This reign has just begun and it's already fallen || Gareth

this reign has just begun and it's already fallen

Cela faisait des jours maintenant qu’elle errait. Ou des semaines ? Elle n’en savait rien. Elle avait eu le temps de croiser d’autres visages, aucun qu’elle ne connaissait, et elle avait abandonné l’idée de retrouver un ami, ou au moins une connaissance. À tout le moins un allié. Mais à bien y réfléchir, ce n’était pas très étonnant. Elle n’avait déjà pas beaucoup d’alliés dans son monde. Elle était arrivée là sans son laurier et sans son chien, et donc elle était seule. D’autant plus seule qu’elle sentait à peine le Green. Et d’ailleurs, elle ne voulait pas croire que c’était lui. Depuis le début, elle ressentait cette présence oppressante dans la ville, comme un trou noir pulsant d’une vie primordiale et dangereuse – rien à voir avec le Green qu’elle connaissait, mais en même temps elle le savait, exactement la même chose. Il suffisait d’ouvrir les yeux pour constater que la vie, ici, était morte. Pas les humains, ou les Atlantes, ou les Amazones, elle se fichait bien de ceux-là. Non, la vie, la vraie, celle qui nourrissait, qui florissait, qui se transformait, qui se multipliait. L’herbe, la graine, l’abeille, la racine, la terre meuble et humide. Sans même parler des arbres, des plantes et des fleurs, qui avaient dû être les premières victimes de cet horrible monde. Mais c’était pire encore que de voir les troncs rachitiques se battre en duel avec les arbustes aux feuilles cassantes dans les rues fracassées. La nature agonisait. Et Tefé agonisait avec elle.

Elle savait très bien pourquoi elle se sentait mourir de l’intérieur – de froid, de faim, d’empoisonnement, de mal-être tout entier. Depuis son arrivée ici, elle se sentait coupée de la nature et s’accrochait à sa partie humaine, et sa partie humaine était faible, fragile et incapable de se prendre en charge, visiblement. C’est par hasard qu’elle s’était retrouvée en vue de la cathédrale Saint-Paul, et elle n’en avait rien à faire, de cette stupide église à moitié écroulée qui n’avait, comme prévu, servi à rien aux croyants au moment où l’apocalypse leur était tombée dessus. Mais elle s’était dirigée vers elle malgré tout comme un papillon de nuit attiré par la lumière, parce qu’il y avait, autour de l’édifice, plus de terre et d’arbre qu’elle n’en avait jamais ressentis ailleurs. Sauf bien sûr dans cet endroit précis, le cœur battant de la ville en ruines, mais les images qui dansaient devant ses yeux, elle ne les aimait pas. Alors elle s’accrochait, elle s’accrochait à sa part humaine. Être une élémentaire ici, c’était se destiner au même destin que tous les arbres morts qu’elle avait croisés sur sa route. La nature n’avait pas sa place dans ce monde. Elle avait été la première à agoniser. C’était totalement contre-nature pour elle de penser ainsi et elle devait se faire violence. Et plus elle se faisait violence, plus elle se sentait malade. Mais elle s’accrochait à sa chair, elle s’accrochait à son souffle, et à son estomac qui gargouillait, à sa nausée – humaine, humaine, humaine. Elle tituba jusqu’à un pan de mur de la cathédrale, s’y adossa et glissa le long de la pierre. Par terre, c’était de la terre, assoiffée, mais de la terre malgré tout. Elle y enfonça ses doigts, sentit l’herbe sous ses jambes nues, sentit tout la bonne volonté de la végétation à vouloir la nourrir de ce dont elle avait vraiment besoin, mais elle repoussa ce contact. Tout à l’heure, elle boufferait un rat, et trouverait bien de l’eau croupie à gober quelque part.

Face à elle, il y avait comme un parc, où des arbres avaient survécu, où des bosquets avaient poussé en toute liberté, libérés du sécateur des jardiniers. Oui, c’était bien, ici. N’empêche, elle était toujours coincé dans cet enfer, toujours seule, avec zéro espoir de se tirer de ce mauvais pas vu qu’elle n’avait aucune idée de qui était le Collectionneur et de pourquoi il leur avait fait ça. Très occupée à s’apitoyer sur son sort, elle serra la terre et l’herbe dans la paume de ses mains. Sentit une onde légère la traverser. Il restait encore, si faibles, des lignes d’énergie, une trace que la nature moribonde était encore là. Si elle avait su où aller, elle aurait pu se fondre dans cette énergie, dans cette terre, dans le premier arbre venu, pour aller… ailleurs. Mais où ? Au lieu de quoi, elle appela. Pas le Green, le Green d’ici qui était si difforme. Elle se contenta simplement d’un appel silencieux au ciel et à la terre, avant de ramener ses genoux sous son menton. Le regard dans le vague, à l’écoute de son corps pesant, de sa chair désespérément mortelle, de son mal-être humain. Si elle s’était laissée aller à sa part élémentaire, elle se serait sentie mieux, elle en était sûre. Mais elle en avait peur, ici, de sa part élémentaire, peut-être à tort, elle n’en savait rien, il n’y avait personne pour lui dire que tout irait bien pour elle.

Elle releva les yeux. Une paire de jambes se tenait devant elle. Elle renversa le visage en arrière pour voir à qui ces jambes appartenaient. « Oh… C’est toi ? » Mais était-ce vraiment lui ? Avait-il entendu son appel ? Ou bien passait-il par là totalement par hasard ? Magie de la nature ou simple hasard humain ? Elle n’en savait rien, mais elle en aurait pleuré de le voir ici. Sauf qu’elle ne pleurait pas, duh ! En plus, elle mourait de soif, alors elle n’avait pas intérêt à se déshydrater encore plus. Elle tendit la main et se saisit de la jambe de son pantalon, comme pour le retenir. « Assied-toi avec moi. Laisse-toi mourir. Regarde, ce sera bientôt fini. » Ce qui restait de la terre. Les derniers brins d’herbe. Les derniers buissons et les derniers arbres. Et le dernier druide de la planète. C’était un plutôt bon auditoire.

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Tefé & Gareth

Terre-IV. Planète mourante et désolée. Aux énergies presques disparues. Arride et inhospitalière. Gareth s'y est senti seul et vide dès son arrivée. Au milieu d'un vide énergétique l'empêchant de se déplacer à sa guise, de se fondre dans les courants d'une nouvelle Terre sur le point de sombrer. Le druide a marché seul, il a découvert l'histoire de cet endroit, les guerres, la haine et l'orgueil. Des êtres dits divins qui n'ont eu aucun respect pour leur monde. Sans prendre conscience que ce monde qu'ils pensaient fasciner à leur image était à deux doigts de disparaître. Gagner une guerre à quel prix ? Emporter un royaume qui bientôt ne sera plus qu'une étoile morte, aspirant tout autour d'elle. Il s'est muré dans la solitude et l'errance, rongé par la noirceur de ce monde. Jusqu'à trouver Sprout et le Green. Et bien qu'ici, les choses soient différentes, le Green ne l'apprécie pas vraiment non plus. Mais au moins, il n'a pas la force de lui envoyer des tueurs. Il a continué à errer, mais avec de nouveaux buts : il ne s'est plus contenté que de trouver des solutions pour apporter un peu d'énergie à cette Terre. Atlantes. Pillards. Et tous ceux ayant fait du mal à cette planète ou se faisant du mal les uns aux autres. C'est comme ça qu'il s'est retrouvé au milieu des résistants quand Terra et ses alliées Amazones ont attaqué. Si son affrontement n'a servi qu'à une seule chose c'est à lui permettre de jeter une malediction sur trois amazones. Il a perdu quelques plumes et gagné quelques blessures. Cela en valait la peine. Grâce à cela, il a pu retrouver un peu de force, et de vigueur. Mais pour l'heure, cette énergie, il la conserve en lui. Il la garde précieusement, attendant de voir ce qu'il va en faire. Cette énergie, il la restituera à la Terre. C'est certain. Mais il ne sait pas encore comment. Ni quand.

