It's a new world for us || Megan

It's a new dawn, it's a new day

Il faisait froid, il faisait beau, Zee n’était pas à Gotham, la mer était toute proche et elle s’apprêtait à rendre visite à une amie. Que demander de plus ? Si ce n’était que les choses restent ainsi pour toujours – le genre de vœu irréalisable, avec la paix dans le monde, comme par hasard. Une fois n’était pas coutume, elle avait fait tout le trajet en bus, deux bonnes heures d’abord à s’extraire de la ville sombre, puis des bouchons sur l’échangeur, avant qu’enfin, le véhicule ne longe la côte et la mer. Et alors, la lumière était revenu, l’air s’était rafraîchi et éclairci et elle s’était abîmée dans la contemplation des vagues qui battaient la longue plage jusqu’à, elle le savait, la ville de Mount Justice, même si elle ne comptait pas aller jusque-là. A priori, Megan était à la fac, à cette période de l’année. Si elle n’était pas partie sauver le monde quelque part. Personne ne se doutait des difficultés que les « héros » comme eux avaient à entretenir une vie sociale, franchement. On trouvait souvent porte close quand on allait rendre visite à un ami, et on recevait des réponses à des SMS deux mois après en mode « désolée j’étais sur Pluton à combattre Zorg IV ». Elle n’avait pas appelée Megan, ne l’avait pas prévenue de sa visite – mais elle ne le faisait jamais et la trouvait toujours. Et elle ne s’était pas téléportée, tout simplement parce qu’elle avait besoin de ce petite temps passif, à ne rien faire d’autre qu’à attendre que le temps passe. Et la route était belle.

Elle finit par descendre du bus à une dizaine de kilomètres de Mount Justice, dans la petite banlieue où se trouvait l’université la plus proche, au nord, Gotham, au sud, Mount Justice… Le choix aurait dû être vite fait. On distinguait les montagnes plus loin dans les terres. Le quartier où était la fac était animé, et ses habitants jeunes, souvent des étudiants, réunis dans des maisons d’étudiants disséminées autour du grand campus, qui lui-même proposait des logements en chambres pour deux. Aaaah, la fac… Zee n’y était pas allée, elle n’était même pas allée à l’école. Son père avait fait toute son éducation, et aucun diplôme n’aurait sanctionné ses capacités et ne l’aurait préparée pour le métier qu’elle voulait faire. Quand à sa culture, elle l’avait bâtie seule, au fil de ses lectures, de ses rencontres, et grâce à son père – et à sa curiosité sans limite. Elle traversa un parc où, malgré la température fraîche, des étudiants traînaient, vautrés dans l’herbe par groupes ou en couple. Certains jouaient au foot américains, d’autres lisaient, d’autres écoutaient de la musique ou dansaient. C’était presque trop de normalité pour elle. Savaient-ils que parmi eux se trouvait une Martienne, une vraie de vraie ? Et, statistiquement, Megan n’était même probablement l’être le plus étrange qui devait fouler cet endroit.

Zee commença par les lieux où elle trouvait souvent son amie : deux petit cafés confortables où elles avaient pour habitude de se poser pour se gaver de gâteaux et de thé, la Maison de l’archéologue, le bâtiment où se tenaient les cours du même nom et qui était comme un petit musée à elle toute seule, puis elle traîna autour du bâtiment de biologie, mais il ne semblait pas y avoir de cours pour le moment. Alors elle se dirigea vers ka bibliothèque universitaire, un magnifique bâtiment à l’air ancien et aux rayonnages qui semblaient infinis. Zee y était souvent allée elle-même pour attendre Megan et avait découvert que le département d’histoire ancienne et médiévale de l’université détenait un fonds d’archives fourni et absolument pas exploité pour le moment, probablement faute de personnel… Elle s’y était introduite plus d’une fois, et avait trouvé de vraies pépites, mortifiée de les voir prendre la poussière dans les sous-sols… Mais elle doutait que l’occultisme et la magie soient enseignés ici. Si le doyen de la fac avait su que ce genre de documents « hérétiques » ou au mieux, « stupides », traînaient dans le coin, il s’en serait débarrassé… Zee avait même volé un livre une fois. Un grimoire dangereux. Elle traversa la salle principale et se dirigea vers la travée contenant les ouvrages de sciences, et enfin, elle la vit : Megan ! Son premier réflexe fut de l’appeler, mais elle se rappela à temps qu’elle était dans une bibliothèque alors elle se risqua à faire un timide appel télépathique : « Megan, coucou ! » Pour ce qu’elle en savait de toute façon, Megan l’avait repérée bien avant. Elle rejoignit son amie et la serra brièvement dans ses bras. Elle ne l’avait pas revue depuis… depuis ce foutu bug dans la chronologie de leurs existences. « J’aime toujours venir ici. » Elle était repassée à un mode de communication normale, chuchotant tout bas. « Tu as un peu de temps à m’accorder ou c’est la saison des examens ? Je ne sais jamais… » En même temps, elle était sûre que Megan n’avait pas vraiment besoin de réviser sa biologie.

