It's a kind of Magic

It's a kind of Magic

Un peu d'eau dans le creux de mes mains, et je me recoiffe grossièrement. Juste histoire de me donner un effet coiffé "décoiffé". Je réajuste la capuche de mon pull rouge sombre. Les mains sur les hanches, je m'admire devant le miroir de ma salle de bain.

- Pas si mal, finis-je par souffler pour moi-même.

Alors que je me souris presque bêtement, quelqu'un tambourine à la porte de la pièce et me somme de la quitter, parce que cela ferait des heures que je l'occupe. Je laisse échapper un long soupir. Rha, les familles nombreuses, quelle plaie. Enfin "Famille". On est tous adoptés ici, et je dois donc partager mon espace vitale avec cinq autres personnes. Sérieusement, comment est-il possible qu'un même couple puisse adopter autant d'adolescents? Les services sociaux ne se posent pas de question? Bon, pour le coup, j'ai de la chance, car cette famille est la moins pire de toutes celles que j'ai pu avoir jusque-là. En quittant la pièce, je bouscule mon "frère", ne faisant pas d'effort pour chercher à l'éviter. Il me grogne un juron ou je ne sais pas quoi, je ne l'écoute pas vraiment. Je prends la direction de la porte de sortie, quand j'entends Mary me demander où je vais, sur un ton presque désaprobateur.

- Qu'est-ce que ça peut te faire ?

J'hausse les épaules.

- Il est bientôt 21 heures. Tu comptes rentrer à quelle heure ? Tu as fait tes devoirs ? Tu ...

Je l'interromps avec un simple mime : je fais comme si j'entendais quelque chose au loin. Donc elle arrête de parler, tendant elle aussi l'oreille. Je profite donc de ce petit moment d'accalmie pour quitter la pièce principale et m'engouffrer dans la rue à petite foulée. Je sais que Mary ne me suivra pas. Elle se sent responsable de nos autres frères et soeurs, et ne prendra pas le risque de les laisser sans quelqu'un pour les chapeauter. Oui, à cette heure-ci, nos deux parents sont au boulot, et ils nous font confiance. Ce qui me laisse tout le temps nécessaire pour aller rosser du vilain au coté de la Ligue de Justice, ou alors comme ce soir...

Je sors le billet, qui me donnera accès au spectacle que donne Zatanna ce soir. C'est à plusieurs heures de bus de Metropolis, et il commence dans moins d'une demi-heure. Je plie délicatement la place et l'enfourne dans la poche arrière de mon jean's. D'un pas lent mais décidé, je marche jusque dans une petite impasse. C'est parfaitement désert - ce qui peut se comprendre étant donné l'odeur pestilentielle d'urine et de déchets qui vient m'agresser l'odorat.

Je regarde ma montre, petit sourire en coin, et murmure un "Pile dans les temps."

Poings serrés, avec une détermination non feinte, je prononce le mot qui me permets de passer de Billy, simple ado à problèmes qui fait ce qu'il peut au super-héros Shazam, Mortel le plus puissant de la Terre.

- Shazam!

Et voilà que le ciel étoilé parfaitement dégagé se met à gronder, et qu'un éclair vient me foudroyer. Et c'est fait: l'esprit d'un enfant dans un corps d'adulte. Même si cela fait un moment que je fais ça, je prends toujours le temps d'admirer mon costume - ici à l'aide d'une flaque... d'eau? J'espère.

- Bon, je dois me bouger...

D'une simple impulsion des jambes, je quitte la terre ferme et m'élève dans les airs. Ce n'est qu'une fois bien au-dessus de la ville que je me fais plaisir et pars dans un bang sonique qui aurait briser les vitres du voisinage si je m'étais mis à faire cela depuis le sol. J'atteins la ville où le spectacle qui va bientôt commencer en un rien de temps. J'ai même un timing suffisant pour aller m'acheter de quoi grignoter. Je me pose dans une impasse, encore une fois déserte, et redeviens celui que je suis dans la vie de tous les jours en prononçant encore une fois le mot magique. Allez, direction le théâtre.

Je présente mon billet à l'ouvreuse, qui semble être surprise par mon placement.

- Si vous voulez bien me suivre...

Bah c'est à dire que je n'ai pas traversé le pays pour louper ça. Comment j'ai pu me payer une place V.I.P pour l'un des meilleurs spectacles de magie de Zatanna Zatara ? Avec en plus un accès aux loges après le show ? Il suffit de bien connaître l'artiste qui est en tête d'affiche. Enfin, bien la connaître, c'est peut-être exagéré. Pendant une brève période, Zee et moi avons été au sein de la Ligue de Justice en même temps. Je ne sais pas ce qui a fait qu'on s'est bien entendu mais c'est arrivé. Peut-être la nature magique de nos pouvoirs ? Ou alors est-ce le fait que l'on se sentait pas trop à notre place au coté de Superman, Batman et les autres gros calibres ? Je ne sais pas. Mais voilà, le courant est passé - sans mauvais jeu de mots.

Et quand elle a quitté la Ligue, je me suis dit que je pourrais essayer de la retrouver. C'était pas compliqué, elle est super célèbre. Et me demandez pas pourquoi, je me suis dit que me présenter à elle en tant que "Billy" et non pas "Shazam" était une bonne idée. Je suis venu à son spectacle, récupérant de l'argent dans le porte-monnaie des petites brutes du lycée qui ont eu la mauvaise idée de s'en prendre à mes frères et soeurs. Une fois, deux fois, cinq fois.

J'ai pu la rencontrer après le show à plusieurs reprises. Elle prend du temps pour ses fans, c'est cool. Enfin, cool pour moi, car cela m'a permit de discuter avec elle, de lui parler un peu de moi, de ma vie, etc... Je ne sais pas si elle m'a pris en pitié ou quoi, mais lors de notre dernière rencontre, elle m'a fait cadeau de ce pass VIP spécial. Je n'allais pas lui faire l'affront de décliner cette invitation !

Je suis donc installé dans un fauteuil recouvert de velours rouge. C'est incroyablement confortable, même si assez ringard. Je suis à l'écart des autres spectateurs, et ai une vue imprenable sur la scène. Quand les projecteurs commencent à s'affoler, annonçant l'arrivée de l'artiste, j'ai un petit pincement au coeur. Depuis le début, je lui mens, alors qu'elle m'a fait ce cadeau. Peut-être faudrait-il que je songe un jour à lui dire la vérité. Un jour. Pour l'instant, j'apprécie le spectacle et grignote les sucreries achetés avant d'entrer dans le théâtre.

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Le spectacle qui commence, c’était son moment préféré. Soudain, la lumière explosait, l’aveuglant complètement, et tout ce qu’elle pouvait entendre, debout sur la scène, c’était la clameur qui s’élevait du public, les cris d’excitation des enfants et la musique qui commençait, mélodies anciennes et classiques qui avaient toujours accompagné les spectacles de son père et qu’elle avait repris sans hésiter, de même que le costume daté – la queue de pie, le haut de forme, les gants blancs… Sans attendre de recouvrer la vue, elle salua bien bas, un grand sourire aux lèvres et une véritable joie sur le visage. Oui, elle adorait cela, elle était à sa place, ici – bien plus que dehors à commettre des crimes pour empêcher des crimes pires encore, puisque c’était comme ça, des fois, qu’elle vivait sa double-vie. Elle ôta son chapeau, pivota sur ses talons, bras tendu, et une flopée de colombes jaillit du haut de forme pour se répandre au-dessus de la salle, provoquant d’autres cris – dont certains, et cela la fit rire, un peu horrifiés. Mais les colombes, soudain, éclatèrent en des milliers de confettis qui pleuvaient sur la foule pour son plus grand ravissement. Ainsi étaient les spectacles de Zatanna Zatara. Pas de femmes coupées en deux, de numéro d’évasion ou de combustion spontanée. Pas besoin de faire dans le racolage pour impressionner les gens, et puis la salle était toujours pleine d’enfants. Son père lui avait appris ainsi leur art : émerveiller les spectateurs, pas lui faire peur ou le faire sursauter ou le rendre mal à l’aise. La magie, au sens littéral du terme. Beaucoup d’illusionnisme, de prestidigitation et, bien sûr, de la véritable magie. Personne ne se posait jamais de questions. Il y avait pourtant clairement des tours que même les fameux « trucs » des magiciens ne pouvaient pas expliquer, et pourtant, les spectateurs, du moins les adultes, ne croyaient pas un instant qu’il puisse s’agir de vraie magie. Avec les enfants, c’était différent. Pour eux, c’était tout l’inverse – il n’y avait pas de truc, tout était vrai. Elle posa son chapeau par terre, laissant des centaines de lapins s’en déverser, qui allaient diligemment se grimper dessus pour former un lapin gigantesque, pendant qu’elle-même s’élevait dans les airs, les bras écartés. Que le spectacle commence !


Assise devant sa coiffeuse, elle ôtait une par une les épingle qui retenaient ses cheveux noirs. Elle aurait pu le faire d’une simple formule, mais elle venait de passer près de deux heures à faire de la magie, vraie ou pas tout à fait vraie, et il fallait bien que ce genre de petit geste du quotidien se fasse de manière traditionnelle. Tout s’était merveilleusement bien passé, et cela la mettait en joie. Ce monde, perpétuellement en guerre contre lui-même et qui broyait ses habitants, avait bien besoin d’un peu de magie de temps en temps. Elle déposa la dernière épingle sur la tablette en bois et enlevait ses boucles d’oreilles quand on toqua à la porte. Elle sourit à son reflet dans le miroir, sans interrompre son geste. « Entre, Billy ! aL etrop tse etrevuo. » Et de fait, à ses mots, le battant de la loge s’entrebâilla pour laisser apparaître le garçon. Zee se retourna sur son tabouret pour lui adresser un sourire. « Je savais bien que c’était toi. » Elle l’avait repéré à un moment lors de son spectacle – au moment du numéro des éléphants volants – qui n’étaient pas de vrais éléphants évidemment. Elle avait fait ébouriffer les cheveux de Billy avec la trompe de l’un d’eux. Il venait souvent la voir, et comme elle lui avait donné un pass, elle savait toujours où regarder si par hasard elle voulait le trouver. Elle déposa sa dernière boucle d’oreille à côté des épingles à cheveux et se leva pour aller le serrer brièvement dans ses bras. « Tu vas bien ? Viens, assieds-toi ! » Elle lui désigna un canapé dans un coin de la loge remplie de fatras, costumes, accessoires, mannequins et autres bizarreries. D’un geste, elle fit apparaître un Coca sous le nez de l’adolescent, le laissant flotter dans les airs jusqu’à ce que Billy décide de s’en emparer ou pas – mais s’il ne le faisait pas, la canette finirait par s’en plaindre. Elle retourna s’asseoir devant sa coiffeuse pour s’emparer de sa brosse et démêler ses mèches de jais.