L’appel a résonné alors qu’il suivait une ligne tellurique. Difficilement perceptible, mais belle et bien là, serpentant sous ses pieds, vacillant comme la flamme d’une bougie sous le souffle du vent. Prête à se dissiper. Récitant distraitement de vieilles incantations irlandaises, invocations de forces et d’énergie, prières adressées aux dieux de la nature. Gareth a renié Zeus et ses Amazones. Et s’il le pouvait, il sacrifierait Diana pour offrir son énergie de demi-déesse à cette Terre qu’elle a tuée. Il sacrifierait Orm, fils de l’océan, fils d’un peuple ayant payé jadis le prix de leur arrogance. S’il le pouvait, Gareth les sacrifierait tous. Pour rendre à cette planète son énergie, pour panser ses blessures et apaiser ses souffrances. Mais le monde ne s'est pas fait en un jour. L'appel l'a tiré de ses pensées. Sans réelle forme. Et pourtant, il aurait reconnu cette voix, cette énergie même sans l'entendre, ni la ressentir. Comme une simple évidence. Gareth a suivi la voix muette et l'énergie léthargique comme une piste de plus en plus perceptible. Jusqu'à la trouver. Appuyée contre le mur d'une cathédrale ébranlée et abandonnée. Au milieu d'une étendue d'herbe ayant petite mine. Et ici, le courant tellurique s'enroule sous le bâtiment et se divise suivant plusieurs chemins plus diffus. Mais Gareth les ressent même si quelqu'un dans cette ville s'amuse à les tirer et à les épuiser. L'une des lignes qui se sépare de cette convergence le reconnait et se met à vibrer, l'appelant avec une certaine force. Lui aussi la reconnait. Son visage se penche vers l'arrière alors qu'elle regarde qui vient d'arriver. Ses mèches blondes tombent vers l'arrière dévoilant son visage et ses yeux. Il y plonge les siens. Elle l'attrape par le pantalon et lui propose de s'asseoir, de se laisser mourir. Ce sera bientôt fini. Elle n'a pas tout à fait tort. Mais la colère qui coule dans ses veines ne peut tout simplement pas tolérer ce que l'on fait à cette Terre.

« Impossible de te laisser mourir, ne suis-je pas le messager des dieux ? ». Il s'assoit. Non pas à côté d'elle, mais en face d'elle. En tailleur. Il la regarde. Puis finalement, il pose ses mains sur le sol en prononçant quelques mots irlandais pour libérer l'énergie accumulée depuis l'affrontement avec les Amazones. Elle se diffuse dans le sol, le nourrissant. Dans les herbes. Les fleurs. Les arbres. Le parc de la Cathédrale retrouve un nouveau souffle. Et les herbes autour de Tefé se mettent à danser, à glisser sur la peau de la déesse. L'énergie libérée l'imprègne elle aussi. Parce qu'elle fait partie de ce parc, parce qu'elle pourrait s'y fondre. Gareth a retrouvé sa déesse et il se sent apaisé. Au sol, il trace une rune. La rune jumelle de celle qu'il a tracée sur le front de ces amazones pour créer le point ancrage du sortilège et prononce une formule. Ainsi, l'énergie drainée ne transitera plus par lui. Il la regarde : « En réalité, ce n'est que le début. Le début d'une nouvelle ère ». Les arbres se redressent fièrement. Les herbes chantonnent un chant de guerre. Une ère où la Terre va reprendre ses droits. Les hommes se sont perdus. Les êtres peuplant cette Terre se sont perdus. Et s'ils ne peuvent pas retrouver le chemin, alors ils mourront. Et alors la Terre renaîtra. Les énergies sont là, profondément enfouies. Dissimulées. Fatiguées. Essoufflées. Mais bien présentes. Le long du courant tellurique qui vibre plus fort que les autres, l'énergie se répand en onde, encore et encore, jusqu'à un autre nœud tellurique. Le nœud tellurique où l'âme de son clone s'est fondue, devenant énergie à son tour. « Je peux drainer leur énergie, les sacrifier un à un pour la restituer à la nature. Mais il y a quelqu'un ici qui vole l'énergie magique et terrestre alors devons la protéger ». Cette énergie qu'il vient de libérer. Il se redresse et pose sa main sur la sienne, tandis que le lien tellurique coule sous leurs doigts : « Est-ce que tu la reconnais ? ». Tefé est plus humaine que jamais. Alors que la présence qui pulse le long du lien est plus naturelle que jamais. Les deux exacts opposés d'un même être. Deux parcs. Les deux extrémités d’un pont qui bientôt ne sera plus que végétation. Exactement à l’image de l’être qui lui fait face.

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Elle ne savait pas pourquoi c’était lui qui avait répondu à son appel, mais sa présence ne l’étonnait pas. Elle avait pu témoigner elle-même de ses capacités et elle avait depuis longtemps abandonné l’idée de mener à bien la mission que le Parlement des arbres lui avait confiée. Elle ne pouvait pas admettre que Gareth, tout humain qu’il soit – à peine humaine en vérité –, soit sacrifiable quand ils étaient si peu à essayer de défendre la nature. En lui, elle voyait un allié, et même un des siens, en opposition à l’un des leurs, les humains. Bien sûr, il y avait des choses chez lui qu’elle mettrait du temps à accepter, et encore plus à comprendre. Il se prétendait le messager des dieux, mais ici, des dieux, il y en avait plein, ils se tapaient dessus en détruisant le monde. Oh, elle savait qu’il avait ses dieux à lui, et même sa conception de la divinité. Et finalement, ce n’était pas important, tout cela. Elle laissa tomber son menton vers sa poitrine, elle n’avait pas la force de le contredire, et était bien trop contente de le voir pour ça de toute façon. Elle le regarda s’asseoir. Jusqu’à présent, elle était satisfaite. Lui aussi devait être faible, non ? Lui aussi devait avoir conscience de l’état de décomposition avancée de ce monde. C’était comme un aperçu de ce qui attendait leur Terre, si seulement ils parvenaient à y retourner un jour, et c’était déprimant, c’était comme perdre avant la fin du combat, comme se faire dévoiler la fin du film, et alors à quoi bon continuer à regarder, à quoi bon lutter si finalement, l’avenir, c’était ça ?

Elle suivit ses gestes des yeux, et sentit aussitôt la terre se soulever sous elle. En vérité, la terre ne bougea pas, mais ce fut tout comme pour elle, alors qu’une onde familière traversait son corps. Pendant une seconde, elle se demanda pourquoi il arrivait à en appeler ainsi à la nature alors qu’elle-même n’avait rien pu en tirer. Mais leurs natures étaient différentes. Lui avait de la magie en lui et elle pouvait concevoir qu’il soit capable de prendre des raccourcis qui lui étaient inaccessibles, à elle, si terre à terre, littéralement. Puis elle comprit confusément que l’énergie venait de lui, et qu’il l’injectait dans la terre, comme un électrochoc, comme un vaccin, un shot de vodka, n’importe quoi qui soudain avait réanimé la végétation. Il avait cela en lui. Elle était aussi vide et desséchée que ce monde. C’était probablement là la différence en entre eux, mais cela ne comptait plus. Autour d’eux, l’herbe s’élevait de nouveau, d’un vert brillant, et les arbres se redressaient fièrement, et les buissons s’agitaient, et des courants de vie se faufilaient sous elle. Elle ferma les yeux et renversa la tête en arrière. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas ressenti cela, la vie, la force nourricière et créatrice. Des fleurs bourgeonnèrent dans ses cheveux, des brindilles s’enroulèrent autour de ses mains, de ses bras, sa peau prit l’aspect lustré du bois. Elle sentit sa main se poser sur la sienne et rouvrit les yeux. C’était provisoire, mais c’était plus que cela, parce qu’à travers lui elle sentait les courants auxquels il était connecté, promesse de vie qu’il semblait pouvoir faire jaillir à nouveau sur cette Terre, sans qu’elle comprenne vraiment de quoi il parlait. Elle se demandait juste d’où est-ce qu’il tirait toute cette puissance.

« Comment est-ce que tu as fait ça ? » Elle se laissa tomber sur le flanc, la joue dans la terre, et la nature momentanément revigorée par Gareth partit à l’assaut de ses bras et de ses jambes, et elle aurait pu se laisser dévorer ainsi par la terre, la mousse qui s’étalait sur sa peau. S’il y avait eu du soleil au lieu de ce ciel gris, lourd et saturé de particules de béton et de métal, cela aurait été parfait. Elle serait bien restée là pour toujours, mais ça n’allait pas durer. La question de Gareth la tira de sa torpeur et elle la regarda à travers ses cheveux-brindilles. « Oui, je sais ce qu’elle est. Mais tu n’as rien à lui envier. » Et pourtant, déjà, les fleurs se flétrissaient dans ses cheveux et sa peau retrouvait lentement une couleur chair. Elle se redressa en soupirant. « Tu l’as vue ? Tu nous trouves différentes ? » Elle aurait dû avoir honte, probablement, de sa déchéance. Petite créature bien trop humaine par rapport à sa contrepartie végétale. Tout était monstrueux, sur cette Terre. Mais Gareth était entier, apparemment. Elle sentait qu’il maintenait une porte ouverte. « Tu veux y retourner ? » De nouveau elle s’accrochait à des petites choses – cet endroit, ce moment, quand bien même elle savait qu’il ne durerait pas, comme pour repousser un autre moment, celui d’une nouvelle confrontation.

