help me out of this hell (tommy)

Pour la première fois depuis le début de sa carrière, Hope ne s’était pas levée pour aller travailler. Toute la matinée, elle était restée enfouie sous sa couette, et après avoir ignoré plusieurs appels de son chef, elle avait éteint son téléphone. Sans donner d’explication. Sans penser à la merde dans laquelle elle laissait ses collègues en les laissant se débrouiller sans elle au pied levé. Elle n’y avait pas songé, pas une seule fois. Ni à eux, ni aux patients, à personne. Personne de Gotham en tout cas, parce que ses pensées étaient tournées vers un seul et unique être, sa fille. Elle était restée éveillée toute la nuit en pensant à elle, incapable de fermer les yeux, et quand son réveil avait sonné elle était restée roulée en boule dans son lit en pensant à elle. A entretenir cette douleur lancinante qui lui déchirait la poitrine et qu’elle ne voulait pas apaiser. Elle se sentait aussi mal qu’au premier jour, quand elle était rentrée de l’hôpital de Blüdhaven et qu’elle avait trouvé l’appartement vide … Elle avait été séparée de Tessa ce jour-là et la blessure ne s’était jamais refermée, attendant les retrouvailles pour guérir. Mais les retrouvailles ne venaient pas, elles s’étaient même éloignées sensiblement depuis la veille, quand Zach était passé chez elle. Il avait toujours su laisser flotter une confortable incertitude entre eux, passé maître dans l’art d’attiser les espoirs de Hope en lui assurant qu’il la laisserait revoir Tessa très vite. Pourtant cette fois, il n’avait pas laissé grand-chose derrière lui, et Hope s’était effondrée.

Quand finalement elle s’était levée, Hope avait traîné sa couette derrière elle et elle s’était assise à la table de la cuisine, la tête entre les mains. Elle devait réfléchir, trouver la solution magique au problème insoluble qu’elle tournait dans sa tête depuis plus d’un an et qu’il était devenu urgent de régler. Depuis la veille, Hope n’avait plus aucune autre préoccupation que de récupérer Tessa, par tous les moyens imaginables. Elle pensait avoir déjà fait le tour depuis tout ce temps, et pendant un moment elle avait cru qu’elle s’en sortirait, vraiment. Le job que Luthor lui avait offert payait très bien, et Zach était ravi de l’argent qu’elle pouvait lui donner. Mais les laboratoires de Luthor avaient sombrés sous le tsunami, et les revenus confortables de Hope avec. Zach était furieux, Hope l’avait rarement vu comme ça. Comme une bête aux abois … Il avait de gros problèmes d’argent et c’était à elle de les résoudre. Les menaces qu’il avait proférées étaient restées gravées dans la mémoire de Hope, glaçantes. Jusque là, il n’avait jamais touché à leur fille, mais ce n’était plus le cas et Tessa était en danger si Hope ne trouvait pas l’argent dont il avait besoin. Mais comment faire ? Les mains agrippées à ses cheveux, les yeux fixés sur les nœuds du bois de sa table, Hope cherchait désespérément quelque chose pour la sauver.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était là à se torturer sans relâche quand on sonna à sa porte d’entrée, la faisant sortir brutalement de sa bulle. Elle regarda autour d’elle comme si elle émergeait d’un cauchemar, presque étonnée que le monde existe encore – et vienne la déranger chez elle. Elle laissa tomber sa couette par terre et soupira longuement avant de se lever. Elle n’avait aucune envie d’y aller, mais si c’était quelqu’un de l’hôpital venu vérifier qu’elle n’était pas morte, il valait mieux répondre. Elle ne voulait pas perdre son job, malgré tout. En passant dans le salon, elle s’arrêta devant le miroir et grimaça. Elle n’aurait aucun mal à prétendre qu’elle avait la grippe avec son teint grisâtre et les cernes qui s’étalaient sous ses yeux … Par contre, expliquer les marques autour de son cou serait plus difficile. Elle s’approcha du miroir pour les examiner : quiconque s’y connaissait un minimum reconnaîtrait ce genre de marques – et tout le monde à Gotham devait en être capable. Zach n’avait pas fait dans la dentelle pour se faire comprendre, hier soir, et Hope sentait encore la poigne de ses mains autour de son cou. Elle frissonna et attrapa un foulard qu’elle enroula rapidement autour de sa nuque. Ca marcherait encore mieux pour justifier sa maladie, finalement. Un mal pour un bien … Elle en devenait cynique.