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En voyant cet endroit, le campus, la bibliothèque, tous ces livres, les étudiants et Megan parmi eux, qui lui sourit à la seconde où elle leva les yeux sur elle, Zee songea qu’elle avait peut-être raté quelque chose à ne pas aller à la fac. Elle essaya de se rappeler ce qu’elle faisait à cet âge, mais ce n’était pas que des bons souvenirs. Elle avait étudié auprès de son père jusqu’à rencontrer Nicolas à dix-neuf ans et l’avait suivi à San Francisco. Au lieu de polir les bancs de la fac de son popotin, elle faisait la fête tous les soirs dans des clubs, se produisait sur scène puis ratissait les rues de la ville la nuit à la remorque de Nick à la recherche de méfaits à réparer, de criminels à arrêter, d’objets magiques et puissants à trouver… Puis elle avait rencontré John, puis ils avaient envoyé l’autre en enfer, puis ils avaient tué Zatara, bref, Zee aurait certes mieux fait d’aller à la fac mais il semblait qu’elle était bien trop bête pour ça à l’époque, sinon elle aurait pris d’autres décisions. Les cours ne l’intéressaient pas, elle pensait qu’elle pouvait tout apprendre seule, tout ce dont elle avait besoin, par les livre et par l’expérience, et elle avait appris, ça oui, mais à quel prix… Elle se demandait toujours ce qui avait motivé Megan à prendre cette décision. Mais pour cela, il fallait déjà imaginer quelle avait été sa situation quand elle était arrivée sur Terre et Zee ne pouvait même pas y penser. C’était trop dur d’imaginer son monde vaporisé par une guerre ayant tué tout le monde, et en plus de ça arriver dans un autre monde, qui n’était pas le sien, et devoir s’y résigner… Et Megan était si jeune en plus. À son âge, la magicienne devait avoir la maturité d’une bulle de savon, et à sa place, elle se serait probablement roulée en boule quelque part en attendant que quelque chose se passe.

Elles sortirent de la bibliothèque pour pouvoir discuter plus tranquillement, se posant dans un de leurs cafés de prédilection. Le regard de Zee semblait scanner la jeune femme, comme pour chercher sur elle les traces de ce qu’ils avaient vécu récemment… Personne n’y avait échappé. Et les gens qui avaient tout perdu dans cette vie avaient de grosses chances d’avoir subi deux fois la même perte, avec le retour à la normale. « Je vais bien. Encore mieux depuis que je suis ici. On oublie trop vite qu’il y a des paysages magnifiques en-dehors de Gotham. » Gotham City, la cocotte-minute sous laquelle marinait la pollution, le crime et la nuit. Mais c’était sa ville. Son tour venu, elle commanda un mocha blanc ultra-sucré et une fois que Megan et elles furent servies, elle dégota une place en terrasse. « Tout à fait, en bus, même. Ça m’a pris plusieurs heures, mais ça fait du bien de se passer de magie, un peu. » Vu que la magie ne résolvait jamais rien, du moins jamais comme on le voulait. Elle s’étira avec délice sous les rayons du soleil frappant la terrasse, laissant son regard se promener sur l’horizon montagneux. Pour voir vu des images du monde natal de son amie, elle savait que ça n’avait rien avoir, mais elle n’avait pas trouvé cela dénué de beauté, au contraire… « Et toi Megan, comment vas-tu ? Pas trop dur, la reprise ? » Et elle ne précisa pas vraiment de quelle reprise elle parlait, juste au cas où Megan voulait éviter d’aborder certains sujets.

Puis elle se redressa d’un coup avant de fouiller la poche de sa veste. « J’ai failli oublier, je t’ai apporté quelque chose… » Elle sorti de sa poche son téléphone, son portefeuille, une petite trousse à maquillage, un livre, autant d’objets qui n’auraient jamais dû rentrer dans ladite poche en temps normal, qu’elle posait à mesure sur la table, puis elle finit par trouver ce qu’elle cherchait. Elle tendit à son amie un bracelet de minuscules perles en lapis-lazuli d’un bleu éclatant et nacré, parcouru de traits d’or. « C’est un diseur de bonne aventure mésopotamien qui m’a l’a donné. Il m’a dit qu’il l’avait acheté à Ur, et je crois qu’il a dit la vérité, il avait l’air vraiment vieux, vieux comme la première ville du monde ! » Elle posa le bracelet sur la table et entreprit de ranger tous les autres objets dans sa poche un par un. « C’est la pierre des dieux, censée avoir un effet bénéfique sur la confiance en soi et l’imagination. Je ne sais pas si c’est vrai, mais il n’y a aucune magie dans ce bijou, alors je te le donne, c’est sans danger. Il suffit d’y croire, j’imagine. » Disait-elle à une étudiante en biologie. Mais elle savait que Megan, esprit scientifique ou pas, n’était pas du genre à fermer la porte à ce genre de petites croyances. Elle lui adressa un sourire, sans reposer sa question précédente.