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Tefé & Gareth

Comment. Voilà la question qui franchit ses lèvres. Comment peut-il faire cela alors qu'elle-même est si affaiblie. Ici la nature est morte ou presque. Il semble normal alors que Tefé, qui ne provient pas de cette Terre, se soit affaiblie au fur et à mesure des jours. Mais Gareth lui, bien qu'il se sente forcément ébranlé par un monde en train de mourir, lutte contre cela. Parce qu'il ne veut pas mourir. Pas sans se battre jusqu'à son dernier souffle. Et peu importe le nombre de combats qu'il devra mener, il les mènera jusqu'au bout. Surtout si au final, cela lui permet de la voir étendue dans une herbe dansante, des fleurs dans les cheveux, se parer de toutes les couleurs de la nature, se fondant à nouveau bien plus à la Terre qu'à sa part humaine. Gareth ne sourit pas, même s'il est tout de même touché par ce spectacle. Il est heureux de la voir heureuse. Parce que tel est son rôle. Protecteur de la nature, la voilà sa plus fragile protégée à présent. Bien sûr, il ne le lui signalera pas. Il sait qu'elle le sait. Et ne compte pas enfoncer le clou, même s'il manque parfois de tact. Il ne répond pas immédiatement à sa question. A la place, il la laisse simplement profiter avant de poser une autre question. Et il la laisse réagir. Questionner. Jusqu'à ce qu'à nouveau elle soit silencieuse. Elle ne semble pas vouloir bouger. Et pour l'heure, lui non plus. Son immobilité semble la meilleure réponse à cette dernière question. Il explique : « Elle m'a accueilli et protégé à mon arrivée ici ». Alors, oui, bien sûr, une part de lui veut y retourner. Parce qu'il s'y sent chez lui bien plus que nul part ailleurs sur leur deux Terre. Mais pas tout de suite. En réalité, il a d'autres projets plus intéressants. Il reste silencieux, un instant. Si les fleurs dans ses cheveux se sont flétries, les herbes autour d'eux, autour de la rune, restent vertes. Pas aussi vigoureuses que lorsqu'il a relâché l'énergie des trois Amazones, mais bien plus forte qu'elles ne l'étaient avant son arrivée, preuve que le sortilège fonctionne. « Mais cette cathédrale est plutôt agréable ». Asile. Un droit ancien qui permettait aux réfugiés et aux fuyards de s'abriter dans les églises. Longtemps respectés, il s'est petit à petit éteint à mesure que les églises sont devenues moins accueillantes. Si par le passé, il était possible d'entrer dans une église pour prier à tout moment de la journée, il ne semble plus possible de le faire à volonté aujourd'hui. Enfin... cette religion n'est pas la seule qu'il connait et surtout pas la principale à laquelle il rend honneur. La nature est son lieu de culte favori et ses prières finissent souvent en bain de sang.

Plusieurs oiseaux se posent sur la cathédrale. Corbeaux et autres merles, attirés par la présence du druide et de Tefé. Seuls des battements d'ailes brisent le silence qui s'est installé. Jusqu'à ce qu'à nouveau, le druide parle. « En réalité, je ne pense que l'on puisse parler de différence, mais plutôt d'échelle d'évolution ». Il penche la tête, puis explique : « S'il devait advenir de notre Terre ce qu'il s'est produit ici, probablement suivrais-tu le même chemin qu'elle. Mais arriver ici ne t'a pas laissé le temps dont elle a disposé pour t'adapter et évoluer. Et peut-être notre monde est moins cruel que celui-ci, ce qui explique pourquoi tu as résisté à l'appel du Green ». Ne pas céder à sa nature profonde et s'accrocher à sa partie humaine. Gareth ne l'aurait pas parié. Mais Tefé est surement plus humaine qu'il ne le sera jamais. Et il s'en rend compte. Cela le touche autant que cela l'attriste. Tefé se pose des limites dont elle devrait s'affranchir car un être comme elle ne devrait pas avoir de contraintes. Ainsi, peu importe l'état dans lequel elle se trouve face à lui, non seulement il le comprend, mais il ne le juge pas. Car en réalité, cela semble plutôt normal. Les choses ici sont bien différentes de ce qu'ils connaissent tous les deux. Et s'il avait encore été celui qu'il était, sans doute serait-il mort avant même d'avoir pu comprendre les règles régissant Terre-IV, rejoignant aussi Kieran, tombé après avoir vaillamment combattu pour protéger la nature.

Le silence. Les bruissements d'aile. Autour d'eux. Véritables espions, les oiseaux barrière naturelle pouvant prévenir de n'importe quelle intrusion. Si quelqu'un approche, ils le sauront aussitôt. Gareth n'a pas peur, mais il a vite compris qu'il fallait être prudent dans ce monde. « Je ne veux pas y aller ». Il la regarde et pose ses deux mains dans l'herbe devant lui. Et petit à petit, entre celles-ci, la végétation se développe alors qu'il récite une série d'incantation. Et autour de ses mains, une reproduction de Hyde Park et du parc de la cathédrale se façonnent. Et finalement, la végétation s'arrête de croître. Un pont s'est tissé entre les deux parcs. « Je veux agrandir votre territoire et renforcer la ligne d'énergie qui relie ces deux endroits ». Il la regarde simplement, calmement. Environ 4 kilomètres et demi séparent les deux endroits. Les lignes sont modifiées dans ce monde. Et cela ne le dérange pas. Gareth peut réapprendre. Il peut s'adapter. Et même si cela semble ambitieux, il a les moyens de parvenir à ses fins. D'ailleurs il dit : « L'énergie que tu as ressentie provient de trois Amazones. Je n'ai pas pu les sacrifier là où je me trouver alors je les ai maudites. Un sort de drainage qui les épuisera jusqu'à ce qu'elles se consument... ». Tu es poussière et que tu redeviendras poussière. Elles nourriront ce monde qu'elles ont détruit et lui offriront tout ce qu'elles pourront lui rendre. Gareth ne sourcille même pas. Il ne se sent pas coupable. Il est dans son bon droit. Ces êtres ont détruits ce monde. Ils l'aideront à le reconstruire. Plus l'énergie nourrira la ligne, plus elles seront puissantes et capables de terrasser ceux qui s'octroient des droits sur ce monde qu'ils n'ont pas. Seule la nature a des droits. Et il est temps qu'elle les réclame.

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C’était difficile de se rappeler qu’elle et l’entité recluse au fin fond de Hyde Park n’étaient pas la même personne. Pour Tefé, l’apparence ne comptait pas bien sûr, alors il fallait qu’elle s’accroche au reste, et ce reste était tout : le Green, et l’avatar du Green. Rien ici n’était comme chez eux. Apprendre que la chose avait accueilli et protégé Gareth la fit sourire, cependant. Jamais elle n’y aurait cru si ce n’était pas lui qui le lui avait dit. Elle avait senti en cette Swamp Thing, qui n’avait jamais été humain, qui n’avait jamais été élevée par un couple qui s’aimait, qui n’avait jamais été que Sprout, l’élue, la défenseuse de la nature, une infinie violence. Qui ne lui avait pas déplu, bien sûr, mais malgré tout, c’était bien trop dérangeant pour qu’elle soit à l’aise avec ce concept. Elle ressentait ce Green un peu difforme comme une gêne plus qu’autre chose, et en même temps, elle avait du mal à se contrôler, ici. Elle le sentait faible, mais quand elle s’était retrouvée dans Hyde Park, elle avait failli perdre totalement le contrôle. Et à présent, cela recommençait, grâce à Gareth. Cela la ravissait et l’effrayait à la fois. C’était pour ça qu’elle avait essayé d’être humaine, cette humaine qu’elle détestait. Mais c’était idiot, elle en avait conscience. Et Gareth, à sa façon, lui avait rappelé qu’elle n’était pas humaine et qu’elle n’avait pas à fuir ce qu’elle était vraiment. Elle pouvait choisir de dépérir, ou choisir de se laisser dévorer par le Green. Mais dans un cas, elle mourrait, et dans l’autre, il y avait une chance qu’elle revienne, surtout maintenant que Gareth était là. Il n’y avait qu’à le voir user de sa si étrange magie… Elle lui faisait confiance. Soudainement, ici et maintenant, elle se disait qu’il voulait son bien. Elle se redressa, et se faisant, arracha les milliers de petites racines qui avaient commencé à ancrer sa chair dans le sol. Un scarabée courait sur son bras et sa peau semblait absorber la terre qui maculait sa joue. Elle approcha sa main de celle du druide, mais avant qu’elle puisse le toucher, des minuscules brins végétaux jaillirent de son bras pour partir à l’assaut de la chair de Gareth. Elle observa le phénomène, fascinée, toujours en train de planer après ce shoot de vie qu’il venait de lui offrir, puis elle recula la main, arrachant les petites plantes avides et voraces du druide et laissant de minuscules traces de morsures ensanglantées sur sa peau.

