The bonds that tear us appart [PV Tefé Holland]

The bonds that tear us appart

N1 était rongé par la colère, mais cette colère se concentrait sur sa personne, il se trouvait faible, il se détestait d'avoir fait preuve de compassion envers Aspen et Wally, il n'aurait pas dut flancher face à eux, après tout ils avaient enlevé sa sœur et il aurait dut les détruire pour ça, il l'avait voulu d'ailleurs. Qu'est-ce qui avait bien put changer dans ce cas? Il ressentait désormais de la honte, surtout depuis qu'Aspen lui avait enfin mis la vérité qu'il refusait de voir sous les yeux, pendant toutes ses années il avait tout sacrifié pour des gens qui n'en valaient pas la peine, il avait encore du mal à le digérer, du mal à accepter d'avoir été victime toutes ces années de son propre mensonge en tentant de s'y réfugier, c'était difficile de devoir faire face à son propre échec, et il n'avait jamais été très doué pour cela de toute façon. Chaque jour il sentait la bombe dans son cou devenir un fardeau, sa présence l'empêchait de trouver le sommeil et il abusait des calmants, bien plus qu'à son habitude. Il sentait quelque chose d'étrange, le sentiment que tout changeait autour de lui, mais qu'il restait figé, comme si le temps lui-même tentait d'échapper à son contrôle, il planta le radar dans le sol sans grande conviction.

Ils avaient été déployés dans le parc de Yosemite pour faire des relevés avant que Brainiac ne débarque, les experts estimaient que d'ici quelques jours il passerait à l'assaut, leur rôle était de savoir si il comptait se servir du supervolcan dans son assaut et comme tout les scientifiques avaient évacués la zone pour voir leur famille au cas ou ce soit la fin du monde, ils étaient seuls ici, des animaux au loin avançaient, des loups réimplantés il y avait de ça quelques années, sans doute en train de chasser, inconscients de l'apocalypse proche. Lui manquait finalement de temps, il avait retardé les retrouvailles avec sa sœur, et peut-être qu'il ne la reverrait jamais. Qui savait si lui-même survivrait à tout ça, il pouvait bien mourir même si la terre était sauvée, mais il ne se sentait pas encore prêt à la retrouver, il encourageait les fausses pistes et envoyait les agents dans des chasses au dahu, sans espoir, là tout de suite, il avait besoin d'aide, de se sentir guidé, mais les seuls paroles à pouvoir s'élever autour de lui avaient des avis qui ne l'intéressait pas.

Il observa la lisière de pin qui délimitait la clairière ou il se trouvait, cette sensation familière ne le quittait pas et il se sentait comme attiré par cet endroit en apparence inoffensif. Il approcha et c'est là qu'il vit le premier corps, un scientifique à en juger par la tenue, il reposait à côté des restes de son campement, il était là depuis quelques jours visiblement. Un frisson parcouru son échine en voyant ses extrémités fondues dans l'écorce de l'arbre, il ne connaissait qu'un être au monde capable de ça. Tefé, la magicienne des bois, la fille de la sylve, il n'oserait pas l'admettre mais cette fille avait un sacré effet sur lui, il ne l'avait croisé qu'une fois, quelques années auparavant, et il s'était retrouvé totalement fasciné. Elle appartenait à un monde si différent du sien et si supérieur, si primaire, elle avait une liberté qui le rendait envieux, il sentit son souffle s'accélerer et il se mit à regarder autour de lui, comme si elle allait apparaître comme la dernière fois. Ne la voyant pas, il se mit à courir entre les arbres, ses rangers labourant la terre sur son passage, ses yeux fous cherchant une trace de l'enfant des arbres.

Il se rendit compte qu'il faisait nuit, combien de temps avait-il cherché, son oreillette ne rendait que des grésillements, ou était-il? N1 regarda autour de lui et sentit l'impression s'intensifier, elle devait être proche, il ne devait pas abandonner maintenant. Un grognement sur sa droite attira son attention, un des loups sortait des ombres, en grand amoureux des animaux, il savait que cela voulait dire que les autres n'étaient pas loin, prêts à le surprendre. Inutile de dire qu'il ne leur ferait aucun mal, son bras se déploya en un tentacule et il se hissa jusqu'à une branche solide sur laquelle il s'accroupit, reprenant ses esprits peu à peu.

Codage par Libella sur Graphiorum réarrangé pour usage personnel

The bonds that tear us appart

Ce n’était pas par hasard qu’elle était tombée sur ce type. Dans son errance de par le monde, elle avait fini par s’enfoncer au cœur d’une des forêts les plus majestueuses du pays, et très vite, elle avait ressenti des picotements. Il n’y avait pas d’autres mots. Des picotements. Sur sa peau. Dans sa chair. Sur le bout de ses doigts, de sa langue, dans ses yeux. C’était désagréable. Ces derniers temps, elle avait passé beaucoup de temps à laisser sa nature d’élémentaire prendre le dessus sur sa partie humaine. L’humaine Tefé était reléguée au fond de sa propre personne, coupée du monde extérieur. Ainsi, elle se sentait plus plante qu’autre chose. Cela voulait dire que le temps s’écoulait différemment, que les gens n’avaient plus d’importance depuis longtemps, depuis qu’elle avait quitté Jinny, et qu’elle se sentait comme faisant partie d’un tout. Le Green. Pourquoi passait-elle autant de temps à essayer de le fuir ? Elle l’aimait tant… Et il l’aimait en retour. Elle avait été une partie de lui, à une époque, elle était née de lui. Ce n’était pas tant lui qu’elle évitait que tous ses avatars, en vérité. Mais sa peau la picotait depuis des heures et c’était de plus en plus insupportable. Elle le savait, quelque part, pas loin, un putain d’humain faisait quelque chose à la nature. Quand le feu dévorait la végétation, elle le sentait, quand la lame de la tronçonneuse mordait le bois centenaire, elle le sentait, quand le cou tendre des vaches était tranché encore et encore et encore, elle le sentait. Dans cet état, elle était comme la terre elle-même, ses perception étendues à l’infini, sans début ni fin, et le Green était autant son enfant qu’elle était le sien. Et sa peau la picotait. Et elle avait enfin trouvé pourquoi. « Qu’est-ce que vous foutez là ? » Elle le lui avait demandé calmement. Il s’était retourné d’un coup. Il ne faisait rien de terrible, en vérité. Il prenait des échantillons, grattait ici, arrachait là. Dans son état, à fleur de peau, Tefé ne le supportait pas. Elle ne supportait pas que même ici, au cœur d’un parc naturel uniquement fréquenté sur ses limites d’habitude, un homme se soit insinué. Ils étaient donc partout ? Tout le temps ? Il n’y avait donc aucun moyen de leur échapper ? Puis le type avait dit : « La fille du marais ! » Et Tefé s’était pétrifiée. Il était rare qu’on la reconnaisse. Rare qu’on la connaisse seulement. Elle avait reconnu le symbole sur sa blouse. Cadmus. Et elle avait reculé d’un pas, statufiée. Et le scientifique avait sorti une arme, une arme illégale, dont elle n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait lui faire. Elle savait juste que Cadmus savait exactement ce qu’elle était, et comment la tuer.