« Comment as-tu trouvé le spectacle ? Tu n’as pas trouvé ça un peu too much, le coup des fleurs qui poussent sous les sièges des gens ? » Elle aimait bien le message, elle, et c’était une nouveauté dans son show. Le pauvre Billy, à force de venir sans cesse, devait sans cesse voir les mêmes choses, mais au moins pouvait-il être un bon juge.

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C'est parti, le spectacle commence, et j'ai comme un noeud qui se forme au niveau de l'estomac. C'est curieux, c'est comme si j'avais le trac, alors que ce n'est pas moi qui suis sur scène. C'est peut-être comme ça que l'on reconnait les véritables amitiés, quand on se soucie vraiment du bien être de l'autre, etc... Mais franchement, en la voyant sur scène, faire ses tours de magie, on comprend rapidement qu'elle est dans son élément. Et c'est avec autant de rapidité que je finis par me détendre et apprécier le show.

Alors que les minutes s'écoulent, je prends le temps de regarder le public, par moment. Et je me demande... Est-ce qu'ils réalisent que c'est de la magie? Je veux dire... De la vraie magie? Pour les enfants, tout dépend de l'âge, je pense, mais certains doivent encore y croire. Mais pour les parents qui les accompagnent? Est-ce qu'il y en a, parmi toutes les personnes présentes qui se disent "Non, c'est pas possible qu'il y ait un truc, c'est forcément de la vraie Magie"? S'il y en a une, dans l'assistance, qui est aussi perspicace... Et bien faut lui décerner une médaille et dire à Bruce de se méfier, car elle pourrait bien deviner sa véritable identité.

Quand on passe un bon moment, le temps défile à une allure dingue. Pourquoi je dis ça? Parce que le spectacle est déjà terminé. Enfin "déjà"... La pauvre vient de faire une représentation de deux heures, elle a bien le droit de souffler un peu. Réunissant mes affaires, je prends la direction des coulisses. Sur mon chemin, un gros bonhomme - pas loin de deux mètres, grosse barbe fournie, en très large surpoids - me barre la route. Il me demande si j'ai perdu mes parents. Choix de mots malheureux quand on s'adresse à un orphelin, mais ça, il peut pas le savoir.

- Je viens voir Zee...

Et le voilà qui se met à rire. Comme si je venais de dire une énormité. Le gars ne travaille pas avec Zatanna directement. C'est un employé du théâtre qui s'assure que personne ne vient embêté les artistes. Il pointe du doigt la direction opposée à celle que je souhaite emprunter. Je lui agite donc mon passe sous le nez, soufflant en même temps un "Je suis un V.I.P, mec..."

Alors qu'il s'efface pour me laisser passer, j'affiche sur mon visage un petit sourire narquois, faisant tournoyé mon passe autour de mon index grâce à la sangle qui le maintenait autour de mon cou. Et c'est d'un pas décidé et bruyant que je me dirige donc vers la loge de l'artiste. Je prends le temps de réajuster ma tenue, avant de ma racler la gorge, puis de donner quelques petits coups sur la porte. Et là, "comme par magie", la porte s'ouvre toute seule, dévoilant alors celle qui venait de l'animer à l'aide de simples mots.

Je réponds donc favorablement à l'invitation de la magicienne, et entre dans ses quartiers privés. Je n'avais jamais été dans ce genre d'endroit avant. C'est assez déstabilisant, mais en même temps... Et bien j'ai l'impression que c'est ce type de salle qu'elle doit occuper, après avoir offert à son public un émerveillement sans commune mesure. C'est pas bien difficile à comprendre. La Zatanna qui officie sur scène et celle que j'ai pu côtoyer au sein de la Ligue, c'est comme le jour et la nuit. C'est ici qu'est vraiment sa place. Pas autour d'une immense table où l'on se tait pour écouter religieusement les gros calibres nous expliquer comment faire ça, ce que sera la prochaine mission, ou comment ne pas faire ci.

Mais je ne suis pas là pour parler de ça, non. Là, je m'installe dans un vieux canapé usé par le temps et dont l'assise n'en reste pas moins confortable - même si l'empreinte des fesses incrustées dans coussin où je me pose indique que le précédent propriétaire avait pour habitude de toujours s'asseoir à la même place. Là, Zee fait apparaître devant moi un soda, que j'attrape avec un large sourire accroché au visage. "Oh, merci!"

Après avoir bu quelques gorgées, j'entreprends de répondre à ses question, déposant délicatement la boisson sur l'accoudoir du canapé.

- Bah après ce que je viens de voir, comment tu veux que ça n'aille pas? T'étais vraiment géniale... Je marque une pause, affichant une mine faussement blasée. Comme d'hab' en fait! Cela en serait presque lassant.

Je bois à nouveau une ou deux gorgées, puis regardant le grand verre à plein à trois quart, une idée saugrenue me vient en tête, par rapport à sa remarque sur son propre travail.

- Fais apparaitre des chopes de boissons devant chaque spectateur... Magie et boisson offerte: succès garanti. Mais pour ce qui est du show de ce soir, plus sérieusement: c'est parfait. C'est ce dont les gens ont besoin.

C'est tellement bizarre de lui parler comme ça. Quand elle pose des questions sur comment je vais, ce que je fais... Il y a toute une partie de ma vie que je ne peux pas aborder avec elle parce que... Bah parce que la règle des identités secrètes fait que l'on ne peut pas la dévoiler, même à ses amis. Il y a des gens au sein de la Ligue, je sais pas ce qu'ils font le week-end - moi, je fais mes devoirs. La loose totale.

- Change rien, tu assures sur tous les plans.

Oh man, c'est vraiment trop naze, ce que tu viens de dire ! On dirait que tu sors ta répliques d'un vieux films des années 90, sérieux.

J'essaie de ne pas trop montrer que les mots que je viens de prononcer me mettent mal à l'aise, et espère qu'elle ne le remarquera pas. Je me gratte l'arrière du crâne, regardant le sol, manquant de renverser mon verre - mais la chance est de mon coté, on dirait.

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Il y avait des fois où Billy rappelait à Zee son cousin Zachary. Ce petit air rebelle, cette lueur narquoise au fond des yeux, cette répartie légendaire, aussi, qui n’en finissait pas de la laisser émerveillée, ou alors elle avait oublié ce que c’était que d’être ado et d’être capable de parler et d’agir sans se soucier des conséquences… Et bien sûr, la ressemblance s’arrêtait là. Elle avait toujours considéré Zach comme un bébé, même maintenant qu’il était adulte et alors même qu’il n’avait que quelques années de moins qu’elle. Alors qu’elle ne parvenait pas à voir Billy comme un enfant. Pourtant c’était ce qu’il était. Et dans d’autres circonstances cela aurait nécessité qu’elle prenne garde à ce qu’elle faisait en sa présence. Ce n’était pas parce qu’il avait l’air taillé dans de la roche, solide et toujours sûr de lui, qu’il n’avait pas en lui la fragilité des plus jeunes. En tout cas, elle s’était déjà fait une idée quant à sa solitude. Les adolescents qui appréciaient la compagnie des adultes étaient ceux qui avaient dû grandir trop vite. Et que le monde des enfants n’intéressait déjà plus vraiment. Elle lui jeta un regard affectueux en voyant sa réaction face à la canette de coca, une bêtise, un tour anecdotique, mais qui pourtant sembla le ravir. Mais en même temps, il s’était assis dans ce canapé avec la nonchalance de quelqu’un qui avait déjà vécu mille vies. Étrange gamin que Billy Batson, décidément !

Son avis sur son spectacle lui fit chaud au cœur. Zee prenait garde à tout ce que les gens pensaient de ses shows – après tout, ils payaient pour venir, et s’il y avait des plaintes, la moindre des choses étaient de les écouter. Les compliments de Billy étaient d’autant plus précieux qu’ils étaient gratuits. Elle le regardait dans le miroir qui lui faisait face tout en se démaquillant lestement. Pour la centième fois, elle eut une drôle d’impression, une sorte de déjà-vu, purement instinctif, un vrai ressenti. Comme si elle l’avait déjà côtoyé avant – avant même qu’il ne débarque dans sa vie. Et quant à la fin de sa tirade… Elle reposa sa brosse et pivota sur son tabouret pour le regarder. « Et pourquoi est-ce que tu préoccupes de ce dont les gens ont besoin ? Commence par t’occuper de toi. » Elle le voyait qui baissait les yeux, comme s’il avait l’impression d’avoir dit une bêtise, comme s’il tenait une tout autre conversation à part lui, qu’elle n’entendrait pas… Elle sourit de nouveau, se leva et attacha ses cheveux en une queue-de-cheval avant de taper dans ses mains. « annataZ otingocni ! » Sa tenue de scène disparut, remplacée sans transition par un jean noir troué, un débardeur en résille et un gros pull à mailles gris par-dessus. Elle portait aux pieds sa paire de bottines en cuir noir à bout ferré préférée, et ajouta une paire de créoles dorées à ses oreilles. Incognito, pas vraiment en vérité, mais plutôt Zatanna dans la vie de tous les jours. Pas sur scène, et pas non plus en train de lambiner dans une ruelle sombre pour sauver la veuve et l’orphelin.