Elle attrapa quand même son revolver avant d’entrouvrir la porte, juste au cas où la personne qui se trouvait derrière n’était pas celle qu’elle attendait … Et en effet, ce n’était pas quelqu’un de l’hôpital. Passé le bref instant de surprise, Hope s’assombrit et toisa Thomas de haut en bas. « T’es blessé ? » Demanda-t-elle sans préambule. Il n’y avait pas de sang sur ses vêtements, et il avait l’air plus en forme que la dernière – et unique – fois où il avait sonné chez elle. Donc il n’avait pas besoin d’elle, et elle ne voulait pas le voir. Elle n’avait pas encore statué sur son cas et elle ne voulait certainement pas le faire aujourd’hui. « C’est pas le bon moment, Thomas. » Mais en même temps qu’elle prononçait son prénom, elle ressentit un poids lui tomber dans l’estomac. Thomas Merlyn. Elle le dévisagea, voyant pour la première fois ce qu’elle avait pourtant lu sur lui des dizaines de fois. Le play-boy milliardaire était revenu jusque devant sa porte sans même avoir besoin qu’elle le recouse … Et elle, elle cherchait désespérément de l’argent. La tentation en devenait presque douloureuse. « Va-t-en. » Fit-elle d’un ton sec alors que sa gorge s’asséchait brusquement. Elle ne pouvait pas. Même si elle le souhaitait de tout son être, elle ne pouvait pas … Elle tomberait plus bas encore, mais elle ne ferait pas ça. Elle referma la porte.

En refermant la porte et en reposant son arme sur la commode, Hope réalisa qu’elle était contrariée que Thomas ait vu les marques sur son cou, et elle fut d’autant plus contrariée de s’en rendre compte. Pourquoi est-ce que ça lui faisait quoi que ce soit ? Elle avait d’autres soucis plus important que celui-là, et elle n’avait vraiment pas envie de se demander ce qu’il allait en penser. Tant pis, qu’il pense ce qu’il voulait. Elle n’avait aucun compte à lui rendre, sûrement pas. Elle ne voulait même pas perdre de temps à se demander ce qu’il fichait là, ce qu’il voulait lui dire. Elle l’avait rayé de sa vie après le tsunami, pour peu qu’il ait fait un jour partie de sa vie, et elle croyait qu’il en avait fait de même. Elle s’était trompée, mais la porte fermée devait être un message assez clair pour qu’il comprenne. Elle ne devait surtout pas commencer à se demander si elle n’avait pas fait une erreur en le flanquant dehors. Elle ne lui demanderait rien. Jamais. Elle ne voulait rien avoir à faire avec cet homme qui se trimballait en costume avec un arc dans le dos. Ses problèmes, elle les règlerait seule. Et elle était satisfaite d’avoir fermé la porte, pour ne plus y réfléchir plus longtemps. Mais c’est justement quand elle se faisait cette réflexion qu’un craquement sonore retenti dans son dos. Elle sursauta et se retourna vivement, le cœur battant une chamade paniquée en voyant sa porte s’ouvrir de force. En une fraction de seconde son imagination se mis à tourner, mêlant la venue indésirable de Zach la veille au bruit sinistre de sa porte fracturée, et elle eut un mouvement de recul en voyant Thomas s’avancer vers elle. Zach s’était avancé comme ça, lui aussi. Et ensuite il avait tendu les mains vers elle, et … Une peur profonde et irrationnelle traversa les traits de Hope pendant un instant, avant qu’elle ne reprenne le contrôle de ses émotions. Avant qu’elle ne réalise, et que la peur se change en colère.

