Through the black shines a beacon (nate)

Back in the fray. Et surtout de retour en ville, ce qui constituait sans doute son plus gros challenge depuis son réveil en Afrique du Sud, de retour dans le monde des vivants et des sensations. Ces dernières semaines, Nate les avait passées dans un drôle d’état second, à essayer tant bien que mal de réapprivoiser un corps qui lui était familier, tout en lui étant complètement étranger à la fois – à réapprendre à toucher, sentir tout ce qui se trouvait autour de lui, à vivre sans n’avoir que quatre sens sur cinq sur lesquels se reposer. Si les premières heures avaient été relativement faciles, à se contenter de son lit d’hôpital et de la compagnie de Barbara, la suite n’avait, il devait bien l’admettre, pas toujours été une partie de plaisir. Une fois la jeune femme à l’origine de sa ‘guérison’ miraculeuse partie, il s’était retrouvé en tête à tête avec la montagne de travail qui l’attendait, en compagnie des médecins et autres soignants prêts à l’accompagner dans cette drôle d démarche qu’était la sienne. Pour la première fois, il s’était abstenu de porter la combinaison qui lui servait de camisole de force, pour la première fois, il avait réellement senti, autant qu’il l’avait entendu, le sol craquer sous le poids de ses pas dont il n’avait jamais réussi, jusqu’ici, à mesurer la force – un drôle de retour en arrière, maintenant que le costume élaboré par son grand-père et Mid-Nite n’était plus là pour limiter les dégâts. Pour la première fois, Nate n’avait pas été que le témoin oculaire de sa force destructrice : il sentait, dans chaque fibre de son corps réveillé, à quel point le monde autour de lui était d’une impossible fragilité face au monstre de force qu’il était devenu. Souvent, entre deux exercices de rééducation, d’adaptation, il s’était demandé si Superman, si Wonder Woman avaient le même problème que lui, ou si depuis le temps ils y étaient tellement habitués qu’ils n’y pensaient plus. Si un jour, lui aussi, finirait par s’habituer.

Malgré les nouvelles difficultés, certaines anticipées, d’autres non, Nate ne regrettait absolument pas sa décision. Prudemment, il défit sa ceinture et attendit patiemment que ses voisins de voyage n’ouvrent les coffres de cabine pour récupérer son sac, rallumant au passage son téléphone pour vérifier que sa chauffeuse n’avait pas eu de retard ni d’imprévu. Voyager en avion était plus qu’une aventure depuis quelques années maintenant, avec ces fichus portiques de sécurités qui bipaient furieusement dès qu’il n’y passait n’était-ce qu’un orteil, mais pour rallier Gotham, c’était bien la voie la plus rapide. Sans se presser, très conscient du poids et de la force qu’il mettait dans chaque pas mesuré (comment expliquer que pouvoir enfin sentir la plante de son pied rendait l’exercice à la fois plus facile et plus difficile qu’avant ?), Nate se dirigea vers la sortie. Il voyageait léger, un simple sac de sport contenant des fringues de rechange, des affaires de toilette, et bien sûr son costume – le nouveau, plus léger, plus sportif, moins… superhéroïque, mais infiniment plus confortable dans sa situation. Un voyage éclair, le temps d’éclaircir et, il l’espérait, mettre un terme à une fâcheuse situation de trafic entre Gotham et Star City. De quoi se remettre en jambes pour une première mission post-op. C’était presque naturel, finalement, que Barbara soit de la partie. Barbara dont, en passant le portique de sortie, il distingua la silhouette dans la petite foule amassée à l’arrivée – Barbara que, la dernière fois qu’ils s’étaient vus, il avait eu l’audace ou l’outrecuidance d’embrasser. Dammit. Lui qui s’était promis de ne pas y penser pour éviter tout malentendu, c’était raté. En l’approchant, il prit une profonde inspiration – be cool, Nate. Be cool.

« Salut miss génie. » lança-t-il avec bonne humeur, sans trop en faire ni pas assez, il espérait. Il s’abstint de la saluer d’une accolade – se souvenant fort à propos de son désamour des embrassades et préférant ne pas lui briser les côtes tout de suite – mais aussi chaleureux qu’il avait pu l’être lors de leurs nombreuses sessions de travail dans ce drôle de bat-bunker à Star City. C’était drôle de la revoir après toutes ces improbables aventures, et drôle aussi de se dire que pour la première fois, ils ne se voyaient pas en tant que chef des travaux et sujet d’expérience, mais peut-être en tant qu’amis - et surtout, en tant que Batgirl et Citizen Steel. « Star City, Afrique du Sud, Gotham. On va devenir de vrais globe-trotters, si on continue. Tu vas bien ? » demanda-t-il alors qu’ils s’éloignaient de la foule pour regagner le parking. Il s’abstint d’ajouter ‘depuis la dernière fois’, soucieux de ne pas réveiller le souvenir qu’il cherchait justement à étouffer alors qu’un coin de son cerveau, bien au contraire, avait l’air déterminé à ne pas le laisser faire. Rapidement, ils gagnèrent les sous-sols de l’aéroport, et Nate suivit sa guide jusqu’à sa voiture – il n’y connaissait à peu près rien en véhicules, mais même lui pouvait reconnaître une belle voiture quand il en voyait une. « T’es venue me chercher en grande pompe, dis donc. » remarqua-t-il, avant de faire une démonstration de sa nouvelle dextérité en ouvrant la portière arrière pour y déposer son sac comme si de rien n’était. Un exercice qui, quelques semaines plus tôt, lui aurait demandé deux fois plus de temps, ou aurait été du ressort de l’impossible. Il lui adressa un sourire pas peu fier, puis ouvrit la portière côté passager et se glissa à ses côtés, les amortisseurs gémissant un chouïa sous le poids infligé. Il grimaça. « Je t’avais prévenue. » lui fit-il remarquer en tournant la tête vers elle ; et ses yeux bleus se voilèrent d’une lueur un tantinet inquiète. « T’as l’air soucieuse. Je débarque au mauvais moment ? »

