Your blood will stain my claws. | Cheetah

Université de Cambridge, Angleterre, avril 2005
Tournant une page du livre qu'elle avait sous les yeux, Barbara Ann porta son thermos de thé à ses lèvres, avant d'en boire une gorgée. Ce n'était guère prudent de porter un récipient plein de liquide au-dessus d'un livre qui avait facilement trois fois son âge, chose que la bibliothécaire s'était visiblement fait une mission de lui rappeler, mais comme à son habitude, la jeune femme faisait fi de la bienséance. La petite lady propre sur elle qu'avait pu être Barbara avait disparue avec l'arrivée de l'adolescence, remplacée par une demoiselle farouchement indépendante, qui faisait ce qui lui plaisait quand ça lui plaisait. Une chose que son père avait appris à ses dépens au fil des années et qui n'avait fait que rendre encore plus précaire leur relation déjà fragile, jusqu'à ce que la jeune femme estime en avoir eu assez et ne quitte la demeure familiale. Elle avait quitté son Notthingamshire natal pour Cambridge, ou sa candidature pour l'université était passée comme une lettre à la poste. En même temps, il fallait bien avouer qu'elle était sûrement une des plus brillantes ici, largement au-dessus de tous les autres. Une chose qu'elle ne manquait pas de rappeler dès lors qu'on remettait ses compétences en question. Après tout, elle avait seulement vingt ans et voila qu'elle préparait déjà son doctorat. Elle avait des années d'avance sur les autres, qui avaient tous passé la majorité depuis longtemps là ou elle n'avait même pas encore le droit d'entrer dans un bar ou d'acheter une bouteille d'alcool au supermarché du coin.
Sans la moindre surprise, elle s'était orientée vers l'archéologie, les histoires racontées par sa nourrice durant son enfance ayant finit par avoir un impact irrémédiable sur elle. Ça aussi avait été un sujet de tensions entre elle et son père. Il n'aimait pas le fait qu'elle puisse passer son temps à rêver d'histoires de monstres et de héros, de batailles épiques et d'actes légendaires. Elle au contraire, adorait ça. Barbara Ann se souvenait encore de la première fois ou elle avait regardé Les Aventuriers de l'arche perdue en douce avec sa nourrice, alors que son père était parti pour la semaine à Londres. C'était ce jour-là qu'elle avait compris qu'un jour ou l'autre, peu importe le temps que ça allait bien pouvoir lui prendre, elle finirait par faire la même chose. C'était d'ailleurs à peu près la seule chose pour laquelle elle était vraiment douée. Se faire des amis, sortir faire la fête comme n'importe quel étudiant, ça n'était pas son truc. Ce qui expliquait qu'elle passait le plus clair de son temps en dehors de ses cours à la bibliothèque, perdue entre des piles de bouquins et ses cours. Les autres étudiants dans sa classe ne l'aimaient pas des masses, et elle le leur rendait bien. Au moins ici tout le monde lui foutait la paix, et elle pouvait travailler tranquillement sans craindre d'être dérangée. Elle aurait pu essayer de se mêler aux nombreux étudiants qui profitaient d'un trou dans leur emploi du temps pour aller glander dans un des parcs du campus et tenter de se faire des amis, mais ça n'avait jamais été son truc. La solitude, ça lui convenait très bien et changer ses habitudes n'était pour le moment pas au programme.
Regardant sa montre, Barbara Ann reprit son stylo en main, avant de griffonner quelque-chose à la va vite dans le coin d'une feuille. Elle aurait préféré rester ici pour continuer à travailler tranquillement sur les devoirs qu'elle avait à rendre, mais son emploi du temps était d'un tout autre avis. Sans faire preuve de beaucoup d'entrain, elle rassembla ses affaires avant de commencer à les ranger dans son sac. Emportant quelques-uns des très nombreux livres entassés sur sa table, elle déposa les autres sur un chariot, avant de filer vers son prochain cours non sans saluer au passage la bibliothécaire qui ne la lâchait pas des yeux et qui se contenta de répondre à sa petite provocation avec la même mine renfrognée qui ne la quittait jamais dès lors qu'elle avait Barbara Ann dans son champs de vision.

