qu’elle me tendait. D’un air entendu, je posai la paume de ma main sur sa couverture, puis psalmodiai en latin un sortilège de détection. « Tiens… » annonçais-je en fronçant les sourcils. Un grésillement. Comme si quelque chose s’éveillait au son de ma formule. De quoi pouvait-il bien s’agir ? Je réitérai l’opération, sentant une magie extérieure répondre à cette formule de détection, lorsque soudain, mes yeux sombres se braquèrent sur l’héroïne en résilles. « C’est plutôt toi qui veux défier ma parole. » D’un claquement de doigts, je fis disparaître le grimoire dans une volute de fumée sombre, puis je me mis à tapoter sur mon front. « Tu sais que la magie du sang réagit à la magie du sang, pas vrai ? Non… non, tu devais sans doute l’ignorer, sinon tu ne t’en serais pas servie contre celui qui a tout appris à John à ce sujet. » Un sourire à la fois amusé et déçu flotta sur mes lèvres, à l’instant où je tournais la tête vers le dôme. C’était ça, le grésillement. Ou du moins, j’en étais convaincu. Rendu aveugle au sort de localisation imbibé dans le grimoire que j’avais fait disparaître, grâce à la diversion de Zatanna. « C’est intéressant, comme approche. Le sang dans la terre pour saper le rituel de l’intérieur… Astucieux. Mais pas encore assez, love. » En effet, les personnes à l’intérieur du dôme se mirent maintenant toutes à vaciller les unes après les autres, de plus en plus épuisées. Ce spectacle me parut fort distrayant, contrairement à la sorcière qui devait probablement s’en inquiéter. « Ce rituel est alimenté par la force vitale de ces pauvres gens… plus tu y imputes de la magie, plus le rituel va puiser dans leurs ressources pour se maintenir, c’est de la logique élémentaire. Tu n’es pourtant pas devenue blonde, avec les années, rassure-moi ? » soufflais-je en fronçant les sourcils, faussement inquiet. Je me tournais de nouveau face à elle, avant de m’écarter pour lui ouvrir la voie vers le dôme d’énergie magique. « Tu te bornes à croire que je n’ai pas changé… et tu sais pourquoi ? » Je levai la main et, sans la lâcher des yeux, j’effectuai un geste ample du bras en direction des innocents piégés. Au sol, le pentagramme dessiné fut comme balayé par un vent imperceptible, rompant soudainement le rituel. Les yeux vitreux des anonymes reprirent leur teinte originelle, tandis qu’ils se regardaient les uns les autres, hébétés et désorientés. Mais libres et en bonne santé.
J’approchai mon visage du sien, curieux de voir sa réaction. « … parce que ça te terrifie de penser qu’au fond, tu ne me connais pas aussi bien que tu le penses. » Il va sans dire que le Nick Necro d’une décennie en arrière aurait probablement tué cette vermine humaine sans l’ombre d’un remord. Mais la démarche était toute autre, aujourd’hui. Je me plaçai à côté de Zatanna, les mains jointes dans le dos, tandis que nous regardions les hommes, les femmes et les enfants chercher leurs véhicules du regard en s’enfuyant. « Tu t’écoutes parler, parfois ? Vous avez toujours dit, avec John, que mon ego me perdrait… aujourd’hui, c’est le tien qui t’a lâché. Tu m’as vu et tu as tout de suite cherché à m’attaquer, à me renvoyer en Enfer, à me blesser. Et tu as été trop aveuglée par ta propre rage pour constater qu’à aucun moment donné, je n’ai cherché à m’attaquer à toi. Je t’ai envoyé un message, tout simplement. Et j’ai un peu semé la pagaille sur un pont pour attirer ton attention, c'est vrai. Mais à partir de là, je n’ai fait que me défendre pour me protéger de ta furie, je ne t’ai même pas touchée de près ou de loin. Cet homme que tu as tué sur le pont, ça aurait pu être moi… mais s’il est mort, c’est seulement parce que tu t’es acharnée sur moi. Sans aucun motif valable. » ajoutais-je, conscient que cette phrase allait probablement la piquer au vif.

