Dreamfall : Chapitre 1 : La Chute (PV Zatanna)

Dreamfall : Chapitre 1 : La Chute

Quitte à venir à Paris, quitte à aller en boîte, et en attendant qu’il se passe quelque chose, Zatanna en profitait pour s’amuser un peu. Jusqu’à présent, elle s’était montrée aussi studieuse qu’Adrianna, mais au bout d’un moment, une humaine, même Homo magi, ne pouvait pas lutter contre une déesse. Zee avait ressenti cette étrange distorsion dans la Force, ce hoquet de la magie dans l’air, beaucoup de mages et de sorciers avaient dû la sentir, mais bien peu s’en préoccupaient, comme toujours. Il n’y avait guère que ceux qui s’inquiétaient du bien commun qui s’étaient mis à fouiner sur le sujet, et le Shadowpact en faisait partie. Ce n’était pas la première fois que Zee venait en aide à ce petit gang discret dont l’existence n’était pas très connue. C’était à l’occasion d’une de ces missions qu’elle avait d’ailleurs rencontrée Adrianna. Et c’est pour Adrianna qu’elle était venue jusqu’à Paris aujourd’hui, non pas que cela la dérangeait, évidemment. Elles avaient attendu un moment dans le club parisien, puis Zee avait décollé ses fesses de son tabouret pour aller danser un peu – il fallait bien entretenir leur couverture, non ? Surtout qu’à côté d’elle, Adrianna faisait office de statue égyptienne, grande, le port d’une reine, l’attitude hiératique. Zee pouvait comprendre que ce genre d’endroit ne la fasse pas sauter de joie. Elle doutait qu’Isis soit adepte de l’électro trance que le club passait en ce moment même. Les basses étaient si fortes qu’elles résonnaient dans la poitrine de la magicienne, à qui des tas de Français avaient tenté d’adresser la parole. Elle avait toujours répondu par le même geste, un index tendu vers son oreille, parce qu’elle n’entendait rien de ce qu’ils lui racontaient. Et puis elle n’était pas venue ici pour trouver le prince charmant. Même si elle restait toujours ouverte, sur ce terrain-là – facile, quand on savait d’avance que rien ne fonctionnerait.

Entre deux « chansons », elle quitta la piste de danse pour revenir se percher sur un tabouret au comptoir à côté d’Adrianna. Elle sentait ses joues brûler, et dans l’ensemble, elle se sentait plutôt bien, là, tout de suite. Sa comparse du soir semblait contrariée, buvant son cocktail comme s’il l’avait insultée, mais elle pouvait comprendre. Elle n’était pas à l’aise dans cet endroit quand Zee y était tout à fait coutumière. Elle ne pouvait pas imaginer ce que c’était de vivre aujourd’hui, dans ce monde, avec tout ce qu’Adrianna avait dans la tête et dans la mémoire. D’une main placée à quelques centimètres au-dessus du bras de son amie, Zee la réconforta. « Patience. Tu as raison, c’est ici que tout à commencé. Nous n’avons qu’à attendre, désormais. » Elle aussi captait ces frissonnements dans l’air. Son sang bouillonnait régulièrement quand elle se déplaçait, comme si elle traversait des lignes de magie invisibles tendues dans l’atmosphère. De deux doigts levés, elle commanda un autre verre et entreprit d’essayer de distraire Adrianna en parlant de Paris. Jusqu’à ce qu’un homme attire leur attention. Zee hocha la tête en réponses à la question de son amie. Non seulement il était étrange de voir un homme pareil ici, mais tout son être dégageait une magie incongrue, comme elle n’en avait encore jamais ressentie. Elle était toujours ébahie quand cela arrivait. Une vie ne suffisait pas à tout savoir sur la magie. Elle le vit qui regardait vers elles, sans sembler s’émouvoir de leurs yeux posés sur lui.