Près de Volnovakha, Oblast de Donetsk, Ukraine, mai 2007
Se relevant péniblement, Barbara Ann essuya rapidement la terre qui se trouvait sur les genoux de son pantalon, et remercia un de ses collègues d'un signe de tête quand ce dernier lui tendit une gourde, qu'elle s'empressa d'ouvrir avant d'en boire une longue gorgée. Le soleil tapait particulièrement fort aujourd'hui, et le fait que ce n'était le début de l'été ne changeait absolument rien au fait qu'elle crevait littéralement de chaud. Heureusement que la météo annonçait de la pluie dans les prochains jours. Elle sentait les gouttes de sueur couler le long de son dos et sur son front, et elle sortit un vieux mouchoir d'une poche de son pantalon pour s'éponger le front « Alors? » « Nada. T'es sûre que c'est ici? Je t'avais dit qu'on aurait du fouiller en Turquie. En plus Martins commence à râler de plus en plus. » « Pour fouiller le même site qu'une foule d'autres avant nous? Tu me connais Viktor, je suis pas un mouton. Et Martins veut juste son quart d'heure de gloire. Pour essayer de prouver à tout le monde qu'il a plus de talent que moi. » Barbara Ann avait passé des mois à lire et relire tous ce qu'elle avait pu trouver sur le sujet, de la simple légende aux théories bien plus concrètes. Des mois à chercher des pistes et des preuves de ce qu'elle avançait. Puis il avait fallu se démener pour trouver des fonds afin de monter l'expédition, et elle avait vue plus d'une porte se fermer devant elle. Tout ça en essuyant les moqueries et les critiques de ceux qui se disaient être ses confrères, mais qui ne faisaient que lui cracher dans le dos dès qu'elle avait le dos tourné parce qu'elle avait le culot d'émettre une idée radicalement différente, ou parce qu'elle était une femme qui tentait de percer dans le métier, quand ça n'était pas carrément les deux. Mais elle préférait encore s'arracher un bras plutôt que de faire une croix sur ce projet qu'elle avait monté sans presque personne pour l'aider et qu'elle menait à bout de bras depuis déjà près d'un mois « Dis aux autres de prendre une heure de pause avant de passer au Site C. » Soupira Barbara avant de rendre sa gourde au jeune homme et de s'éloigner du site de fouille.
Il ne lui fallut pas plus d'une minute pour atteindre la grande tente canadienne qui lui servait à la fois de bureau et de chambre, et elle ne se préoccupa même pas du fait que les pans de sa tente étaient grand ouverts avant de retirer sa chemise et de la jeter sur la chaise la plus proche. Si son père était là, il aurait sûrement fait une attaque en la voyant, couverte de crasse et de poussière avec un pantalon qui avait clairement vu de meilleurs jours et un débardeur tâché sur le dos. Mais elle n'était pas ici pour un séjour dans un hôtel cinq étoiles avec mani-pédi à volonté et chocolat posé sur l'oreiller tous les matins. Elle n'était même pas certaine qu'il y ait des hôtels cinq étoiles en Ukraine. À Kiev peut-être, mais elle était bien loin de la capitale. Elle était déjà heureuse d'avoir un générateur qui tournait et qui lui permettait d'avoir l'éclairage, un mini-frigo et le micro-ondes ainsi qu'un coin privé ou elle pouvait prendre une douche sans avoir à éviter le regard de la douzaine d'hommes qui composaient le reste de cette expédition et qui n'avaient de toute façon pas besoin de ça pour se rincer l’œil à ses dépends. Barbara Ann relativisait en disant qu'au moins ici personne n'avait à craindre de voir un troisième bras lui pousser quand il allait faire trempette dans la rivière à quelques centaines de mètres du site. Mais prouver que sa théorie était vraie valait bien quelques petits sacrifices. Elle avait finit par décrocher sans le moindre mal son doctorat en archéologie, et avait participé à quelques fouilles mineures. Mais ce projet-là, c'était vraiment son bébé. Et elle savait qu'elle était sur la bonne voie. Comme toujours avec elle, ce qu'elle faisait se rapportait aux histoires que sa nourrice avait bien pu lui raconter des années plus tôt, et sur celles qui l'avaient le plus charmée. Les histoires sur les redoutables Amazones. Cette expédition avait pour but de trouver la tombe d'une ancienne reine de ce redoutable peuple de guerrières, mais la jeune archéologue nourrissait l'ambition de trouver à terme le chemin de leur royaume secret de Themyscira. De nombreux écrits plaçaient cet endroit sur la côte sud de la Mer Noire, mais l'anglaise était partie à l'exact opposé, en direction des l'ouest de l'Ukraine, près de la ville de Donetsk. C'était un pari fou, elle en était parfaitement consciente, mais elle savait qu'elle touchait au but.