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Bien sûr, même si elle le voulait, Zee ne pourrait pas vraiment se passer de magie. Inscrite dans ses veines, issues de sa lignée sur des générations, des siècles et des siècles de magiciens et de sorciers lui avaient légué ses pouvoirs. Elle pouvait choisir de ne pas s’en servir, c’était tout, et c’était facile, en sachant que c’était un choix, justement, et pas quelque chose de subi. Mais dernièrement, la magie l’avait trahie. Elle avait appris par l’expérience et dans la douleur ce que son père lui avait répété des centaines de fois quand elle était petite : la magie ne résolvait pas tout. Elle le savait donc depuis un moment et n’était pas naïve, mais ce qui s’était passé dans cette fichue vie parallèle lui avait rappelé à quel point la magie pouvait être traîtresse, et inutile parfois. Et que le prix à payer était parfois trop élevé. Elle n’en était pas à faire la grève, ou à faire la gueule à ses pouvoirs, mais presque. Et ça durerait le temps que ça durerait – pas longtemps, évidemment. Car c’était son don, cela faisait partie d’elle, aussi naturel que de respirer. La différence entre elle et Megan, évidemment, c’était que Zee n’avait jamais eu besoin de se cacher. Les gens qui la voyaient faire voyaient une femme faire de ma magie. S’ils avaient peur d’elle, elle ne les terrifiait pas non plus. S’ils pensaient qu’il y avait un truc, peu importait. Et souvent, ils étaient juste impressionnés. Les gens associaient la magie avec quelque chose de positif – sans même réaliser qu’elle aurait pu faire autant de dégâts que Superman avec ses pouvoirs. Cela ne leur venait pas à l’esprit – parce qu’elle était une femme ? Parce qu’elle était « jolie » ? Parce que la magie, pour eux, c’étaient la fantaisie de leur enfance ? Elle n’avait jamais compris, mais une chose était sûre, elle ne faisait peur à personne, pour le meilleur ou pour le pire. Elle savait en revanche que la question était autrement différente et compliquée pour Megan. Le choix, encore une fois, faisait tout.

Zee remarqua bien que son amie esquiva sa question, mais elle se sentit quand même mieux en voyant son visage s’éclairer un peu lorsqu’elle lui offrit le bracelet. Elle nota pour elle-même le coup de l’améthyste : il ne se passait pas une nuit sans qu’elle fasse des cauchemars, ces derniers temps, mais elle soupçonnait qu’une pierre ne serait pas suffisante pour l’aider. Pas plus que son bracelet suffirait à lui tout seul à rendre son sourire lumineux à Megan. Celle-ci osa enfin ébaucher un début de réponse et Zee l’écouta, tendant une main vers son poignet et effleurant la pierre bleue d’un air rêveur. « Mieux que d’autres »… Une manière pudique de dire qu’elle devait encore souffrir de ce qui s’était passé mais qu’elle ne voulait pas en faire tout une histoire. Elle releva les yeux pour croiser son regard et lui sourit. « Ce qui a changé… Moi, je crois. J’ai découvert un aspect de moi que je déteste. On a beau se dire que c’était une fausse existence, ça reste là. » Elle effleura sa tempe du bout du doigt et haussa les épaules. « Et puis tu sais… Il y a ceux qui ne sont pas revenus. » Revenus, repartis, morts, pas morts, morts à nouveau, plus vraiment mort, faire le mort… Il y avait de quoi devenir fou, un peu. D’ailleurs elle avait dû l’être un peu, vu toutes les bêtises qu’elle avait commises. Mais le temps apaisait un peu les blessures, non ? Elle secoua la tête. Elle était sûre que Megan voyait de quoi elle parlait, au moins en termes d’émotions. Peu importait de quoi avait été faite cette autre existence, ça avait été une expérience traumatisante dont ils devaient tous se remettre à présent. Et c’était forcément plus facile pour M. Tout-le-monde que pour des gens qui, comme elles, vivaient des vis particulières.

« Est-ce que tu veux me parler un peu de ce que tu as vécu ? » Elle ne voulait pas lui forcer la main. En vérité elles n’étaient pas non plus forcées d’en parler. Elles auraient pu, d’un simple échange télépathique, échanger bien plus que de simples histoires. Mais c’était là une pensée qui faisait frémir Zee. Cela aurait voulu dire ne pas pouvoir mentir, ne rien pouvoir cacher, ce qui en soi ne dérangeait pas Zee, mais c’était la manière de faire qui lui donnait la chair de poule. « Tu sais ce qui nous est arrivé, finalement ? » Ce n’était qu’une question pour lui offrir une porte de sortie, au cas où elle aurait voulu changer – à peine – de sujet. En regardant autour d’elle, Zee avait l’impression que les gens se passaient très bien d’explication. Enfin, encore une fois, les gens « normaux ». Quiconque portait en lui de vieux cauchemars n’avait pas pu échapper au plaisir de les voir se réveiller durant le temps que ça avait duré. Alors comment reprendre sa vie d’avant, après ça ? En galérant sérieusement. En buvant, pour certains, en disparaissant pour d’autres, en coupant les ponts avec tout le monde. En menant des rituels occultes débiles et dangereux pour une certaine personne. Et pour Megan ? Elle n’osait pas imaginer. Car même si sa vie parallèle avait été merveilleuse, alors le retour à la normale n’en avait dû être que plus insupportable, non ?