D’ailleurs, je bondissais sur l’occasion. « Des motifs, il y en a eu, par le passé… mais vous m’avez banni en Enfer, pour ça. Là, tout ce que je te demandais, c’était un grimoire. Note bien qu’à l’instant où tu me l’as remis, j’ai tenu parole en laissant ces gens s’en aller. Ni blessés ni traumatisés. » arguais-je en les montrant de la main. Je fis quelques pas pour m’éloigner d’elle, avec un air très sérieux, cette fois. « Tu devrais méditer là-dessus, Zee. Je trouve que tu tires des conclusions un peu trop hâtives… après, on ne peut pas te blâmer, il faut dire que la fréquentation de Constantine ne t’a visiblement pas réussi. » grognais-je en me regardant les ongles, un sourcil circonspect légèrement arqué.

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Pourquoi finalement devait-elle toujours faire attention ? Retenir sa colère, maîtriser ses émotions, avoir des réactions censées, des actes raisonnés ? Son père – même Nick, même John – lui avait bien assez souvent répété à quel point elle était dotée de pouvoirs extraordinaires, mais à quoi bon être puissante si c’était pour sans cesse craindre de faire plus de mal que de bien ? C’était sa morale et sa sensibilité qui la retenaient, mais en cette seconde, c’étaient comme des chaînes lestées de boulets. Elle aurait tellement voulu osé lâcher prise… Peut-être qu’elle aurait pu le vaporiser, là, alors qu’il se tenait devant elle. Et tout aurait pu en rester là. Pourquoi pas ? pulsait la marque de Nebiros sous sa gorge. Pourquoi pas ? Ce n’était qu’une décision à prendre. Une décision facile pour un tas d’autres gens. Au lieu de quoi elle était là, à se mordre la lèvre jusqu’à en sentir un goût de sang dans sa bouche, et à laisser l’odieux type bavasser, si sûr de lui, si certain d’avoir gagné. Eh bien, il avait gagné, pour cette fois. Faire attention à ses émotions ? Pourquoi donc devait-elle entendre ça de lui précisément ? Il savait qu’il ne devait sa vie qu’à toutes ces digues qu’elle avait volontairement ou non bâties en elle, pour s’empêcher de faire ceci ou cela. Parler à l’envers. Réciter des prières. Méditer. Se méfier de ses dons psychiques et y recourir le moins possible. Tous ces trucs qu’elle avait intégrés à force de discipline et de travail, et jusqu’à présent elle ne l’avait jamais regretté. Mais en cette seconde, alors que Nick se moquait d’elle, elle se sentit envahie d’un désir de violence comme elle n’en avait jamais ressenti auparavant. Et si en temps normal, cela l’aurait effrayée, cette fois, elle se laissa tout entière gagner par cette sale colère. C’était toujours mieux que simplement rester là, les bras ballants, impuissante. [i]Je voudrais le tuer.[/color] Mais non, elle ne tuait pas. Elle ne faisait pas cela. De nouveau, la colère l’aveugla quelques secondes, à moins que ce ne soit tout le sang qu’elle avait perdu.