« Je suis contente. Qu’elle ne t’ait pas tué. Il y a beaucoup de haine en elle. » Et pourtant elle-même n'était pas en reste sur ce sujet. Mais ça n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait ressenti chez l’avatar Sprout. La souffrance de la nature dans ce monde-là était inimaginable. C’était ce qui attendait leur Terre à eux. Et la créature tapie dans son antre, inhumaine, monstrueuse, c’était ce qui l’attendait, elle. Renversant la tête en arrière, elle posa le regard sur les oiseaux qui s’était posés sur la cathédrale. C’était la première fois qu’elle en voyait depuis son arrivée ici. Elle s’était dit qu’ils avaient disparu, tout simplement. Elle tendit la main vers eux, mais aucun ne vint se poser sur sa main comme ils l’auraient fait sur sa Terre. Oui, ce Green-là n’était pas le sien. Mais elle s’empara des paroles de Gareth comme elle se serait enroulée dans une couverture. Objectivement, elle savait qu’il avait raison. Cela la fit même sourire et de nouveau son apparence ondula, comme traversée par une vague, et de nouvelles fleurent naquirent dans ses cheveux et sur sa peau. Le scarabée s’était niché au creux de sa clavicule. « C’est comme voir le futur. Si je deviens comme ça, et parfois j’en ai envie, je te promets de te protéger, moi aussi, comme elle l’a fait. » Elle eut une pensée encore pour cette Sprout, seule en son royaume, meurtrie à jamais, mais qui avait malgré tout ressenti le besoin de protéger le druide… De nouveau, il se connectait à la terre et utilisait sa magie, et Tefé se mit à genoux face à lui pour observer ce qu’il faisait, fascinée, enfonçant elle aussi ses doigts dans la terre pour goûter un peu de cette énergie nourricière. Et elle comprit ce qu’il faisait. Et elle fut sûre que là-bas, du fin fond de sa tanière, l’autre aussi venait de comprendre.

Elle hocha la tête, caressant du bout des doigts la création de Gareth. « Oui… La nature se nourrit de tous les êtres vivants, et ces garces n’échappent pas à la règle. Pas plus que ces enflures sorties des eaux. » Elle passa une main au-dessus de l’herbe restaurée, pas du beau gazon tondu comme une insulte à la nature, mais de l’herbe sauvage et folle, irrégulière et grasse à souhait. Les brins dansèrent sous la paume de sa main comme une clameur stridente de joie et de violence. Et de vengeance. Oh, elle se fichait bien de la vengeance. C’était un bonus, s’ils arrivaient vraiment à obtenir ce que Gareth évoquait. Et si elle osait, elle, s’abandonner complètement à cette nature moribonde, mais revitalisée par le druide. « Je me fiche desquels de ces monstres doivent mourir. Et j’en ai assez des humains. Tous, ils nourriront la terre. Promets-le-moi. » Sa peau avait de nouveau pris un lustre boisé, ses cheveux ébouriffés pleins de brindilles et de bourgeons, ses yeux intégralement verts, son corps hérissés de fleurs et de minuscules brindilles… Il était venu et il la libérait. C’est ainsi qu’elle le ressentait. Que la chair molle et pâle disparaisse, que l’humanité disparaisse. Elle se releva, pleine d’une énergie nouvelle. « Commençons, alors ! Faisons de cet endroit que tu aimes notre foyer ! » Elle était excitée à présent. Oubliant que ses parents auraient été horrifiés de son attitude, mais ses parents, les seuls êtres qu’elle aimait avec ceux qui se comptaient sur les doigts d’une seule main, n’étaient pas là. Lui l’avait sauvée, alors il était normal qu’elle l’aide à bâtir un royaume où ils seraient à l’abri, et coupés de ce monde infâme.

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Tefé & Gareth

Elle s'arrache à la terre, alors qu'elle commençait à se fondre dans celle-ci. Gareth suit des yeux l'insecte qui se balade sur la déesse. Puis, il pose son regard sur cette main qui s'approche. Il ne bouge pas. S'il s'est permis de la toucher, le druide n'aime pas qu'on le touche. Après tout, il n'aime pas ce qu'il ne peut contrôler et les mouvements de Tefé sont imprévisibles. Mais ce qui se passe l'intrigue. Des brins sortent de sa peau pour se projette vers lui. Comme pour le dévorer. Comme pour l'intégrer. Avec moins de douceur que le phénomène ne se produit avec elle. De petites piqures se font ressentir mais il ne bouge pas. Il les laisse faire. Leur offre de l'énergie - la sienne - pour toute réponse. C'est elle qui recule sa main. Il ne grimace pas, même si la douleur de la séparation est un peu plus intense que la douleur de la fusion. Il a connu pire. Il connaîtra pire. Bien évidement. Il ne prête même pas réelle attention aux gouttelettes de sang qui se forment. Beaucoup de haine. Gareth ne pourrait la contredire. Lui-même n'est qu'un flot perpétuel de colère, de haine et de soif de vengeance. Peut-être est-ce pour cela qu'elle a accepté de le protéger. En plus d'être la copie parfaite de Kieran, mort et enterré au son sein. Il ne répond pas. Elle est emplie de haine et de rancœur, mais elle a toutes les raisons de l'être. Ce monde n'a rien fait pour elle. Et en plus de cela, les êtres le peuplant ont détruit son monde, sa nature. Comment pourrait-elle être autrement ? Elle s'est adaptée à ce que l'on lui a fait, à ce qu'on lui a donné. Et au final, cette version de Tefé s'en sort plutôt bien selon Gareth. Même si elle ne peut guère faire plus. Regroupé dans Hyde Park, elle veille, attendant son heure. Et Gareth la lui offrira. Il la leur offrira à toutes les deux. Une nouvelle vague de fleur se développe et sa peau se marbre de bois. Lorsqu'elle reprend la parole, il la regarde. L'ombre d'un sourire passe sur ses lèvres et il acquiesce. Que pourrait-il bien dire de plus ? Pas même merci. Il n'y a pas de mots pour exprimer ce qu'il ressent. Admiration. Fascination. Gareth est un druide. Et il est ici pour vénérer et protéger la nature. Et ses avatars. Savoir que Tefé le protègerait le conforte dans l'idée qu'il est sur la bonne voie. Qu'il est à sa juste place. Et lui aussi la protègera.

Tefé se redresse pour observer ce qu'il construit. Elle l'observe façonner et développer les herbes pour former le pont. Et elle semble tout à fait partante. Elle adhère à sa proposition. A sa volonté de développer la nature. De prendre aux autres l'énergie nécessaire pour aider ce monde à survivre. Pas avec ses habitants, non. Mais avec une nature vierge et sauvage, qui aura tout dévoré sur son passage. Tous, ils nourriront la terre. « Tous ». Rien de plus. Rien de moins. Gareth les détruira tous. Il les sacrifiera tous sans sourciller. Terre-I. Terre-IV. Le collectionneur. Même s'il ne devait plus rentrer chez lui. Peu importe. Ils mourront tous. Et la voilà qui s'élève, s'anime, revit. Ses yeux verts, ses brindilles, sa peau aux allures de bois. La nature s'éveille. Sa nature. Fini la faiblesse et la pâleur de l'attente d'une mort certaine. La voilà Tefé, enthousiaste comme au premier jour. Volontaire et debout. Il se lève à son tour. Mais au-dessus d'eux plusieurs croassements se font entendre. Hommes. Armes. Toit. Gareth lève les yeux. Il scrute les toits mais ne voit rien. Ils ne sont pas seuls. Là-haut sont embusqués des tireurs. Probablement de la résistance. Ils pourraient les supprimer, mais ce n'est pas vraiment l'heure. Il grimace et dit : « Nous ne sommes pas seuls... ». Il marque une pause. Pèse les pours et les contres. Finalement il dit : « Economisons nos forces ». L'énergie, ils en auront bientôt à profusion, mais en attendant, il préfère conserver celle qu'il a. Par contre, il se penche pour défaire son sortilège d'ancrage, ancrant à nouveau la rune sur sa propre peau. L'énergie qu'il reçoit alors lui permet de régénérer les petites blessures de sa main. Accroupi, il ferme les yeux pour lire les courants. Son esprit s'y égard, mais finalement, il perçoit plusieurs lignes qui vont vers un autre lieu.