« Babs ? Tu sais qu’il y a un mur là en face ? Babs ? BABS - » s’écria Nate à deux doigts de se métalliser intégralement en anticipation du choc – mais au lieu de se crasher dramatiquement dans un épais mur de briques, la voiture passa au travers de l’hologramme, et l’aîné des cousins Heywood crut un instant que son cœur s’était arrêté de battre dans sa poitrine alors qu’ils se garaient tranquillement dans un garage savamment dissimulé aux yeux du monde. Nate, qui avait levé les bras pour se protéger (assez inutilement, au vu de sa constitution), les baissa lentement, et laissa échapper un long soupir de soulagement, avant d’adresser un regard mi-vexé, mi-soulagé à sa chauffeuse-tous-risques. « C’est qu’on a le sens de l’humour, à Gotham. » rétorqua-t-il, parfaitement incapable de réprimer un sourire. Bon d’accord. C’était une bonne blague. Et puis si c’était le prix à payer pour voir Barbara s’amuser, alors qu’elle avait l’air tellement soucieuse quelques instants plus tôt, il était prêt à le payer trois fois sans hésiter. Gardant pour lui son raisonnement, il s’extirpa de la voiture et lui emboîta le pas, son sac chargé sur son épaule, pour atteindre l’ascenseur (par miracle ils restaient sous le seuil de poids autorisé) et grimper jusqu’au dernier étage. Obéissant sagement à la consigne, il déposa ses affaires dans un coin et enfonça les mains dans les poches de son blouson, observant avec attention la pièce changer en véritable base d’opérations pour superhéros. Il siffla avec admiration. « Wow. Tu vas me faire complexer, mon appartement n’est encore qu’un appart’ normal. Entre ça et la voiture, t’es sûre que c’est pas James Bond, ton nom de code ? » demanda-t-il en s’approchant à son tour des ordinateurs – non sans jeter un œil à l’immense horloge dont il aurait été bien curieux de connaître l’histoire. Une autre fois, peut-être.

Nate s’approcha dans son dos pour contempler les moniteurs, sortant les mains de ses poches pour croiser les bras alors que ses yeux déchiffraient rapidement les dernières trouvailles de la meilleure hackeuse du pays – et probablement du monde. S’il avait eu peur que l’atmosphère entre eux touche à l’étrange et l’inconfortable depuis sa maladresse en Afrique du Sud, il semblait bien que travailler sur un objectif commun et le crime organisé réussissait à leur faire oublier à tous les deux l’inconfort qu’ils étaient supposés ressentir. La photo de Mariotti était affichée sur l’écran (aucun doute, c’était bien le même personnage), accompagnée d’une foule d’informations utiles – certaines dont il avait déjà connaissance de par sa propre enquête, d’autres qui constituaient des éléments nouveaux. Elle avait même réussi à trouver une photo de la fameuse grand-mère. Sur un autre écran s’affichaient le casier judiciaire de l’infâme bonhomme, et sur un autre, l’intégralité de ses récentes transactions, confirmées et supposées, avec le gang de Falcone. « Bien joué, Sherlock. » commenta-t-il avec un hochement de tête admiratif. 22 heures, et il fallait encore attendre qu’il en soit sorti. Qu’à cela ne tienne. Il commençait à avoir l’habitude des veillées nocturnes dans les rues de Star City. « Ca va nous laisser le temps de mettre au point une stratégie au lieu de foncer dans le tas. C’est peut-être pas plus mal. » remarqua-t-il en haussant les épaules. Sur un autre écran, Barbara avait affiché une photo et un plan détaillé du manoir Falcone – une seule entrée pour les véhicules, Mariotti passerait forcément par là pour aller, et pour revenir. Quelqu’un du calibre de Falcone avait forcément des caméras de sécurité installées un peu partout : avec les compétences de hackeuse de Barbara, ils n’auraient aucune difficulté à observer les allées et venues des invités. « Tu pourrais nous brancher sur le feed de surveillance du manoir ? En surveillant le portail et l’entrée, on devrait voir Mariotti et le véhicule avec lequel il quittera la résidence – à partir de là, le reconnaître sera un jeu d’enfant. » Ils avaient l’adresse de Mariotti, ils savaient où il se rendrait après avoir conclu son deal. Mais peut-être que ça n’avait même pas d’importance : Nate n’avait pas d’autre choix, habituellement, de la jouer à l’ancienne, de pêcher ses informations lui-même et se reposer sur sa débrouillardise plus que sur des ressources qu’il n’avait pas. En dehors de ses pouvoirs et quelques bons contacts en ville, il n’avait ni équipement, ni équipe pour l’assister au quotidien, à l’inverse d’un Batman ou d’un Green Arrow. Mais ce soir, peut-être qu’il pouvait se permettre d’être un peu plus créatif, si Barbara était toujours déterminée à l’accompagner dans cette folle entreprise. « On est sur ton terrain de jeu, Batgirl, t’en penses quoi ? » demanda-t-il en se tournant vers elle. « Est-ce qu’il y aurait moyen de le suivre après son rendez-vous pour anticiper où il se rendra ? De mémoire… » Et sa mémoire avait le mérite d’être particulièrement précise. « Il a un pied-à-terre à Gotham, et aussi un hangar dont l’acte de propriété est au nom d’une entreprise reliée au réseau d’un autre gang – Falcone, j’imagine. Il ira sans doute à l’un des deux selon s’il reçoit la marchandise ce soir, ce qui sera sans doute le cas. » Sur une carte de Gotham affichée sur un grand écran, il pointa du doigt l’emplacement de l’appartement gothamite de Mariotti, puis l’emplacement du hangar, dans un quartier différent. « Si on pouvait le suivre depuis tes écrans, on pourrait anticiper où il va se rendre et lui tendre une embuscade… Et on devrait avoir de quoi les coincer, lui et Falcone. Ou au moins impliquer Falcone dans ses agissements. » conclut-il, songeur. Falcone ne serait sûrement pas assez stupide pour laisser la moindre trace directe, mais si son gang était nommé quelque part, ça pourrait toujours servir le jour où quelqu’un se déciderait enfin à le traîner devant la justice. « Quoi que tu décides, je me range à ton avis. Il paraît qu’il faut respecter les règles des chauves-souris dans cette ville. » sourit-il non sans taquinerie.

Son plan était un plan comme un autre, mais il avait des failles – et comme tout bon chercheur qui se respecte, Nate était prêt à l’admettre et recevoir les critiques de ses pairs, en l’occurrence une Batgirl en pleine forme qui connaissait leur cible et les moyens à sa disposition bien mieux que lui. Il hocha donc la tête – intervalles réguliers, quelques secondes seulement, roger that. Et au froncement de nez qu’elle lui offrit, il comprit très vite que le reste de ses suggestions n’allait pas faire long feu non plus. Aucune importance : c’était aussi pour ça qu’il avait tenu à la contacter et l’inclure dans cette opération. Entre Gotham et Star City, les criminels ne fonctionnaient pas de la même façon. A Gotham, le crime organisé avait ses propres règles, son propre système de jeu, et il aurait été un parfait crétin de s’y aventurer sans prendre la peine de recruter une guide qui, elle, saurait exactement comme s’y prendre. C’était ça aussi qu’il lui manquait, à Star City. Quelqu’un sur qui se reposer, des moyens pour aller un peu plus loin que son vigilantisme somme toute très sommaire, alors qu’il tentait de ne pas trop empiéter sur les plates-bandes de Green Arrow et Black Canary. Voulait-il seulement une équipe comme Green Arrow et Batman en avaient ? Ou préférerait-il finalement se la jouer solo quand il ne travaillerait pas avec la Ligue ? A ce stade, Nate aurait été bien incapable de le dire – mais il commençait aussi à voir les limites de son organisation et de ses moyens actuels. Comme quoi, cette petite excursion sur le territoire des chauves-souris s’annonçait riche d’enseignements. Batman et ses pairs étaient devenus de véritables institutions à Gotham. Citizen Steel, lui, n’était qu’un nom encore obscur que les connaisseurs associaient surtout à mystérieux type qui sait un peu trop bien se servir de ses poings et n’a pas l’air sensible aux balles.

