On ne peut rester tendre éternellement [Kory Anders]

La nuit, selon certaines personnes, c'est fait pour dormir. Pour se reposer. Pour récupérer d'une longue journée de labeur où l'on a durement trimé pour gagner de quoi vivre, payer son loyer, se nourrir, et tout le reste. Sauf que ... Sauf que c'était un concept, tout ça, non ? En fait, les gens étaient bien libres d'agir comme ils le voulaient, et de suivre leurs propres règles de vie. Et encore valait-il mieux qu'il en soit ainsi ! De toute façon, chacun avait ses particularités, et il serait bête et stupide de vouloir les gommer, ou, pire, d'exiger qu'elles soient effacées. Être différent les uns des autres, c'était bien ça qui contribuait à faire le sel de la vie et à pimenter les choses, n'est-ce pas ? Et puis, bon, elle, elle était sans doute tout autant oiseau de nuit que oiseau de jour, comme on dit, pour peu que cette expression signifie vraiment quelque chose. Et puis, il y avait aussi le fait que, merci mais non merci, elle ne manquait absolument pas d'argent ! Elle avait signé de beaux contrats de mannequinat et de publicité, et avait eu la lueur d'esprit de préférer la négociation de royalties sur la vente des produits auxquels elle prêtait son image plutôt que de vouloir directement encaisser une coquette somme d'argent en guise de gage. Et puis, ce n'était pas comme si elle avait à payer un loyer, puisqu'elle vivait à la Tour. Pareil, elle n'avait pas à directement financer sa nourriture, et elle ne sentait planer au-dessus de sa tête aucun risque de se faire couper l'eau ou l'électricité ... Et puis, pouvait-on encore réellement à s'accrocher à ces concepts de nuit et de jour, là, en ce moment, alors que la Lune ne décroissait plus depuis déjà de trop nombreux mois, et qu'elle continuait de monopoliser le firmament des cieux au lieu de laisser le Soleil revenir à son zénith. Enfin ... Disons plutôt qu'elle n'était en rien responsable de tout ça. Derrière cette réalité pernicieuse, c'était bien le Syndicat qui se cachait.

Le Syndicat ... Un plan avait été trouvé, ou plutôt un accord avait été noué entre toutes les forces en puissance, alors que tous devaient faire fit, pour un temps, des rivalités et des antagonismes habituels et passés. Et Koriand'r n'était ni stupide ni naïve, mais plutôt suffisamment lucide, éclairée et intelligente pour savoir que c'était la chose à faire, actuellement. Ils auraient le temps de régler leurs différents plus tard, quand le Syndicat aura été annihilé. Les rancunes sont tenaces, et les trêves n'endorment jamais entièrement tout ... Alors ... Alors, peut-être qu'elle devrait uniquement se focaliser sur sa future mission, et sur ses responsabilités. Mais voilà, ça, ce n'était pas elle. Elle détestait être enfermée trop longtemps, de toute façon. C'était viscéral, et cela lui saisissait les tripes au plus profond d'elle-même. C'était un peu la même chose qu'elle ressentait concernant son refus de rentrer dans des cases, d'être préformatée, de ressembler à un modèle type, d'être une fille lambda. Preuve en était, elle était Tamaraneanne, Princesse, Leader des Teen Titans, étudiante, femme, et tout un tas d'autres choses à la fois ! Alors, pourquoi, concernant certains sujets, elle ne devrait se restreindre qu'à un truc ? Les hommes, les femmes, le sexe, tout ça, c'étaient des concepts qui étaient très particuliers pour elle, et qui ne devaient sûrement pas pouvoir être compris par les autres comme c'était compris, envisagé et même vécu par elle. N'en déplaise aux gens, elle était libérée et libre de ses mouvements. Le fait, donc, de s'être rendue à Gotham pour voir Holly, et même plus, parce qu'affinités, est-ce cela devait vraiment engendrer une explication ou une justification de sa part, voire même les deux ?

