Safe in the street [Zatanna]

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FLASHBACK

Zee rentrait d'un rendez-vous raté, comme d'habitude. Les rues de Gotham étaient sombres et glaciales, et comme toujours, menaçantes à souhait. Cela ne l'empêchait pas de marcher les yeux baissés, à ruminer sa soirée désastreuse. Plus jamais elle ne se laisserait avoir par le plan « c'est un ami d'une amie d'un ami, il est super sympa, il est fait pour toi ». Et d'abord, qui, en ce moment, avait envie de sortir ? Les seuls sujets de conversation, quand bien même cela faisait des mois et des mois que tout était fini, et cette fichue invasion de Darkseid. Comme si c'était le seul danger qui menaçait cette planète. Ça n'avait été qu'une entrée en matière, à son avis. Mais mieux valait ne pas trop le crier sur les toits. En attendant, elle avait rejoint ce type dans un bar branché de Gotham downtown et s'était retrouvée à passer la soirée la plus ennuyeuse de sa vie, à l'écouter lui parler de comment il avait fait jouer trois assurances différentes pour se faire rembourser sa BMW écrabouillée par Superman au gré d'un de ses combats contre des paradémons. Après ça il lui avait raconté ses vacances en Amérique du Sud, uniquement dans des grandes chaînes d'hôtels de luxe américaines évidemment, et il en était à évoquer sa dernière partie de squash avec son club de gentlemen quand elle lui avait coupé la parole pour « aller se repoudrer le nez », et ça faisait probablement vingt minutes qu'il attendait qu'elle revienne. Elle ne se souvenait même pas de son nom de toute façon.

Elle marchait d'un pas un peu rageur, en se demandant où étaient passés les hommes intéressants, sur cette planète, intéressants mais pas non plus dangereux, et la frontière était fine, a priori. Soudain, elle se ficha. Sous ses pas, les pavés humides et sales s'étaient changés en goudron. Elle releva la tête. La rue était devenue large, il faisait jour et des tas de gens allaient et venaient sans prêter attention à elle. Elle resta un moment le bec ouvert avant de croiser les bras. « Danny ? » Bien sûr que c'était lui. Ça ne pouvait être que lui. Son père lui avait très tôt présenté Danny, qui était the place to be pour des tas de raisons, si ce n'était qu'il n'était pas facile à trouver par les voies naturelles. En l'occurrence, c'était lui, cette fois, qui l'avait trouvée, elle, et qui ne lui avait pas laissé le choix. Elle tourna le regard vers un panneau lumineux dans une vitrine, qui afficha quelques mots. « Bonjour, Zatanna. » Elle se remit en marche, captant ici et là, vapeur dans le ciel, tags sur les murs, les paroles de la rue. « Je m'inquiète pour quelqu'un. » Elle attendait la suite. Et s'arrêta de nouveau en repérant, au coin d'un bâtiment, un chat d'une couleur inhabituelle. « Oh, Danny, à toujours t'occuper des ennuis des autres, tu finiras par avoir des ennuis. » Une feuille de papier volante s'aplatit sur sa figure et elle s'en saisit pour lire ce qu'il y avait écrit dessus. « Peux-tu l'aider ? »

Elle n'était pas sûre de pouvoir aider qui que ce soit, mais elle pouvait toujours essayer. Elle rejoignit le petit chat qui n'en était pas vraiment un et s'accroupit à ses côtés. « Qu'est-ce que tu fais là, toi ? Tu ne crois pas qu'on a besoin de toi, là dehors ? » Elle tendit la main pour caresser la petite tête verte. Elle avait eu l'occasion de croiser les Titans durant son bref passage à la Justice League - qui s'était récemment terminé, sans tambours ni trompettes. Elle soupira et s'assit par terre à côté de Garfield. Elle comprenait tout à fait qu'on puisse avoir envie de fuir. Et de se cacher. De tout le monde et surtout de ses responsabilités. « Tu sais qu'ils doivent te chercher partout ? Tes amis. »