Bien sûr, il avait repéré sa tentative pour dissoudre son sort. Au moins avait-il barboté le grimoire sans attendre. Elle vit le dôme magique de Nick éclater comme une bulle de savon, vit les gens prisonniers à l’intérieur reprendre conscience. Mais même cela ne suffisait pas à la satisfaire. Elle n’arrivait plus à se défaire de sa rage. « Il n’y a rien qui me terrifie chez toi. Je m’en fiche, Nick. De qui tu as été, de qui tu es aujourd’hui. Je veux juste que tu disparaisses. Et si ce type avait été toi, ça aurait réglé la question, alors ça valait bien le coup de tenter ma chance. » Mais les mots, alors qu’ils franchissaient ses lèvres, la dégoutèrent. Comment pouvait-elle dire une chose pareille ? Elle avait tué un homme. Et quant au reste… Elle porta une main à son visage avec un rire dépité. « Mais pitié, épargne-moi ta leçon. Tu n’es plus mon maître depuis longtemps. Le bon vieux temps te manque, on dirait. Au moins à l’époque tu ne jouais pas les victimes. Tu as voulu nous tuer. L’enfer, c’était ce que tu destinais à John. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Et ça… » Elle embrassa d’un geste du bras le pont abîmé, le goudron éclaté ici et là, les gens qui erraient, l’air perdu, et le sang par terre, là où s’était trouvé le cadavre… « Tout ça, ce n’est pas toi ayant joué les superhéros. Je devrais te féliciter parce que tu n’as tué personne ? C’est de ça dont tu es fier ? Tu es vraiment cinglé ! » S’il se voyait en Superman, c’était vraiment grave. Et en matière de mauvaise influence, il se posait là. Même s’il avait passé dix en enfer, loin d’eux. Même si c’était après sa disparition que Zee avait si souvent perdu le contrôle de sa magie ou agi n’importe comment au point qu’elle avait fini par se faire peur elle-même. Même si ce n’était pas lui qui lui avait donné l’idée d’invoquer un démon…

Oh non. Non, il avait tort, et ses paroles étaient du poison. Tout ici était son œuvre, et elle le connaissait, ne lui en déplaise, ce n’était là que le début, que l’introduction de son spectacle. Un artiste ne pouvait pas en tromper une autre et en la matière elle était une experte. Source quasi inépuisable de magie, elle sentait de nouveau le pouvoir envahir ses membres, invoqua silencieusement la Déesse. Ses cheveux se soulevèrent, ses yeux devinrent brillants, sa voix un peu moins reconnaissable. « Disparais ! Tu as eu ce que tu voulais, alors disparais ! » Et s’il avait réellement suffit que tout ce qu’elle prononce se réalise, peut-être que ce simple mot aurait fait le job, vu son état de colère. Elle sentait le sol sous ses pieds être parcourus d’ondes de magie qui le faisaient frémir. Le souvenir de la voix de Zatara la supplia de se calmer mais elle l’étouffa sans pitié. Elle aurait pu le tuer. Du moins elle en avait l’envie.