« Bordel, Thomas ! T’es complètement malade !!! » La bouffée d’adrénaline qui avait inondé ses veines décuplait sa fureur, et Hope hurlait d’indignation. Elle s’avança vers lui et le repoussa en arrière d’une vigoureuse poussée sur le torse, vers sa porte d’entrée, sans écouter ce qu’il disait. Il voulait s’expliquer ? Et ça justifiait d’entrer chez elle par effraction ? Elle attrapa à nouveau le revolver et le pointa vers Thomas, mais sans l’avoir armé au préalable. Juste pour être sûre de pouvoir se défendre, au cas où. C’était rassurant de le sentir dans ses mains. « Pour qui tu te prends ? Si j’ai pas envie de te parler, tu restes dehors ! Je veux plus voir personne chez moi, je suis pas à ta disposition ! » Ni de la sienne pour l’écouter quand il avait soudainement envie de parler, ni de Zach quand il avait besoin d’argent pour régler ses problèmes. Et l’impuissance qu’elle ressentait face à Zach de ne pas pouvoir l’envoyer balader, elle l’exorcisait sur Thomas. Il n’était pas responsable de ce qui lui arrivait et n’avait jamais dépassé les bornes, sauf ce soir en se permettant de défoncer sa porte comme s’il avait un quelconque droit sur elle. C’était déjà trop, beaucoup trop pour Hope qui avait les nerfs à fleur de peau. Elle n’aurait accepté ça de personne, mais aujourd’hui moins que jamais. Pourtant, elle se figea quand il demanda ce qui lui était arrivé, et qui avait fait les marques sur son cou. Trop surprise de l’avoir vu débarquer chez elle, elle en avait oublié qu’il les avait vues. « Qu’est-ce que ça peut te faire ? » Lâcha-t-elle sèchement en raffermissant sa prise sur la crosse de son arme. Vraiment, qu’est-ce qu’il allait gagner à le savoir ? Il voulait la venger, peut-être ? « C’est trop tard pour jouer au justicier ! Il est parti depuis longtemps, et je m’en suis sortie sans toi. » Elle n’avait pas toujours besoin d’avoir un Red Hood ou un ... peu importe le nom que Thomas se donnait. Les marques disparaîtraient dans une semaine ou deux, ça n’avait pas d’importance.

Hope soupçonnait que Thomas ne disparaîtrait pas avant qu’elle ne réponde, alors elle se fendit d’une semi-explication, de mauvaise grâce. « C’est mon ex, qui est venu me rendre visite hier soir et qui se foutait bien que je lui demande de se barrer. Lui aussi. » Ajouta-t-elle avec un rictus amer. Mais contrairement à Thomas, elle n’avait pas pu pointer une arme sur Zach pour le faire reculer, de peur que Tessa en subisse les conséquences. Elle s’était presque laissée faire … Presque. « On était pas d’accord sur la garde de notre fille, mais il a gagné, comme à chaque fois. » Les mots étaient sortis avant qu’elle n’y réfléchisse, et elle se mordit l’intérieur des joues, mécontente d’en avoir parlé. Mais à force de tout retenir en elle, depuis si longtemps, elle avait désespérément besoin d’en parler à quelqu’un. Thomas n’était absolument pas la personne qu’elle aurait choisie pour se confier, il était juste la première personne à la voir alors qu’elle était si vulnérable. Après une nuit d’horreur, elle avait besoin d’aide, elle le savait, mais elle n’était pas prête à en demander. Les conséquences lui paraissaient insurmontables. Elle soupira et se passa la main sur le visage. « T’as eu ta réponse, vas-t-en maintenant, s’il te plaît. » Elle se posta à côté de la porte d’entrée pour lui faire signe de filer, et essaya en même temps d’estimer les dégâts. La porte ne se refermait plus correctement, et cette simple constatation lui flanqua des sueurs froides. « Merde, merde, merde … » Murmura-t-elle en faisant jouer la poignée et en fixant le morceau de bois tordu. N’importe qui pouvait rentrer chez elle, maintenant. C’était déjà le cas avant, bien sûr, les vrais tarés ne s’embarrassaient pas des portes fermées et Thomas venait d’en faire une démonstration brillante, mais c’était quand même un petit rempart. Le seul qu’elle avait.