Se décidant à profiter du temps qu'elle avait accordé aux autres pour faire une sieste, la jeune demoiselle finit par gagner le lit de camp installé dans un coin de la tente, poussa les calepins, livres et tout ce qui encombrait son lit avant de s'y écrouler. Ce fut en sursaut qu'elle finit par se réveiller, alors qu'elle était vigoureusement secouée par quelqu'un « Hein? Qu'est-ce que... » Grommela la demoiselle en essayant de retrouver ses repères et de comprendre ce qu'il se passait « On a quelque-chose! T'avais raison! » « Quoi? » Demanda Barbara Ann sous le coup de la surprise. L'adrénaline avait totalement balayé les dernières traces de sommeil, et elle bondit de son lit avant de sortir de la tente, se moquant royalement du soleil qui cognait toujours aussi dur. Alors qu'elle arrivait aux abords du secteur qui était actuellement passé au crible, elle n'eut pas de mal à voir qu'en effet, il y avait quelque-chose. Se laissant tomber dans le carré de terre qui avait été déblayé, elle s'approcha de l'objet qui sortait du sol, avant de s'accroupir. C'était le sommet d'une colonne en marbre qui avait visiblement souffert des ravages du temps, mais elle reconnaissait malgré tout les spécificités du travail des grecs. Enfin, elle touchait au but. S'il y avait une colonne, le reste suivrait tôt ou tard. Et elle pourrait enfin prouver à tous ceux qui avaient pu la critiquer à quel point ils n'étaient qu'une bande de misogynes gras du bide réfractaires à la moindre idée de progrès.

Université d'Oxford, Angleterre, début 2008
La sonnerie retentit et face à elle, la trentaine d'étudiants se leva dans un chaos le plus complet, avant de commencer à rassembler ses affaires et de les ranger dans les sacs, sacoches ou tout autre contenant « Et n'oubliez pas, la semaine prochaine j'attends votre résumé sur l'article que j'ai distribué au cours précédent. Dodds, je n'accepterais ni retard ni absence cette fois. » Lança Barbara Ann alors qu'elle rassemblait ses feuilles et qu'elle attrapait la brosse pour effacer le grand tableau noir dans son dos. Tout en s'exécutant, elle prit le temps de répondre aux questions que ses élèves les plus assidus venaient lui poser, et alors qu'elle se tournait à moitié de temps en temps pour parler à un étudiant, elle remarqua les deux personnes campées près de la porte et qui gardaient les yeux rivés sur elle.  Si la britannique ne s'en formalisa pas au départ, elle finit par se poser des questions en voyant qu'ils ne bougeaient ni ne bronchaient pas. L'un après l'autre les étudiants partirent, et elle finit par se retrouver seule dans le petit amphithéâtre avec le duo d'inconnus, qui se mit alors à avancer vers elle. L'un des deux, une femme  d'une trentaine d'années et qui semblait clairement diriger son collègue, prit les devants avant de demander d'une voix assurée « Professeur Minerva? » « Docteur. » « Pardon? » « Hormis si vous êtes des élèves qui rejoignez mon cours très tardivement, ce qui n'est pas le cas sans quoi j'en aurais été informée, pour vous c'est docteur Minerva et pas professeur. » Barbara Ann avait toujours été très à cheval au niveau du titre, très certainement un des rares vestiges des bonnes manières que son père avait tenté de lui faire rentrer dans le crâne.
L'expédition en Ukraine avait finit par porter ses fruits. Elle avait trouvé ce qu'elle cherchait, et les ruines qu'elle avait découvert avaient finit par la conduire à une grotte qui servait de crypte pour la tombe de Lysippe. Mais la suite de l'expédition n'avait pas été d'aussi bonne augure. La pluie qui n'avait cessé de tomber durant les derniers jours de l'expédition avait provoqué l'effondrement de la grotte, enterrant les preuves de ce qu'elle avançait sous de tonnes de décombres. Comme si ça ne suffisait pas, ses travaux avaient été volés par un des membres de l'expédition, et la course qui se jouait entre eux s'était finie en Tunisie, ou elle n'avait trouvé que son cadavre. Elle n'était pas responsable de ça, mais la mort de cet homme n'avait été en rien un problème pour elle. La jeune archéologue avait finit par suivre les indications trouvées sur la tombe et dans les ruines, mais elle avait finit par faire choux blanc. Ce semi-échec avait mit fin à sa carrière d'archéologue sur le terrain, et elle avait bouclé le doctorat en anthropologie qu'elle poursuivait en parallèle de ses activités de terrain avant d'aller se terrer ici, comme simple professeure d'archéologie « Docteur, nous avons besoins de vos services. » « Qu'est-ce qu'il se passe? Vous avez besoin que quelqu'un trouve l'Arche d'Alliance? Au cas où vous auriez oublié, elle est dans la Zone 51, entre le cadavre de l'alien de Roswell et les traces de pas du Yeti. » Répliqua Barbara Ann sans cesser de faire ce qu'elle faisait. Beaucoup auraient pu lui dire que c'était tout sauf une bonne chose de se moquer ouvertement de deux personnes qui travaillaient visiblement pour le gouvernement vu qu'ils respectaient presque totalement le cliché de l'agent en costume noir, chemise blanche et cravate noire, mais l'anglaise avait depuis toujours du mal avec les figures d'autorité et les personnes qui pensaient pouvoir lui dicter sa conduite « Docteur... » « Quoi que vous vouliez, vous allez devoir compter sur quelqu'un d'autre que moi. Vous savez ce qu'on dit, ceux qui ne sont pas assez bons se contentent d'enseigner. » Barbara Ann détestait cette phrase, mais elle avait finit par se dire que dans son cas elle s'appliquait malgré tout.