« Je meurs de faim ! J’ai réservé une table dans un restaurant pas loin, tu m’accompagnes ? » Elle préférait lui laisser le choix de refuser s’il le voulait. Mais c’était toujours mieux de manger à deux que seule. Et elle se doutait bien qu’il n’était pas vraiment attendu nulle part. Elle le fixa de nouveau, comme si elle pouvait voir à travers lui, en se creusant la tête pour essayer de comprendre ce qui attirait son attention chez lui. Parfois, elle croyait capter une étincelle de magie en lui. Mais en vérité, de nombreux humains avaient en eux le potentiel pour devenir de vrais magiciens. Et pourtant… « Allez viens, c’est un resto tellement huppé qu’ils adorent recevoir les riches mal habillés ! » Elle désigna son jean troué et son pull déformé. Et ensuite, elle pourrait le raccompagner chez lui ? Elle mourrait d’envie de lui dire cela, mais ça aurait été impoli. Et pourtant, à chaque fois qu’ils se séparaient, elle avait un pincement au cœur de laisser partir sa petite silhouette dans la nuit. « Tu pourras me dire comment tu fais pour venir voir mes spectacles dans plein de villes différentes. » Elle ne plaisantait qu’à moitié. Mais elle lui adressa un clin d’œil, ouvrit la porte et lui fit signe de passer devant.

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Un simplement mouvement de la tête, de haut en bas. Voici ma réponse quand la magicienne me dit que je ferais mieux de penser à ce dont j'ai besoin, plutôt que de me soucier des autres. Suite à quoi, je rattrape le récipient qui contenait encore la boisson gazeuse que venait de m'offrir Zee. J'en bois quelques gorgées ... En fait, je finis le tout en deux ou trois fois, puis redépose la canette sur l'accoudoir.

En la voyant se démaquiller, se recoiffer, je comprends qu'il est temps pour moi de quitter la pièce : elle a certainement besoin d'intimité pour se changer. Et alors que je prends appui pour m'extirper du vieux mais confortable canapé, je l'entends prononcer une formule qui métamorphose sa tenue. Ok, quand je suis avec la Ligue, on affronte des menaces E.T, des créatures des profondeurs, la mauvaise humeur de Batman, ce genre de trucs hors du commun. Mais je ne sais pas pourquoi, la voir utiliser sa magie comme cela est un vrai émerveillement pour moi !

- Ce doit être génial de se transformer rien qu'en prononçant une formule magique ! Hum ... C'est presque gênant, ce que je suis en train de faire, là. Je sais que c'est pas bien, même. Mais je suis un gamin, qui ne pensera aux conséquences de ses actes que lorsqu'il sera trop tard.

Coupé dans mon élan, je reste donc affalé, pensant que nous allions simplement échanger quelques mots avant qu'elle ne rejoigne ... Je sais pas qui. Les gens de son "autre vie", sans doute. Ceux qui la connaissent plus en tant que Zatanna, la personne qui n'utilise pas la magie pour faire la vaisselle ou pour enlever son maquillage. Mais là encore, la jeune femme parvient à me surprendre en me proposant de l'accompagner pour dîner.

Malgré moi, un haussement de sourcils vient surplomber mes yeux. Elle voulait vraiment passer le peu de temps libre qu'elle pouvait avoir avec un ado de 15 ans ? Difficile de dire si c'est de la gentillesse ou de la pitié. Je grimace un peu, regardant mon poignet comme si j'avais une montre - alors que ce n'est pas le cas - et pose à nouveau mon regard sur elle.

- Je sais pas si ...

Pas le temps de finir ma phrase. Elle donne vraiment l'impression d'apprécier ma compagnie et d'avoir envie que j'aille manger avec elle. Elle se permet même de faire un brin d'humour pour chercher à me convaincre. C'est le genre de trucs qu'elle ne faisait pas trop, à la Ligue. Cela dit, l'ambiance n'est pas vraiment faite pour que l'on ait l'envie de faire ça, autour de la table de la salle de réunion.

Regardant ce que je porte- tenue classique sans pour autant être huppée, je lève les mains en direction du ciel, affichant une mine faussement résignée.

- Pour la partie "mal habillé", je gère. Tu t'occupes du "riche" ? finis-je par glisser avec un sourire, alors que je m'éjecte tant bien que mal de ce super canapé.  Alors que Zee m'ouvre la porte, je jette un dernier regard au meuble, murmurant un "Il m'en faut un comme ça absolument..."

On finit donc par quitter les loges puis le théâtre. Je n'ai toujours pas répondu à la dernière question posée par Zatanna. Les mains enfoncées dans les poches de mon jean's, je regarde le sol, réfléchissant à ce que je pourrai dire. On marche d'un pas plutôt lent, ce qui est cool. Et surprenant en fait : car je pensais qu'il y aurait une masse de gens pour attendre l'artiste et l'empêcher d'avancer, mais non. Enfin, pas par là où nous passons. Son sortilège "Incognito" fonctionne super bien. Et au moins, personne pour soulever le coté étrange de ma présence.

Je lui lance un regard en coin, un sourire malicieux commençant à se dessiner sur mes lèvres. Elle se doute forcément du genre de truc que je vais lui dire, étant donné le contexte.

- Un magicien ne révèle jamais ses secrets.

Celle-là était encore plus naze que ma précédente tentative pour paraître cool, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Je crois qu'il n'y aura jamais de meilleure occasion pour la placer, donc autant en profiter.

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Ces moments où elle avait l’impression d’avoir connu Billy dans une autre vie, où elle croyait voir une autre silhouette familière se superposer à la sienne, quand parfois elle avait l'impression d'entendre une réminiscence, une voix, « toi aussi tu fais de la magie ?? », étaient toujours balayés par quelque chose qu’il faisait ou disait et qui rappelait alors furieusement qu’il était un adolescent, et rien qu’un adolescent. Un ado peut-être un peu plus mature que les autres, mais un ado quand même. Il fallait le voir se lever du canapé avachi sur lequel il s’était vautré, avec la lourdeur et en même temps la vivacité de la jeunesse… Et peut-être était-ce étrange qu’elle traîne avec lui, elle, l’adulte. Mais en vérité elle aurait fait cela pour n’importe qui d’autre et peu importait son âge. Que Billy la mette à l’aise et la fasse toujours rire était un vrais bonus. Et parce qu’il venait tout le temps la voir, parce que visiblement il n’y avait pas beaucoup d’autres adultes dans son entourage pour lui faire la conversation, parce qu’il avait bu avidement sa canette de coca, bien sûr qu’elle l’invitait à dîner. De toute façon, l’alternative, c’était elle allant dîner toute seule, puis rentrant à son hôtel se couler dans un bain avec un livre avant de se coucher et de ne pas dormir de la nuit. Alors oui, elle proposait à Billy de passer la soirée avec elle, et peut-être qu’en fait c’était elle qui n’avait pas grandi, mais c’était un autre débat.

Ils marchaient dans les rues froides et plongées dans la pénombre, seulement éclairés à intervalles réguliers par les lampadaires. La réponse de Billy, finalement, arriva, même si elle savait déjà qu’il allait éviter d’y répondre vraiment. Ce n’était pas la première fois bien sûr qu’elle s’étonnait de le voir ici tout seul. Elle avait fini par l’accepter. De toute façon, elle n’allait pas appeler la police ou les services sociaux. Il allait et venait, avait toujours l’air en forme, n’avait pas de bleus sur le visage, bref. Il avait l’air solitaire, mais pas maltraité. Non, Zee s’intéressait plus à comment il faisait pour venir qu’au pourquoi, parce que vraiment ! elle le voyait débarquer un jour à Washington et la semaine d’après à Los Angeles et elle aurait été stupéfaite d’apprendre qu’il était en fait un gosse de riche se payant des allers-retours en avions à son gré. Au début, elle avait très sérieusement envisagé l’idée qu’il soit le nouveau Robin de Bruce, surtout qu’il cochait plein de cases, et elle le connaissait, son milliardaire préféré. Mais non, elle l’aurait su. Et puis la place de Robin était déjà prise par un autre ado, beaucoup moins complaisant que Billy, et qui ne serait jamais venu voir un de ses spectacles – ou alors, pour tout critiquer. « D’accord, Billy, d’accord, garde tes secrets. Je finirai bien par le savoir un jour ou l’autre ! » Elle plaisantait, mais à moitié seulement. En attendant, ils étaient arrivés devant la porte du restaurant, que Zee ouvrit de manière traditionnelle, cette fois. Elle salua le serveur à l’entrée et lui donna son nom, et il loucha légèrement sur Billy mais ne dit rien et les mena à une table où attendait déjà un couvert. Il en installa un second diligemment avant de leur donner les cartes des menus, et de repartir. Ah, ça aussi c’était un truc typique des milieux très riches : on ne posait jamais de questions.

Elle baissa les yeux sur la carte et se rendit compte que la sienne n’avait pas les prix. Oh, tellement moderne… Elle arracha sa carte des mains de Billy et lui tendit la sienne. C’était trop tard pour l’empêcher de voir les prix des plats, probablement totalement indécents même s’ils étaient servis dans des assiettes en or massif. « C’est moi qui régale. Si tu veux un conseil, évite les salades et le poisson, tu auras encore fin en sortant d’ici. » Alors que les pizzas, même si la garniture était un peu clinquante, ou les pâtes, ça, ça tenait au ventre. Le serveur revint leur demander ce qu’ils voulaient boire et Zee commanda deux Coca, puis une pizza « méditerranéenne » (en français dans le texte, franchement, comme si la pizza était un plat français). Au moins, c’était bon, de cela elle était sûre. Une fois le serveur reparti, elle posa les coudes sur la table et son menton dans ses mains et fixa Billy de son regard bleu. « Pourquoi tu ne me parles jamais de toi, Billy ? Je t’aime bien tu sais. Ça m’embête d’imaginer que tu puisses être malheureux, mais comme tu ne me dis rien, je me fais plein de films. » En même temps, se faire des films, c’était sa spécialité. Mais il faut dire que dans ce monde, quand quelque chose pouvait aller mal, ça allait toujours mal. « Dans quelle ville habites-tu ? Comment as-tu connu mes spectacles ? » Ça ressemblait à un guet-apens, ce dîner. Elle décida que s’il ne voulait pas vraiment lui répondre, elle laisserait couler encore. Elle ne voulait pas qu’il disparaisse à cause de ça. Elle était toute prête à répondre à ses questions en échange, cela dit, comme un jeu de ping-pong.