Maintenant, elle marchait dans la forêt en reniflant. Elle se disait qu’il fallait qu’elle s’en aille. De cet endroit, de ce pays. Il fallait qu’elle voie le monde. Elle n’en pouvait plus, de ce pays. De ces humains. Même s’ils étaient les mêmes partout. Elle s’était disputée avec ses quelques amis. Avec sa mère. Layla ne répondait pas à ses appels, Merc non plus. Elle les connaissait, ses guerrières, elles étaient probablement en train de se battre quelque part. Sa peau, d’une teinte de bois lustrée, repoussait le froid glacial de la nuit. Elle revoyait le type se jeter sur elle avec son arme bizarre. Elle se souvenait de sa cage dans le laboratoire. De Conner. Elle renifla encore et tira sur son tee-shirt calciné. Sa peau à cet endroit était rose et à vif, totalement humaine. Mais la plaie guérissait déjà. Elle l’avait tué. Pour ne pas être tuée. Elle l’avait laissé là, réduit en bouillie, fondu à un arbre. Le Green avait chanté ses louanges, et elle était partie en reniflant. Pas en pleurant, mais en reniflant. Ses cheveux hérissés comme de la paille, piquetés de fleurs, ses yeux intégralement verts… Elle entendit la plainte d’un loup et bifurqua. Encore un intrus. Encore un humain. Ils étaient partout. Ici… lui soufflait la nature. Là… Elle avançait ici et là, jusqu’à apercevoir une petite meute de loups en rond autour d’un arbre. L’un d’eux se redressa en la voyant, se hérissa. Elle était sur leur territoire, pas l’inverse. Elle était de trop. Elle n’eut pas à lever les yeux pour savoir que l’intrus était dans l’arbre, l’arbre lui-même le lui fit sentir. Allez vous-en. Vous vous rendrez malades. Non pas qu’ils voulaient le manger. Enfin, ils étaient curieux. Ils ne savaient pas encore trop ce qu’ils voulaient faire. Mais ils partirent, et Tefé s’enfonça mollement dans le tronc de l’arbre avant de réapparaître plus haut, sur la branche où il était assis. Un demi-sourire étira ses lèvres. Comme le temps passait. Comme le passé avait ce truc de rejaillir quand on l’attendait le moins.

« Tu viens enfin demander justice pour les morts ? Me demander de payer ma dette à la société ? » Ni bonjour ni merde, évidemment. Même si le reste avait changé, beaucoup changé. Enfin, pour lui, elle ne savait pas. Mais pour elle, c’était le cas. Et pour commencer, cette fois, c’était elle qui allait au devant de lui, avec un calme certes trompeur, mais bien plus paisible que la créature écorchée qu’elle était quand il l’avait trouvée dans le marais des années plus tôt. Peut-être que finalement, elle avait un peu grandi. Elle se laissa glisser contre le tronc, laissa le bois avaler un peu de la chair de son dos et l’abreuver en sève qui s’écoula dans ses bras, ses jambes, son cou, ses joues, sous la forme de filaments sombres et palpitant. Elle le regarda longuement. « T’as pas la forme, on dirait. Numéro 1. J’en déduis que tu n’as pas suivi mon conseil et que tu n’as pas pris de vacances… » Mais, sans rire, qu’est-ce qu’il foutait là ? Est-ce qu’il n’y avait pas une invasion extraterrestre à combattre ou elle ne savait pas quoi ? Elle, elle s’en foutait, mais elle savait que des tas de héros en avaient la bave aux lèvres, et c’était bien ce qu’il pensait être, lui. Pas un héros, mais un type qui se battait dans le camp des gentils.

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Les loups semblèrent se désintéresser brutalement de sa personne, il haussa un sourcil circonspect avant de comprendre la source de ce comportement inhabituel, un bruit sur sa droite qui lui était étrangement familier, attendu. Son visage se tourna vers le tronc d'où sortait celle qu'il avait cherché comme un fou dans les bois, son cœur manqua immédiatement un battement et son esprit l'espace d'un court instant, sans s'en rendre compte il avait aussi retenu sa respiration, si Tefé se montrai provocatrice, cette fois-ci au moins elle ne le tenait pas prisonnier d'entrée de jeu, ce qui voulait dire qu'elle se souvenait de lui comme le confirmait ses mots. La simple pensée qu'une personne comme elle ait put conserver en mémoire leur rencontre l'étonnait un peu, il avait compris dès leur rencontre qu'ils n'existaient pas vraiment sur le même plan d'existence ou de puissance, un simple fait, et il l'admirait pour ça autant qu'il l'enviait. Mais tout ça semblait désormais si loin, diffus, une chose ne semblait pas avoir changé cependant pour lui, il sentait toujours une impulsion inconnue qui le poussait à ne pas la considérer comme une ennemie, ses défenses étaient baissées, il savait pourtant ce qu'elle pouvait lui faire. Il se demandait ce qu'elle avait bien put faire tout ce temps, les merveilles qu'elles avait dut voir pendant que lui s'était enfoncé chaque jour un peu plus dans les ténèbres.

-Si c'était le cas, je ne serait pas revenu seul.

Quelle justice pourrait juger Tefé de toute manière? C'était bizarre de se dire qu'il aurait bien put mourir dans ce marais. Il avait de son côté livré un rapport édifiant sur sa visite du Bayou, il avait expliqué comment des esprits vengeurs avaient été relâchés par la fuite, après tout en tant que seul agent sur place sa voix avait toute raison de faire autorité, SHADE avait bien tenté de faire quelque chose, mais les agents déplacés sur place avaient dut rejoindre l'assemblage art nouveau qui avait été le théâtre de son bref affrontement avec Tefé. Ca ou un croco, mais l'effet avait été immédiat et la pipeline mise hors d'état d'usage pour une durée indéterminée, pas de quoi se vanter, une goutte d'eau dans un océan, mais il avait tenu sa promesse du mieux qu'il avait put. Enfin, pas toute, il grimaça en l'entendant parler de sa forme physique, être ramené toutes ces années en arrière lui rappelait le fossé qui le séparait de cet adolescent qu'il n'était plus. Il y avait eut les implants, les drogues de combat, les opérations en cascade pour lutter contre une dégénérescence accélérée malgré son facteur régénérant. N1 n'en était plus à compter les mois, mais bien les jours qui le séparait des opérations. Il le faisait depuis tellement longtemps qu'il ne se posait même plus de question, qu'il avait accepté son sort et fait du mal à tout ceux à qui il tenait.

