in the ashes of our hearts (LUCIAN)

Des cendres. Il pleut des cendres. Rosie n'a pas vu les flammes de l'incendie, elle n'a pas non plus senti la fumée. Mais ce sont bien des cendres qui tombent du ciel, comme de sinistres flocons de neige. Le paysage londonien, déjà apocalyptique, est recouvert peu à peu d'une couche grise qui fait apparaître le monde en noir et blanc. À certains endroits, les cendres recouvrent des corps abandonnés, laissés sans sépulture décente. À d'autres, elles masquent les pièges de l'environnement  et Rosie trébuche plusieurs fois, se rattrapant de justesse grâce à la magie. En quittant la Maison des Mystères pour se mettre à la recherche de Lucian et Sasha, elle ne s'attendait pas à trouver un monde en ruines, à être confrontée à un paysage plus lugubre que Niflheim. Quitter un enfer pour en trouver un autre, cela commence à ressembler au quotidien de Rosie. Elle a prêté une oreille attentive aux paroles de John, et la surprise qu'elle aurait pu – et dû – ressentir ne s'est pas manifestée. Une nouvelle guerre, un nouveau monde, un nouveau marionnettiste. Des ossements craquent sous les pieds de Rosie, qui grimace mais continue d'avancer lentement, pas après pas. C'est dans ces ruines qu'elle doit retrouver Lucian et Sasha. La magie aurait dû l'aider à le faire, mais elle ne parvient pas à les localiser. Quand elle pense trouver l'esprit de son fiancé, quelque chose la trouble et elle est comme repoussée, le contact est rompu. Elle n'a pas eu plus de chance avec Sasha, ce qui lui fait croire que sa magie, d'une façon ou d'une autre, a elle aussi changé. Elle ne parvient pas à localiser deux esprits, alors qu'elle a paradoxalement l'impression que les dernières chaînes qui retenaient sa puissance ont cédé à la seconde où elle a rouvert les yeux. Après des heures de recherches infructueuses, Rosie s'immobilise au milieu de nulle part. Elle est couverte d'une fine pellicule de cendres, elle imagine sans peine le teint gris de sa peau. Elle prend une profonde inspiration. « Si tu as l'intention de me suivre jusqu'au bout de mon périple, de grâce, montre-toi. » Pendant de longues secondes, personne ne lui répond. Mais elle a bien senti sa présence alors elle attend patiemment, les bras croisés sous sa poitrine. Puis une silhouette massive se détache du paysage et s'avance jusqu'à elle. Même amical, le regard brûlant de Fenrir est glaçant. Rosie n'oublie jamais qu'il est une créature mythique – divine, même – et qu'il se pourrait bien qu'il se lasse rapidement de son rôle de gardien. Elle n'a pas une once de contrôle sur lui, elle est seulement heureuse de bénéficier de ses bonnes grâces. Du museau, le gigantesque loup noir désigne l'horizon. « Il y a des humains, là bas. Des mâles. L'odeur de l'un d'entre eux m'est à la fois familière et étrangère, c'est... Déconcertant. » « Il vaut mieux des hommes que des Atlantes ou des Amazones, je suppose. » « N'en sois pas si sûre, petite Völva. Les tiens ne sont pas moins dangereux que ceux qu'ils affrontent aujourd'hui. » Rosie reste songeuse pendant de longues secondes. Qui est-elle pour remettre en question la sagesse d'un être tel que Fenrir. Elle-même peut se vanter d'avoir vu le pire de l'humanité. « Je vais quand même tenter ma chance. Quand nous serons proches, je t'en prie, reste dans l'ombre. Je ne veux pas avoir l'air d'une menace. » Il ne lui faudra que quelques minutes pour regretter ses paroles, mais à ce moment précis Rosie ignore ce qui l'attend. Lentement, elle traverse les ruines de Covent Garden. Il ne reste plus grand chose du