Elles suivirent son manège sans vraiment comprendre – la jeune femme, l’énergie que tous dégagèrent soudain, rien qu’en se tenant côte à côte, comme deux êtres partageant la même magie se retrouvant sur une terre dépourvue de cette même magie. Quand l’homme sortit un collier, Zee fit la grimace. « Je n’aime pas les objets magiques. En tout cas ils n’ont pas l’air agressif. Mais lui nous a repérées, ça ne sert à rien que l’on garde nos distances. » Il fallait aller le voir. Le confronter directement. Elle descendit de son tabouret de nouveau, avec beaucoup moins de grâce qu’Adrianna, qui, partie devant, se figea soudain. Zee la sentit aussi, cette pression presque étouffante qui les empêchait d’avancer. Pas agressif, encore une fois. Mais clairement pas fan de leur présence. Derrière son amie, Zee ne tenta pas de forcer le passage. Elle joignit le bout des doigts devant son visage et souffla doucement entre ses mains : « eL spmet etêrra’s. » Et autour d’eux, dans tout le club, soudain, plus le temps se figea, les danseurs statufiés en plein mouvement, le DJ, la main au-dessus de sa platine, alors que la musique, sans plus personne pour la relancer, mourait, remplacée par un silence bienheureux. Face à elle, le vieil homme tourna la tête dans leur direction. Bien sûr qu’il n’était pas atteint par sa magie. Zee n’en était pas étonnée, mais c’était toujours impressionnant à voir. Clairement, si ce type était une menace, elles allaient avoir des ennuis. « Nous voulons simplement vous parler. S’il vous plaît. » Il n’était pas forcé de la croire, évidemment.

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Au moins, elles avaient réussi à attirer son attention. Zatanna laissa Adrianna se libérer tranquillement du sort de Cortez, puisque tel était son nom. Elle n’appréciait pas plus que ça de l’entendre s’incruster dans sa tête, mais elle avait conscience aussi de sa formidable puissance. Si Adrianna s’était remise à bouger, c’était parce qu’il le voulait bien. Si elle-même avait réussi à figer le club, c’était parce qu’il l’avait laissée faire. Eh bien, elle était sur la défensive, mais curieuse également. Toute cette puissance chez un être mal intentionné aurait déjà eu son lot de conséquences, mais lui se contentait d’être là, et acceptait même de leur accorder un peu de son temps, quand il aurait pu simplement leur fausser compagnie. Et bien sûr, le vieux parlait par énigmes, raccourcis et autres ellipses. Ils étaient tous les mêmes, ces vénérables magiciens. Adrianna s’impatientait, comme elle, et le faisait entendre. Zee sourit à côté d’elle, observant Cortez et sa petite protégée qui tentait de disparaître dans l’ombre. Elle laissa faire son amie, attentive à la magie qui les entourait. Quelqu’un ou quelque chose arrivait, oui. Et Cortez ne semblait pas vouloir être là quand ce serait effectivement le cas. Non pas qu’il ne puisse pas se défendre, alors quoi ? En tout cas, il acceptait de perdre son temps avec elles, pour répondre à moitié seulement aux questions d’Adrianna, laquelle était en colère… Mais elle était toujours en colère, depuis que Zee la connaissait. Encore, cette colère-là au moins était maîtrisée.  Le vieux semblait lire dans leurs pensées en plus d’y parler, et Zatanna appréciait cela de moins en moins. Ou bien était-ce les réactions d’Adrianna qui se voyaient sur son visage, elle qui ressentait tout si fort, si intensément… Lorsqu’il parla du rêve, Zee posa doucement la main sur le bras de son amie, un geste d’apaisement, un geste pour lui rappeler qu’elle était bien là, en chair et en os, et qu’elles allaient bien toutes les deux, ici, maintenant. Zee avait vu la gamine s’évaporer et secoua la tête. « Vous devriez partir, non ? » Il ne leur en dirait pas plus. Qu’il en soit ainsi en effet. Il disparut en une respiration et le cours du temps repartit normalement.

Elle adressa un léger sourire à sa compagne. Toutes les deux formaient un duo plus qu’efficace. C’était comme si, même séparées par des millénaires, elles avaient été destinées à se trouver, depuis le tout début. C’était aussi pour cela que toutes les deux avaient des affinités avec le Shadowpact, probablement, et s’intéressaient aux mêmes choses. En l’occurrence, maintenant, ce pendentif, et cette étrange jeune fille. « Tu me connais, je couvre tes arrières, toujours. » Et ses devants, et ses côtés, et même son dessus et son dessous, non mais. Et ainsi, elles s’en allèrent, laissant la fête aux autres, aux innocents et aux simples d’esprit – les plus heureux, disait l’adage.