-On peut dire ça, toi tu as l'air moins menaçante.

Il était devenu un monstre, le Berserker, il avait donné tout ce qu'il avait pour suivre l'idéal qu'il avait défendu devant elle, tous ces mensonges dont il s'était persuadé, mais aujourd'hui il n'était plus vraiment sûr, il savait désormais que si sa sœur était parti c'était à cause de lui, de ce qu'il avait fait subir à chacun des membres de sa famille. Il n'était pas quelqu'un de bien, il n'était plus un protecteur comme il l'avait pensé, il poussa un soupir en observant le sol en contrebas, détournant le regard pour éviter de croiser celui de la fille de la sylve.

-Je suis ici par ce que Brainiac pourrait utiliser le supervolcan dans son plan d'invasion de la terre, c'est la théorie d'un des gratte-papier d'ARGUS en tout cas.

Même sa méfiance naturelle s'était éteinte au contact de Tefé, il sentait qu'il pouvait tout lui dire, que quelque soit sa réaction il devait l'écouter. Il quitta sa position accroupi pour s'asseoir sur la branche, il savait qu'il était inutile de fuir de toute façon et ça lui faisait du bien de voir quelqu'un qui s'exprimerait sans filtre, qui n'avait aucun motif camouflé, Tefé n'était pas un agent, ni une personne du monde extérieur, elle était elle-même, sans doute le pouvoir qu'il lui enviait vraiment, celui de décider pour elle-même là où lui avait du composer avec la volonté des autre, ne volonté qu'on l'avait forcé à suivre avec ou sans son consentement.

-Mais je suis pas sûr de vouloir suivre les ordres maintenant, des gens mauvais ont aidé ma sœur à fuir à cause de moi, à cause de ce que j'ai fait. Et toi? Tu continue de sauver la nature un meurtre à la fois?

Il avait croisé le cadavre, il se doutait donc un peu de la réponse.

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Cela faisait longtemps, mais elle ne savait pas combien de temps exactement, avec sa perception du temps très relative. Des mois. Ou des années. Oui, des années, puisque quand elle l’avait croisé en Louisiane, elle venait tout juste de se libérer de sa prison de chair ordinaire. Un battement de cœur seulement du point de vue de la nature. Dans la pénombre et la fraîcheur de la canopée, elle observa le soldat. Déjà à l’époque elle l’avait perçu comme un morceau de plastique dans l’océan. Un emballage jeté dans l’herbe. Pas d’un point de vue moral, mais purement instinctif. Ses sens animaux et végétaux lui renvoyaient une présence artificielle, plus encore que n’importe quelle création humaine. Même les humains avaient l’air un peu plus « naturels ». Qu’est-ce qu’il était déjà ? Un soldat élevé dans du formol, ou quelque chose comme ça. Un pion sur un échiquier dont Tefé ne savait rien si ce n’était qu’elle était l’ennemie, pour eux, et eux l’ennemi pour elle. Et cette nouvelle rencontre, alors, quel sens lui donner ? Elle ne pensait pas le revoir un jour, pas tout seul en tout cas, pas sans un armée avec lui. Mais après qu’ils s’étaient quittés la dernière fois, elle n’avait rien vu venir, elle en avait conclu qu’il avait gardé certaines choses pour lui, malgré ce qu’il avait prétendu – travailler pour le bien commun, blablabla. Et elle, incapable de tenir en place de toute façon, elle était partie. Il ne l’avait tout de même pas suivie pendant tout ce temps, alors… Le hasard, tout simplement ? Elle l’observait, en quête de réponse, mais il faisait tout pour se soustraire à ses yeux, recroquevillé sur lui-même, l’air… eh ben, pas en forme.

Elle haussa les épaules à sa remarque. Menaçante, de son point de vue, elle ne l’était pas, mais elle pouvait comprendre qu’elle le soit pour tous les autres. Cela lui plaisait, même, comme idée. Elle avait simplement appris à la dure qu’elle ne pouvait pas gagner la guerre d’un coup d’un seul, et qu’il lui fallait prioriser ses batailles. Et accepter la défaite plus souvent qu’elle n’aurait jamais cru l’imaginer. Puis il lui annonça les intentions de Brainiac, le mégalo qui les avait tous envoyés sur Terre IV et qui à présent venait se tailler une part du gâteau, et elle pencha la tête sur le côté. Ah, ça c’était un plan. Il voulait faire quoi, faire exploser le volcan ? Voyons voir, c’était déjà arrivé par le passé. Ce serait efficace pour se débarrasser d’un bon quart de l’humanité, voire plus. La nature s’en remettrait, comme elle s’en était déjà remise. Elle esquissa un sourire sans joie. « Mince, j’aurais dû y penser… » Enfin, ce n’était pas comme si elle avait ce pouvoir-là, de toute façon. Et ce n’était pas non plus comme si, s’il s’agissait vraiment du plan de Brainiac, ce dernier ne tomberait pas sur un comité d’accueil. « Il ne sait pas du tout dans quoi il va mettre les pieds, celui-là. Il ferait mieux de s’en tenir à la guerre contre vous et laisser la nature tranquille. » Elle continuait de fixer Numéro 1, pas encore satisfaite. Il était là pour sa mission, ouais, il le lui avait déjà fait, ce coup-là, mais à l’époque elle y avait cru. Elle avait vu qu’il y croyait. Là, sa spontanéité laissait un peu à désirer.

De lui-même, il confirma son hypothèse, et elle haussa les épaules. « C’est lui qui a attaqué le premier. Je n’ai fait que me défendre, comme ce merveilleux pays m’en donne le droit. » Sur ses avants-bras posés sur ses genoux repliés contre son torse, des bourgeons  perçaient sa peau pâle, s’élevaient vers le ciel de quelques centimètres puis retombaient dans sa chair avant de naître à nouveau, en un mouvement perpétuel, comme une danse. « T'as une sœur, alors ? Elle est comme toi ? Un soldat ? » Il savait déjà ce qu’elle pensait de tout ça, et en plus, visiblement, il n’y croyait plus lui-même. Elle le savait, ça : à partir du moment où le doute s’installait, c’était fini, dans la tête de ceux qui avaient cru dur comme fer à quelque chose comme ça. Le devoir. Le sacrifice. La juste cause. Un simple grain de sable pouvait gripper la machine, et là il s’agissait d’une sœur, pas d’un grain de sable. « Ils t’ont déçu. Ils t’ont montré leur vrai visage. Ils ont détruit ta raison d’être en faisant perdre tout son sens à la seule chose en laquelle tu croyais. » Sa voix n’était qu’un murmure, mais elle rebondissait sous la canopée, contre les troncs d’arbre, s’enroulait entre chaque feuille. Elle ne tirait aucun plaisir à le voir comme ça. Ou bien peut-être bien un peu, mais pas à le voir souffrir. Juste à le voir se libérer. Et peu lui importait, à Tefé, les conséquences de ce moment où il briserait ses chaînes, les conséquences pour lui et pour le monde.

