No more need to be alone (Jake)

Assise sur le lit de camp misérable de la petite chambre qu’elle avait changée en crèche pour l’occasion, Hope regarda une énième fois son beeper. Pas le moindre message, bien entendu, elle n’aurait pas pu le rater malgré le bruit de fond constant qui régnait dans l’hôpital de fortune remplaçant celui qui avait été détruit. Elle étouffa un soupir et reporta son regard sur les deux enfants qui jouaient – ou plutôt sur la petite fille qui tentait de jouer avec son frère. Hope leur avait ramené quelques jouets, empruntés à la pédiatrie, mais Maddie semblait bien plus intéressée à jouer à la petite maman qu’à faire des maisons avec des cubes en plastique. Ils étaient à peine séparés par des cloisons de papier des autres chambres, où de vrais patients recevaient de vrais soins, mais Maddie était dans son monde et rien ne la perturbait. Hope se laissa glisser au sol d’un geste souple quand la petite fille fit mine de soulever son frère, et elle accompagna son geste pour l’aider. « Fais doucement Maddie … Attention … Voilà comme ça, c’est bien. » Elle mit la petite fille sur ses genoux, le bébé bien serré dans ses bras potelés, et les fit sauter ensemble en rythme de ses jambes. Très vite, le rire des deux enfants s’élevèrent dans la pièce exigüe grâce à cette balade à cheval imaginaire, et le cœur de la jeune médecin se serra douloureusement. Le manque la frappa brutalement, le rire de sa propre fille se superposant dans sa mémoire à celui de Maddie. Cela faisait trop longtemps qu’elle ne l’avait pas entendue, trop longtemps qu’elle n’avait pas pu la tenir serrée contre elle ainsi, à lui faire découvrir de nouveaux jeux, de nouvelles façons de s’émerveiller … Trop longtemps qu’elle combattait ce trou dans sa poitrine qui la rongeait comme un acide à mesure que sa fille s’éloignait d’elle, toujours un peu plus hors de sa portée. Elle ne fut sauvée des larmes qui menaçaient de couler que par la sonnerie stridente et soudaine de son beeper. Aussitôt, elle déposa Maddie au sol et cala Noah contre sa hanche. « Ah, tonton doit être là ! C’est fini la récré, hop hop hop, remet les cubes dans la boîte et on s’en va ! » Il n’y avait pas cent possibilités pour qu’elle soit bipée à cette heure-ci : elle avait fini son service depuis bientôt deux heures et si elle était restée à l’hôpital, c’était uniquement parce qu’elle avait les deux enfants sur les bras, et que leur oncle ignorait où elle habitait pour venir les chercher. Il devait donc être enfin arrivé et l’avait demandée à l’accueil en ne la voyant pas dans son repaire habituel. Et à l’idée de l’avoir en face de lui, toute nostalgie, toute douceur avait disparu de l’être de la jeune femme. A nouveau, elle bouillait de cette même colère d’avoir été prise pour une baby-sitter alors qu’elle était en plein travail – bon, à la fin du service et à un moment plutôt calme, mais tout de même !! Pour qui la prenait-il, bon sang ? Elle était médecin, pas nounou par intérim.

Elle attrapa Maddie d’une main ferme et s’engagea dans le dédale des couloirs. Dans sa tête défilaient toutes les insultes qu’elle rêvait de jeter au détective privé quand il apparaîtrait dans son champ de vision, des insultes qu’elle avait tournées et retournées depuis qu’il était apparu comme une fleur aux urgences, pour disparaître encore plus vite. Il ne manquait pas d’air, mais il ne semblait pas avoir compris à qui il avait affaire. Parce qu’elle avait daigné lui donner deux-trois conseils pour s’occuper de ses neveux ne signifiait pas qu’elle s’était portée volontaire pour les élever à sa place. « Jake … » Lâcha-t-elle d’un ton sucré à l’homme dès qu’elle pénétra dans l’accueil. « Un peu plus et j’appelais les services sociaux. » Elle lâcha la main de Maddie et la poussa doucement vers son oncle. « Va faire un câlin à tonton, tu as du lui manquer affreusement. » Ironisa-t-elle en fixant Jake dans les yeux. La petite ne se fit pas prier et s’accrocha à son oncle en quémandant des câlins. « Elle est mignonne …  Mais c’est la dernière fois que je m’en occupe. La dernière fois, tu m’entends ? » Siffla-t-elle. Au fond, elle lui en voulait bien davantage d’avoir fait remonter en elle la tendresse qu’elle ne pouvait plus offrir à Tessa, et qu’elle avait refoulée si loin en elle qu’elle ne se croyait plus capable de l’offrir à qui que ce soit. Tant qu’elle n’aurait pas retrouvé sa fille, elle ne pourrait plus approcher d’enfant, elle en était persuadée. Mais avoir été forcée de s’occuper de Maddie et Noah … C’était dur, tellement dur, ça remuait des souvenirs, ça ravivait des réflexes oubliés, c’était une torture qu’elle détestait tout autant qu’elle s’en gavait avec frénésie. C’était bien pour ça qu’elle s’était occupé des enfants alors qu’elle était en plein travail et qu’elle ne leur devait absolument rien, ni à eux ni à leur oncle. Elle ne les connaissait pas, mais elle avait pratiquement tout arrêté pour s’occuper d’eux, comme une droguée en manque. Pathétique. Elle ne pardonnerait pas d’aussi tôt à Jake de lui avoir infligé ça. « Tu iras les chercher chez l’assistante sociale si tu me refais ce coup. »