Les autorités fédérales l'en avaient privés après lui avoir retiré la nationalité américaine, à l'instigation de Lex Luthor. Mais ce traquenard judiciaire avait finit par prendre fin. Curry était parvenu à faire annuler cette décision de justice devant un tribunal. Son statut de membre de l'équipe de super-héros la plus notable à avoir sauvé le monde avait suffit à convaincre le jury. Après avoir été expulsé du territoire américain, il pouvait enfin revenir librement à Amnesty Bay.
Arthur avait retiré les bandes jaunes de police qui barraient la porte d'entrée du phare qu'il avait hérité de son père. Il avait viré les chevaux de frises qui barraient la route jusqu'au phare. Il avait viré tous les grillages métalliques qui empêchaient quiconque de s'approcher à moins de 3 mètres. Il avait arraché les pancartes « zone interdite ». Il avait fait un saut chez la fille du commissaire de police d'Amnesty Bay qui gardait son chien en son absence. Il avait récupéré son compagnon canin qui répondait au doux nom de « Grain de sel ». Curry était revenu ici quelques jours, le temps de remettre son phare en l'état. Il avait voulu fuir Atlantis juste un peu. Le retour de son frère exilé l'avait marqué. La tension qui en avait résulté avec Mera sa reine également. Il laissait gouverner le conseil d'Atlantis en son absence, Mera était prise par sa maternité à venir. Surtout il voulait garder un œil sur la surface. L'attaque des paradémons sur Washington l'avait inquiété. Il soupçonnait que quelque chose se préparait pour bientôt. Il était temps de prendre des nouvelles, de se mettre au courant des dernières et des biens bonnes. Il avait cogité la chose. Il s'était dit : il est temps d'appeler Garth. Après cette rencontre, une fois informé, il s'en retournerait à Atlantis aussitôt. L'accouchement de Mera était imminent.
Message envoyé à Garth : « Et si tu venais manger à Amnesty Bay ? Tu viens quand tu veux. »
En guise d'apéro Arthur avait sortit de l'alcool, des chips et des bols de sauce pour les tremper dedans. L'encas typique du Maine en bord de mer. C'est le chien qui annonça l'arrivée de Garth. Arthur ouvrit la porte et resta sur le seuil. Il vit le chien foncer en courant vers Mesterion avec son jouet en plastique dans la bouche. Arthur appela :
« Grain de sel ! Fout lui la paix ! »
Il dit à Garth :
« On est entre nous, alors surtout ne m'appelle pas Majesté par pitié. »
Arthur s'esclaffa et lui donna l'accolade. Celle façon Justice League qu'il réservait à Superman. A vous broyer les épaules.
…………………………
Curry remplit les verres, en tendit un à Garth et lança :
« ça faisait une paye. T'habite toujours à New York ? »
Chez Aquaman : visez le salon. C'est à ne pas y croire. Une collection complète de gros coquillages sur le meuble de buffet. Des anémones de mer dans un aquarium. Des cadres sur le mur. Aquarelle, photos de navires et portrait de Thomas Curry. Un tableau du grand large en vedette. Peint depuis la plage d'Atlantic City. La table face au canapé était un joyeux bordel. Les gros albums photos d'Arthur côtoyaient les bouquins de Jules Verne, une étoile de mer en plastique qu'un môme lui avait offert et les bols de sauce. Arthur trempa un chips dedans. L'étagère du salon contenait un amoncellement hétéroclite : un requin en céramique, lampe à huile de marin et plusieurs maquettes de navires. Une tête de scaphandre trônait au sommet. Arthur l'avait récupéré à 800 mètres de profondeurs. Un coffre de marin était situé à côté de l'étagère. Arthur l'avait récupéré sur une épave dans l'Atlantique Nord. Le chien monta sur le canapé avec son jouet et le pointa vers Garth avec insistance. Arthur leva les yeux au ciel :
« Mais laisse le tranquille ! »
Arthur avala une gorgée de bière.
« Raconte moi, qu'est-ce que tu deviens depuis la dernière fois ? »
Garth eut un sourire en se rendant compte à quel point Arthur avait tout du beauf excentrique. Il était bourru, parlait franchement, n'hésitait pas à placer de l'humour dans ses phrases et avait très probablement un appétit vorace. Il était, du reste, accueillant et sympathique, ce qui avait toujours plus au jeune homme. Bien que roi, et en particulier son roi, l'Atlante au nom si humain était toujours quelqu'un d'appréciable. Quelqu'un sur qui on pouvait compter si on voulait passer un bon moment ou tout simplement se soulager de quelque chose.