Consciente de la tension de son amie, Zee marchait en silence à ses côtés, répondant aux regards tantôt curieux, tantôt admiratifs, tantôt carrément inquisiteurs, par des sourires lumineux, désamorçant ainsi la plupart des situations gênantes sur lesquelles tout cela aurait pu déboucher. Elle n’avait pas peur et n’était pas agacée. Elle s’inquiétait simplement pour Adrianna, Isis, la femme et l’amie, qui emmagasinait toute cette impatience. Un simple sort leur suffit à retrouver la gamine, Ryan. Et Cortez avec, dont la présence magique était comme un roc au milieu d’une rivière, sur lequel la magie d’Adrianna rebondit, inamovible, puissant… Elle posa de nouveau la main sur le bras de son amie, sans la retenir non plus – non, cela, jamais elle ne le ferait, sauf question de vie ou de mort. « Et moi, quelque chose me dit que nous allons avoir de la mauvaise compagnie quoi qu’il arrive, alors attends une seconde. Calme-toi, d’accord ? Si on doit suivre le lapin blanc dans son terrier, alors allons-y avec tous nos moyens en notre possession. » Elle crut entendre l’écho du rire léger de Cortez dans sa tête mais l’ignora. C’était une porte. Une faille. D’autres mondes, dans lesquels Ryan s’était jetée tête baissée, et elles s’apprêtaient à faire de même. De nouveau, comme au club, la sensation d’urgence s’empara d’elle, la certitude que quelque chose de monstrueux était sur leurs pas. Mais malgré tout, elles ne pouvaient pas perdre leurs moyens. Usant de tout ce qu’elle avait déjà usé avec Adrianna par le passé pour essayer de la calmer, de la rassurer, lui transmettre un peu d’optimisme, même sans raison, elle lui sourit. « On y va, Adrianna. Et on ne se contente pas d’être les témoins de l’histoire qui s’écrit. On garde le contrôle. » Autant qu’elles pourraient. C’était facile à dire, avant de se jeter en avant. Mais c’était tout ce qu’elle avait, et tout ce dont elles avaient besoin. Direction, un autre monde.

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Zee avait l’habitude de l’humeur changeante, souvent tempétueuse, d’Adrianna. En vérité, comparé à ce qu’elle avait été, le changement était déjà conséquent. Malgré tout, la route était encore longue, et semblait parfois interminable. Elle savait que son amie ne l’écoutait pas dans ces moments-là. Qu’elle ne voyait que ce que son âme déchirée voulait qu’elle voit, ressentait tout multiplié par cent, par mille. Être victime et être témoin allait de pair et Zatanna savait très bien ce qu’Adrianna voyait en ce moment même : un but, dont il était impensable de dévier. Quand bien même elle ne sauverait personne si elle-même se perdait en chemin. Si Zee savait que dans ces moments-là elle avait peu de chance d’atteindre son amie par les mots, elle pouvait veiller sur elle physiquement, au moins. Et sur Ryan également. Car évidemment, ces deux-là avaient pas mal de points communs, et pour commencer, aucun ne voulait écouter l’autre, ce qui donnait lieu à un dialogue de sourdes, et d’une violence verbale inutile, qui plus est. Silencieuse, Zee restait en alerte. Elle pouvait sentir Cortez, là où elles l’avaient laissé – si loin, et pourtant si présent, tant sa puissance était incommensurable. Elle aurait bien voulu parler plus longuement à cet être d’exception. Mais il n’était pas en danger, pas encore. Ni n’en représentait un, comparé à leurs poursuivants. Elle reporta son attention sur la jeune femme, et crut qu’Adrianna et elle allaient en venir aux mains, et de nouveau, posa une main sur le bras de son amie. Alors, une vision les frappa toutes les trois. Habituée à ce genre de phénomène, Zee en profita pour tout observer, avec les yeux, mais aussi avec l’esprit. Elle capta la peur et la colère de Ryan et les motivations qui sous-tendaient chacun de ses actes ces derniers temps. Elle capta aussi un peu de cette violence et de cette colère massive qui emplissaient Adrianna – là encore, une sensation familière, de même que les déités qu’elle invoquait sans cesse.