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Si une chose n'avait pas changé, c'était sa manière unique de réagir à tout ce qu'il pouvait lui dire, ce mélange d'indifférence et de bravade. Elle usait de ses mots avec soin, laissant libre cours à son sarcasme, mais elle n'était pas entièrement désintéressée comme elle pouvait vouloir le faire sentir, elle l'avait analysé dans le bayou, elle lui avait demandé des informations, elle cherchait à comprendre le monde qui l'entourait, quelque chose de très humain, mais à la manière d'une ado rebelle un peu déjantée. Elle voyait clair dans son jeu ceci dit, et il ne pouvait pas lui cacher sa misère actuelle, à vrai dire il s'était presque attendu à des moqueries de sa part, ou à une sorte de leçon de morale, mais en fait elle ne faisait que mettre des mots plus précis sur ce qu'il disait. Oui, ARGUS l'avait déçu, ils avaient promis des choses, ils avaient dit des choses, et rien n'était vrai. Sa sœur et ses frères devaient déjà être séparés d'ici quelques années et les fameux criminels qui l'avait emmenée n'étaient pour certains pas si mauvais que cela. Il se détestait de l'avoir admis, d'être aussi faible, mais aussi de ne pas avoir compris plus tôt ce qui se passait. Alors oui ils avaient tout détruit, mais pire que tout, ils avaient prévus de le faire depuis le début, la disparition d'Analia avait simplement précipité les choses, maintenant il se sentait idiot, encore peu résolu à mettre son plan en oeuvre, il espérait presque que Brainiac détruise tout pour qu'il n'ait jamais à voir la fin de l'histoire.

-Ma sœur est meilleure que moi. Mais elle n'a jamais été un soldat.

Non, Analia avait toujours été une bien plus forte-tête que lui, incapable de rentrer entièrement dans le rang, il l'avait détestée pour ça, pour son refus de se soumettre à l'ordre, aujourd'hui il se sentait stupide. Tefé semblait assez neutre et au final ses tourments devait lui sembler bien dérisoires, il ressentait toujours ce fossé qui les séparait à tout point de vue, elle était elle-même, unique, mais lui qu'était-il? Un élément reproductible si il se montrait suffisamment rentable?

-Je pensait que c'était notre destin, que c'était ce qu'il fallait faire, que c'était logique. Mais ça ne l'est pas tant que ça. J'ai toujours un bombe dans la nuque, ma sœur est plus heureuse loin de nous et ils nous ont séparés.

C'était difficile à reconnaître, mais Tefé était la seule à qui il pouvait en parler, ou du moins à qui il souhaitait le faire.

-T'as de la chance d'être au dessus de tout ces trucs. D'avoir le choix, mais je pense pas que je connaîtrait ça. Comme plein d'autres trucs.

Il plongea son regard dans le sien avant de tendre sa main vers elle, il avait été modifié depuis la dernière fois, toutes ces modifications, il se demandait parfois à quel point ça l'avait affecté et il n'avait pas oublier ce que la fille de la Sylve savait faire avec la chaire, sa capacité à l'inspecter. Il était curieux de savoir ce qu'elle avait à dire cette fois-ci, avec tous les implants supplémentaire et les drogues de combat dans son système, ses nerfs dévorés par la dégénérescence.

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Pas un soldat. Ce n'était pas une réponse très claire, mais Tefé s'en contenterait. Pourtant, elle devait avoir de l'importance, pour lui, cette sœur. De toute évidence, c'était elle qui avait servi de fusible, qui avait allumé la flamme de ce qui couvait depuis longtemps en lui, avant même que lui-même ne s'en rende compte probablement. Oui, elle devait être importante, et ça faisait de lui quelqu'un de plus humain qu'elle n'avait bien voulu le croire lors de leur première rencontre. Mais lors de leur première rencontre, elle-même n'était rien d'autre qu'un amas de chair et de chlorophylle torturé et immature, pas du tout encline à laisser quoi que ce soit ou qui que ce soit s'opposer à elle, en paroles ou en actes. Aujourd'hui, elle était revenue de tout ça. Et la part non négligeable d'elle-même qui était une égoïste se réjouissait d'avoir eu raison, non pas juste pour le plaisir, mais parce que très peu de gens adhéraient à ses discours, et pour une fois, N° 1 était la preuve qu'elle n'avait pas tort, qu'elle n'était pas qu'une idiote pour refuser de se conformer aux carcans humains. Et, aussi sûre d'elle qu'elle avait l'air, elle avait besoin de ce genre de petite confirmation. Il était la preuve qu'elle n'avait pas tort. Mais pour lui, ça n'était pas forcément une bonne nouvelle, évidemment. Elle ne le connaissait pas assez pour avoir de la peine pour lui, mais elle connaissait la sensation glaciale et brûlante de la trahison et surtout, elle savait ce que ça faisait de se retrouver soudain jeté dans ce monde par ceux-là mêmes qui l'avaient créée, sans plus aucun but, aucune raison, aucun mode d'emploi, sans plus aucune justification à sa propre existence. Et en ce qui la concernait, la nature l'avait sauvée, parce que la nature était chaotique et qu'elle n'avait pas toujours besoin d'une raison pour créer quelque chose. Mais pour un soldat... Comment donc un soldat pouvait-il trouver une raison de vivre et des justifications à tout ce qu'il avait commis une fois abandonné par ceux qui légitimaient son existence ? Elle n'en avait aucune idée et il était clair que lui était à l'agonie.