Il ne connait pas encore très bien la ville. Mais déjà les oiseaux décollent et prennent la direction vers laquelle les lignes s'en vont. Plusieurs lignes ici. Et plusieurs lignes passant sous Hyde Park. Curieux il se redresse et dit : « J'ai peut-être trouvé un second nœud tellurique. L'énergie que j'ai libérée a rendu les courants un peu plus perceptibles ». Il se relève et l'invite à la suivre en disant : « Cela ne ferait que vous renforcer ». Toutes les deux. Et simplifierait grandement ses sacrifices. Deux nœuds telluriques à disposition. Il pourrait voyager d'un endroit à l'autre par le courant, mais il n'est pas sûr que Tefé puisse le suivre aussi aisément que dans les forêts de leur monde. Alors, il décide de marcher. Ils ne risquent rien. Même si on les attaquait, ils auraient de quoi répondre. Il tâche quand même de se faire discret. Une fois sorti de whitechapel, sans avoir attiré plus que de raison l'attention des résistants, il suit le chemin tout tracé sous leurs pieds. Jusqu'à s'arrêter. Un groupe de personnes. Trois. Des humains. Ils sont là, cachés, ils attendent d'évaluer la sécurité de la rue pour traverser. Un cadeau des cieux. Gareth n'en connait aucun. Mais le sourire malsain qui se dessine sur ses traits ne dissimule nullement les idées. L'occasion est trop belle pour être manquée. « Et si on commençait notre récolte d'énergie tout de suite ? ». Il la regarde et sourit en coin avant de s'éloigner d'elle passant derrière plusieurs voitures pour les contourner. Deux contre trois, mais avec l'avantage de la surprise. Il s'arrête pile là où ils iront en traversant. Les trois hommes se redressent et s'avancent, prêt à se jeter dans les bras de Gareth qui commence déjà réciter quelques incantations en traçant dans la poussière les runes sacrificielles. Il n'y a pas d'alignement, pas de nœud tellurique, alors cela sera moins efficace, mais tout de même. Lorsque le premier arrive à portée, il se redresse et l'attrape par le bras pour l'attirer à lui. La serpe mord la chair avec une efficacité redoutable. Dans un murmure il termine sa prière qu'il adresse à Tefé et l'énergie qui s'évapore dans une douce lumière dorée se dirige jusqu'à elle pour l'enrichir. Le corps s'écroule, inanimé. Les deux autres sortent leurs armes, prêts à répliquer.

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Tefé avait confiance en Gareth. Cela ne lui avait pas pris longtemps, en fait à l’instant où elle avait posé les yeux sur lui, il avait attisé sa curiosité. Cela aidait qu’il ne soit pas humain. Enfin, il l’était, mais à ses yeux, il l’était de moins en moins. Il l’était un peu comme elle, elle l’était : une erreur, une blague du destin, un sale tour du hasard, qui les avait fait naître dans une enveloppe de chair et de sang au milieu des autres sacs de viande. Mais l’être qui se tenait face à elle en cette seconde n’avait rien d’humain si ce n’était l’apparence. Et peut-être la mortalité. Cela la renforça dans ce qu’elle venait de lui promettre : elle n’avait jamais rencontré de druide avant lui et même s’il disait qu’il y en avait d’autres, Tefé ne pouvait pas ne pas le considérer comme une des espèces de d’arbre ou d’animal si rare et si précieuse qu’elle avait déjà tué des hommes pour les empêcher de leur faire du mal. Elle sentait plus que jamais en lui les courants de vie, organiques, primordiaux, directement issus de la terre sans qu’aucune influence magique ou humaine ne les ait déformés. Elle comprenait pourquoi le Parlement des Arbres avait si peur de lui. Mais il se trompait. Elle commençait à le comprendre, maintenant. Rien de ce que les vieilles branches du Parlement tentaient de protéger en dépit de tout ne l’intéressait et seule comptait pour lui la nature, et ses dieux probablement. Ironiquement, les membres du Parlement ressemblaient parfois terriblement à des humains dans leurs ambitions, leurs guerres d’ego, mais le druide n’avait rien de cela en lui. Il était comme elle : directement lié à la force de la nature. Rien entre les deux. Quand à leur principale différence, elle lui sautait aux yeux également à présent : il n’y avait aucune hésitation en lui.

Alors, elle allait le suivre. C’était facile, de le suivre. Et de lui faire confiance. Trop souvent, elle avait l’impression de lutter : contre ceux qui voulaient sa perte, ceux qui voulaient décider à sa place de sa vie, ceux qui voulaient qu’elle soit une force du bien, un pont, n’importe quoi, contre sa propre humanité, en permanence arc-boutée sur sa propre existence. Mais elle n’avait plus à lutter, juste à prospérer, à présent. Quand les oiseaux pépièrent au-dessus de leur tête, elle renversa le visage en arrière, cherchant sans les trouver les hommes armés dont ils signalaient la présence. Elle hocha la tête en réponse à Gareth. Qu’ils attaquent ou qu’ils s’en aillent, cela lui était égal. Elle s’accrochait aux dernières traces de l’énergie qu’il avait déployée et qu’il semblait manier aussi facilement que s’il respirait. Étrange mélange de magie et de nature… Ils s’en allèrent donc, à pieds, puisque cet horrible monde ne lui permettait pas de se fondre dans les arbres et l’herbe grasse tant ces derniers étaient rares et malades. Abandonnant derrière eux ce micro-paradis destiné à disparaître, mais ce n’était pas un adieu. Elle le suivit jusqu’à une rue où il se figea, et elle savait pourquoi. Elle aussi les sentait. De la chair. Lui dirait des sacrifices. Elle, parlera de nature. Non plus d’équilibre, car elle en avait sa claque, de « l’équilibre ». Le Green aux dépens de l’humanité, tel était son choix. Elle attendit que Gareth se soit éloigné et caché, attendit que les trois hommes sortent de leur cachette. Ensuite, elle s’approcha d’eux à son tour, son pas silencieux sur les gravats. Elle vit Gareth en tuer un et aussitôt, sentit un courant la traverser. Le sang qui nourrit la terre. La nature qui croit à chaque humain qui cesse de la fouler du pied. Elle tendit les mains et des branches jaillirent de ses doigts pour transpercer les deux autres types dans le dos, la gorge, la tête. Leur mort ne faisait que la mettre encore plus en colère. C’était leur faute. Tous, ils savaient, mais ils avaient quand massacré ce monde. « Ce sera un message pour tous les autres. »

Elle baissa les bras, qui reprirent leur forme humaine, et observa brièvement ses mains tachées du sang des morts. Puis elle s’agenouilla à côté des cadavres et posa les mains sur le bitume fissuré de la route – ils avaient recouvert cette terre de bitume, et de métal, et de verre. Le sang s’insinua à travers le béton et de nouveau, elle sentit une onde la traversa, entendit des murmures caresser ses oreilles, comme une douce brise charriant des parfums d’herbe et de résine. Nous sommes là. Nous sommes là. Bienvenue. Bienvenue. Oh, elle en aurait pleuré. Elle n’avait jamais réussi, depuis son arrivée, à entrer en contact avec le Green, si ce n’était la chose torturée qui se terrait dans Hyde Park, mais la nature, la simple, la plus pure des natures, elle n’y croyait plus, elle avait cru qu’elle était morte, elle avait été lâche ! Mais Gareth lui avait montré son erreur. Sous ses doigts, la route se déchira un peu plus et de solides racines jaillirent soudain, s’enroulèrent sur elles-mêmes et sur les cadavres, se glissant entre les gravats et les débris avant de s’immobiliser. Ce n’était pas grand-chose : comme un mausolée végétal pour ces trois humains morts. Mais c’était un signe, et un avertissement, du plus profond de la terre. Nous sommes là ! Nous sommes toujours là ! Elle se releva et se tourna vers Gareth en désignant une direction vers l’est de la pointe du menton. « Par là ? Est-ce que ce sont tes dieux qui te guident ? » Elle savait que les courants dont il parlait lui étaient inaccessibles, à elle, mais de là-bas émanait autre chose, à présent qu’elle se sentait mieux, et qu’elle ressentait clairement.

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Tefé & Gareth

Le sortilège la renforce. Lui rend un peu plus d'énergie. Encore une nouvelle vague. La seconde. Mais il y en aura d'autres. Des centaines d'autres. Peut-être même des milliers. Gareth ne s'arrêtera que lorsque ce monde sera purifié. Que lorsque le Green aura repris sa place. Et même au-delà. Lorsque la nature dominera. Et qu'enfin cette Terre sera sauvée. Les deux autres ne tardent pas à rejoindre leur compatriote. Transpercés de part en part par des branches, extensions des bras de Tefé. Un message pour tous. Oui. La nature en a assez. Il est temps. Temps que les choses changent. Que le fleuve ne soit plus salé. Que les arbres reviennent à la vie. Que les fleurs s'élèvent à nouveau. Que le monde reprenne son cours habituel. Et s'il n'y a plus qu'une seule déesse à vénérer pour Gareth c'est bien la nature. Et Tefé en est une partie, un avatar. Les autres dieux ont regardé brûler ce monde. Ils n'ont rien fait. Zeus a regardé sa fille détruire cette planète. Et s'il le pouvait, Gareth lui arracherait lui-même le cœur pour l'offrir à la Terre. Un frisson remonte le long de sa colonne. Elle vient de s'agenouiller mains posées sur le sol. Le bitume s'écarte un peu plus alors que des racines remontent sur sol. Loin, profondément enfouies, elles attendaient patiemment, endormies. Elles s'enroulent pour former un mausolée, une tombe végétale. Pour conserver les corps, les absorber au fur et à mesure qu'ils se décomposeront pour renforcer les racines et les plantes. Il nettoie sa serpe et se redresse. Elle est à nouveau debout alors que les plantes murmurent, la salue, l'appelle. Elle qui se réveille, prête à montrer aux humains et aux autres qui elle est et ce qu'elle le fera subir pour avoir détruit la nature comme ils l'ont fait. Elle pointe une direction et lui pose une question. Il esquisse un sourire et dit : « Oui, par là ». Un regain d'énergie supplémentaire qui rend les flux un peu plus perceptibles encore. Il répond : « Ce sont les énergies naturelles qui me guident. Peut-être qu'on pourrait apparenter ça aux veines dans le corps humain ». Difficile de les décrire, de donner des équivalents en mots. Car souvent, la langue des humains est trop limitée. Les courants telluriques sont créés par les mouvements terrestres, de la planète elle-même et de ses composants. Certains ont des effets positifs d'autres plus négatifs. Mais leur maillage est présent dans le sol comme un soutien, une partie de la nature. Comme les veines dans le corps humain qui véhiculent l'énergie. Il est toujours à l'écoute des dieux, de leurs signes, de leurs conseils. Mais cette fois, c'est bien la nature qu'il écoute et qu'il suit. Rien de plus, rien de moins.