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Quand j'entends la magicienne dire qu'un jour ou l'autre, elle découvrira bien comment je fais pour me rendre dans tous les coin du pays pour pouvoir voir ses spectacles, j'ai comme un long et désagréable frisson qui me remonte le long du dos. Parce que ce jour-là, je ferai face à sa réaction quand elle découvrira que depuis des semaines, je lui mens. Et je sais que ce jour arrivera bien à un moment donné. Il y a toujours des menaces qui planent sur le monde. Toujours des raisons pour que la Ligue intervienne. Toujours des raisons pour qu'un simple ado cède sa place "au Mortel le plus puissant de la Terre". Et il y aura forcément une raison pour que Zee sorte de sa retraite, reprenne du service et qu'elle voit la foudre me frapper pour me transformer.

On finit par arriver au restaurant. Et dès l'extérieur, je sens que c'est pas le genre d'endroit où je suis à ma place. La jeune femme ouvre la porte d'entrée de l'établissement, et mon ressenti se confirme en pénétrant dans le hall. Une sorte de garçon de salle nous installe à la table réservée par l'artiste, et nous apporte les cartes.

De ça non plus, j'ai pas franchement l'habitude. En général, les menus de trucs que je mange sont affichés au-dessus de la tête des hôtes de caisse. Y a encore une chose à laquelle je ne suis pas habitué : des prix à trois chiffres. Je ne sais pas quel type de plat c'est, car Zee m'a arraché la carte des mains avant que je ne puisse lire l'intitulé, mais j'ai bien vu un truc à plus de 100 billets !

Je fronce les sourcils, un peu décontenancé, regardant Zatanna.

- Sérieux ?

Bon, je ne vais pas la jouer "Non, c'est trop bien pour moi ici, blablabla ..." et je vais profiter pleinement de ce moment. Mon visage se détend, finissant par afficher un large sourire. Certains pourraient penser que je suis un profiteur, qui abuse de la gentillesse d'une personne empreinte d'une compassion franche et sincère. Alors qu'en fait, je réponds tout simplement favorablement à l'invitation qui m'est adressée et que je fais honneur au désir de Zee de m'offrir un bon repas.

- Le Maxi-Burger, là. Je pointe du doigt sur la carte le truc que je veux, afin que le serveur capte bien. Cela semble bien fat - exactement ce qu'il me faut ! La magicienne commande en plus deux Coca, et prend la position que prennent les gens quand ils vont questionner leur interlocuteur : les coudes appuyés sur la table, menton dans les mains.

Et cela ne manque pas. Mais qui la blâmerait? Elle a tout à fait raison. De moi, elle ne sait rien. Et je ne parle pas uniquement de mon identité secrète et de toute l'histoire avec le sorcier. Mais de moi, Billy. Les cours. Ma vie en famille d'accueil. Mes "frères" et "soeurs". Je prends une petite inspiration avant de lui répondre.

- Parce que j'ai pas envie que ... tu me prennes en pitié. Je marque une petite pause. Je suis orphelin, j'ai été balloté de famille en famille aussi loin que je m'en souvienne. Mais c'est pas pour autant que je me sens malchanceux ou quoi. Je me débrouille bien, et la famille dans laquelle je suis actuellement est plutôt cool, cette fois. Petit haussement d'épaules. Rien d'extraordinaire ou qui mérite que l'on ne s'attarde dessus en fait.

Si le serveur pouvait arriver maintenant pour couper ce léger malaise que mes propos auraient pu installer ... Mais non. Heureusement que la magicienne enchaine les questions. Et comme elle me fait l'honneur de m'inviter à sa table, je ne peux que lui répondre.

- Je vis actuellement à Metropolis. La ville est super sympa. Et contrairement à d'autres où j'ai déjà pu vivre, les gens ont tout le temps le nez en l'air. Ils cherchent certainement à voir Big Blue.

Oh man ! Fais attention à ce que tu dis. C'est pas le surnom le plus courant que l'on donne à Superman. Heureusement que l'on ne se donne pas des petits noms quand on se réunit autour de la grande table au quartier général de la Ligue de Justice. Vite, changeons de sujet !

- Comment j'ai ... Là, je lâche un petit rire étouffé, pendant que je farfouille dans mes poches pour en sortir un smarphone - espérons qu'elle ne me demande pas comment je l'ai obtenu. Le temps de pianoter quelques mots, et hop, je lui montre l'écran.

- C'est à dire que ... Tu passes pas franchement inaperçue.

Et là, je lui montre l'image sur mon téléphone.


- Ton chargé de com' sait comment vendre tes spectacles, c'est sûr.

Oui, un peu d'humour, alors que je rerange mon téléphone au fond de la poche d emon pantalon.

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Peut-être qu’elle en faisait trop avec cette histoire de restaurant, elle n’en savait rien. Elle n’avait jamais manqué de rien et avait l’habitude de manger dans ce genre d’endroit, tout en ayant conscience que tout le monde n’avait pas sa chance, de sorte qu’elle n’en avait jamais fait toute une histoire. Et il lui paraissait naturel de donner un peu de ce qu’elle possédait en quantité. Mais elle savait aussi que ce n’était pas évident d’être à la place de Billy, surtout qu’il n’était qu’un adolescent. De son point de vue, elle lui offrait un dîner, c’est-à-dire trois fois rien, quelque chose que n’importe qui aurait pu et dû faire n’importe quand, mais elle ne savait pas vraiment ce que ça représentait pour lui. Quand elle le vit se crisper un peu à ses questions, elle faillit revenir sur ses paroles, balayer tout cela d’un geste. Le voir disparaître après tout ce temps passer avec lui l’aurait attristée au plus haut point, surtout l’idée de ne pas savoir ce qu’il serait devenu. Elle retint un soupir de soulagement quand finalement il se mit à parler. Même si bien sûr, ce n’était pas un conte de fées qu’il lui racontait, mais au moins son histoire avait-elle tous les accents de la vérité, et puis, cela voulait dire qu’il commençait à lui faire confiance. Il y avait plein d’orphelins dans ce monde, et en général, leur enfance était un enfer. Elle qui avait perdu ses parents également, avait eu la chance d’avoir son père auprès d’elle jusqu’à un âge où elle avait pu se passer de lui, au moins financièrement, puisqu’elle n’était pas sûre de se remettre un jour de sa mort, même maintenant que plus de dix ans avait passé. Le parcours de Billy était tristement connu et ce n’était pas comme si elle pouvait tout effacer d’un sort et lui donner une nouvelle vie avec sa famille, alors un dîner, finalement, ce n’était pas si mal que ça.

Elle sourit à la mention de Metropolis, cependant, et de Superman, qu’il appela par le pseudonyme dont les journalistes l’affublaient entre eux, ce qui sonna bizarrement dans sa bouche – comme s’il le connaissait personnellement. « J’aime bien cette ville, et elle a le meilleur des protecteurs. Tu finiras peut-être par le croiser en personne, il n’est pas très difficile d’accès. » Plutôt l’inverse en fait. Quoique modeste, et du genre à fuir ses fans, mais tout de même… Encore que Zee ne souhaitait pas à Billy d’avoir un jour besoin de Superman parce que cela voudrait dire qu’il se serait mis dans les pires ennuis. À part ça, Metropolis, ce n’était pas non plus la porte à côté, et cela ne répondait pas vraiment aux interrogations initiales de Zee sur comment Billy faisait pour pointer le bout de son nez à la plupart de ses shows, mais elle décida de ne pas pousser le harcèlement trop loin. Quand il lui sortit son téléphone avec l’affiche de son dernier spectacle, elle éclata carrément de rire. « Oh, tu sais, ce sont des vieux trucs de vieux magiciens, une façon old-school d’annoncer un spectacle de magie. Tu aurais dû voir les photos de mon père quand il était en tournée, pris en photo un lapin à la main… » Un lapin… Autant dire, le genre de tours qui passionnaient moyennement les adolescents en 2019. Même si bien sûr, comme elle, Zatara avait été doté de réels pouvoirs magiques. Là-dessus, leur serveur arriva avec leurs plats et leurs Cocas. Le burger de Billy était de taille respectable, adossé à une montagne de frites.

« Tu me promets que quelque part dans ce pays, deux parents adoptifs ne sont pas morts d’inquiétude en train de te chercher partout, hein ? » Enfin, il ne pouvait pas se balader comme ça un peu partout sans l’accord de ses parents. Ou leur sage ignorance. Zee espérait juste que ce n’était pas de la simple maltraitance, une paire de gens qui se fichaient bien de savoir ce que faisait leur fils de ses nuits. Mais si c’était le cas, alors elle préférait largement qu’il soit avec elle qu’avec eux. « Alors, j’imagine que tu n’as peur de rien. Mais puisque tu as un téléphone, est-ce que tu veux bien prendre mon numéro ? Si un jour tu as besoin de quelque chose, tu pourras m’appeler. Et si un jour tu ne viens plus à mes spectacles, tu pourras me prévenir au lieu de disparaître sans laisser de traces ! » Et elle sortit son propre portable pour le lui tendre. Le serveur revint encore. « Tout se passe bien ? Vous et votre fils désirez autre chose ? » Zee ouvrit le bec avec l’intention de l’envoyer bouler. Il aurait pu dire « vous et votre sœur », bordel. Mais comme la clientèle ici pratiquait la chirurgie esthétique à grand frais, sport national des nantis, peut-être qu’elle pouvait pardonner sa méprise à cet employé bien plus mal payé que ne laissait entendre la bourgeoisie du restaurant qui l’employait. Elle répondit par la négative et haussa les sourcils vers Billy pour le laisser exprimer ses éventuels désirs.