En tout cas, ça avait été très bien, et Koriand'r s'était laissée aller à un sommeil réparateur, à un repos du guerrier, en quelque sorte. Elle rêvait, de quelque chose d'agréable. De quelque chose d'agréable, mais elle n'arrivait pas à exactement bien mettre le doigt sur ce dont il s'agissait. C'était en tout cas une sensation bienfaisance et de réconfort, alors ça devait sûrement être quelque chose de bien. Le truc, c'est qu'elle était réveillée en plein sommeil par un bruit sourd, alors, évidemment, se faire réveiller en sursaut l'empêchait de bien tout comprendre de ses songes précédents. Pendant une petite seconde ou deux, elle se demanda même où elle était, avant de se le rappeler. D'ordinaire, elle filait dès sa petite affaire rondement menée, comme on dit, et ce bien qu'avec elle, il ne puisse jamais s'agir d'une petite affaire, mais passons. Elle filait, parce qu'elle avait quand même un cœur, et que de laisser de faux espoirs à son amant d'un soir, ce n'était pas bien. Alors, au moins, comme ça, il n'y avait pas de crise le matin venu, et elle ne devait pas s'esquiver sur la pointe des pieds ! Elle donnait les règles du jeu, dès le début, comme ça les choses étaient claires. Ce qui ne signifiait pas pour autant qu'il n'existait aucune exception à la règle. Mais les conditions étaient très particulières, et donc très exceptionnelles. Et elle ne les expliquait pas, parce que c'était comme ça. C'était son mode de fonctionnement à elle, et elle faisait ce que bon lui semblait, pour changer. En tout cas, elle n'avait quand même pas exactement prévu de se réveiller avant l'aube, quoi que l'aube puisse signifier et représenter en ce moment. Mais son amante du soir avait visiblement manqué une marche, ou plutôt, elle était tombée du lit. C'était forcément ça, ou alors, la jeune femme l'avait poussée, expulsée, sans s'en rendre compte. Mais elle ne repiqua pas directement du nez, parce que ça ne se faisait pas et que, bon, Holly, parce que c'était bien d'elle dont il s'agissait, n'était pas un coup d'un soir lambda et sans reprise de contact par la suite. Elle devait au moins s'assurer qu'elle allait bien, non ? N'est-ce pas ce que font les gens polis, respectueux, courtois et civilisés ? Alors, elle se redresse, se frotte les yeux, et puis s'étire. Elle s'étire, avant de poser un pied par terre et de déployer sa silhouette toute sensuelle, toute féminine. Là, debout, dans son plus simple appareil, elle esquisse un sourire encore un peu endormi, et un peu tout chiffonné, face aux propos de la jolie blonde.

« Quelqu'un pense toujours à moi ... » Oh, ce n'était ni du narcissisme, ni de la frime, mais juste la plus pure des vérités, non ? « C'est que je suis réveillée, maintenant ... Tu vas bien ? Rassure-moi, je ne t'ai pas expulsé de notre couche ? ... »

Cinq ans. Cinq ans qu'elle était là. Cinq années à essayer de s'accoutumer aux mœurs terriennes, de se faire aux coutumes et aux habitudes humaines. Oh, certes, on ne pouvait tout de même pas dire que rien n'y faisait, ni même que c'était peine perdue, mais ... Mais Koriand'r était encore tant de fois à côté de la plaque, comme diraient certains. Sans doute parce que certaines choses allaient à l'encontre de sa nature profonde, ou bien alors parce qu'on ne se défait pas si facilement d'une culture, de préceptes ancestraux, vieux comme le monde, ou tout du moins aussi vieux que ne l'était votre planète natale. Par bien des aspects, si les Terriens en venaient à mettre les pieds sur Tamaran, sans doute en viendraient-ils à dire que les Tamaraneans n'avaient pas autant évoluer qu'eux, originaires de la Terre. Mais pour la jeune femme, les choses étaient bien différentes. Certes, son avis était sans doute biaisé, et peu objectif, compte tenu du fait qu'en plus d'être Tamaraneanne et donc patriote, elle se trouvait être la Princesse héritière d'un peuple pour lequel elle éprouvait aujourd'hui des sentiments partagés, mitigés, paradoxaux mais néanmoins toujours aussi puissant. Mais quoi qu'il en était, si on le lui