Aussi, Garth accueillit lui aussi avec plaisir l'affection d'un vieil ami, et d'autant plus lorsque le compagnon canin de ce dernier voulut lui sauter dessus.
Il alla même jusqu'à caresser la fourrure chaude du chien, lequel sembla beaucoup apprécier l'attention qui lui était ainsi portée.
« Comme tu voudras, Majesté. Mais je crois qu'aujourd'hui, le vrai roi, c'est lui. Je fais toujours un effet un peu bizarre sur les chiens ; depuis que je suis venu à la surface la première fois, ils me suivent, m'aboient dessus, ou me sautent dessus carrément. Ils ne sont pas hostiles, mais ils sont... très affectueux. Je dois avoir un truc qui leur plaît. »
Il leva franchement le regard vers Arthur, l'étudiant un peu. Ce dernier n'avait pas changé, mais quelque chose dans sa stature indiquait qu'il avait probablement des jours plus difficiles que d'autres, ces derniers temps. Et qu'il avait des trucs qui pesaient sur ses épaules.
Mais n'était-ce pas normal, pour le roi d'Altantis ?
« Je me suis installé à Long Island ; c'est excentré par rapport à la ville, et ça me convient bien mieux. Gotham City, Blüdhaven, New-York, Boston, Metropolis... ce sont des villes gigantesques, surpeuplées, et je n'aime pas y être. Mon rôle n'y est pas, de toute façon. Alors je suis bien ainsi, sur les côtes, à faire souvent le voyage entre ici et là-bas. C'est plus calme, plus beau aussi, car je peux ainsi profiter de l'océan. Mais je ne me mêle pas aux Surfaciens, si c'est ça ta question. Pas beaucoup, en tout cas. »
Il eut un autre sourire, grattant le chien derrière les oreilles. Il savait à peu près ce qu'attendait Arthur de lui, mais il n'était pas pressé. Pas plus que ne l'était son roi. Ils avaient le temps de discuter aimablement avant d'entrer dans le vif du sujet.
« Et j'essaye de me fondre dans la masse. Ce n'est pas aussi évident qu'il y paraît : les Surfaciens, sans deviner ma vraie nature, sentent que je suis différent. Ce n'est pas tant par ma couleur de peau, par mes muscles ou par le fait que je peux rester des heures sous l'eau et voyager rapidement dessous. Je ne sais pas trop, mais c'est comme un sixième sens, qui leur dit que je suis différent, qui me dit que je suis différent, qu'ils sont différents de moi. C'est perturbant, et soulageant, à la fois. Je ne risque pas d'oublier qui je suis, ni pourquoi je suis parmi eux à veiller, comme ça. »
Arthur avait plaisir à côtoyer Garth. Pour une fois qu'il avait affaire à un atlante qui acceptait la culture surfacienne dans ses grandes lignes. Un atlante qui n'était pas réticent à l'idée de passer un bout de temps en surface par nécessité. Sa remarque à propos des chiens en était déjà un signe. Si un type comme Garth tolérait le monde de la surface, alors peut-être que le reste du royaume atlante y parviendrait un jour. Arthur en avait bon espoir. Tout en écoutant Garth parler des centres urbains de la cote Est du pays (en particulier de Long Island qui lui rappelait des souvenirs d'enfance) il se déplaça jusqu'au frigo et en sortit deux canettes de bières Black Label qui pointaient leur nez. Il revint vers Garth et lui tendit une bière. Il fronça les sourcils en écoutant Garth lui avouer que les surfaciens décelaient sa différence sans s'expliquer pourquoi. Arthur décapsula sa canette et commenta :
« Vu que les humains se méfient déjà les uns des autres. Souvent ils n'aiment pas côtoyer ceux d'entre eux qui ne parlent la même langue ou ne vienne pas du même pays. Tu comprends pourquoi ils n'aiment pas l'atlante en toi, sans même le savoir. »
Il trinqua sa canette contre celle de Garth avant de la lever et de dire avec dérision :
« A Atlantis ! Au fond 100 fois moins compliqués que les humains. L'océan civilisé c'est 7 nations sous la prédominance du trône atlante. L'humanité c'est des centaines et des centaines d'états qui n'ont pas la même politique ni la même vision du monde. Tu comprends mon problème à chaque fois que je viens à la tribune de l'ONU pour leur demander de cesser la pollution des mers ? C'est juste impossible, la moitié n'en ont rien à faire. C'est bien plus facile quand un monstre cosmique comme Darkseid envahit la terre. Y'a juste à donner des coups de trident. »
Curry s'affala dans le canapé, le chien vint le rejoindre aussitôt. Arthur visiblement agacé rien qu'à l'idée de parler de l'irresponsabilité de la surface et de leur négligence par rapport à l'océan, à laquelle il avait affaire depuis des années, préféra demander à Garth :
« Mais parle moi plutôt de Long Island et de ta vie là-bas. Je garde des bons souvenirs de cet endroit. Mon père m'emmenait y voir des match de boxe quand j'étais môme. »
Arthur se prit de nouveaux chips. Le chien essaya de renifler ce qu'il tenait.