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C'est un peu amusant, comme situation. J'écoute Zee me parler de l'Ange de Métropolis, et de la possibilité de le rencontrer. Dire que je le croise à chaque réunion de la Ligue ... et que je peux même pas crâner au lycée en le racontant aux autres. C'est vraiment pas de bol, quand même. En dépit de tout ce que je peux faire, je n'en reste pas moins un gamin, avec des problèmes de gamin.

La magicienne aborde ensuite l'histoire de la photographie. Elle évoque aussi son père, et le coté un peu kitch des vieux tours de magie, avec les trucs comme le lapin dans le chapeau. Je présume que du temps du père de Zatanna, c'était suffisant pour impressionner le public. Mais de nos jours ... Et bien il faut au minimum faire ce que la brunette propose. Sinon, vous pouvez être sûrs que vous perdez l'attention de l'audience, qui est continuellement exposée aux événements extraordinaires. Heureusement que la "Magic Touch" apporte quelque chose de bien particulier au show.

Suite à quoi, la jeune femme souhaite me faire promettre que les adultes qui sont responsables de moi ne sont pas en train de s'inquiéter, de me chercher partout dans le quartier. M'adossant plus confortablement dans le siège, je place ma main gauche sur la poitrine, puis lève la droite.

- Je promets qu'actuellement, aucun de mes parents adoptifs n'est en train de s'inquiéter et de me chercher partout. Amusé, j'ajoute un : Rassurée ?

Je ne mens pas. A partir du moment où ils ne savent pas que je ne suis plus dans ma chambre, qu'aucun membre de ma famille ne m'a balancé : ils ne peuvent pas s'inquiéter ni se mettre à me chercher. CQFD. Bon, faudra quand même que je rentre pas de loup, pour ne pas me faire trop remarquer. Je suis peut-être l'électron libre de la famille, mais demain y a école.

Malgré ma promesse, la magicienne me tend son téléphone, afin que je récupère son numéro. Je ressors donc le mien, enregistrant les coordonnées de Zee. Je suis certain de Freeman ferait une blague un peu limite sur ça, s'il était au courant. Rendant son téléphone à mon hôte une fois les données enregistrées, je souffle un "Merci, j'apprécie." C'est limite gênant, encore une fois, de se retrouver dans ce genre de situation, à jouer une sorte de double-jeu.

Heureusement pour moi, le serveur arrive enfin avec nos plats et les boissons. Il dépose le tout sur la table, et j'admire alors le burger. Je le regarde presque amoureusement, murmurant "Une oeuvre d'art" à peine audible.

Sérieusement ! En partant du bas, on a une épaisse tranche de pain brioché imbibé de jus de viande, une tranche de fromage, de la salade, un premier steak de trois centimètres d'épaisseur, du fromage, une seconde tranche de pain, de la sauce, de la tomate, un nouveau steak, du bacon, du pain, du fromage, des oignons, encore un steak, de la salade, des cornichons, un oeuf, un peu de jus et le dernier pain.

Ce qui parvient à me tirer de mon état contemplatif ? La question du serveur. Il veut savoir si ma "mère" et moi n'avons besoin de rien. Sans lever la tête, mes yeux se portent sur lui.

- Mec, t'as vraiment cru que c'est ma mère ? C'est ma ...

Je ne sais pas comment terminer ma phrase. Alors je fais ce que n'importe qui ferait : je la désigne de la main, agitant la tête dans un genre " Tu comprends ?" . Mais quand je vois l'air surpris puis désapprobateur du gars, je capte qu'il n'a pas vraiment compris ce qui me liait à Zee.

- Mais que ... Un soupir s'échappe de mes lèvres. C'est bon, laisse tomber.

Si la personne qui m'accompagne ne s'offusque pas de cette méprise, peut-être vaudrait-il mieux que j'en fasse autant. Le truc c'est que ... J'arrive même pas à trouver ça drôle, dans le sens où aussi loin que je me souvienne, je ne me rappelle pas avoir utilisé une seule fois le mot "Maman" pour m'adresser à quelqu'un. Je regarde simplement le gars s'éloigner.

Conscient que mon attitude un peu borderline peut avoir gâché ce petit moment sympa, je réalise une chose grâce à la confusion du serveur : si, inconsciemment, je pouvais avoir de près ou de loin, ne serait-ce que le début d'une toute petite flamme qui symboliserait quelque chose de plus que de l'amitié, bah là, clairement, ça vient d'être tué dans l'oeuf. Zatanna ne sera jamais plus que ma "personne-que-je-n'ai-pas-su-qualifier-à-l'instant".

Je me gratte la joue, me réinstallant dans ma chaise. "Désolé, je voulais pas être ..." Là encore, je ne finis pas ma phrase. Au lieu de ça, une idée me traverse l'esprit. Une bonne ? Je ne sais pas, on verra ça à la fin. Donc je retire le "chapeau" de mon burger et mets quelques frites, avant de le replacer, le rendant encore plus imposant.

Histoire de remettre une ambiance détendue, je saisis le maxi-burger à pleine main. "Tu paries combien que je peux entamer toutes les couches de ce truc en une bouchée ?"

Je suis un ado. Les ados font des choses idiotes des fois. Comme tenter d'atteindre tous les niveaux d'un machin aussi gros que leur tête. Sans attendre de réponse de la part de la personne qui me fait face, j'attaque le truc. Et inutile de dire que c'est un carnage. De la sauce me coule sur les doigts, un steak s'échappe et tombe sur les frites. L'oeuf se perce et du jaune vient couler sur mon menton - entre autres. Le bon point, c'est que je n'ai pas taché les vêtements de Zee. Le mauvais, c'est que je sens le regard pesant des autres personnes présentes dans le restaurant.

Toujours avec ma nourriture dans les mains, le visage ... dégueulasse, y a pas d'autre mot, j'affiche un large sourire, parlant alors la bouche pleine.

- Bah j'ai perdu.

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Elle sentait bien qu’il mentait par omission ou quelque chose comme ça, en tout cas il avait cette lueur dans le regard, un peu de malice, un peu d’amusement et beaucoup de cette confiance en soi que confère l’habitude d’une vie qu’on a pris en main depuis longtemps… Un regard qui lui disait vraiment quelque chose ! Elle décida de faire semblant de le croire, tout comme il faisait semblant de prendre sa question au sérieux. Ce qui comptait pour elle c’était qu’il allait bien et en fait, il paraissait carrément inébranlable, alors… Encore un peu et elle aurait pu dire « indestructible ». Le temps qu’ils échangent leurs numéros de portable – et Zee ne songeait pas une seconde qu’il puisse le communiquer sur Twitter ou allez savoir, ça ne lui traversait même pas l’esprit et pourtant elle en avait, des fans bizarres, voire vraiment flippants –, la nourriture arriva. Zee ne voyait presque plus Billy derrière son énorme hamburger, et cela la fit rire, jusqu’à la petite sortie du serveur, auquel elle jeta un regard bien lourd pour qu’il s’en aille. Mais face à elle, Billy semblait encore plus vexé qu’elle. Ou plutôt, en colère. Elle crut d’abord qu’il était en colère pour elle, ce qui aurait été un peu mignon mais plutôt déplacé, sauf que sa colère, quoique maîtrisée, vibrait à un point tel qu’elle se douta qu’il y avait plus que ça. Eh bien, il lui avait avoué être orphelin. Comment ne pas être touché par les propos malvenus de ce type qui, cela dit, ne pensait probablement pas à mal. Elle regarda l’adolescent se débattre avec des explications qui ne voulaient pas sortir, puis le serveur s’en alla et Zee reporta le regard sur son invité du soi. « Tu n’as pas à t’excuser. En fait, c’est très mature de ta part de vouloir te défendre contre des paroles blessantes. » Même s’il n’avait pas su trouver les mots, et même si le serveur devait être en cuisine en train de raconter comment une couguar était en train de manger avec son petit copain de quinze ans. Et en fait, cette seule idée amena un sourire sur ses lèvres, puis elle éclata de rire et dut gober son verre d’eau pour se calmer.

Elle finit par observer Billy, qui était en train de faire une œuvre d’art avec son burger. « C’est insupportable, le regard des autres quand les autres ne voient que ce qui les arrange. » Elle se contenta de dire cela, toujours avec le sourire et un ton apaisé. Ils n’étaient pas là pour refaire le monde, mais pour bien manger. Et Billy semblait vouloir prendre ça très au sérieux. Elle l’observa tout le long du processus, et il en mettait vraiment partout, partout. Elle vit que les gens le regardaient aussi mais, habituée à être le centre d’attention, elle n’y prit pas garde. Elle vit aussi que le serveur mourrait d’envie de venir, peut-être les mettre dehors, mais il ne pouvait pas, parce que cet endroit était si cher qu’en vérité on pouvait tout s’y permettre, jusqu’à la plus dégueue des excentricités. Mais plus que ce petit show son et lumière, ce fut la conclusion qui tomba, assortie d’un grand sourire. Il avait perdu. Elle éclata de nouveau de rire. « Tout le monde n’est pas magicien, Billy. » Une remarque dont elle ne pouvait comprendre l’ironie, évidemment. « Tu vas nous faire blacklister de cet endroit, mais ce n’est pas plus mal. Je suis désolée, on aurait dû aller au McDo, là-bas au moins les gens sont faciles à vivre et personne ne te demande rien, et puis les hamburgers sont tout aussi bons, les frites dorées et croustillantes à souhait, et je n’ai jamais mangé nulle part de dessert aussi bon que leurs sundaes caramel. Et personne ne te jette de regard bizarre si tu commandes trente cheeseburgers, c’est vraiment le meilleur endroit où l’on puisse manger en pleine nuit, finalement. » Elle réussit à reprendre son souffle et tendit sa serviette à Billy, comme si ça allait pouvoir l’aider avec les dégâts qu’il avait causés à ses habits.