demandait, Koriand'r vous répondrait que les Tamaraneans, eux, au moins, ne semblaient pas tant s'être perdus en chemin. Il lui apparaissait encore aujourd'hui que les Terriens se fourvoyaient sur un nombre considérable de choses. Ils tournaient le dos à la Nature, reniaient leur propre passé, leur propre passif. Ils crachaient leur supériorité sur Mère Nature, là où elle finirait sans doute un jour par les bouffer, ou par causer leur perte en refusant de continuer de les servir et d'assurer leur survie. C'était là l'un des points majeurs sur lesquels Koriand'r n'en démordrait pas : il ne lui fallait pas renier sa nature, ni même oublier de là d'où elle venait. Alors, oui, elle vivait parmi les humains, ici bas, sur cette Terre, depuis déjà 5 ans, mais elle refusait de tourner le dos à son passé, ou de totalement rentrer dans le moule. Disons donc qu'elle préférait continuer de se familiariser avec tout ce qui l'entourait, à essayer de comprendre tous ceux qui l'entouraient, mais elle refusait de devenir une pâle copie, un duplicata s'étant perdu en chemin et n'ayant plus aucune saveur. Parce que, tout de même, elle en avait de la saveur, Koriand'r, non ? Que ce soit en tant qu'elle-même ou sous le pseudonyme censé lui assurer l'anonymat, à savoir Kory Anders. Elle avait ce côté pimenté, épicé, corsé, ce côté la différenciant à coup sûr des autres jeunes femmes censées avoir le même âge qu'elle.

Et elle continuait aussi d'avoir cette aptitude à ne pas toujours comprendre ce qu'on lui disait. Pas qu'elle soit stupide ou qu'elle n'ait pas la lumière à tous les étages, comme on dit, mais les humains jouaient tant avec les mots, sautant allégrement, dans une même phrase, entre expression figurée et vraie expression de ce qu'il pensait sans sens caché. Ce n'était pas toujours facile pour elle de suivre tout ça, c'était le moins que l'on puisse dire ! Mais elle s'accrochait, tout à la fois parce qu'il le fallait si elle voulait se sociabiliser du mieux possible, et parce que les gens savaient très rarement de là d'où elle venait, ignorant alors qu'elle n'était en rien humaine, comme eux. Et Dick autant que bon nombre des autres superhéros dans la confidence lui disaient toujours que c'était mieux ainsi, et que les apparences devaient être conservées. Et ce même si la principale concernée était de plus en plus persuadée que si sa couverture venait à sauter, elle pourrait compter sur autrui pour la défendre, la protéger, et lui prêter main forte s'il fallait casser des mâchoires et déboîter des nez, à moins que ce ne soit l'inverse. Alors, voyez-vous, là, tout de suite, Kory sentit bien la mauvaise humeur perceptible de son amante. Mais cela ne l'offensait pas, ou en tout cas, pas autant que ça le devrait, quelque chose comme ça. Elle était très premier degré, certes, mais pas facile à vexer pour un sou ! Parce qu'elle avait ce recul, à moins qu'il ne s'agisse plutôt d'un décalage, ce qui était nécessaire à relativiser ou se sentir un peu détachée des premières retombées directes, celles qui sont déraisonnables et en viennent parfois à vous pousser dans une certaine paranoïa, mauvaise foi ou vexation aisée. Alors elle ne dit rien, préférant l'observer s'affairer, alors que ses yeux s'acclimatent rapidement au peu de luminosité ambiant. Ou du moins, pendant que ses yeux quittent la phase ensommeillée. Une chose est sûre, la plus réveillée des deux, pour l'instant, ce n'est pas encore elle, à en voir Holly s'agiter et s'affairer. Un instant, Kory en vient à se demander si c'est parce qu'elle y a retouché, et puis, finalement, non. Elle l'a suffisamment observée au plus profond du regard, tout à l'heure, pour savoir que son amante est en diète. A moins qu'on ne parle plutôt de sevrage. Et finalement, finalement, Holly sourit. Kory ne sait pas trop pourquoi ce revirement d'humeur, mais elle s'en fiche bien. La jolie blonde est bien plus canon quand elle ne fait pas la moue, ou qu'elle ne vous voue pas à mille misères parce que vous lui cassez son trip, au sens propre comme au sens figuré.