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FLASHBACK

Il y avait des personnes dotées de dons extraordinaires dans ce monde, et aux yeux de Zatanna, Garfield en faisait partie. Toute sa petite bande était d’ailleurs exceptionnelle, encore que jeune, si jeune, et ça venait d’une femme elle-même pas tellement vieille, si ce n’était avant l’heure. Les enfants n’étaient pas censés se battre, mais ce monde les y forçait quand même, ça n’était pas nouveau et il ne servait à rien de chouiner. Au moins ceux-là, les Titans, s’étaient-ils trouvés. C’était une constante, dans le petit milieu des héros, et des criminels aussi, d’ailleurs. Apparemment, partager des pouvoirs et la volonté de les mettre en œuvre pour une cause, ça générait l’envie de se regrouper. Clique, bande, équipe, bande. Ligue. Famille. Elle avait essayé, ça n’avait pas marché, mais elle savait que les Titans étaient une vraie famille, puisque de toute façon, la famille, on la choisissait, et pas l’inverse. Elle regarda le petit chat sautiller et avisa sa fourrure souillée en fronçant les sourcils. Elle allait poser des questions quand Danny répondit à sa place. En quelque sorte. Sous ses yeux, Garfield reprit sa forme humaine, confirmant son apparence misérable. Il ne faisait aucun sens, pour Zee, mais vu son état d’agitation, c’était normal. « Calme-toi, Garfield. Il n’y a que des amis, ici. Personne ne pourra te trouver. » Elle croisa les jambes pour se mettre en tailleur et ferma les yeux, lançant un bref sort de détection. Elle savait déjà que Danny était parfaitement capable de se cacher, mais elle essayait surtout de rassurer le jeune homme.

« Personne dans les environs, je te le promets. Personne avec de mauvaises intentions en tout cas. » Elle tapota le sol à côté d’elle pour le faire s’asseoir. Elle voulait d’abord s’occuper de sa blessure. La magie était formidable, pour ce genre de chose. Elle en profita même pour raccommoder les vêtements déchirés. À côté d’eux, un distributeur de boissons apparut et cracha deux bouteilles d’eau qui roulèrent à leurs pieds. Zee remercia Danny avec un sourire et en tendit une à Garfield. « Je n’ai pas vu ta bande récemment, mais aux dernières nouvelles tout le monde allait bien. Si tu t’inquiètes vraiment pour eux il faudra que tu ailles les voir toi-même. Eux en tout cas, ils doivent te chercher partout. » Et c’était un peu cruel, non, de se cacher et de disparaître en sachant que ses amis devaient s’inquiéter ? « Qu’est-ce qui t’est arrivé ? De qui est-ce que tu me parles, qui sont ces « eux » ? Il y avait toujours une menace, toujours un danger, toujours des « eux » qui voulaient s’en prendre à quelqu’un. C’était sans fin, hélas. Mais avec Danny, on avait l’impression que tout le monde était loin, et Garfield avait eu raison de venir se réfugier ici. Mais il ne pouvait pas y rester toute sa vie, lui.

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Elle le voyait commencer à se détendre un peu avec satisfaction. Il n’était plus seul, déjà, même si Danny était toujours là quand on se baladait sur lui. Et puis, Zee ne savait pas encore quel menace le jeune homme tentait de fuir, mais elle savait que si la menace se pointait ici, elle saurait la recevoir. Il y avait à peine un an que Darkseid s’était fait botter les fesses, et la planète et les gens qui la peuplaient pansaient encore leurs plaies. Il n’était pas encore temps pour qu’une nouvelle catastrophe leur tombe dessus. Elle sourit en le voyant s’émerveiller de son petit tour. Elle avait quitté la Justice League par la petite porte et depuis, elle cherchait un peu sa propre voie, sans vraiment savoir à quoi elle pourrait être utile, maintenant qu’elle avait abandonné les autres. Eh bien aujourd’hui, elle pouvait aider un Titan en détresse, ce serait déjà ça de pris. Elle hocha la tête en réponse à sa bonne résolution. Oui, il fallait qu’il aille voir ses compagnons, ou qu’au moins il leur donne un signe de vie, pour qu’ils sachent qu’il allait bien. Peut-être qu’ils le cherchaient partout depuis des jours et des jours.