Elle en avait oublié son assiette, et piocha dedans sans cesser de fixer Billy, jusqu’à ce qu’enfin, elle pose ses couverts. « Depuis que je te connais, je me dis que j’ai l’impression de t’avoir déjà vu. Tu me fais penser à quelqu’un, en fait, que j’ai connu à la Justice League. » Elle fit une pause dramatique. Peut-être que Billy n’en avait rien à faire, de la Justice League. Les enfants étaient impressionnés, les adultes aussi, des fois, mais les ados, ça se fichaient de tout, même de Superman. Elle se tapota la joue. « Hal Jordan ! C’est ton petit sourire en coin. Celui qui dit que vous n’êtes pas des garçons sages. » Des petites canailles, en vérité ! Mais chez qui tout était à aimer. Avec une chaleur qui donnait envie de les connaître. Oui, voilà, il lui faisait penser à Hal, un peu. Bon, et aussi à Shazam, mais Shazam avait toujours eu un côté maladroit qu’elle ne retrouvait pas du tout chez Billy.

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Bon, okay, le serveur a fait une erreur. Mais je ne vais pas m'attarder dessus. Les occasions de voir Zatanna sont rares. Entre ses spectacles, mes cours et surtout les missions avec la Ligue de Justice, je ne vais pas ronchonner une éternité sur ce qui vient de se passer. Et c'est pour ça que je lance mon pari stupide - pari que je perds, à l'évidence. Mais au moins, ça a eu l'effet que j'imaginais : elle se marre. On passe donc à autre chose, et c'est un bon point.

Quand elle dit que pas tout le monde est magicien, j'affiche un petit sourire en coin dissimulé derrière mon énorme sandwich. Si elle savait toute l'étendue de l'ironie des propos qu'elle vient de tenir. Je continue de manger, me moquant éperdument du regard des autres. D'ailleurs, je n'ai qu'un haussement d'épaules quand la magicienne y fait référence. Je sens le poids des regards, la désapprobation, mais je m'en moque purement et simplement.

Je préfère focaliser mon attention sur ce que dit Zee. Elle développe tout un espèce d'argumentaire à la gloire d'une chaine de Fast Food. Là, elle vient clairement de me surprendre. Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle apprécie des restaurants comme McDo. Je veux dire ... Vous avez vu à quoi ressemblent les super-héros ? Est-ce que vous imaginez une seconde Black Canary ou Batman s'arrêter au Drive pour commander un menu ? Non, les héros sont plutôt le genre de personnes à faire de la propagande pour les "5 fruits et légumes par jour - mais crus, pour conserver les nutriments!" Déposant le reste de mon burger dans l'assiette - il ne m'en reste que la moitié - j'attrape ma serviette sur le bord de la table.

Je m'essuie tant bien que mal, même si c'est au tuyau d'arrosage qu'il faudrait me nettoyer. Une fois que ma bouche et surtout mes mains sont à peu près propres, je glisse mes doigts dans la poche intérieure de ma veste, sortant de là-bas dedans mon porte-feuille. Je regarde combien j'ai dedans, et relève la tête, fixant la personne qui me fait face avec un large sourire.

- C'est ton jour de chance ! J'ai juste de quoi nous payer un dessert chacun ! Donc quand on en aura fini ici avec nos plats, c'est moi qui t'invite chez McDo !

Nous sommes à la limite entre le pathétique et la "trop-mignonnerie", je crois. Je replace mon porte-feuille dans ma poche et rattrape à pleines mains les restes de mon repas.

Et alors que l'on demeure silencieux, au moins le temps de manger, Zatanna reprend la parole. Et les mots qu'elle dit provoquent chez moi la remontée désagréable d'une frisson tout le long de ma colonne vertébrale. Ca y est, elle sait ! Elle vient de faire la rapprochement entre Shazam et moi. Je m'en arrête même de manger, et cherche comment lui expliquer tout ça. D'ailleurs elle marque une pause, certainement pour me donner l'occasion de me montrer honnête.

- C'...

Soulagement ! Elle me coupe la parole, et trouve qu'en fait je ressemble à Hal - Green Lantern ! Je ne sais pas comment je dois le prendre. Parce que de temps en temps, Hal se montre un peu ... Comment dire ... Pas hautain, mais disons qu'il sait qu'il n'est pas comme le commun des mortels. Mais d'un autre coté, ce mec est capable de faire de grandes choses !

Bon, en fait, ce sont nos sourires, qui semblent montrer que l'on peut être un peu... Facétieux - je préfère ce terme, plutôt que "pas sages". Je vais rentrer dans son jeu - pour éloigner une éventuelle allusion à Shazam le plus possible.

- Le Green Lantern ? Trop bien ! Et si j'obtenais son anneau, on me nommerait comment ? Teen Lantern ? Dommage que tu travailles plus trop avec la Ligue, on aurait pu être collègues !

Etait-ce vraiment une bonne idée de balancer ça, comme ça ? Bah on va voir. En attendant, j'attaque le dernier quart de mon Burger. J'espère qu'il n'y aura pas d'urgences - soit à la maison, soit avec la Ligue - parce qu'avec ce que je viens de me mettre, courir va pas être facile.

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Il ne cessait de l’étonner, Billy. À chaque fois qu’il parlait, il disait quelque chose à quoi elle ne s’attendait pas, et c’était la même chose pour chacun de ses gestes. Elle le regarda sortir son portefeuille avec étonnement, sans savoir à quoi s’attendre, et quand il lui annonça soudain qu’il avait de quoi leur payer le dessert au fast-food, elle resta muette quelques secondes, avant d’aplatir sa main sur la table. « Deal ! C’est une promesse, et un rendez-vous. J’accepte avec plaisir. » S’il lui disait qu’il pouvait, c’était qu’il pouvait. Elle n’allait pas faire de chichis. Et encore une fois, elle le regarda s’agiter sur sa chaise comme s’il avait soudain une urgence, alors qu’elle ne faisait que lui dire que des fois, il lui faisait penser à Hal. Au moment où elle le dit, elle crut à nouveau sentir ce picotement sur sa peau, comme en réaction à une magie ancienne et remuante, qui disparut aussitôt. Non, non, ce n’était pas un garçon ordinaire. Mais quoi qu’il fût, elle en était presque à ne pas vouloir le savoir. Elle s’amusait, elle riait, il la laissait patiemment lui payer à manger, aussi pathétique que ça aurait pu être, la laissait lui faire ce cadeau parce que c’était dans sa nature, à Zee, de vouloir aider les gens, même quand les gens n’en avaient pas envie, ou pas besoin. Il se pliait au caprice de la vieille qu’elle était alors qu’il aurait dû être dehors quelque part avec ses potes ou pas, à mener sa vie à lui, et pas à la suivre dans la sienne tout ça parce qu’elle se sentait seule. Elle le vit s’éclairer à la mention de Hal, un peu trop pour qu’il ait l’air honnête. Sa réaction la fit sourire. Tellement de mots qui se bousculaient dans sa bouche… Il s’en fichait, de Hal Jordan, cet enfant. Teen Lantern, tu parles !

« Tu n’en voudrais pas, de cet anneau. Si j’ai bien compris, il y a des tas de patrons à qui rendre des comptes, des tas de règles à suivre, et je ne pense pas que tu sois très fan de ce genre de contraintes. » C’était le moins qu’on puisse dire, non ? Elle avait du mal à imaginer Billy au garde à vous devant des supérieurs aliens se comportant comme des sergents-chefs. Non, vraiment, la comparaison s’arrêtait là. Elle fit rouler une olive dans son assiette. « Ce n’était pas pour moi, la Justice League. Mais si un jour on doit être collègues, j’adorerais travailler avec toi, Billy Batson. » Et le pire, c’est qu’elle le pensait vraiment. Elle l’imaginait comme un contrepoids parfait à ses délires à elle – elle n’avait pas toujours les pieds sur terre, après tout, alors que lui, rien que ce soir, lui avait déjà prouvé qu’il pouvait être d’un pragmatisme affolant pour un adolescent. Mais c’était un adolescent, justement. « Mais peut-être que je ne devrais pas te souhaiter ce genre de vie. Ou peut-être que si. Ça te plairait, d’être un super-héros ? De toujours devoir assurer sous peine d’être responsable de blessés ou de morts ? » Ooouuups, voilà qu’encore une fois elle oubliait qu’elle s’adressait à un enfant. Un enfant qui parlait et agissait comme un adulte, certes, mais quand même. C’était complètement infantile de sa part à elle de tomber dans ce piège. Elle reposa sa serviette sur sa table et fit signe au serveur. Quand il fut là, avant qu’il ouvre la bouche, elle fit apparaître sa carte bancaire entre ses doigts et la lui tendit, et il repartit sans un mot – il devait déjà avoir deviné qu’il n’aurait pas de pourboire, celui-là.

« Partons d’ici. Et dis-moi donc ce que tu ferais, toi, si tu avais des pouvoirs extraordinaires. » Peut-être qu’il choisirait de s’en servir pour lui. Ou même de devenir un super-vilain ! Il en fallait bien. Et il y en avait bien qui avaient de vraies raisons – à défaut de bonnes raisons.

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Alors que je suis en train d'attaquer le tout dernier petit bout de Burger restant - j'ai peut-être abusé, avec ça - j'ai comme l'impression que le rouge est en train de me monter aux joues. Pour quelle raison ? Bah quand Zee dit qu'on a un deal, par rapport à la glace que je compte lui offrir, cela me fait légèrement sourire. Mais quand elle prononce le mot "rendez-vous" je ne sais plus trop où me mettre.

Alors certainement que pour les adultes, employer de tels mots, ce genre de termes, cela n'a pas vraiment d'incidence ou d'importance. Mais pour les ados, bah ... Y a des trucs que l'on évite bien soigneusement de dire, pour éviter tout quiproquo ou pour qu'une situation ne se fige pas trop vite dans le réel.