« Je ne me moque jamais. Je suis pas très douée pour l'humour, ou alors, mon humour à moi, les gens ne le comprennent pas. » Dans les faits, c'était tout à fait vrai. Mais la réciproque était vraie. Elle ne comprenait pas trop les plaisanteries, quand celles-ci mêlaient trop de sens de lecture différents, et qu'elles cumulaient les jeux de mots. C'était encore un peu trop compliqué pour elle de démêler les fils et de voir plus loin que le bout de son nez, que le sens premier. Et quand elle comprenait enfin une plaisanterie, elle ne savait pas bien la réutiliser, les premiers temps. Alors, ça tombait souvent à côté, ou alors, cela donnait lieu à des bourdes de sa part, quand cela ne suscitait pas carrément un mini petit drame. Avec le fameux "c'est ce qu'elle a dit", certains en avaient fait les frais, et Kory voyait encore Dick se cacher les mains dans son visage en certaines de ces circonstances. A côté de ça, les plaisanteries tamaraneannes étaient bien différentes, et étonnement bien plus crues et cyniques. L'humour noir était dosé sans commune mesure, et on y allait sans doute même à la louche ! Observant le petit manège de son interlocutrice, Kory ne put cependant s'empêcher d'esquisser un sourire en coin. « Oh, mais je ne juge pas. Tous les goûts ne sont-ils pas dans la nature ? Il y en a bien qui éprouvent une attraction sans bornes pour les arbres. » C'était la dendrophilie, quelque chose comme ça. En tout cas, pas le genre de trucs qui l'attirait elle, mais bon, il fallait être tolérant, d'autant plus que, dans ce cas là, cela ne portait aucunement atteinte à qui que ce soit de non consentant, n'est-ce pas ? Quoi que ... Mais il serait tout de même compliqué de demander leur avis et leur accord aux dits arbres ! Finalement ... Finalement, elle va prendre place aux côtés de son amante du soir, non sans imaginer elle aussi le monde s'agiter en contrebas, tout en tressant distraitement ses longs cheveux. Autant ne pas faire balayage au sol ... Et alors, aux paroles de Holly, elle fronce quelque peu les yeux. « Je ne crois pas que l'on puisse faire des généralités dans ce cas là. Il y en a qui s'en soucie, j'en suis persuadée, mais c'est comme un travail sans fin. Tu en sauves une, et pendant ce temps là, tu as 3 maquereaux - c'est comme ça qu'on dit ? - qui, plus loin, ne font rien pour leurs filles lorsqu'elles se font tabasser, ou qui les envoient délibérément se faire refaire le portrait, quand ce n'est pas carrément eux qui s'en chargent. » Un instant, elle marque une pause, avant de reprendre. « Je n'aime pas du tout ce mot, "pute". On me le dit souvent, dans la rue, quand on me siffle et que je ne réponds pas. C'est très offensant. Comme si une femme n'avait pas le droit d'être sexuellement libérée, et comme si toutes celles qui attendent sur le trottoir y étaient délibérément ... »

Le mensonge et les duperies ne faisaient pas partie de l'escarcelle de Koriand'r. On ne cultivait pas vraiment ces choses là, sur Tamaran, il faut bien le dire. La jeune femme n'était donc absolument pas une exception à la règle, parmi les siens, parmi son peuple, parmi ses sujets. Sur sa planète natale, on dit les choses comme elles sont, et comme elles viennent. Et comme tous sont habitués à fonctionner ainsi depuis des générations et des générations, et bien nul ne s'en offusque, de fait. Cependant ... Cependant, cela ne signifiait en rien que la vexation et la contrariété étaient deux sentiments pour lesquels la jeune femme avait dû attendre d'arriver sur Terre avant de les apprendre, de les connaître, de les expérimenter. Car être franc ne signifiait en rien ne jamais pouvoir se sentir frustré ou vexé. X'Hal le savait, comme on dit, mais sur Tamaran, la Guerre avait créé son lot d'émotions négatives. La fureur était donc aussi quelque chose de connu. Alors, dans le