Il lui retourna son sourire en coin, tout en se demandant qui elle pouvait bien contacter dans son oreillette. « Les autres ? » répéta-t-il en arquant un sourcil. « Attends, t’as convoqué la Batfam ? Nice. » D’une mission à deux, cette opération venait de prendre de nouvelles proportions. Il décida sciemment d’ignorer la petite part de lui-même qui aurait bien voulu profiter de sa présence en tête à tête, et se sermonna face à son flagrant manque de professionnalisme – et puis d’un autre côté, évidemment que sa curiosité naturelle atteignait de nouveaux sommets à l’idée de rencontrer les autres complices de Batman. A sa remarque, il leva les yeux au plafond, repérant la trappe qui jusque là avait échappé à son attention, et s’écarta promptement du chemin, peu désireux de recevoir une foule d’acrobates sur la tête et se rendre responsable de chevilles cassées et autres hématomes dont son boss à la Justice League entendrait inévitablement parler – sans compter que casser ses coéquipiers exceptionnels n’était pas tout à fait la meilleure façon de faire une bonne impression. Il suivit donc sagement Barbara jusqu’à sa cuisine et s’appuya dans l’encadrement de la porte en croisant les bras (quel bonheur de pouvoir reprendre cette habitude sans craindre de briser un mur) en l’observant remplir deux verres d’eau ; et son sourire en coin s’atténua un peu dès lors qu’elle lui posa la question fatidique. Ils ne s’étaient pas revus depuis l’Afrique du Sud, ne s’étaient pas vraiment reparlé non plus. Ouais, sans blague, Heywood. C’aurait peut-être été plus facile si tu ne t’étais pas comporté comme un idiot, aussi. Nate se mordit l’intérieur de la joue en chassant l’incident de sa mémoire et se concentra sur sa réponse.

« Réellement ? Bizarre. » répondit-il en haussant les épaules, avant d’ajouter : « Mais pas un mauvais bizarre. Je préfère largement notre succès à ne rien sentir du tout, c’est juste que… la phase d’adaptation est un peu difficile à appréhender sans mode d’emploi. » Et comment aurait-il pu y avoir un mode d’emploi, quand ce qu’ils avaient accompli avec son corps aux propriétés unique était une première mondiale ? Ils l’avaient su dès le début, que rien ne serait exactement comme avant, et que lui aurait à fournir tout un travail pour s’habituer à ces nouvelles sensations qui mêlaient familiarité et complète nouveauté. Heureusement, contrôler sa force et la pression qu’il exerçait sous tout s’était finalement avéré être la partie la plus facile de l’exercice, même s’il lui arrivait encore de déraper. C’était tout le reste, qui l’avait pris de court. Plus aucune texture ne lui était vraiment familière, aucune sensation n’était vraiment comme il s’en souvenait. Après presque cinq ans passés dans l’isolation la plus complète, difficile de dire avec certitude si son nouveau corps était à blâmer, ou si son imagination et ses souvenirs s’étaient déformés avec le temps. Il adressa un sourire à Barbara : « Mais c’est rien de grave. Ou rien d’insurmontable, plutôt. Tout est encore super déstabilisant, mais c’est tellement libérateur de ne plus avoir besoin de ce foutu costume pour être sûr de ne blesser personne. » commenta-t-il avec un rire léger. Adieu seconde peau, adieu cette impression de ne pas avoir le droit de bouger sous peine de provoquer une catastrophe. Les vieux réflexes étaient encore difficiles à secouer, il avait encore une tendance à l’immobilité dès qu’il le pouvait mais, bon sang. « Avoir la sensation d’être en contrôle de ce que je fais et de comment je bouge, ça vaut tout l’inconfort du monde. Le reste, sentir ce métal dans ma peau même quand je suis au repos, d’être plus lourd qu’avant, c’est secondaire. » conclut-il avec l’optimisme raisonnable qui le caractérisait. Et Barbara de l’observer avec attention alors qu’il parlait, cette attention particulière et aiguë typique de la scientifique qui sommeillait en elle – Nate aurait été bien incapable de dire si c’était flatteur, intimidant, ou si elle le regardait comme un rat de laboratoire, auquel cas il aurait peut-être dû se sentir vexé. Au lieu de quoi, il s’éclaircit la gorge : « Et toi alors ? Pas encore été tentée de rouvrir le programme et bidouiller ton code pour voir ce qu’il se passait à travers les caméras de surveillance de Star City ? » Voilà, l’humour pour éviter le reste – stratégie imparable certifiée Heywood. Ils seraient fiers, les cousins et le grand-père.

L’intervention toute providentielle de Red Robin aurait presque eu des airs de mauvaise blague, si Nate n’avait pas été foncièrement soulagé de voir cette conversation fort glissante s’interrompre – pour se redonner contenance plus qu’autre chose, il se racla la gorge et adressa au nouveau venu un hochement de tête en guise de salut. Professionnel, Nate, reste professionnel. Plus facile à dire qu’à faire quand Barbara s’amusait si bien à le décontenancer. Le pire dans tout ça ? C’est qu’elle ne l’avait probablement même pas fait exprès, et que c’était sûrement lui qui sur-interprétait les choses. Oui, c’était forcément ça – c’était lui, l’imbécile qui s’était laissé emporter une fois et l’avait embrassée, par l’inverse. Bon sang Nathaniel Heywood, t’es vraiment un cas désespéré : Dieu merci, les apparitions successives de Spoiler et Orphan l’arrachèrent à ses pensées, et il eut vite fait de se concentrer à nouveau sur la tâche à accomplir. Son intervention à lui ne fut que succincte, alors qu’il se présentait aux nouveaux venus (‘Citizen Steel, enchanté’, ça faisait toujours bizarre ce moment-là) et complétait les explications de Barbara de quelques précisions qu’il avait glanées sur le terrain et pourraient se montrer utiles pour les petits jeunes qui venaient compléter leur fine équipe. Sans mentir, Nate était admiratif, face à cette assemblée de rouages dans une machine qu’il devinait parfaitement huilée. C’était donc ça, l’équipe de Batman. Sa manie de recruter de très jeunes gens pour l’aider dans son travail était indubitablement l’objet de quelques plaisanteries plus ou moins sérieuses à la Ligue, et Nate lui-même n’était pas entièrement sûr de son ressenti vis-à-vis de ces méthodes, mais il lui fallait bien admettre que ces trois-là avaient la carrure de l’emploi. Pour le reste de l’exposé, il se tint sagement en retrait, laissant Batgirl mener son petit monde à la baguette, et il leur lança un ‘bonne chance’ avant qu’ils ne disparaissent par où ils étaient venus. Aussi silencieux et agiles que des chats, à la réflexion, plutôt que des chauves-souris. Dommage – il aurait bien aimé les voir à l’œuvre de ses propres yeux. Mais pour l’heure, ils avaient d’autres soucis en tête.