toit vitré, les cendres continuent à tomber et à s'amonceler tout autour d'elle. Le cœur battant, elle avance à découvert et quand un groupe d'hommes émerge soudain, elle retient son souffle. Elle a tout juste le temps de les balayer d'un regard, de l'apercevoir et... Tout vole en éclats. Les hommes se séparent et se mettent à couvert, des ordres sont hurlés et quelque chose atterrit près d'elle. Déconcertée, Rosie baisse les yeux trop tard pour s'éloigner avant que la grenade n'explose. C'est tout juste si elle a le temps de se protéger pour éviter de mourir cette fois ci en étant réduite en charpie. Mais ça ne la protège pas de l'onde de choc qui s'est dégagée de l'explosion et la projette plusieurs mètres en arrière. L'atterrissage est rude, elle roule dans la poussière et les cendres, certaine de découvrir de vilains hématomes partout sur sa peau le soir même. Si elle parvient à se relever, et maintenir son bouclier de protection en place en même temps que bouger lui semble pour le moment bien difficile. Bientôt se sont les balles qui se répercutent dessus, sans que Rosie ne comprenne ce qu'elle a bien pu faire pour mériter d'être ainsi traitée. Les mâchoires serrées, elle se redresse et s'infiltre dans les esprits des hommes qui continuent de tirer comme si leurs vies en dépendaient. Et petit à petit, elle comprend... Elle comprend, avec effroi, qu'elle n'est plus la seule Völva au monde et que sa semblable a penché du mauvais côté de la balance. Elle pourrait les paralyser et les contraindre à l'écouter, mais cela non plus elle n'a pas le temps de le faire. Une ombre noire surgit de l'ombre, gueule grande ouverte, crocs et griffers prêts à déchiqueter les chairs. « FENRIR, NON ! » Plus de morts. Plus de sang. Assez, elle en a eu assez. Rosie rassemble ce qu'elle a de force et de courage et elle se lève et commence à courir... Droit dans la gueule du loup.

Transporté d'un monde à l'autre, sans avoir de mot à dire. Mais même si tu avais eu le luxe de jouer avec tes propres ficelles, quelle différence cela aurait fait ? Ce qui t'emportait t'a été arraché. Tout ce que tu as construit, à la sueur de ton front et à ta détermination sans faille, s'est écroulé quand Rosalie est partie. Partie, pour toujours. C'est ce que t'as dit à Sasha, qu'elle ne reviendrait pas, simplement. T'as pu prononcer le mot exact, celui qui a encore un impact encore beaucoup trop dévastateur. Morte. Décédée. Tu ne t'es pas senti capable d'avouer à la petite fille qu'une autre personne qui lui était chère ne lui reviendra plus. Ces choses, on ne s'y habitue jamais, encore moins quand l'on apprend à se construire. Toi, t'as été envoyé en Afghanistan, une façon plus ou moins polie pour Waller de te virer de la division NIGHTSHADE. Et quelque part, ça t'a rendu un grand service. D'une part parce que tu ne voulais plus mettre les pieds dans cet asile de fou, et d'une autre parce qu'au moins, l'adrénaline t'a aidé à tenir debout. Toujours en mouvement, toujours l'esprit occupé, c'était plus simple pour toi d'oublier. T'es né soldat, tu resteras soldat. C'est presque une malédiction, mais une malédiction que tu as maintenant acceptée. C'est ainsi, autant faire avec. Cette fois, tu ne chercheras même plus à quitter ce pour quoi tu es fait. Loin des autres, où tu ne pourras leur causer aucun mal, t'as conscience que c'est un peu repousser tes responsabilités, mais t'as besoin de temps pour encaisser. Tu pensais avoir déjà tout perdu, et qu'après toutes ces épreuves, un peu de répit te serait accordé. Et cette fois encore, tu t'es trompé.