« Cela suffit, toutes les deux ! » La colère commençait à la gagner elle aussi, une colère familière et étrangère à la fois, cette colère qui l’habitait depuis quelque temps et dont elle n’avait toujours pas trouvé l’origine. « Ils sont là. » Pas besoin d’en dire plus. Au moins, toutes les trois savaient de quoi elle parlait. Elle laissa Adrianna se charger d’eux, puisqu’elle avait besoin de se défouler, et repoussa Ryan contre le mur d’un immeuble de la ruelle où elles se trouvaient. Inutile de rester sur le chemin d’une déesse en colère. Elle sentit Ryan frissonner sous ses mains et passa un bras autour de sa taille. Alors qu’Adrianna soulevait une vague des sols de Paris, la magicienne lança un sort et s’envola, entraînant la jeune fille avec elle, laquelle laissa échapper un cri étouffé. Mais désormais elle ne pouvait plus s’échapper. Zee la tenait serrée contre elle, même si elle n’en avait en vérité pas besoin. « N’aie pas peur. Je ne te lâcherai pas. Adrianna et moi ne sommes pas tes ennemies. Regarde, c’est pour toi qu’elle se bat. » En partie du moins. C’était aussi pour elle-même, Zee le savait. « Qui êtes-vous ? Vous êtes quoi ? » « Nous sommes deux femmes très puissantes. Qui ne craignons pas tes ennemis, quels qu’ils soient. Nous sommes venues t’aider, parce que tu nous as appelées, en quelque sorte. » Elle sentit Ryan frissonner de nouveau contre elle. De peur, d’épuisement, de soulagement aussi, Zee le sentait, tous ses sens psychiques en éveil. « Personne ne m’aide jamais. Tout le monde s’en fiche, de ce qui peut arriver, à moi ou… » Elle s’interrompit alors qu’Adrianna se débarrassait de leurs poursuivants sans pitié.

Zee pouvait tout à fait imaginer l’impression que son amie pouvait donner à Ryan. Elle pouvait aussi tout à fait comprendre à quel point la jeune fille se sentait seule et abandonnée de tous. Pion central d’un complot magique qui lui échappait, et qui leur échappait à elles aussi pour le moment. Zee baissa les yeux sur son amie et s’adressa à elle directement par la pensée : « Rejoins-nous, Adrianna. Nous devons parler, et comprendre. » Elles ne pouvait pas se contenter de se frayer un passage dans cet univers étranger à coups de griffes magiques. La magicienne se posa sur un toit de Paris, non loin d’une faille dans la réalité, comme il en existait partout en réalité. Des fois, les humains disparaissaient sans laisser de traces. Il n’était pas rare qu’ils soient tombés dans une de ces déchirures dans le temps et l’espace. Elle vit que Ryan la sentait aussi. « Étrange petite fille… » murmura la magicienne, avant de refermer la faille d’un sort et d’un geste. Elle espérait qu’Adrianna serait assez calmée pour parler, désormais.

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Aux paroles d’Adrianna, Zee répondit par un simple sourire. Bien sûr qu’il leur fallait franchir ce portail, n’en déplaise à Ryan qui déjà protester. Avant même qu’elles en arrivent à cette conclusion, c’était à cela que le destin voulait les pousser. La magie ne lançait pas d’appel dans le vide, pas plus que la nature faisait les choses au hasard. De nouveau, elle posa une main sur l’épaule de Ryan, plus insistante. « Cesse de lutter. Une déesse n’a jamais tort, tu ne sais pas encore cela ? » Elle ponctua sa remarque d’un rire pour dédramatiser la situation, alors qu’Isis elle-même, après lui avoir assuré qu’elle n’aurait pas à veiller sur elle, franchissait le portail. Zatanna la regarda faire avec calme – c’était la partie facile, après tout. Une fois que son amie eut disparu, elle répondit à sa boutade, sans personne pour l’entendre. Elle veillerait toujours sur elle, jusqu’à sa mort. Elle ne savait rien faire d’autre. D’une poussée, elle libéra Ryan et la suivit dans le portail. Elle sentit de nouveau la magie dimensionnelle la traverser et, comme une boussole magique réagissant en elle, elle eut l’impression que l’Univers se réagençait autour d’elle pour la porter jusqu’à ce nouveau monde, dont la jeune fille prononça le nom à peine arrivée. Zee n’avait jamais entendu parler de Marcuria, mais ça ne l’étonnait pas. Elle avait visité des dizaines et des dizaines de planètes et de mondes et de plans différents mais il y en avait une infinité, tout simplement.