Je ne dis absolument rien, enfournant quasiment tout ce qu'il me reste à manger au fond de ma bouche : la raison parfaite et imparable pour ne pas parler, c'est bien d'avoir la bouche pleine. Cela me donne d'ailleurs l'occasion de l'écouter évoquer la Ligue, les pouvoirs, sa possible envie de travailler avec moi. Bon, on en est encore loin, je ne sais pas du tout ce que je compte faire plus tard, et étant donné que mon activité "extra-scolaire" me prend déjà pas mal de temps, je dois bien avouer que je n'ai pas encore songé à mon avenir sérieusement. Je souris presque niaisement quand elle parle des "boss" de Jordan. Il n'en dresse pas un portrait super élogieux, faut l'avouer. J'ai cette chance d'être mon propre patron - quand je ne suis pas à la maison à devoir obéir aux ordres de Mary ou de nos "parents", évidemment.

J'attrape la serviette de table et essuie  la sauce qui coule de mes lèvres jusqu'à mon menton. Une nouvelle question tombe. Le genre de sujet que je vais devoir éluder en douceur pour éviter d'éveiller le moindre soupçon. Déposant ma serviette à coté de mon assiette, je prends une dizaine de secondes pour réfléchir avant de répondre.

- Qui n'aimerait pas être un héros ? Oui, ça doit certainement impliquer des très lourdes responsabilités, mais à la hauteur de la tâche à accomplir, de la reconnaissance que les gens donnent, tout ça ... Je hausse les épaules, la fixant dans les yeux. Je sais pas si ce genre de vie serait pour moi. Les tenues moulantes, c'est ... Je fais la grimace, montrant un pseudo-dégout tout à fait factice.

En même temps que le serveur arrive, je plonge à nouveau la main dans ma poche arrière. J'y récupère mon porte-feuille, et en sors une pièce. C'est pas grand chose, mais ça fera le pourboire du gars. Zatanna paie déjà le repas, et j'ai comme l'impression que l'attitude du garçon de salle ne lui a pas plus. A moi non plus, mais bon. Il parait que ça se fait, donc ...

Quand la magicienne m'indique que c'est le moment de s'en aller, je prends appui sur mon siège et force pour m'en extirper. Sérieux, j'ai abusé avec ce maxi-burger, j'ai l'impression de peser une tonne.

Nous voici maintenant à l'extérieur, où l'air frais me permet de mieux encaisser le début de digestion. Les mains dans les poches, je songe à ce que m'a demandé Zee avant que nous ne sortions du restaurant.

- Si j'avais des pouvoirs ? Je sais pas. Je serais peut-être un vilain, qui sait ? Un truc du genre Poison Ivy, mais du sexe opposé. Ou alors une version moins colorée de Trickster ? Tu l'as vu ce mec, sérieux ? Mais même, les ennemis de Flash en général : ils sont grandioses ! Un peu ringards, mais grandioses !

Hum, je vais peut-être me calmer sur les références super-héroïques. Ou alors, je déballe un truc qui n'est pas du tout un mensonge.

- C'est Freddy. Un des enfants, là où je vis. Il est fan de tout ce qui touche aux super-héros, tout ça. Je lance un petit regard en coin à Zatanna. Il serait fou s'il savait avec qui je suis ce soir.

D'ailleurs, n'importe qui au lycée serait fou. Mais cela fait partie des petits plaisirs que je suis obligé de garder pour moi. Mes yeux reviennent sur la pointe de mes chaussures, jusqu'à ce qu'apparaisse dans le reflet d'une flaque d'eau le fabuleux logo de McDo. Là, mon visage se redresse, et c'est avec un petit sourire que je souffle :

- Il est temps de tenir ma promesse. Tu comptes prendre quoi ?

Je disais quoi ? Que j'avais abusé ? Possible. Mais il y aura toujours de la place pour une petite glace, quoi que l'on ait pu se mettre au cours d'un repas. Toujours.

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C’est vrai ça, qui n’aimerait pas être un héros ? Dit comme ça, ça avait l’air si simple, encore que la définition du mot héros n’était pas toujours celle que l’on croyait. Sauver le monde, oui, ça devait faire de vous un héros. Trouver un logement pour au moins une nuit au cœur de l’hiver à au moins un sans-abri, ça aussi, vu que par les temps quelque peu égocentriques qui couraient, un acte simplement humain passait pour héroïque. Bon, et ensuite ? La reconnaissance, Zee savait qu’elle n’en voulait pas, surtout que ça n’existait pas vraiment. Ce qu’ils avaient récupéré, à la limite, c’était le rôle de grands réparateurs officiels de la bêtise humaine, et aussi pas mal de détracteurs. Elle préférait avoir de la reconnaissance vis-à-vis de son vrai métier – et des gens comme Billy pour venir voir ses spectacles. Bon, quelles étaient les chances que l’adolescent présentement en train d’essayer de ne pas exploser qui lui faisait face devienne un super-héros au sens surnaturel du terme ? Elle n’allait pas lui casser son coup. Peut-être qu’il trouverait le vaccin contre la bêtise ou enverrait le premier homme sur Mars. Il y avait mille façons plus utiles sur la durée et pour l’avenir de l’humanité d’aider les autres que de botter occasionnellement un alien ou un démon hors des frontières terrestres. Quand aux trucs moulants… Elle faillit recracher la gorgée d’eau qu’elle venait d’avaler en attendant que le serveur revienne avec sa carte bancaire. Ce débat-là était récurrent mais tout le monde, les gens concernés ou pas, finissaient par faire semblant de faire avec mais quand même, oui, pourquoi les collants ? Nul ne le saurait jamais.

Ils sortirent du restaurant, et Zee s’attendait à moitié à devoir faire rouler Billy sur le trottoir tellement il avait mangé, elle n’aurait pas cru cela possible, même si à ce qu’il paraît les ados bouffent beaucoup. Mais apparemment, il envisageait sereinement d’enchaîner avec le McDonald’s. Elle l’écouta parler de ses éventuels pouvoirs et songea qu’il ne lui répondait pas sincèrement, ou alors toute cette histoire de super-héros ne le faisait pas tant rêver que cela. Ivy en homme ? Le Trickster ? Eh bien, cela dit, l’un comme l’autre, sans avoir besoin de se montrer spectaculaire, pouvaient se montrer incroyablement pénibles. Puis elle éclata de rire de nouveau en l’entendant évoquer les ennemis de Flash. Il y avait peu de temps – et oh Zeus, c’était au McDonald’s en plus ! –, elle avait eu l’immense honneur d’en croiser un, en compagnie de Barry justement, et ça n’avait pas été une partie de plaisir, mais quel moment… « Eh bien, certains sont plus agaçants que d’autres, on va dire. J’ai eu le bonheur de croiser Condiment King il y a quelque temps. Google-le, si tu ne le connais pas. J’y ai laissé une robe de soirée. » Et sa dignité, aussi, vu que l’affreux lui avait tiré dessus en pleine tête avec son pistolet à mayonnaise. Elle baissa les yeux sur Billy. Il s’y connaissait en tout cas en super-héros et super-vilains. Enfin, lui ou son ami Freddy, donc. Il n’avait pas besoin de se justifier mais peu importait. « Tu n’auras qu’à l’amener à un spectacle, un jour, enfin si tu penses que ça peut l’intéresser. Par la magie des Zatara, je décrète que ton pass est bon pour tous les gens que tu veux emmener avec toi. » Ce n’était pas un tour très couteux, donc.

Ils étaient arrivés dans le saints des saints, enfin, et Zee ne mit pas une seconde à se décider pour un sundae caramel avec cacahuètes évidemment. Elle avait encore du mal à imaginer Billy avaler encore ne serait-ce qu’une bouchée de quelque chose, mais elle attendait de voir. Cependant, alors que l’adolescent allait tenir sa promesse de leur acheter des glaces, une longue plainte retentit, le genre d’appel à l’aide désespéré de quelqu’un en danger et qui savait que personne ne viendrait l’aider. Le cri venait d’une ruelle non loin. Zee se tourna vers Billy. « Tu nous payes le dessert, alors ? Attends-moi dans le McDo, s’il te plaît, j’en ai pour une seconde. Promets-le-moi ! » Et bien sûr, sans attendre la réponse et encore moins la promesse, elle partit en courant, puis bondit dans les airs à l’aide d’un sort pour sauter par-dessus une immeuble de quelques étages, et atterrir dans la ruelle de l’autre côté, où trois anonymes étaient en train de s’en prendre à un type solitaire, qui s’accrochait à sa sacoche comme à une bouée. Des fois, mieux valait laisser tomber et garder la vie sauve. Sans s’embarrasser de présentation, de pause dramatique ou d’annonce de héros – peut-être que Billy aurait été déçu –, elle envoya valdinguer les trois voleurs contre un mur et rejoignit la victime, qui tremblotait comme un bol de gelée. C’était un homme assez âgé et elle lui posa une main sur le bras pour essayer de le rassurer. Ainsi mère Thérésa ne faisait plus attention à ce qui l’entourait et certainement pas à l’un des types qui s’était relevé d’un bon et avait sorti rien moins qu’une arme à feu. C’était plus que du vol à l’arrachée, là, tout de même ! Désireuse de protéger le vieillard avant tout, elle fit apparaître un bouclier devant elle pour stopper les balles. « Attends donc que ton chargeur soit vide, tu vas voir ! » Ses copains se levèrent à son tour et dégainèrent aussi. Le vieillard glapit. Zee grogna. Greuh. Billy l’attendait et un sundae, ça fondait vite.

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Zatanna est vraiment cool, comme fille. Il suffit que je lui parle de Freddy pour qu'elle lui accorde à lui aussi un accès aux représentation qu'elle peut faire. Si les gens pouvaient globalement faire preuve d'autant de générosité, le monde tournerait vraiment mieux. Je pense à ça après avoir essayé d'imaginer le costume d'un mec qui se surnommerait "Condiment King". Mais sérieusement, à moins d'avoir abusé de produits illicites, je pense que l'on ne peut pas capter le délire.