Hope se foutait bien de ce que Thomas pouvait trouver pour justifier sa présence chez elle. Elle ne voulait pas l’écouter, ni même admettre qu’il puisse s’inquiéter de ce qui lui était arrivé, elle voulait juste qu’il s’en aille. Elle n’avait pas l’impression que c’était une demande si incroyable que ça, et que Thomas reste là, devant elle, elle ne comprenait pas. Pourtant, elle avait répondu à sa question. Elle lui avait donné ce qu’il voulait, elle lui avait même offert quelques petits détails inédits, ceux que personne ici n’avait jamais obtenus d’elle. Personne ne savait qu’elle se battait toujours pour voir sa fille, elle mentait jours après jours en mettant son absence sur le boulot trop contraignant. Pour ceux qui connaissaient l’existence de Tessa, Hope était la mauvaise mère, celle qui ne pouvait pas s’occuper de sa fille parce que sa carrière passait avant. Mais elle se foutait de ce qu’ils pensaient, tous autant qu’ils étaient. Elle faisait ça pour conserver les apparences, pour tenir les questions éloignées. Et elle aurait du mentir à Thomas comme à tous les autres, inventer n’importe quoi, il lui avait même tendu la perche en demandant si elle s’était fait agresser au travail. Aller dans son sens aurait été bien plus simple, mais elle n’avait pas su mentir une énième fois. Elle ne songeait même pas aux questions qui allaient forcément venir, pour l’instant. Trop angoissée, trop fatiguée, elle ne voyait que deux véritables problèmes : Zach et la porte cassée. Thomas n’était pas un problème, juste une contrariété qui finirait par passer.

Quand il vint fermer la porte pour qu’elle cesse de jouer avec le mécanisme cassé, elle leva un regard brûlant vers lui, prête à hurler à nouveau. Pour qu’il recule, pour qu’il s’en aille … Pour qu’il se taise. Sa question coupa son élan et un frisson glacé la parcourut. « Dix-huit mois et une semaine. » La réponse était sortie, immédiate, comme si elle attendait qu’on lui pose enfin la question. Ce chiffre était énorme, mais il semblait pire encore maintenant qu’elle l’avait prononcé à haute voix, pour la première fois. Elle détourna le regard, ses épaules s’affaissèrent et elle reposa l’arme sur l’étagère avant de se laisser tomber sur le canapé. Vidée. Dix-huit mois et une semaine, c’était presque une vie entière pour une enfant de l’âge de Tessa, et elle l’avait vécue sans sa mère. La culpabilité rongeait Hope de l’intérieur, presque autant que l’absence de sa fille. Elle fut presque reconnaissante à Thomas de reprendre la parole pour la détourner de cette douleur intense qui brûlait au creux de sa poitrine. Ses mots lui tirèrent un rictus ironique. « Sauf si sa mère est une toxico camée jusqu’aux yeux. » C’étaient les mots préférés de Zach pour la désigner, quand il voyait qu’elle commençait à s’énerver. Ca la calmait d’un coup, généralement. « Y’a pas eu de jugement, mais mon cas ne ferait pas le poids. Il a tout ce qu’il faut pour me faire plonger si je décidais de mener l’affaire devant un juge. C’est pas lui qui est violent, c’est moi qui suis instable. » Elle ferma les yeux, frissonna à nouveau. Elle remonta ses jambes sur le canapé et les enserra de ses bras dans une vague tentative d’avoir moins froid. « Il veut du fric. Il a de grosses emmerdes, je sais pas dans quoi il s’est embarqué mais c’est devenu pire récemment. » Elle ne voulait surtout pas savoir à quels trafics il était mêlé, elle était suffisamment inquiète pour Tessa comme ça. Jusqu’à maintenant, elle avait toujours cru à sa sécurité, mais les choses avaient changé la veille avec la visite de Zach. « Et moi … J’ai toujours su trouver du fric quand j’en avais besoin. C’est ça de grandir à Blüdhaven, tu trouves toujours des solutions. Il le sait, il m’a déjà vue faire, alors il en profite. » C’était comme ça que tout avait commencé. Au milieu de ses problèmes d’argent, Zach avait inventé ce chantage pour que Hope le sorte des emmerdes en récoltant de l’argent pour lui. Elle, elle avait été amoureuse, et lui, il s’était servi d’elle.