Il reprend sa route, marchant d'un bon pas, regardant autour d'eux, cherchant d'autres proies, d'autres victimes prêtes à faire don de leur énergie. Mais le hasard ne fait pas bien les choses, et ils parcourent deux kilomètres sans croiser la moindre âme qui vive. Dommage. Du temps perdu. A mesure qu'ils avancent, il finit par comprendre où ils vont. Il s'arrête. Ses pas ne l'ont jamais mené jusqu'à là-bas. Probablement avait-il un peu peur de ce qu'il y trouverait. Il grogne, presque animal avant de dire : « Le zoo de Londres... Le nœud est situé juste en dessous du parc zoologique... ». Le constat est presque amer. Et en même temps, il y avait là-bas beaucoup d'animaux et de végétation. Le dérèglement de la planète, les nouveaux mouvements impulsés par la montée soudaine des eaux ont créé de nouveaux courants. Et certains d'entre eux se sont dirigés vers des endroits plus chargés, attirés et renforcés par les présences déjà sur place. « On ne trouvera surement plus beaucoup d'animaux là-bas ». Il imagine clairement que les humains ont dû piller les enclos pour se nourrir. Et que certains animaux ont dû mourir noyés. Mais il reprend tout de même sa route très en colère à l'avance. Poings serrés, il marche silencieux, mâchoires closes, tendues par la colère qui roule sous sa peau. Comment ce monde a-t-il pu en arriver là ? Orgueil, colère, vengeance. Et tout cela pourquoi ? Se rendent-ils seulement compte qu'il n'y aura bientôt plus rien à se partager ? Gareth ne le pense pas. Il poursuit sa route jusqu'à atteindre les grilles. Les vibrations ici sont plus fortes. Plus intense. Le courant est chargé positivement. Mais même s'il avait été négatif, Tefé et lui n'y auraient pas été aussi sensibles que les humains. Tefé n'étant qu'à moitié humaine, et lui étant habitué à se fondre dans les courants et à les côtoyer. Il pousse la grille et entre, avant de la fermer à nouveau. Il en appelle à deux sorts pour faire pousser d'immenses ronces qui commencent par tordre les barreaux pour laisser un passage, avant de s'enrouler autour de la grille, se tissant entre elles pour la sceller. S'il y a des êtres humains ici, ils sont à présents piégés et périront pour nourrir la nature. Puis, Gareth lance un appel aux animaux présent dans Londres. Ceux du zoo qui toujours vivants se cachent peut-être pour survivre. Les oiseaux, rats et autres insectes n'ayant pas encore trouvé refuge dans Hyde Park. Les animaux de compagnie qui ont survécu à leurs anciens maîtres n'ayant plus qu'une seule idée en tête : les faire cuire pour survivre un peu plus longtemps. Ce parc est à nouveau le leur, et ils y sont les bienvenus.

Il se tourne vers elle, la regarde. Puis lui dit : « Le red se joindra à nous, si cela ne te dérange pas ». S'il est très proche d'elle, et la venère, il ne peut ignorer les autres parties de la nature. Il se tourne ensuite vers le parc. Personne ne semble être dans les alentours. Par réflexe, il va vérifier les petites cabanes qui servaient à accueillir les guichetiers d'entrée. Mais personne ne s'y dissimule. Il avise ensuite les premiers chemins. Immense. D'après la brochure qui traîne sur le sol le parc fait près de 15 hectares et ici se trouvait plus de 800 espèces animales. Gareth perçoit encore la présence de certaines d'entre elles, probablement revenues vivre ici une fois le plus gros du pillage terminé. Mais sur les 20 000 animaux qui étaient enfermés dans des enclos, il se demande combien il en reste. Un quart ? Moins ? Cela serait un miracle si c'était plus. Il grogne à nouveau. En face d'eux, l'aire des gorilles n'est plus aussi verdoyante qu'elle ne l'a était. Grisonnante et triste, quelques singes se sont cachés en entendant les bruits humains. Gareth ancre son sortilège de drainage sur le sol du zoo et grâce à celui-ci, fait pousser des ronces tout autour du zoo. Le zoo d'abord. Regent's park ensuite. Puis un pont reliant les deux parcs. L'énergie du nœud tellurique lui permet de faire croitre la barrière naturelle plus vite et bientôt, il s'arrête. Elle est plus basse qu’il ne l’aurait voulu. Mais il ne peut pas faire plus pour le moment. Un peu pâle il lui dit : « Ce n'est que le début. Bientôt cet endroit sera aussi sûr que Hyde Park ». Et Sprout et Tefé pourront aller librement de l'un à l'autre, et s'étendre petit à petit pour engloutir cette ville. « S'il y a des humains ici, ils ne devraient plus pouvoir sortir, mais faisons le tour pour voir si nous pouvons en sacrifier quelques-uns ». Pas de parasites ici. Bientôt les enclos accueilleront de nouveaux de nombreux animaux et il faudra bien les nourrir. Bien sûr, les barrières tomberont et un cycle naturel se mettra en place. Les proies nourriront les prédateurs et s'il faut réguler, alors il se chargera d'offrir un peu d'énergie aux végétaux qui nourrissent les proies. Il prend l'un des chemins et commence à fouiller le zoo, découvrant parfois quelques animaux effarouchés.

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Au cas où, le plan du zoo

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Elle revivait, et les larmes roulaient sans retenue sur ses joues. En cette seconde, elle ne touchait plus terre, il n’y avait plus que ces quelques racines vigoureuses, Gareth et elle dans ce monde, et autant de possibilités. Parce que tout était possible si la nature n’était pas morte, si elle était seulement endormie. Et s’il restait autre chose que l’homme sur cette terre alors elle pouvait facilement se défaire de l’humanité et s’abandonner à sa nature élémentaire. Elle avait cessé d’aller et venir entre sa forme humaine et son apparence végétale, désormais pleinement piquetée de fleurs, de racines et de petites feuilles, ses cheveux ébouriffés comme ceux d’une enfant sauvage raide telles des baguettes, sa peau lustrée et verdâtre, ses yeux verts scintillants. Elle posa le regard sur Gareth et pouvait voir en lui l’énergie nourricière, créatrice même, de la vie elle-même. Il était la vie. Du moins la vie passait par lui, qui se dédiait à la protéger, et par la vie, Tefé entendait bien sûr la nature elle-même, berceau du cycle éternel de l’existence. Et à sa réponse, elle sourit. Les veines chargées de sève, suintant de résine, qui couraient sous sa peau, de sorte qu’elle ne voyait plus un humain quand elle le regardait mais un réseau bouillonnant fait d’énergie pure. Alors, sans un mot de plus, elle lui emboîta le pas et le suivit aveuglément. Elle ne pouvait pas ressentir les choses comme lui, les nœuds telluriques dont il parlait, mais elle ressentait quelque chose de similaire au sens où dans la direction où ils allaient, elle entendait un appel, désormais. À un moment, ils s’arrêtèrent, et Gareth annonça qu’ils se dirigeaient vers le zoo de Londres. Pendant une seconde, elle fronça le nez. S’il y avait bien une chose qu’elle détestait, c’était les zoos. Un souvenir lui revint, datant de sa vie sous les traits de Mary Conway : ses parents si normaux, à la vie si normale, avaient emmené leur adolescente tout ce qu’il y avait de plus normale au zoo. Mais Tefé/Mary, sans pouvoir se l’expliqué, avait détesté ça. Oppressée, étouffant, elle avait cherché à se réfugier quelque part et avait fini par tomber sur une cage derrière laquelle un lion faisait les cent pas en rugissant, encore et encore. Et devant lui, les touristes se pressaient, ravis, caméra au poing pour filmer ce grand moment. Et le lion allait et venait, allait et venait, sans cesser de rugir, et elle avait pleuré, pleuré, le cœur fendu, persuadée d’entendre, dans son rugissement, sa volonté de mourir, de mourir plutôt que d’être enfermé, et personne ne le comprenait, et elle avait tellement pleuré… Elle n’avait plus jamais remis les pieds dans un zoo depuis.