Alors que l'on se rapproche du restaurant, je sors mon téléphone de la poche arrière de mon pantalon, et fais une recherche rapide sur le vilain en question. Et quand je vois l'aspect du gars, je me dis que Flash n'est vraiment pas chanceux, en matière d'ennemis. Comment un homme qui se déplace plus rapidement que l'oeil ne peut le suivre n'a pour adversaires que des gens au potentiel comique hors normes? Boah, ce n'est pas important.

Non, ce qui compte là, c'est que Zee me laisse en plan. Mais pour une bonne raison ! Visiblement, quelqu'un a besoin d'aide ! Et même si elle ne fait plus partie de la Ligue des Justiciers, la magicienne ne peut pas réprimer ce qu'elle est vraiment au fond d'elle : une héroïne.

Je la vois disparaitre dans la nuit, me demandant de lui promettre  d'attendre son retour dans le McDo. Elle ne peut plus m'entendre, mais je murmure quand même quelques mots.

- Moi, Billy Batson, promets de ne pas quitter ce McDo.

Rentrant dans l'établissement, qui accueille encore de nombreuses personnes à cette heure avancée de la nuit, je me dirige vers les toilettes. Un des hôtes de caisse m'indique que c'est réservé aux clients, mais je l'ignore. De toute façon, le code pour accéder aux salles d'eau ne fonctionne jamais, et la porte est entre-baillée. Je me faufile à l'intérieur, puis verrouille le tout. Je regarde mon reflet dans le miroir, et c'est avec un petit sourire taquin que je m'adresse à moi-même.

- T'as promis de pas quitter ce lieu. Mais s'il y en a un qui peut se barrer sans rompre cette promesse, c'est ... SHAZAM !

Un seul et unique mot. Une formule magique détentrice d'une puissance inimaginable. La foudre divine tombe du ciel, frappe le restaurant, causant une coupure d'électricité dans tout l'établissement. Et enfin, l'éclair magique me percute, et l'adolescent cède sa place au Héraut.

Lorsque la fumée se dissipe, je me regarde à nouveau dans le miroir. Tout ce que je vois est le gros éclair sur ma poitrine qui luit intensément.

- Bon, faut y aller.

La vitesse de Mercure. C'est grâce à elle que je peux quitter les lieux tel un courant d'air. Et c'est en volant que je suis la même direction que Zee a emprunté il y a quelques instants. Prenant de la hauteur pour avoir une vision plus globale, j'entends des coups de feu, et me doute que c'est là-bas que doit se trouver mon amie.

Bingo, je la vois, usant de ses pouvoirs magiques pour protéger un innocent sur qui un malfrat est en train de tirer. C'est à une vitesse folle que je viens m'interposer, atterrissant lourdement sur le sol, les pieds bien à plat. D'ailleurs, entre la vitesse, le choc et ma résistance, le béton se fissure lors de l'impact.

Une vraie entrée de super-héros.

La capuche blanche de mon costume dissimule la moitié de mon visage, mais je peux quand même fixer le criminel dans les yeux.

- Gentleman. Je vous laisse la possibilité de vous ...

Je ne peux même pas finir ma phrase : il me tire dans le visage ! Mais quel enfoiré ! Attends que j't'attrape !

C'est d'un pas décidé que je me dirige vers le gars et que je lui arrache son arme des mains. Je l'écrase comme un enfant malaxe un bout de pâte à modeler. Maintenant qu'il ne représente plus une vraie menace, je me tourne vers la fille de Zatara.

- Salut, Zee ! Qu'est-ce que ...

Non mais ils sont sérieux ? Les deux autres braqueurs viennent de voir que je résiste aux balles, et au lieu de me laisser converser avec Zatanna, ils me tirent dessus. Alors je leur fais face.

- Sans déconner ... Je pointe mes mains vers eux, faisant comme si mes index étaient des armes chargées. Posez vos armes, ou je tire !

Je m'amuse, c'est vrai. C'est même pas que je frime - pas vraiment glorieux de tenir en échec trois perdants comme eux - mais je prends mon temps. Puis on sait jamais : peut-être que l'intensité du moment poussera Zee à signer un nouveau contrat avec la Ligue des Justiciers !

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Le plus ennuyeux quand on luttait contre une menace avec un innocent sous le bras, c’était ça : l’innocent sous le bras. Zee n’avait pas peur de trois pingouins armés de revolvers, mais c’était trop facile, dans une situation pareille, d’oublier l’autre, de se servir de ses dons pour arriver à ses fins, de triompher – évidemment – et de se rendre compte ensuite que la personne qu’on essayait d’aider avait pris une balle perdue. Il avait fallu des années à Zee pour intégrer un truc aussi simple et stupide, des années qu’on appelait paraît-il, maturité. Alors, pour être sûre, pour être absolument sûre de protéger le vieil homme, qui comptait plus pour elle que mettre ces trois idiots hors d’état de nuit, elle se concentrait sur son bouclier. Et elle savait que si ces types s’enfuyaient à cause de ça, ils pourraient s’en prendre à quelqu’un d’autre une heure ou un jour plus tard, et que peut-être cette fois quelqu’un en mourrait. Ce n’était pas le genre de combat contre le crime qui aurait plu à Damian, et elle pensait à lui parce qu’il était le premier à lui rentrer dedans sur ces questions-là – l’idiote du village, trop sympa, quand contre des gens comme ça il fallait utiliser leurs propres méthodes, rien de mieux que la loi du Talion, tout ça. Peut-être qu’il n’avait pas tort, mais il n’avait pas raison, alors bon. Là-dessus, une silhouette floue et vaguement rouge s’interposa entre elle et les voyous, et vu sa vitesse, pendant une seconde, elle crut que c’était Flash qui venait d’arriver. Mais non, elle aurait reconnu cette capuche entre mille, et puis la stature n’était pas du tout la même, aussi. « Shazam ! » Elle était ravie de le voir – pas simplement parce qu’il venait l’aider, simplement parce qu’elle ne l’avait pas revu depuis très longtemps, et qu’elle avait fini par se dire qu’elle l’avait abandonné en même temps qu’elle avait abandonné la Justice League.

Elle entendit encore des coups de feu et ne put s’empêcher de s’exclamer en comprenant qu’ils lui tiraient dessus. Elle n’y pouvait rien, ça restait impressionnant de voir une chose pareille. Elle, elle utilisait des sorts, de la magie, des trucs et des astuces, et plein d’autres l’imitaient, qui avec des armes, des armures, du matériel en tout genre, même la force de l’imagination. Mais Il y en avait quelques-uns qui allaient au combat avec rien d’autre que leur propre personne, et c’était toujours étrange de voir des balles de pistolet rebondir littéralement sur eux, comme sur Shazam en cette seconde. Elle le regarda se débarrasser du type comme s’il avait agité un jouet sous son nez et lui sourit quand il se tourna vers elle. Mais sans pouvoir en placer une. Son ami, fidèle à lui-même, gérait la situation tout en ayant l’air de s’amuser. Il était tellement différent des Batman et autres Superman… Et si parfois elle l’avait trouvé imprudent, elle ne l’avait en vérité jamais vu commettre d’erreurs, durant le laps de temps où elle avait travaillé avec lui, et elle ne pouvait pas en dire autant. Mais elle ne savait jamais vraiment s’il maîtrisait la situation de bout en bout ou s’il improvisait au fur et à mesure. Elle tapota l’épaule du vieil homme, qui tremblotait sur ses jambes. « Et si vous alliez vous mettre à l’abri, hein ? » Le vieux la remercia dans sa barbe et se dirigea vers la sécurité de la rue plus fréquentée et plus éclairée, l’air un peu perdu. Zee alla se planter à côté de Shazam, qui menaçait les deux bonhommes de ses doigts, rien que ça. Apparemment, les deux types avaient vidé leurs chargeurs sur lui, et venaient de sortir des couteaux. Leur rapidité d’esprit était impressionnante.

Elle donna un petit coup sur le bras de Shazam, qui la dépassait de très loin. « Ça me fait plaisir de te revoir ! Tu passais dans le coin ? » C’était un peu incongru, mais peut-être était-il en mission dans le coin, effectivement. Face à eux, les deux types les regardaient comme pendant un match de tennis, l’air d’halluciner de les voir papoter tranquillement. « Vas-y, fais-le. J’aime beaucoup te voir en action. » Et ça aurait pu paraître bizarre, comme paroles, mais pour le coup, elle parlait de magicienne à magicien. Car c’était bien de magie dont il était question chez Shazam, même s’il s’agissait d’une magie unique et assez extraordinaire, et aussi ancienne que le monde, ou presque. Rien que de se sentir à ses côtés, elle se sentait électrisée, comme si sa magie bouillonnait dans son sang en écho à la sienne – une sensation qui lui rappelait Teth, également. Mais ce n’était pas un hasard, évidemment. C’était juste un tout autre débat. « Comme au bon vieux temps, hein ? Tu as l’air en forme en tout cas ! » Elle n’avait pas oublié qu’un peu plus loin, Billy l’attendait probablement. Une pensée qui lui donna de nouveau cette impression étrange de familiarité, et peut-être que l’évidence était justement trop évidente pour qu’elle songe seulement à l’envisager. Au lieu de quoi, elle se dit que Billy serait peut-être amusé de rencontrer Shazam. Ou bien était-il trop grand pour ça ? Il avait quand même un petit côté blasé, l’air d’avoir tout vu et tout vécu… Elle n’y connaissait pas grand-chose en adolescent. Et quand il parlait de super-héros, et même de la Justice League, il n’évoquait jamais, jamais ce pauvre Shazam. Mais ça ne coûterait rien de demander, non ? « Je suis désolée qu’il nous ait fallu une agression pour nous revoir. » Et elle était sincère. Un peu coupable, aussi. Tout en sachant que Shazam était un des membres de la JL qui lui avait le plus manqué, et en même temps celui qui ne lui en voulait peut-être pas d’être partie – du moins l’espérait-elle.

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