Elle rouvrit les yeux et fixa Thomas. Elle tira sur son foulard pour dévoiler les marques autour de son cou, et elle passa les doigts dessus distraitement. Sa peau était douloureuse et elle pouvait presque encore sentir les mains de Zach qui la serraient … Et en effet, ce n’était pas la première fois. Ni la dernière. « Ca ou autre chose, ça dépend de son humeur. » Elle haussa les épaules. « Peu importe ce qu’il me fait, tant qu’il ne touche pas à elle. Il n’a jamais été … J’espère qu’il n’a jamais été violent avec elle. » Sa voix se cassa. Cet espoir là elle avait du mal à le formuler à voix haute, et encore plus de mal à reconnaître que ce n’était qu’un espoir pour lequel elle n’avait aucune véritable preuve. Ca avait été son vœu depuis tous ces mois, et elle y avait réellement cru jusque là. Zach aimait Tessa lui aussi, c’était sa fille. « Je le laisserai me faire n’importe quoi pour qu’il me la rende. » Ca n’empêchait pas qu’elle se débattait à chaque fois, et elle lui avait rendu les coups bien souvent. Mais elle s’en était toujours mordu les doigts. « Elle a cinq ans et demi, elle s’appelle Tessa. » Chaque mot était une torture, pourtant elle avait besoin de les dire et ils sortaient d’elles en se bousculant. Thomas n’avait rien demandé, mais elle le lui dirait quand même, elle devait parler maintenant. Elle était mère et ne pouvait parler de sa fille avec personne. Elle ne prononçait jamais son nom, et elle avait l’impression qu’elle niait jusqu’à son existence. « Elle … Elle a commencé à aller à la maternelle cette année et j’étais pas là pour l’accompagner, pour la rassurer … » Elle avait très mal vécu cette période. Imaginer Tessa au milieu de tous ces inconnus, seule et perdue … Si seulement elle avait su dans quelle école Zach l’avait mise, elle serait allée la voir, quoi qu’il lui en aurait coûté. Mais elle n’avait rien fait. Elle serra ses mains contre son visage, la gorge nouée et les yeux brûlants. « J’ai besoin de la voir. » Un dernier aveu arraché du fond de ses entrailles, quelques mots si évidents mais qui n’avaient jamais franchis, eux non plus, la barrière de ses lèvres.

Parler devenait de plus en plus facile, bien que ce que Hope soit en train d’avouer lui fasse toujours aussi mal. Elle préférait ne pas réfléchir à ce qu’elle était en train de faire : se confier à lui, en sachant ce qu’il était … Si elle avait du dire toute la vérité à quelqu’un, elle n’avait pas imaginé que ce soit à Thomas. Mais il était le premier à être apparu alors qu’elle était vulnérable, il avait un peu forcé la confession, et toutes les vannes s’étaient ouvertes. Ne restait plus qu’à espérer qu’elle n’aurait pas à le regretter. Il avait été très correct avec elle jusque là – plus que ça, même. Il fallait qu’il le reste maintenant. Mis à part sa double vie, et son irruption chez elle à travers une porte cassée, elle n’avait rien à lui reprocher, elle l’avait beaucoup apprécié. Dommage.