« Et dans la foulée parle moi un peu des gens ordinaires que tu croises depuis tout ce temps. Qu'est-ce qu'ils pensent de nous ? Qu'est-ce qu'ils pensent d'Atlantis en vrai ? Ils ont encore peur de nous ? Je ne fais plus attention à ce que les médias disent des atlantes. Ils sont tous dans le politiquement correct. C'est la vérité qui m'intéresse. »
Sans l'enthousiasme de son aîné, le jeune homme répondit mollement. Il n'avait jamais été le plus joyeux des lurons, et malgré tout ce que pouvait dire le roi d'Atlantis, il y aurait toujours une certaine gêne entre eux. Garth ne pourrait sans doute jamais oublier à qui il avait affaire, et il n'arriverait jamais à se comporter de façon simple en sa présence. Et même dans un cadre aussi minimaliste et aussi personnel que celui où ils étaient en ce moment-même. Pour le jeune homme, c'était compliqué. Terriblement.
« Long Island est... paradoxale. »
Il hésitait, évidemment, sur ce qu'il pouvait dire. Il n'avait plus vraiment le choix ; il prenait la question de son roi comme un ordre, même involontairement, et il n'aimait pas trop en parler. Mais c'était lui qui avait amené le sujet en premier lieu. Il s'était, d'une certaine façon, piégé tout seul dans tout ça.
Son regard se perdit un instant sur un meuble en face de lui.
« Les humains savent que je suis un peu différent. Ils le sentent, étrangement, alors que tout dans mon apparence ne laisse présager de rien. Peut-être qu'ils voient un étranger, comme tu dis, et qu'ils se méfient donc instinctivement. Certains sont amicaux, certains essayent même de me considérer comme l'un des leurs. Mais la plupart me regarde avec un air méfiant, avec une prudence polie. Ils ne me rejettent pas, du moins. Je suppose que c'est une bonne chose, quelque part... »
Il boit une gorgée de la bière. Il trouve ça infect, mais il ne le montre pas, par politesse.
« Je me suis installé dans un cabanon isolé, comme on me laisse tranquille. Quelques personnes dans un village pas loin sont sympas, ils m'autorisent sans rien dire à parcourir les lieux comme je le souhaite. On m'a même invité à venir partager un repas, une fois ! J'ai refusé, ne voulant pas trop sympathiser avec eux. Ça me rappelait New-York et mes amis de là-bas, et je n'avais pas envie d'avoir à leur dire qu'un jour, je serais forcé de partir loin et qu'ils ne me verraient plus jamais. De toute façon, je suis à longueur de journée dans la mer, entre ici et mon coin. Parfois je pousse un peu plus loin. »
Nouvelle gorgée. Comment diable Arthur pouvait-il aimer ce breuvage ? Le goût était ignoble.