Garfield commença son récit et elle l’écouta en silence, cherchant à identifier cette nouvelle menace, avant de devoir se rendre à l’évidence : elle n’avait jamais entendu parler de ce Bureau de la Normalité. Rien que le nom annonçait la couleur. La « normalité », qui ne voulait rien dire, et eux qui étaient dotés de dons extraordinaires étaient bien placés pour le savoir. Et puis ça sonnait comme tous les groupes extrémistes et intolérants du monde et de l’histoire, aussi. Des gens rapides à juger et à condamner sur des critères personnels centrés sur eux-mêmes. Zee haïssait ce genre de personnes, et haïssait encore plus qu’il puisse exister des groupes entiers, qui en plus auraient un quelconque pouvoir – politique, armé ou autre – qui leur donnent de facto une légitimité tordue. Mais pour l’heure, elle ne pouvait qu’imaginer ces « expériences » dont le jeune homme parlait. Elle fut envahie d’une brutale envie de violence, avant de se calmer quand un tract se plaqua sur sa cheville. « Ce sont des humains. » La magicienne balaya la feuille de papier d’un geste et posa la main sur le bras de Garfield pour le rassurer, alors qu’il recommençait à paniquer. « Tu as déjà entendu parler de cette organisation, Danny ? » Sur leur droite, une bouche d’égout se mit à dégager de la vapeur, dans laquelle quelques mots s’inscrivirent nettement : « Avant, des scientifiques, maintenant paramilitaires. Ils en ont aussi après la magie. » Tout ce qui leur semblait anormal. Ben voyons.

Pourquoi était-ce la première fois qu’elle en entendait parler ? Somme toute, il y avait d’autres avatars de ce genre de stupidités. Chaque pays s’était doté de divisions secrètes et rarement légales pour enquêter sur les gens « comme eux » depuis que le premier homme avait volé dans le ciel, et plus encore depuis que les ennemis s’étaient pointés. Elle reporta son attention sur Garfield. « Ils t’ont trouvé par hasard, tu sais. Parce que tu te battais contre les paradémons. Mais il n’y a rien chez toi qui puisse les permettre de te retrouver. » À moins qu’il lui ait collé une puce quelque part ? Si c’était le genre de fous furieux qu’elle imaginait, c’était fort possible. Elle n’était pas sûre que sa question soit agréable, mais il fallait bien qu’elle demande : « Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? Et est-ce qu’ils t’ont dit dans quel but ? » Puis ils en sauraient sur ce Bureau et mieux ce serait, pour la prochaine fois. Elle savait déjà qu’elle en parlerait autour d’elle, pour en apprendre le plus possible.

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FLASHBACK

En écoutant parler Garfield, Zee était outrée bien sûr, mais pas étonnée. Il y avait toujours eu, de tout temps, des hommes pour commettre ce genre d’abomination en dépit de la liberté et du libre-arbitre des gens. Pour considérer certaines personnes, sur la base de normes sans fondements, moins qu’humains, et ainsi légitimer leurs actes et dormir sur leurs deux oreilles le soir. L’histoire humaine était pavée de ce genre d’horreur absolue, et l’horreur n’était pas morte avec l’avènement des sociétés qui se prétendaient modernes. Dans l’image que lui dessinait petit à petit Garfield de ce Bureau de la normalité, elle distinguait les relents nauséabonds de dont les hommes pouvaient être capables au pire de leur potentiel. Elle savait déjà qu’en rentrant, elle irait en parler à tous ses contacts, et que le mot passerait dans les ruelles sombres, dans les bars intimistes de la faune nocturne des sorciers, dans chaque sort, chaque rituel chuchoté. Que tout le monde soit au courant de l’existence de cette organisation secrète et ce serait déjà un coup sévère qui lui serait portée. Elle savait aussi qu’il fallait parfois lutter contre le mal par le mal, et que le mot finirait par atteindre d’autres genres d’organisations secrètes, payées par les gouvernements, et à la force de frappe autrement plus puissante. Qu’ils s’annihilent donc les uns les autres. Mais en attendant, ce qui comptait, c’était que Garfield s’était enfui, et qu’il irait mieux désormais. Par acquis de conscience, elle vérifia tout de même que cette histoire de puce était derrière lui. « Ne bouge pas. » Elle ferma les yeux et murmura « aL riahc elleppa al riahc ». Par la magie, elle le sonda à la recherche d’un élément non-organique, avant de se tapoter la joue.

« Je pense que ton corps a fait son job. Peut-être justement est-ce dû à ton pouvoir, mais je ne détecte aucune trace de la puce, elle a dû être détruite. » Elle ne pouvait même pas imaginer ce qui se passait à l’intérieur de ce garçon à chaque fois qu’il se transformait, biologiquement parlant. Mais après tout, le corps était le meilleur pour se défendre contre des attaques venues de l’extérieur, la nature était ainsi faite. Elle sourit en voyant sa détresse, non pas qu’elle se moquait d’elle, parce qu’il avait raison : un an, c’était long. Mais elle savait, elle, que Dinah ne le tuerait pas bien au contraire. « Je crois qu’elle sera trop soulagée de te savoir vivant et en bonne santé pour penser à t’arracher la tête. » Danny semblait d’accord, vu qu’une brise légère leur caressa les jours. Zee savait à présent qu’il fallait que Garfield retourne à son existence le plus rapidement possible. Elle n’imaginait pas que ses amis aient jamais cessé de le chercher. Mais c’était un classique, dans le milieu des gens comme eux, et elle avait assisté à plus d’un enterrement, penchée sur un cercueil vide, avant de voir réapparaître le mort en question.