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Megan n’avait pas tort sur ce point : dans cette autre vie, des tas de gens étaient réapparus. En ce qui concernait Zee, elle s’était retrouvée traquée par la seule personne dans tout l’Univers qu’elle aurait préféré ne jamais revoir et qu’elle ne regrettait… presque pas… d’avoir tuée. Mais elle avait su, de source sûre, que son père était en vie. Seulement, elle n’avait pas pu le retrouver, et elle avait fini par comprendre pourquoi : il ne le souhaitait pas. Son père, qui l’aimait tant, la haïssait dans cette autre existence, pour tous les crimes qu’elle avait commis. Pire, même : elle l’avait déçu. Et il ne voulait plus rien avoir à faire avec elle. Et Zee, qui avait pleuré de joie en imaginant par avance pouvoir serrer encore une fois, même une dernière fois, son père dans ses bras, avait dû se rendre à l’évidence. Jamais elle ne le retrouverait. Et bien consciente qu’en éliminant Wotan, elle le tuerait à nouveau, en quelque sorte, et c’était exactement ce qui s’était passé. Rien, dans cette autre vie, n’avait donné à la magicienne la moindre once de bonheur. Elle était même revenue plus malheureuse qu’elle n’était arrivée, d’une certaine façon. Alors elle sut, à l’expression terrible de Megan, qu’elle aussi en avait bavé. Qu’elle non plus n’avait pas eu la chance de vivre un genre de rêve éveillé, un genre de seconde chance paisible qui, même si elle n’était pas destinée à rester, avait été chouette le temps que ça avait duré. De toute évidence, elle non plus n’avait pas pu profiter de ce laps de temps pour retrouver des proches disparus… Et tout doucement, avec sa retenue habituelle, Megan lui parla, à demi-mots. Bien sûr, Zee ne pouvait pas imaginer ce qu’elle avait vécu avec ces quelques mots – encore qu’il y avait les mots, il y avait la voix, il y avait la posture, toutes ces choses qui lui disaient que clairement, son amie avait souffert et souffrait encore.

Le temps de méditer ses paroles, Zee enregistra l’explication de Megan, sur les raisons de ce bordel temporel. Elle avait déjà eu une conversation avec Barry, non pas sur ce sujet particulier, mais qui lui avait mis la puce à l’oreille, et les mots de Megan complétaient les blancs, en quelque sorte. Ben voyons, les gens n’avaient qu’à jouer avec le temps, comme ça, sans se préoccuper des conséquences ! Mais à quoi bon s’énerver maintenant que tout était terminé. Même si les conséquences se faisaient encore sentir. Les propos qui suivirent lui glacèrent le sang et elle se retint à grand-peine de laisser transparaître ses émotions. De quoi avait besoin son amie, en cette seconde ? D’être rassurée, visiblement. Zee la regarda droit dans les yeux. « Oui. J’en suis sûre et certaine. » En tout cas elle faisait très bien semblant. Elle n’avait pu être témoin de l’amplitude des pouvoirs de Megan. Et franchement, la jeune femme la surclassait déjà sur le plan télépathique. Mais enfin, il y avait d’autres moyens. Maintenant, cette seule pensait la hérissait. Pourquoi Megan lui demandait-elle une chose pareille ? Qu’avait-elle « ramené » avec elle ? « Tu sais, là-bas, j’étais ce que j’ai passé ma vie à combattre. Mes incroyables pouvoirs, je m’en servais pour tuer des gens. Tout le monde avait peur de moi, j’étais seule. Et j’ai découvert que j’étais capable de faire une chose pareille. Tous mes principes, mes beaux discours, la façon dont les autres me voient, la gentille Zatanna… » Elle lutta contre l’ironie qui menaçait d’emporter ses paroles. « Il faut croire que je ne suis pas si parfaite. Cette autre vie m’a appris que j’avais ça en moi. C’est avec cette vérité désormais que je dois vivre. » Et avec les cauchemars et les souvenirs de ses victimes. Pourquoi elle lui racontait ça ? Peut-être pour désinhiber. Si elle voulait la mettre à l’aise, forcément, c’était un peu raté.

« Personne n’a été capable de m’arrêter, là-bas. Ici, je me dis que j’en serais capable moi-même, mais j’ai pu constater que rien n’était moins sûr. » Elle avait invoqué un foutu démon. Elle aurait pu le lâcher sur cette Terre et le regarder massacrer l’humanité. Et elle ne s’était absolument pas mis de barrières, à ce moment-là. « Mais toi, Megan, aide-moi à comprendre : quoi qu’il t’arrive je ferai tout pour te sauver si tu en avais besoin, mais oui, je peux t’arrêter s’il le faut. Tu dois me dire pourquoi, cependant, si tu exiges une telle chose de moi. » Elle frémit. L’empêcher d’agir… Voulait-elle dire, la tuer ? Zee ne voulait même pas y penser. Elle pouvait penser à mille façons de ne pas avoir à tuer Megan et elle préférait se concentrer là-dessus.