Cependant, la femme qui dirigeait le duo ne se laissa pas faire, et elle posa une mallette sur le bureau avant de l'ouvrir « Cette femme est apparue sur nos écrans il y a moins d'une semaine. Nous avons déjà tenté d'établir un contact avec elle, mais nous nous sommes heurtés à un problème. Et d'après vos confrères, vous êtes la plus indiquée pour nous aider à le résoudre. » La femme posa sur le bureau une photo ou apparaissait une femme vêtue d'un costume pour le moins étrange, puis posa un enregistreur qu'elle actionna. L'hostilité manifeste de la jeune anglaise fut totalement balayée quand la voix d'une femme sortit de l'appareil, et que Barbara Ann commença à reconnaître des sonorités qui lui étaient familières « On dirait du grec ancien, mais ça ne ressemble à aucun dialecte que je connaisse. » Marmonna-t-elle plus pour elle même que pour les deux autres. Ce fut cependant un mot qui retint toute son attention, et elle attrapa la photo comme si elle avait peur qu'elle disparaisse. Cette femme était tout simplement la preuve vivante qu'elle avait raison sur toute la ligne, que les années qu'elle avait pu passer à écumer texte après texte, à avaler mot après mot valaient le coup. Que cette histoire qu'elle avait pu entendre des années plus tôt un soir avant de se coucher et qui avait totalement façonné sa vie était bien plus que ce que pouvaient dire les écrits « Il faut que je vois cette femme. » « Nous avons juste besoin... » « Ce dont vous avez besoin c'est de quelqu'un qui peut traduire ce qu'elle raconte. Et il se trouve que j'ai un paquet de questions à lui poser. » Fourrant ses affaires en vitesse dans son sac, elle le ferma avant de se diriger vers la porte, se tournant juste le temps de lancer au duo « Vous vouliez mes compétences? Un face à face avec elle, c'est mon prix. » Cette journée pour le moins ordinaire venait de devenir en quelques minutes le plus beau jour de sa vie, et elle aurait été folle à lier de laisser passer une occasion pareille de pouvoir rencontrer quelqu'un qui affirmait venir de Themiscyra.

Région d'Okarango, Bwunda, juin 2010
Barbara Ann sauta par dessus un tronc d'arbre abattu, et grogna lorsqu'elle se réceptionna au sol et que sa jambe protestait vivement face aux traitements qu'elle subissait. Mais elle n'avait pas le temps de se reposer, même si elle aurait tué pour une malheureuse nuit de sommeil sans qu'elle se fasse attaquer par une bête sauvage ou par un de ces tarés qu'elle tentait de semer. Levant son poignet pour ce qui devait être la cent-millième fois, elle tapota en vain l'écran de la montre GPS qu'elle portait et qui comme à son habitude restait désespérément muette « Tu va finir par marcher espèce de saleté? » S'écria-t-elle en se retenant de balancer l'objet contre un arbre.  Non, il ne fallait pas qu'elle la jette. Il suffisait qu'elle s'en débarrasse pour que ce truc se décide enfin à fonctionner. Et ce foutu GPS était son seul moyen d’appeler Diana. Sa meilleure amie. Son héroïne. Celle qui l'avait fait sortir de son bureau encombré et qui lui avait redonné le goût de l'aventure. La femme qui avait promis qu'il ne lui arriverait rien durant cette expédition. Et qui était la seule qui pouvait la sortir du merdier dans lequel elle était à présent fourrée.