Il eut l’air choqué de ses révélations, peut-être même un peu en colère. Elle le regarda s’asseoir à côté d’elle et elle eut presque envie de tendre la main. Juste un contact, rien de plus, parce qu’elle se sentait plus morte que vive à l’intérieur. Mais elle ne bougea pas, stoppée par ce qu’elle savait sur lui – et ce qu’elle ignorait. Elle roula des yeux quand il lâcha ses conseils, et elle secoua la tête. L’agacement reprenait le dessus. « Ah ouais ? Merci du conseil tiens, j’y avais pas pensé toute seule. » Répliqua-t-elle, acide. S’il comptait se montrer compatissant ou même juste aimable, ça n’aidait pas du tout. Et quand il continua sur sa lancée, prédisant ce qui se passait déjà depuis dix-huit mois, elle se hérissa davantage. « Je sais ! » Elle lui lança un regard noir, plein de colère. Elle ne voulait pas entendre les vérités qu’il lui assénait, parce qu’elle essayait de ne pas y penser depuis bientôt deux ans. Ce n’était pas en filant de l’argent à Zach que les choses allaient s’arranger, il ne se passerait pas d’une source de revenus aussi confortable. Mais le savoir c’était différent que de l’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre. Plus difficile à ignorer volontairement. « Mais qu’est-ce que je peux faire d’autre ? J’ai tout essayé pour la récupérer autrement. » Les poings serrés, elle martela l’accoudoir du canapé. « Sauf aller chez les flics directement, mais ça … » Elle lui jeta un coup d’œil de côté, puis décida qu’elle n’avait plus grand-chose à perdre, vu tout ce qu’elle lui avait déjà dit. « Si je vais voir la police, Zach leur montrera ce que j’ai fait, et je perdrais le droit d’exercer. Quand j’étais étudiante, j’ai … J’ai fait des trucs pas très légaux pour pouvoir payer la fac. On était déjà ensemble à ce moment là, et il a gardé des preuves. Et si je perds mon boulot en plus de ma fille … » Elle laissa sa phrase en suspens. Travailler à l’hôpital, c’était la seule chose qui donnait du sens à sa vie actuellement. Elle ne se levait que parce qu’elle savait qu’elle se rendrait utile. Ce matin, elle avait baissé les bras pour la toute première fois, mais elle y retournerait demain et elle le savait déjà, quoi qu’il arrive. Rien ne pourrait la faire abandonner son boulot.

Hope se raidit quand Thomas lui proposa de l’aider, et elle le fixa pendant un long moment sans rien dire. Le non qui avait failli fuser luttait avec le oui qu’elle ne pouvait plus retenir. « Quel genre de moyens ? » Elle s’en voulait d’avoir posé la question, comme si elle avait déjà accepté sa proposition. « Ton arc et tes flèches ? » Cette fois, le reproche était clair dans son ton. Qu’il en tire les conclusions qu’il voulait, mais elle n’avait jamais caché son aversion pour les justiciers comme Green Arrow ou Batman. Il devait bien se douter, vu sa réaction de la dernière fois, qu’elle n’était pas ravie de savoir qu’il faisait partie du lot. Elle se leva et s’écarta du canapé, surtout pour ne plus l’avoir dans son champ de vision. Elle était déchirée entre ses principes les plus profonds et le manque de Tessa, encore plus fort. Elle aurait du pouvoir accepter n’importe quoi pour la revoir, mais elle rechignait encore à accepter clairement. Pourtant, sa proposition faisait battre son cœur avec violence dans sa poitrine, et cet espoir soudain la faisait frissonner. « Pourquoi tu ferais ça ? » Demanda-t-elle soudain en se tournant vers lui. « Tu ne me dois rien. Et je ne veux pas t’être redevable de quoi que ce soit, je ne peux rien te donner en retour. » Ajouta-t-elle d’une voix plus dure. Elle ne voulait pas de l’aide de quelqu’un comme lui, quelle que soit la nature de cette aide. C’était pour ça qu’elle lui avait fermé la porte au nez. Mais … Il l’avait dit, ce qu’elle faisait actuellement ne l’aiderait pas à récupérer Tessa, et elle n’avait aucune autre issue. Elle n’en était que trop consciente, elle avait besoin d’aide. Elle enserra sa poitrine de ses bras. Quel genre de mère était-elle pour encore hésiter ? « Bien sûr que je veux. Je veux qu’elle revienne … » Fit-elle finalement d’une voix éteinte. « Peu importe comment, tant que tu m’aides à la faire revenir … S’il te plaît. »