Nate baissa les yeux de la trappe et hocha la tête à l’adresse de Barbara, en lui retournant un sourire amusé. « Admets plutôt que c’est toi qui n’arrives plus à te passer de moi. » rétorqua-t-il – en réalisant un poil trop tard la portée de sa répartie pourtant ô si pleine d’esprit. Nate dut se mordre la langue (encore quelque chose qu’il pouvait enfin à nouveau faire !) pour s’empêcher de se maudire à voix haute, ou de s’enfoncer encore plus ; et il était tout prêt à faire semblant de rien, jusqu’à ce que Barbara, sans réaliser, sans doute, qu’il était encore là, ne décide de se changer. En un rien de temps, ou plutôt, le temps qu’il fallut à l’information pour remonter jusqu’à son cerveau, Nate vira à un joli cramoisi qui aurait été fort assorti au costume de Red Robin – il détourna rapidement le regard, mais visiblement pas assez vite pour qu’elle ne s’en rende pas compte ; oh dear, elle avait l’air au moins aussi gênée que lui. Tiens ta langue, Heywood. C’est sûr qu’elle était très jolie, mais – oh my God brain please just shut up. Nate adopta alors la technique la plus appropriée, et absolument imparable : la fuite, et il profita du fait qu’elle finissait de s’habiller pour lui-même attraper son sac contenant son costume et s’éclipser dans une pièce voisine pour se changer. Seigneur. Batman et Hank auraient honte, s’ils pouvaient les voir. Nate chassa cette désagréable pensée de son esprit, et rapidement, se débarrassa de ses vêtements pour enfiler son nouveau costume, qui ne consistait somme toute qu’en un ensemble plus pratique que son vieil uniforme : une paire de rangers, pantalon navy aux allures militaires, un gilet renforcé au cas où quelqu’un ne décide de ramener un laser militaire à une bagarre, et une veste en vieux cuir dont l’étoile frappée sur son torse et les couleurs rouges et bleues constituaient le seul rappel à son ancien uniforme, et aux couleur de Commander Steel. Une paire de gants pour compléter le tout, et Citizen Steel version 2.0 put rejoindre Batgirl fraîchement apprêtée. Et visiblement elle aussi décidée à ignorer ce qu’il venait de se passer. « Les dames d’abord. » répondit-il en lui emboîtant le pas dans l’ascenseur.

Le trajet jusqu’au quartier de l’entrepôt en question se déroula dans un relatif silence, qu’il était facile d’imputer à la concentration nécessaire à leur mission – et effectivement, il ne fut entrecoupé que de réflexions au sujet de la tâche qui les attendait, d’ajustements de stratégie et de bref contacts avec le reste de la Bat-family déjà dispatchés aux quatre coins de Gotham. Barbara avait les yeux sur la route, Nathaniel passait en revue dans son esprit toutes les possibilités qui pouvaient les attendre sur place, et se félicitait d’avoir sollicité Batgirl et ses ressources. Il lui paraissait de plus en plus clair que sans elle, son travail aurait été infiniment plus compliqué que prévu. Travailler seul avait ses avantages, il ne le nierait pas, mais qu’il était appréciable d’avoir quelqu’un d’autre sur qui compter. Barbara gara le tumbler à plusieurs pâtés de maison de là, dans une ruelle suffisamment discrète pour leur éviter de se faire remarquer – et il ne doutait pas une seule seconde que le véhicule disposait de sa propre technologie de camouflage, et sans s’attarder plus longtemps, Batgirl et Citizen Steel, guidés par le GPS de Barbara et ses gadgets d’infiltrations, prirent la route pour leur destination finale.

L’entrepôt en question était un large, haut, et austère bâtiment qui dominait d’autres hangars plus petits sur ce qui ressemblait à un terrain vague désaffecté. L’endroit avait des airs de petit labyrinthe, mais avec les ressources de Batgirl, ils avaient largement de quoi progresser sans se faire prendre par surprise par une caméra intempestive ou une patrouille imprévue. En silence, se contentant de communiquer par gestes pour éviter de signaler leur présence, tous deux avancèrent sur la terre battue et gagnèrent rapidement l’entrée de l’entrepôt, dégottant une porte sur le côté devant laquelle personne n’avait pensé à mettre de garde. En temps normal, Nate n’aurait pas eu d’autre choix que de briser le verrou en faisant le moins de bruit possible – mais avec Barbara à ses côtés, l’effraction put se faire dans une discrétion quasi-absolue. Même de l’extérieur, il faudrait y regarder de près pour voir la moindre trace d’effraction. Nate la laissa passer la première, jeta un œil derrière eux pour s’assurer qu’ils étaient bien seul, puis entra à son tour et referma doucement la porte. A l’intérieur, l’entrepôt avait l’air tout aussi vide et désert que le reste du terrain : de grandes caisses de bois étaient entreposées ça et là, ainsi que des véhicules – camions, pick-ups et autres quatre-roues, mais pour l’heure, nulle trace encore de leurs adversaires. Plus qu’à trouver une planque. En levant les yeux, Nate repéra une plateforme en hauteur, sur laquelle trônaient caisses et bâches. S’ils pouvaient les atteindre et se cacher dessous, ils auraient une vue imprenable sur l’ensemble du bâtiment… Sans un mot, Nate fit signe à sa compagne et pointa la plateforme du doigt d’un air interrogateur. Il y avait une échelle pour y accéder – elle, elle n’aurait aucun mal à grimper, et lui… ils verraient bien si l’échelle était faite pour supporter un peu moins de 200 kilos.

Et il semblait bien que ce fut le cas. Agile comme un chat, Batgirl escalada l’échelle jusqu’à la plateforme sans difficulté – quant à Nate, son ascension fut plus lente, du fait de sa prudence à ne pas casser un barreau et chuter tout en bas, et à ne pas faire de bruit en froissant le métal, mais il y parvint à son tour, et rampa sur le ventre jusqu’au point où Barbara s’était dissimulée à l’abri des regards. Ils y étaient donc. Allongés sous une bâche côte à côte, les yeux rivés sur l’intégralité du hangar, et à cet instant même, des voix se firent entendre en contrebas. Nate adressa un regard à sa complice, alors qu’un groupe de quelques hommes, tous armés jusqu’aux dents, faisaient leur entrée en scène, discutant et ayant l’air d’attendre quelque chose ou de passer un plan d’action en revue. « On est pas les seuls à être un peu en avance. » chuchota-t-il à l’oreille de Barbara. A leur hauteur, discrets comme deux souris, aucune chance pour qu’on les entende. « Un visage familier dans ce beau monde ? » demanda-t-il sur le même ton.