Le duo qui était venu la chercher dans sa salle de classe d'Oxford lui avait fait traverser l'Atlantique en direction des États-Unis, et c'était là-bas qu'elle avait rencontré Diana. Quand la britannique s'était retrouvée face à elle, elle avait immédiatement su que la brune était à la hauteur des histoires de son enfance. Diana avait quelque-chose qui n'était pas à proprement parler humain, une espèce d'aura qui se dégageait d'elle et qu'on ne pouvait tout simplement pas ignorer. Et si l'Amazone s'était montrée étonnante au premier abord, ça n'était rien comparé à ce qu'elle avait pu lui apprendre. Ses talents de linguiste et sa connaissance du grec ancien aidant, il n'avait fallu que peu de temps à Barbara Ann pour réussir à parler la langue de Diana, et une solide amitié s'était créée entre les deux femmes. L'anglaise l'avait aidée à se faire au monde et Diana lui avait appris l'histoire et la culture des Amazones, ce qui était en toute franchise l'équivalent de Noël et de son anniversaire combinés pour l'archéologue. Mais plus que tout ça, voir Diana se démener pour combattre les injustices à travers le monde l'avait poussée à retourner sur le terrain. Et quand elle s'était vue proposer de mener une expédition en Afrique pour prouver l'existence du dieu plante Urzkartaga, elle avait presque aussitôt sauté sur l'occasion, malgré les inquiétudes de Diana par rapport à cette expédition. Barbara Ann lui avait dit à cette occasion qu'elle s'inquiétait beaucoup trop. Mais maintenant, elle regrettait de ne pas avoir écouté Diana quand elle lui avait demandé de ne pas y aller. La quasi-totalité des membres de l'expédition étaient morts, et la bande de tarés qui vénéraient Urzkartaga en avaient maintenant après elle. Et cette foutue jungle qui n'en finissait pas, elle avait l'impression de tourner en rond depuis... elle ne savait même plus depuis combien de temps elle courait. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait mal, qu'elle était morte de fatigue, qu'elle avait faim et qu'elle était en colère.
Alors qu'elle essayait de grimper en haut d'un arbre dans l'espoir d'y trouver une cachette et de réussir à glaner quelques pauvres heures de sommeil, Barbara Ann sentit une main se refermer autour de sa cheville et la tirer violemment vers le bas. Les bras d'un homme vinrent enserrer sa poitrine et elle se débattit de toutes ses forces, jusqu'à ce que les quelques leçons que Diana lui avait donné en matière de combat ne remontent à la surface. Sans attendre elle remonta sa jambe en bon état de toutes ses forces et la réaction fut immédiate lorsque son talon rencontra l'entrejambe de son agresseur. L'homme poussa un cri de douleur et lâcha Barbara Ann, qui en profita pour le frapper en plein visage. Le fanatique tomba au sol, ayant visiblement eu son compte, et l'anglaise s'empressa de lui faire les poches dans l'espoir de trouver un téléphone ou n'importe quoi qui aurait pu lui permettre d’appeler à l'aide, mais elle ne trouva qu'un vieux couteau de chasse. Alors qu'elle se relevait, elle se retrouva plaquée au sol par un homme, qui broncha à peine lorsqu'elle planta maladroitement son arme dans le premier endroit qui venait. Un autre vint aider son complice, et ils la soulevèrent par les bras alors qu'elle cherchait sans succès à se libérer « Lâchez-moi espèce de sales porcs! » Un homme, qui dirigeait visiblement la bande, s'approcha d'elle et la regarda en détail, indifférent aux coups de pieds qu'elle tentait de lui donner. Au bout de ce qui aurait pu être une éternité, il finit par aboyer quelque-chose dans une langue que Barbara Ann ne comprenait pas, et sa dernière pensée avant qu'un poing ne la fasse tomber dans l'inconscience fut qu'elle aurait mieux fait de rester à Oxford.

Métropolis, États-Unis, octobre 2014
La première chose qu'elle vit fut le canon de l'arme qui se pointait lentement dans sa direction. La seconde fut ses bras qui tremblaient, rendant ainsi difficile le fait de viser. La troisième fut la peur qu'elle lut sans le moindre mal dans son regard et qui lui tira un sourire. Sans attendre, elle bondit en avant et le pauvre policier hurla de douleur alors que son arme tombait au sol en même temps que la moitié de son bras. Hurlement qui s'acheva dans un gargouillis alors qu'il finissait avec la gorge lacérée. Le pauvre policier n'était pas encore tombé au sol qu'il était déjà mort. De même que les sept autres représentants des forces de l'ordre qui gisaient ça et là dans la rue encore bondée quelques minutes plus tôt. L'odeur familière du sang lui monta au nez, et le sourire qu'elle arborait s'élargit d'autant plus. Jusqu'à ce qu'une balle la manque de peu, et elle se retourna vivement pour voir qu'un autre policier, le dernier du groupe, tentait un dernier baroud d'honneur. Un acte aussi stupide que faussement héroïque. Le policier n'avait pas vidé la moitié de son chargeur que sa gorge se retrouva enserré dans une poigne de fer, l'étouffant peu à peu « Inutile de résister, tu es mort à la seconde ou tu as décidé de jouer au héros. De toute façon, toi et tes amis n'êtes que l'apéritif. C'est Elle que je veux. » Cracha-t-elle avant de briser la nuque de l'agent de police et de jeter son cadavre contre une voiture.