T'as cette colère en toi qui ne cesse de bouillonner. Un bourdonnement incessant à ton oreille que tu as parfois même du mal à contrôler. Tout a commencé avec une voix qui se hausse, de plus en plus fréquemment, de plus en plus violemment. Puis des gestes malheureux envers des camarades. Plusieurs rappels à l'ordre, des menaces. Et ces absences. Des moments de ta vie qui te sont volés, sans que tu ne saches ce qui a bien pu se passer pendant le vagabondage mystérieux de ton esprit. Et tout ça te fait peur, parce que t'as l'impression de perdre complètement pied. Est-ce un processus normal du deuil ? T'étais sur le point de faire des recherches approfondies sur la question, quand vous avez été happés dans ce nouveau monde. Une Londres détruite et sous le joug des Amazones et des Atlantes. Un autre terrain de guerre, différent du tien, mais sans être complètement étranger pour autant. Après tout, la finalité reste la même, deux groupes s'affrontent, et ceux qui ont le malheur de se trouver au centre en meurt. T'as passé tes premières semaines à errer tout seul, à la recherche de Sasha, sans savoir si elle était là ou si tu suivais les traces d'un fantôme. Puis t'es tombé sur la résistance, qui, désormais en quête de nouveaux membres, a accepté de t'intégrer parmi eux. T'as eu besoin de faire tes preuves, bien sûr, mais rien d'insurmontable. Désormais, tu participes aux missions du groupe, ce qui te donne aussi l'occasion de brasser le plus de kilomètres possible, pour essayer de trouver ceux qui appartenaient à ton monde. Un quotidien rythmé par un monde en guerre, où par conséquent, tu te sens dans ton élément.

Patrouille à Convent Garden. Fusil en main, tu parcoures les ruines de la ville. Des rondes hebdomadaires pour tenter de trouver de quoi vivre un peu plus longtemps, de survivre plus longuement. Une habitude devenue mécanique, mais qui au moins te donne l'impression de servir à quelque chose. « La sorcière !! » Le guetteur revient vers vous en courant, visiblement apeuré de ce qu'il a trouvé au bout de chemin. Et il ne faut que très peu de temps à votre formation pour passer de la neutralité à une défense et une préparation d'attaque sévères. La sorcière, est-ce celle que tu as déjà croisé, et ressemblant trait pour trait à ta Rosalie ? L'instant de votre rencontre est encore gravé dans ta mémoire, et instantanément, ton cœur s'emballe. Il t'a fallu plusieurs jours pour accepter qu'il ne s'agissait pas de la femme que tu as aimé, et que les deux étaient, d'après les histoires qui t'ont été racontées, diamétralement opposées. Tu suis le mouvement, puis vient te mettre à l'abri, tandis que les premiers rebelles bombardent l'ennemi. La confusion et le chaos s'immisce dans la tranquillité de votre patrouille, et niant les avertissements de la bonne conscience, tu t'approches de la zone de combat pour la voir de plus près. Ce n'est pas elle, mais physiquement, elles se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Et tu n'en demande pas plus. Drogué qui a besoin de sa dose tout en sachant qu'elle ne fera qu'aggraver sa situation. Mais là, alors que tu te frayes un chemin jusqu'en première ligne, t'es tétanisé par ce que tu vois. La femme qui court, c'est elle. C'est ta Rosalie. Tu le sais, parce que tu la reconnaitrais entre mille clones s'il le fallait. « Arrêtez ! » Personne ne t'entend sous le fracas des projectiles et des balles qui sont tirées. Oh non, cette colère, tu la sens de nouveau prendre possession de ton corps, et tu dois faire un effort considérable pour ne pas tourner de l'oeil tant elle est puissante. « ARRETEZ ! » Tu ignores ce qui a changé dans le son de ta voix, mais cette fois, l’assaut est suspendu. Brutalement. Brèves secondes de répit dont tu t'empares pour te rapprocher du fantôme que tu as cru apercevoir derrière les écrans de fumée. Est-ce que c'est elle ? Est-ce que c'est bien elle ? Face à ton amour disparu, t'es plus incapable de bouger. Plus incapable de penser. La seule chose que tu parviens à dire, c'est son prénom, murmuré, et déjà emporté par le vent. « ...Rosalie ? » Est-ce un doux rêve ou un terrible cauchemar ? Est-ce vers elle que tu vas lors de tes absences, ou est-ce que par miracle, celle que tu pensais perdue pour toujours t'as été rendu ? 