Alors voilà. Elle se réjouit, se retint de dire « je te l'avais bien dit », grâce aux quelques années qui avaient passé et au peu de maturité qu'elle avait acquis, puis... elle sentit cette sensation se dégonfler alors qu'elle réalisait qu'en vérité il n'y avait pas de quoi pavoiser. Désormais, il était comme elle. Abandonné. En trop dans ce monde. Unique en son genre, sans personne comme lui, sans personne pour le comprendre ou lui dire ce qu'il devait faire. Désormais, il n'avait plus qu'à errer sans but comme elle sur la terre, ou se laisser mourir dans un coin. Personne ne se souciait des gens comme eux, des gens en dehors des systèmes humains. Personne ne leur tendrait la main. Alors non, il n'y avait pas de quoi se réjouir. Quelques minutes encore auparavant, elle-même se traînait dans le parc en se demandant pour la énième fois ce qu'elle était censée faire de cette vie qu'on lui avait insufflée une vingtaine d'années auparavant. Doucement, presque avec méfiance, elle s'arracha de son tronc d'arbre, avança à quatre pattes sur la branche et étira le bras dans sa direction pour effleurer du bout des doigts la main qu'il lui tendait. « C'est vrai, j'ai de la chance. Je peux être seule tant que le Green reste avec moi. Mais toi, qu'est-ce que tu vas devenir ? » Elle sentait la sensation poisseuse et chimique lui chatouiller la peau, toutes les choses contre-natures, contre-humaines, même, dont son corps était fait. Pour elle, il était comme un déchet. Pas moralement, mais au sens littéral du terme. Il avait autant sa place parmi les hommes ou dans la nature qu'un baril de produits chimiques. Et il était devenu un rebut aux yeux mêmes de ceux qui avaient fait de lui ce qu'il était.

La colère flamba alors. Il était son parfait opposé en tant que créature et être vivant, elle comme une mare d'eau douce et lui comme une mare de pétrole, mais leurs destins semblaient se rejoindre malgré tout. Non seulement ils s'étaient servi de lui mais en plus, ils s'étaient servi de sa crédulité, de sa loyauté. Bien sûr, il avait eu tort de leur faire confiance. Mais elle aussi avait fait confiance au Parlement des arbres quand il s'était servi d'elle comme d'un serial killer. Quand ses parents l'avaient arrachées à l'influence du Parlement, ils avaient souhaité pour elle une vie normale, une vie apaisée. Elle, elle ne souhaitait pas du tout cela pour N° 1. Elle referma les doigts sur les siens avec violence, sachant qu'elle ne lui ferait pas mal. « Tu n'es pas en colère ? Tu ne veux pas leur faire payer ? Si j'étais toi, je les massacrerais. Tu as déjà tout perdu. Qu'au moins ce qu'ils ont fait de toi serve à quelque chose d'utile. Ça, ce serait logique. Venge-toi. Et si tu n'as pas envie de te venger, alors fais-le pour qu'ils ne fassent pas à d'autres ce qu'ils vous ont fait, à toi et à ta sœur. Et si tu te fiches de ça, alors prouve-leur par la terreur qu'ils ont eu tort. » Il l'avait dit lui-même. Il était un soldat, et les soldats se battaient pour une juste cause. Si la cause de ses patrons n'étaient pas juste, alors il pouvait en trouver une lui-même. Les frondaisons des arbres s'agitèrent doucement, comme un murmure étonné de cette présence chimique, dégénérescente, parmi eux. Mais Tefé n'était pas que nature. Qu'elle le veuille ou non, il y avait en elle aussi une peu de cette contre-nature, qui faisait qu'elle restait là, avec lui. « Comme ça, ton existence ne sera pas vaine. Comme ça, tu auras une raison de vivre encore quelque temps. Ensuite, tu pourras mourir, ou chercher un autre but. Ça, c'est une décision que tu peux prendre toi-même. » Il aurait fallu qu'il tombe sur quelqu'un d'autre qu'elle, quelqu'un qui aurait tenté de calmer les choses, qui lui aurait demandé de lui parler de sa sœur, qui lui aurait promis que tout allait s'arranger. Pas quelqu'un qui désirait pour lui, et un peu pour elle par procuration, la violence et la mort, et surtout la destruction des autres. Mais que restait-il dans ce monde pour lui ? Elle, elle n'aurait su dire. Une team de super-héros qui auraient accepté ce qu'il était ? Devenir un criminel ou un tyran ? Toutes ces choses étaient désespérément humaines, et lui, comme elle, étaient en dehors de ces choses-là.

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La question le gela sur place, c'était bien vrai ça, qu'allait-il devenir? Quelle place lui restait-il dans ce monde qui avait finit de le recracher après l'avoir mâché jusqu'à ce qu'il perdre toute substance? Il n'osait pas répondre, observant vaguement les vrilles courir sur sa peau comme des petits serpents, il se sentait plus que jamais au fond du trou, son esprit sonné par la réalité qui s'imposait. C'est à cet instant qu'il compris toute les ramifications, tout ce à quoi cela menait. Tefé était son total opposé, leurs naissances et leurs existences étaient aux antipodes, rien ne les liait vraiment, rien sauf peut-être le fait qu'ils aient été des instruments, des outils pour une guerre qu'ils n'avaient jamais demandés, tout deux avaient crus à cette cause, tout deux s'en libéreraient. Il comprenait cependant que si l'enfant de la nature pouvait jouir de sa liberté, son chemin le menait à la mort, il ne pouvait pas gagner contre ARGUS, les règles du jeu l'interdisait.

Bizarrement ça au moins ne le rendait pas triste, il trouvait étrangement une certaine paix dans tout ça, dans cette certitude absolue. La pression sur ses doigts, le sorti de sa contemplation, le regard de Tefé était hypnotique à cet instant, la flamme qui animait ses mots le transperçait avec toute la brutalité de leur évidence. Il avait été rejeté, on avait trahi sa confiance et son dévouement, on avait usé de lui comme d'un simple outil et il avait pensé que c'était une bonne chose, il s'était convaincu de tellement de mensonges, avait fait le mal en le pensant nécessaire tellement longtemps. et aujourd'hui, c'était ses frères et sa sœur qui étaient les cibles. Et ça, oui, ça l'énervait. La fille du Green venait d'allumer en lui un feu difficile à éteindre, si il avait déjà prévu de revoir sa sœur, il avait juste prévu de lui permettre de fuir, mais il devait faire mieux que ça, il devait empêcher Analia de tomber dans leurs griffes de manière définitive, il devait lutter contre le pouvoir d'ARGUS, il ne pouvait pas les faire tomber, mais il pouvait blesser la bête pour permettre à d'autres de fuir.

La suite de son discours scella sa détermination, il pouvait mourir, c'était quelque chose qui pouvait servir son objectif, la mort était acceptable si la récompense était à la hauteur. En sauvant Analia, il savait qu'elle pourrait sauver les autres, les retrouver, les réunir. Il eut un sourire en coin, la pression sur sa main ne le dérangeait pas, elle l'aidait à se concentrer, les yeux de Tefé étaient empreints d'une rage fervente, il ne lui avait même pas traversé l'esprit auparavant que son histoire puisse la toucher.