Adrianna avait déjà mis la main sur un fruit local et Zee s’en saisit pour le goûter à son tour. Autour d’elle, c’était de la pierre, et le silence pur des sociétés préindustrielles, seulement brisé par le bruit des hommes et de leur labeur. Elle se contenta de rire à la remarque dépitée de Ryan sur leur présence ici – il n’y avait aucun endroit où elle ne pouvait aller, la magicienne. Elle suivit la petite troupe armée du regard. Ce n’était pas parce que ce monde ne possédait pas les codes de la modernité telle qu’elle l’entendait qu’il n’était pas dangereux. Surtout pour deux êtres magiques. Elle regarda Ryan partir en courant et disparaître sans se retourner et secoua la tête. « Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. » Elle voulait sous-entendre que tout irait bien, mais en fait, la plupart des fois où elle s’était trouvée dans une situation pareille, ça n s’était pas si bien passé que ça. Si ce n’est qu’une fois, quelqu’un lui était venu en aide – Teth-Adam, pour ne pas le nommer, mais il y avait des choses qu’elle ne pouvait pas aborder avec Adrianna sans que celle-ci n’ait elle-même lancé le sujet. Là-dessus, quelqu’un les interpella. Zee baissa les yeux sur sa tenue de spectacle, contrariée, puis reporta son attention sur son amie. Elle était belle, ainsi vêtue – même si elle était toujours belle, évidemment.

« J’imagine que la présence d’Azadi ici ne te dérange pas, marchand, si tu en parles si facilement. » Elle cultivait le doute, au cas où il serait bon pour elle de prétendre qu’elle était effectivement une Azadi, même si elle n’avait aucune idée de ce dont il parlait. Elle pouvait toujours se changer grâce à la magie, mais elle sentait qu’ici, ce ne serait pas si facile. Puis elle ajouta, avec un grand sourire : « Connais-tu un certain Tobias ? » Elle se contenta de cela, au cas où ledit Tobias était réellement connu parce qu’il était un assassin notoire ou quelque chose comme ça. Mais elles ne pouvaient tout simplement pas errer dans ce monde inconnu au hasard, il leur fallait un but, même immédiat, même minuscule.

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De toute évidence, ce n’était pas parce que ce monde semblait à un stade différent de son évolution par rapport au leur que sa géopolitique en était plus simple. Des conflits entre nations, de la diplomatie, et visiblement, l’armée d’un État quelconque, ces fameux Azadis, occupait cette ville, et donc ce territoire. En bonne intelligence, du moins officiellement, puisque le marchand en parlait sans se cacher. La guerre n’avait jamais empêché le business, bien au contraire. Cela voulait dire que les autorités de ce pays au moins fermaient les yeux, mais parmi le peuple, il devait forcément y avoir des avis divergents. Elle jeta de nouveau un coup d’œil à la petite cohorte armée qui leur était passée devant tout à l’heure sur la place. Peu importait le monde et peu importait la dimension, là où il y avait des hommes, il y avait des guerres. Cela avait un petit côté déprimant et rassurant à la fois. La guerre, c’était facile à comprendre. Elle se concentra de nouveau sur l’homme, qui réagissait à sa question sur Tobias. Bien sûr, il prétendit ne pas savoir, avec un tel empressement qu’il était évident qu’il mentait. Elle le regarda s’éloigner avec un demi-sourire. Si Tobias était connu dans le coin, n’importe qui pourrait répondre à leur question. Pas besoin de perdre leur temps avec lui. Elle emboîta le pas à Adrianna, qui ne cherchait pas à dissimuler sa magie. Eh bien, aussi évidente qu’elle soit aux yeux de Zatanna, qui la voyait littéralement, ce n’était pas forcément le cas pour tous les autres. Tranquillement, elles remontaient les traces de Ryan. « C’est une chance pour ce monde qu’il n’ait pas été trop souvent en contact avec un autre, et particulièrement le nôtre. Mais comme tu dis, cela ne va pas durer, si leurs problèmes débordent sur notre Terre. » Elle laissa échapper un léger soupir. « Ce serait un drame cependant que cela aille plus loin. Dans la mesure du possible, nous devons régler cette histoire avant que d’autres personnes de notre monde n’aient l’idée de venir ici. On ne sait que trop bien ce qu’il se passerait. » Aucune dimension n’avait envie de voir débarquer des humains. Les humains étaient conquérants, chaotiques et curieux. Mieux valait laisser cet endroit vierge de toute présence humaine.

