JAKE | Le succès de l'échec

Le succès. Les flashs. Les interviewes. Les signatures. Les couvertures. Ca vous monte à la tête. La célébrité vous hisse haut de l’échelle de la notoriété. Elle vous plombe sur place au moindre faux pas, au moindre écart de parcours, à la moindre contradiction. Mais quand vous y êtes, c’est le bonheur total. Vous êtes au centre de l’attention. Tous les regards convergent vers vous. Plus personne n’existe. Les images défilent. Un mec blond. La raie sur le côté. Les lunettes de soleil. Le costard impeccable. Les photographes qui le mitraillent. Ils veulent tous une image de lui. Ils veulent tous le connaître. Il est l’écrivain à la mode. Celui qui a percé sans prévenir. Celui qui a une gueule d’ange. Celui qui est bien plus qu’un écrivain. Il est un personnage. Il incarne une personnalité. Les gens s’intéressent à lui, de la même manière qu’ils s’intéressent aux Kardashian. Ils veulent savoir. Ils veulent tout savoir. Les images s’arrêtent. Elles se figent. Elles quittent l’écran. La télévision est éteinte. Le bras qui tient la télécommande descend mollement contre le canapé. Le constat d’une chute violente, d’un échec prévisible. Il y a ceux qui parviennent à faire de l’or avec leur belle gueule et il y a les autres. Ceux qui se brûlent les ailes en frôlant le soleil d’un peu trop près.

Plus rien. Il n’a plus rien, maintenant. Il n’est plus rien. Juste un visage souriant. Juste une image sur du papier glacé taché. Tout ça à cause d’une foutue page blanche. Tout ça parce qu’il n’a pas su imaginer la suite. Tout s’est évaporé. Tout a disparu. Tout s’est écroulé. Ses doigts le démangent. Il se penche en avant. Il récupère une feuille de cigarette. Il dépose de l’herbe dessus. Il la roule jusqu’à former la parfaite cigarette, digne d’être placée entre ses lèvres. La première inspiration détend ses muscles. Les paupières se ferment. Le dos se cale contre le dossier. Voilà qui est mieux. Il n’a plus rien, mais au moins, il est bien.


“Hey Jee ! T’as l’air en pleine forme...” L’enthousiasme de son frère est communicatif. Pour la peine, il a le droit à une tape fraternelle dans le dos. Que c’est bon de sortir, de se sentir libre, de respirer l’air frais. A l’extérieur, il prend le temps de s’arrêter. De savourer. Ses yeux se ferment. Ses oreilles se dressent, à l’affût du moindre son. Là, l’oiseau qui chante. Ici, la voiture qui sort du parking. Et à côté, la voix de son frère. Il rouvre les yeux pour les poser sur Rick. “J’ai peut-être l’air en forme, mais pas toi. Il se passe quoi ?” “C’est Helen, elle m’a foutu à la porte. Parce que je suis toujours stone, paraît-il. Mais pas du tout ! Regarde, je peux marcher droit devant moi.” Rick se lance dans une démonstration. Piètre démonstration. Déjà à l’état normal, il n’est pas agile, mais là, il l’est encore moins. Il manque de s’effondrer, déclenchant le rire de Jake. Okay, c’est bon d’être de retour. Son frère lui a manqué. Sa famille lui a manqué. Sa vie lui a manqué. Enfin, sa vie… ce qu’il en reste. Il jette son sac sur son épaule. Il est prêt. Il a déjà réfléchi. Il va être détective. Ouais, c’est un boulot mal payé surtout quand on débute. Mais au moins, il aura un boulot. Avec un peu de chance, personne ne le reconnaîtra. De toute manière, la barbe a poussé, couvrant une bonne partie de son visage. Il n’aura même pas besoin de cacher son visage sous une perruque hideuse et un chapeau de pêcheur. Thanks God! “Bon, t’attends quoi ? T’as envie d’y retourner ou quoi ?” Oh que non, il ne va pas y retourner. Jake se retourne. Un dernier coup d’oeil sur le bâtiment qu’il vient de quitter. Un dernier coup d’oeil vers ce qu’il laisse derrière lui. Un centre de désintoxication.