Elle. Wonder Woman. La femme qui avait transformé sa vie en enfer. Qui s'était jouée d'elle, avait feint d'être son amie, lui remplissant la tête de promesses et de mensonges au passage. Pour mieux lui planter un poignard dans le dos par la suite. Barbara Ann avait eu besoin d'elle, et Diana ne s'était pas montrée. Elle avait prié, supplié de toutes ses forces pour que l'Amazone lui vienne en aide, parce que c'était ce que les héros devaient faire. Mais la brune ne s'était pas montrée. Et Barbara Ann avait été offerte au dieu plante, qui avait fait d'elle sa femme et l'avatar de Cheetah, la déesse guépard de la chasse. L'archéologue était devenue une femme maudite, prisonnière de ses pensées et de ses instincts les plus primitifs et d'une rage qui brûlait en elle sans jamais s'éteindre, impuissante spectatrice des actes abominables qu'elle commettait. Les premiers mois elle avait tenté de reprendre le contrôle, mais ses hurlements avaient diminués de volume jusqu'à disparaitre totalement, alors qu'elle acceptait enfin une vérité qu'elle avait nié pendant si longtemps. Le monde n'avait rien de gentil et chaleureux. Il était froid, impitoyable et cruel. Et pour y survivre, il fallait qu'elle le soit tout autant. C'était ce jour-là que Barbara Ann Minerva avait cessé d'exister pour n'être plus que Cheetah, celle qui menait la chasse, qui régnait sans partage au sommet de la chaine alimentaire et qui ne s'arrêterait pas avant d'avoir mise à mort sa proie la plus importante. Celle à cause de qui elle avait tout perdu et à qui elle ferait tout perdre. Le rêve s'était transformé en cauchemar à cause d'une seule personne, et Cheetah ne s'arrêterait pas avant d'avoir accompli sa vengeance et d'avoir fait de la vie de Wonder Woman un champ de ruines.
Alors qu'elle s'acharnait sur l'un des cadavres encore chaud d'un des policiers, elle entendit le bruit d'un objet se déplacer à grande vitesse dans sa direction, suivi quelques instants plus tard du gémissement d'une carrosserie de voiture, signe que l'objet en question venait d’atterrir dessus. Enfin, elle avait presque failli attendre. Il y avait toujours un risque qu'il s'agisse d'un autre, vu à quel point cette ville grouillait de ces pseudos-héros. Auquel cas le malheureux ou la malheureuse allait passer de vie à trépas sous ses griffes et ses crocs. Mais elle savait que c'était Elle. Cheetah le sentait. Son instinct le lui criait. Et son odorat sur-développé le lui confirma quelques instants plus tard. Prenant soin d'essuyer le sang qui maculait le bas de son visage, Cheetah se retourna avant de sourire de toutes ses dents lorsque ses yeux lui confirmèrent ce que son instinct lui disait « Diana. En retard, comme à chaque fois. » Grogna-t-elle avec dédain avant de bondir sur celle qui avait été sa meilleure amie et qu'elle haïssait plus que tout à présent.

Musée du Louvre, France, mars 2017
Le bruit des talons qui claquaient sur le sol résonnait dans toute la pièce alors que Cheetah avançait d'un pas déterminé, résistant à l'envie furieuse qu'elle avait d'arracher les vêtements qu'elle avait sur le dos et qu'elle trouvaient affreusement gênants et inconfortables. Mais elle était là en toute discrétion, et pour ça il fallait qu'elle se fasse passer pour une humaine. Rien que cette pensée lui aurait hérissé les poils, l'idée de reprendre l'apparence de Barbara Ann faisant remonter en elle des souvenirs et des sentiments qui lui donnaient envie d'étriper le touriste le plus proche, qui était trop occupé à s'extasier sur ce qu'il avait sous les yeux pour imaginer qu'il se trouvait dans la même pièce qu'une bête féroce à l'apparence humaine. Même si Cheetah pouvait reprendre à volonté son ancienne forme, elle ne le faisait que lorsqu'elle en avait vraiment besoin, car voir son reflet dans un miroir lui rappelait à quel point elle avait pu être faible et impuissante. Incapable de faire quoi que ce soit pour se défendre seule, obligée de s'appuyer sur les autres pour la protéger. Alors que sous ce qu'elle considérait à présent comme sa véritable apparence, elle était forte. On la craignait, on se mettait à ses genoux dans l'espoir d'éveiller chez elle une once de pitié qui n'existait de toute façon pas, et elle n'avait besoin d'aucun justicier en costume pour la sortir des ennuis, vu que tous ceux qui étaient assez idiots pour lui en causer finissaient par périr sous ses griffes et ses crocs.