fond, peut-être qu'en y regardant de plus près et en s'y attardant suffisamment, on pouvait dire que les émotions et sentiments étaient quelque chose de commun et de partagés entre la Terre et Tamaran. Pourtant, il y avait toutes ces nuances qui, mises bout à bout, faisaient que Kory avait encore l'habitude de tant faire le grand écart entre sa planète natale et sa planète d'adoption. Car tout était comme décuplé pour elle. Elle aimait avec ferveur, elle haïssait avec fureur. Elle ne faisait pas toujours dans la dentelle, et elle ne comprenait pas trop les expérimentations humaines qui consistaient à vouloir faire des tours et des détours avant d'arriver droit au but. Ménager les gens, elle avait encore du mal à comprendre à quoi cela servait. Mieux valait tout de suite savoir à quelle sauce on allait être mangé, non, puisque, de toute façon, on avait beau dire et on avait beau faire, si l'on devait se manger une droite, on finirait bien par se la prendre en plein dans les dents ! Alors autant y être préparé dès le début plutôt que de se laisser endormir ! Cependant, comme on dit, dans un pays, il faut accepter de se plier au protocole, par politesse et respect. Même si ce n'était pas toujours évident. Alors, bien évidemment, les propos de Holly, s'ils ne la surprennent pas vraiment venant d'elle, ne peuvent que quelque peu entrer en concurrence avec ce que Koriand'r avait l'habitude de s'entendre dire. Mais ça, bien évident, la jeune femme ne peut pas réellement le dire, du moins, elle ne peut le faire auprès de son amante, car celle-ci doit sans doute tout ignorer de sa réelle nature, et de son pendant originel ... Mais, malgré tout, il y a certaines choses qu'elle peut cependant reconnaître sans risque, n'est-ce pas ?

« Je maîtrise très bien le krav-maga. Mais j'ai déjà eu des ennuis avec les ... Autorités. Alors, il paraît qu'il vaut mieux laisser les abrutis baver dans leur coin plutôt que de leur accorder de l'importance. » Mais, en tout cas, oui, Holly avait bien le droit de parler comme elle le voulait, et ce ne serait sûrement pas Koriand'r qui lui ferait la moindre remarque à ce sujet, ça non ! Cependant ... Cependant, Kory marqua bien une pause, avant de reprendre la parole. Pas parce qu'elle était en contradiction avec l'avis même de Holly, mais plutôt parce que, 5 ans après, malgré tout, cela lui faisait encore un petit quelque chose de bizarre, comme une sensation étrange, que d'être perçue comme appartenant à un "nous", à un groupe, sans qu'elle ne soit une valeur ajoutée ou un maillon spécifique. Bien évidemment, son amante ignorait tout de cela, des raisons véritables, du pourquoi du comment, et elle avait donc parlé avec le cœur, et seulement avec ça, et peut-être avec les tripes, aussi. « Les femmes mériteraient plus de respect. »

Il n'y a aucune hésitation dans sa voix, et aucun doute dans ses paroles. Certes, il était impossible, et totalement ubuesque de faire des généralités alors que, ici, sur Terre, il y avait tant de pays, tant de nations, et tant de différences entre les différents peuples et les différentes ethnies. Sur Tamaran, d'une certaine façon, les choses étaient bien plus simples, car à force de guerres et de mesures radicales, tous les royaumes qui avaient pu exister étaient aujourd'hui uni sous une même bannière. Des millions de millions d'habitants, qui n'avaient plus qu'un roi, à savoir, le propre père de Koriand'r. Et sur Tamaran, les femmes valaient autant que les hommes, et sans doute avaient-elles même un regain de prestige et de privilège. Koriand'r n'était-elle pas la Princesse héritière que toutes et tous avaient célébré et vénéré, à sa naissance ? Et puis, sur Tamaran, on ne vénérait qu'une divinité, et c'était une entité féminine, alors qu'ici, sur Terre, des religions, il y en avait plein, et si peu mettaient à l'honneur des