AVENGEDINCHAINS

Rosie court. Elle court et le monde semble ralentir autour d'elle. Les tirs, les hurlements, la gueule rouge de sang de Fenrir... Et au milieu du carnage, debout au milieu des ruines et d'un nuage de fumée, Lucian. Rosie n'entend plus rien si ce n'est son cœur qui bat la chamade comme s'il allait exploser dans sa poitrine. Elle court, elle traverse Covent Garden pendant ce qui lui semble être une éternité. son regard s'est détaché des malheureux qui ont subi la furie de Fenrir avant que ce dernier ne se contente de grogner babines retroussées sur les survivants, qui prient tous les dieux de la création de leur venir en aide. Elle court... Et tout s'accélère, les derniers mètres disparaissent et c'est presque avec violence qu'elle heurte le torse de Lucian en se jetant dans ses bras. Boum, son cœur s'emballe, boum, son cœur loupe un battement, boum, son cœur se fait aussi lourd qu'une pierre dans sa poitrine. Rosie tremble de tous ses membres et elle s'accroche à Lucian avec force, incapable de croire qu'elle l'a retrouvée ; incapable de croire que le Destin et la Mort n'ont pas gagné. Il est vivant, elle est vivante et ils sont ensemble. « C'est moi... C'est moi... C'est moi... » Sa voix tremblote, sa gorge est serrée et ses yeux brillent de larmes qui ne tardent pas à couler sur ses joues. Sur la pointe des pieds, elle embrasse le visage de Lucian partout où elle le peut, jusqu'à ce que ses lèvres trouvent les siennes pour un baiser qui a un goût de sel, un goût de larmes. Mais un baiser dont elle a rêvé chaque seconde qu'elle a passé au Valhalla. « Pardon, pardon, pardon ! Je suis tellement désolée, je ne voulais pas te laisser... Pardon, pardon, pardon ! Il fallait que je le fasse, il fallait que je te sauve... » Plus de trois mois se sont écoulés depuis son sacrifice – sa mort, son suicide, son meurtre, sa disparition ; peu importe de quelle façon on choisit de percevoir la chose. Pour Rosie, c'est comme si le monde autour d'eux avait cessé de tourner. Comme si le temps était suspendu, comme s'il était sous un dôme qui les protégerait de tout. Elle l'embrasse encore avant de se laisser retomber contre lui, sa tête reposant contre son torse qui se soulève rapidement à cause de sa respiration rapide. Elle n'échangerait cette étreinte pour aucun paradis au monde ; au Valhalla elle ne pensait qu'à elle, qu'à lui. Elle ne comprend pas comment elle a pu hésiter à accepter la proposition de Gary Lester, ni même comment elle a pu en vouloir à John d'avoir remué ciel et terre pour la ramener. Parmi les dieux elle s'est lamentée, elle n'a pas prêté une oreille attentive aux enseignements de ses ancêtres et sa mère... Sa mère n'a fait que lui briser le cœur avant qu'elle ne rouvre les yeux qu'elle pensait avoir fermé pour toujours. Rosie ignore combien de temps elle reste blottie contre Lucian avant de s'écarter pour le regarder plus attentivement. Il a l'air tellement... Fatigué. Non, c'est un euphémisme, Lucian n'est pas fatigué, Lucian est complètement détruit. Rosie est submergée par une vague de culpabilité qui la fait pâlir au point qu'elle retrouve presque sa carnation de macchabée. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose mais aucun son ne s'échappe de sa gorge, seules ses lèvres tremblantes témoignent du sentiment qui l'étouffe. Elle ne parvient pas non plus à toucher son esprit pour l'apaiser, quelque chose a changé en lui, quelque chose qui a modifié la nature profonde de son être... Un terrible frisson la traverse, et ce n'est que le grognement menaçant de Fenrir qui la sort de sa transe. Sans qu'elle ne s'en soit rendue compte, l'énorme loup noir s'est rapproché d'eux. Derrière lui, plusieurs cadavres éviscérés et une poignée de survivants qui observent Lucian, Rosalie et Fenrir avec un mélange d'effroi et d'incompréhension. Pétrifiés par la scène qui se jouent devant eux, ils ne bougent pas. Fenrir tourne autour du couple pendant un instant, sans les quitter de son regard incandescent, avant de se rapprocher. Rosie déglutit difficilement ; le sang qui couvre sa gueule et son museau semble briller étrangement et continue à dégouliner à grosses gouttes. Fenrir approche son énorme tête pour flairer Lucian longuement et Rosie n'ose bouger ni lui demander ce qu'il fait. Le loup finit par reculer en essuyant son museau de sa patte massive, comme pour se débarrasser d'une odeur qui ne lui plairait pas. « Il n'est pas humain. » Profondément offusquée, Rosie retrouve son courage et se dresse entre Lucian et Fenrir. « Bien sûr que si, il est humain ! Que pourrait-il être d'autre ?! » Les poings serrés, elle défie le loup du regard. Mais celui-ci se contente de secouer la tête ; exaspéré par l'aveuglement naïf de la jeune Völva. « Il n'est pas humain, te dis-je. S'il l'était, il ne l'est plus. » Rosie ne peut que soutenir le regard de braise de Fenrir, se sachant parfaitement incapable d'avoir le dessus sur lui. « Il n'est pas humain. Mais il n'est pas un loup non plus. Il est... » Rosie a l'impression qu'une chape de plomb vient de lui tomber dessus et le mot surgit dans son esprit sans que Fenrir n'ait rien suggéré. Ulfark.

C'est moi. Que peut bien signifier cette affirmation dans un monde comme celui-là ? Dans un contexte aussi trouble que le votre ? Bien sûr, tu as déjà vu des gens revenir à la vie, Fate, Constantine, tous ont été ramenés après trépas, mais pour Rosalie, tu peines à le croire. Voilà des mois que tu cherches à t'accoutumer à son absence, que tu essayes d'accepter sa disparition, et surtout, la façon dont elle est partie. T'aimerais que ces retrouvailles inespérées soient suffisantes, assez pour effacer le traumatisme et l'abandon qui t'a arraché le cœur, mais ça ne l'est pas. Si le doute était permis sur sa véritable identité, il se dissipe rapidement, dès lors que tu sens son odeur, retrouves son étreinte. Tous ces gestes qui étaient naturels auparavant, et qui aujourd'hui, te laissent complètement décontenancé. Tu ne sais pas comment réagir. Tu ne sais même pas quoi lui dire. Tout ceci est bien trop brutal pour que ta réaction soit à la hauteur de ce qu'elle aurait pu espérer. T'as tellement de questions à lui poser, tellement d'obsessions qui t'ont hanté pendant des semaines, et rien, pas même ses lèvres sur les tiennes, pourrait t'en débarrasser. Au milieu de la guerre, tu retrouves l'être aimé, mais les ruines de ton être ne pourront jamais être reconstruites. Ta douleur, celle de Sasha, tout a pris trop de place, et même si ce que tu éprouves à son égard reste inchangé, tu ne peux pas simplement prétendre reprendre l'histoire là où vous l'avez laissée. Et c'est pour toute ces raisons, que sous l’assaut de son affection, tu restes presque impassible. Comme une coquille vide dépourvue d'émotions, anesthésié par une multitude d'incompréhension. Et la première d'entre toutes n'est pas comment elle est revenue, mais pourquoi elle est partie.