Mais dans ce monde, eh bien… Elle pouvait les voir : les cages éventrées, les animaux, libérés depuis longtemps, morts probablement, de faim, ou eux-mêmes dévorés, mais libres. Et elle pouvait imaginer quel avantage ce serait pour eux de se réfugier là-bas, là-bas où désormais, de nouveau connectée à la nature, elle sentait les racines sous le béton, le lierre prêt à s’élever et à dévorer le métal des cages. Elle sentit la rage de Gareth et posa une main sur son épaule. « On trouvera ceux qui sont encore en vie. Et on les protègera. » Il avait su ramener les oiseaux, après tout. Et elle, elle n’avait même pas essayé de se connecter au Red. Qui savait lequel des animaux à l’instinct de survie bien plus développé que celui des humains répondrait à leur appel combiné ? Ils entrèrent dans le zoo et elle regarda Gareth faire pousser de hautes ronces pour barricader l’entrée. Elle hocha la tête à son affirmation. « Non seulement ça ne me dérange pas, mais je peux t’aider à appeler les animaux. Par ma mère, je suis connectée au Red comme je le suis au Green par mon père. » Et pour appuyer ses dires, elle en appela au pouvoir de la chair, et une onde passa sur son visage, l’agitant comme une vague s’écrasant sur une plage. Pour un humain normal, c’était probablement dégoûtant à voir. Mais Tefé avait fait des choses bien plus écœurantes encore grâce au pouvoir de la chair. Et puis, elle eut une pensée pour Vixen. Peut-être était-elle là, elle aussi. Et Layla. En attendant, elle observa les faits et gestes de Gareth, et quand il eut fini de faire reverdir un des enclos, il lui proposa de faire le tour du zoo à la recherche d’éventuels humains à massacrer. Parce que les humains n’avaient pas leur place ici, plus maintenant.

Ils se mirent en route, et çà et là, Tefé s’emparait des courants d’énergie que Gareth avait essaimés pour les alimenter, les nourrir et les faire croître, faisant s’élever la végétation, épaississant les feuillages, appelant les racines à la surface, faisant éclore les fleurs et éparpiller le pollen dans l’air. Autour d’eux, c’était comme si la nature était en toujours mouvement désormais, s’enroulant ici, grandissant là, chuchotant ailleurs, frémissant au-dessus de leur tête, véritable petit paradis vivant. Puis elle s’immobilisa, forçant Gareth à s’arrêter à son tour. « Tu ne devrais pas trop en faire. Je vois ta fatigue, on dirait que tu vas t’éteindre. On va gagner du temps et de l’énergie. » Elle s’empara d’un lierre épais qui s’était mis en devoir de s’enrouler lentement autour du portail d’un enclos et caressa doucement son épaisse racine. Ses mains se fondirent dans le tronc torsadé, puis ses bras, et des brindilles de lierre jaillirent de ses épaules, de ses jambes et de son visage. Sous la terre, invisible, le lierre fondit, s’éparpillant sous le béton à la recherche de ses proies, et au bout de quelques minutes, plusieurs hurlements retentirent simultanément au loin. Le pouvoir du végétal et le pouvoir de la chair. Elle avait débusqué tous les humains se terrant dans le zoo. « Tu les sens, n’est-ce pas ? » Et elle-même sentit une des racines trouver sa cible, jaillir du sol et s’enrouler autour de la chair. Tefé s’arracha doucement du lierre et se tourna vers un chemin, et bientôt la racine tira jusqu’à eux une femme, qui se laissait traîner à plat ventre sans plus se débattre, l’air terrifié. En voyant Gareth, elle sembla retrouver espoir, lui qui avait encore l’air humain – du moins à ses yeux à elle, car pour Tefé, il ne l’était plus. Elle adressa un sourire à ce dernier. Qu’il fasse son œuvre, les autres étaient là, repérés, et les attendaient pour subir leur destin.

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Tefé & Gareth

Ainsi, Tefé est également connectée au red. Il trouve cela intéressant. Depuis sa rencontre avec elle, il s'est mis à la page. Lui qui ne connaissait que les enseignements de sa mère sur les termes irlandais est un peu plus proche de son langage à présent. Et il sait également que le blue n'est jamais très loin lorsque l'on évoque le green, et le red. Tous les trois connectés pour former la nature. Plus encore, l'on peut retrouver des références à l'air, aux flammes, au métal, mais également aux bactéries et autres organismes microscopiques. Ainsi, Gareth a découvert à quel point les choses étaient bien nommée et bien considérée ici aussi. Et sans forcément relier tout cela à de quelconques dieux. Des entités composants les parlements comme les arbres composants celui du green. Et des avatars prenant diverses formes. Gareth a encore beaucoup de choses à découvrir, mais il évolue, et s'adapte à ce qu'il rencontre, à ce qu'il découvre. La voilà qui est à nouveau plus végétale qu'humaine. Tefé elle aussi lance un appel pour les animaux de Londres, invitant ainsi ceux-ci à venir trouver refuge au milieu de l'ilot de verdure qu'ils s'apprêtent à créer. Sprout avait déjà beaucoup accueilli d'entre eux, mais il en reste tellement. Elle l'apaise d'une main sur son bras, dans une compassion étonnante. Mais la nature est compatissante. Terrible, et dure. Mais parfois infiniment plus bienveillante que ne peuvent l'être les êtres humains.

Le druide l'entraîne dans les allées du zoo à la recherche d'humains qui se dissimuleraient ici. Et lorsqu'elle s'arrête, il pourrait presque grogner tant il est frustrer. Mais il n'est qu'un humain et se contente de la regarder et de l'écouter. Elle n'a pas tout à fait tort. Si Gareth s'est beaucoup économisé ces derniers temps, il ne devrait pas relâcher autant d'énergie d'un coup. C'est dangereux, même pour lui. D'autant plus qu'il ne peut se permettre de se régénérer auprès de la nature comme il le fait si souvent sur leur Terre. Elle s'empare d'un lierre puis, se fond avec celui-ci pour en devenir elle-même. Et projeter ainsi de longues racines dans le sol à la recherche des humains. Et bientôt plusieurs cris retentissent dans le zoo. Au travers de ce qu'il ressent dans les brins de lierres, il ressent ces âmes, énergies différentes de celle du lierre qui les a trouvés et emprisonnés. Tefé s'arrache du lierre et suit un chemin. A ses côtés, Gareth marche encore fasciné de ce qu'elle vient de faire, se demandant jusqu'où vont ses limites. Une racine revient, amenant avec elle une femme terrifiée mais qui ne se débat plus. Lorsque la lueur d'espoir s'allume dans son regard alors qu'elle voit le druide, celui-ci tire sa serpe. Il n'a d'humain que l'apparence. Gareth n'éprouve plus ce qu'il devrait éprouver pour ses semblables. Encore moins ici. Les hommes autant que les Amazones et les Atlantes ont détruit ce monde. Il n'est plus assez fort pour pardonner. Il s'accroupit près d'elle glissant : « Il est temps de rendre ce que tu as pris ». Autour d'elle, il trace plusieurs runes. Dans 5 bols, il dispose les éléments. Un peu d'eau de la tamise qu'il garde dans une gourde, imbuvable parce que salée, un morceau de charbon qu'il enflamme d'un sortilège simple, une poignée de terre récoltée dans Hyde Park, une poignée de poussière mélange d'org, d'argent, de fer et de cuivre réduits en poudre et d'un mouvement de la main, un mouvement d'air se dessine dans un bol. Disposés autour de la femme, les 5 éléments forment un ancrage. Finalement, après avoir énoncé une prière il lui tranche la gorge. Et le sang se déverse sur le sol, avant de se diviser pour rejoindre les différents éléments. Le sang de l'air s'évapore. Le sang du feu s'enflamme. Le sang de l'eau et celui de la terre s'infiltre dans le sol pour s'y fondre. L'un cherchant les molécules d'eau, l'autre se contentant de nourrir le sol. Le sang du métal s'infiltre dans le sol, suivant les courants pour y chercher les réseaux de fer tellurique de la croûte terrestre. Il ne garde aucune énergie, mais n'en dépense aucune. Autour d'eux, les enclos semblent déjà reverdir à vue d'œil. Comme au bord de la rivière, Gareth convoque les insectes qui s'activeront à transformer la chair en engrais.