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Je pouvais dire sans me tromper que je connaissais relativement bien Zatanna, malgré mes dix années d’exil. Cela dit, je l’avais très rarement vue en proie à une rage comparable à celle-ci. La culpabilité, elle connaissait. L’insécurité également. Le courage, bien sûr. Mais cette colère sourde qui bourdonnait en elle et qui palpitait dans chacune des paroles qu’elle crachait dans ma direction ne ressemblait à aucune de celles qu’elle a pu piquer lorsque nous nous côtoyions encore à l’époque de cet infernal triumvirat. Alors, sourd à ces invectives insultantes, je l’observais avec l’attention d’un scientifique face à une bête curieuse, subtilement caché derrière l’attitude d’un homme restant de marbre face à tous les reproches dont on pourrait l’accabler. J’analysais la situation, chaque fragment de ce qui s’était passé depuis le moment où elle était apparue sur le Golden Gate Bridge jusqu’à cette dernière seconde où j’avais interrompu mon rituel… certes, j’avais joué sur ses nerfs, mais étais-je réellement l’objet de sa haine ? Éprouvait-elle une peur suffisamment grande pour que la rage soit la résultante de tout ça… non. Mon ego serait ravi de cette réponse, mais je devais reconnaître que je n’avais probablement pas été assez effrayant pour provoquer en elle un tel schisme émotionnel. La puissante magicienne avait tué un homme, elle l’avait exécuté en pensant me mettre à bas, et tout ce qu’elle trouvait à redire, c’est qu’elle avait bien fait de tenter sa chance. Ne ressentait-elle donc pas de remords ? A sa place, je n’en aurais pas eu non plus… mais nous étions diamétralement opposés sur ce point. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, malgré le lien cosmique et magique qui nous unissaient à jamais, ma magie sombre et souillée n’avait pu infecter la beauté et la pureté brute de ses propres talents mystiques.
Alors, qu’est-ce qui avait bien pu déclencher en elle un tel élan de rage profonde ? Inutile de me triturer les méninges aujourd’hui, je me devais d’être lucide et de me concentrer sur l’objectif du jour. Objectif atteint, d’ailleurs, et même avec un bonus vu l’état de colère dans lequel se trouvait la justicière. Je reculais d’un pas, par simple précaution en sentant la magie se mettre à pulser tout autour d’elle dans un ordre sans équivoque. Mieux valait ne pas trop jouer avec le feu, mais je voyais là une opportunité qu’il valait mieux exploiter une dernière fois avant de tirer ma révérence. « Tu as raison, je ne suis plus ton maître depuis longtemps… et cela semble t’exposer aujourd’hui à une panoplie de pouvoirs et de sentiments qui t’envahissent sans que tu ne puisses faire le tri. » Je la regarde de bas en haut, formidable poupée infusée d’une rage destructrice qui ne demandait qu’à exploser. Même si je m’en méfiais ardemment, je sentais qu’il y avait là une source de pouvoir qu’il serait trop bête de laisser sans usage. « Cette haine que je t’inspire, ce dégoût… tu le sens, courir dans tes veines ? Il te supplie de m’achever. Tu ne veux même pas me bannir, ça ne t’apporterait rien. Tu veux plus que ça. Tu cherches la destruction. Et tu sais que laisser cette émotion te diriger provoquerait une série d’évènements que tu ne veux pas voir arriver… » ajoutais-je avec un regard lointain vers le pont abîmé en quelques endroits et les gens qui reprenaient leurs véhicules pour s’enfuir le plus loin possible. Je viens de découvrir une mine d’or de pouvoirs, une source que je pensais inaccessible par mes actes passés… mais en découvrant l’origine de ce qui semblait détraquer plus ou moins Zee, je pourrais parfaitement le tourner à mon avantage. Cachant cette pensée au fin fond de mon esprit derrière une infranchissable barrière, je me tournais une dernière fois vers elle, avec un sourire accroché aux lèvres. « Je m’en vais, dans ce cas. J’ai eu ce que je voulais… mais toi, l’as-tu vraiment, ce que tu voulais ? » J’arquais un sourcil, une lueur énigmatique dans le regard. « Je ne suis plus ton maître… mais rappelles-toi que le bon vieux temps peut avoir des avantages, love. » Sans ajouter quoique ce soit de plus, une volute de fumée noire enveloppa ma silhouette et s’évanouit sans plus de cérémonie, laissant Zatanna seule face à elle-même.