Tu entends ses excuses, mais elles glissent sur toi comme l'eau le long d'une falaise, tandis que tu tentes encore de reprendre tes esprits. Tu as lu sa lettre, tu as pris connaissance des raisons de son geste, mais jamais, pas une seule fois, tu en as été satisfait. Vous auriez pu travailler en équipe, trouver une solution ensemble, comme vous l'avez toujours fait, mais elle a préféré sceller votre histoire par sa seule volonté. Un acte que tu ne te sens pas encore capable de lui pardonner, et que tu ne feindras pas de comprendre. Ce n'est peut-être ni l'endroit ni le moment, mais comment faire abstraction de toutes ces émotions qui t'assaillent, alors que Rosalie ne parvient pas à contenir les siennes. Tes camarades de la Résistance, conscients qu'ici se joue quelque chose d'important, finissent par détourner le regard pour vous laisser un semblant d'intimité. Et enfin, tu parviens à reprendre la parole. « Tu m'as menti. » Mentir, omettre une vérité, le résultat est le même. Elle savait des choses qu'elle a jugé préférable de ne pas t'avouer. Et c'est là le plus douloureux. Tu pensais que votre couple fonctionnait, que tout entre vous était synonyme de parfaite osmose, mais pendant tout ce temps, elle te mentait. T'es persuadé que vous auriez pu trouver une solution alternative, un autre choix, moins radical et douloureux. Mais elle n'a rien fait. Elle a choisi le silence, unique commanditaire de ce que vous  étiez censés accomplir à deux. Alors qu'elle ne te demande pas plus que tu ne puisses lui donner. Tu ne peux pas pardonner. Tu ne peux pas accepter. Pas maintenant. Pas alors que tu as tout perdu, et que Sasha a elle aussi payé les conséquences de sa disparition.

Le loup, que tu n'avais aperçu que du coin de l'oeil, s'approche désormais. Gigantesque. Impressionnant. Et le trouble qui habite ton esprit se renforce encore. Que fait-il ici ? Tu sais de qui il s'agit, Fenrir, mais pourquoi est-il à ses côtés, comme un animal de compagnie ? Que s'est-il passé pendant ces longs mois ? Vient-elle réellement tout juste de ressusciter, ou t'a t-elle menti sur d'autres choses ? Pris d’assaut par une angoisse soudaine, tu t'éloignes de Rosalie, pour essayer de calmer ta respiration erratique, et pour tenter de contrôler la vive colère qui commence à brûler tes veines. Une violente émotion que tu ne comprends pas, ni ne maitrises, mais qui est là, bien présente, palpable, et ce depuis des mois. Mains sur tes tempes, ce qui menace de gronder prend de plus en plus de place. Pas humain ? Qu'est-ce que cela signifie ? Pourquoi tu es spectateur de ta propre condition ? Toutes ces questions vont te rendre fou, et ne tenant plus, usé et épuisé par cette longue période d'agonie, tu finis par hurler, plus fort que tu ne l'aurais voulu : « Putain, mais qu'est-ce qui se passe ?! » Tu ne parles pas que de la présence du loup, tu parles aussi de la sienne. Si elle possède toutes les pièces du puzzle, toi c'est loin d'être ton cas. Le regard sombre, la colère pour moteur, tu cherches des réponses à tout ça. Et tu estimes les mériter. Plus que n'importe qui. 