Elles finirent par atteindre une grande tour blanche qui dégageait une puissante énergie. Impossible de ne pas être attirées par une telle magie, pour Adrianna comme pour elle. Il ne leur fallut pas longtemps cependant pour tomber sur du sang… Face à elle, une porte ouverte, une invitation à entrer autant que la promesse des ennuis. Mais elles entrèrent bien sur – elles n’étaient pas venues dans ce monde pour enfiler des perles. Presque aussitôt, une créature leur sauta dessus, massive, puissante et armée. Loin d’être prise par surprise, Zee esquissa un geste du bras en direction des bassins souillés à l’extérieur. « aL eigam ed uae’l ! » Quatre trombes d’eau s’élevèrent et la dépassa sur le seuil de la porte pour aller s’écraser contre la créature et l’envoyer bouler contre le mur en face de l’entrée. Les yeux de la magicienne brillèrent fugitivement et les trombes se transformèrent en une sphère d’eau englobant l’ennemi, le maintenant dans les airs. Elle le regarda s’agiter à l’intérieur. Il n’avait pas l’air de vouloir se noyer, en tout cas. Il allait en falloir plus que cela pour en venir à bout. Si seulement elles étaient venues là pour ça. « Tu crois qu’il s’en est pris à Ryan ? » La jeune fille était-elle quelque part ici, dans l’ombre de la tour, à agoniser, à se vider de son sang ? « Je ne sais même pas si l’on fait bien de s’en prendre à cette créature. Peut-être est-il le gardien de ces lieux. Dans ce monde, c’est nous les étrangères, les intruses… » Et peut-être avaient-elles commis un impair impardonnable en pénétrant dans ces lieux.

Mais… Eh bien Zee se fichait un peu de tout cela. Elle savait qu’il leur fallait retrouver Ryan, qu’il leur fallait vite régler cette histoire avant que la distorsion dans la magie n’affecte leurs deux mondes, et tous les mondes autour, et surtout, elle n’avait pas l’intention de se laisser trucider par elle ne savait quel monstre, gardien des lieux ou pas, et elle était sûre qu’Adrianna pensait la même chose. Soudain, de la sphère d’eau trouble jaillit un énorme marteau, qui la frôla en passant avant d'aller exploser un pan de mur dans leur dos, et d’une formule rageuse, elle transforma l’eau en flammes. Peut-être craindrait-il plus le feu que l’eau. « Tuons-le et on verra plus tard s’il y a des conséquences. » Excellent plan ! Tout à fait l’inverse de ce qu’elle aurait dit d’habitude. Mais elle était sûre qu’Adrianna serait d’accord avec elle.

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Décidément, tout était étrange, dans ce monde, et pourtant familier. Zee ne fut qu’à moitié étonnée de constater que la créature absorbait ma magie, et pas seulement la sienne, mais aussi celle d’Adrianna. Pour appréhender ce miracle, il fallait être un initié : les magies comme les essences respectives d’Isis et de Zatanna étaient en tout point opposées et pourtant, ni l’une ni l’autre ne semblait pouvoir atteindre la bestiole avec la magie. En observant Adrianna la repousser à mains nues, Zee songea qu’elle aurait adoré s’attarder ici pour étudier cette créature étrange, ainsi que ce temple, et tout son environnement, tout ce qui lui avait permis de devenir un être aussi extraordinaire. Mais sa rêverie fut écourtée par l’intervention d’un vieillard, et si elles avaient cru pouvoir mettre la main sur Ryan en interrogeant le fameux Tobias, le nouveau venu doucha d’un coup leurs espoirs. Tobias était mort, et probablement pas de façon naturelle, ni même agréable, ce qui expliquait la réaction du commerçant tout à l’heure quand elles lui avaient demandé des renseignements, de même que sur les traces de violence et de sang qui subsistaient encore dans ce temple. La question d’Adrianna, la seule à poser dans ces conditions, ne généra qu’une vague réponse : assassiné, oui, elles auraient pu le deviner toutes seules. Mais qu’était devenue Ryan ? Elles auraient pu continuer à suivre sa trace, sans le portail qui s’ouvrit soudain dans leur dos pour les entraîner ailleurs.