« Je t'avoue que je ne sais pas vraiment ce qu'ils pensent de nous. Une personne gentille, une vieille femme, a été assez sympathique pour parler avec moi une fois, et elle m'a demandé le plus naturellement du monde i j'étais un protecteur des océans. Je n'avais pas le cœur à lui mentir, alors je lui ai dit que oui. Ça avait l'air de la rassurer, comme si le fait de savoir que quelqu'un vivait sous la surface et prenait les risques à sa place était bien. Comme si elle pouvait donc dormir tranquille, car quelqu'un d'autre montait la garde. Je ne sais pas trop si c'était du respect ou de la crainte. L'un va rarement sans l'autre, évidemment, mais... je n'en sais rien. Si demain, des Atlantes surgissaient de l'eau pour décider de s'installer parmi eux, je suis presque certain que ça se passerait mal. Pas forcément avec violence, mais avec beaucoup de méfiance, de préjugés... et une hostilité manifeste. »
Il n'avait pas cessé de regarder le meuble en face de lui durant tout ce temps ; ses yeux étaient perdus dans le vague de ses pensées.
« Je pense que oui, ils ont peur de nous. Chacun chez soi, c'est bien. Nous tous ensemble ? Je ne pense pas. »
Arthur écoutait Garth avec un air songeur. La sentinelle atlante au cœur du monde humain semblait rétif à vivre une existence humaine pour un bout de temps visiblement. Arthur ne décelait aucune hostilité envers les humains chez Garth. Il n'avait pas pour eux l'aversion qu'avaient la plupart des atlantes. Mais malgré ça il n'avait pas embrassé pleinement une existence humaine. Et aux yeux d'Arthur il semblait attendre le jour où il pourrait renouer pour de bon avec une vie sous les mers. Son comparse lui fit part de son sentiment quand aux rapports réciproques entre les atlantes et les humains. Arthur vida sa canette de bière.
« Ouais, ces deux peuples sont trop différents pour s'accepter pleinement. Heureusement que l'océan les sépare. Notre job c'est de s'assurer qu'ils continuent l'un et l'autre à vivre en bonne intelligence. Éviter une guerre catastrophique pour les deux camps. Ça serait tellement plus simple si les dangers ne pouvaient provenir que du fond des mers. »
Arthur pensait aux factieux qui ne supportaient pas de voir un demi-humain comme lui sur le trône : Nereus le forcené de Xebel. Corum Rath l'extrémiste et bien évidemment son frère Orm…
« J'aurais juste à rester à Atlantis pour gouverner et défendre la cité. Tu n'aurais même pas besoin de passer toutes ces périodes en surface à guetter les dangers. »
Le chien affalé se retourna sur le canapé à côté de Curry.
« Mais le problème c'est que les menaces sur Atlantis viennent aussi de la surface. »
Pour le coup il pensa à Black Manta sa bête noire. Mais aussi au Scavenger dont l'armée de pirate sous-marins avait entreprit de piller les trésors et technologies atlantes. Sans parler de N.E.M.O. L'organisation criminelle internationale qui prétendait contrôler les océans. Sur toutes les mers du globe, les attaques de pirateries, les trafics maritimes et les opérations criminelles dans tous les grands ports, étaient la plupart du temps orchestrées par N.E.M.O.
Curry se leva et s'étira.
« Atlantis m'en veut parce qu'ils ont un roi qui passe autant de temps en surface que sous les mers. Mais il faut bien que notre monde ait quelqu'un en surface qui le protège. Il faut bien qu'il y ait un représentant de notre peuple dans la Justice League. Parfois je me demande ce qui arriverait si je crevais au combat contre les hordes d'Apokolips ou un truc du même style. Il faudra quelqu'un pour reprendre le flambeau. Mera le refuse catégoriquement. Elle n'aime pas plus la surface que beaucoup d'entre nous. Mais toi Garth. Tu es peut-être l'atlante qui connaît le mieux le monde des humains avec moi. »
Curry tout proche. Une main sur l'épaule de Mesterion.
« Si je disparais, faudra que quelqu'un reprenne le flambeau pour défendre les mers. En chasser les tueurs de baleines. Détruire les usines qui rejettent de l'aluminium et des toxines chimiques dans l'océan. Quelqu'un qui tienne à distance d'Atlantis les sous-marins de guerre du Scavenger. Quelqu'un qui rappellera constamment à tous les autres héros à cape qui passent leur temps à regarder vers l'espace, en attendant la prochaine invasion alien, que la mer c'est la vie de cette planète. Elle détermine le climat, l'agriculture, les transports, les communications, la sécurité. Il n'y a que toi qui peut prendre ma place si je meurs au combat Garth. »
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