[I]
« Daniel ! » L’enfant sursauta, muscles tendus et recroquevillé sur lui-même. Son cœur s’était mit à battre fort sous sa cage thoracique, trop peut-être. Il avait mal. Une inspiration profonde alors qu’il se décide enfin à lâcher le crayon qu’il avait serré fort entre ses doigts.
C’est pas lui. C’est pas… C’est pas papa.
Ravale sa salive. Il ne le reverra plus. Plus jamais. À cause de lui, il ne pourra plus revoir sa grande soeur… plus comme avant. Plus rien ne sera comme avant. Daniel était à nouveau perdu dans ses pensées, se torturant l’esprit, les images tournant en boucle dans sa tête. Il se souvient de chaque mot, chaque geste, chaque détail. Souvent, il n’en dort pas. Faire revenir les grillons ? Impensable. Puisqu’inconsciemment, il n’ose pas en parler pour une seule raison : la peur de revivre cette
nuit-là, sans réussir à en revenir indemne une énième fois. Alors, comme une conséquence évidente, des cernes se creusent sous ses yeux et son esprit s’égare davantage. Il a quelqu’un à qui parler mais ne réussit pas à vomir son malêtre. Trop tôt.
La voix du pasteur résonne à nouveau, et le surprend une nouvelle fois.
« Daniel, le repas est prêt ! »Rockwell n’y songeait pas les premiers temps, il ne voyait pas. À quel point une seule voix haute et masculine pouvait l’effrayer. Cet homme plein de bonté, fervent croyant, avait accompli l’œuvre de sa vie en le prenant sous son aile. Ça fait deux mois que c’est officiel, que Jasper est son tuteur légal.
Déjà.
C’est trop près encore, trop loin à la fois. Il veut repousser ces souvenirs mais ils reviennent à lui. Ses tourments lui menaient la vie dure. Daniel est fragile psychologiquement.
Il se lève doucement du sol et regarde brièvement autour de lui. La décoration est simple mais réussit à dégager un peu de chaleur. Rockwell avait une femme, avant. On le lui a arraché il y a quatre ans, dans un accident de voiture tragique. Il aurait dû être avec elle ce soir-là. Sa peine, Daniel la ressent à chaque fois qu’il fait courir ses yeux sur le buffet du salon, là où Jasper a établi un modeste autel en son honneur. À chaque fois de l’emmener à l’école, il tripote l’une des perles du collier installé sur le cadre photo.
Même ici, il n’aura jamais eu droit à l’illusion d’avoir une mère.
Seulement un fantôme. Et les fantômes, ils servent à rien. Ils hantent les vivants, c’est tout.
Deux coups légers sur la porte de la chambre.
« Daniel ? » La silhouette du quarantenaire s’impose dans l’embrasure de la porte qu’il élargit. À sa vue, l’homme à la chemise blanche immaculée lui offre un sourire.
« Est-ce que ça va ? » et sans réfléchir, l’enfant acquiesce, toutefois incapable de lui rendre son rictus sincère. À nouveau il ravale un peu sa salive.
« Tu es sûr ? » et après un léger moment d’absence, il réitère son geste en s’approchant de ladite porte. Ce qu’on a dit à Jasper, c’est que le manque flagrant de communication de Daniel est ‘normal’. Ce ‘on’, c’est cette psychologue qu’il était obligé d’aller consulter. Dix séances. Avec un meuble. Ou plutôt deux.
« Bon. Tu pourras continuer de dessiner après si tu veux. Mais avant, un Chili nous attend. » il se garda de frotter affectueusement le crâne nappé d’une tignasse brune, conscient que ce contact ne lui plairait sans doute pas.
Encore trop tôt. Daniel passe à côté du buffet et le regarde. Ou plutôt
la. À chaque fois.
La mort. L’absence. Est-ce que sa mère l’aurait aimé, elle ? Bien sûr, puisque son père ne l’aurait pas accusé de son décès. Ou peut-être pas. Peut-être n’aurait-il jamais été heureux. Alors qu’il s’installe à cette table qui peine encore à lui devenir familière, il se revoit dans la cour de récréation, à voir ses camarades repartir à la main d’une grande dame. Souvent, on sait reconnaître qui est la maman de qui. Ils se ressemblent, sourient à l’unisson. Les gamins peuvent être des petits diables, leur mère ne cessera probablement jamais de les aimer.
Les haricots rouges baignant dans une sauce brune relevée dégoulinent de la spatule qui le sert. Les yeux rivés sur son assiette, l’esprit ailleurs. Daniel voit tout ce blanc neige se faire dévorer par la masse brûlante et sombre du Chili.