entités féminines ... N'empêche que ... A ce qu'elle en savait, des progrès ne cessaient d'être fait, ici, mais cela prendrait sans doute encore un peu de temps. Voire même beaucoup, si chacun n'y mettait pas du sien, et si on continuait, de ci de là, ces rétrogradations archaïques et ses remises en cause stupides. N'empêche que, aussi, elle avait beau dire, la Nuit, cela étendait un certain voile sur les gens et sur les choses, et ce n'était pas toujours laid, loin de là, même. Si elle souffrait de l'absence de l'astre solaire, elle devait tout de même reconnaître la beauté du spectacle sur lequel son regard pouvait bien tomber. Et même là, sa nature de Tamaraneanne continuait de la placer à part, car la nuit, contrairement à ce que l'on peut bien dire, tout n'est pas gris, noir ou blanc. Alors, les nuances de couleurs supplémentaires que sa physionomie lui permettait de voir, Koriand'r continuait encore quelque peu de les contempler. Mais cela ne signifiait en rien qu'elle se satisfaisait du spectacle. Non. Elle, elle voulait bien que les choses changent, et qu'elle soit de nouveau percluse des rayons du Soleil. Le retour de Holly la sort de ses pensées, alors qu'elle en sourit et qu'elle ferme les yeux. Parfois, Dick disait qu'il avait la sensation qu'elle ronronnait, comme les chats. Elle lui avait toujours rétorqué que c'était faux, mais elle devait se rendre à l'évidence : sur Tamaran, on était tout de même bien plus félidés qu'humanoïdes, si on s'en tenait à la génétique et aux origines. Alors, peut-être que, oui ... Et les mots de son amante la touchait, là, droit au coeur. Elle aussi, elle n'avait jamais eu envie de s'expliquer sur le pourquoi du comment elle voulait de l'affection, et une partie de jambes en l'air, juste ça, sans que cela ne doive obligatoirement conduire sur quelque chose de plus, et sans que cela ne signifie forcément quelque chose de particulier. Le reste des propos de Holly, en revanche ... Sans doute la jolie blonde l'ignorait-elle, mais elles avaient beaucoup plus en commun qu'elle ne le pensait. Sauf que concernant Koriand'r, c'était l'inverse qui s'était produit. Sa jeunesse avait été l'une des raisons pour lesquelles ... Pour lesquelles elle avait dû subir ce qu'elle avait subi et enduré. Alors ... Alors Kory pose l'une de ses mains sur l'étreinte que lui offre Holly, et elle raffermit sa prise, non sans que son regard, qui continue d'observer le dehors, en contrebas, ne se noircisse d'une lueur que peu désirerait croiser. Là, si elle le pouvait ... Si elle le pouvait encore à l'heure actuelle, peut-être que la jeune femme se serait retrouvée face à une vitre explosée, la faute à une starbolt qui lui aurait échappé, sous le coup de la fureur réveillée par ses souvenirs et par le passif de la jolie blonde derrière elle ... Elle, elle avait prié X'Hal que tout ça s'arrête. Elle avait supplié la Déesse de lui venir en aide, de lui donner la force, sa force, de survivre à tout ça. Parfois, il n'y avait plus eu qu'elle, que X'Hal, parce que Kory savait ce par quoi la Déesse était elle-même passée, aux mains de ces mêmes enflures. Et Koriand'r avait supplié sa Protectrice de faire en sorte que rien ne prenne vie dans ses entrailles, pour ne pas vivre la même épreuve supplémentaire qu'elle, elle avait vécu. En quelque sorte ... En quelque sorte, ses tous premiers geôliers descendaient de la Déesse elle-même, bien qu'ils ne soient que de pâles de Complex-Complex, cet effroyable fruit du viol que X'Hal avait dû enfanter. En tout cas, Kory ne s'était jamais sentie concernée par l’appellation de "pute", parce qu'elle n'avait pas connu la même chose que Holly, mais si elle rapprochait un peu leur expérience respective ... Alors sans doute que si les rôles avaient été inversés, elle aussi aurait accepté de reprendre l’appellation pour elle-même.