Gareth entraîne Tefé à travers le zoo, déplaçant son matériel à chaque fois. C'est un homme que les racines leur ramènent. De bonne taille, vigoureux. Et lui semble décidé à se battre pour sa vie. Mais le pauvre n'a aucune chance. Plus il se débat et plus le lierre se resserre autour de lui. Gareth recommence son rituel. Et cette fois, ce sont les oiseaux, charognards et affamés qui se ruent sur la carcasse qu'il leur offre. Ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il ne reste plus âme qui vivent dans le zoo. Les enclos ont déjà bien meilleures mines. L'herbe a repoussés, les arbres reviennent à la vie, les fleurs repoussent. Les barrières et grillages sont dévorés et éventrés par des plantes grimpantes et de nouveaux arbustes, arbres et arbrisseaux commencent à envahir les enclos et les allées. Ne reste bientôt plus que les os. Une fois au centre du zoo, tous les squelettes leur sont ramenés par le lierre, les insectes, oiseaux et autres carnivores qui ont déjà commencés à répondre à l'appel. Un tas est devant eux. Et s'il pourrait s'en servir pour décourager les plus téméraires, Gareth préfère les transformer en poussière qu'il rassemble dans une boite végétale. Excellent engrais riche en minéraux. « On ne gâche rien… ». Il regarde la boite qui repose sur le sol avant de la regarder à nouveau : « La poussière d’os est excellente pour le sol et les plantations ». Il esquisse un sourire amusé. S’ils peuvent tous les deux accélérer la pousse des végétaux des lieux, ils doivent aussi favoriser la repousse des végétaux par des moyens plus naturels et moins couteux en énergie. Alors il entraîne Tefé en marchant tranquillement pour disperser la poudre d’os sur les sols autour des contours du zoo, enrichissant ainsi les sols dans lesquels poussent les ronciers qui s’élèveront bientôt en murs infranchissables. Ceux-ci ont d’ailleurs continué à croitre, bénéficiant des sacrifices comme le reste du zoo. Et tout ici semble à présent bien plus sain, même l’air respiré. Une fois la boite vide, il laisse les végétaux rejoindre les ronciers, s’y accrochant pour nouer une relation d’osmose parfaite. « Le tunnel s’élèvera bientôt entre Hyde park et le zoo ». Même si cet endroit n’a plus rien d’un zoo. Un chat s’approche d’ailleurs d’eux, s’enroulant en miaulant autour des jambes de Tefé avant d’en faire de même autour des jambes du druide, avant de repartir en quête de quelques souris à dévorer.

code by exordium.

this reign has just begun and it's already fallen

En regardant Gareth tuer la femme, Tefé se rappelait toutes ses promesses, des promesses qu’elle n’avait jusque-là pas eu le courage de tenir. Trop longtemps, elle avait cru ne pas avoir d’existence propre, parce que le Parlement des arbres lui avait expliqué qu’elle était venue au monde sous la forme de Sprout pour une seule et unique raison : servir d’arme au Green. Et même si sa naissance physique, dans un corps humain, avait été le fruit de la volonté réelle de ses parents de lui sauver la vie, ça n’avait été que cela, dans le fond : la sauver. Pas la désirer, juste la sauver, parce que Swamp Thing était trop sensible et Abby était… une sale égoïste. Absolument tout le monde lui avait bien dit ce qu’il attendait d’elle, du meilleur au pire, et quelque part dans cet éventail de destins qu’on tentait à toute force de lui imposer devait se trouver ce que elle, elle désirait vraiment, et elle savait que ce qu’elle désirait était lié à sa haine des humains et à sa capacité, dans les faits, à les effacer de la surface de cette Terre. Pendant très longtemps elle s’était expliqué sa faiblesse – pourquoi est-ce qu’elle ne l’avait pas encore fait ? pourquoi n’avait-elle pas encore fait disparaître l’humanité ? – en accusant le Parlement : elle ne le faisait pas parce que c’était ce que lui avait voulu qu’elle fasse, et elle n’était plus leur poupée. Mais cette excuse avait fait long feu. Elle n’était plus une enfant. Si elle refusait de faire ce qu’elle avait à faire, c’était à cause de sa partie humaine, elle en était sûre. Et quelques semaines auparavant, elle avait juré au-dessus d’une souche arrachée, au milieu de centaines d’arbres massacrés par les humains, que c’en était fini de ses hésitations. Elle les haïssait. Et elle n’était plus la seule. Elle avait une alliée en croisant la route de Mari, et surtout, une force qu’elle croyait avoir perdue en la personne de Gareth. C’était sa détermination qui l’avait empêchée de se laisser mourir sur ce monde affreux. Et en cette seconde, c’était encore lui qui lui montrait le chemin.

Alors elle le regarda effectuer son rituel sans un mot. Peu lui importait comment les mouraient les hommes tant qu’ils rendaient leur dernier souffle et laissaient un peu plus d’oxygène dans l’atmosphère et de place sur la Terre. C’était toujours aussi fascinant d’ailleurs. Leurs différences étaient plus visibles que jamais quand il s’agissait de meurtre. Elle se demandait si ce qu’il ressentait quand il se connectait ainsi à ses dieux était la même chose qu’elle ressentait en se connectant au Green. Si lui aussi y trouvait du réconfort, si parfois il n’en retirait que de l’incompréhension, si parfois il avait envie de désobéir… Déjà, elle se disait aussi qu’elle irait elle-même couper la tête de ses dieux si un jour ils décidaient de le trahir, lui qui les servait avec tant d’assiduité. Elle ne supporterait pas que quelqu’un le trahisse. Son visage ne tressaillit même pas quand il trancha la gorge de la femme, qui n’était même plus une femme à ses yeux. La terre pulsait sous la pierre qui pavait les allées du zoo. Le grouillement de la vie s’éveillait de nouveau et de nouveau elle les caressa en pensée, les vers, les mille-pattes, les scarabées, les rongeurs, elle leur souhaita la bienvenue, leur promis que cette terre était à nouveau la leur. La façon de se lier à la nature de Gareth n’était pas la sienne, mais peu importait. Ensemble, ils firent le tour du zoo, ébrouant la végétation, rassurant la faune. Et pendant qu’il tuait un à un les survivants, elle errait en effleurant les fleurs, les herbes et les bosquets qu’il faisait pousser pour les encourager à pousser, riait les bras écartés au milieu des charognards qui répondaient à son appel, leur promettant qu’ils pouvaient faire passer le message. Loin, loin, l’humanité, même la sienne désormais. Son souffle s’accordait sur celui de la Terre, et c’était plus difficile, plus douloureux, plus oppressant, mais elle ne s’en rendait plus compte.

À un moment, Gareth fit apparaître une boîte et la remplit avec la poussière des os des morts, et elle hocha la tête. Elle se souvenait des marais de son père, remplis des corps en décomposition des animaux occupés à nourrir celle-là même qui leur avait donné la vie en premier lieu. C’est sûr que si les humains avaient vraiment recyclé leurs déchets comme ils étaient censés le faire, les choses auraient peut-être mieux tourné pour eux. « Il faudra qu’on aille à Hyde Park tous les deux, quand ce sera fait. Elle n’a jamais cherché à faire autre chose que protéger ce qu’elle a réussi à sauver, et je pense qu’elle a eu tort, mais on est chez elle malgré tout. » Bon, il n’y avait aucune raison que l’avatar du Green de cette Terre refuse que Gareth et elle se fassent leur petit paradis perso, puisque Sprout elle-même n’avait jamais étendu ses racines jusqu’ici, alors qu’elle aurait pu… Malgré tout, Tefé n’était pas sûre d’être à l’aise avec cette situation un jour. Gareth l’avait rencontrée, et il était toujours en vie pour en parler. « Que t’a-t-elle dit ? Pourquoi est-ce qu’elle ne t’a pas tué ? » Elle baissa les yeux sur un chat qui venait d’apparaître et se frottait contre ses jambes. C’était le premier qu’elle voyait depuis son arrivée ici. Elle regarda de nouveau Gareth. Elle sentait confusément qu’il comprenait mieux la Sprout de ce monde qu’elle-même, mais c’était parce qu’elle n’avait pas cherché à savoir. À la seconde où elle avait compris ce qu’il en était sur cette Terre, Tefé n’avait eu qu’une envie, fuir Hyde Park et fuir cet alter ego qui ressemblait trop à ce qu’elle aurait pu être – à ce qu’elle aurait dû être si elle en avait eu le courage. « Est-ce que tu t’es croisé quelque part ici, toi, d’ailleurs ? » Qu’est-ce qu’elle pouvait souhaiter au double de Gareth s’il était encore en vie ? D’avoir eu une belle existence, avec une femme, des enfants, une maison avec jardin ? Non, ce n’était pas vraiment ce qu’elle lui aurait souhaité, égoïstement. La meilleure version de Gareth possible était celle qui redonnait vie à la nature en ce moment même.

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