Tiens ? De la lumière. Il aperçoit un grain de maïs… deux.
« Merci. » dit-il en ne levant pas les yeux vers le concerné. Le gamin était déjà en train de déplacer la bouillie avec sa grosse cuillère, cherchant encore un peu d’espoir coloré dans son plat.
« C’est très chaud, fais attention. Souffle bien dessus. » Je sais qu’il faut souffler dessus. Pense t-il. Ça l’a piqué.
Je suis pas débile. Et inspire un peu d’air par le nez. Les billes sombres du cadet West sont toujours plantées sur son plat. Jasper y ajoute du riz.
« Tu as fait quoi aujourd’hui à l’éc- » « Ça fait quoi d’avoir une maman ? », le coupe t-il.
Le geste de l’adulte se met en suspens, avant de finir un peu plus lentement. Il se servit après lui, semblant réfléchir à la réponse.
« Une maman… » et Jasper soupire doucement, ce même sourire chaleureux accroché aux lèvres.
« Sache qu’il n’y a jamais d’amour plus pur que celui d’une mère. » Il a l’air d’y croire.
« Une maman, c’est celle qui te soutiens, te prodigue de l’amour dans les bons comme les mauvais moments. » De
vraiment y croire.
« Elle t’a donné la vie et tu peux la remercier de t’avoir offert un tel cadeau. Sans son courage tu ne serais pas là en train de déguster ce super Chili ! » Vraiment beaucoup.L’atmosphère générale change imperceptiblement.
« Ta mère est là, Daniel. Elle ne t’a jamais quitté. » Là ? où ça ? ses yeux s’ouvrent un peu plus alors qu’il cherche un indice dans les éléments de décor. L’approche de la spiritualité est complexe, et il n’est pas sûr d’appréhender correctement la chose. Si jeune, comment pourrait-il en être autrement ? Là où des enfants allaient à la messe le dimanche, lui se revoyait le passer dehors pour éviter que le père ne s’énerve sur autre chose que la télévision. Mais malgré ça, il revenait toujours trop
tard à son goût.
« Si elle est là, pourquoi elle me parle pas ? » et si elle a toujours été là, pourquoi elle n’a jamais rien fait pour l’aider, lui et Iris ? C’est pas juste.
Tout ça n’est
pas juste.
Le mioche défia le fantôme de sa mère :
Daniel mit une bouchée dans sa bouche sans souffler dessus.
Pas là. Elle n’a jamais été là. Et si Jasper lui mentait ?
Une petite larme au coin de l’œil. Il s’est brûlé.
Tout seul.
[II]
We’ll cut a frowny face in your chest, little wench
I’m unmentionably fresh, I’m a mensch, get correct —
I’ll walk into a court while erect, screaming « Yes! I’m guilty motherfuckers,
I am death! »Juin 2013.
Reste :
3 ans.
9 mois.
J’ai perdu une molaire à cause d’un afro qui a mal prit le fait que je lui pique sa place aux chiottes.
En fait, je l’ai perdue parce que je lui ai foutu un cadavre de rat sur la gueule pendant qu’il était en train de chier, justement. Qu’un de ses chiens m’a vu. Qu’il a rapporté, puisqu’il sait faire que sucer. Et qu’il est venu me trouver pour m’en coller une. J’ai pas le fric pour me la faire remplacer, ni même pour acheter suffisamment de métal pour faire un implant et me la visser moi-même.
Je plaisante. J’aurais jamais fait un truc pareil.
Ou peut-être que si en fait.
J’entends la voix de ce type, là. Ça hurle comme une alarme dans ma tête… ou plutôt comme un veau qu’on égorgerait. Rien de très apprécié. Le peu de moment de paix que je peux m’octroyer, il est toujours là se la ramener. Box voisin. Les voisins qui, par définition, sont chiants à souhait. Il ne fait pas exception à cette règle antique.
Il est arrivé il y a trois semaines ; deux jours. Il s’écoute parler. Quand il parle, bla, bla, bla, bla, j’entends que lui. Même le brouhaha semble être plus agréable qu’une seule note crachée par ses cordes vocales. J’ai envie de me le faire. Ça fait deux semaines que j’ai envie de me le faire. Deux semaines et un jour, là où il a jugé bon de venir me trouver pour « s’informer ».
Wow. T'as vraiment cru que j'étais Google ou quoi ? Ça, c’est ce que je lui ai dit. Mais ce que j’aurais dû faire, je vais le faire aujourd’hui.