Alors qu'elle traversait le Hall Napoléon pour se diriger vers l'endroit qui l'intéressait vraiment, elle remarqua que certains des touristes étaient visiblement accaparés par tout autre-chose que l'idée de visiter le musée. Se moquant bien de ce qu'ils pouvaient trouver de si intéressant, elle continua à évoluer parmi eux, mais elle captait des brides de conversations à gauche et à droite. Assez pour en conclure qu'il se passait quelque-chose d'important. Et de grave. Est-ce que la planète était encore attaquée par des aliens? Cela faisait plus d'un an que Darkseid avait tenté de conquérir la Terre avec ses armées. Plus d'un an que les héros étaient mis sur un piédestal, avec Diana parmi ceux qui étaient le plus adulés. Celle que tous voyaient comme une des plus grandes héroïnes qui soit alors que la vérité était bien moins reluisante. Le monde s'était remis de l'attaque, mais les crises se multipliaient et ces héros de pacotilles étaient sollicités de plus en plus souvent pour lutter contre des dangers de plus en plus grands. Alors qu'elle passait devant un des guichets, son regard accrocha l'écran d'une télé, qui diffusait les informations au lieu d'un habituel spot publicitaire pour le musée. Et le titre du reportage écrit en gros caractères blancs sur fond rouge la fit s'arrêter sur le champ, alors qu'elle retenait inconsciemment son souffle. Non, c'était impossible. Elle devait avoir mal lu. La jeune femme se dirigea vers la télévision sans même se préoccuper du fait qu'elle bousculait les gens sur son passage, comme si le fait d'en être plus proche pouvait changer ce que sa vue venait de lui montrer. Elle relut la phrase une fois, deux fois, laissant les mots qu'elle lisait traçaient leur route jusqu'à son cœur en déchirant tout sur leur passage. Wonder Woman tuée au combat. Cheetah se moquait bien des images en direct qui passaient en fond et qui montraient des scènes dignes d'un film catastrophe, tellement elle était incapable de détacher les yeux de cette phrase.
Sans vraiment s'en rendre compte, elle se précipita dans les toilettes des femmes, avant de s'arrêter devant les lavabos. Ou elle éclata en sanglots. C'était impossible, elle devait être en train de vivre un cauchemar dont elle allait s'éveiller. Diana ne pouvait pas être morte. Elle ne pouvait pas mourir comme ça, c'était tout simplement impossible. Elle était bien meilleure que tous les autres, capable de ne faire qu'une bouchée de n'importe quel ennemi. Alors que Cheetah relevait la tête, elle croisa son reflet dans le miroir. Celui d'une jeune femme faible et brisée, incroyablement vulnérable, qui venait de perdre la seule personne qui avaient encore de l'importance à ses yeux. Dont la dernière véritable amie venait de mourir. Une mort... qui lui revenait de droit. Le chagrin fut alors balayé par une rage immense et féroce alors que Cheetah réalisait qu'on venait de la priver de son seul but. Quelqu'un avait tué Diana à sa place. Quelqu'un lui avait volé sa proie. Poussant un hurlement de rage, elle frappa le miroir face à elle, qui se brisa en mille morceau. Elle frappa encore et encore, insensible à la douleur et indifférente au sang qui coulait de ses phalanges, se contentant de laisser sa douleur et sa colère se déchainer. Et lorsqu'un vigile entra dans les toilettes pour vérifier ce qui se passait, c'est sur lui qu'elle se déchaîna. Il n'avait rien fait de mal, mais il allait payer. Ils allaient tous payer.

Gotham City, États-Unis, février 2018
Aussi immobile qu'une statue, Cheetah était perchée sur un des innombrables toits de Gotham, indifférente à la nuit qui l'entourait. De toute façon, dans cette jungle de béton, de verre et d'acier, il ne faisait jamais totalement nuit, et même si ça avait été le cas, elle pouvait voir aussi bien dans la nuit la plus noire que si elle avait été en plein jour. Contrairement à ce que bien des gens pouvaient penser, ses dons ne se limitaient pas à sa seule apparence. Beaucoup ne voyaient en elle qu'une femme couverte de fourrure. Jusqu'à ce qu'un coup de griffes ne leur fasse entrevoir qu'une fraction de ce qu'elle était en réalité. Elle trouvait toujours un plaisir malsain, limite pervers au fait d'infecter de pauvres innocents avec le poison qui coulait de ses crocs et de réveiller en eux leurs plus bas instincts alors qu'ils se transformaient en bêtes sauvages. Surtout qu'ils finissaient par semer le chaos autour d'eux et qu'ils poussaient Diana à rappliquer, pleine d'espoir et de détermination quand à l'idée de sauver celle qui était sa meilleure amie. Un espoir qui s'effaçait à chaque fois qu'elle finissait par comprendre qu'il ne s'agissait que d'un autre innocent de plus contaminé par le fléau déversé sur le monde par un dieu exilé au fin fond d'une jungle africaine. Un fléau qui prenait l'apparence d'une des personnes qui avait eue le plus d'importance dans sa vie.