Oh, Hope se doutait bien de ce que Thomas pouvait faire avec son arc et ses flèches. Le costume seul avait été assez parlant, le choix des armes n’était qu’un détail qui passait au second plan. En fait, elle ne s’y était pas vraiment penchée jusque là, elle avait tout fait pour éviter d’y penser. Elle ne voulait pas l’imaginer réellement en action, parce que c’était ça qu’elle détestait tant. Qu’il ait des flingues sous chaque couche de ses vêtements comme Jason, des bâtons comme Nightwing, ou des yeux laser comme Superman, elle s’en fichait un peu. Les flèches étaient tout aussi destructrices dans des mains entraînées, Green Arrow faisait bien assez de bruit comme ça, même à des centaines de kilomètres de là. Mais Hope avait supposé que Green Arrow et Thomas étaient dans la même équipe justement, ou au moins du même côté, puisqu’ils avaient les mêmes armes. Il venait de sous-entendre le contraire, et Hope fut tentée de demander plus d’explications mais elle préféra s’en garder. Les différents qu’il pouvait avoir avec l’archer vert n’étaient pas ses affaires. Elle, ce qui l’intéressait, c’était ce dont il était capable. Les moyens qu’il lui offrait pour récupérer sa fille. Ce qu’elle avait si fermement condamné jusque là, et qu’elle était prête à accepter pour la sécurité de Tessa. Son visage se crispa un peu quand il parla de son entraînement, le même que celui de Jason, et elle eut un petit soupir. Elle n’aimait pas la direction où allaient les choses. Elle avait vu Jason en action de près, de bien trop près à son goût, et elle n’avait aucune envie d’imaginer Thomas de la même façon. Avant qu’ils ne se croisent pendant le tsunami à Metropolis, il était un homme normal à ses yeux, et elle avait préféré occulter tous les détails qui soulignaient qu’il n’était pas si lambda qu’elle aurait voulu le croire. Mais elle ne pouvait plus faire semblant. Elle savait de quoi il était capable et elle devait le reconnaître. Elle ne pouvait plus faire autrement. Cette violence qu’elle avait finit par accepter tant bien que mal chez Jason, il fallait aussi qu’elle l’accepte chez Thomas. Ca lui paraissait presque irréel, elle avait du mal à l’imaginer comme ça. « Oui, je sais ce dont il est capable. » Lâcha-t-elle à contrecœur, reconnaissant ainsi qu’elle savait de quoi Thomas était capable lui aussi.