-Tu as raison.

Il avait fait preuve de lâcheté toutes ces années, ça aussi c'était la dure vérité, elle l'avait prévenu dans un sens lors de leur première rencontre, mais il n'avait pas compris.

-Et tu avait déjà raison la première fois, ARGUS est une organisation profondément mauvaise, il font du mal à ma famille, je ne vais pas les laisser faire.

Son sourire s'élargit un peu, il pouvait sentir l'excitation le gagner, il avait presque envie de crier un bon coup pour évacuer tout ça Tefé n'avait rien perdu de son aura en tout cas, elle avait le don de frapper juste avec lui, toujours, c'était sans doute pour ça qu'il l'appréciait. A vrai dire, il y as quelques secondes encore, il aurait put confondre ça avec des sentiments amoureux, il avait un peu honte de lui à présent, de sa naïveté. La vérité c'est que tout ça était lié à son admiration pour elle.

-Je pensait que je faisait quelque chose de bien en travaillant chez eux quand on s'est rencontrés, les gens du monde extérieur, ils m'ont trahis quand j'ai essayé de m'enfuir, ils m'ont utilisés, mais ARGUS aussi l'à fait, je ne suis pas comme eux, je ne l'ai jamais été. Toi non plus, mais toi tu as une place dans le monde et moi je n'en ais plus, ça veut dire que mon rôle touche à sa fin.

Il observa Tefé en coin avec une certaine malice dans le regard.

-Mais tu as raison, je dois faire en sorte que ça compte.

Il prit une grande inspiration, il se sentait déjà plus léger.

-Ca t'a fait quoi de te libérer?

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Non, elle avait tort. Elle faillit le lui dire, sauf qu'elle ne pouvait pas, parce qu'elle avait pensé chaque mot qu'elle lui avait balancé, en sachant très bien quel impact cela pouvait avoir sur lui à cet exact moment. Ce n'était pas parce qu'elle croyait en ce qu'elle disait qu'elle avait raison. Elle le vit sur son visage, dans son regard, le sentit contre sa peau alors que sa main frémissait dans la sienne. Ses mots l'avaient atteint, d'une façon ou d'une autre, de la façon qui lui convenait, à lui, et elle sut aussi que pour lui, probablement, la fin était proche. Alors, elle avait tort, en quelque sorte. Mais elle n'arrivait pas à regretter ses paroles, et elle n'avait pas envie de le convaincre de ne pas faire ce qu'il s'était décidé à faire, quoi que ce soit. Parce qu'elle aussi avait la rage. Pas seulement sa colère habituelle, mais celle qu'elle ressentait à cause de lui. Toujours, toujours, toujours, les humains se foutaient de leur gueule. L'histoire se répétait à chaque fois, elle ne se finissait jamais autrement, et génération après génération, année après année, il y avait des créatures comme eux pour leur servir de punching ball, et ça la rendait folle de rage. Alors elle avait tort, mais en même temps elle croyait en ce qu'elle disait, et elle n'essaya pas de le convaincre du contraire, et même si ça devait le mener à la mort, tout ce qu'elle espérait, elle, sans égard pour sa vie à lui, c'était qu'il les massacre. Le feu qu'elle ressentait était alimenté par celui qu'elle voyait animer peu à peu son regard. C'était probablement la pire chose qui ait pu arriver, qu'ils se rencontrent tous les deux maintenant. Pour les autres, et un peu pour eux aussi. Elle baissa les yeux sur la branche sur laquelle ils se tenaient. Sa place à elle ? Elle n'était pas sûre qu'elle la trouverait jamais. Mais elle était libre, elle. Elle pouvait se permettre de la chercher encore un peu. Sauf qu'elle savait que c'était peine perdue. Il avait bien plus de détermination qu'elle, en l'occurrence, qui se traînait sur la terre depuis des années sans avoir le courage de prendre une décision.

« Moi, je n'ai pas ma place parmi eux, mais je n'ai pas non plus ma place dans le Green. Il me tolère, et il ne demanderait sûrement rien de mieux que de m'accepter, mais ça... » Elle se frappa la poitrine du plat de la main avec une frustration enfantine. « Il est un peu comme le tien. Ce qui le souille, ce ne sont pas des produits chimiques, mais du sang bien humain, et une âme dont la nature n'a que faire. Je ne pourrai jamais vraiment revenir au Green. Je ne pourrai jamais redevenir celle que j'étais avant de naître. » Elle s'aperçut que ces mots, elle ne les avait dits à personne, pas même à son père. Cette terreur qu'elle refoulait depuis qu'elle s'était réveillé de son cauchemar Mary Conway, quand elle avait compris ce qu'elle était vraiment, comment elle était née et ce que ça signifiait pour elle le jour où elle mourait, son père qu'elle ne pourrait jamais retrouver, le Green lui-même qui continuerait d'exister sans elle... « Je vais mourir comme un humain, je vais pourrir et nourrir la terre, mais je ne retournerai jamais dans le Green, jamais. » Cela lui avait tellement pesé que ça, cet avenir, pour qu'elle balance tout comme ça à un quasi-inconnu sans plus pouvoir se contrôler, la voix tremblante, des larmes de rage dans les yeux ? Mais il allait mourir. Il le lui avait dit, c'était presque une promesse. Il allait mourir, et il emporterait ses mots dans la tombe, alors elle pouvait bien le lui dire. Et il pouvait bien comprendre, lui qui n'avait nulle part où aller non plus. C'était ça, leur vie. Seuls, et pire encore, avec quelques gens qui les aimaient dans ce monde, mais qu'ils ne pouvaient pas rejoindre, auprès de qui ils ne pouvaient pas vivre.