Ça c’était le truc qui voulait dire «
c’est qui le chef ici ». Histoire de ne pas pisser dans le mauvais bol dès le premier jour. Avant qu’il ne s’adresse à moi, j’aurais jamais cru imaginer qu’il puisse être aussi insupportable. Mais il m’a gavé dès les premiers mots. Et ce con a encore toutes ses dents.
Lui.
Gomez. Felipe Gomez. Fallait que ce soit un mexicain. Vous savez quoi ? Même ça, ça m’étonne pas. Ils ont un talent fou pour me les briser.
Ça fait dix bonnes minutes que je le fixe.
« Le gringo il te regarde de traviole. »« Hm ? Lequel ? »Son binôme me désigne du menton. Je suis perdu dans la masse d’un petit groupe de « gringo », comme il dit. Bien sûr que c’est le ghetto… bienvenue aux Etats-Unis d’Amérique !
Et comme une évidence, il se leva, bombant le torse.
OH-OH-OH ! Ça va pas s’passer comme ça mon bon Jimmy ! raillai-je sur mon plan interne alors qu’il remontait jusqu’à moi.
J’ai un tattoo de la Santa Muerte sur le cul hijo, j’peux te poursuivre jusqu’en enfer ! C’est que j’esquisse les prémices d’un rictus, rendant mes traits presque plus durs qu’ils ne l’étaient déjà.
« Jusqu’en enfer… » répétai-je dans ma barbe. On y est pas déjà ? On m’aurait menti ?
« Quoi ? Qu’est-ce que t’as dit ? » m’agresse t-il alors que je me redresse dans un soupir. L’attention de mes comparses blancs est retenue.
« T’as un problème, West ? » fait Sean.
Ouais. Sa gueule encore entre ces murs, avec toutes ses dents. Je préfère encore aller au trou une semaine plutôt que de continuer à croiser cette face de gorille décérébré une seconde de plus. « C’est ça ton petit nom ? West ? » rebondit Gomez, grognant à nouveau.
« T’as perdu ta langue ou quoi ? » Non, en fait, s’il se taisait, je pourrais en placer une. Des aveux dans un nouveau soupir.
« Toi. J’t’aime pas. » lui lançai-je, répondant aux deux d’un seul jet. Un seul jet qui tira la sonnette d’alarme chez quelques uns de mes co-détenus. Gomez s’approcha de moi, me foudroyant du regard.
« Bah alors ? T’as perdu tes couilles ou quoi ? » et lui sourit. Le sourire de trop, puisqu’il m’envoya son poing dans la figure. On a fini l’un sur l’autre à se rouer de coups.
Ma peine a été rallongée de 3 mois et j’ai fini au trou.
Mais j’ai réussi à lui péter deux dents au chicano.
J’en ai même gardé une pour pas me faire complètement chier là-bas.
Puis ça agrandira le jeu d'osselets que j'ai commencé faire.
[III]
J’ai changé…
C’est le genre de conneries qu’on raconte à son psy pour espérer faire quelques économies. D’énergie, de temps, de fric. Encore une chance que j’ai pu avoir l’air
normal en sortant, ils m’auraient encore greffé un
spécialiste sur le dos. La prison c’est dur. La prison c’est pas l’école de la vie, c’est l’enfer sur Terre. Pris au piège, impuissant face à la marée imprévisible du destin. On ne sait jamais qui va vous frapper cette fois, ou si ce mec sympa qui vous a parlé hier voudra pas vous chier à la raie le lendemain. Stop, attendez une minute les gars, je vais vous présenter mon père.
En fait, j’ai pas vraiment eu le temps de quoi que ce soit. À peine sorti, je me suis fait marave. Tu sors du ring pour aller piétiner celui d’à côté. J’ai cru que le destin s’acharnait, et puis il m’est arrivé « ça ». Cet espèce de miracle qu’on espère plus mais qui vous tombe sur la gueule au moment où on s’y attend le moins. On aurait dû canoniser ce monorail, c’est moi qui vous le dit.
Ce que je suis en train de faire ? Servir une bonne femme qui préfère regarder son smartphone plutôt que de vérifier le compteur qui défile sur la pompe à essence. Ça fait un moment qu’il fait nuit et ça ne l’a visiblement pas arrêté. Trop de chose à dire, avec une vie merdique comme la sienne. Un compte rempli, une Chevrolet dernier cri et des pompes qui valent plus cher que mon loyer. Elle est quand même sacrément laide une fois la lumière de son écran sur la face…
Et vous savez quoi ? Je vais faire dépasser les $30 dollars qu’elle demandait de son ton condescendant. Faire un petit plein, là, tranquille. Je parie une margherita qu’elle le remarquera même pas. C’est vrai quoi, ça lui crèverait pas le cul un bonjour ? Dire bonjour, j’ai connu pire comme sévices. Ah… mais attends, qu’est-ce que je suis con ! Je suis rien.