Une fois encore, une fois de plus, Nate se félicita de sa décision de troquer son uniforme d’alliage métallique contre des vêtements normaux – ça n’avait peut-être pas la même allure, mais c’était quand même autrement plus confortable, et nettement moins bruyant dès qu’il s’agissait de se faire discret. Il aurait eu l’air malin, à grincer et crisser aux côtés de Batgirl depuis leur perchoir. Déjà qu’il évoluait loin de sa zone de confort habituel en frayant avec les chauves-souris, il préférait ne pas avoir l’air d’un idiot face aux protégés de Batman et justiciers de Gotham. Surtout, si possible, devant Barbara, qui lui donnait la nette impression d’être aussi exigeante que son mentor. Tant mieux, songeait-il ; non qu’il se plaise particulièrement à chercher à impressionner les autres, mais il n’était jamais plus efficace que quand il sentait cette pression du regard des autres. Et dès que Barbara était concernée, et bien… Ce n’était plus une, mais deux personnes bien distinctes qu’il cherchait à ne pas décevoir. Batgirl la justicière masquée qui le laissait évoluer sur son territoire malgré les risques, et évidemment, la fille sous le masque. L’inconfort initial de leur petit interlude avait disparu dès qu’ils s’étaient aperçus qu’ils n’étaient plus seuls, et du haut de leur perchoir, tous deux étaient parfaitement concentrés sur leur tâche. Un duo mal assorti, sans doute, mais un duo quand même. Par habitude, Nate resta parfaitement immobile, toujours un peu paranoïaque à l’idée qu’une lumière quelconque puisse se refléter sur sa peau pourtant au repos, prêt à passer à l’action dès que Barbara en donnerait le signal. Dans leurs communicateurs, Red Robin, Orphan et Spoiler se faisaient pour le moment aussi discrets qu’eux, sans doute en route pour leurs destinations respectives aussi. Il fallait bien l’admettre, avoir autant d’alliés sur le terrain, coordonnés par Batgirl, avait quelque chose d’à la fois rassurant, puisqu’ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient, et d’un tantinet angoissant. S’il leur arrivait quelque chose à cause d’une sombre histoire qu’il avait apportée à leur attention depuis Star City…

Mais les réflexions de Nate furent vite interrompues par les réponses de Barbara à ses questions – quelques visages connus, mais pas tant que ça. Le nom de cet Aaron Papadopoulos ne lui disait rien, mais le résumé qu’elle lui en fit suffit à lui arracher une grimace. « Charmant personnage, ce grec. » se contenta-t-il de marmotter aussi bas qu’elle. Un gros joueur sur lequel il faudrait garder un œil, apparemment. Et les autres inconnus au bataillon – peut-être des gars de Mariotti, venus directement de Star City ? Avec son équipement, Barbara aurait sans doute des visuels à consulter plus tard, une fois qu’ils seraient de retour à la tour de l’horloge. De là, ils pourraient aisément consulter les fichiers de police et faire les recoupements nécessaires. Diable, il devrait vraiment passer une annonce et se trouver un acolyte hacker à Star City, un de ces quatre. Ou convaincre Barbara d’envisager une mutation, mais bizarrement, il doutait que ça fasse partie de ses priorités à l’heure actuelle. Barbara qui, d’ailleurs, laissa échapper un soupir assez contrit pour que Nate en arque un sourcil étonné. « Paris Franz ? » répéta-t-il sur le même ton. « C’est le nom de méchant le moins badass que j’aie jamais entendu. Et on en a un qui se fait appeler Bamboo Monkey. » Et si le souvenir de Bamboo Monkey prêtait à rire, l’aveu suivant de Barbara, en revanche, effaça aussitôt toute trace de sourire sur son visage. « Attends, quoi ? » Ok – il avait peut-être réagi un peu vite, mais à sa décharge, la surprise restait malgré tout une réaction parfaitement acceptable face à ce genre de déclaration. Les yeux de Nate passèrent de Batgirl à Paris Franz puis à nouveau à Batgirl avec la plus parfaite stupéfaction peinte sur ses traits.

D’accord, il ne pouvait pas entièrement donner tort à ce pauvre type, mais il y avait quand même quelque chose de sacrément et bizarrement vexant dans cette affaire. « Attendez, Paris Franz est là ? » fit soudain la voix de Red Robin dans leurs oreillettes. « Yep, d’après Batgirl. Tu le connais aussi ? » demanda Nate à voix basse en gardant le visuel sur le susnommé. Il aurait presque pu entendre leur petit camarade secouer la tête de désapprobation de l’autre côté de la ville. « Un imbécile et un pervers. Citizen Steel, fais-moi plaisir, si tu lui mets la main dessus, encastre-lui la tête dans le mur et jette-le dans le fleuve. » « Bien reçu, Red Robin. » répondit Nate avec un demi-sourire, et tous deux purent entendre Red Robin ricaner dans leurs écouteurs avant que le silence radio ne reprenne ses droits. Nate jeta un regard de côté à Barbara et lui adressa un haussement d’épaules un poil coupable. Peut-être qu’elle préférerait lui encastrer la tête dans le mur lui-même, mais hé. On ne refusait pas de rendre service à quelque de la batfam. Surtout quand c’était demandé si gentiment, et que ce type là en bas lui sortait déjà par les yeux. « J’imagine que c’est pas le genre de bad boy au cœur d’or sous les dehors un peu rudes qu’on voit dans les films, c’est ça ? » demanda-t-il en retenant un soupir. Si même les superhéroïnes n’étaient pas à l’abri des admirateurs encombrants et franchement dérangeants, le monde était vraiment mal barré. Et il devait bien l’avouer, s’il ne souhaitait ce genre de désagrément à aucune femme du monde, savoir que Barbara était personnellement visée le touchait un peu plus qu’il n’aurait aimé l’admettre. Et ça se voyait sur son visage de type qui ne savait pas mentir, il s'en doutait. Tant pis. « Je me doute bien que t’es largement assez grande pour le gérer, mais si jamais – n’hésite pas. Okay ? » Loin de lui l’idée de s’imposer. Mais si elle avait besoin de renforts, il espérait qu’elle penserait à compter sur lui, peut-être. Bref. Ferme-la, Heywood. Peu désireux de passer pour prétentieux ou paternaliste, il opta pour le silence – et comme pour lui donner raison, les portes du hangar s’ouvrirent à nouveau, pour laisser passer un nouveau groupe de quatre hommes armés, escortant une file de personnes, majoritairement des femmes. Nate fronça les sourcils, et au même moment, la voix d’Orphan se fit entendre dans leurs oreilles. « Mariotti est en route. Je vous tiens au courant. » Ils accusèrent réception en silence, les yeux rivés sur la scène en contrebas. « Des otages ? » s’interrogea Nate. « Kidnapping ? Ne me dis pas que c’est elles, la marchandise qu’il veut ramener à Star City ? »