Elle releva les yeux sur lui et essuya ses larmes du bras d'un geste rageur tandis que de son autre main, elle pressa la sienne violemment. « Tue-les, tue-les tous. Pour qu'à chaque fois qu'ils referont ce qu'ils t'ont fait, ils se souviennent de toi. Il n'y a que comme ça que ta vie n'aura pas été vaine. S'il n'y a personne pour se souvenir de toi, ça sert à rien. Alors tue-les tous. » Sa voix s'était raffermie et si elle tremblait encore, c'était de colère, désormais. « Quand on s'est rencontrés, c'était facile pour moi de te dire ce que je t'ai dit, parce que j'ai été à ta place. Et quand j'ai été libre, c'est exactement ce que j'ai fait : je suis allée tuer ceux qui s'étaient servis de moi et qui avaient détruit ma vie. Mais après ça, il n'est resté plus rien. Il n'y avait plus rien. Alors si tu meurs, ce n'est pas grave. C'est tout aussi bien. C'est ça être libre. Si tu meurs, tu seras libre. Parce que moi, je ne suis pas sûre de m'être libérée de quoi que ce soit. » Après tout, elle était là, à errer, sans pouvoir trouver de but, sans obtenir de réponse, à être le témoin impuissant des mêmes cataclysmes, comme si en vérité elle avait encore huit ans et obéissait encore au Parlement des Arbres. Qu'est-ce qui avait changé entre hier et aujourd'hui ? Elle continuait de ne servir à rien et continuait de manquer de volonté, et ce depuis des années. Elle n'avait même pas le courage d'aller au massacre, elle, alors qu'elle en avait cent fois le pouvoir. Elle renifla, calmée. « Parle-moi de ta sœur. Si tu meurs, il faut que tu me parles d'elle, pour que je me souvienne de toi pas seulement comme le type louche qui s'est pointé un jour dans mon marais. » S'il mourait, il mourait comme elle mourait un jour, après tout. Il pourrirait dans la terre lui aussi et tout le monde s'en ficherait, alors c'était important, important désormais qu'elle se souvienne de lui.

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Seuls, des indésirables, voilà ce qu'ils étaient, des déchets, des outils jetables. N1 était désormais coupé des siens, et ça le tuait chaque jour un peu plus, pourquoi ne pas faire ce que disait Tefé? Qui étaient-ils pour décider de ce qu'il était? Qui étaient-ils pour juger de sa valeur? La rage le consumait, brasier ardent alimenté par le souffle de Tefé, il n'avait pas imaginé un seul instant lui ressembler sur ce point. La voir ainsi vulnérable, partageant des pensées sombres et effrayantes sur son propre avenir perchée avec lui en haut de cet arbre, elle qui d'habitude était l'incarnation d'une assurance et d'une indépendance qu'il fantasmait, il se rendait compte aussi du pris qu'il lui faudrait payer pour avoir défié ses créateurs, de la terrible sentence qui pesait désormais sur lui, il était prêt à l'affronter, il était prêt à tous les tuer, même si il y trouvait la mort, même si il n'irait pas jusqu'au bout, il donnerait une leçon à Waller, à ARGUS, à ce pays et au monde. Il crierait son existence et rendrait son dernier souffle en guerrier, il en avait la conviction, l'idée le plongeait même dans un état d'esprit presque fanatique, si il pouvait accomplir le souhait de Tefé et n'avoir aucun regret, il était heureux de le faire, il donnait sans hésitation son existence à cet objectif, ils se souviendraient de lui, jamais ils n'oublieraient le mal qu'ils lui avait infligé. Il ne put s'empêcher lui aussi de pleurer de rage, alors qu'en cet instant, pour la première fois de sa vie, il sentait qu'une autre personne partageait entièrement sa peine, qu'elle comprenait qui il était.

-Merci.

Ce fut les seuls mots qui parvinrent à quitter sa gorge serrée par la douleur. Son âme était en feu, son cœur était percé de milles aiguilles, son sang était comme de l'acide dans ses veines, son souffle était comme chargé de particules. Il planta son regard dans le sien, cela pouvait sembler primaire comme instinct, mais à l'instant, ce regard chargé d'une haine similaire à la sienne était d'un important réconfort, il y trouvait la force de continuer à penser normalement, de ne pas laisser son esprit vagabonder sur autre chose que son objectif. La mission qu'il s'imposait désormais, la destruction d'ARGUS. Pour Tefé et pour lui, pour ses frères et sa sœur, il réduirait tout ce qu'il pourrait en cendre, il avait besoin d'un bon plan, il aurait besoin d'un peu de temps, mais il pouvait réussir, car jamais son ennemi ne verrait venir sa trahison. Dans un sens toute sa souffrance allait trouver un but, une fin, et c'était sans doute mieux qu'il n'aurait put demander avant ça, bien plus qu'il n'aurait put même l'envisager. Peu importait quel destin étrange avait lié leurs existences, c'était sans doute pour le mieux car l'enfant du Green donnait à l'enfant terrible les armes dont il avait besoin pour se relever et faire face. Il ne lâchait pas Tefé du regard.

-Analia est une fille extraordinaire, au tempérament fort et à la gentillesse infinie. Elle as le don de m'atteindre, de me remuer, de me provoquer, j'ai toujours pensé que je détestait ça, j'ai voulu la museler, mais elle trouve toujours le moyen de me pousser à user du meilleur de moi. Dans le fond, elle ne m'a jamais compris, mais elle m'a toujours bien opposé, ça me manque, elle me manque.

Il baissa le yeux, oui, elle lui manquait cruellement, il avait causé en grande partie son départ, mais il savait qu'au fond d'elle, elle aimait toujours les siens.

-C'est une bonne personne, plus que je ne l'ai jamais été, plus que je ne le serait jamais, j'ai toujours dit que j'était prêt à mourir pour elle ou un de mes frères, il est temps de le faire.

Un sourire en coin illumina légèrement son expression.

-Encore merci Mary, c'est la deuxième fois que tu me sauve la vie. J'espère cette fois-ci en faire meilleur usage.

Mary, ainsi s'était-elle présentée lors de leur première rencontre, elle lui avait aussi dit de ne pas la dessiner, mais il devait reconnaître que cette promesse là il ne l'avait pas tenue, les yeux sauvages et déterminés alors de la fille de la sylve noircissaient nombres de pages de ses carnets de dessin, le regard d'un prédateur, de la fille qu'il avait pensé aimé, mais qu'il n'avait qu'envié et admiré. Il sortit son calepin et le lui donna, il n'y avait pas dessiné que celà bien sûr, il y avait des animaux en tout genre, des visages, des paysages, toutes ces choses qu'il avait toujours adoré.

-Si tu croises ma sœur un jour, donne lui ça, elle saura que tu es mon amie.