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Quelque part, forcément, ça la soulageait un peu de parler, de dire ce qu’elle portait en elle depuis si longtemps maintenant. Pourquoi est-ce qu’elle le faisait avec Megan, pourquoi maintenant, Zee n’aurait pas su le dire, si ce n’était qu’elle voulait que Megan lui parle et qu’elle se disait qu’avant de demander quelque chose, il fallait donner, pour maintenir un genre d’équilibre. Mais elle avait eu dix fois l’occasion de se dépeindre ainsi, à l’image de ces criminels que Megan et ses compagnons, ou elle-même et sa bande, ou tous les autres soi-disant héros qui arpentaient cette planète, pourchassaient en permanence, et elle ne l’avait pas fait. Jusqu’à aujourd’hui. Il y avait peut-être une certaine injustice dans tout cela. Elle savait qu’elle passait plus de temps à fouiner dans la vie des autres qu’à faire face à ses propres problèmes. Il n’y avait pas meilleure fuite que ce prétexte : plus tard, je m’occuperai de mes travers, pour le moment, les autres ont besoin de moi. Alors que dans l’absolu, avait-on réellement besoin de quelqu’un ? Zee était assez lucide sur ce défaut majeur qu’elle avait – sans parler du fait que certaines personnes l’avaient déjà mise au pied du mur par rapport à ça. Pour le moment elle n’avait pas trouvé la force de s’avouer qu’elle aurait mieux fait de s’occuper de ses problèmes avant de remuer ceux des autres. Et en l’occurrence, se décharger de ce qu’elle avait sur le cœur sur Megan, qui était si jeune, et qui semblait aller si mal, lui paraissait soudain absolument innommable. Mais comment ne pas réagir, comment ne pas vouloir se rebeller, quand Zee l’entendait prononcer des mots comme « Je ne veux pas que tu me sauves » ? Tout en elle se hérissa et elle eut du mal à se retenir de se lever et de pousser des grands cris. Mais il n’était pas temps de révolter. Ce qu’elle pouvait faire pour Megan, sans lui faire du tort, c’était l’écouter, tout simplement.

Une infime partie du passé de Megan se dévoilait à elle en ce moment même. Ce n’était pas « l’animal en soi » comme le disaient les psychologues, ou l’inconscient, ou une double personnalité, ni rien de cela. C’était une histoire de nature, une nature cachée, du moins que Megan lui avait cachée, et probablement pas qu’à elle. Quelque chose de violent qui peut-être – sûrement, même – se débattait depuis longtemps en elle, qui avait si bien su le cacher. Mais comme de juste, elle avait ramené ce quelque chose avec elle, à la surface, de cette affreuse vie parallèle. Personne ne pouvait prétendre ne pas être revenu de cette expérience changé. Certains en profitaient peut-être en ce moment même pour réaliser un rêve qui, ils en avaient eu la preuve, étaient réalisables. Quand d’autres luttaient au jour le jour pour remettre le diable dans sa boîte. Zee sentit sa gorge se serrer, s’attendant au pire, alors que Megan avait du mal à trouver les mots pour lui avouer… quoi ? Qu’avait-elle fait ? Allusive dans ses propos, Megan ne pouvait pas tout lui dire. Faire du mal à qui ? Les membres de la Young Justice ? Ses camarades de classe ? Cela ne changeait rien, que ce soit les uns ou les autres. « Je comprends ta peur. Je ne vais pas prétendre te comprendre, toi, ou ce que tu ressens vraiment. Mais si je devais faire ici un millième de ce que j’ai fait là-bas, je crois que je préfèrerais mourir. Même si pour être honnête, je préfèrerais, avant de mourir, que quelqu’un essaye de m’aider. » C’était le minimum, non ? On avait le droit d’être égoïste, un peu. Zee aurait tellement voulu maîtriser ses dons psychiques en cette secondes. Pour tenter de voir ce que Megan avait vu, et ressentir ce qu’elle avait ressenti – quitte à en être effrayée.

D’un geste, elle retourna la paume de sa main, pour prendre celle de Megan dans la sienne. « Je crois qu’on ne peut pas fuir ce que l’on est. Ce dont tu me parles, cette soif de pouvoir, elle fait partie de toi, n’est-ce pas ? » En pro de la fuite, Zee avait déjà repoussé si profondément en elle des aspects de sa personnalité ou de ses pouvoirs qu’elle craignait ou haïssait qu’elle avait fini par se convaincre de s’en être débarrassée. Ah, la blague… « Tu te connais mieux que personne. Tu es là. Est-ce que tu penses pouvoir, je ne sais pas, maîtriser cette partie de toi ? En faire une force ? » Elle aurait voulu lui dire des trucs plus niais – qu’elle n’avait pas peur de Megan, que si celle-ci trucidait une maison de retraite, Zee voudrait encore l’aider, la sauver, que les gens avait tous leur monstre en eux et que peut-être que le secret, c’était de l’accepter, l’accueillir à bras ouverts et être un peu plus égoïste, accepter l’échec, oh, elle n’en savait rien. Ce qu’elle savait, c’était qu’on ne pouvait pas changer sa nature. Et que si Megan était malheureuse aujourd’hui, et si rien ne changeait, elle serait encore plus malheureuse demain. « Est-ce que je peux faire quelque chose pour t’aider ? Tu me connais, et tu m’aides avec mes petits soucis, mh… Il y a bien quelqu’un sur cette fichue planète qui peut t’aider, non ? » Et sinon quoi, lui jeter un sort ? Jamais de la vie !