Affronter des aliens hostiles et autres demi-dieux venues d’autres planètes était une chose. Se retrouver confronté à la monstruosité de la nature humaine en était une autre – et si Nate n’avait pas été assez naïf pour s’imaginer que la vie de superhéros se limiterait à repousser des envahisseurs en tout genre, il réalisait aussi, lentement, qu’il était nettement moins immunisé à la cruauté de ses semblables qu’il ne l’avait espéré. Il fallait des nerfs d’acier pour faire ce job. A la manière d’un policier constamment exposé au pire de ce que les Hommes avaient à offrir (Dieu savait qu’il respectait cette profession, et plus encore depuis qu’il avait endossé le costume de Citizen Steel), il lui fallait s’endurcir, réussir à se détacher d’une certaine sensibilité qui faisait bouillonner en lui le magma de la révulsion, mais force était de constater qu’avec ça, il avait du mal. A voir toutes ces filles alignées en rang d’oignon, la tête baissée comme des animaux conduits à l’abattoir, il ne put s’empêcher de sentir son cœur se serrer et son estomac se retourner dans son abdomen. Certaines d’entre elles étaient jeunes, très jeunes. A peu près le même âge que quelques unes de ses cousins, peut-être. Nicole, Amanda – l’idée qu’elles puissent, ou auraient pu, en d’autres circonstances, faire partie de ce groupe, le frappait d’horreur. Quelle bande d’enflures. Les doigts de Nate se crispèrent dans son poing à s’en blanchir les phalanges. Heureusement, l’attitude calme et composée de Batgirl à ses côtés l’empêcha de sauter dans le tas directement, le força à lui aussi garder la tête froide et réfléchir aux différents problèmes qui se présentaient à eux. Ils auraient le temps d’apprendre une leçon à ces monstres, et surtout, de libérer leurs captives. Mais pour le moment, il fallait qu’ils restent discrets, et attendent le moment opportun. Que ça leur plaise ou non.

« Promis, je dirai rien si t’oublies de retenir tes coups. » commenta Nate à voix basse, avec plus de résignation et de révolte que de colère dans la voix. Tout ce qui importait, c’était de sortir ces filles de ce pétrin. Régler leur compte à leurs tourmenteurs, ils auraient le temps d’y penser après. Et coup de chance, Orphan leur confirma que leur cible du jour étaient en route, et qu’ils avaient vu juste dans leurs estimations. Nate échangea un regard avec Barbara. « Je t’ai dit, Batgirl. Ton territoire, tes ordres. » souffla-t-il à son adresse. Ca tombait à pic, elle n’avait pas l’air en manque d’idées, Batgirl. Nate suivit son regard, et aperçut les cinq zozos qui avaient commis la regrettable erreur de se mettre à portée de poing en contrebas. Un sourire vint ourler le coin de ses lèvres. « Je t’ai pas dit que j’avais gagné un championnat de bowling quand j’étais ado ? » commenta-t-il en se redressant précautionneusement sur leur perchoir. Accroupi sur sa poutre, une main gantée maintenant son appui, Nate ne lâchait pas sa cible des yeux, et se concentra, laissant l’acier inoxydable et indestructible contenu dans son corps prendre le dessus – sans un bruit, sa peau trouva sa teinte argentée si particulière, qui le rendait méconnaissable à l’œil non-exercé. Et surtout, sacrément résistant à de nombreux chocs. Y compris à de possibles incidents de bowling. « Souhaite-moi bonne chance. » chuchota-t-il une dernière fois, avant de prendre une inspiration, et enfin, de se redresser tout à fait, avant de faire un pas dans le vide et se laisser tomber, comme la masse impossible qu’il était, au beau milieu du groupe. Pas besoin de prendre son élan. Pas besoin de sauter. Sa masse et son poids feraient l’affaire.

Brrram. Cent soixante-et-onze kilos d’acier qui leur tombèrent dessus de plusieurs mètres d’altitude. Les deux hommes qui se tenaient au milieu se prirent l’impact de plein fouet et s’écroulèrent sous le choc et sous son poids – avec probablement quelques os cassés qu’il ne prit pas la peine de compter. Au lieu de ça, il se redressa immédiatement, tirant parti de l’effet de surprise qui avait laissé les trois autres sur la touche et lui avait gagné quelques précieux dixièmes de seconde. S’il y avait bien un moment où il savait qu’il devait mettre en pratique les enseignements de Diana, c’était ici et maintenant. Profitant de sa liberté de mouvement nouvelle, grâce à l’implant et sn nouveau costume, Citizen Steel se releva et ne perdit pas un instant pour attraper un de ses assaillants par le col de sa chemise, faire de même avec le deuxième, et les tirer l’un contre l’autre pour brutalement faire percuter leurs têtes en vis-à-vis ; tout en s’appuyant sur eux pour bondir, pivoter sur sa jambe, et décrocher un coup de pied en plein thorax du troisième, qui fit un vol plané de deux mètres sous la force du choc. Oups, manqué de maîtrise peut-être, mais le résultat et l’agilité étaient là. Un des deux hommes qui avait eu le malheur de se prendre Nate sur le crâne n’était, contrairement à ses copains, pas encore tout à faire hors jeu. S’agrippant à la jambe de son pantalon, il tira de sa ceinture un poignard acéré, qu’il tenta de lui enfoncer dans la jambe – mais la lame dévia sur la surface lisse sous le tissu, et s’en tordit même sous le choc. Désemparé, l’homme chercha ensuite à attraper son pistolet. Mais, alerté de la chose grâce à l’implant neurologique de Barbara, Nate ne lui en laissa pas le temps : il referma les doigts sur le canon de l’arme, et le tordit d’une seule pression, avant qu’un coup de feu ne puisse être tiré. « T’as pas eu le mémo, toi. » commenta-t-il à voix basse, avant de l’assommer d’un coup de poing plus contrôlé en pleine figure. « C’est dans le nom, quand même. Citizen Steel. » C’était presque vexant. En attendant, sa mission strike était accomplie, avc une relative discrétion – et Nate se retourna pour voir si Batgirl avait profité de la distraction pour progresser ailleurs, ou si elle avait attendu sur leur perchoir. « La voie est libre. Prêt pour la suite, championne. » Suite pour laquelle il avait toute confiance en elle. Ces types n’avaient aucune chance.