Il allait l’aider. Elle allait peut-être pouvoir revoir Tessa, vivre à nouveau avec elle. Vivre, pour de vrai, sans avoir l’impression de traverser le temps comme un fantôme inconsistant. Tout ce qu’elle voulait, c’était Tessa, et ça valait toutes les concessions du monde. Son cœur battait plus fort dans sa poitrine à la seule idée qu’il lui ramène sa fille, elle le sentait cogner à ses oreilles, mais elle devait garder la tête froide. Rien n’était fait, pas encore. Fantasmer sur quelque chose qui n’existait pas, ça lui ferait trop de mal, mais c’était dur de s’en empêcher. Et Thomas qui restait si stoïque en lui affirmant qu’il ne voulait rien en échange, et en lui demandant des renseignements pour accomplir sa tâche … Comme s’il préparait des courses, rien de plus. Mais elle, elle bouillait à l’intérieur et elle s’était mise à trembler. Il allait le faire, vraiment. Elle n’osait pas encore y croire. Se rendait-il compte de ce qu’il lui disait ? Se rendait-il compte, réellement, qu’elle lui serait redevable toute sa vie s’il faisait ça pour elle ? « Je vais te trouver ça. Il s’appelle Zachary Crawley, et elle, elle doit porter mon nom. Tessa Williams. » Elle essayait de rester calme, de réfléchir à ce qu’il lui avait demandé. Elle ouvrit plusieurs tiroirs d’une commode avant d’en tirer un bloc note où elle griffonna le nom de Zach, le numéro de téléphone qu’elle lui connaissait, ainsi que tout ce à quoi elle pouvait penser. « On habitait à Blüdhaven ensemble, mais je ne sais pas s’il y est resté. Il était infirmier en psychiatrie à l’hôpital, c’est là qu’on s’est connu. Il avait beaucoup de contacts, avec la direction aussi. Il était très apprécié, il était irréprochable de l’extérieur. Ca n’a du choquer personne qu’il garde notre fille et que je m’en aille. » La colère lui fit crisper les poings, mais elle garda en tête l’idée que tout ça serait bientôt terminé. L’espoir qu’elle ressentait était si grand, si intense. Elle ne s’était plus sentie ainsi depuis longtemps.

Mais la soudaine question de Thomas la fit redescendre sur terre, et elle braqua son regard sur lui, la gorge devenue sèche. Elle savait ce qu’il lui demandait, et elle ne voulait pas avoir à y répondre. « Tu le tuerais ? Pour moi ? Sans rien me demander en échange ? » Autant dire les choses franchement. Tuer, ce n’était pas anodin. Tuer, c’était franchir une ligne invisible dont il n’était pas possible de revenir. Tuer … Il l’avait déjà fait, à de multiples reprises, c’était clair à présent. Et il était prêt à le refaire, pour elle, si elle le lui demandait. Mais était-elle prête à le demander ? Ce que Zach avait fait, tout ce qu’il lui avait fait subir et tout le reste qu’elle ignorait, cela justifiait-il qu’il meure ? Pouvait-elle prendre ce genre de décision ? Et la faire porter à Thomas ? Il en serait aussi responsable qu’elle, et pourtant il n’avait aucune raison de le faire. « Fais tout ce que tu dois faire pour que je la récupère pour de bon. » Sa voix était ferme. Elle ne voulait pas que la justice la rattrape, elle ne voulait pas finir à Arkham, elle ne voulait pas que Tessa soit confiée aux services sociaux. Elle voulait juste être une mère normale, et s’occuper de son enfant. Qu’est-ce qu’elle était prête à accepter pour ça ? Qu’est-ce que sa conscience pouvait supporter pour savoir sa fille en sécurité, pour la tenir dans ses bras et la voir grandir tous les jours à venir ? « Mais essaye de ne pas le tuer, si tu peux. » Elle ne pouvait pas lui donner davantage de directive. Elle savait ce qu’il avait sous-entendu, elle savait les conséquences potentielles s’il essayait de récupérer Tessa. Zach pouvait ne pas s’arrêter là. Thomas était plus lucide qu’elle et il lui avait donné un choix, parce que ce n’était pas à lui de le faire. Elle détacha la feuille du bloc, et alla s’asseoir sur le canapé, à côté de Thomas. Elle lui prit la main, et la serra entre ses doigts puis, d’un geste impulsif, elle passa ses bras autour de son cou et le serra contre elle. « Merci. » Ce mot n’était rien face à ce qu’il voulait lui offrir, mais sa reconnaissance était immense.