Hey. Je crois même qu’elle a un pois chiche dans la tête, elle veut téléphoner. J’ai envie de lui dire de dégager plus loin (bien plus loin) pour faire ça, mais elle va devoir filer quelques billets. Là, tout de suite. Parce que je viens de finir. Je l’interpelle, je crève sa bulle, elle finit par s’exécuter, l’air ailleurs. À tel point qu’elle ne percute pas qu’elle avait demandé pour trente en arrivant. Je lui adresse un sourire commercial - faux, comme la plupart - et soupire d’aise. Ce soir au menu, c’est Margherita. Non,
deux. Je suis brièvement du regard les deux néons rougeoyants qui s’éloignent en vitesse. Même avec la crainte que la Terre ne soit détruite ou assiégée, ils continuent à remplir leur réservoir. Et dans un coin de ma tête, je me demande si je ne devrais pas entasser des boîtes de raviolis sous mon plumard pour espérer survivre lorsque le Syndicat se décidera à nous faire bouffer des vers.
J’ai faim.
Je m’engouffre à l’intérieur de la boutique de la station service. À peine entré, j’entends Lydia en train de renifler bruyamment, l’œil rivé sur l’écran des caméras. Ce n’est qu’un prétexte pour avoir l’air occupée j’imagine, elle se tripotait une mèche de cheveux et remuait sa jambe nerveusement. Depuis que des tsunamis avaient frappé les côtes du pays, (y en avait que pour Metropolis d’ailleurs), elle avait l’air d’une baleine échouée. Sur le comptoir et sans eau. Sauf sur le visage, on est d’accord. Sauf que nous, on est au beau milieu des terres, on a été épargné par les raz de marées. Par le reste pas vraiment…
Quand elle me voit arriver, elle baisse un peu la tête. Je fais mine de n’avoir rien remarqué et vais me servir un fond de café. C’est vrai, j’ai dit que j’avais faim, pas soif, mais c’est pour passer le temps. Et faire diversion.
Je reviens dans la cage aux lions et un type vient de rentrer. Il vient chercher un paquet de clopes et repart. Il a louché sur Lydia. C’est pas comme si elle était franchement discrète aujourd’hui.
M’approchant, j’en fronce un peu les sourcils et, puisque c’est toujours plus fort que moi, lui demande.
« Hey. Ça va ? » et accrochant ses prunelles.
« Hein ? et me regarde l’air étonnée,
Oui… oui, ça va. Merci. » Elle renifle à nouveau, passe une main dans ses cheveux en tentant de faire barrage - mais surtout, balayer la question. C’est sûr que je suis pas forcément le premier à qui elle penserait pour lui remonter le moral. Le fait est qu’elle me dit que ça va et ce n’est pas le cas. Une nana, quoi.
« Ça doit être une grosse poussière que t’as dans l’œil alors. Faudrait p’têt penser à aller consulter. » lui dis-je en m’installant face à elle sur une des chaises hautes qui traînaient habituellement derrière son comptoir. Léger silence. Elle soupire en se passant quelques doigts sous l’œil droit.
« T’es vraiment trop con, West… » et j’haussai les épaules.
« Si tu mentais pas on en serait pas là. » Et en plus de ça, tu fais terriblement pitié à voir. Comme si elle avait entendu ce que j’avais pu souffler sur mon plan interne, elle se mit à sangloter un peu plus, me fuyant du regard.
« …me regarde pas comme ça ! » « Ça va, faut bien que je m’occupe, le café est encore chaud… » me défendis-je en levant un peu le gobelet bouillant à hauteur de visage. J’avais laissé échapper ledit regard, qui vint s’échouer par delà la baie vitrée bouffée par les stickers publicitaires en tous genre. Une nuit longue et pénible. Tous les gens sont à la masse ou sur les nerfs, depuis. Et moi, avec tout ça, je sens que le temps me file entre les doigts. Je crois…qu’il faut que j’aille retrouver Iris. Parce que cette fois-ci, ça pourrait être la bonne. Il faut que je lui dise qu’on sera bientôt libéré de
tout ça. Que ce sera bientôt terminé.
Le temps qui court…
Il faut que je le rattrape.Mon index tapote nerveusement le comptoir depuis deux bonnes minutes. Frénétiquement.