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« Ne dis pas ça, je t’en prie. On peut commettre le pire sans en avoir l’intention. C’est ce qui fait la différence entre les monstres et les autres. Toi tu n’es pas un monstre et tu mérites autant de secondes chances que n’importe qui. » Si la vie était simple et le monde facile, il y aurait les gentils et les méchants, les actes bons et les actes mauvais, et tout le monde s’y retrouveraient. Mais ce n’était ni simple ni facile, pas de manichéisme ni de mode d’emploi. Zee aurait pu citer des dizaines de connaissances qui avaient plus de sang sur les mains que le commun des mortels et pourtant elle savait qu’ils étaient capables du meilleur également. Une vie ne se résumait pas aux erreurs qu’on commettait, aussi effroyables soient-elles. Et devoir vivre avec, c’était déjà bien assez, comme châtiment. Plutôt que de se laisser punir, de se laisser mourir, Zee était partisane de retrouver une sorte d’équilibre, et pour autant de gens qu’on puisse faire souffrir dans une vie, en aider deux fois plus. Personne n’était parfait. Bien sûr, il y avait une différence entre griller un feu rouge et massacrer un peuple. Mais entendre de telles paroles dans la bouche de Megan était presque insupportable pour elle. « Oui, une force. T’en saisir et plutôt que d’essayer de t’en débarrasser, en prendre le contrôle. Si ce n’est pas toi tout entière, si ce n’est pas ta nature profonde, alors tu peux le faire. » Oui, ce n’étaient que des mots. Mais elle avait plus d’une fois vu ce genre de miracles. Des destins changer et des vies devenir un peu plus supportables.

Que Megan n’ait personne pour l’aider lui brisait un peu le cœur. Eh bien, des êtres comme elle, il n’y en avait pas beaucoup. Plus beaucoup. Elle était seule, et cela ajoutait une souffrance supplémentaire. Personne pour lui dire qu’il ou elle était déjà passé par là. Pour lui montrer le chemin et lui dire que ça pouvait s’arranger, que ça pouvait aller mieux. Zee hocha énergiquement la tête. « J’approuve la vieille Indienne, Megan. Tu ne pourras jamais fuir assez loin de ton passé, il fait partie de toi et il te suivra partout ou tu iras. C’est facile à dire, mais l’accepter, avec tout ce que ça entraîne comme conséquences, ça ne peut que t’aider. Même si ça veut dire en souffrir. » Vivre en permanence avec la souffrance, et malgré tout réussir à vivre et même à être heureux, c’était ça le but ultime. Puisqu’on n pouvait pas s’en débarrasser, puisqu’on ne pouvait pas oublier et puisque nier rendait tout simplement malade… Zee sursauta en entendant son amie parler d’un type au trenchcoat. Il était comme Highlander, il ne pouvait y en avoir qu’un – et il était tout aussi difficile à trucider. « Accepte tout l’aide disponible si tu fais confiance à ceux qui te la proposent. » Oui, c’était tourner sacrément autour du pot, mais au moins elle ne mentait pas. Il n’y avait rien de mal à s’emparer des mains tendues. Parce que Megan le méritait, bien sûr qu’elle le méritait. « Je ne crois pas qu’on puisse vivre sans faire du mal à quelqu’un un jour, et quand on parle de gens comme nous, c’est encore plus vrai. Mais tu sais que tu ne veux pas en arriver là, tu en as tellement conscience que tu préfèrerais mourir… Ça prouve que tu es quelqu’un de bien. Commence par être sûre de ça. » Les gens biens faisaient parfois du mal, c’était ainsi.

Elles en avaient croisés, non, toutes les deux, des vrais monstres ? Des types qui auraient rasé la planète pour quelques miettes de pouvoir, pour de l’argent ou par sadisme. Des types qui dormaient très bien la nuit quand quelqu’un comme Megan, la plus adorable, semblait être au bord du gouffre. C’était ça d’avoir une conscience, ça faisait souffrir et c’était bon signe. « Je te promets de tout faire pour t’en empêcher si ça devait arriver. Mais je te promets aussi de t’aider si c’est en mon pouvoir. Tu n’es pas mauvaise, Megan. Même si une partie de toi te semble l’être, ça ne fait pas de toi tout entière quelqu’un de mauvais. J’espère au moins que tu te souviendras toujours de ça. » Et à quoi se raccrocher d’autre, pour elle ? Zee aurait voulu mieux la connaître, mieux comprendre, pour pouvoir avoir des réponses et apaiser sa peur. Elle aurait presque voulu que son amie soit un peu plus égoïste, pour moins penser aux autres et un peu plus à elle en cette période où elle en avait vraiment besoin.