Quand y en a plus, y en a encore. Avant d’endosser le costume de Citizen Steel, Nate n’avait jamais été prône à user de violence, si ce n’était pour tacler un adversaire sur le terrain, mais il fallait bien admettre qu’il avait très peu de scrupules à user et abuser sur sa super-force si ses victimes s’étaient rendues coupables de trafic humain ou de complicité dans ces sordides histoires. S’il était parfaitement honnête, il lui arrivait, parfois, de se poser des questions somme toute un peu métaphysiques sur leur rôle, à tous, à ces justiciers masqués (ou à visage découvert) qui résolvaient l’insoluble souvent à coups de poings dans la figure. Et puis d’autres fois, il se retrouvait dans des situations comme celles-ci, où la nécessité du moment, la réalité de la situation, prenait le pas sur toutes ses considérations un peu abstraites sur le bien, le mal, et la légitimité de la violence dans la justice. Quand il intervenait aux côtés de Batgirl dans une sombre histoire de kidnapping, il n’y avait pas de questions à se poser. La sécurité de ces jeunes femmes et l’urgence de la situation signifiait mettre ses scrupules et ses doutes de côté – parce que ni Nate Heywood, ni Barbara Gordon, même, n’avaient leur place dans ce hangar. Ils avaient un travail à accomplir, et un drame à arrêter. Avec ses quelques années d’expérience, Nate avait fini par apprendre que si la phrase ‘la fin justifie les moyens’ a jamais pris tout son sens, c’était bien dans cette vie qu’ils menaient, où pour essayer de rendre le monde un peu meilleur, ils étaient obligés de flirter avec la légalité, et parfois d’user de méthodes que seuls des vigilantes masqués pouvaient se permettre d’employer. Peut-être qu’ils avaient raison. Peut-être qu’ils avaient tort. Mais là tout de suite, c’était ce qui était en train de sauver ces filles, alors ça lui allait amplement.

Servir de distraction pendant que Batgirl allait libérer les filles et régler son compte à Paris Franz (ce nom, il ne s’en remettrait jamais) aussi, ça lui allait amplement – quel était l’intérêt d’avoir une boîte de conserve indestructible ambulante avec la discrétion d’un éléphant dans une verrerie si on ne pouvait pas l’envoyer en première ligne ? Le vacarme qu’il avait fait et les exclamations de douleurs de ses victimes avaient attiré l’attention sur lui, et il n’avait pas fallu bien longtemps pour que leurs complices rappliquent, alertés par ce qui apparaissait comme un très fâcheux imprévu. Et s’il ne pouvait virtuellement pas être blessé ni même égratigné par leurs revolvers ou le reste de leurs armes à feu, il était quand même sacrément content de ne plus être entravé par son vieux costume qui ralentissait tant ses mouvements – sentir les balles ricocher sur son corps à cause de l’implant de Barbara était un bien maigre prix à payer pour la vitesse et l’agilité qu’il avait gagnées en comparaison. Et alors qu’une dizaine ou une douzaine d’autres hurluberlus le prenaient d’assaut, Nate s’astreignit à se souvenir de chaque pas, chaque posture, chaque manœuvre que Diana avait pu lui apprendre juste-là ; et chaque mot aussi. Ne tue pas si tu peux blesser. Ne blesse pas si tu peux soumettre. Une grande inspiration plus tard, Nate plongea pour s’accroupir au sol et balayer d’un coup de jambe celles d’un premier homme qui tentait d’approcher un peu trop près ; en se relevant, il tendit les bras et avança le buste en avant, ses avant-bras arrêtant deux autres types dans leur course en les fauchant à la gorge – ils basculèrent en arrière et s’écroulèrent sur le dos, à la recherche de leur respiration. Dans le même mouvement, il attrapa un autre assaillant par le bras et le tira à lui avant de le faire passer par-dessus son épaule dans un drôle de mélange entre judo et art de la guerre amazone. Il retenait ses coups, en en distribuant le moins possible – mais tant que ça marchait, il ne voyait pas de raison d’escalader plus loin.

Soudain Batgirl se matérialisa à ses côtés, non sans effectuer une acrobatie de son propre cru – et qui dut faire sacrément mal à sa pauvre victime. Nate laissa volontiers échapper un rire. « Hé, j’ai fait tout ce chemin pour venir jusqu’à Gotham, ce serait pas drôle si on avait déjà gagné. » rétorqua-t-il en arrachant son arme à un adversaire inconscient à ses pieds, pour la jeter de toutes ses forces sur un autre qui les canardait de sa mitraillette un peu plus loin – bonk, il ne fut pas assez rapide pour l’éviter, et Nate grimaça. Peut-être un peu trop robuste, le tir. Mais ils n’avaient pas le temps de s’en soucier : dans ce hangar désaffecté, où gisaient malfrats et ambitions d’esclavage moderne sans distinction, l’air se remplit soudain d’une odeur métallique et de poudre mêlées, et au même moment, un formidable rugissement mécanique roula dans l’air dans leur dos. Citizen Steel se retourna, et son sang, quels que soient ses composants maintenant, ne fit qu’un tour. « Shit, ils ont un minigun ! » s’exclama-t-il – et obéissant à ce que lui hurlaient ses réflexes, il attrapa Batgirl par le bras et la tira derrière lui, offrant son corps comme barrage alors que les balles de l’arme infernale déchiraient l’air et pleuvaient à un rythme endiablé. Ping ping ping ping, elles ricochèrent par terre ou sur son corps, mais la puissance du feu du minigun rendait l’expérience infiniment plus désagréable que celles d’une simple mitraillette ; mais pas le temps de se plaindre, il fallait qu’ils trouvent un abri. En grimaçant, Citizen Steel entraîna Batgirl avec lui, collée dans son dos pendant qu’il s’improvisait bouclier humain, jusqu’à trouver refuge derrière un épais pilier de béton. Sur la surface exposée de leur abri de fortune derrière lequel ils n’avaient d’autre choix que de se serrer pour éviter de se retrouver à nouveau en ligne de mire, les balles martelaient la surface, arrachant des morceaux entiers de béton à chaque impact. Diable, elles avaient bien progressé les Gatling, depuis l’époque des cowboys. « Ca va ? » demanda Nate en baissant sur Barbara un regard inquiet. Bien sûr qu’elle était la badass ultime, mais elle n’était pas faite en acier, elle. Et là tout de suite, il espérait deux choses : qu’elle ne soit pas blessée, et qu’elle ait dans sa panoplie un gadget qui leur permettrait de se sortir de cette ultime altercation.