AVENGEDINCHAINS

Rosie a l'impression d'enlacer un bloc de granit, dur et froid. Elle ne s'attendait pas à des retrouvailles dignes d'un film à l'eau de rose, mais l'apparente impassibilité de Lucian lui brise le cœur. Elle n'était pas prête à cela. Elle n'était pas prête à affronter l'homme qu'elle avait sciemment laissé seul derrière elle. Pour lui sauver la vie, oui, mais ce n'est sans doute pas ainsi que Lucian voit les choses. Peut-être que John avait raison au fond, si Rosie avait peur de revenir à la vie, c'est parce qu'elle avait peur de devoir assumer les conséquences de ses actes. Tout est de ma faute, songe-t-elle en ravalant difficilement ses larmes. Elle ne reconnaît pas Lucian. Non, pire que cela, elle ne ressent pas Lucian. Si elle n'a jamais lu dans ses pensées par respect pour lui, elle était toujours liée à son esprit, c'était pour elle un point de repère dans un univers trop violent. Comme un léger ronronnement animal, apaisant et rassurant. Mais rien. Rien. Est-ce ce qu'il reste de lui, par sa faute ? Tremblante comme une feuille, elle s'écarte de Lucian. Le couperet tombe et tout ce qu'elle peut faire c'est baisser la tête comme une enfant honteuse. « Je t'ai menti », lui confirme-t-elle d'une voix faible. Elle doit se faire violence pour relever les yeux vers lui, craignant ce qu'elle pourrait lire dans son regard. « Je t'ai menti et j'ai fait des choses plus terribles encore. » Inutile d'ajouter que tout était pour lui, de toute évidence ce n'est pas un argument qu'il souhaite entendre. Rosie ne songeait pas devoir un jour se justifier face à lui. Elle ne sait pas quoi faire de ses mains alors elle se met à jouer nerveusement avec ses doigts, cherchant les mots pour expliquer son choix.  Comme presque tout avec elle, ses paroles sont maladroites. « Tu ne m'aurais pas laissée faire... » Elle déglutit et se force à parler plus fort et avec conviction. « Même si je t'avais tout dit, tu ne m'aurais pas laissée faire. Et tu serais mort, je ne pouvais pas te laisser mourir... » Quoi qu'elle puisse dire, Rosie est convaincue que Lucian n'entendra aucun de ses arguments. Alors au milieu des ruines londoniennes, elle laisse son cœur s'exprimer. « Je préférais que tu me haïsses en étant en vie, plutôt que tu meures en m'aimant. » Elle secoue la tête, comme pour exprimer à la fois sa naïveté et ses regrets. Lucian s'était toujours comporté comme s'il était capable de porter le monde sur ses épaules, pas une fois il ne lui avait confié ses doutes et ses craintes. Alors elle avait cru qu'il saurait surmonter sa mort, comme il avait su surmonter tout le reste. Elle avait cru... Pétrifiée, Rosie plaque ses mains sur sa bouche quand Lucian s'éloigne d'elle et se met à hurler. Son regard passe de lui à Fenrir, elle a peur de trop bien comprendre ce qui est en train de se produire sous ses yeux. Mais elle secoue la tête, refusant de croire avoir pu lui faire à ce point du mal. C'est à son tour de laisser échapper un cri de détresse quand elle croise le regard enragé de Lucian. Malgré la peur qui lui tord les entrailles, Rosie se rapproche en tendant une main vers lui. « … Lucian ? Lucian ? » Elle veut essayer de se montrer rassurante, même s'il n'a sans doute pas envie qu'elle le touche. Alors elle avance jusqu'à pouvoir prendre son visage entre ses mains... Et recule presque immédiatement en poussant un hurlement de douleur. Gagnée par la panique elle baisse les yeux sur ses paumes rouges et brûlantes... Brûlées. Rosie serre les dents et se force à ignorer le mal et recentre son attention sur Lucian. « Je ne sais pas ce qui t'arrive, je suis désolée... Mais je te promets de te dire toute la vérité, je ne te mentirai plus jamais, je te le promets... Regarde-moi, calme-toi. Regarde-moi... » Déterminé, elle pose une main sur son épaule et heureusement, cette fois elle n'a pas l'impression d'être brûlée au fer rouge. « Lucian, s'il te plaît... » « Il ne lui servira à rien de contenir la rage qui le dévore. » Rosie secoue la tête, les sourcils froncés et foudroie Fenrir du regard. « Non, non, non... Ne lui demande pas ça. Ne lui demande pas ça ! » Elle continue à secouer la tête, les larmes roulent sur ses joues et brouillent sa vision. Comme le terrible prédateur qu'il est, le gigantesque loup s'approche d'eux en leur tournant autour. Et cette fois c'est à Lucian et à lui seul qu'il s'adresse, son regard de braise accrochant le sien. « Laisse le loup qui est en toi s'exprimer, mortel. Laisse-le sortir... Laisse-le s'exprimer, laisse-le hurler à la lune. Laisse le loup s'exprimer, ou il te dévorera de l'intérieur. Et quand il aura pris le contrôle, alors tu n'auras plus rien d'un homme. Le choix t'appartient, mais plus pour très longtemps. »