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« Tu crois vraiment cela ? Tu crois vraiment que celle que tu es depuis si longtemps n’est qu’un mensonge ? Moi je n’y crois pas une seconde. Que tu aies étouffé cette partie de toi pendant tout ce temps, peut-être. Mais tu n’es pas une illusion. » Zee espérait que Megan le savait, au fond d’elle. Se mentir à soi-même pour des petites choses, c’était normal, et la magicienne était la première à le faire, à fuir, à se convaincre de certaines choses, à se voiler la face, et ce n’était pas si grave, à peine un peu lâche. Mais vivre totalement et entièrement une fausse identité ? C’était inimaginable, même pour quelqu’un de différent comme Megan, et Zee n’avait pas besoin d’être diplômé de psychologie pour en être persuadée. On ne pouvait pas fuir sa nature ni lutter contre elle. Il était impossible qu’elle se soit menti aussi longtemps. Alors qu’il était tout à fait plausible qu’un autre aspect de sa nature ait fini par refaire surface… Surtout compte tenu de ce qu’elle avait vécu pendant cette fichue vie parallèle. Zee savait que pour certains d’entre eux, cette existence avait fait ressortir le pire en eux. Oh, elle aurait tellement voulu que Megan se voit à travers ses yeux, en cette seconde. Elle était persuadée que si son amie se sentait aussi mal aujourd’hui, c’était bien parce qu’elle était douce, gentille et foncièrement bonne. Sinon, toute cette histoire ne l’empêcherait pas de dormir. Et d’une certaine manière, la question de Megan était déchirante, parce que pour Zee, c’était l’évidence, et cela l’attristait que son amie se torture ainsi. « On fait tout le temps du mal aux autres sans le vouloir, par ignorance, par incompréhension, par désespoir. Parce qu’on n’est pas aussi fort qu’on croit. Parce qu’on ne pense pas aux conséquences de nos actes. Parce qu’on ne contrôle pas ses pouvoirs. » Cette dernière raison pouvait autant s’appliquer à Megan qu’à Zee, pour le coup. Elle-même en avait fait, des dégâts, malgré sa bonne volonté. Avait blessé des gens, voire pire. Quant à ce qu’elle avait fait à Selina, elle ne pouvait même pas en parler tant elle en avait honte.

« Je pourrais t’en citer plein, des gens qui ont du sang sur les mains et des morts sur la conscience et qui pourtant ne sont pas mauvais. Des fois, on se perd… Même moi, j’ai fait des choses terribles. C’est dur de vivre avec ça sur la conscience, mais ça veut dire aussi que je ne suis pas encore une horrible personne qui se fiche du mal qu’elle fait. » Se regarder dans le miroir et savoir qu’on portait avec soi des crimes qu’on ne voulait plus jamais commettre à nouveau, c’était en soi une victoire, en quelque sorte. N’avoir aucun goût pour ce genre d’erreurs. Et préférer mourir plutôt que recommencer. Elle baissa les yeux quand Megan évoqua la possibilité de ne pas pouvoir trouver de l’aide. Elle n’avait pas tort, sur ce point. Il aurait fallu qu’elle trouve quelqu’un qui sache exactement par quoi elle passait… « Alors, ce sera à toi de trouver la clé. Et ça sera sûrement difficile, et ça prendra du temps. Alors n’abandonne pas tout de suite. » C’était presque une supplique. Zee ne pouvait simplement pas imaginer Megan se laisser tuer – et encore moins par elle.

Elle sourit en la voyant sourire. En entendant ses mots. Eh bien, pour elle, un foyer, c’étaient les gens plus que les lieux, alors elle pouvait tout à fait imaginer retrouver un chez-soi partout où elle allait tant qu’elle y retrouvait les gens qu’elle aimait. « C’est ici chez toi, avec les gens qui t’aiment. Les gens comme moi. Et tu as raison, en plus. Ce qu’on a vécu là-bas, ça ne change rien à ce que je pense de toi. Regarde-nous ! On est vraiment neuneu. Mais avec toi, là tout de suite, j’ai l’impression de me retrouver, d’être à un million de kilomètres de celle que j’étais là-bas. » Oui, elle était prise d’un soudain élan de mièvrerie, elle n’y pouvait rien. Ces derniers temps, elle avait eu trop peu l’occasion d’exprimer ce qu’elle ressentait, et pourquoi aurait-il toujours fallu garder pour soi les émotions positives ? « Si je pouvais, je te préparerais un petit quelque chose, de quoi apaiser cette chose en toi quand tu la sens s’éveiller, juste le temps de te calmer. Mais tu sais, j’ai peur de faire plus de mal que de bien. » Elle tapota sa tempe pour faire comprendre à Megan de quoi elle parlait. C’est qu’elle ne pouvait pas non plus faire n’importe quoi, et si les années lui avaient appris quelque chose, en matière de faire du mal en voulant faire le bien, c’était bien cette leçon-là. Et pourtant, elle y songeait, un sort, une prière, n’importe quoi pour aider son amie.