« Je ... Je comprends. Bien plus que tu ne le penses. » Elle, elle leur avait hurlé qu'elle était une Tamaraneanne, qu'elle était la Princesse héritière, qu'elle s'appelait Koriand'r, et que rien n'y changerait. Et quand elle n'avait plus eu assez de voix, elle n'avait cependant jamais cessé d'y croire, de s'accrocher, de résister. Contre tout. Contre vents et marées, contre la fatalité, contre la course des choses. Parfois, il lui arrivait encore de se demander si elle serait encore vivante, aujourd'hui, si les suivants de sa chère sœur n'étaient pas intervenus pour libérer Komand'r ... Elle savait que si, maintenant, une telle chose se reproduisait, elle pouvait compter sur des proches, des amis, tels que Diana de Themyscira, ou encore Dick, mais, à l'époque, personne n'était venu pour elle, personne n'avait levé le petit doigt pour elle ... Et c'était là une plaie qui ne se refermerait sans doute jamais totalement. « Ne t'en fais pas pour moi. Je suis une grande fille, et les rues de Gotham sont peuplés de crevards que je suis capable de renvoyer à la niche en cas de besoin. Et puis, j'ai des proches qui savent que je suis là. Enfin, qui savent que je suis à Gotham en ce moment, pas que je suis là, avec toi, ici, nue, dans ton appartement. Ils viendront botter les culs de ceux qui m'auraient enlevée, si c'était le cas. Et puis, les décisions inconsidérées, c'est mon genre de trucs. Les gens réfléchissent trop, je trouve. ... Les chiens doivent se sentir offensés, alors, d'être comparés à des crevures comme ça ! »

Oui oui, elle avait bien dit du krav-maga. Cela appartenait à ces quelques choses pour lesquelles Koriand'r avait dû attendre d'arriver sur Terre avant de pouvoir les apprendre. Dans les faits, cela avait tout de même un nom typique, le krav-maga, et cela s'inspirait d'arts martiaux typiquement terriens. Mais, bien évidemment, cela ne signifiait absolument en rien que Kory avait eu deux mains gauches pendant les dix-neuf premières années de sa vie avant d'enfin savoir se battre. Loin de là, même. Dans les faits ... Dans les faits, sans doute maîtrisait-elle plus d'arts martiaux et de techniques de combat que toutes les personnes qu'elle connaissait. Dans leur infinie sagesse et leur grande expérience, les Seigneurs de Guerre d'Okaara l'avaient en effet mise en contact avec bon nombre de façon de se battre, inspirées de ce qui se trouvait hors de la planète d'Okaara, ou directement issues de ces autres planètes lointaines. C'était dans ses veines, dans son ADN, ou presque, que de se battre et de savoir le faire. Il avait paru infiniment obligatoire et même nécessaire, aux yeux de ses royaux parents, que l'apprentissage de Koriand'r fasse la part belle au combat. Ce n'était donc pas pour l'éloigner d'eux ou pour avoir la paix qu'ils l'avaient envoyée, à un si jeune âge, faire quelque peu ses classes auprès des fameux Seigneurs de Guerre. Cela étonnait toujours énormément la jeune femme que, ici, sur Terre, ses anciens précepteurs soient de parfaits inconnus. Mais elle avait assez rapidement déduit que la Terre vivait quelque peu dans un certain isolationnisme, et que ses habitants ne se pensaient et ne savaient plus seuls dans l'Univers que depuis peu. Pour eux, cela datait d'il y avait quelques générations, tout au plus, mais à l'échelle de la vie de l'Humanité, c'était comme si tout ceci ne leur était venu à l'esprit qu'il y a une seconde à peine. En tout cas ... En tout cas, de son côté, il était vrai que Kory aussi n'avait su que la Terre existait que plus tard dans sa vie. En fait ... En fait, on pouvait plus ou moins dire qu'elle s'y était crashée par le plus grand des hasards. Il aurait très bien pu s'agir d'une autre planète, et, dans le fond, elle évitait d'y penser. Il y avait ici toutes ces magnifiques personnes qu'elle n'aurait alors pas du tout pu rencontrer, et cela la peinerait trop que d'imaginer une existence sans eux. Ce n'était pas du sentimentalisme, mais juste la réalité. Parce qu'être seule ... Être seule, ce n'était pas une vie. Mais, oui, elle avait bien parlé de krav-maga. Alors ... Alors elle ne comprenait pas pourquoi Holly la regardait ainsi.