Elle croisa les bras en prenant son air le plus sérieux possible. « Tu vas cesser de te planquer ici, d’accord ? Tu vas retourner auprès de tes amis et si tu veux vraiment les protéger, tu vas tout leur raconter. Ce n’est pas en lui cachant l’existence de ce Bureau que tu veilleras sur Kory, ce ne sera pas rendre service aux autres que de ne pas les prévenir. D’accord ? » Ah, ce mensonge-là en particulier, elle le connaissait bien. Celui par lequel on se mentait aussi un peu à soi-même, parce que c’était plus facile de tout garder pour soi que d’assumer une terrible situation. Elle-même le maniait à la perfection, ce mensonge, alors elle se sentait un peu minable de parler ainsi à Garfield, mais ce n’était pas parce qu’elle n’appliquait pas son propre conseil que ledit conseil était mauvais, donc bon !

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Elle ressentit une grande satisfaction en entendant Garfield répliquer que le Bureau de la normalité devait s’en mordre les doigts. Ça, c’était ce qu’elle aimait entendre. Par cette petite phrase, Garfield lui prouvait qu’il allait s’en sortir. Ce serait forcément long et difficile, mais il s’en sortirait, avec l’aide de ses amis, qui étaient aussi sa famille. Il ne resterait pas ici, avec Danny, traumatisée et craignant de sortir dans la rue. Ce qui voulait dire que le Bureau avait échoué et que Garfield avait triomphé, et la magicienne approuva d’un hochement de tête et d’un sourire. Tout comme elle était soulagée de voir qu’il acceptait de retourner auprès des siens. Il aurait pu, après tout, rester ici. Danny était l’abri idéal. On y était protégé, entouré de gens extraordinaires et empathiques, et Danny lui-même prenait soin de tout le monde. Zee elle-même, quand elle venait, était toujours tenter de rester dans ce petit paradis, cette simple rue qui était un monde à elle toute seule. Mais elle savait que si elle se laissait aller à faire une chose pareille, elle ne ferait que fuir, et fuir, et fuir. Ses propres problèmes, et toutes les choses qu’elle ne voulait pas affronter. Elle savait aussi qu’elle était plus utile dehors, et c’était aussi le cas pour Garfield. Ses amis avaient besoin de lui, mais le reste de l’humanité aussi. C’était un peu triste, mais la vérité était que bientôt, une autre menace surgirait, un autre type déciderait de s’en prendre à la Terre, et c’étaient les gens comme Garfield qui pouvaient s’y opposer. Et elle aussi.

« Bien, je suis contente de t’entendre dire ça. Le meilleur moyen de lutter contre tes ennemis, c’est de garder le contrôle de ta vie ! » Il avait un bon programme pour les jours à venir – Midway City puis les Titans – et elle avait qu’elle ne devait pas s’inquiéter plus pour lui. Elle sourit en réponse à ses remerciements. « Ce n’est pas moi qui t’ai trouvé, Garfield, c’est Danny qui m’a appelée, bien sûr ! » Et comme souvent, elle regretta que Danny ne puisse pas s’incarner en quelque chose qu’elle puisse serrer dans ses bras – encore qu’elle pouvait toujours câliner un lampadaire ou un arbre, et ça reviendrait un peu au même, non ? « Salue-les de ma part, Garfield, et soyez prudents. Et souviens-toi que quand tu as des ennuis, tu peux toujours faire appel à eux. Ou à Danny. Ou à moi ! » Ils n’étaient pas seuls, eux, les soi-disant héros. C’était le bon côté des choses. Ils étaient légion, et ils se comprenaient, et ils étaient là les uns pour les autres, c’était aussi simple que ça. Et à présent, il ne lui restait plus qu’à rentrer et à appliquer ses propres conseils… Car elle aussi avait des choses à faire, qu’elle refusait d’affronter depuis longtemps. Elle salua Garfield d’un dernier sourire. Elle ne savait pas vraiment comment Danny faisait mais elle savait déjà qu’en sortant de la rue, Garfield se retrouverait dans Midway City. Quant à elle, elle n’avait qu’une formule à dire – et sur ces bonnes paroles, elle disparut.

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