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It's a new world for us

« Je sais que c’est un cliché de dire que personne n’est parfait, mais personne n’est parfait. Tout le monde a des défauts et… bon, il y en a qui ne ferment jamais les portes des placards qu’ils ouvrent, et il y en a d’autres qui ont une part sombre et assassine en eux. Mais tu vas t’épuiser si tu essayes de n’être que la moitié de ce que tu… es. » Bon, pas sûre qu’elle faisait sens, mais cette histoire de cinquante-cinquante l’avait un peu déstabilisée. Cela lui semblait trop simple de diviser ainsi une personne tant un être vivant, c’était bien plus compliqué, mais peut-être que cette dichotomie s’appliquait aux Martiens, elle n’était pas experte en la matière. Et pourtant à fréquenter Megan, elle n’aurait pas parié là-dessus. Quiconque qui avait plus de deux neurones et était un être pensant était un être complexe. Et compliqué. Qui faisait des erreurs. Et qui n’était pas parfait. Ou alors, elle se reposait sur cette théorie pour mieux accepter ses propres défauts. Quoiqu’il en soit, elle préférait entendre Megan se laisser une chance pareille plutôt que d’en venir directement aux solutions extrêmes. Et bien sûr qu’on ne pouvait pas prévoir les conséquences de ses actes. Enfin, si, on pouvait un peu… On pouvait faire preuve de plus de prudence que de témérité, mais au risque de subir ensuite d’autres conséquences. Ils étaient toujours confrontés à ça, eux, les gens censés aider les autres, et probablement aussi les flics, les pompiers et le reste. Aider quelqu’un, vite, mais à quel prix ? Mais ce prix était-il important si on sauvait une vie ? Sur le moment on était tenté de se dire que non, bien sûr que non. Et après coup, parfois, on se rendait compte que oui et alors venaient les regrets. Bref, on ne pouvait pas prévoir. On ne pouvait qu’accepter cette marge d’erreur et vivre avec, et s’en rendre malade, ne jamais s’y habituer, ne jamais devenir blasé.

Zee hocha vigoureusement la tête. Elle se rendait compte qu’elle n’essayait pas que de convaincre Megan. Ce genre de dilemme était un peu le combat d’une vie, en ce qui la concernait. Elle en voulait à son père parfois de l’avoir élevée ainsi, incapable de revenir sur les propres promesses qu’elle se faisait, mais incapable de les tenir aussi. Et c’était cela qui la paralysait souvent – ne pas être à la hauteur de ce qu’elle pensait qu’on attendait d’elle, et ne pas pouvoir transiger avec des valeurs qui parfois l’entravaient plus qu’autre chose. C’était aussi pour ça qu’elle avait quitté la Justice League. Et que petit à petit elle trouvait sa place au milieu de la bande d’idiots qui lui servait de nouvelle bande, et qui s’embarrassait beaucoup moins de ce genre de choses. « Je pense que oui. Je pense que tout le monde, bon ou mauvais, fera un jour du mal à quelqu’un, mais qu’en avoir conscience, c’est ce qui fait la différence, aussi stupide que ça en ait l’air. Ça veut dire que tu accordes encore de la valeur aux autres. » Contrairement à ceux capables de massacrer des anonymes par paquets de cent sans même s’en rendre compte tant ça leur était devenu naturel. Elle se sentit un peu rassérénée en voyant Megan saluer des étudiants de ci de là. C’était un geste tellement normal, tellement naturel… Tout le monde avait besoin de ça, ces temps-ci. Elle remercia son amie d’un sourire. Eh bien, elle devait l’être un peu malgré tout, comme cette Zatanna 2.0, mais peut-être que comme Megan, sa partie bien élevée suffisait à contrebalancer le tout.

Elle éclata de rire en entendant son amie refuser son aide parce que ses mots résonnaient familièrement à ses oreilles. « Oh, je croirais entendre mon père ! Il disait tout le temps ça, ne pas se reposer sur la magie, la magie ne résout pas tout, lève-toi et va te faire un café au lieu de téléporter une tasse sur tes genoux ! » Ça l’énervait à l’époque, surtout que tout en lui faisant la morale, il l’obligeait à s’entraîner avec lui tous les jours, dès l’aurore, sans jamais lui laisser un jour de repos. Elle trouvait ses signaux contradictoires. Mais depuis, elle avait eu cent fois l’occasion de se rendre compte qu’il avait raison, comme toujours. Et Megan aussi. « Tu fais bien, je pense. De ne pas choisir la solution de la facilité. Mais si tu as besoin d’aide en urgence un jour tu n’auras qu’à m’appeler. Tu sais que je t’entendrai toujours » Les petits avantages d’une télépathie modestement utilisée. Et puis, ça aussi, son père le disait tout le temps : on était élève toute sa vie. Un truc de vieux, pensait l’adolescente grognon qu’elle était à l’époque. Mais c’était ça, de vieillir : on se transformait en ceux dont on se moquait plus jeune, c’était un terrible cycle de la vie, un peu humiliant et tout. En tout cas elle ne regrettait pas d’être venue rendre visite à Megan. C’était là une discussion qu’elles n’auraient pas pu avoir au téléphone.

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