Était-ce si surprenant qu'une femme puisse se défendre ? Qu'elle soit en mesure de savoir mettre une raclée à quiconque en viendrait à l'importunait ? Qu'elle soit capable d'apprendre à remettre à sa place les prétentieux et les arrogants ? Il y avait beaucoup de discriminations et de différences entre les hommes et les femmes, ici, sur Terre. Quelque chose qui avait quelque peu révolté autant que choqué Koriand'r, avant qu'elle ne réalise qu'elle n'était pas ici sur Tamaran et que donc, la culture et l'éducation étaient bien différentes. Dans de telles conditions et dans un tel contexte, émettre le moindre jugement trop conséquent serait déplacé et totalement ubuesque. On ne pouvait jamais que comparer ce qui était comparable, et là, les choses étaient bien trop différentes pour que cela puisse être réalisé, et même envisagé. Visiblement, Holly tentait de lui expliquer les choses, et Kory devrait peut-être la remercier d'y mettre les formes, ou tout du moins d'essayer de ne pas être aussi rude et directe qu'elle pouvait l'être. Mais dans les faits, Koriand'r n'était pas une petite chose, elle ne s'effarouchait point dès qu'on élevait la voix, et ne courait pas se cacher dans un placard dès que quelqu'un tapait d'un grand coup de poing sur la table. Et c'était sans doute à cet instant, plus que jamais, que la jeune femme réalisait que son amante ne la connaissait pas du tout et que, pour ainsi dire, leur relation se résumait à ça. A du sexe, à de bonnes parties de plaisir, les jambes en l'air ou pas, d'ailleurs, mais qu'elles en savaient relativement peu l'une sur l'autre. Et ce n'était pas exactement comme si Kory pouvait lui donner toutes les clefs de compréhension. Pour des raisons évidentes, et parce qu'il ne s'agissait pas que d'elle, et que cela impliquait pas mal d'autres personnes, la Tamaraneanne ne pouvait pas se livrer telle qu'elle était, se montrer nue, dans son plus simple appareil, sans même ce fameux collier, présent de Zatanna, autour du coup. Et puis ... Et puis, même avec ça, est-ce que Holly serait en mesure de comprendre, de la comprendre ? Est-ce qu'elle parviendrait tout de même à la cerner, ne serait-ce qu'un peu ? Koriand'r en doutait quelque peu, pas parce qu'elle pensait son amante trop peu intelligente pour ça, mais bel et bien parce qu'elle pensait soudainement à Dick. Dick qui la connaissait bien plus que quiconque, ou presque, sans doute, et qui peinait encore grandement, aujourd'hui, à parfaitement la comprendre, en tout temps et en tout lieu. Alors, elle ne s'énerve pas, elle ne s'agace pas non plus, et dans le fond, peut-être qu'elle peut tout à fait laisser Holly penser ce qu'elle voulait. Sauf que ce n'était quand même pas comme si elle pouvait rester mutique, cela énerverait sans doute la jolie blonde, ou cela l'agacerait. Et puis ... Et puis, ce n'était pas la première fois qu'elles couchaient ensembles, ce qui signifiait que Kory ne l'effacerait pas de sa vie si tôt sortie de l'appartement de la demoiselle. Alors, elle se leva, déployant sa longue silhouette élancée, et s'adossant contre la fenêtre. S'il y avait des voyeurs dans le coin, avec leurs jumelles, ils verraient sans doute le galbe de ses fesses contre le verre de la fenêtre, mais tant pis. Elle n'était ni chaste ni prude, et surtout, elle n'était pas à ça près.

« Je crois que l'on ne se connait dans le fond pas assez pour que tu puisses comprendre la réelle portée de mes propos. Mais je suppose que c'est parfaitement compréhensible, parce qu'on n'est toutes les deux pas du genre à nous raconter notre vie pendant qu'on couche. » Elle attrapa une poignée de ses longs cheveux roux et détachés, pour en défaire les nœuds, de façon mécanique et réflexe, sans même réellement regarder son ouvrage. « Je suis une grande fille, je sais ce que je fais, même si ça parait complètement fou et dangereux aux autres. Si je suis venue, c'est que j'en avais vraiment envie, même s'il est vrai que je n'ai pas fait les colonnes des pour et des contre avant. » Un instant, elle la regarda dans les yeux, profondément. Avant de reprendre, calmement et posément. « J'ai connu mon lot de soucis, tu sais. Contrairement à ce qu'en laissent penser les apparences, la vie a même plutôt été rude pour moi. Ces gens là, comme tu dis, ne sont dans le fond que de petites frappes, si je rationalise le tout. Ce qui ne signifie pas que je ne leur accorde aucune considération. ... Mais je te remercie de te faire du soucis pour moi, c'est gentil. Je suppose que ça prouve que j'ai beau te taper sur les nerfs, un monde sans moi te semblerait bien ennuyeux ! »