Boum. Boum. Boum. Ca frappe. Ca résonne. Ca fait écho. Ca fait mal. Le grognement qui sort de la bouche de Jake (ou de l’ours) est celui d’un mec qui n’a pas assez dormi et qui a juste envie d’une bonne grasse matinée, accompagnée d’un petit-déjeuner au lit, d’un kilo d’aspirine, et d’une journée à dormir. C’est possible ? A en croire les coups contre la porte, non. Okay. Tant pis pour cette malheureuse personne. Elle va devoir se taper la mauvaise humeur de monsieur. Non pas qu’il lui soit déjà arrivé d’être de bonne humeur, ne croyez pas. “Ca va, ça va, j’arrive putain.” Le dernier mot est cadeau. Juste comme ça, parce qu’il est généreux. Non non, ne répondez pas, ne le remerciez pas ! Il repousse la couette. Il traîne les pieds jusqu’à son tee-shirt. Il s’en va jusqu’à la porte d’entrée, bien décidé à fusiller la personne qui le dérange à cette heure-ci. D’ailleurs, il est quelle heure ? Dix heures ? Un mardi ? BWORF. Ca va ! “Qu’est-ce que v…?” Il a ouvert la porte. Il n’a pas eu le temps de terminer. Une tempête entre dans son appartement bordélique. Une tempête qui apporte une douce odeur de lila. Une tempête blonde, hyper énergique, qui amène avec elle deux gamins. Bordel de merde. Il aurait dû rester au pieu. “ENFIN ! Tu te décides à ouvrir, Jake ! La gamine a envie de pisser et toi, tu fais ton oncle indigne, tu gardes la porte fermée. Et regarde-moi cet appartement ! J’y crois pas, ça te tuerait de ranger un peu ? Depuis quand ce morceau de pizza est là ? Non, attends, ne réponds pas. Je ne veux pas le savoir. Comment tu vas ? Ca te dérange si on utilise tes toilettes ? Tiens, tu peux me garder Noah ?” En trois secondes, le voilà saoulé (ou désaoulé de la veille ?) et avec un mioche dans les bras. Six mois, le gamin. Jake échange un regard avec lui. Ca le rassure. Ils sont au moins deux à ne pas comprendre ce qu’il se passe. Tout ce qu’il voit, ce sont les trois sacs de voyage qui sont posés au milieu de son salon. Ils se cassent ? Ils partent en vacances et ils n’invitent pas tonton Jake ? Attendez non, il n’est pas jaloux. Passer des vacances avec ses neveux est la dernière chose qu’il souhaite. Il se rapproche de la salle de bains. Il prend garde de ne pas entrer dans la pièce, malgré la porte grande ouverte (sa soeur ne doit pas connaître l’intimité). “Tu peux m’dire ce qu’il se passe ?” “Tontooooon, tu ne regardes paaaaaaas.” Il lève les yeux au ciel. D’où il regarde, hein ? Il a le dos collé au mur, il voit que dalle, bon sang. Et cette gamine a la voix bien trop criarde. Il l’adore, hein, mais pas le matin. Pas aujourd’hui. Pas avant son café. “J’me casse ! Leur connard de père ne m’a pas envoyée sa pension depuis trois mois. Je compte bien récupérer mon argent par n’importe quel moyen. Du coup, tu gardes les gamins pendant que je me le fais.” Si il avait été en train de boire, il aurait pu recracher sa gorgée. Mais tout ce qu’il a, c’est un bébé, et le jeter n’est pas concevable. Un bébé qu’il va devoir garder. Baby-sitter, lui ? Naaaaaaah. Il y a erreur sur la personne. Elle doit se tromper. Elle doit le confondre avec un mec hyper responsable, propre sur lui, riche. “Non non non non non non, hors de question !” Il s’éloigne de la salle de bains. Il pose même le bébé sur le canapé. Tiens, voilà, tu vois qu’il est irresponsable ! Le bébé pourrait tomber qu’il en aurait rien à foutre. Faut pas lui laisser tes gamins. Non ! C’est dangereux. Surtout pour Jake. Vous imaginez l’état dans lequel il va être ? “Déconne pas, j’ai vraiment besoin de ton aide. Rick ne répond pas, il doit encore être dans un taudis à fumer des joints. Et puis, les gamins se réjouissent de rester avec leur super oncle, n’est-ce pas Maddie ?” Et voilà ! On fait appel à la conscience paternelle, on essaye de l'apitoyer. Ben voyons. Si il avait eu un quelconque instinct paternel, il serait déjà père depuis longtemps. Sauf que ce n’est pas le con. Dans la salle de bains, la chasse d’eau est tirée. La gamine revient et essaye de choper les mains de Jake. Hé oh, tout doux ! Elle s’est lavée les mains, au moins ? Il n’est pas une serviette humaine, lui ! “Uiiiii. Tu vas voir, tonton, on va faire des dessins et du toboggan. C’est vrai que vous avez une piscine à boules ?” “Une piscine à... quoi ? Non, écoute, Jill, arrête ! Je ne peux pas, j’dois bosser.” Bordel ! Il panique. Elle est déjà en train de récupérer l’un des sacs. Elle dépose un baiser sur la tête de chacun de ses gosses. Merci mon dieu qu’elle n’en ait pas soixante. Son appartement ne pourrait pas tous les contenir. Elle prend quand même le temps de s’arrêter avant de s’en aller. Elle regarde autour d’elle. Elle consulte sa montre. “Aaaaah c’est vrai que tu as l’air débordé de boulot. Tu ne me la fais pas à moi, Jee. Donc, tu vas me rendre ce service et je te serai éternellement redevable, okay ?” Il a les sourcils froncés. Il est renfrogné. Il se laisse tomber dans le canapé, les bras croisés. Il la déteste. Il ne veut plus lui parler. Il ne veut plus la voir (enfin, sauf pour qu’elle récupère ses mioches). Il va même ignorer chacun de ses appels ! “Ca veut dire quoi, éternellement redevable ?” Est-ce qu’on risque d’appeler les assistantes sociales si il demande à Maddie de lui servir un café ? C’est juste une question comme ça. Après tout, faut qu’elle serve à quelque chose. “Ca veut dire qu’elle va qu’elle va passer de très très très mauvais moments, crois-moi.”


“Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie de Jill Evans. Je ne suis pas là pour le moment, mais laissez-moi un message ! BIIIIIIIP.” “Salut Jill… Euhm… est-ce que c’est normal que Noah ait des plaques rouges ? … MADDIE, chut ! J’appelle ta mère… non, elle n’est pas à l’autre bout… Hmm… écoute, Jill, je ne peux pas. Ils sont ingérables, faudrait que tu penses à mieux les éduquer. En plus, Maddie fait des cauchemars et elle veut toujours se lover contre moi. Elle fait ce truc, tu sais, avec sa tête, comme si elle essayait de se faire une place contre moi. On dirait un chien… Dis-moi que c’est un comportement normal pour une gamine de son âge… ? Bref, écoute, j’espère que tu vas bien. A plus tard.”


“Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie de Jill Evans. Je ne suis pas là pour le moment, mais laissez-moi un message ! BIIIIIIIP.” “Salut Jill… tu sais, c’est ton frère. Le mec qui a laissé les dix messages précédents. Ecoute, je sais pas où t’es ni ça va bien, mais ça va faire deux semaines. Les gamins commencent à s’inquiéter et très sérieusement, je ne peux pas continuer… Envoie-moi un message au moins, d’accord ?”


“Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie de Jill Evans. Je ne suis pas là pour le moment, mais laissez-moi un message ! BIIIIIIIP.” “Jill… tu commences sérieusement à me faire chier. Y a un moment où va falloir que tu te reprennes en main. T’as disparu, envolée. Et moi, je fais quoi de Noah et Maddie ? Je ne sais pas si tu le sais mais ce sont TES gamins, pas les miens. Alors, tu vas me faire le putain de plaisir de me rappeler… c’était Jake, si jamais tu te posais la question.”


“Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie de Jill Evans. Je ne suis pas là pour le moment, mais laissez-moi un message ! BIIIIIIIP.” “Je vais sérieusement commencer à croire que t’es morte, dans un coin de l’Arizona, Jill. Je m’inquiète. J’ai… Hein ? Maddie, viens par-là ! ... Mais si, je la connais, cette gamine. Non, c’est pas ma fille. QUOI ? POURQUOI TU DIS QUE JE SUIS UN PERVERS ? MADDIE ! C’EST PAS DRÔLE ! Oui oui, pardon, je me calme… Euh Jill, je dois te laisser.”

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