Fronçant les sourcils alors qu'une vieille odeur d'égouts arrivait jusqu'à son nez, Cheetah sentit ses mains se serrer sur le rebord du toit sur lequel elle se trouvait lorsqu'elle vit la lumière apparaitre à la fenêtre qu'elle fixait du regard depuis des heures. Quelques instants plus tard elle vit un manteau être lancé sur un meuble - sûrement un fauteuil ou une banquette - qui se trouvait hors de son champ de vision et la silhouette familière de Diana finit par apparaitre à la fenêtre. Diana, bel et bien vivante. La mort de l'héroïne n'avait visiblement été que temporaire, puisqu'elle était là, souriante et pleine de vie. Ce qui avait été un véritable soulagement pour Cheetah qui, ça n'était rien de le dire, n'avait pas bien vécu cette période. Privée de sa vengeance, de sa seule raison de vivre, elle avait même envisagé pendant un instant d'en finir pour de bon, si seulement elle avait encore pu avoir le droit de choisir l'heure à laquelle elle quitterait son existence maudite. Mais Diana était revenue, redonnant à son cœur une raison de battre et à sa rage un moyen d'être canalisée. La criminelle montra les crocs lorsqu'elle vit la silhouette de l'autre occupant de l'appartement apparaitre à son tour, et elle résista à l'envie de bondir à travers cette fenêtre pour la massacrer à coup de griffes lorsque l'Amazone se mit à rire à quelque-chose que l'autre lui avait dit. Encore un rappel cuisant de ce que Diana lui avait arraché. Diana était là, débordant de bonheur, avec tout ce qu'elle voulait à portée de main, alors qu'elle avait presque oublié ce à quoi pouvait bien ressembler la joie.
Alors que le couple passait dans une autre pièce de l'appartement, l'odeur de la poudre à canon se fit sentir, et une voix familière se fit entendre dans son dos « Si c'est pas malheureux. Voir une occasion en or s'envoler comme ça. Une balle dans la tête et j'aurais fait un Jackson Pollock avec sa cervelle. » Se retournant en un éclair, Cheetah attrapa l'homme par le cou avant de le plaquer contre une cheminée, qui trembla sous l'impact « Touche à un seul cheveux de Diana et je t'arrache ton seul œil valide. » Cracha-t-elle en approchant une griffe du visage découvert de Deathstroke. Ce dernier ne luttait même pas, mais Cheetah savait que s'il l'avait voulu, il aurait pu se libérer de son emprise en un instant. Ce qu'elle finit par faire, et le mercenaire se massa rapidement la gorge, un sourire sur le visage « Relax, j'ai pas l'intention de toucher pas à ta copine. Pas sans un énorme chèque à la clé. » « Alors qu'est-ce que tu fais là? » « Luthor veut te voir. » « Il n'a pas une élection à gagner? » L'idée de voir Luthor devenir président avait sincèrement de quoi la sidérer. Mais l'homme avait toujours eu la folie des grandeurs, et vivre dans un monde ou il n'était guère plus qu'un homme ordinaire l'avait toujours rendu malade. Luthor croyait pouvoir la contrôler, comme tous ceux qu'il avait enrôlé au sein de sa petite Ligue d'Injustice, mais il n'était guère plus qu'un enfant qui s'amusait avec des jouets trop dangereux pour lui et qui pouvaient à chaque instant se retourner contre lui. Qu'il s'amuse donc à s'afficher comme le futur leader du plus grand pays du monde, celui qui allait rebâtir et panser les plaies encore béantes laissées par le Syndicat. Elle avait des choses plus urgentes à régler « Il m'a demandé de transmettre le message, mission accomplie. » « Tu es devenu le coursier de Luthor? » « J'ai un contrat en ville. J'ai simplement rendu service. » Répondit Deathstroke avant de tourner les talons. Jetant un dernier coup d’œil en direction de l'appartement de diana, Cheetah grogna avant de quitter à son tour son perchoir.

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