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Étrangement, la voix de Nick lui parvenait, nette et claire, au travers de sa colère. Lui servait presque de point d’ancrage, de focus pour ne pas perdre pied. Oh, ses mots ne faisaient qu’alimenter sa rage, mais elle s’y accrochait comme à une bouée. De quoi est-ce qu’il parlait ? Qu’est-ce qu’il en savait ? Il l’avait connue il y a longtemps, il avait fait d’elle ce qu’elle était, mais ensuite, il était mort, et si cela avait modelé en partie ce qu’elle était devenue, cela faisait dix ans que désormais elle menait sa vie du mieux qu’elle pouvait, sans lui, sans John, sans son père. Mais oui, la colère était là. Et oui, elle mourait d’envie de la libérer. Et cette seule idée suffit à calmer ses ardeurs aussi soudainement qu’elle avait eu envie de lui arracher la tête. Elle voulait qu’il meure, mais elle ne pourrait pas le tuer. N’était-ce pas cela, son problème ? Ce qui la définissait ? C’était presque à croire qu’elle attendait que quelqu’un le fasse à sa place, comme toujours – probablement John lui-même. Qu’il porte donc sur ses épaules le poids de cette mort-là aussi. Elle était pathétique, non ? Se mettre dans un état pareil, tout ça pour être incapable de concrétiser sa volonté. Sa colère, évaporée dans l’air. La frustration qui l’envahit à la place était pire – presque étrangère à elle-même. Pauvre idiote. Il suffirait de peu. De si peu. Un sort. Un mot. Et l’existence de l’homme haï serait terminée. Elle le fixa un moment, incapable de répondre à ses paroles. Mais elle ne le haïssait pas, non ? Une plainte franchit ses lèvres. « Laisse-moi… » Il avait causé tellement de mal. Et ce regard calculateur… Était-il déçu ? La trouvait-il changée ? Elle aurait pu lui montrer, elle aurait pu… Mais qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire ? « Tais-toi… » Il a raison. C’est à cela que sert la puissance. Il avait raison, il avait tort aussi, elle ne pouvait pas faire mieux que ça pour le moment.

« Je veux te tuer ! Je voudrais te tuer ! » Mais le dire, c’était abonder dans son sens. Et puis était-ce bien vrai, qu’elle voulait le tuer ? Elle sentit ses forces la quitter soudain, et se rendit compte qu’à aucun moment Nick n’avait eu l’air de la croire capable de mettre ses menaces à exécution. Bien sûr qu’il la connaissait. Bien sûr qu’elle n’avait pas changé. Si ce n’était qu’elle était peut-être encore plus stupide qu’avant. Alors, elle ne dit rien quand il tira sa révérence, et se laissa tomber à genoux sur le bitume quand il disparut. La marque à la naissance de sa poitrine pulsait doucement. Ce n’était pas douloureux, même pas désagréable, juste gênant. Elle sentit ses bras et ses jambes se raidir et une sensation glaciale l’envahir. Oh non. Non, non, non. Pas ça. Maintenant que Nick était parti, c’était comme si un voile s’était déchiré devant son regard. Il avait vraiment bien cerné chacune de ses réactions. Il l’avait littéralement aveuglée, et ses mots l’avaient mise hors d’elle, mais l’avait aussi menée sur un chemin qui à présent lui faisait peur. Qu’avait-il vu ? Elle aurait presque voulu qu’il revienne pour lui poser la question : qu’avait-il vu en elle ? Elle se releva, observa le pont défoncé, les gens qui mettraient des jours à se remettre de ce que Nick leur avait fait subir. Sentit, au loin, la petite goutte de magie dont elle avait marqué ce fichu bouquin, dont elle n’avait aucune idée du contenu ou de l’utilité. Il allait falloir qu’elle en parle à John. Oh, déesse, et John ? Nick l’avait-il tué, tout simplement ? À la seule idée d’être seule sur cette Terre pour faire face à Nick, elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Mais elle l’aurait su. Son tatouage lui aurait dit, si John était mort. À moins que la magie de Nick n’ait tout bazardé dans leur lien à trois. À moins que ce ne soit elle-même qui ait tout gâché avec ses choix stupides.

Elle se releva, vit que certaines personnes venaient vers elle, comme pour lui demander de l’aide, et elle ne put pas le supporter. Ne vous approchez pas ! Si faibles, toujours prompts à devenir des otages ou des victimes… Elle se secoua et d’un sort, se téléporta dans la Maison. Orchid la vit atterrir sur le tapis de l’entrée sans sourciller et Zee se sentit apaisée, au moins quelques secondes. Une maison. Un foyer. Elle pouvait presque comprendre Nick. Déphasée et épuisée, elle se roula en boule dans le fauteuil devant la cheminée et son regard se fit vide – elle dormait presque, en vérité. Mais dans ses cauchemars tourbillonnaient Nicolas Nola, John Constantine et une créature griffue et grimaçante, et nul image de son père ne vint l’en délivrer.

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