Pour le moment, elle n’avait pas le temps de réfléchir au lien qui unissait Marcuria à leur monde, et à cette sorte de laboratoire où elles venaient d’atterrir. Tout allait trop vite, et le danger était partout : pour Ryan, qui affrontait un être abominable, pour Adrianna qui sembla soudain perdre le contrôle de ses pouvoirs, et de toute évidence pour le monde, voire les mondes. Le premier réflexe de Zee – courir après Ryan – fut stoppé net quand un dragon rouge, qui prit la forme d’un vieil homme, leur barra le chemin. Ses paroles ne laissaient pas de place au doute, de même que toutes les pauvres choses issues d’expériences qui les avaient rendues monstrueuses, et qui se jetaient sur elles. Mais surtout, Zee pouvait sentir le vent battre les fenêtres du building où elles se trouvaient et faire trembler les murs. Une fraction de seconde seulement, elle songea à laisser Adrianna emprunter cette pente glissante, parce qu’en cet instant, elles avaient besoin toutes les deux d’une grande puissance de frappe. Mais non, ce n’était pas ainsi que la magicienne fonctionnait. Et Isis était bien assez puissante quand elle se contrôlait, elles n’avaient pas besoin d’elle déchaînée, ce serait mauvais pour elle, pour Zee, pour l’immeuble et quiconque s’y trouvait, même si, en ce qui concernait les créatures qui les attaquaient, la magicienne avait déjà décidé de leur sort : la mort serait faire acte de pitié. « Je n’apprécie pas qu’un homme me parle de cette façon. » Son ton était aussi tranchant que l’acier. Elle savait qu’en cette seconde, quiconque approcherait Adrianna serait massacré, de sorte qu’elle posa un genou à terre, entre son amie et le dragon, et ses yeux luisirent fugitivement d’un éclat mauve. De fines lignes coururent au sol de ses doigts jusqu’au vieillard, en passant sous les pieds des créatures qui, trop bestiales, ne remarquèrent rien, puis formèrent un pentacle complexe autour de Jacob. « Des explications, nous en aurons ! »

Elle se tourna vers son amie au moment où tout l’immeuble se mettait à trembler à son tour, comme prêt à s’effondrer. Adrianna ne faisait qu’une bouchée des créatures sorties de leurs capsules, mais à quel prix ? « eL uef eifirup ! » Une langue de feu argenté faucha une dizaine de créatures et elle traversa sans mal le brasier magique qu’elle avait allumé pour se frayer un chemin jusqu’à son amie. L’approcher n’était pas simple, non pas physiquement mais psychiquement : des émotions violentes émanaient d’Adrianna, qui heurtaient ses boucliers mentaux avec la violence d’un train. Mais ce n’était pas là leur premier rodéo, loin s’en fallait. Et son amie revenait de beaucoup plus loin que ça, Zee était bien placée pour le savoir, et elle savait quoi faire. Ce n’était pas l’aspect de ses pouvoirs qu’elle préférait, mais pour Adrianna, elle avait appris à surmonter sa peur. Elle ne la toucha pas physiquement, mais d’une caresse mentale, elle fit soudain taire tout l’environnement autour d’elles, les sons, les couleurs, les formes. Pendant quelques fractions de secondes, qui pour elles pouvaient durer aussi longtemps qu’elles le désiraient, il n’y eut plus qu’elles deux, debout face à face dans un néant reposant. Reprends-toi, Adrianna. Souviens-toi, personne ne peut te faire de mal si c’est toi qui contrôles ton propre destin. Il fallait que son amie reste aux commandes. Et, s’il restait les souvenirs, impossibles à ignorer, elle était celle qui pouvait choisir dans quelles circonstances les invoquer. En revenant à la réalité, Zee espérait seulement que pendant cette infime seconde psychique, leur ennemi n’en avait pas profité pour s’échapper – mais c’était bien pour cela qu’elle l’avait enfermé dans une cage magique à toute épreuve.

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Dreamfall : Chapitre 1 : La Chute

Il n’est pas rare que nature, magie et divin se mêlent, dans le monde même des hommes. Dans ces moments-là, ces choses aussi triviales et terre à terre que le temps et l’espace disparaissaient. Les limites si chères au commun des mortels, le haut, le bas, l’avant, l’après, l’instant, toutes ces choses n’ont, au regard de ceux qui manipulent l’essence même du pouvoir et de l’existence, que peu d’importance. Ainsi pendant quelques secondes, ou quelques millénaires, ils furent tous projetés dans un à côté fait de tous les possibles, même si l’adversaire n’était là qu’en qualité de figurant. Pour Zee, Adrianna et Isis se confondaient, se superposaient, ne faisaient qu’une, puis semblaient s’arracher l’une de l’autre avant de nouveau de se mêler. Elle-même se sentait une et multiple. Les pouvoirs que chaque force en présence déchaînait en cette seconde n’auraient certainement pas dû se déchaîner ici et maintenant. Ici et maintenant, c’était un immeuble fait de béton, de métal et de verre, construit de la fragile main de l’homme à son image, qui allait s’écrouler à tout instant. Fragile aussi, l’équilibre toujours précaire entre deux entités, Adrianna et Isis, mais Zee ne se serait mis en travers de la route de la déesse pour rien au monde. Face à elle, Jacob semblait comprendre, enfin, qu’il n’avait pas affaire à deux simples magiciennes. Elles étaient plus que deux, et lui était seul – quatre, au final, cela faisait une sorte d’équilibre, cet équilibre qu’il semblait vouloir à tout prix jeter à terre. Durant la confrontation, Zee gardait toute sa concentration sur son amie, retenant en son sein le fil frêle qui la reliait encore à Adrianna, comme un cerf-volant secoué par des vents violents qui, si elle l’avait lâché, aurait disparu dans le ciel à jamais.