Et le temps perdu…
Que je le regagne.Réécrire l’histoire. Qui sait, peut-être toute cette merde aussi ne serait jamais arrivée. Et que Lydia n'aurait jamais pleuré si tôt sa mère.
Au moins elle en a eu une.
Elle.
Sans crier gare, je reportai mon attention sur elle, ces quelques mots à la bouche.
« Non, sérieux, qu’est-ce que t’as ? » et ajoute.
« Tu vas faire fuir les clients avec ton look panda, là. » un peu trop direct. Elle se referme et peine à me foudroyer du regard.
« C’est quand même mieux que ce soit moi qui te le dise plutôt que le boss, tu crois pas ? » Je marque un point. Elle aussi l’a comprit. Ses épaules s’affaissent et elle tente de reprendre contenance. Après de longues secondes à rester muette, la rouquine fait une première tentative…
« C’est……… c’est compliqué… » j’ai l’impression de perdre mon temps, c’est ahurissant. C’est pourquoi j’avais balancé aussitôt.
« Une des vagues alors ? C’était qui, toi ? » sa bouche forme un ‘o’ silencieux et mordille ses lèvres. Ses traits pigmenté de rouge se froissent. Elle se remet à pleurer. Lydia croira peut-être que j’ai perdu quelqu’un aussi à cause de ça. Ou plutôt d’eux.
J’étais là à faire un décompte dans ma tête pour l’abandon de cette quête misérable, lorsqu’elle se remit à parler, un aveu au bout des lèvres.
« M-Ma… ma mère… c’était… c’était à M-Metrop-polis… » « Je savais pas… » …que t’étais originaire de Metropolis. Grosse déception pour le coup.
« Mon p-père a d-d-disparu et puis… m-ma petite s-soeur… je sais p-p-pas comment ils v-vont… c-c’est… » Y a plus qu'à prier pour que son père soit une vieille raclure et sa sœur une vendue.
« C’est injuste, ouais. » dis-je en baissant un peu les yeux. Les dépressifs pleuvent depuis que le Syndicat est arrivé sur Terre, mais moi j’ai encore l’espoir de pouvoir retourner au pays d’autrefois. Lydia se sent seule. Moi aussi je me sens seul. Et de toute façon, on l’est tous. Seuls et tristes. Seuls et condamnés. Avec des vies qui ne nous appartiennent plus. Des vies placées entre les mains de « nobles super-slibards » qui sauront toujours mieux y faire que toi.
« Désolé. Si t’as besoin de parler, n’hésites pas. » en temps normal elle ne m’aurait pas cru, mais son état fait qu’elle le fera certainement.
Ou alors, va te payer un psy avec son héritage. Profites-en, toi tu peux encore en avoir un. Je pris une première gorgée de café,
« Merci Daniel… c’est gentil qu- », avec laquelle je me
brûlai la langue.
« Putain de merde ! » jurai-je sans détours, la coupant dans son élan. Je passai une main nerveuse sur mon visage en continuant de grommeler des insanités.
Idiot. Idiot.Lydia resta silencieuse, surprise et décontenancée par ma réaction.
« Ç-Ça va ? » « Mais oui, bien sûr que ça va ! » râlai-je, sec à souhait. Je pris le gobelet, me levai d’un bond et fila jusqu’à la machine.
« Qu’est-ce que tu f… » crus-je entendre dans mon dos, plus loin. Je venais de balancer ledit café dans la poubelle avant de broyer le gobelet entre mes doigts. J’en fis autant avec son cadavre, l’air excédé. Les gouttes du nectar noir avaient imprégné ma main, que j’avais essuyée négligemment sur le tissu de mon jean.
La même main. La même balafre qui me regarde avec un sourire. J’enfonce mes dents dans cette langue qui me fait mal, sur les nerfs. J’attrape un paquet de mouchoirs de l’autre et bouge ma carcasse jusqu’au comptoir.
Le café. Je
déteste le café. Café de
merde.
Toujours ce
putain de café !
Je reviens vers elle. Ravale un peu sa salive et réitère, la voix brisée. Les rôles sont intervertis, j'aime encore moins ça.
« …t’es sûr que ça va ? » et lui lançai le paquet de mouchoirs, qu’elle réceptionna en catastrophe. Je tentai de me calmer.
« Tiens, » « Merc-… » et poussai la porte de la boutique non pas pour aller accompagner le second pompiste, mais pour aller m’en fumer une derrière. Une minute et treize secondes.
J’ai pas encore suffisamment changé.
Pas assez. Pour
elle.
Mais ça viendra.
Quand j’en aurais absorbé suffisamment, tout ira mieux.
Tout ira bien.