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S'il avait été humain, rien qu'humain, elle aurait pu, peut-être, sentir ce lien qui l'unissait malgré elle à l'humanité à travers le Red, et à travers, tout simplement, sa propre chair humaine, sa propre âme humaine. Mais ce qu'elle sentait en lui, physiquement, ce n'était que du poison, quelque chose qui pour elle, métaphoriquement, s'apparentait à de la pourriture, à de la gangrène. Il était au-delà de l'humanité et au-delà de la nature, Red ou Green. Elle ne voyait pas quelle place il pouvait avoir dans ce monde qui n'était pas fait pour accueillir un être comme lui. Mais malgré tout ça, à la seconde où il releva la tête pour planter ses yeux dans les siens, elle sentit une connexion se faire, unique, comme si à eux deux ils créaient un nouveau royaume. Pas le Green, pas l'humanité, quelque chose en dehors de ces choses-là, quelque chose de sauvage, de tordu, de violent, mais qui leur ouvrait les bras, le royaume des rejetés, des êtres uniques au monde dont personne ne voulait, un endroit spirituel qui permettait à la chair inhumaine comme au sang souillé de se réfugier et de se reposer. Un royaume éphémère qui ne durerait que le temps de quelques minutes avant que chacun reprenne leur route, lui vers la mort, elle vers le néant, mais malgré tout leur royaume à eux, qui défiait tout et tout le monde, dont ils étaient les deux seuls sujets, les deux seuls régents et les deux seuls avatars. Tout était dit et rien ne serait retiré. Elle ne le retiendrait certainement pas et lui n'hésiterait pas une seconde de plus. C'était le résultat final de leur rencontre des années plus tôt, quand ils étaient l'un et l'autre encore certains de leur bon droit à être là, dans ce monde.

Alors elle ne dit plus rien et écouta les paroles de N°1. Elle s'appelait Analia et elle semblait être la dernière chose, la seule chose qui aurait pu le faire vaciller encore, mais en fait non, pas une seule fois il ne sembla regretter son choix. Pourtant c'était pour ces gens-là qu'on trouvait des fois la force de vivre encore un peu, la famille, les amis, les gens qu'on était censé aimer. Mais ce n'était pas juste pour mourir qu'il avait décidé de mourir, ce n'était pas aussi stupide que ça, c'était pour autre chose. Tefé était quasi sûre que sa sœur aurait probablement préféré qu'il ne meurt pas pour elle, mais elle n'était pas là. Apparemment, elle n'était plus là, ou en tout cas ils s'étaient séparés. Alors l'élémentaire s'appliqua à retenir tout ce qu'il racontait, au cas où un jour il croiserait cette fille, pour lui expliquer, lui dire de ne pas en vouloir à N°1, que la vie qu'il avait décidé d'abandonner aujourd'hui n'était pas si précieuse que ça en l'état et qu'il le faisait pour atteindre autre chose, pour prendre une autre voix et, du point de vue de la nature, pour entamer un nouveau cycle d'existence. Elle laissa échapper un rire bref quand il la remercia. « Je ne m'appelle plus Mary. Mary, c'était la fille que tu as rencontrée la première fois, en quelque sorte. Mon vrai nom, c'est Tefé. » Et il l'emporterait avec lui dans la tombe.

Elle se saisit de la feuille qu'il lui tendait et, tel un animal, mit une seconde avant de reconnaître le dessin, et l'observa avec méfiance, et un peu de doute. Puis elle sourit, satisfaite, et le fourra sous ses vêtements. « Si c'est comme ça que tu vois le monde, alors tu es bien meilleur que la plupart des gens. » Elle se releva sur la branche et hocha la tête. Ils avaient scellé un genre de serment. Elle avait la partie facile et solitaire. Lui avait la partie difficile et potentiellement salvatrice. « Je lui expliquerai. Si je la croise, je lui parlerai de toi comme tu m'as parlé d'elle. » Et elle comprendrait ou pas, elle pardonnerait ou pas, peu importait à Tefé, tant que le message passerait, de la même façon que lui s'apprêtait à faire passer un autre genre de message à ses ennemis. S'il avait appartenu à un des royaumes de la nature, on aurait été fiers de lui, il se serait comportés en vrai élémentaire. Eh bien, il serait un soldat de leur royaume éphémère, qui s'achevait là où il avait commencé, ici et maintenant, alors qu'ils se séparaient pour la dernière fois.

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En cette nuit, il était reforgé par les mots de Tefé, par la main hasardeuse du destin, par un milliards de hasards qui en cet instant donnaient un sens à sa vie. Il n'aimait pas Tefé, mais elle était son amie, le seul autre être capable d'entièrement le comprendre, la seule personne qui pouvait le guider en cet instant, lui donner ce dont il avait besoin, ressentir une dernière fois ce lien étrange entre eux, cette polarité opposée qui finit par étrangement les rapprocher au delà de ce beaucoup de sentiments pourraient décrire, une compréhension mutuelle. Hors du monde, hors des règles et des codes, des cases, voilà ce qu'ils sont, des clé à molette dans les engrenages du monde. Alors il compte bien faire un maximum du dégâts, par ce que ils ne pourront jamais lui retirer ce qu'il partage avec elle, un lien particulier, mais indestructible. Le dernier cadeau qu'elle lui fait est son nom, celui qu'elle as décidé de porter, il le répète quelques fois dans son esprit, il aurait sans doute aimé la rencontrer plus tôt, mais comme souvent les étoiles ne se sont pas alignées, leurs destins étaient trop éloignés, au final il as eut de la chance de seulement la rencontrer, de pouvoir profiter de sa présence, le temps que cela a duré. Il est heureux d'avoir eut une amie.

Chacun de ses mouvements alors qu'elle commence à partir est une image qu'il grave dans son esprit, il ne veux pas oublier, il ne pourrait pas de toute manière, car il est hanté par elle depuis leur première rencontre, il a été travaillé par ce qu'il as entendu et vu ce jour là, subjugué sans le savoir par les mots d'une personne qui partageait son histoire. Les deux faces tordues, griffées et méconnaissables d'une pièce difforme, non, il n'oublierait pas ce qu'il avait gagné ce soir, la force nouvelle qui l'habitait grâce à elle. Les paroles de Tefé étaient devenus évangile à présent, il savait que à travers elle il avait eut un impact positif, laissé une bonne image, un bon souvenir, il n'était pas un monstre, c'était les autres qui avaient tenté de le lui faire croire, mais il se décidait à leur offrir ce qu'ils voulaient, ce qu'ils avaient appellé dans leurs cauchemars, il serait l'avatar de leurs peurs les plus profondes, l'ange vengeur. Tue-les tous! Pour briser ses chaînes, pour offrir la liberté aux siens, il devrait faire couler le sang de ses ennemis, et le sang coulerait.

Ses pieds retrouvèrent la terre ferme, Tefé avait déjà disparu, il était désormais seul, seul face à la tâche qui l'attendait, la mort était au bout du chemin, mais il se sentait étrangement purifié, prêt à affronter tout ce qui pouvait bien venir à lui. Il était temps, temps d'accomplir son destin. Son pas déterminé était le pas d'un condamné à mort, mais de celui qui as accepté son destin, qui marche la tête haute vers une fin inéluctable et préméditée, tout sentiment de peur ou de colère effacé, l'esprit simplement serein, apaisé.

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