Elle aurait pu opposer bon nombre d’arguments aux paroles d’Isis, mais en l’occurrence, elle travaillait pour elles, et contre Jacob qui, plus que par ses actes, s’avouait vaincu par ses mots, aveux d’impuissance. S’il y avait quelque chose qu’il ne pourrait pas briser, c’était ce fil entre les deux amies. Zee cessa de le garder à l’œil quand la déesse s’adressa à elle. Prudente, elle hocha la tête, même si elle n’était pas sûre de comprendre de quoi elle parlait – ou plutôt, elle n’avait pas envie de comprendre. Impossible, elle le savait, d’échapper au regard qui voyait tout, particulièrement quand des magies entraient en collision et déchirait pendant quelques fractions de seconde le voile des apparences, de ce qui était. Sous la protection d’Isis, certes, mais pas à l’abri de ses yeux perçants. La colère, elles en avaient à revendre toutes les deux. Jusqu’à présent, leur chance était probablement que l’une avait toujours su faire taire la sienne quand l’autre la déchaînait. Qu’est-ce que cela faisait, de parler d’un tel monstre avec une déesse ? Avec Adrianna ? Elles avaient encore tellement de choses à se dire, même sans utiliser de mots…

Mais pour l’heure, seul le jugement rendu par Isis comptait. Un second dragon était apparu pour maîtriser Jacob, et Zee ne perdit pas une seconde à mettre en doute le verdict de la déesse : adieu à cet endroit, adieu à l’ennemi, adieu à Ryan si seulement elles décidaient de ne pas se préoccuper de son sort… Elle sentit une force nouvelle envahir son être et faire bouillir la magie dans son sang, ce sang d’Homo magi si ancien qui coulait dans ses veines. C’était ça, la puissance : il fallait décider de ce qu’on voulait en faire, pour le meilleur ou pour le pire. S’y abandonner serait agréable, physiquement et psychiquement, mais alors, la ville entière s’effriterait. Encore et toujours, tout était une affaire de contrôle, un contrôle surnaturel appris si tôt qu’il était pour elle comme une cage aux barreaux indestructibles. Ses yeux s’illuminèrent, tout son corps débordait de magie, petite bombe de puissance qu’elle gardait fermement sous son contrôle, il le fallait, se répétant en boucle Adrianna, Ryan, Adrianna, Ryan, tandis qu’une minuscule sphère argentée, aussi grosse qu’une tête d’aiguille, apparut devant elle. Avec douceur, elle l’entoura de ses mains en coupe, puis écarta les bras et une onde de magie sphérique et gigantesque éclata, désintégrant tout, le béton, le métal, le verre, Adrianna, Ryan, Adrianna, Ryan, le dragon vert, le dragon rouge et Jacob dont ne resta que l’écho d’un hurlement rageur, mais pas Adrianna, pas Ryan, pas Adrianna, pas Ryan. Quand le silence revint, sa peau crépitait de cette puissance accordée par la déesse, et l’immeuble avait été vaporisé sur toute sa moitié, ne restant autour d’elle qu’un vide à la forme parfaite de sphère, et Zee et Adrianna suspendue dans les airs au centre de ce néant… « siarappA, nayR ! » Incapable d’échapper à la magie, la jeune femme fut téléportée à leurs côtés, indemne et en colère. Mais Zatanna n’avait que faire de ses sentiments. Impitoyablement, elle fit taire les derniers soubresauts de tout ce que la puissance qu’elle avait manipulée avait réveillé en elle – la colère évidemment, le désir, la soif d’en avoir plus, la frustration de manipuler une telle magie et de n’en rien faire. Puis elle se tourna vers son amie. « Je crois qu’il y a beaucoup de choses dont nous devons discuter. » Et probablement de l’aide à demander, et des explications à exiger. Elle tendit la main pour effleurer celle d’Adrianna. Pour l’heure, elle voulait simplement la sentir là, avec elle.

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