Evidemment qu’il avançait en première ligne : qu’il le veuille ou non, c’était bien la principale utilité qu’il pouvait tirer de ses pouvoirs sitôt qu’il travaillait en équipe, un avantage stratégique certain que la Ligue avait déjà mis à profit à plusieurs reprises. Et avec son agilité retrouvée grâce à l’implant de Barbara, il était plus que jamais le parfait candidat pour se jeter la tête la première dans les ennuis en espérant essuyer un minimum de dégâts. Mais lorsqu’il contourna le pilier, prêt à encaisser une nouvelle salve de balles, le minigun resta parfaitement inactif, une simple volute de fumée noire s’élevant de l’endroit exact où le batarang avait touché son point d’impact. L’homme qui maniait l’arme, lui, avait complètement disparu. Nate fronça les sourcils, balayant le champ de bataille du regard à la recherche d’un dernier piège, un dernier retournement de situation – et sentit son cœur accélérer soudainement dans sa poitrine sitôt que Barbara aboya ‘à couvert !’ en dégageant une grenade d’un coup de pied. Par réflexe, elle se jeta derrière une large caisse ; Nate, par réflexe, se prépara à encaisser l’onde de choc sans vraiment savoir à quoi se préparer. Il s’en était mangé, des explosions en pleine poire, depuis qu’il avait revêtu le costume de Citizen Steel, mais c’était la première fois qu’il s’apprêtait à en absorber une avec l’implant sensoriel activé. Alors, l’ancien champion de football ancra ses pieds dans le sol, les bras croisés devant lui et les épaules rentrées comme pour encaisser une mêlée particulièrement rude et laissa à nouveau l’acier organique reprendre le dessus dans tout son corps. Boom. L’explosion retentit et une onde sismique secoua le hangar tout entier, se répercuta sur tout ce qui avait le malheur de se dresser sur son chemin, et Nate l’encaissa de plein fouet, statue d’acier inamovible alors qu’autour de lui divers équipements se trouvaient projetés à plusieurs mètres. Baptême du feu réussi.

L’onde de choc passée, Nate s’autorisa à reprendre son souffle et à soupirer, étonné que cette baffe explosive ne lui ait pas fait plus mal que ça – au lieu de la douleur à laquelle il s’était attendu, il avait plutôt l’impression que quelqu’un lui était rentré dans l’abdomen à pleine vitesse dans une tentative avortée de plaquage. Secoué, mais sans plus. Lentement, il s’autorisa à dénouer ses muscles, et à se redresser, inspectant ses avant-bras argentés intacts, jusqu’à ce qu’une voix l’interpelle dans les décombres. « En un seul morceau. » répondit-il en laissant sa peau retrouver sa couleur habituelle. « Et toi ? » Batgirl n’était, aux dernières nouvelles, pas faite d’acier, elle – et Citizen Steel se hâta de la rejoindre sitôt qu’il aperçut sa silhouette agenouillée par terre. Elle, en revanche, avait l’air bien secouée, s’il en jugeait par le sang qui coulait de son oreille. « Ca va ? » demanda-t-il en s’approchant d’elle, juste avant d’être interrompu par la voix de Spoiler dans leurs oreillettes. La police. Tous deux se rejoignirent enfin, et d’un regard, s’accordèrent pour décider qu’il était temps de fiche le camp. Sans discuter, Nate suivit sa compagne à l’extérieur, où le Tumbler les attendait encore bien sagement. Et enfin, il s’autorisa à respirer. « Woo. Quelle aventure. » souffla-t-il, incertain de la suite. Ce n’était pas son territoire. Pas ses prérogatives. « On devrait te ramener chez toi, tu… » Mais Barbara décida de lui couper la parole, peut-être parce qu’il parlait trop, peut-être pas, en le faisant taire de la façon la plus efficace qui soit. L’espace d’un instant, Nate crut que la Terre s’arrêtait de tourner, et s’il avait cru quelques temps avoir laissé son imagination exagérer la douceur des lèvres de Batgirl, cette nouvelle expérience lui prouvait tout l’inverse. Aussitôt, il passa ses bras autour de sa taille, son cœur battant à tout rompre au point qu’il se demandait si Barbara pouvait le sentir avec son corps pressé contre le sien, et lui rendit son baiser, sans plus chercher à brider l’inexplicable passion avec laquelle il aurait voulu la serrer dans ses bras.

Mais lorsqu’elle s’arracha à son étreinte en poussant une exclamation, Nate faillit paniquer, s’imaginant déjà l’avoir blessée sans le vouloir, lui avoir cassé une côte, ou bien – ah non, un shrapnel. Ce qui n’était absolument pas plus rassurant, mais au moins n’était-il pas seul responsable. Les yeux rivés sur sa blessure, il finit par relever le regard sur elle, aussi perdu, aussi confus qu’elle dans cet ouragan d’émotions fortes. Et il hocha la tête, parce qu’il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre. « Faut qu’on te trouve de quoi te soigner, et… » souffla-t-il à son tour, pour finalement sursauter quand une silhouette émergea de derrière le Tumbler. « Je dérange ? » demanda Red Robin en s’accoudant au toit, un sourire narquois suspendu aux lèvres. Nate déglutit et, au comble de l’embarras, évita soigneusement son regard. Plus qu’à espérer qu’il aurait la décence de ne pas remonter ce qu’il avait vu au grand chef – même si Barbara était bien assez grande pour embrasser qui elle voulait après une mission riche en rebondissements, il ne tenait pas à avoir à affronter le regard de Batman à la prochaine réunion de la Ligue. « La police est en route. Mission accomplie, il faut apparemment qu’on dégage. » se contenta-t-il de répondre, et Dieu merci, le Robin avait l’air d’accord avec ce plan. Nate n’avait aucune idée de ce qu’il aurait fait s’il avait insisté pour aggraver son cas.

Moins d’une heure plus tard, le calme était revenu à la tour de l’horloge, et Citizen Steel avait troqué son uniforme couvert de poussière et de suie pour ses vêtements de rechange, avant de s’affairer à préparer du thé pendant que Barbara s’occupait de ses blessures. Sa tâche accomplie, il attendit une minute, deux minutes, cinq minutes, puis décida d’aller vérifier qu’elle ne s’était pas évanouie et alla frapper à la porte derrière laquelle elle avait disparu en rentrant. « Babs ? Tout va bien ? » appela-t-il, avant de s’éclaircir la gorge. Elle n’était pas tombée sur la tête, au moins ? Il se souvenait du sang coulant de son oreille, et de son pas incertain, et de ce baiser dont l’intensité rivalisait avec celle de la bataille – not now, Nate. « La police a coffré tout le monde, et les victimes sont toutes en bonne santé. Donc on peut appeler ça un succès… non ? Enfin, du moment que t’es pas en train de tourner de l’œil derrière cette porte. » Bon d’accord, il plaisantait, mais à moitié quand même. Il était plus facile de s’inquiéter quand on oubliait ce que ça pouvait faire, d’être blessé – et que la patiente avait le don de lui retourner la tête d’un seul regard.